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LES PRÊTRES DE BAUD PENDANT LA RÉVOLUTION

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I. LE SERMENT

I. — Le Clergé en 1790.

Le 11 novembre 1790, M. Caradec, recteur de Baud, comparaît devant le directoire du district de Pontivy, et déclare... « que la population de sa paroisse s'élève à 4617 individus... qu'il n'y a eu jusqu'ici et qu'il n'y a encore qu'un seul vicaire en titre dans sa paroisse, et que le service d'icelle exige au moins 6 à 7 ecclésiastiques avec le recteur, et qu'il y a actuellement 7 prêtres dans Baud, le recteur compris... ».

Ces prêtres étaient, outre M. Caradec déjà nommé, MM. Bollay, Guhenec, Calvé, Le Toux, Le Dastumer et Tanguy.

Augustin Caradec, né à Saint-Pierre de Vannes, le 27 septembre 1751, de Jacques avocat au Parlement, et de Marguerite Le Guern, avait reçu la prêtrise le 23 septembre 1775. Successivement professeur de quatrième, de troisième et de philosophie au Collège de Vannes, il fut nommé recteur de Baud, le 25 février 1787, et prit possession de cette paroisse, le surlendemain.

Yves Bollay était fils de Joseph et de Jeanne Jéhanno, de Bignan. Né le 18 février 1754 et ordonné prêtre le 16 mars 1782, il devint d'abord directeur de la congrégation à Baud puis curé (vicaire) vers le milieu de 1785.

Pierre-René Guhenec naquit au village de Kergoave, frairie de Saint-Thuriau en Baud, actuellement en Saint-Barthélemy, le 14 juillet 1763. Son père se nommait René, sa mère Marie Le Diberder, son parrain Pierre Lorcy, père de L'Invincible, et sa marraine demoiselle Renée Jeanne Farault du Boterf. Ordonné prêtre, le 20 septembre 1788, il retourna dans son pays natal.

Guillaume Calvé était de l'Ile-aux-Moines. Né le 25 avril 1762 au village de Brouël, de Jean, matelot, et de Julienne Pinto, il reçut la prêtrise le 22 septembre 1787, et fut nommé à Baud l'année suivante.

Jean Le Toux ou Le Touze avait pour père Claude et pour mère Jeanne Lohézic. Né à Guénin, au moulin de Tenuel, le 26 septembre 1730 et ordonné hors du diocèse, il remplit pendant dix-neuf ans les fonctions d'aumônier sur les vaisseaux du roi. En 1790, nous le trouvons à Baud, directeur de la congrégation et commissaire du comité permanent de la paroisse.

Jean-Marie Le Dastumer était de Locminé ou il naquit, le 24 août 1763. Fils de Mathurin et d'Hélène Boué, il reçut la prêtrise le 19 septembre 1789, et ne tarda pas à être placé à Baud.

Jean Tanguy naquit à Réguiny de Julien et d'Olive Gaillard et fut ordonné le même jour que le précédent. Rentré dans son pays d'origine, il fut forcé de le quitter dans les derniers mois de 1790 pour faits relatifs à la Constitution, et vint à Baud remplacer M. Le Lan, passé à Camors dès le mois d'avril de la même année (Archives de Baud et notes de Luco).

Deux de ces prêtres, MM. Guhenec et Calvé, étaient de plus instituteurs. Leur école, établie au bourg, d'abord chez Lavoquer ou maison Nikolo « placée près le Chapeau Rouge faisant l'encognure d'un des côtés de la grande route de Baud à Hennebont » (Alexis Le Louer, Mémoires), se transféra plus tard dans un endroit nommé Pener er Goff. Ils donnaient aussi à quelques enfants des leçons de latin dans le but de les pousser vers le sacerdoce.

Eglise de Baud (Morbihan-Bretagne).

II. — Patriotisme du clergé.

Que tels fussent les prêtres de Baud au moment de la Révolution, cela n'est pas douteux. Le registre de la commune contenant la contribution patriotique porte leurs noms en toutes lettres. Ces prêtres en effet s'empressèrent de répondre à l'invitation de l'Etat et de prélever sur leurs ressources la somme dont ils pouvaient disposer afin de subvenir à la détresse publique. La déclaration que fit M. Caradec à cette occasion, le 9 décembre 1789, donne l'idée de la manière dont il comprenait ce devoir :

« Moi, Augustin Caradec, recteur de cette paroisse et membre du comité permanent de cette ville, désirant de donner à la nation une nouvelle preuve de mon respect pour tous les décrets qu'elle a portés par l'organe de nos augustes représentants... et regardant comme un de mes principaux devoirs de subvenir, suivant mes facultés, aux besoins de l'Etat, je déclare avec vérité que je ne possède jusqu'à présent aucun bien de patrimoine, que je n'ai point aussi d'argent en réserve, et que mon argenterie peut valoir aux environs de 250 livres pour lesquels je m'engage à payer à l'Etat la modique somme de six livres cinq sols. Ne possédant autre chose que le revenu de ma cure dont le produit fixe vaut annuellement 1800 livres, j'offre avec plaisir à la patrie la somme de 450 livres » (Archives communales de Baud). Il ne préleva rien sur le casuel de la cure, qui s'élevait à 1.500 livres environ, parce que les charges de son bénéfice et ses obligations personnelles absorbaient annuellement cette somme (Archives communales de Baud). D'ailleurs il ne donnait pas son argent à fonds perdu, l'espoir lui était permis de le recouvrer un jour, et, en vue de cette éventualité, voici quelles dispositions il prit :

« Dans le cas où cette nation généreuse, laquelle ne demande maintenant des secours à ses enfants que pour leur rendre dans la suite et même avec intérêt, soit, de mon vivant, dans le cas de faire le remboursement qu'elle projette, ou que le décret auquel j'obéis soit révoqué, je me réserve le remboursement ». Si le remboursement ne survenait qu'après son décès, il désignait comme légataire sa nièce Rose-Angèle Caradec, à la charge de faire célébrer cent messes pour le repos de son âme (Archives communales de Baud) !

Jean Le Toux ne montra pas moins de générosité. L'ancien aumônier se plaignait cependant d'avoir longtemps servi le roi « au préjudice de son avancement dans le diocèse, sans récompense proportionnée aux pertes » qu'il avait faites dans la dernière guerre. Cette considération ne l'arrêta pas. Dans le désir « de contribuer de tout son coeur aux besoins de l'Etat et de donner à la nation une nouvelle preuve de son attachement », il offrit 275 livres. Il s'engageait à les verser aux trois termes indiqués par le décret ; et en cas de remboursement il en disposait en faveur de sa nièce à la charge de faire dire 120 messes à son intention, 60 à Guénin et 60 à Baud, « à raison de vingt sols par messe » (Archives de Baud).

Les autres prêtres, étant moins riches, firent aussi de moindres offrandes.

Yves Bollay, « curé de la ville de Baud », promit 12 livres ; Jean Le Lan, « prêtre de la paroisse de Baud », qui demeurait au village de Scavouit, 15 livres ; Pierre-René Guhenec, 9 livres ; Guillaume Calvé, 6 livres ; Jean-Marie Le Dastumer, 6 livres.

Leurs déclarations furent conçues en termes à peu près identiques. Voici de quelle manière s'exprima ce dernier : « Messire Jean-Marie Le Dastumer, prêtre desservant de la paroisse, déclare avec vérité que la somme de 6 livres dont il contribuera aux besoins de l'Etat, est conforme aux fixations établies par l'Assemblée nationale » (Archives de Baud).

Les prêtres de Baud, remplissant avec le même zèle leurs devoirs envers l'Eglise et envers l'Etat, se rendirent sympathiques à la commune, qui pourvut leur chef d'un poste d'honneur.

III.— M. Caradec procureur de la commune.

Les postes d'honneur, il était de mode de les conférer aux prêtres, lors de l'organisation des municipalités au commencement de 1790. Plusieurs étaient nommés maires, d'autres notables, d'autres procureurs. Le procureur aux termes de la loi n'avait pas voix délibérative ; sa mission consistait à poursuivre l'application de la loi, à faire des remontrances ou des réquisitions. Cette fonction exigeait quelques qualités littéraires ; aucune ne pouvant mieux convenir à M. Caradec, ancien professeur, il y fut appelé, le 19 février, par l'assemblée primaire (Archives de Baud).

Le conseil général de la commune ne fut complété que le 24 suivant. Le même jour la municipalité fixa au mardi 2 mars, à 10 heures du matin, « la religieuse cérémonie du serment à prêter avant d'entrer en exercice » (Archives de Baud). Prié de l'annoncer en chaire, le recteur ne fit aucune difficulté. Il proposa même, pour donner plus d'éclat à la cérémonie, de la faire précéder « de la grand messe solennelle du Saint-Esprit et du cantique d'actions de grâces » (Archives de Baud). Cette offre fut acceptée avec empressement.

M. Caradec s'acquitta de cette fonction pendant plusieurs mois avec son zèle ordinaire. Sa modération naturelle le mit en état de faire beaucoup de bien et de ralentir le mouvement qui portait les esprits aux mesures extrêmes, à l'exécution intégrale de lois mal conçues, mal rédigées, profondément hostiles à la discipline ecclésiastique. La situation finit cependant par devenir intolérable, et, le 14 novembre, il donna sa démission en prétextant l'impossibilité de concilier ses devoirs de procureur avec ses nombreuses occupations de recteur : « Je prie MM. les commissaires des sections de Notre-Dame et de Saint-Yves de vouloir bien prévenir les électeurs qu'ils auront à choisir un procureur de la commune parce que je mets, quoique à regret et en les remerciant de l'honneur de leur choix et confiance, ma démission de cette place, que la multiplicité de mes occupations en qualité de recteur ne ne me permet plus de gérer » (Archives de Baud).

Les occupations ecclésiastiques de M. Caradec n'avaient pas augmenté depuis le jour de sa nomination. Le motif qu'il allégua pour se retirer n'avait donc aucun fondement. Le vrai motif nous le connaissons : c'était la constitution civile imposée au clergé et que le roi avait sanctionnée le 24 août. Cette constitution non seulement était opposée à la discipline ecclésiastique, elle frisait encore l'hérésie et le pape la condamnait expressément. L'Assemblée nationale entendait cependant y tenir la main, et, pour qu'aucun doute ne planât sur ses intentions, un décret du 27 novembre obligeait tous les prêtres en fonctions d'y adhérer par serment et de la maintenir de toutes leurs forces. Dès lors que devaient faire les prêtres qui voulaient rester fidèles à Dieu et à la sainte Eglise ? Tout supporter plutôt que de prêter le serment demandé. Est-ce de cette manière que se comportèrent les prêtres de Baud en cette grave circonstance ?

IV. — Défection de l'abbé Le Toux.

Suivant les Mémoires d'A. Le Louer, tous les prêtres eurent à se prononcer le même jour sur la question du serment. La cérémonie eut lieu après la messe, dans l'église paroissiale, vers dix heures et demie, devant une foule considérable qui en attendait l'issue avec anxiété. M. Caradec se présenta le premier sur les degrés de l'autel et à peine eut-il proféré quelques mots que ses vrais sentiments se déclarèrent :

« Il annonça d'une voix entrecoupée de sanglots que sa conscience, son devoir et le caractère divin dont il jouissait ne lui permettaient pas de faire un serment contraire aux droits de la religion, de la hiérarchie ecclésiastique et de son monarque très chrétien qui gouvernait la France... Il ajouta que la Convention avait agi par des procédés insultants et déshonorants à l'égard des archevêques et évêques de France ainsi qu'à l'égard du clergé en général et qu'il augurait spirituellement que la France, ce royaume florissant, serait chargé de maux innombrables grâce à la réforme impie qu'on voulait y introduire... Il finit son discours en suppliant le peuple d'implorer et prier le Tout-puissant de désarmer sa juste mais redoutable colère et vengeance » (Alexis Le Louer, Mémoires).

Son discours dura bien un quart d'heure. MM. Bollay et Le Lan lui succédèrent, mais leur harangue fut à double sens et personne ne sut ce qu'ils pensaient au fond. Le Toux qui vint ensuite se montra plus franc ; il prêta le serment « d'un ton de gendarme, à haute et intelligible voix » (Alexis Le Louer, Mémoires). Les autres prêtres qui partageaient les idées du recteur l'imitèrent dans sa résistance (Alexis Le Louer, Mémoires).

Alexis Le Louer prétend qu'il fut « témoin oculaire » de ce qu'il a écrit (Alexis Le Louer, Mémoires). Cela est possible ; mais il n'avait alors que 12 ou 13 ans, et cet âge est plus susceptible d'impression que d'exactitude. Aussi les erreurs abondent dans ses Mémoires, notamment à l'endroit qui nous occupe. Par exemple, il met 8 prêtres en Baud qui n'en avait certainement que 7 ; il range parmi les vicaires de la paroisse MM. Le Lan et Célard, alors que le premier avait quitté Baud pour Camors depuis près d'un an et que le second était vicaire de Quistinic ; enfin le discours de M. Caradec me paraît arrangé après coup, sinon inventé de toutes pièces. Pour retracer cet épisode il convient donc de faire abstraction des Mémoires en question, et de raconter les faits tels qu'ils ressortent de documents précis et authentiques. Voici d'après eux ce qui s'était passé.

L'abbé Le Toux prit l'initiative de l'acte d'adhésion à la constitution schismatique. Lui simple prêtre, que rien n'obligeait à se montrer puisque la loi concernait seulement les fonctionnaires publics, il se rendit, le samedi 12 février 1791, à l'assemblée du conseil général de la commune et s'exprima en ces termes.

« MM., en conformité de la loi du 27 novembre dernier, je me présente à cette municipalité et déclare que mon intention est de prêter le serment prescrit par cette loi demain dimanche 13 de ce mois, à l'issue de la messe paroissiale qui y sera dicte et célébrée, et de me décerner acte de ma présente déclaration ».

Le conseil général était ainsi composé : le sieur Le Portz de Tallenay, maire ; Pierre Terrien, Jean Félix de Brossard, François Lorcy, Jean Nicolo, François Nédelec, René Le Jossec, François Le Strat, Simon Paulic, officiers municipaux ; Louis Lorcy, Pierre Lecorre, François Maho, Marc Le Gouguec, Mathurin Roho, Jean Hémono, René Lorcy, Pierre Morvan. Pierre Lorcy, François Le Moigno, Joseph Raut, Julien Le Dortz, Yves Robino, Augustin Lamoureux, notables. Les conseillers firent bon accueil à la proposition de Le Toux, et décidèrent de se réunir le lendemain à 9 heures à la maison commune, et de se rendre en corps à l'église pour recevoir le serment de ce prêtre et de tous autres qui voudraient le prêter (Archives de Baud).

