Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

L'ANCIENNE BARONNIE DE LA ROCHE-BERNARD

  Retour page d'accueil      Retour page "La Roche-Bernard"   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

TOPOGRAPHIE. — RICHESSES NATURELLES. — ANTIQUITÉS.

Le territoire qui, pendant huit siècles, a porté dans l'histoire le nom de baronnie de la Roche-Bernard, embrasse une vaste circonscription de plus de 500 kilomètres carrés dont les limites paraissent avoir été tracées par la Nature elle-même comme pour en faire un immense camp retranché. De tous côtés, l’œil ne rencontre que des barrières infranchissables et d'impénétrables retraites. A l'ouest et au nord, ce sont les innombrables sinuosités et les rives escarpées de la Vilaine qui en défendent l'approche sur une longueur de plus de huit lieues ; puis les marais de l'Isac ; à l'est, les marais du Brivet ; au sud, l'immense bassin qu'on appelle la Grande-Brière, et à l'ouest, la mer.

On sait que la Vilaine est le principal fleuve de la Bretagne ; que ses eaux sujettes au flux et au reflux, permettent aux navires d'un fort tonnage de remonter non seulement à la Roche-Bernard, mais encore à Redon, et que la vallée dans laquelle elle coule est de largeur fort variable. Les vases qui s'accumulent sur ses bords, autant que les prairies basses qui forment son lit entre Redon et Nivillac, rendent le passage difficile, pendant les saisons pluvieuses [Note : Entre Rieux et la mer, on a établi des bacs à Cran, au Port-aux-Gerbes, à la Roche, au gué de l'Isle, à Vieille-Roche et à Trehiguier]. De distance en distance, des roches s'entassent jusqu'à d'assez grandes hauteurs, et quand les rives s'abaissent, elles montrent de jolis vallons boisés et verdoyants qui reposent les yeux de l'aridité de certaines gorges. Du côté de Nivillac et de Saint-Dolay, l'horizon est souvent fermé par de petites collines.

Sur la rive gauche, la seule qui doive nous occuper, je ne vois pas de cours d'eau qui mérite le nom d'affluent ; ce sont plutôt des ruisseaux qui coulent dans les plis du terrain, quelques-uns sont barrés et alimentent les étangs du Rodoir, du Rocher, de la Roche-Hervé, de la Bretesche, de Kernevy, du Gué-aux-Biches et du Moulin-Neuf. Leurs eaux se déversent au nord dans la Vilaine, au sud dans le Brivet.

Vers l'est, le sol est moins ondulé et rarement tourmenté par de grands mouvements : il offre aux yeux de vastes étendues monotones, des terrains incultes où la bruyère elle-même a peine à pousser ; c'est pourquoi les bois ont toujours eu le pas sur l'agriculture. En jetant les yeux sur une carte de l'État-Major, il est facile de voir que la contrée n'était dans le principe qu'une immense forêt qui s'étendait de la Vilaine à la Grande-Brière. Ceux qui tirent la tourbe vous diront qu'ils ont plus d'une fois rencontré dans leurs tranchées de grands arbres noircis, que les cyclones de l'époque historique ont couchés dans ce bassin.

Les forêts de Saint-Gildas, de la Bretesche et de la Madeleine de Pontchâteau, ne formaient autrefois qu'un seul massif forestier, elles se rejoignaient par les bois de la Couarde, de Lezay et du Restin. La forêt de la Bretesche est la seule qui n'ait pas été entamée par la hache des bûcherons, elle contient encore une superficie de 1,100 hectares d'un seul tenant. Elle est ainsi décrite au temps de Louis XIV : « La forest de la Roche-Bernard avec ses rives contenant dans son circuit 3 lieues, à commencer du Pont Glevin jusques au grand chemin qui conduit de Guérande à Cran, suivant ledit chemin à descendre au coin du Parc de Queriahaut, enfermant l'étang du Châtelet et la lande du Clodo 1. » (Terrier de la sénéch. de Guérande, vol. XVIII, f° 170).