Cette invitation directe à la forfaiture n'eut pas de succès. Les municipaux entendirent l'abbé Le Toux, qui jura comme il s'y était engagé. Aucun autre ne leur donna cette satisfaction. Ce qui le prouve, c'est un état envoyé à Pontivy, le 9 mars suivant, par la municipalité de Baud, état d'après lequel 1 prêtre prêta le serment et 2 le refusèrent (Archives départementales, L. 771).

Cette pièce établit de plus que trois prêtres seulement apportèrent au sujet du serment une déclaration. Sans que leurs noms soient donnés, il est facile de les connaître. Ce sont, outre Le Toux déjà nommé, MM. Caradec et Bollay. Ceux-ci seuls avaient un titre et tombaient sous le coup de la loi, les autres en leur qualité de prêtres habitués ou auxiliaires n'étaient pas encore soumis à cette formalité.

Les prêtres de Baud se montrèrent donc dignes de la sainte Eglise puisque sur sept un seul consentit à la trahir ; et ce seul, ordonné prêtre à l'étranger, avait passé dix-neuf ans sur la flotte, temps suffisant pour altérer en son âme ces vifs sentiments de foi qui distinguaient le clergé rural. Ce qu'ajoute A. Le Louer est assez vraisemblable. Au discours de Le Toux « il y eut quelque bourdonnement du peuple dans l'église, mais qui cependant n'occasionna aucun tumulte. Ce ne fut qu'après que tout fut fini et que les habitants furent hors de l'église que chaque individu commença à discourir à part et en public sur les conséquences aggravantes de la triste cérémonie de ce jour » (A. Le Louer, Mémoires).

V. — Enthousiasme municipal.

Si la cérémonie était déplorable aux yeux des fidèles qui pressentaient déjà les dangers de l'avenir, elle ne l'était pas moins, à un autre point de vue, pour les municipaux dont l'attente avait été trompée. Cet échec ne les découragea pas, et ils escomptaient l'élection d'un nouvel évêque pour s’en dédommager. Convoqués à Vannes à cet effet, les électeurs de Baud Corbel, Nédelec et Guégan n'eurent garde de manquer à l'appel. Seulement, avant de se mettre en route, ils demandèrent à être traités sur le même pied que les électeurs des autres communes, qui recevaient trois livres par jour « pour faire face à leur dépense et loyer » (Archives de Baud). Le 28 février, le procureur intérimaire Claude Nédelec plaida en leur faveur et la somme fut votée.

On sait que l'assemblée électorale, qui se tint le 6 mars, choisit d'abord pour évêque M. Guégan, recteur de Pontivy ; et que, contrainte de se réunir de nouveau sur le refus de ce dernier, elle porta ses suffrages sur M. Le Masle, recteur d'Herbignac dans la Loire-Inférieure. Celui-ci accepta sans scrupules, heureux d'arriver au premier rang. Aucune nouvelle ne pouvait causer plus de plaisir aux patriotes de Baud. Le Bureau municipal s'assembla le samedi 2 avril pour arrêter quelques mesures destinées à célébrer ce triomphe, Etaient présents : le maire, Pierre Terrien et Jean-Félix de Brossard. Le procureur Pouliquen les harangua de son mieux, et, aux expressions enthousiastes qui sortaient de sa bouche, on comprenait que son cœur débordait de joie :

« Dieu dans sa bonté, s'écria-t-il, vient de nous donner, par le suffrage des électeurs de notre département, un évêque selon son cœur, un vray apôtre de la religion catholique, apostolique et romaine, un pasteur vertueux, zélé, charitable, propre enfin à conduire son troupeau dans la voie du salut……. C'est un grand sacrifice pour lui d'abandonner une paroisse qu'il gouvernait depuis 38 ans ; mais que ne ferait un vrai chrétien et citoyen pour l'amour de la paix, de la religion et de la patrie ? ». L'élu était un prêtre vénérable, tous en faisaient les plus grands éloges, et, comme le même soin présidait à toutes les élections de ce genre, la religion n'avait rien à craindre ; au contraire, « les nouveaux prélats vont contribuer à la faire refleurer et lui donner tout le lustre du christianisme naissant ». Loin qu'il fût question de la renverser, il s'agissait de la ramener « à la discipline primitive ». Non, elle ne périra pas, l'Eglise de Jésus-Christ, « elle est fondée sur le roc contre lequel se briseront tous les efforts de l'erreur, de l'ambition et de la vanité » (Archives de Baud).

Le procureur parlait en apôtre et on dirait qu'il était convaincu. Seulement, comme tous les gens de son espèce, il fermait les yeux à la lumière : l'aveuglement de son esprit dépassait même toutes les bornes puisqu'il préconisait la réforme de l'Église sans le concours, que dis-je ? malgré la défense de ceux qui en avaient la garde. Cette opposition paraissait à ses yeux un détail et il était d'avis de n'y pas regarder de si près. Aussi son enthousiasme était très grand, augmenté encore par la nouvelle qu'il avait reçue du rétablissement « de la santé du roi, la plus chère de France ». De pareils événements n'étaient pas dûs au hasard, mais « à la main de Dieu qui conduit tout et qui a bien voulu nous être favorable » ; dès lors il convenait de lui « rendre les hommages les plus profonds et les actions de grâces les plus sincères » en ordonnant de chanter le Te Deum « en actions de grâces de la convalescence du roy », de carillonner toutes les cloches avant et après la grand'messe, « en conséquence de l'heureux choix de l'évêque du département » ; d'annoncer aux fidèles du haut de la chaire la nomination et l'acceptation de cet évêque, enfin de procéder à une illumination générale de 8 à 10 heures du soir (Archives de Baud).

Tant d'éloquence ne fut pas dépensée en vain. Le Bureau municipal, qu'animait « la joie la plus vive et la plus pure », fut entièrement conquis et accorda sans tergiverser ce qu'on lui demandait, en précisant certains points laissés à sa discrétion. Par exemple, il décida que l'illumination des maisons se ferait moyennant une chandelle placée à chaque fenêtre des appartements : que les notables de la commune et les gardes nationaux en armes assisteraient au Te Deum ; enfin que copie de l'arrêté serait remise à M. Caradec, avec prière d'en faire lecture au prône de la grand'messe et d'annoncer l'heure à laquelle il chantera le Te Deum pour remercier Dieu d'avoir rétabli la santé du roi et pourvu le département d'un évêque constitutionnel (Archives de Baud).

Cette résolution dut jeter M. Caradec dans un grand embarras. Un Te Deum en faveur du roi ne lui aurait pas coûté assurément. Il était royaliste ; et bien que Louis XVI eût sanctionné la constitution civile du clergé, son cœur était plus porté à le plaindre qu'à le blâmer, Mais annoncer au prône l'élection d'un évêque qu'en son âme et conscience il considérait comme un intrus, présider à une cérémonie destinée à glorifier un événement qui n'était rien moins qu'un criant abus du pouvoir et un sacrilège : voilà ce qui devait le révolter. Surmonta-t-il ses sentiments au point de consentir à la démarche qu'on sollicitait de lui ? les archives ne le disent pas. Jusqu'à preuve du contraire, il est permis de croire qu'il résista à toutes les instances, étant donné son ardent amour pour l'Eglise et la correction générale de sa conduite dans ces difficiles conjonctures.

VI. — Usurpation de Le Toux.

Le jour même où la ville de Baud carillonnait et illuminait en l'honneur de Le Masle, l'assemblée des électeurs du district se tenait à Pontivy et se mettait à la recherche de curés disposés à donner des gages au nouveau régime. Malgré de belles promesses, les prêtres firent défaut et trois paroisses seulement furent pourvues : Pluméliau, Guern et Baud. Pour Baud le sujet était tout trouvé, c'était Le Toux qui avait prêté serment moins sans doute par conviction que par le désir de supplanter M. Caradec. Avisé le jour même de son élection, il partit pour Pontivy et se présenta le lundi matin, dans l'église paroissiale, devant l'assemblée, afin la de « remercier du choix qu'elle avait fait de lui pour remplir la cure de Baud qu'il a déclaré accepter » (Archives départementales, L. 770).

Cette démarche accomplie, il se hâta de rentrer et son retour fut un triomphe. En quoi consistait-il au juste ? Il est probable que les municipaux allèrent à sa rencontre et qu'après lui avoir exprimé leurs meilleurs souhaits de bienvenue, ils ordonnèrent un carillon. Toujours est-il que cette manifestation lui toucha l'âme et releva son courage : « J'ai jugé par là, disait-il le 28 mai, que vous me désiriez, et elle n'a pas peu contribué à me soutenir dans les sentiments que j'ai de me rendre utile à mes concitoyens et à ma patrie, parce que j'ai toujours cru que, pour être bon pasteur, il faut avoir l'amitié de tous les bons chrétiens et citoyens, comme vous me l'avez témoigné » (Archives de Baud). En même temps qu'elle relevait son courage, cette réception lui imposait de grands devoirs : « Je suis prêt à sacrifier pour la religion, pour vous et pour ma patrie, ma fortune, mon repos et ma vie, s'il le faut » (Archives de Baud).

Le Toux se prenait donc au sérieux et voulait jouer convenablement le rôle qu'il avait assumé. Pendant plus de six semaines, il est vrai, il était demeuré oisif, il n'avait exercé aucune fonction curiale, ni témoigné du moindre zèle ; mais cette inaction ne lui était pas imputable ; elle était au retard apporté à sa prise de possession qui ne pouvait avoir lieu qu'après son institution canonique par l'évêque du Morbihan. Les pouvoirs qu'il attendait avec une vive impatience arrivèrent enfin le mardi 24 mai ; le samedi suivant il se présenta devant les municipaux pour leur en donner connaissance et leur rappeler à la fois dans quelles conditions devait s'opérer son installation : « Il m'est prescrit, pour y parvenir, de prêter le même serment que les évêques dans leur église, au jour du dimanche avant la messe paroissiale, en présence des officiers municipaux du lieu, du peuple et du clergé. J'ai l'honneur de vous prier, messieurs, d'y assister et de rapporter procès-verbal de ma prestation de serment ... » (Archives de Baud).

L'entrain du curé émerveilla Pierre Terrien, René Le Jossec et le procureur Pouliquen, qui composaient en ce moment le Bureau. Aussi ne bornèrent-ils pas leurs soins à la stricte exécution des formalités légales. Jaloux de frapper l'imagination populaire, ils résolurent de convoquer pour le dimanche matin à 8 heures, non seulement les officiers municipaux, mais encore les notables de la commune ; puis de faire sonner trois carillons : le premier à 6 heures du samedi soir pendant une demi-heure, le deuxième d'une égale durée le lendemain à l'issue de la messe matine, le troisième au moment où le conseil sortirait de la mairie pour se rendre à l'église ; enfin de requérir le commandant de la garde nationale de mettre ses hommes sous les armes (Archives de Baud).

Il va sans dire que les dispositions susdites furent suivies dans toute leur rigueur et que Le Toux prêta joyeusement le serment prescrit : « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui m'est confiée, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi et de maintenir de tout mon pouvoir la constitution votée par l'Assemblée nationale et sanctionnée par le roi ». Cela ne l'empêchait pas de devenir un intrus en prenant possession
d'un poste qui ne lui appartenait pas.

VII. — Retraite de M. Caradec.

Entre l'élection et l'installation de Le Toux, la situation de M. Caradec n'avait guère changé. Il continuait d'exercer le ministère à l'église et dans la paroisse, sans se soucier beaucoup de son remplacement. Ce zèle intempestif déplaisait aux purs de l'endroit, qui résolurent d'y mettre un frein.

Ces purs faisaient partie de la Société de la Constitution. Etablie à Baud comme dans toutes les localités importantes pour veiller au maintien intégral de toutes les dispositions législatives votées par l'Assemblée nationale, elle resta à la hauteur de la mission qu'on lui avait assignée en dénonçant M. Caradec et en priant le Bureau municipal de lui donner un avertissement. Le Bureau ne pouvait que déférer à cette invitation. Le 25 avril, il arrêta de prévenir le recteur d'obéir à la loi relative aux fonctionnaires qui avaient refusé le serment, autrement dit, d'avoir à cesser toute fonction publique (Archives de Baud). On ne sait quelle réponse il fit à cette injonction, mais il est facile de la supposer.

Après le 28 mai, jour de l'installation de Le Toux, la position de M. Caradec devint très difficile. Soutenue par les autorités locales, l'intrus gouvernait l'église en maître et ne souffrait pas que son pouvoir fût partagé. Dès lors il ne restait au pasteur légitime qu'a céder à la force ; c'est la décision qu'il annonça, le 11 juin, au Bureau municipal : « Il y a bientôt cinq ans que la Providence m'avait placé à la tête de cette paroisse. Je m'en vois déplacé par une loi impérieuse dont je ne fais plainte à personne et au sujet de laquelle je ne me plains de personne : Je n'ai moyen empêchant, sans approbation toutefois de mon remplacement, de remettre, dès ce jour, le presbytère ayant été vuidé à ce sujet les clefs d'iceluy » (Archives de Baud).

M. Caradec ne donnait donc pas sa démission, il était recteur de Baud et il entendait garder ses droits ; mais, impuissant contre la force, il abandonna le presbytère pour éviter des troubles et transféra son ménage dans le bourg (A Le Louer, Mémoires).

Outre la clef de la maison presbytérale, M. Caradec en remit plusieurs autres : celles du coffre-fort, du tronc de la chapelle de la Clarté, des effets offerts à l'église. Il avertit en même temps les membres du Bureau qu'il leur appartenait de constater le montant de la somme qui se trouvait dans les troncs, et que suivant l'usage il avait tiercé jusqu'au ter janvier précédent (Archives de Baud).

La résignation de M. Caradec et la modération de son langage auraient dû susciter chez les municipaux quelques regrets, provoquer quelques témoignages de sympathie. De tels sentiments n'entraient pas dans leurs cœurs et ils n'avaient sans doute qu'un désir, celui de se voir au plus tôt débarrassés de sa présence. Il leur donna quelque temps après satisfaction. Laissant son mobilier à Baud, il partit pour Rochefort-en-Terre, oû M. Brebion lui fournit l'hospitalité (Notes de Luco). Pour avoir ses franches coudées à son égard, M. Brebion promit même de le surveiller. Cette promesse ne suffit pas au département, qui recommanda une grande vigilance au directoire du district (Notes de Luco). L'exilé résidait encore au 1er octobre suivant dans la même localité, et y touchait une partie du traitement qui lui était dû en qualité de curé remplacé (Archives départementales, L. 1232).

Quant à Le Toux, le départ de M. Caradec lui laissait toute liberté de s'établir au presbytère. Il n'en fit rien cependant, bien qu'il déclarât, le 23 juin, avoir « un pressant intérêt » (Archives de Baud) à s'y loger. Il attendait que le corps municipal voulût bien, par un procès-verbal, en constater l'état et les dépendances. Ce désir fut naturellement exaucé, en sorte que l'intrus eut bientôt la joie d'occuper avec la place la maison du pasteur légitime.