Les deux autres forêts de Saint-Gildas et de la Madeleine n'existent plus qu'à l'état de souvenir, tant elles sont réduites ; leurs futaies ont fait place à des défrichements considérables dont l'agriculture s'est emparée progressivement, depuis la création de la ferme-école fondée par M. Delozes.

L'Isac, qui vient se jeter dans la Vilaine à Téhillac, coule dans une large vallée, marécageuse surtout aux approches de son embouchure. Son cours a été emprunté en grande partie par les ingénieurs du canal de Nantes à Brest.

Le Brivet est beaucoup plus modeste : c'est une petite rivière étroite qui sert de déversoir aux prairies basses de Drefféac et de Pont-Château, et qui emporte dans son cours les eaux de tous les ruisseaux descendant la pente méridionale du sillon, de Bretagne.

Dans les communes d'Herbignac et de la Chapelle-des-Marais, l'aspect du pays est absolument différent des autres régions. L'hiver, les habitants n'ont sous les yeux qu'une immense nappe d'eau, semblable à une mer intérieure, et, dès que le printemps arrive, les eaux se retirent et font place à de vertes prairies. La tourbe qui remplit le sous-sol est encore une richesse : elle s'exploite sans s'épuiser depuis des siècles, et fournit du chauffage non seulement aux riverains, mais encore à une foule de communes lointaines. Ce précieux combustible à bon marché s'extrait au mois de septembre, pendant huit jours, c'est-à-dire pendant la saison la plus sèche ; il s'accumule en gros tas sur les points les plus élevés, et se transporte au moyen de bateaux, dès que les pluies d'hiver ramènent la nappe d'eau dans le bassin. Le sol est beaucoup trop mouvant pour que les voituriers osent s'y aventurer. La tourbe et les pâturages sont deux ressources qui, dès la plus haute antiquité, ont dû attirer les populations, et nous expliquent pourquoi la Grande-Brière est entourée de villages pressés les uns contre les autres.

Il y a d'autres richesses naturelles qui méritent d'être signalées. On trouve de l'argile si fine à Herbignac, que l'industrie de la poterie peut entretenir un grand nombre de fours dont les produits s'exportent jusqu'à Vannes. A Missillac, on fait de très bonne chaux à l'usage des agriculteurs, au moyen du calcaire primitif gris-jaunâtre qu'on extrait à Bergon. Le marais situé au sud du bourg de Saint-Gildas, est un vaste bassin calcaire. Cette même commune renferme du fer hydroxydé, mêlé à l'argile, et du fer oligiste écailleux dans le stiachiste quartzeux, au nord-ouest et au sud-est. Ce minerai se rencontre surtout dans les environs de Saint-Gildas, de Missillac, de Sévérac et de Guenrouet. Le meilleur est un filon de fer magnétique d'un rendement de 80 % qui se trouve près du château de la Roche-Hervé ; il ne paraît pas avoir été exploité comme les autres gisements, et cependant des industriels sont venus s'établir dans le pays [Note : Il faut noter pourtant qu'une vieille gueuse de fonte brute a été retirée de l'une des tours de la Roche. C'est un reste d'industrie locale]. Les étangs de la Roche-Hervé et du Rodoir ont servi à faire mouvoir des marteaux de forges qui prenaient leur minerai un peu partout, surtout aux carrières du moulin de Perny dont l'exploitation n'est arrêtée que depuis 1848. A l'usine du Rodoir, on travaillait principalement à la fabrication des marmites.

Les autres parties du sol se composent de granit, de gneiss, de micaschiste, d'argile commune et de grès quartzeux. Parmi les richesses minéralogiques, on cite encore le plomb argentifère de Crossac et de Saint-Dolay, ainsi que les ardoises de la frairie de Saint-Lienne.