Ce ne fut pas la seule.

 

II. CONSOLATIONS DU CURÉ CONSTITUTIONNEL.

I. — Auxiliaires.

Il n'est tel pour s'encourager au crime ou pour calmer les remords que le crime peut susciter, que d'avoir des complices. Le Toux eut cette chance, et sa joie sans doute fut extrême en voyant se grouper autour de lui quelques ecclésiastiques ralliés à son exemple au nouveau régime. Le premier en date était l'abbé Bollay.

L'abbé Bollay avait certainement refusé le serment au mois de février ; mais, pour employer une expression populaire, il ménageait la chèvre et le chou, évitant également d'adhérer à la constitution et de rompre avec elle. Sans s'être soumis à la loi, il fréquentait le curé, agissait d'après ses ordres, officiait dans l'église. Les hésitations étaient si grandes qu'elles duraient encore au milieu de l'année suivante. Un état des ecclésiastiques du district de Pontivy, en date du 18 juin, le range parmi les récalcitrants et accole à son nom la note que voici : « Bollay, vicaire, assiste le curé dans toutes ses fonctions et paraissant agir de bonne foi » (Archives départementales, L. 240). Bien qu'il fût censé réfractaire, il était donc d'intention segmentaire ; il le devint de fait, le 12 août 1792, jour où il prêta publiquement dans l'église de Baud le serment pur et simple du 27 novembre 1790 (Archives départementales, L. 1123).

Le second vicaire se nommait Jean le Goff, né à Saint-Allouestre d'Yves et d'Isabelle Moisan, et dont l'ordination de prêtrise était du 20 septembre 1790. Exerça-t-il le ministère dans quelque paroisse avant les lois relatives à la prestation du serment ? On l'ignore. Il ne paraît nulle part avant le 17 mars 1792 (Archives départementales, L. 1124). A cette date, il remplaçait comme vicaire de Guern l'ex-récollet Drogo, nommé à Saint-Samson, et vers la fin de juin ou tout-à-fait au commencement de juillet, il passait à Baud en la même qualité (Archives départementales, L. 1124). Son traitement était de 700 livres.

Le curé avait à son service un troisième prêtre. Pierre Louis Bloyet, né à Vannes le 16 octobre 1737, et qui avait fait profession chez les capucins, le 5 novembre 1755, sous le nom de Père Antoine (Notes de Luco). Ce religieux était depuis deux ans au couvent d'Auray, lorsque parut le décret supprimant les congrégations. Le 1er novembre 1790, il opta pour la vie commune ; mais au mois de mars 1791 ses sentiments changèrent et, vers la fin d'avril, il prêta serment dans l'église de Saint-Gildas (Notes de Luco). Le 30 du même mois, il vint à Baud et offrit ses services à la municipalité, qui les accepta (Notes de Luco).

Le directoire départemental le récompensa de sa complaisance, en lui accordant un traitement de 800 livres (Notes de Luco). L'empressement qu'il mit à se rendre utile ne lui valut pas cependant le titre de vicaire. Du moins deux états du clergé, l'un de juin 1792 et l'autre de janvier 1793, le qualifient non fonctionnaire public (Archives départementales, L. 1124).

C'est avec le secours de ces prêtres que Le Toux administra la grande paroisse de Baud. Heureux de leur appui, il l'était plus encore du zèle que les autorités locales déployaient en sa faveur.

II. — Zèle municipal.

En acceptant ta cure de Baud, Le Toux savait n'avoir rien à craindre de la part de l'autorité civile ; elle était tout-à-fait prévenue à son égard et désireuse d'aplanir tous les obstacles qui pourraient entraver la liberté de son ministère. Elle lui en donna un témoignage, huit jours après sa nomination, en réalisant une mesure qui dut le combler de joie.

De tout temps Baud a été le centre d'un grand commerce, que l'agitation révolutionnaire n'avait pas ralenti. Les marchands étrangers y affluaient, et sans vergogne étalaient « les jours de dimanches et fêtes différentes espèces de marchandises ». Les étrangers ne méritaient pas seuls ce reproche. Les marchands locaux étaient également coupables, mais pouvaient invoquer cette circonstance atténuante, qu'en face de la concurrence il leur était impossible, sous peine de périr, d'agir autrement. Cette flagrante « contradiction aux lois divines et civiles » révolta le conseil communal. Estimant que les meilleures étrennes à offrir au nouveau curé était de proscrire cet usage, il prit à ce sujet le onze avril un arrêté prohibitif, dont la violation entrainait « dix livres d'amende au profit des pauvres de la paroisse » (Archives de Baud).

La défense d'étaler constituait un grand point. Cela ne suffisait pas à l'ardeur de Le Toux, qui se proposait en outre d'amener les fidèles à ses offices et à la fréquentation des sacrements. Mais le moyen d'obtenir ce résultat, sans leur inspirer confiance et les tenir en garde contre les instructions susceptibles de les éclairer ?. Le curé n'eut qu'à se louer sous ce rapport de la vigilance de la municipalité, dont les yeux étaient toujours ouverts pour épier le péril et les mains toujours prêtes à lancer la foudre. Yves Le Louer, épicier à Baud, nous en fournit la preuve.

Dans un voyage qu'il fit à Auray, en avril 1792, un inconnu lui remit une lettre avec prière de la faire passer à Guern. Rendu chez lui, il en fit donner lecture devant plusieurs personnes, entr'autres Corbel, cultivateur à Kerven, village aujourd'hui situé en Saint-Barthélemy. Cette lettre, qu'on prétendait venue en droite ligne du pape, ne mâchait pas la vérité ; elle fait entendre « qu'il n'y avait pas de Paradis pour ceux qui avaient été et pour ceux qui iraient à confesse, à la messe et aux offices des prêtres assermentés, les expressions étaient si fortes et si sensibles que ceux qui l'écoutaient tremblaient d'effroi » (Archives de Baud).

Corbel trembla tellement qu'ayant ce jour-là l'intention d'aller à confesse, il recula « de crainte d'être damné » et reprit le chemin de son village. C'était le samedi 14 avril. Revenu le lendemain, il alla trouver Pierre Kerru qui demeurait au bourg, et lui conta l'histoire. Kerru l'estima trop grave pour la tenir cachée. En citoyen zélé, il se présenta le mardi suivant à la séance municipal pour dénoncer un fait passé en cette ville qui « cause les plus grands troubles religieux, trop communs dans cette paroisse. Il croirait manquer au devoir de citoyen, s'il n'en vous en faisait part » (Archives de Baud).

Ce rapport produisit un grand émoi. Quoi ! des instructions du pape oser venir à Baud ! Fermer le Paradis à ceux qui fréquentaient les prêtres assermentés ! outrager de la sorte la Sainte Constitution ! Les municipaux qui se croyaient déjà en face d'un complot voulurent en avoir le cœur net et, appelant à leur barre les personnes qui passaient pour avoir entendu la lecture suspecte, ils leur firent subir un interrogatoire en règle. L'interrogatoire ne leur apprit que ce qu'ils savaient déjà. Yves Le Louer, cité à son tour, fut sommé de livrer la lettre. C'était trop tard, il l'avait confiée à un homme de Saint-Nicolas qui s'était chargé de l'envoyer à destination. Devant l'impossibilité d'éclaircir le cas, les municipaux transmirent toutes les pièces au juge de paix, en lui laissant le soin de faire des poursuites, s'il le jugeait à propos.

Quelle était donc au juste la nature du document qui avait bouleversé les têtes municipales ? Ce ne pouvait être un vrai bref, car Yves Le Louer l'appelait aussi un cantique ; puis le pape, bien que la Constitution eût depuis longtemps attiré ses anathèmes, ne s'était pas servi pour la condamner de pareilles expressions. Tout ce qu'il est permis de dire, c'est que la doctrine contenue dans le cantique reproduisait en d'autres termes les déclarations pontificales. En outre il était vrai d'affirmer que, la Constitution étant schismatique, les prêtres assermentés de Baud n'étaient « que des instrus et ne reconnaissaient pas le Saint-Père le Pape », comme disaient les prêtres catholiques de Guénin.

Ces appréciations ne troublèrent pas l'esprit ou la conscience de Le Toux, ou, s'il en éprouva quelques chagrins, ils furent bientôt dissipés par la superbe manifestation qui signala la fête de la Clarté.

III. — Plantation d'un arbre de la liberté.

Le pardon de la Clarté compte parmi les plus célèbres du département. Les pèlerins y viennent en foule pour demander des faveurs à Notre-Dame ou pour la remercier de leur en avoir accordées. Ce n'est pas de nos jours que date ce grand concours de peuple. Le pèlerinage était en pleine prospérité au moment de la Révolution. Un rapport évalue à 10.000 le nombre des personnes qui assistaient à la procession, le matin du 2 juillet 1792 (Archives communales de Baud).

La vue de cette foule immense exalta les patriotes, notamment le capitaine de la gendarmerie nationale Beysser. Accompagné du lieutenant Picard et du procureur-syndic Pouliquen, il se rendit au conseil municipal qui s'était assemblé, pour lui communiquer une inspiration que son cœur ne pouvait plus contenir. C'était la fête patronale, huit prêtres constitutionnels la présidaient, 10.000 personnes étaient présentes, et Baud n'avait point d'arbre de la liberté. N'était-ce pas le moment de s'offrir cette consolation (Archives communales de Baud) ?

La réponse du maire était facile à prévoir ; un si beau projet ne pouvait contrarier ses sentiments, et, bien qu'il s'étonnât peut-être de n'en avoir pas eu l'initiative, il l'accueillit « avec la plus grande satisfaction », heureux de saisir toutes les occasions « de faire chérir le doux nom de la liberté » (Archives communales de Baud). Le conseil n'avait pas non plus la moindre envie de s'y opposer. Au contraire, se laissant gagner par l'enthousiasme, il décida, suivant le désir de Beysser, que l'arbre serait planté le jour même, et chargea l'officier municipal Terrien de l'acheter sans retard. On avisa ensuite aux moyens de donner à la cérémonie un grand éclat ; la délibération ne fut pas longue ; d'un commun accord on arrêta d'y inviter le commandant de la garde nationale avec la garde, Beysser avec ses brigades, et les officiers municipaux des communes de Naizin, Pluméliau, Languidic et Camors qui avaient suivi la procession du matin (Archives communales de Baud).

Le rendez-vous fixé à deux heures et demie, fut avancé un peu, et dès deux heures le maire et les municipaux sortirent en écharpe de la maison communale et se mirent solennellement en marche, escortés des militaires et précédés d'un gendarme qui portait sur une pique le bonnet de la liberté. Une heureuse idée fit choisir l'arbre parmi ceux qui entouraient la fontaine de Notre-Dame. A l'arrivée du cortège, il était déjà abattu. Six hommes le prirent avec respect et, marchant devant les autorités, le portèrent au milieu de la place où il devait s'élever. Pendant qu'il y restait sous la garde des gendarmes, les municipaux se rendirent à la chapelle entre deux rangs de nationaux pour prendre la procession et la conduire vers l'arbre sacré. Surmonté d'un bonnet rouge et de rubans tricolores, il attirait tous les regards, et dès que le trou fut creusé, on l'y planta en présence de la multitude. Les prêtres constitutionnels entonnèrent aussitôt le Te Deum qui suivit une vive harangue de Beysser au peuple : « Voilà la liberté, s'écria-t-il, c'est autour de cet arbre de la liberté que tous les amis de la constitution doivent se réunir et plutôt mourir qu'il y soit porté atteinte » (Archives cons. de Baud). Les municipaux répondirent par un triple vivat : « Vive la nation, vive la Constitution, vive la Liberté, et des milliers de voix répétèrent ces doux mots » (Archives cons. de Baud). Puis ce fut le spectacle le plus émouvant qu'on puisse imaginer. Avant de quitter la place, prêtres, gendarmes, municipaux, peuple, tous défilèrent autour de l'arbre et l'embrassèrent pieusement, « les porteurs de croix et des étendards les firent toucher ». C'était du délire. Comme d'ordinaire les femmes eurent à cœur de se distinguer, plusieurs avaient à leur coiffure une cocarde tricolore (Archives cons. de Baud).

Le Toux rentra chez lui réconforté. Ses paroissiens lui paraissaient acquis à la religion constitutionnelle dont il s'était fait l'apôtre et il avait d'autant plus raison de le croire que, quelques semaines après, on hésitait à dépouiller l'église de peur de soulever les colères du peuple.

IV. — Attachement du peuple aux vases sacrés.

On sait qu'une loi, en date du 10 septembre 1792, ordonnait de dresser, dans le plus bref délai, un inventaire de l'argenterie des églises. Les municipalités du district de Pontivy ayant témoigné à cet égard beaucoup de répugnance, le directoire les gourmanda de la manière qui suit dans une circulaire du 1er novembre :

« En conformité de la loi du 10 septembre dernier, vous deviez faire inventaire de l'argenterie de vos églises et il vous était ordonné de les déposer au directoire, à l'exception des vases sacrés qui sont absolument nécessaires au service du culte. Ou vous aurez rempli littéralement les dispositions de cette loy pour lundy prochain, ou le mardy suivant des commissaires iront exécuter la loi pour vous, mais à vos frais » (Archives départementales, L. 1118).

La loi avait parlé, des menaces avaient suivi, la municipalité de Baud n'essaya plus de résister. Seulement avant d'obéir, quelques mesures de precautions lui semblaient nécessaires. Non qu'elle eût à redouter une opposition effective de la part du curé. Aux yeux de la Constitution, le curé n'était qu'un instrument, un serviteur, pour ne pas dire un valet, sans autres droits ni pouvoirs que ceux qu'elle lui conférait... Mais il y avait le peuple, quelle attitude allait-il prendre ? Sa docilité égalerait-elle celle de Le Toux ? On ne s'y fixait pas ; on peut croire même que l'annonce de l'inventaire avait déjà suscité des plaintes, puisque le 8 novembre, le conseil municipal demanda la permission « de convoquer une assemblée générale des paroissiens pour de leur consentement y procéder » (Archives de Baud).

On ignore ce qui advint de cette démarche, si le peuple donna son consentement à l'inventaire dont il s'agit ou si l'ordre était de passer outre. Toujours est-il que, le 12 du même mois, deux commissaires furent désignés pour examiner l'argenterie dont l'église pouvait disposer. Ils jetèrent leur dévolu sur deux croix d'argent, une lampe, un encensoir avec sa navette, que le maire en personne porta le lendemain à Pontivy (Archives de Baud). L'orfèvre, Nicolas Noel Jan, qui en fit la pesée, les estima ainsi : deux croix, 26 marcs ; la lampe, 13 marcs, 6 onces, 4 grains ; l'encensoir, 3 marcs et trois grains (Archives départementales, L. 1103) c'était peu eu égard aux autres argenteries dont la nécessité ne se faisait pas sentir ; mais l'attitude du peuple avait sans doute inspiré une crainte salutaire et Le Toux eut le bonheur de conserver à peu près tout ce qui importait à la splendeur du culte [Note : Deux ans après le maire en envoyait pour le poids de 40 marcs].

Il n'est pourtant pas de roses sans épines. Les épines de Le Toux étaient ses anciens confrères restés fidèles à la sainte Eglise. Il réussit assurément à les expulser de Baud, mais cela ne fit qu'aggraver le mal par l'asile que leur fournit le peuple de Guénin.

 

III. LUTTE ENTRE BAUD ET GUÉNIN.

I. — Fuite de MM. Guhennec et Calvé.

Le départ de M. Caradec ne laissa pas sans secours les fidèles de Baud. Deux de ses auxiliaires, MM. Tanguy et Le Dastumer rentrèrent dans leur pays natal ; mais deux autres, MM. Guhénnec et Calvé, se tinrent à leur poste, continuant de remplir avec courage leur double fonction de prêtre et d'instituteur. Ce ne fut pas pour longtemps.

Tenir école, instruire et élever les enfants est assurément une noble fonction ; mais aussi elle donne une grande influence à ceux qui l'exercent. Les Jacobins de 1791, qui rêvaient l'empire des âmes, prirent ombrage de cette situation et ils décrétèrent que nul n'aurait le droit d'enseigner s'il ne prêtait d'abord serment à la constitution civile du clergé. Cette funeste loi désorganisa tout l'enseignement et entraîna la fermeture de l'école de Baud (A. Le Louer, Mémoires).

Les deux prêtres n'en furent peut-être pas fâchés. Ils devenaient plus libres pour combattre Le Toux, gourmander les fidèles et prodiguer partout les encouragements nécessaires. Leur intrépidité irrita le juge de paix qui les cita à sa barre et les condamna à 300 livres d'amende et à un an de prison. Cette sentence ne fut pas maintenue. Le Tribunal de Pontivy, auquel ils en appelèrent, la cassa pour vice de forme (Archives départementales, L. 240) tout en ordonnant que les deux inculpés, à moins d'un cautionnement fourni par eux, resteraient en état d'arrestation, et que la procédure serait de nouveau instruite par devant les assesseurs du juge de Baud (A. le Louer, Mémoires).

Les deux ecclésiastiques n'eurent garde de tomber dans le piège qui leur était tendu. L'acharnement de leurs ennemis leur présageait une condamnation certaine ; plutôt que de s'y soumettre, ils s'enfuirent dans la campagne et ils s'y cachèrent si bien qu'ils pouvaient défier toutes les poursuites. Les fidèles seuls connaissaient leur retraite, et en cas de besoin, avaient recours à leur ministère.

Cette fuite avait désolé les jacobins de Baud, qui ne négligèrent rien pour parvenir à les capturer : « Des détachements de troupes et des gendarmes se mirent à leur recherche. Ils blessèrent le frère de M. Guhenec d'un coup de fusil qui lui traversa de part en part le bas ventre et le transportèrent en prison à Baud, où il mourut avant 24 heures » (A. le Louer, Mémoires). C'est ainsi qu'à défaut du prêtre, qui s'était sauvé en Quistinic, ils se vengèrent cruellement sur sa famille.

Les résultats ne furent pas plus heureux en ce qui concerne M. Calvé. La Providence du reste le protégeait d'une manière visible, comme il paraît par le fait suivant. Un jour qu'il se trouvait vêtu des ornements sacerdotaux, aux confins de la paroisse, les bleus survinrent à l'improviste. Sans perdre son sang-froid, « il quitte la maison avec ses ornements, se retire derrière un rocher à quelques pas de la maison. Il tombait beaucoup de neige, et il eut le bonheur en priant Dieu de se sauver » (A. Le Louer, Mémoires).

Ces alertes n'eurent pas lieu une fois seulement, elles étaient de tous les jours. Dans les moments de calme, les deux confrères se réunissaient à Guénin et y passaient ensemble les dimanches et les fêtes.

II. — Arrivée de M. Caradec à Guénin.

L'accueil fait à MM. Guhenec et Calvé donna sans doute à réfléchir à M. Caradec : Guénin était du canton de Baud, et pour avoir été éloigné de son peuple, il ne l'oubliait pas. Dès lors ne devait-il pas songer à s'en rapprocher ?. Il mit son projet à exécution au commencement de 1792 ; et, le mercredi 1er février, il rejoignit ses deux auxiliaires. Le bruit de sa venue à Guénin se répandit avec une grande rapidité, et le lendemain, jour de la Purification, ainsi que le dimanche suivant, les fidèles de Baud affluèrent aux offices qu'il y célébra.

La nouvelle en arriva bientôt aux oreilles du curé constitutionnel, qui résolut de faire châtier cette témérité. Le 7 février, il se présenta devant le bureau et annonça que « M. Caradec fait le plus grand mal dans le pays, tout en attirant tous les paroissiens de Baud les fêtes et dimanches aux offices divins de la paroisse de Guénin et en les détournant de ceux de Baud » (Archives de Baud). Les troubles qu'il provoquait le plaçaient dans le cas prévu par l'arrêté du département. Les autorités locales n'avaient donc pas à la ménager, et sous peine de répondre des événements, leur devoir était de « demander son éloignement » (Archives de Baud).

Les faits signalés par Le Toux surprirent le bureau, qui n'en avait encore aucune connaissance. Aussi remît-il au lendemain le soin de prendre une détermination. En attendant il fit une enquête dont les résultats concordèrent avec la dénonciation du curé : « Le sieur Caradec fait sa résidence au bourg de Guénin où il confesse et engage les paroissiens de Baud à l'y aller trouver ; il est aussi à la connaissance de tout le public que, depuis qu'il est en ce canton, plus des deux tiers des personnes de cette paroisse vont assister aux offices au bourg de Guénin et n'approchent à ceux de Baud, de même que pour la confession » (Archives de Baud). Devant cette constatation, le bureau n'hésita plus. Pour prévenir une révolte qui pourrait éclater entre les deux peuples, il arrêta de prier le directoire départemental d'ordonner au « sieur Caradec de s'éloigner au moins de dix lieues de cette paroisse ». Le 17 février, le conseil général de la commune délibérant sur l'arrêté de son bureau, le confirma entièrement de son autorité (Archives de Baud).

A cette dernière date, M. Caradec ne devait plus être à Guénin. Il n'y avait passé que quelques jours, ayant compris la nécessité de céder à l'orage qui se préparait ; et en partant il avait fait espérer aux fidèles qu'ils le reverraient aux environs de Pâques. Ils vécurent dans cette attente, pleins de joie à la pensée que l'accomplissement du grand devoir pascal se ferait d'une manière régulière, en dépit de la haine qui animait Le Toux et ses partisans. Leur espoir fut trompé.

Les dénonciations se multiplièrent contre le recteur de Baud et les administrateurs du département n'étaient pas d'humeur à l'épargner ; mais, avant de recourir aux mesures extrêmes, ils voulurent essayer de l'intimidation, et dans ce but, le 9 mars, ils chargèrent par la lettre ci-après, son frère, accusateur public près le tribunal criminel de Vannes, de lui donner un avertissement :

« Votre frère, Monsieur, étant dépossédé de la cure de Baud, ne peut plus avoir d'affaires qui l'attirent dans cette paroisse ou dans les environs ; nous avons cependant été instruits que dernièrement il est allé à Guénin, distant d'une petite lieue de Baud et qu'il y a même passé plusieurs jours. D'après ses principes connus, sa présence est infiniment dangereuse dans ce canton et ne peut tendre qu'à y entretenir le fanatisme. Des personnes de confiance, amies de la paix, nous ont fait part de la fermentation que son séjour à Guénin a occasionnée tant dans cette paroisse que dans celle de Baud. Nous vous invitons, Monsieur, à prévenir votre frère, que, s'il retourne dans l'une et dans l'autre de ces paroisses, nous serons forcés de sévir contre lui pour prévenir des désordres. Nous suivons avec exactitude sa conduite, ainsi que celle de tous ceux qui refusent de se soumettre à des lois de l'exécution desquelles dépend la tranquillité du royaume » (Archives départementales, L. 240).

La menace produisit son effet, le recteur de Baud n'osa retourner à Guénin ; ses deux auxiliaires y restèrent bravant toutes les défenses et toutes les persécutions pour rendre service aux fidèles.

III. — Zèle de MM. Guhennec et Calvé.

Ces deux prêtres ne se contentaient pas de célébrer les offices à Guénin, ils expliquaient encore aux fidèles pour quels motifs ils devaient y assister et s'abstenir de ceux de Baud. Pour se faire une idée exacte de leurs prédications, qualifiées de manœuvres par les constitutionnels, il faut entendre le langage tenu le 10 février, par un membre de la municipalité de Baud :

« Aucun n'ignore qu'ils abusent de la faiblesse, de la crédulité et du peu de connaissance de plusieurs personnes, en leur disant que non seulement la messe des prêtres sermentaires ne valait rien, ainsi que tous les sacrements qu'ils administraient, mais même ceux qui l'entendaient ou qui s'adressaient à eux, soit pour la confession ou recevoir la communion, se rendaient coupables du plus grand péché » (Archives de Baud).

De telles propositions choquaient naturellement les purs de l'endroit, qui regardaient comme valide et licite un sacrement, quel que fût le ministre qui l'administrait. Les fidèles les trouvaient plus à leur goût, car ils accouraient à Guénin tellement nombreux qu'ils rendaient « déserte l'église de Baud qui autrefois était trop petite » (Archives de Baud). Cette désertion désespérerait Le Toux, qui commençait à comprendre qu'il ne suffit pas de s'emparer d'une église et des ornements qu'elle renferme, pour posséder la confiance d'une paroisse. Ce qui le navrait surtout, c'était de voir « les femmes enceintes abandonner leurs maisons pour aller faire leurs couches à Guénin » (Archives de Baud).

Ces femmes partaient huit ou quinze jours avant le terme, descendaient chez des connaissances ou des personnes de bonne volonté et y restaient le temps nécessaire pour leur délivrance et le rétablissement de leurs forces (Archives de Guenin et Mémoires d'A. Le Louer). Les cas pourtant étaient moins fréquents que ne le pensaient l'intrus. Les archives de Guénin en signalent tout au plus une douzaine, dont le premier est du 26 février 1782. Cette date, postérieure de 19 jours à la plainte de Le Toux, ferait supposer que beaucoup d'enfants avaient été baptisés sans avoir été enregistrés ou que leur enregistrement eut lieu à Baud après qu'ils eurent reçu le baptême, des prêtres catholiques réfugiés à Guénin, ou cachés aux environs. Le dernier est du 16 juin. Le curé de Guénin administrait généralement le sacrement.

Autre méfait des deux insermentés :

« Nous devons leur attribuer la dissolution de plusieurs mariages prêts à se conclure de peur, disaient les parties contractantes, d'être mariées par un prêtre sermentaire » (Archives de Baud).

Le corps municipal était furieux, Le Toux était son idole et il tenait à son triomphe. Lui le patriote, l'homme du serment, l'homme à tout faire pour la gloire de la sainte Constitution, on se permettait de le rebuter, de repousser ses services et de sortir de la paroisse pour recevoir la direction des réfractaires ! quelle abomination ! Le peuple cependant était excusable, il péchait par ignorance, les infâmes réfractaires étaient seuls la cause de tout le mal. Il importait donc de les frapper, d'abord parce qu'ils faisaient échec à la loi, puis parce que le venin de leurs discours corrompait les meilleurs esprits : « La fermentation a beaucoup augmenté tant en cette ville qu'en nos campagnes et nous avons lieu de craindre, si cela continue, d'être témoins de quelques malheurs » (Archives de Baud).

Un soulèvement était possible, et autant que personne, le directoire de Pontivy redoutait cette éventualité. Aussi redoubla-t-il de vigilance, et conjura-t-il les municipaux de Baud de surveiller avec soin des prêtres qui se répandaient dans les communes voisines, et de les dénoncer à Vannes. Ils le promirent effectivement, mais persuadés que cette promesse serait illusoire, tant que le mal ne serait pas frappé à sa racine, ils s'en prirent au clergé de Guénin.

IV. — Persécution des prêtres de Guénin.

Guénin avait trois prêtres : Pierre Guillermo, recteur, originaire de Moréac ; Pierre Le Roch, vicaire, natif de Guénin ; et Guillaume Garec, prêtre habitué à Manéguen, compatriote du recteur. Ce dernier nageait entre deux eaux, et, sans avoir adhéré à la constitution, son plaisir était de fréquenter les constitutionnels. Les deux autres avaient refusé le serment, et rien ne leur était plus agréable que de donner l'hospitalité à leurs confrères de Baud devenus confesseurs de la foi : « Ils étaient si compatissants à l'égard de leurs confrères persécutés et opprimés qu'ils déployaient tous les moyens de subsistance, d'allègement et de consolation qui étaient en leur pouvoir pour leur rendre service » (A. Le Louer, Mémoires).

La population rivalisait avec eux de générosité et de dévouement : « Cette paroisse de bénédiction avait si bien tenu bon et ferme aux bons principes et à la conservation de ses pasteurs, qu'elle devint en quelque sorte l'asile des autres ecclésiastiques persécutés... Les habitants se faisaient à l'envi une gloire de recevoir chez eux ces dignes prélats fugitifs, et les traitaient, nourrissaient et logeaient comme s'ils avaient été leurs propres et uniques prêtres. Aussi ne manquaient-ils de jouir des faveurs insignes que Dieu accorde à ses fidèles serviteurs, des biens et des consolations de la religion plus abondamment qu'aucune autre paroisse des environs » (A. Le Louer, Mémoires).

Forts de l'appui de la paroisse, MM. Guillermo et Le Roch déployaient une grande activité. Leur attitude déplaisait à tel point que, dans la séance du 10 février, un membre du bureau municipal de Baud proposa de demander « à MM. du département et du district, qu'ils soient remplacés et qu'il leur soit ordonné de s'éloigner de dix lieux » (Archives de Baud). Cette mesure, il est vrai, aurait un grave inconvénient : Guénin demeurerait sans prêtres et sans messes, mais on pourrait y nommer un curé d'office ; au bureau de décider si ce moyen lui paraissait le plus avantageux « pour le bonheur du canton et faire reluire la sainte constitution » (Archives de Baud).

Le bureau n'osa pas trancher le cas, il en renvoya la solution au jour où se réunirait le conseil général de la commune. Celui-ci s'assembla le 17 février et approuva le moyen proposé. La délibération ne franchit pas cependant les portes de la mairie, et la municipalité parut ne plus s'en occuper.