Les populations de l'âge celtique n'ont pas laissé, dans le coin de terre que nous étudions, des traces bien nombreuses de leur passage ; il est vrai qu'elles ne trouvaient pas dans le sol les belles ressources qu'offre le Morbihan, où le granit se présente en grandes tables régulières. Nivillac et Saint-Dolay ne renferment pas un seul mégalithe. Sur le territoire de Missillac, pourtant si vaste, je ne connais que la Roche-aux-Loups, près de Bergon, dolmen dont les dimensions sont imposantes. La table a 4 mètres de long sur 3 mètres de large. On suppose que les cultivateurs ont fait disparaître d'autres monuments semblables, qui devaient exister aux lieux dits la Roche-Louse et la Roche-Aubert, noms très significatifs qui ne concordent plus avec l'état actuel des choses.

La ferme de la Couarde rappelle aussi la présence d'un menhir qui pendant des siècles fut l'ornement de ce domaine et qui n'a disparu que depuis trente ans [Note : Le dernier survivant de ceux qui l'ont vu l'appelle un gros caillou]. Couarde signifie en Bretagne la vieille sorcière, et on applique volontiers ce mot à une grosse pierre debout, parce que, vue de loin au clair de lune, isolée au milieu d'un champ, elle a une certaine ressemblance avec le fantôme d'une femme errante.

On peut citer en Bretagne d'autres exemples de cet usage du mot couarde. Il y a la Couarde en Bieuzy (Morbihan), qui est une ferme remplie d'antiquités celtiques et romaines [Note : Rosenzweig, Dictionnaire archéologique du Morbihan]. Sur le territoire de Saint-Germain de Cogles (Ille-et-Vilaine), il existe un bois des Couardes qui renferme un amas de rochers d'un aspect très curieux, qu'on prendrait de loin pour un gigantesque dolmen, et à propos duquel on raconte diverses légendes [Note : Bezier, Inventaire des monuments mégalithiques d'Ille-et-Vilaine, p. 14].

Sévérac possède un dolmen, la Roche à la Vache, et un menhir, le Fuseau de Berthe ; Herbignac, un dolmen et un menhir ; Assérac, un dolmen. Il faut s'approcher du bassin marécageux de la Grande-Brière et des côtes de l'Océan pour voir ces monuments plus pressés. Crossac nous offre trois dolmens et un menhir, et Penestin, trois menhirs et deux dolmens. Les haches de pierre polie et de bronze, qui sont aussi des témoignages précieux de l'industrie primitive, se rencontrent en grand nombre dans toutes les communes que j'ai citées [Note : Pitre de Lisle, Dictionnaire archéologique de l'arrondissement de Saint-Nazaire].

Les Gaulois des bords de la Vilaine connaissaient les métaux précieux au temps de César, ce qui prouve qu'ils étaient commerçants. On voit dans la collection de M. le comte de Montaigu, à la Bretesche, deux monnaies d'or gauloises bien frappées qui proviennent d'un promontoire entouré de marais, voisin de la Mâtinais, dans la commune de Missillac [Note : Ces monnaies sont en electrum, c'est-à-dire en alliage de cuivre et d'or]. Les trois statères d'or qui sont entre les mains des enfants de M. Tourgouilhet du Martray sortent du même territoire. Enfin, les plus belles découvertes en bijoux et en armes faites dans la Loire-Inférieure portent les noms des communes limitrophes de Missillac.

Quand on arrive à l'époque romaine, les renseignements abondent. Je ne connais pas de ruines de villas ou de stations, mais je puis citer des collections de monnaies trouvées dans le pays. M. de Montaigu possède 82 monnaies de bronze, plus un Tibère en or et deux Constantin en or ; M. de Kersauson peut montrer un Tibère en or, neuf petits bronzes de Posthume, de Gallien, de Gordien, de Claude le Gothique, plus deux effigies de Justin en or, le tout provenant d'Herbignac ; M. Boceret de Penestin, sept bronzes aux effigies de Claude, d'Hadrien, d'Antonin, de Faustine et une monnaie municipale de Nîmes.

L'industrie de la terre cuite est très ancienne dans la contrée de la Roche, elle y a été importée par les Romains. En Saint-Gildas, M. Desvaux a vu découvrir, sous une couche d'alluvion de 0,30c, les fondations d'un four qui était entouré d'une grande quantité de briques à rebords comme on n'en fait plus depuis quinze siècles [Note : Bulletin de la Société académique de Nantes, 1843, p. 357].

Dans plusieurs villages de la commune d'Herbignac, la même industrie fait vivre des familles nombreuses depuis la plus haute antiquité. La fabrication de la poterie qui s'exerce à Landieule et aux alentours, au moyen de l'argile fine qu'on tire sur le domaine de Kerolivier, n'est pas moderne. Les produits qui sortent dus fours actuels ont un cachet particulier et une tournure archaïque qui semble inspirée par des modèles venus de l'Orient. Cette industrie occupait autrefois plus d'ouvriers qu'aujourd'hui, car on a retrouvé des fondations de fours à la Gassun, à Coëtcarré, à la Baronnie et à Kerdavy, en défrichant les landes, près d'un endroit où les laboureurs ont découvert un Tibère en or. La collection des onze monnaies romaines de M. de Kersauson s'est formée dans la même contrée, au sud du bourg d'Herbignac. Il n'y a pas lieu d'en être surpris : cette paroisse se trouve sur le parcours de la voie qui reliait Grannona ou Guérande à Duretie ou Rieux, en passant par les villages de Kerhéraut, de la Cour-aux-Loups, où des traces d'empierrement ont été constatées dans les terres labourées ; par la Maladrie, Villeneuve, le Sabot-d'Or, le Mouton-Blanc, le prieuré de Moutonnac, la Templerie de Saint-Dolay et le passage de Cran. Elle est connue dans le pays sous le nom de Chemin des Saulniers, parce que les marchands de sel de Batz et de Guérande y passaient avec leurs mules pour se rendre en Bretagne.

Le territoire de Missillac était également traversé par une voie romaine qui reliait la station de Blain à Surzur et au pays de Rhuis couvert de villas. Celle-ci était très importante. Après avoir franchi l'Isac au Pont Nozay, elle traversait le village de Grâces, passait au nord des moulins de Bolhet, au sud du bourg de Saint-Gildas. Plus d'un chercheur l'a vue au moulin de Perni, au Siège et dans la forêt de la Bretesche, pendant les derniers défrichements. M. de Montaigu a été obligé de faire arracher les grosses pierres qui composaient la chaussée un peu au nord du château ; il a donc pu se rendre compte par lui-même de la solidité et de l'antiquité de l'empierrement que personne auparavant ne soupçonnait en cet endroit.

Du parc de la Bretesche, la voie traversait la forêt sur une longueur de près de 4 kilomètres, et se dirigeait sur le Bois-Marqué et le moulin du Fozo, en Herbignac ; elle descendait ensuite vers la Vilaine, au sud du village de Kergamet, par une coulée qui semble faite pour préparer un passage. Sur le territoire de Ferel, la voie est dans un état de parfaite conservation, sur une longueur de deux kilomètres ; sa largeur est celle de nos routes nationales.

Quand on descend le cours de la Vilaine en bateau, on se rend parfaitement compte des motifs qui ont attiré les ingénieurs romains au Palus de Lisle en Ferel ; ils ne pouvaient trouver d'endroit plus commode pour y établir un service de bac. Ce ne sont pas eux qui auraient choisi la direction de la Roche, quand ils trouvaient, à quatre kilomètres plus bas, deux belles plages d'embarquement auxquelles on arrive en pente douce, sur la rive droite comme sur la rive gauche, en Arzal et en Ferel.