Une lettre du directoire de Pontivy secoua sa torpeur. Le 22 mai, après en avoir donné lecture au bureau municipal, le maire Renaudin s'écria : « Vous ignorez qu'il y avait des ennemis du bien public en ce canton, nous avions beau chercher, nous n'avions pu en connaître les auteurs. La lettre que vous venez d'entendre vous les dénonce » (Archives de Baud). Les coupables étaient le recteur et le vicaire de Guénin, notamment celui-ci qui avait osé dire en son prône que « la municipalité de Baud menaçait celle de Guénin et que celle-ci eût à se garder de tomber dans les pièges que Baud lui tendait depuis longtemps » (Archives de Baud). Calomnie atroce puisque les deux peuples avaient les mêmes idées et ne différaient que par « le fanatisme occasionné et prôné depuis quelque temps par les prêtres de Guénin » (Archives de Baud).

Le maire énuméra ensuite en détail tous les griefs qu'on avait contre eux. De concert avec leurs confrères de Baud, ils attiraient les personnes de cette paroisse aux offices de Guénin « parce que la vraie religion était changée à Baud » ; ils y attiraient également les femmes enceintes sous prétexte « que leurs enfants n'eussent jamais été bien baptisés à Baud », ils osaient traiter « ignominieusement d'intrus » les deux prêtres constitutionnels de Baud et leur lancer à la face de faire fi du très saint-Père le Pape. « Le mal est à son comble, ajoutait-il en guise de conclusion, il n'est plus possible d'y résister » (Archives de Baud).

Cette remontrance eut tout le succès que son auteur en attendait. Le procureur requit de l'adresser au juge de paix qui l'emploierait comme pièce accusatrice contre MM. Guillermo et Le Roch, coupables tous deux, le premier d'avoir autorisé un prône inconstitutionnel, le second de l'avoir prononcé. Le juge aurait à citer des témoins non seulement sur ce point capital, mais encore « sur les faits d'accouchement et plusieurs faits de cagoterie et autres faits de fanatisme » (Archives de Baud).

La délibération qui fut conçue dans ce sens ne resta pas lettre morte. Une enquête eut lieu sur la conduite des deux inculpés, et quelque temps après on les rechercha avec beaucoup d'ardeur. Dans la nuit du 17 au 18 juin, « plusieurs hommes vêtus d'uniformes et armés de pied en cap, se disant gendarmes se présentèrent à leur domicile à dessein de les arrêter » (Archives de Baud). Par bonheur ils n'y étaient pas. On fouilla ensuite chez d'autres personnes soupçonnées de les cacher, mais sans plus de résultat (Archives de Baud).

Cet insuccès devait d'autant plus désoler les gendarmes qu'ils agissaient à l'encontre de la loi, sans mandat de police ni de justice, Le conseil municipal de Guénin se réunit, le 22 juin, pour protester contre de pareils procédés et solliciter le département de s'y opposer. D'ailleurs le recteur et le vicaire de Guénin ne méritaient pas d'être en butte à l'hostilité gouvernementale. Depuis leur arrivée dans la paroisse, ils s'adonnaient aux soins du ministère « à la très grande satisfaction de tous les citoyens, vu qu'ils n'ont jamais eu en vue que le salut des âmes et le maintien de la paix et que jamais ils n'ont parlé contre la Constitution ».

Cette dernière assertion manque de vraisemblance, et c'est le contraire qu'il fallait dire. Les prêtres de Guénin ne ménageaient pas à la Constitution les plus dures critiques, parce qu'elle était en train de ruiner la religion ; que le refus d'y adhérer attirait sur leurs têtes toutes les foudres administratives, et qu'enfin elle menaçait dans son existence la paroisse même dont ils étaient les guides spirituels.

V. — Suppression projetée de la paroisse de Guénin.

Le maire de Baud, Renaudin, avait beau dire, il y avait autre chose que le fanatisme à diviser les deux peuples, et lorsque l'abbé Le Roch s'écriait en chaire que « la paroisse ou la municipalité de Baud menaçait celle de Guénin et que celle-ci eût à se garder de tomber dans les pièges que Baud lui tendait depuis longtemps » (Archives de Baud), son langage n'était que l'expression de la vérité.

L'Assemblée Constituante, on le sait, en prenait à son aise avec toutes les matières qui touchaient de près ou de loin au domaine religieux. Non contente de disperser les congrégations, d'enlever à l'Eglise son patrimoine, de soumettre les prêtres à un serment réprouvé par la conscience..., elle osa porter la main sur l'organisation des évêchés et des paroisses, vieille cependant de plusieurs siècles, sans tenir compte ni des réclamations de l'autorité ecclésiastique, ou des graves intérêts compromis par de pareilles modifications. La paroisse de Guénin faillit sombrer dans cette circonstance.

Si l'on ajoutait foi aux rapports publics, cette paroisse était au nombre de celles dont la suppression était projetée, et, du moment qu'elle paraissait condamnée, les municipaux de Baud crurent bon d'en demander l'annexion à leur propre commune. Cette perspective était peut-être un des motifs qui les rendaient si ardents à solliciter l'éloignement de MM. Guillermo et Le Roch et leur remplacement par un curé d'office ou un simple vicaire, qui relèverait naturellement de Le Toux (Archives dép. L. III, 3), Une autre pensée sans doute leur tenait au cœur : la possibilité de se venger d'une population qui enrayait dans le canton la marche des idées nouvelles.

Quoi qu'il en soit, en transmettant à Vannes, le 21 mars les vœux de la municipalité de Baud, le district de Pontivy ne les appuya pas absolument ; mais il ne s'y montrait pas non plus hostile ; il faisait simplement remarquer que la circonscription des paroisses n'était pas encore faite, et que même il valait mieux l'ajourner. Pourtant il se mettait aux ordres du directoire départemental pour l'affaire en question (Archives dép. L. III, 3). On ignore la réponse qui lui fut faite. Un autre projet dont il était également question consistait à partager Guénin entre les différentes paroisses qui l'entouraient. Dans les deux cas, c'était la fin de la paroisse et la paroisse ne voulait pas mourir. Aussi combattait-elle ce nouveau plan par toutes les raisons que son désir de vivre lui fournissait D'abord le bourg de Guénin était bien éloigné des autres bourgs environnants : cinq quarts de lieu de Baud ; six ou sept de Pluméliau ; sept de Remungol ; deux lieues de Plumelin. Pourquoi donc démolir la paroisse au profit de celles-là dont les bourgs étaient si éloignés et les églises à peine suffisantes pour la population actuelle ? Puis ce serait mal répondre aux intentions de l'Assemblée Nationale, qui voulait rendre service au peuple et lui faciliter l'accomplissement de ses devoirs religieux (Archives de Pontivy).

Ces considérations firent-elles quelque impression sur les administrateurs, ou craignirent-ils par une mesure aussi radicale d'envenimer les esprits et d'augmenter les difficultés d'une situation déjà si troublée ? on ne saurait le dire ; mais il est certain que la commune de Guénin continua de subsister « dans son arrondissement », qu'elle fut même dotée d'un comité de surveillance que le maire François Guyomar demanda en 1794 d'établir avec la municipalité au presbytère, fermé depuis deux ans (Archives de Pontivy).

Le désir des Baudais ne fut donc pas exaucé : Guénin conserva son existence, et ses deux prêtres restèrent en place jusqu'au jour de la proscription générale.

 

IV. LES PROSCRITS.

I. — Déportation.

Les prêtres fidèles n'avaient plus le droit de respirer l'air de la République. Le refus d'adhérer au schisme les avait mis hors la loi et rendus dignes de tous les châtiments. De là le terrible décret du 26 août 1792, qui les condamnait à la déportation.

M. Caradec n'avait pas attendu ce moment pour se dérober aux rigueurs qu'il pressentait. Rentré à Rochefort après la remontrance adressée à son frère, il ne se vit pas, sans une vive surprise, proscrit, le 19 juin, par ses concitoyens de Vannes. Estimant que le meilleur moyen de calmer tant de susceptibilités était de passer à l'étranger, il pria le directoire départemental de lui délivrer un passeport à destination de l'Angleterre. Sa lettre faisait entendre en même temps que ce projet ne deviendrait réalisable que dans le cas où son traitement lui serait assuré. Le directoire en référa, le 11 juillet, au ministre de l'Intérieur; une décision catégorique lui semblait nécessaire, et pour l'obtenir, il se servit d'arguments qui ne laisseront pas d'étonner le lecteur :

« Il serait à désirer pour la tranquillité publique qu'un grand nombre de prêtres se portât à voyager ainsi et à s'absenter de notre territoire. Nous voterions même pour que leur traitement ne leur fût pas refusé pendant leur absence, qui ne saurait être de trop longue durée pour le bonheur des citoyens d'un arrondissement qui éprouve sans cesse l'influence du fanatisme le plus outré. Néanmoins nous n'avons pas osé promettre au prêtre qui nous a témoigné être dans l'intention de voyager hors du royaume qu'il continuerait de jouir de son traitement, mais nous avons cru ne pas devoir nous dispenser de vous faire part de sa demande et de vous prier de la mettre sous les yeux du roi afin d'obtenir à cet égard de Sa Majesté une décision qui par la suite pourrait s'étendre à plusieurs prêtres » (Archives dép. L. 768).

Le sens de cette lettre avait dû être communiqué à M. Caradec. Le paiement de sa pension lui parut-il dès lors assuré ; ou prenant une subite résolution, se décida-t-il à tout sacrifier et à s'exposer aux horreurs de la faim plutôt que de subir plus longtemps un régime tyrannique ? On ne sait. Toujours est-il qu'il demanda sans retard un passeport à la municipalité du lieu de sa résidence, et que ce certificat lui fut accordé, le 13, dans les termes qui suivent :

« M. Caradec nous a déclaré être dans l'intention de profiter de son loisir pour voyager en Angleterre et nous a priés de lui donner le passeport à ce nécessaire ; à quoi, obtempérant et d'autant plus volontiers que le dit sieur Caradec nous est connu pour un bon citoyen, ami de l'ordre et de la paix, et que c'est uniquement pour ses affaires ou plaisir et sans aucune espèce de contrainte qu'il prend parti de voyager, prions tous ceux à prier et ordonnons a qui être de droit de laisser librement le dit sieur Augustin Caradec... aller en Angleterre et lui prêter au besoin aide et assistance » (Semaine Religieuse).

M. Caradec vint aussitôt à Vannes, et c'est alors probablement qu'il mit en vente le mobilier qu'il avait à Baud et dont Le Toux devient en partie acquéreur. Son bien réalisé, il se dirigea vers les côtes normandes et, le 25, il débarqua à Jersey (Semaine Religieuse).

Tous les autres prêtres de Baud tombèrent sous le coup des décrets et se virent dans la nécessité de se cacher plus que jamais ou de prendre, à l'exemple du recteur, le chemin de l'exil. Pour sortir de France, la loi exigeait un passeport délivré par la municipalité du lieu ou du district. Tous ceux qui, partaient sans déclaration étaient assimilés aux émigrés et traités comme tels, c'est-à-dire que le séquestre frappait leurs biens (Notes de Luco).

Les prêtres de Baud se soumirent-ils à cette formalité ? On l'ignore pour M. Guhenec, bien que son passage en Espagne soit absolument certain. M. Tanguy ne voulut se plier à aucune espèce de soumission.

MM. Calvé et Le Dastumer sont portés sur la liste de ceux qui firent leur déclaration de départ (Archives dép. L 772).

Pourquoi ne dirions-nous pas du recteur et du vicaire de Guénin, dont nous avons précédemment constaté le grand courage, qu'eux aussi résolurent de fuir leur ingrate patrie ? Le 16 septembre, ils demandèrent à leur municipalité un passeport pour l'Espagne (Archives de Pontivy). M. Guillermo mit son projet à exécution et s'établit à Tolède ; mais on ignore vers quel pays se dirigea d'abord M. Le Roch. M. Le Garec s'attendait, en raison de ses avances constitutionnelles, à un tout autre sort. Beysser l'arrêta pourtant comme un simple réfractaire et le conduisit au Port-Louis. Le curé Robo de Pluméliau, qui escomptait ses services, écrivit en sa faveur et le directoire départemental consentit à le relâcher, sous la condition qu'il s'engagerait par écrit à prêter serment après sa délivrance (Archives dép. L. 773). Le détenu refusa et suivit ses confrères en exil.

II. — Les deux exilés.

MM. Caradec et Guhenec demeurèrent à l'étranger tout le temps de la Révolution.

M. Caradec, que nous avons vu débarquer à Jersey, quitta cette île vers la fin de 1792 : « Il se rendit à Winchester et un an plus tard nous le trouvons à Worcester où il séjourna habituellement jusqu'à son retour en France. L'argent qu'il avait emporté ou reçu de Vannes, joint à la vente de son argenterie, s'élevait à la somme de 101 livres sterling (2.527 francs) ». Dans ce chiffre était compris sans doute le bénéfice que lui procura la vente de son mobilier de Baud : « Pour augmenter ces ressources, il donna des leçons ». Se rappelant ses anciennes fonctions, il se remit à l'enseignement, trouva de nombreux élèves, et consacra à leur instruction les loisirs de son exil (Semaine religieuse, 1887).

M. Caradec avait des cahiers où il insérait, avec ses comptes de chaque jour, ses souvenirs et ses regrets. Tantôt il inscrivait les noms de ses amis, marquant d'une croix ceux qu'il croyait morts ; tantôt les noms des rues de la ville de Vannes par où il avait le plus souvent passé, ceux des villes et villages qu'il avait visités et où il avait vécu : « C'est une consolation pour l'exilé de se faire, par le souvenir, l'illusion de revoir ce qu'il aime » (Semaine religieuse, 1887). Ailleurs il notait en quelques traits les événements qui se succédaient en France et dont la marche lui inspirait un si légitime intérêt.

Le curé de Baud édifia tous ceux qui le fréquentèrent. Sa vie était si sacerdotale qu'un prêtre de Worchester lui délivra, à la fin de son exil, le témoignage qui suit : « Moi soussigné, missionnaire résidant à Worchester, certifie que M. Augustin Caradec, recteur de la paroisse de Baud, diocèse de Vannes en Bretagne, a vécu ici neuf ans environ, comme il convenait à un bon prêtre remarquable par sa vie et ses mœurs, 30 mai 1802. E foi de quoi... And. Robinson » (Semaine religieuse, 1887).

Si l'Angleterre, malgré ses préjugés, accueillit avec tant de bienveillance les proscrits français, on peut juger quelle réception leur fit la catholique et chevaleresque Espagne. C'est de ce côté d'ailleurs que la persécution poussa la plupart des prêtres, entre autres M. Guhenec. Celui-ci n'a pas laissé de notes d'exil. Aussi ne connaît-on rien de ses pérégrinations, ni des misères qu'il souffrit, ni des occupations auxquelles il se livra. Tout ce que l'on sait, c'est qu'au mois de mai 1796, se trouvant à Gallicia, il écrivit de cette ville à son père une lettre qui fut interceptée par les autorités départementales (Archives dép. L. 771). Etait-il pourtant contraire aux nouveaux principes qu'un fils, éloigné de sa famille par le malheur des temps, lui fit passer quelques mots pour l'assurer qu'il était en vie et la mettre au courant de sa situation ?. Des tendresses de ce genre n'avaient pas le don d'émouvoir les révolutionnaires ; M. Guhenec étant proscrit, ils le regardèrent comme mort et le traitèrent sans pitié.