Au-dessus du fleuve, s'élève l'éminence du Haut-Riguy, sur laquelle j'ai eu la bonne fortune de retrouver l'habitation du Gaulois chargé du service du bac. Sa maison, ensevelie sous les terres, mais annoncée par la présence de quelques briques à rebords dans les fossés et par la découverte de quelques monnaies, a été déblayée sans peine et m'a procuré une surprise agréable. J'ai ramassé sur l'aire, betonnée suivant les procédés antiques, parmi des cendres et du charbon, un anneau de fer, une sorte de broche de cuisine, deux pelles en terre cuite, un couteau et quinze hachettes en pierre polie de grandeurs diverses, dont le coupant était émoussé par l'usage. Ceux qui se servaient de ces instruments primitifs habitaient des chambres dont les murs étaient enduits d'une teinte rougeâtre avec filets dans le genre des ornementations pompéiennes, et décorés d'une plinthe en saillie de même couleur. Voilà un mélange des civilisations celtique et romaine qui prouve que l'Age de pierre a duré bien longtemps chez nous.

Les voies de Nantes et de Blain à Port-Navalo franchissaient le Brivet à Pont-Château, le seul passage praticable sans difficulté, et se dirigeaient sur la plage du Palus de l'Isle. Elles devaient se confondre avec la précédente aux environs de la Ruellerie, en se servant du pont Martin et du pont Glevin, après avoir suivi à peu près le tracé actuel de la route nationale. Ainsi le territoire de Missillac se trouvait coupé au nord et au sud par les chaussées de deux voies antiques qui permettaient aux populations d'entrer en relations avec les conquérants de la Gaule, et de livrer au commerce le combustible, le minerai et la chaux du pays.

On voit, au nord-ouest de la forêt de la Bretesche, plusieurs monuments de terre semblables à des vestiges de retranchements qu'on serait tenté de considérer comme des travaux de défense antiques ; mais en les examinant de près, on les juge tout autrement. Le parc de Keriahaut au sud de Moutonnac, avec ses fossés, n'est qu'une réserve de chasse. La ligne droite de fossés qui court du nord au sud sur les landes du Fouinet, ne peut être qu'une séparation de fief ou une limite de partage : elle se compose d'une tranchée avec rejets de terre des deux côtés, ce qui n'a jamais lieu dans les épaulements de guerre. Elle n'a pas de rapport avec les retranchements véritables qu'on voit en Saint-Dolay, entre le Clio et la Bernardière, et qui sont faits suivant les règles [Note : Chanoine Mahé, Antiquités du Morbihan]. Ces derniers, réduits aujourd'hui à deux lignes de remparts parallèles, étaient renforcés autrefois par une troisième ligne. Ils ont servi évidemment avec l'étang des Moulins-Neufs à protéger deux résidences féodales : ils ne sont pas toutefois comparables aux douves de la Roche-Hervé et de Ranrouet, et ne présentent pas, du reste, la régularité des travaux antiques.

Une seule enceinte fortifiée nous a paru digne d'intérêt. Nous pouvons d'autant mieux en parler avec détails, que M. le comte de Montaigu n'a pas hésité à y pratiquer des fouilles, dès qu'il a su qu'elle méritait quelque attention.

Il existe dans la forêt de la Bretesche, à quelques cents mètres de la voie romaine de Guérande à Rieux et du prieuré de Moutonnac, un retranchement en terre, tracé en forme de fer à cheval, d'une superficie de près de deux hectares. D'un côté, il était défendu par un vaste étang artificiel qu'on obtenait par une chaussée de cinq mètres de hauteur barrant la vallée, et sur trois autres côtés, par des douves de ceinture qui recevaient le trop-plein du bassin. Cet emplacement avait été choisi de préférence à tout autre, parce qu'il se compose d'un mamelon rocheux de granit, d'un relief assez accentué, qui, du côté de l'étang, présente une pente presque abrupte ; il a suffi de relever les terres tout autour pour en faire un lieu sûr. Les premiers hommes y avaient creusé une caverne qui était, dit-on, assez grande pour loger une famille, avant qu'elle ait été entamée par les carriers et qui a encore aujourd'hui toute l'apparence des cavernes primitives. On y accède par un escalier taillé dans le roc.

Les fouilles, pratiquées à quatre mètres de profondeur, ont mis à nu une construction carrée en pierres sèches dont la base est au même niveau que la caverne, et qui semble avoir été faite postérieurement pour la compléter et l'agrandir.

Au sommet de la butte, au dessus du plafond de la caverne, les ouvriers ont découvert les fondations de deux constructions rectangulaires, maçonnées grossièrement avec de la terre et des matériaux disparates. On remarque des moellons de granit taillés et moulourés, qui font contraste avec la simplicité de ceux qui les entourent. Des tranchées extérieures sont sortis des amas de grosses ardoises de toiture, longues de 0,30, 0,40 et 0,50c, épaisses de 2 et 3 centimètres. Les ouvriers désespéraient de rencontrer aucun objet mobilier, quand le hasard les conduisit sur des parties de terrain meuble qui avaient été remuées, et qui, une fois vidées offrirent plusieurs fosses d'un mètre et d'un mètre 50 c de profondeur, à peu près carrées. Ils en retirèrent des écailles d'huîtres, des ossements d'animaux des défenses de sanglier, des dents molaires énormes, beaucoup de morceaux de poterie grossière, quelques petits fers de chevaux, des clous, trois pointes de lances en fer et une brique sans rebords. Les objets, les mieux caractérisés et le plus faciles à dater, sont des débris de vase en verre irisé, un anneau de bronze de la grandeur d'une broche portant des rondelles d'incrustation, une tige en bronze creuse et guillochée, de 0,10c de longueur, semblable à un passe-lacet et quelque, petites lamelles, aussi de bronze, pareilles aux écailles d'une cuirasse [Note : Des agrafes de bronze ont été trouvées dans les haldes des minières d'Angrie, (Davy, Notice géol. sur l'arrond. de Segrè, p. 79)]. A côté de ces objets romains et carolingiens, se trouvaient un mors et un éperon de voyage du XIIIème siècle. Nous avons donc, accumulés sur le même point, des vestiges de l'Age de pierre, de l'époque romaine et du Moyen Age.

N'est-ce pas là un exemple frappant de la persistance des générations à occupe les mêmes positions et de l'instinct bien naturel qui pousse les derniers venus ver le séjour des premiers occupants ?

Les monnaies qui sont sorties des mêmes fosses ne sont pas très reconnaissables, elles sont en cuivre ou en bronze et ressemblent plus aux deniers tournois qu'aux pièces romaines, sauf une sur laquelle on distingue la tête radiée de Tétricus La chose qui a causé la plus grande surprise, c'est la rencontre d'un chapiteau en granit de petite dimension dont l'ornementation, composée d'entrelacs et de traits grossiers, rappelle les enluminures de nos manuscrits mérovingiens et carolingiens. De quel édifice provient-il ? Je serais tenté de croire qu'il faisait partie d'un monument religieux, d'une chapelle destinée à la colonie d'ouvriers établi dans la fortification en question. Il y a d'autres exemples de chapelles chrétiennes fondées au milieu d'ateliers gallo-romains. Je citerai Sainte-Barbe de Cambon ; N.-D. de Planté, en Quilly ; Saint-Barthélemy, en Saint-Julien-de-Concelles. Dans tous les cas, il n'est pas possible que ce chapiteau ne soit pas antérieur aux fondations qui restent debout ; il atteste qu'après la fin de la période gallo-romaine une autre civilisation est venue s'implanter là, celle du Moyen Age, et qu'elle y a fleuri au moins jusqu'au XIIIème siècle, comme le prouvent les ardoises, les poterie vernissées et les instruments de fer.

Ce serait en vain qu'on chercherait des lumières dans les titres féodaux sur cette curieuse fortification : l'agglomération humaine qui l'habitait n'a pas laissé de traces dans les archives ; elle a disparu sans bruit, laissant derrière elle des pans de murs en ruine dont les pierres ont été emportées peu à peu par les générations successives jusqu'au niveau du sol, à tel point que rien ne révélait son passage, quand M. le comte de Montaigu eut l'heureuse inspiration de pratiquer des tranchées dans ses taillis.