L'exil avait ses amertumes. Vivre loin de sa famille et de sa patrie, alors que l'on savait l'une exposée à tous les soupçons et l'autre en proie à tous les déchirements, ne pouvoir généralement subsister que d'aumônes et consumer ses forces dans une oisiveté dont on ne prévoyait pas la fin : voilà les épreuves subies par la plupart des émigrés. Etaient-elles cependant comparables aux souffrances endurées par leurs confrères demeurés au pays ?

III. — Epreuves de M. Calvé.

M. Calvé, qui avait fait sa déclaration de départ, n'en restait pas moins odieux à l'administration. Les gendarmes l'arrêtèrent et le conduisirent à la citadelle de Port-Louis (Archives dép. L. 772), où il devait demeurer en détention jusqu'à son prochain embarquement pour l'exil. Réussit-il à s'évader de la citadelle, ou fut-il réellement déporté, sauf à rentrer bientôt dans son pays ?. On ne saurait le dire ; mais il est hors de doute qu'en 1794 il exerçait le ministère en Baud (A. Le Louer, Mémoires inédits).

A. Le Louer a consigné le fait dans ses Mémoires, et cet auteur, dont les récits sont sur bien des points sujets à caution, ne peut être suspect dans le cas spécial qui nous occupe. Il raconte qu'ayant fui le bourg de Baud pour se soustraire à un enrôlement forcé, il se rendit au village de Saint-Corentin où trois déserteurs vinrent le rejoindre et demandèrent à entendre la messe : « Quelque temps après M. Calvé arriva et nous la dit. Nous y assistâmes dans la chapelle de Saint-Corentin » (A. Le Louer, Mémoires inédits). Les déserteurs paraissaient si heureux qu'ils dirent aux jeunes gens présents : « Nous mourrons pour la défense du prêtre si les républicains viennent pour l'attaquer » (A. Le Louer, Mémoires inédits). Ce sont là des choses qu'on peut retenir et raconter, sans exagération.

Trop délicat encore pour porter les armes, A. Le Louer se fit le compagnon du proscrit et son répondant de messe. Le dévouement du jeune homme fut mis à de terribles épreuves et on ne saurait sans frémir entendre la pénitence qu'il en a faite : « Nous ne faisions tous les deux que marcher à droite et à gauche, et pendant toutes nos routes nous ne faisions que prier et réciter nos chapelets et autres formules de prières, jour et nuit…. Il n'y avait pas de temps doux pour nous, nous voyagions comme deux misérables sous la pluie, la neige, sous le vent, le tonnerre ……… dans la boue, les marécages, les taillis….. sans routes ni chemins praticables pour nous rendre où il était demandé pour administrer les sacrements… Nos habits déchirés, nos culottes frangées et défoncées, nos chapeaux rabattus et attachés souvent avec des tresses... sans force et presque sans vie, dans l'état le plus pitoyable... Les bonnes gens nous faisaient bon feu lorsque nous entrions dans les maisons et avaient pitié de nous. On nous donnait des chemises et autres hardes à changer... de temps à autre nous étions habillés à faire rire le monde, nos hardes se trouvaient trop petits ou trop grands... » (A. Le Louer, Mémoires inédits).

Bien que la situation offrit certains côtés comiques, elle était avant tout lamentable ; et sans prétendre que le proscrit la trouvait à son goût, elle ne le décourageait pas non plus. Il y puisait de la matière à mérite et l'occasion de se dépenser pour le prochain. Ses fatigues étaient si excessives qu'elles dépassèrent ses forces : « Il en tomba malade grièvement et dangereusement » (A. Le Louer, Mémoires).

Son zèle cependant était localisé. On dirait du moins qu'il se partageait entre l'ancien quartier de Baud qui comprend aujourd'hui la paroisse de Saint-Barthélemy, et Guénin. Nous l'avons vu ci-dessus, suivant Alexis Le Louer, disant en 1794 la messe à Saint-Corentin. Nous lisons dans le même auteur que l'année suivante, quelques jours avant la capitulation de Quiberon, il faisait en Guénin le pardon de Manéguen, en présence de nombreux fidèles de Baud, heureux de le revoir (A. Le Louer, Mémoires). Il se trouvait encore dans la même paroisse, le 28 octobre, d'après un document officiel intitulé : « Tableau des ministres qui ne se sont point soumis à la loi ou qui sont errans dans les communes rurales parmi les brigands qui les infestent ». Les brigands dans le style du jour n'étaient autres que les chouans insurgés pour la défense des autels et la résistance à l'oppression (Archives dép. L. 771).

Vers le milieu de 1796, les révolutionnaires poussèrent un cri de joie. Un prêtre ayant été cruellement massacré sur les limites de Saint-Barthélemy et de Pluméliau, ils crurent en avoir fini avec M. Calvé, et Le Bare, commissaire du pouvoir exécutif près l'administration cantonale de Pontivy, s'empressa, le 3 j uin, d'annoncer cette nouvelle à Vannes. Renseignements pris, il fallut rectifier : « Je vous mandais, écrivait-il deux jours après, que Le Calvé, prêtre, avait été tué ; je me trompais de
nom : c'est Le Turnier, habitué de la frairie de Saint-Hilaire en Pluméliau »
(Archives dép. L. 263). C'était toujours un de moins. L'abbé Le Turnier d'ailleurs était lui-même prêtre de Baud dans ce sens qu'il en était originaire, étant né au village de Kerbedic en cette paroisse [Note : Sur la foi de la tradition, j'ai écrit à tort, dans mon Etude sur les Prêtres de Pluméliau, qu'il était en Moustoir-Ac].

L'accalmie momentanée dont jouit la France en 1797 permit à M. Calvé de faire une apparition dans son pays natal. Son arrivée ne put échapper aux argus de l'endroit. Le 5 septembre, le commissaire cantonal, Delaizir, la signalait en ces termes au commissaire central, Le Malliaud : « Tous les prêtres du canton de Baden sont rentrés mais paraissent assez tranquils, à l'exception d'un nommé Calvé de l'Ile-aux-Moines, qui prêche publiquement contre la république. Les autres dans les îles d'Artz et Aux-Moines disent la messe dans les églises : mais lui, pour mieux fanatiser, préfère les granges, heureusement il n'a pas beaucoup de sectateurs. Aussi compte-il retourner à Baud d'où il est parti pour être mieux écouté » (Note de Luco).

Il retourna effectivement dans la région de Baud et y reprit avec zèle l'exercice de son ministère en dépit de toutes les recherches dont les prêtres furent l'objet durant la seconde terreur. Les Jacobins de Baud en conçurent un violent dépit. Le maire Corbel en particulier, ex-conventionnel, lui témoignait tant de haine qu'à la veille du Concordat, alors que les proscrits se montraient de toutes parts, il le fit jeter en prison. Voici dans quels termes la biographie de M. Calvé, qu'un auteur anonyme a déposée dans les archives de Guénin, rapporte cette arrestation :

« Dans le printemps de la même année 1800.
M. Calvé venant de Toulpous (Saint-Barthélemy) en Baud, fut arrêté un samedi matin par les gendarmes de Baud, au moment où il traversait la grand'route qui conduit de cette ville à Pontivy. Els le conduisirent en prison à Baud, où je me trouvais avec ma tante. La première nouvelle qu'on nous y annonça, c'était l'arrestation de M. Calvé. Entre 11 heures et midi, nous le vimes conduire à la municipalité composée des citoyens Corbel, Dagorn, Guégan, Poliquen, etc. Il était habillé en paysan, et traversa la place du marché, sans regarder personne, son bissac au bras et son chapeau sur la tête. Après son 'interrogatoire il fut. conduit en prison, en attendant qu'il fut le lendemain conduit à Pontivy. Les habitants de Baud eurent pitié de lui et lui envoyèrent un lit, un matelas, etc. pour passer la nuit. Le lendemain, les mêmes bonnes gens, entre autres notre cousin Lavenant, qui lui fournit un cheval, l'accompagnèrent jusqu'à Pontivy de crainte qu'il fût tué en route. Les gendarmes le conduisirent devant M. Daucourt qui remplissait les fonctions de sous-préfet. L'amnistie empêchait alors de poursuivre le clergé et M. Calvé fut renvoyé absous »
(Archives de Guénin).

L'auteur anonyme se trompe sur quelques points, par exemple en attribuant à une amnistie la fin de la persécution ; la persécution ne cessa que pour les prêtres qui promettaient fidélité à la constitution. Il a tort également d'assigner au printemps l'époque de l'incarcération de M. Calvé. Elle eut lieu au cœur de l'hiver, le samedi 28 décembre 1799. La relation nous apprend que le prêtre venait de Saint-Barthélemy : c'est dire qu'il y avait passé les fêtes de Noël, officiant et administrant les sacrements, suivant son habitude. Ce fut peut-être cette circonstance qui avait rallumé les passions antireligieuses de l'ancien conventionnel. Par bonheur les temps étaient changés. Dès que la nouvelle de cet événement fut connue à Vannes le préfet de Guraud n'eût aucune envie d'y applaudir. Il écrivit au sous-préfet de Pontivy :

« On m'assure que toute cette affaire n'est que le résultat de la haine ecclésiastique entre le prêtre et le recteur actuel de Baud ; que Corbel, maire de cette commune (mauvaise teste) a tout conduit sous le nom de juge de paix. Tâchez d'approfondir tous ces faits ; il y a des têtes sulfureuses qui ramèneraient la guerre civile si on les laissait faire. Ce prêtre à la vérité n'est point sur le catalogue de ceux qui m'ont demandé des passes, et par cela seul il est en faute s'il a voulu exercer son culte » (L. à répartir). Cependant à en croire le bruit public, le prêtre était l'homme le plus tranquille du monde. Le sous-préfet devait le voir et dire si sans nuire à la chose publique on pouvait apaiser une procédure qui allait sans doute réjouir les chouans, « puis qu'elle peut diminuer la confiance que les prêtres annonçaient pour les autorités actuelles » (L. à répartir).

Cette lettre n'était pas probablement arrivée à sa destination que M. Calvé était rendu à la liberté. Il fut « relâché le même jour », déclara le sous-préfet dans sa réponse du 4 janvier [Note : M. haute et simple police (1801-18O3)]. Il ajouta ces lignes qui confirment entièrement la mauvaise idée qu'on avait de Corbel dans les sphères gouvernementales :

« Le maire de Baud a mis dans cette affaire beaucoup de passion. Il a manqué aux égards dûs à l'humanité. Il n'en faudrait pas beaucoup de son espèce pour tout bouleverser. J'étais trop lié avec lui pour lui en faire des reproches officiels, mais je crois que vous lui devrez écrire un mot à ce sujet » [Note : M. haute et simple police (1801-1803)]. Corbel, ne pouvant supporter un reproche officieux d'ami, parla de donner sa démission : « Gardez-vous de l'accepter, s'écriait d'Haucour dans sa lettre, car n'étant plus occupé à tourmenter le sous-préfet, il s'en prendra à son successeur qui ne pourra tenir » [Note : M. haute et simple police (1801-1803)].

Ces appréciations ne font pas beaucoup d'honneur au caractère de Corbel. Esprit étroit, sectaire, tyrannique, il semblait regretter l'époque où la religion était mise au banc de la société et ses ministres proscrits ou envoyés à l'échafaud. Pendant ce temps que devenait M. Tanguy ?

IV. — Epreuves l'abbé Tanguy.

En se réfugiant dans son pays d'origine, M. Tanguy ne se faisait aucune illusion sur la dure existence qui l'attendait. Le district en effet le regardait comme un homme dangereux ; le 23 juin 1792, il le qualifiait ainsi : « fanatique, nuisible, allant de maison en maison crier à la désolation et nuit beaucoup au curé constitutionnel » et, le 27 juillet, il le mettait sur la liste des prêtres à déporter (L. à répartir) ; mais cette hostilité ne put le décider à la fuite ; ses compatriotes avaient besoin de son ministère et il était disposé à tout subir plutôt que de les abandonner.

Les révolutionnaires faillirent le surprendre au commencement de 1794 : « Il s'émancipait de venir prendre son logement chez Lamour », cultivateur au village de Lallemand (Archives dép. L. 283). Il y avait même dit la messe, le 1er janvier. Lamour goûtait peu cet excès d'honneur, et il voulut se débarrasser de son hôte en le dénonçant lui-même au maréchal des logis Dupré de Pontivy. Ce gendarme n'avait pas son pareil pour ces sortes d'exploits. Heureux de cette nouvelle, il se mit en route le lendemain matin à 7 heures et se dirigea tout droit vers le village. Après l'avoir cerné, il se présenta devant la maison du dénonciateur, qui ouvrit aussitôt sa porte. Dieu merci, le réfractaire, cette nuit, n'y avait pas couché. Cependant le fruit du voyage n'était pas entièrement perdu : « Les ustensiles de l'église sont ici, s'écria Lamour, entrez, je vais vous les donner » (Archives dép. L. 283).

Les ustensiles, pour répéter le mot, comprenaient un calice, deux patènes en argent, trois boîtes des saintes huiles, une boite aux hosties, une bourse renfermant une palle, un corporal et sept petits linges ; une aube avec son cordon, un livre, une chasuble noire en mauvais état et deux soutanes usées. Ces différents objets étaient cachés dans une armoire neuve. Dupré s'en empara et partit pour continuer ses recherches ; il fouilla au bourg chez le père du proscrit ; puis à Villeneuve, chez sa sœur ; mais sans aucun succès (Archives dép. L. 283).

Echappé cette fois à ses ennemis, l'abbé Tanguy ne perdit rien pour attendre, et l'année ne s'était pas écoulée qu'il tomba entre leurs mains. A la fin du mois de décembre, une patrouille l'arrêta on ne sait en quel endroit et, le 29, il était incarcéré au Petit-Couvent (Archives dép. L. 1019). N'étant ni sexagénaire ni infirme, il n'eût pas manqué de porter sa tête à l'échafaud, si sa capture avait eu lieu quelques semaines auparavant ; mais en ce moment la Convention inclinait vers la clémence et le titre de réfractaire ne suffisait plus pour entraîner le dernier supplice.