La tradition est-elle mieux informée ? Pas davantage. Les habitants du pays regardent le retranchement de la Bretesche comme un de ces lieux mal famés, où les esprits infernaux aiment à se donner rendez-vous, et où les âmes tourmentées dans l'autre monde viennent apparaître aux vivants. Ils lui donnent le nom de Mysti-Courtin, et ceux qui se piquent de science répètent que ce serait là, peut-être, le premier emplacement du château de la Bretesche. Cette conjecture n'est guère vraisemblable : dans tous les cas, elle ne nous explique pas par quel concours de circonstances nous trouvons tant d'objets de provenances si diverses, d'époques si éloignées, dans l'enceinte de Mysti-Courtin [Note : Si on veut une étymologie latine, nous proposons Mysterii curtis].

La prairie voisine se nomme la prairie du Chatelet, ce qui prouve qu'on a pensé aussi à un camp.

D'autres ont prétendu que Mysti-Courtin aurait été le rendez-vous de chasse des barons de la Roche. Ogée, dans son dictionnaire, s'est fait l'écho de cette légende. Il est possible que le seigneur de la forêt, les jours de chasse, soit venu s'abriter près des ateliers des forgerons ; à coup sûr, il, ne devait pas y demeurer. Le jour où les seigneurs ont voulu se créer une résidence plus agréable que celle du petit castel de la Roche, ils ont choisi un meilleur emplacement. Toute installation comportait un moulin ; or il n'y en a pas trace à Mysti-Courtin : l'eau n'a été employée que pour augmenter les obstacles, pour les renforcer et suppléer au défaut d'accident de terrain.

Éclairé par mes recherches antérieures, je n'ai pas hésité, en voyant ce fort, à lui appliquer la qualification d'atelier, comme aux enceintes du pays de Blain. Il est situé dans un canton de la forêt nommé la Vente des Forges, nom qui lui vient d'un gros amas de mâchefer recouvert de buissons, et près duquel on a trouvé deux pics de fer sans trou, qu'on devait emmancher à la manière des haches celtiques [Note : émoignage d'un vieux fermier du pays].

Ce n'est pas le seul indice du passage des forgerons. Il y avait en dehors du retranchement deux fosses, l'une maçonnée dont le fond était pavé, et l'autre bordée seulement de grosses pierres avec fond incertain, semblable à un mortier insondable, deux choses qui rappellent les lavoirs à minerai du pays de Blain et les ateliers lacustres avec pièces de bois. En outre, on voyait plusieurs petites fosses ordinaires, qu'on avait eu soin de renfermer dans une enceinte à lignes rectangulaires qui s'appuyait sur la chaussée de l'étang, et qui sur un côté mesurait plus de cent soixante mètres de long. Les douves de cette seconde fortification ont plus de six mètres et recevaient aussi les eaux de l'étang.

Dans la coupe des Cinq-Chênes, qui est à cinq cents mètres de Mysti-Courtin, il existe encore un mamelon naturel, autour duquel on a tracé un fossé circulaire, et dont le sol est couvert de charbon et de scories sur une grande profondeur. Ne suis-je pas fondé à dire que la forêt de la Bretesche, comme toutes les forêts de la Bretagne, a été occupée par les forgerons, et que l'industrie du fer y a prospéré sans interruption depuis l'époque gauloise jusqu'aux temps de saint Louis ?

Il y a d'autres preuves de l'existence de l'industrie métallurgique sur le territoire de Missillac. Des amas de scories de fer ont été rencontrés par les bûcherons le long des ruisseaux qui arrosent la forêt : ce sont évidemment les rebuts des forges à bras. A la Chauvellière, les pièces de terre de la Vieille-Ville sont pleines de décombres et d'ardoises mêlées à des scories de fer. Enfin, je citerai un village dont le nom a une désinence latine, Bergon, et qui dans les vieux titres s'appelle toujours Bergon les Forges.

(L. Maître).

© Copyright - Tous droits réservés.