Ce changement d'attitude ne mettait pas la vie du prêtre à l'abri de tout danger. Le pays se trouvait en pleine insurrection, les commissions militaires jugeaient les questions de leur ressort et n'étaient pas disposées à faire grâce aux personnes soupçonnées d'avoir paru dans un attroupement. Etait-ce le cas de l'abbé Tanguy ? Il prétendait s'être toujours « conduit en honnête homme, ses opinions religieuses exceptées » (Archives dép. L. 1019), avoir empêché une commune de prendre les armes et de se joindre aux insurgés de Mangolérian, d'être même en butte à l'hostilité des chouans comme à celle des patriotes. Ces actes étaient de nature à plaider en sa faveur, à condition que leur véracité fût établie. Pour s'en assurer, le central de la 3ème division à Vannes pria, le 31 décembre, l'agent national du district de Josselin de lui « faire passer une note » sur le prévenu (Archives dép. L. 1019). Les renseignements demandés tardèrent à venir ; le 13 janvier, Mériage, au nom du bureau, insista auprès de l'agent national : « Informe-toi de la moralité de cet homme qui prétend avoir fait plusieurs actes de civisme et d'honnêteté dont la vérité peut influer sur son sort » (Archives dép. L. 1019).

Quel fut le résultat de l'enquête ? on l'ignore ; mais nous le voyons encore en détention le 21 mars, et il ne fut libéré avec les autres proscrits que quelques jours plus tard.

L'accalmie à laquelle les prêtres durent leur libération ne fut pas de longue durée. Le vent de la persécution recommença peu à peu à souffler et, au mois d'octobre, la tempête battait son plein. M. Tanguy, qui était rentré à Réguiny, habitait le bourg avec son recteur M. Després. Cette circonstance était connue de leurs ennemis, et l'agent national de Josselin ne désespérait pas de les capturer. Le 18 brumaire (9 novembre), il écrivait au commandant de la force armée, à l'occasion d'une réquisition de deux voitures que la troupe devait opérer dans la commune :

« ... Il est possible, citoyen, que la même force armée saisisse dans le bourg le nommé Després, ci-devant curé de cette commune, et le nommé Tanguy, vicaire de Réguiny, et rende par là un service signalé à la chose publique. Ces deux ecclésiastiques, qui ont constamment refusé de se soumettre aux lois de la république, et qui entretiennent par leurs discours et leur présence l'esprit de révolte et de fanatisme dans cette commune, sont dans le cas de la loi du 3 de ce mois qui enjoint aux autorités constituées de faire capturer pour être déportés ou reclus, et qui prononce contre la négligence des autorités deux ans de détention » (Archives dép. L. 1012). En conséquence il requit le commandant d'ordonner à l'officier de les saisir.

L'ordre fut donné sans doute, et l'officier s'empressa d'y obéir ; mais ses perquisitions furent vaines : les deux prêtres avaient quitté leur domicile, il ne put les arrêter.

De là à 1800, les archives sont muettes sur ce qui concerne l'abbé Tanguy. Il est clair cependant qu'il ne resta pas inactif, et sous le Consulat son zèle s'exerçait avec d'autant plus d'ardeur que la tourmente paraissait enfin près de se calmer. La perspective de meilleurs jours ne le rendit pas plus tendre à l'égard des assermentés. Le 6 mars 1801, prêchant en l'église de Naizin, il recommanda vivement d'éviter ces prêtres « comme des membres pourris et hors d'Église, qu'il ne fallait point s'adresser à eux pour aucune fonction ecclésiastique, que les personnes mariées par eux vivaient en vrais concubinaires, que les enfants provenant de leurs mariages sont de vrais bâtards, et que ceux qui se sont confessés à eux ont fait des sacrilèges et des confessions nulles... » [Note : Archives dép. Haute et simple police (1800-1801)].

Ce discours fit grande sensation. L'ancien recteur constitutionnel de Naizin, Guillouzic, passé à Rohan, le connut presque aussitôt, et il chargea le maréchal-des-logis Dupré d'en avertir sans retard le sous-préfet de Pontivy. Le pauvre Guillouzic ne pouvait croire à tant de perversité. « Quel coup fatal pour les consciences timorées ! Quel dérangement pour les époux qui, jusqu'à ce moment, se sont mutuellement aimés ! ... A-t-on le droit de nous décrier et de nous calomnier à cause de notre obéissance aux lois de la république ? » [Note : Archives dép. Haute et simple police (1800-1801)].

Les bonnes dispositions du gouvernement ne le rassuraient que de sorte. Une réaction vigoureuse s'annonçait à l'horizon et il sentait la terre trembler sous ses pieds. L'abbé Tanguy pût jouir des transes qui agitaient ce jureur et ses pareils. L'abbé Le Dastumer n'eût pas le même avantage : les persécuteurs l'avaient assassiné deux ans auparavant.

V. — Martyre de M. Le Dastumer.

Bien que l'abbé Le Dastumer eût pris un passeport, il n'est pas certain qu'il se fut éloigné de Locminé et des campagnes environnantes, totalement peuplées de réactionnaires et capables de lui offrir un réfuge assuré. Pourtant rien ne le signale aux poursuites révolutionnaires pendant les sombres jours de la terreur.

Le 27 août 1795, un document officiel mentionne sa présence pour la première fois. Le citoyen Le Bare, procureur-syndic de Pontivy, écrivait en ce jour ce qui suit au procureur-général du département : « Les habitants de Locminé ne nous ont malheureusement jamais mis à lieu de douter que leur cité fût le repaire de beaucoup de brigands et de scélérats.... Dastumer, autre prêtre, est toujours chez sa mère demeurante à l'entrée de la rue Neuve.... ». Il demandait l'arrestation de ce prètre, celle de son confrère, M. Richard, et de 17 autres citoyens suspects (Archives dép. L. 258).

L'abbé Le Dastumer se tenait sur ses gardes. Mis au courant de ce qui se tramait, il disparut sans cesser de remplir aux alentours les devoirs de son ministère. Un état du clergé rédigé en 1797, à la reprise de la persécution par les administrateurs de Pontivy, le dit en Moustoir-Remungol (Archives dép. L. 770), le 16 juin 1798 il « fiança » Joseph Jan, veuf de feue Claudine Gunehec, et Jeanne Le Thies, fille majeure de feu Yves et de Françoise Bellégo, originaire de Plumelin ; le 14 janvier 1799 il reçut les promesses de mariage à contracter entre Jean Guillouzo, fils majeur de Robert et de Louise Guillard, de Remungol, et Vincente Gautier, fille majeure de Jean et de Guillemette Guillermo, de Plumelin (Archives dép. L. 770). Quelques semaines plus tard, il tombait sous les coups d'odieux assassins dans les circonstances que nous allons retracer.

Le lundi 25 février 1799, la colonne d'Auray faisait une tournée militaire dans les campagnes qui avoisinent Locminé (Archives dép. L. 770). Cette marche forcée n'était pas du goût des trois volontaires Armand Pied Noël, Pierre Broxolle et Jacques Hébert, qui en faisaient partie. Ils lâchèrent leurs camarades au bourg de Pluméliau (Archives dép. L. 770), poussés sans doute par l'envie de vagabonder à leur aise. Dans l'après-midi ils s'en retournaient par le chemin ordinaire à Locminé où la colonne était déjà rentrée, lorsque, vers quatre heures et demie, dans un champ situé au-dessus du village de Kerascouit, en Rumungol, un homme occupé à lire attira leur attention. Cette occupation leur paraissant suspecte, ils se hâtèrent de l'arrêter : c'était l'abbé Le Dastumer qui disait son office (Alexis Le Louer, Mémoires). Ils n'eurent pas plutôt établi son identité qu'ils se remirent en route, pleins de joie à la pensée de la gratification de 100 francs que la loi accordait à ceux qui s'emparaient d'un prêtre.

Le prisonnier suivait sans résistance. Non que tout espoir de salut l'eût abandonné. Seulement il avait son plan, qui était d'attendre le déclin du jour et de profiter d'une occasion favorable. Le moment lui sembla venu à un endroit éloigné de la petite ville d'environ cinq-cents mètres. Tout à coup il se dégagea des mains qui le tenaient et s'enfuit à toutes jambes. Les militaires ne se donnèrent pas la peine de le poursuivre. Pour le reprendre, ils eurent recours à un moyen plus expéditif : « Ils firent feu sur lui, le blessèrent à la tête mortellement de deux coups de feu » (Archives dép. L. 289). Si les balles l'atteignirent d'une manière si terrible, c'est qu'il se trouvait encore à une courte distance : « Les larges blessures dont il était couvert annoncent » qu'il fut frappé « à bout touchant » (Archives dép. L. 774). Loin de calmer ces forcenés, la vue du sang ne servit qu'à les surexciter davantage. Ils s'acharnèrent sur le fugitif, et le lardèrent de coups de sabre avec une vraie furie : « Il était percé d'une quantité innombrable de coups de bayonnettes sur plusieurs parties du corps. Le procès-verbal du juge de paix et de l'officier de santé qui ont constaté sa mort, en fait mention » (Archives dép. L. 774).

Ce que ne rapporte pas le procès-verbal, ce sont les cris plaintifs arrachés au patient par les souffrances qu'il endura. Nous avons heureusement, pour y suppléer, le témoignage d'un contemporain : « Ainsi bayonnetté... on entendit les cris qu'il poussait aux cieux et les lamentations qu'il fit… de Locminé même » (Alexis Le Louer, Mémoires). Ces lamentations auraient remué un tigre, elles n'ébranlèrent pas les trois misérables que la haine du clergé avait dépouillés de tout sentiment humain et rendus pires que des bêtes féroces.

Telle était leur férocité qu'ayant remarqué dans le pauvre prêtre un reste de vie après un si affreux traitement, ils s'abstinrent de l'achever. Peut-être l'avaient-ils ménagé à dessein, pour permettre aux autorités locales de constater plus facilement la capture qu'ils avaient faite. Tout le chagrin qu'ils eurent, fut de se voir obligés de le porter : « ils le mirent dans un panier » (Archives dép. L. 289), et le déposèrent vers six heures chez le citoyen Esqueter, officier de santé, qui demeurait au haut de la place (Archives dép. L. 302). Il y expira au bout de quelques minutes (Archives dép. L. 289). C'est alors probablement qu'on le fouilla. Il avait sur lui « deux petites boites en étain, une étole, un bréviare , un autre livre intitulé Sacerdotunt, un chapelet et une tabatière » (Archives dép. L. 289), tous objets qui furent naturellement confisqués.

L'Etat civil n'est pas d'accord avec ce qui précède sur le moment où la mort se déclara. A l'en croire, l'agonie de M. Le Dastumer aurait duré deux heures. En ce cas, ses parents auraient eu le temps de se rendre auprès de lui et de recueillir son dernier soupir. Quoi qu'il en soit, ce furent eux qui remplirent le lendemain les formalités légales, comme en témoigne l'acte que voici : « Aujourd'hui huit ventôse an VII de la République par-devant moi Jacques Colombon Cassac, adjoint municipal de la commune de Locminé, sont comparus Olivier Cassac, Pierre Le Dastumer et Yves Guillet, les trois domiciliés à Locminé, ledit Pierre Le Dastumer cousin germain et les deux autres remués de germain de Jean-Marie Le Dastumer, prêtre, lesquels comparant m'ont déclaré que le dit Jean Marie Le Dastumer est décédé le jour d'hier à. 8 heures du soir âgé de 36 ans » (Archives dép. L. 302).

Le cruel événement, connu aussitôt de la ville, ne resta pas longtemps ignoré des alentours. Le bruit s'en répandit comme une traînée de poudre et les fidèles accoururent de tous côtés pour contempler les traits de leur bienfaiteur et lui rendre les derniers devoirs. La cérémonie de l'enterrement, qui eut lieu le 26 à trois heures du soir, fut un véritable triomphe ; elle avait attiré « une grande affluence du peuple de Locminé et des communes adjacentes » (Archives dép. L. 302).

La nouvelle de ce triomphe grossit à mesure qu'elle s'étendait au loin. A Vannes, on alla jusqu'à dire que le corps avait été « promené dans toute la commune de Locminé, précédé de trois croix, garnies de fleurs de lys et qu'on avait gravé sur sa fosse une tombe de pierre avec des inscriptions » (Archives dép. L. 302). Voici en réalité ce qui s'était passé : « le convoi était précédé de deux croix » (Archives dép. L. 302). Mais elles n'avaient aucune garniture ; le cortège avait traversé la ville, mais du haut de la place seulement jusqu'au cimetière : une dalle funéraire enfin fut placée sur la tombe, mais cette pierre, qui portait la date de 1763, était au nom de M. Largement, ancien recteur (Archives dép. L. 302).

Ces rectifications, relatives à des points de détail, ne diminuaient en rien l'importance de la manifestation. Les persécuteurs s'en indignèrent naturellement et, dans la stupeur où elle les jeta, ils la qualifièrent de « scandale ». C'est le terme dont se servit pour la caractériser le commissaire Toursaint, qui se trouvait à Vannes le jour où elle s'était produite : « Je vous assure, écrivait-il le 7 mars, que, si j'avais été présent, j'aurais mis un frein aux exaltations d'un tel fanatisme, mais il est vrai que, tout l'étalage de cette pompe funèbre n'ayant point été annoncé, aucune personne censée ne l'aurait pu croire »(Archives de Locminé). L'envie ne lui manquait pas sans doute de châtier les Locminois. N'osant s'en prendre à eux il s'empara des deux croix qu'il expédia à Vannes quelques jours plus tard (Archives dép. L. 302).

Si Toursaint protesta contre les honneurs rendus au « réfractaire », aucun mot de blâme ne sortit de sa plume contre l'attentat dont il avait été victime. L'administration cantonale, représentée par les citoyens Le Padrun, Mouillard et Debroise, montra plus de générosité. Elle fit ressortir la différence du traitement infligé à l'abbé Le Dastumer et à l'abbé Morvan de Plumelin, pris cinq jours auparavant Celui-ci fut conduit saint et sauf à Baud et à Vannes pour être déporté à l'île de Ré ; celui-là, qui aurait dû subir la même peine, fut mis à mort avec un raffinement de cruauté inouïe. Y avait-il rien de plus contraire « aux règles de bonne police qui répriment les outrages envers l'humanité » (Archives dép. L. 774).

Lorsque cette plainte lui fut remise, l'administration centrale l'adressa au général Schilt en appuyant sur les mêmes observations : « Ces deux prêtres n'ont pas été à beaucoup près traités de la même manière. Cependant rien ne les différenciait. Morvan est parti pour l'île de Ré, et Le Dastumer en meurt » (Archives dép. L. 774). Ce simple rapprochement suffisait à la condamnation des volontaires ; et, si l'on envisageait l'intérêt public, une semblable brutalité n'était-elle pas de nature à provoquer dans le pays une insurrection ? « Vous sentirez comme nous que, si ces sortes d'exécutions se répétaient, elles ne feraient qu'aigrir l'esprit déjà mal disposé des habitants des campagnes, et nous vous invitons à donner les ordres les plus précis à la troupe, pour que l'article des droits de l'homme et 232 de l'acte constitutionnel dorénavant soient religieusement observés dans votre ressort » (Archives dép. L. 774). Le général tint compte de cet avis, et les meurtriers furent envoyés à Quimper avec la demi-brigade à laquelle ils appartenaient (Archives dép. L. 289).

IV. — Détention.

On connaît le but poursuivi par ce farouche représentant du peuple. Il voulait amener tous les prêtres constitutionnels au mariage ou du moins à l'abdication de leurs fonctions et de leur sacerdoce. Le résultat n'ayant pas répondu à son attente, il prit, le 13 avril 1794, un arrêté qui déclarait suspects « tous ceux qui ont attendu jusqu'à ce jour pour déposer leurs lettres de prêtrise... tous ceux qui, après avoir renoncé à leurs fonctions, en ont repris ou continué l'exercice... tous ceux qui travailleraient par des moyens quelconques à exciter le fanatisme dans les cités ou dans les campagnes... ». En conséquence ils devaient être mis en état d'arrestation et conduits à la maison d'arrêt du lieu comme perturbateurs ou ennemis de l'ordre public.

Les constitutionnels de Baud avaient à leur actif bien des fautes ; ils avaient fait d'un cœur léger beaucoup de concessions dont quelques-unes touchaient au sacrilège ; mais il faut dire à leur honneur qu'ils reculèrent devant celle-là. Pour les punir de cette résistance inattendue l'ordre vint de les saisir et de les emmener à Pontivy.

L'une des maisons d'arrêt de cette ville était le couvent des Ursulines. C'est là que fut enfermé Couadan avec plusieurs autres jureurs. Au mois de mai ils se plaignirent vivement d'être à l'étroit et demandèrent leur translation au presbytère. Les autres districts se montraient assez convenables à l'égard des détenus ; seul le district de Pontivy les traitait avec rigueur. Pourquoi cette différence ? La municipalité prit cette démarche en considération et décida de se concerter avec les autres administrateurs pour satisfaire à leur demande (Archives de Pontivy).

Parmi les onze prêtres qui signèrent cette pétition, ne figure par Le Sant. Faut-il en conclure qu'il n'était pas interné dans la même maison ? Non ; mais très probablement il ne signa pas parce que cette situation le laissait indifférent. Un rapport le montre à la veille de quitter Pontivy et d'être transféré à Vannes par ordre du département pour y subir sa peine (Note de Luco). Ce projet, il est vrai, ne fut pas exécuté et finalement il resta où il était.

Cette détention fit cependant réfléchir les constitutionnels. Estimant que le grand air valait un nouveau sacrifice, ils se soumirent aux volontés de l'administration et remirent leurs lettres de prêtrise. Dès lors les portes de leur prison auraient dû s'ouvrir toutes grandes devant eux ; il n'en fut rien et ils en adressèrent de vives réclamations au directoire de Pontivy. Celui-ci plaida de son mieux leur cause auprès de Rieux de la Marne, dans une lettre du 24 juillet, en alléguant ce motif : « Ils ne cessent de réclamer leur sortie, la plus grande partie montre vrayment l'envie de se marier » (Archives dép. L. 1116). Cette déclaration était de nature à flatter le fanatisme de Prieur, et cependant leur libération n'eut lieu que plusieurs semaines après.

Il ne suffisait pas d'être libre, il fallait encore vivre. Aussi les constitutionnels réclamèrent à qui de droit la perception de leur traitement. Leurs instances sont si fortes, écrivait le district au département le 5 septembre, qu'elles vont « jusqu'à la menace de nous sommer de mettre la loi à exécution » (Archives dép. L. 1114). Les prêtres de Baud avaient rempli les conditions voulues ; ils étaient « abdicataires » (Archives dép. L. 1114). et possédaient un certificat de civisme délivré par la municipalité. Rien n'empêchait par conséquent de leur expédier la pension qui leur était due. Ils finirent par l'obtenir en effet ; mais ce ne fut pas sans peine.

Quant à l'ex-capucin Bloyet, lui aussi avait remis ses lettres de prêtrise (Archives dép. L. 1114) ; fut-il également en détention ? On l'ignore. C'est du reste à l'occasion de son traitement qu'il reçut à la même époque, que les archives font de lui mention pour la dernière fois.

V. — Occupations de Le Sant.

Les intrus rentrèrent à Baud, un peu confus sans doute de l'abdication à laquelle ils avaient consenti. Cette lâcheté, il est vrai, ne leur enlevait pas le caractère sacerdotal, et dès que les jours de tolérance furent venus, ils reprirent l'exercice de leurs fonctions. Plusieurs fois dans la suite ils eurent à faire acte de soumission aux lois de la république. Ces déclarations n'étant que la conséquence de leur premier serment ils n'y faisaient aucune difficulté. Du moins peut-on croire qu'ils ne s'y montrèrent jamais rebelles, car nous les voyons à la fin de 1717, en compagnie du sieur Le Bollay revenu à Baud, comme on le verra plus loin, officier publiquement dans l'église paroissiale (Notes de Luco).

Pour officier, il fallait des ornements et autres effets ; or la paroisse, écrivait Le Sant le 19 décembre 1798, « a été dépouillée ainsi que les autres, cependant nous commençons à nous remonter, mais nous avons encore besoin de bien des choses ». Le curé demanda à Vannes quelques objets assurant que cette libéralité produirait la meilleure impression. A propos d'un autre don, on s'était déjà écrié : « La nation ne veut donc pas la ruine de la religion », et le nombre des républicains en avait augmenté. Cet argument fut très apprécié de l'administration et le curé obtint ce qu'il désirait (Archives dép. L. 769).

Puisqu'ils étaient trois, les loisirs ne leur manquaient pas et, pour occuper son temps, Le Sant songea à fonder une école. L'administration municipale de Baud ne demandait pas mieux, les instituteurs faisant défaut. A cet effet il se présenta le 22 septembre 1796 devant le Jury d'instruction de Pontivy qui lui délivra le jour même le brevet dont il avait besoin. Ce ne fut pourtant que longtemps après, le 7 mars 1797, que « connaissant ses talents et sa moralité », l'administration centrale le nomma d'une manière définitive (Archives dép. L. 92).

La maison d'école, aux termes de la loi, devait être le presbytère. Seulement celui de Baud, transformé en grenier national, par arrêté municipal du 27 août 1793 (Archives communales de Baud), se trouvait dans un état lamentable. Ce n'était pas pour rebuter Le Sant. N'est-ce même pas l'envie de l'occuper et d'avoir un loyer pour rien qui le poussa dans cette nouvelle carrière ? Toujours est-il que le 26 novembre 1797, il manifesta au conseil son désir de l'habiter ; « mais les fenêtres sont dans le plus mauvais état, les carrés en sont pourris ; et en conséquence il prie l'assemblée de vouloir bien faire le plus promptement possible ces réparations » (Archives communales de Baud). La municipalité fit droit à cette requête ; elle chargea Evenas Perrot, François Guégan et Le Sant lui-même de s'occuper de cette affaire et « de s'aboucher avec les héritiers du précédent curé pour les réparations locatives » (Archives communales de Baud). Le Toux était décédé depuis cinq ans. Cette idée singulière de rendre ses héritiers après un pareil laps de temps, responsables du délabrement du presbytère, ne suscita aucune observation.

Ministre du culte, maître d'école, cela ne suffisait pas à l'activité de Le Sant, il consentit encore à tenir les registres l'état civil. Cette fonction n'était pas une sinécure dans une paroisse de près de 5000 âmes. Il la remplit cependant depuis la fin de septembre 1797, jusqu'à la proclamation du Consulat et au-delà (Archives cons. de Baud).

Tant de charges, au lieu d'émousser son esprit, ne faisaient que l'aiguiser davantage et un beau matin il se réveilla poète. Le couplet qu'on possède de lui n'est certes pas merveilleux, mais, puisqu'il jugea bon de le composer, nous croyons bon à notre tour de le trans-mettre à la postérité. Le voici :

Aristocrates, que voulez-vous faire ?
Vous ne serez plus bons garçons
Tonton tonton
Tontaine et tonton
Malgré l'Autriche et l'Angleterre
Vous n'aurez plus de ces Bourbons
Tonton tontaine et tonton (A. Le Louer).

La riposte ne se fit pas attendre, elle ne fut d'ailleurs ni plus spirituelle ni d'une allure plus élevée que la chanson qui l'avait inspirée. Au lecteur d'en juger.

Monsieur Le Sant, qu'avez-vous fait ?
Vous ne serez plus bon larron
Tonton tonton
Tontaine et tonton
Malgré votre intrus de Masle et nouvelle constitution
Tonton, tontaine et tonton (A. Le Louer).

Des épigrammes de ce genre n'avaient pas de quoi émouvoir l'intrus ; et si par hasard d'autres, que nous ne connaissons pas, piquèrent son amour-propre, il eut bientôt l'occasion de se consoler. Au synode de Lorient, tenu les 9 et 10 j uillet 1800, Le Masle le nomma membre du presbytère de l'évêque (Notes de Luco). Il retourna ensuite à Baud, attendant le résultat des événements qui se préparaient et qui furent à son égard beaucoup plus heureux qu'il n'eût osé l'espérer.

VI. — Retour et mort d'Yves Bollay.

L'ancien curé de Baud, Yves Bollay, n'eût pas le même bonheur. Il avait aussi plus gravement offensé l'honneur saccerdotal. Ne se sentant aucun attrait pour le régime de la prison il avait pris les devants, et le jour même où Le Carpentier porta son tyrannique arrêté, il avait déposé ses lettres de prêtrise sur le bureau de la municipalité de sa commune (Archives dép. L. 836). Cette démarche peu glorieuse assura sa liberté et lui permit en outre de toucher quelques mois plus tard, moyennant un certificat de civisme et de résidence, un mandat de 1400 livres. L'année suivante son traitement n'était que de 800 livres (Notes de Luco), mais la besogne qu'il faisait en valait encore moins.

L'argent ne calmait pas ses remords. Soit qu'ils fussent plus cuisants en 1795, soit que le soulèvement général du Morbihan lui rendit la vie difficile, il tenta de rompre ses chaînes et de rentrer dans le devoir. Si l'on en croit Rohu, il était logé au bourg de Plouharnel dans le cabaret de la veuve Le Portz. Sa réputation n'était pas mauvaise, il passait pour être pacifique, et il pria Rohu de solliciter son admission parmi les prêtres catholiques. On ne lui fit aucune réponse, car on le trouvait engagé depuis trop longtemps dans la voie révolutionnaire (Mémoires de Rohu). Rejeté, de ce côté, il quitta Plouharnel où sa position n'était plus tenable, et revint se fixer à Baud dans le courant de 1796.

A quel moment précis y arriva-t-il ? On ne pourrait le dire. Ce qu'on sait, c'est que, s'il était à Plouharnel le 22 décembre 1795, il était à Baud avant la fin de 1796 (Archives dép. L. 1116).

Le peuple fit bon accueil à son ancien curé, et l'assemblée des électeurs ne tarda pas à lui donner un témoignage de son estime en le mettant à la tête de l'administration municipale du canton (Archives communales de Baud). Il exerçait cette fonction en 1798 et il l'exerçait encore le mardi 13 mai 1800, jour où il mourut. L'acte de son décès est rédigé en ces termes :

« Le 23 floréal an VIII, devant moi officier de l'état civil de la commune de Baud, s'est présenté le citoyen Joseph Bohelay, cultivateur du village de Kouiden, qui, accompagné des citoyens Louis Le Sant et Louis Couadan, nous a déclaré que ce matin à 5 heures et demie, est décédé dans cette ville le citoyen Ives Bollay son frère, prêtre-curé de Plouharnel, président de l'administration municipale de ce canton.

Le procès-verbal rapporte le jour et le moment de sa mort, non la manière dont elle arriva. Alexis Le Louer dit que sa fin fut triste, déplorable et lamentable » (A. Le Louer, Mémoires). Rohu est plus explicite, il assure « qu'il se tua en se jetant par une fenêtre sur le pavé » (Rohu, Mémoires). Il avait 46 ans.

Le remords l'avait-il pris de nouveau et n'avait-il pu y résister ? Peut-être, mais ce n'est pas en se suicidant que son repentir devait se manifester ; le triomphe de l'Église s'annonçait prochain, et, s'il eût voulu se jeter à ses pieds, cette bonne mère n'aurait pas refusé, en dépit d'un si triste passé, de le recevoir dans son sein.

 

EPILOGUE

Nous sommes déjà fixés sur le sort de quelques-uns des prêtres de Baud, fidèles ou jureurs, que nous avons vus à l'œuvre durant la sanglante époque. Pour donner à cette étude son couronnement naturel, il nous reste à faire connaître brièvement ce que devinrent après la pacification religieuse, ceux au sujet desquels il nous est resté quelques documents.

Le bonheur accompagna M. Le Sant jusqu'à la fin. Comblé d'honneurs par l'évêque constitutionnel, il fut maintenu à Baud par Mgr de Pancemont et mourut dans le giron de
l'Eglise le 13 mars 1816, curé et membre du conseil municipal (Archives communales de Baud).

M. Caradec, de retour à Vannes le 29 juin 1802, fut envoyé à Josselin, en place de l'ancien curé Allain qui devint vicaire général. Ce nouveau poste ne le rebuta pas ; il s'y montra rempli d'un zèle apostolique et passa à une vie meilleure.

M. Guhenec fut pourvu de la paroisse de Quistinic ; il prêta serment au préfet en cette qualité 1e28 octobre 1802 et mourut en 1835, le 9 mai (Archives de Quistinic).

M. Calvé demeurait dans son pays natal lorsque, le 16 juillet 1805, il fut nommé recteur d'Houat, qu'il quitta en 1809 pour venir comme prêtre habitué au Manéguen en Guénin. En 1811, il passa en la même qualité à Kerhéro en Moustoir-Ac il mourut comme un saint revêtu d'un cilice le 23 février 1815.

M. Tanguy resta comme recteur à Naizin où il exerçait déjà le ministère, comme on l'a vu plus haut, il prêta le serment au préfet le 26 octobre 1802 et mourut le 15 avril 1817 (Archives de Naizin) à 53 ans.

Guillermo arrivait à Guénin vers les fêtes de Noël 1801. Maintenu dans sa paroisse, il prêta serment le 4 novembre 1802, fut installé par M. Gunehec, recteur de Quistinic le 12 du même mois (Archives de Guénin), rentra à Moréac, son pays natal, le 28 octobre 1819, et s'y s'éteignit doucement le dernier jour de la même année.

M. Le Garec s'était réinstallé au Manéguen (Archives de Guénin). Ce ne fut pas pour longtemps ; le 17 juin 1804, il quitta ce monde où son courage sinon sa foi parut chanceler un instant.

M. Le Roch ne rentra pas de son émigration, et on ne saurait rien de son séjour à l'étranger sans un militaire de Plumelin qui assura l'avoir vu à Worms, ville de Prusse, en 1812, pendant la campagne de Russie (Archives Biographie de M. Calvé).

(abbé Guilloux).

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