Vie du Barde Roc'h Allaz

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Claude RANNOU

Claude Rannou (Barde Roc'h Allaz) est né à Lanvézéac, le 18 juin 1808. Commune voisine de Lannion, mais du canton de La Roche-Derrien, Lanvézéac était la moins étendue et la moins peuplée de tout le département des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes d’Armor). Le père de Claude Rannou, Jean, qui avait trente ans, exerçait la profession de laboureur ; sa mère, Marie-Hyacinthe Le Goff, âgée de vingt-huit ans, était filandière. C’étaient de très pauvre gens. Quand, en 1848, il posera sa candidature à la députation, il se proclamera « enfant du peuple, sorti des rangs les plus infimes de la société ». Rien de plus exact. 

Sans doute appartenait-il à une famille de plusieurs enfants, car il est à présumer que le Guillaume Rannou, instituteur en 1846 à Quemperven et à Lanvézéac était un de ses frères. 

Comment lui-même était-il devenu un instituteur ? Les dossiers personnels des anciens instituteurs étant, à diverses occasions, détruits en conformité d’ordres ministériels, on est à peu prés réduit à des conjectures. On sait seulement qu’à un moment donné, il était l’élève du collège ecclésiastique ou petit séminaire de Tréguier, où il obtint « un deuxième accessit de vers latins dans la classe de Bili (pseudonyme d’un M. Tily, ancien instituteur à Plestin-les-Grèves qui quitta l’enseignement pour tenir un commerce de tissu) ». C’est de là qu’il partit vraisemblablement pour exercer les fonctions d’instituteur. Il ne saurait être question de son passage à l’école normale d’instituteurs de Saint-Brieuc qui ne fut créée que beaucoup plus tard. 

Fut-il tout de suite nommé à Saint-Michel-en-Grève ? C’est possible. En tout cas , il paraît avoir montré un goût manifeste pour la pédagogie, et assez d’intelligence pour tenter d’améliorer les méthodes d’enseignement, jugées par lui, avec beaucoup d’autres excellents esprits, inefficaces et surannées. 

Dès 1832, il imprime chez Jollivet un Recueil de formules « émo-techniques ». Il publia ensuite un ‘Tableau de la conjugaison de tous les verbes en un seul modèle, et d’accord du participe passé et du participe présent, chacun en une seule règle’, approuvé par diverses académies, puis un ‘Traité du verbe’. L’annuaire des Côtes-du-Nord (1838), qui donne ses indications, ajoute que Claude Rannou a encore trois publications sous presse : ‘L’orthographe des 40 000 mots de la langue française’, ‘L’orthographe de principes et d’accord’ et ‘L’Art d’apprendre par soi-même’.  

Cependant la première indication officielle qui le concerne ne date que de l’année scolaire 1837-1838. Il est instituteur à Saint-Michel-en-Grève, marié, sans enfant (en 1841, Claude Rannou sera père de deux enfants ; en 1847, de trois ; en 1850, de quatre) et n’exerce pas les fonctions de secrétaire de mairie. L’administration académique juge « bonne » la direction de son école. Il perçoit un traitement fixe annuel de 200 francs auquel s’ajoutent environ 300 francs de rétribution scolaire (à noter que les instituteurs percevaient, en plus de leur traitement fixe, une rétribution scolaire relative au nombre d’élèves et payée par eux). En 1838, sur la proposition de ses chefs, le préfet lui accorde une subvention de 156 francs « proportionnelle aux services rendus ». 

Pour quelles raisons, sous quelle influence, son zèle va-t-il bientôt faiblir ? Est-ce parce qu’il s’est marié ? Est-ce parce qu’il est devenu en plus instituteur à Trédrez et à Tréduder ? Ses appointements fixes sont montés à 600 francs, la rétribution scolaire est de 450 francs. Pour un instituteur rural, c’est la possibilité d’une grande aisance. Dans l’arrondissement de Lannion, seul Prigent, de Pouldouran, gagne plus que lui (600 fr. + 600 fr.). Celui qui vient après lui, La Tinevez, de Perros-Guirec, perçoit 800 francs (600 fr. + 200 fr.). Il ne peut être question de proposer Rannou pour une subvention exceptionnelle qui, sauf exception, ne doit être accordée qu’aux instituteurs ruraux recevant moins de 800 francs. Il fait une classe d’adultes qui groupe 29 élèves et qui lui rapporte 28 francs. En 1839, il n’existe que quatre classes d’adultes pour tout l’arrondissement de Lannion : à Lannion même, à Plestin-les-Grèves, à Saint-Michel-en-Grève et à Ploumilliau. Tout semblerait indiquer que sa situation s’est consolidée. Pourtant sa note de mérite a baissé : elle n’est plus que « médiocre ». 

C’est le commencement d’une irrémédiable décadence. Le nombre des élèves de Rannou diminue tant à l’école du jour qu’à la classe d’adultes, entraînant une diminution corrélative de ses rétributions. Bien que ses appointements soient désormais inférieurs à 800 francs, on ne songe plus à lui accorder une subvention exceptionnelle. En 1840, la conduite de son école est jugée « mauvaise », et cette note de démérite ne variera plus guère. Puis des annotations défavorables apparaissent. En 1840,, on le dit « peu zélé, en guerre avec le comité local » ; en 1841 « brouillon » ; en 1842 « mauvais instituteur » et « mal avec l’autorité ». 

Il était déjà grave de se montrer trop indépendant vis-à-vis de « l’autorité ». Mais entrer en conflit avec elle, c’était s’exposer à de nombreux ennuis. Dans un rapport, adressé le 25 janvier 1845 au préfet Thicullen par l’inspecteur des écoles primaires, Montier, pour obtenir que les subventions du Conseil général soient attribuées de préférence aux instituteurs publics, on peut lire : «....Il est rationnel, ce nous semble du moins, que le gouvernement qui impose à ses instituteurs de justes conditions, qui les surveille dans tous leurs actes, publics et privés, qui leur commande telle ou telle ligne de conduite administrative, leur réserve, en échange, ses encouragements, et ne vienne pas rémunérer quiconque se proclame libre, échappe à son action, et travaille en dehors de son intervention immédiate.... ». 

Ces encouragements, désormais n’étaient plus faits pour Claude Rannou. Même en 1848, alors que le même inspecteur primaire écrivait, encore à propos des subventions votées par le Conseil général : « L’année malheureuse qui s’est écoulée m’a semblé devoir commander moins de rigueur », et proposait de ne « priver de subvention que les instituteurs absolument indignes », Claude Rannou continue à s’en trouver exclu. 

Dans cette volonté de l’administration de le priver de toute faveur, on ne peut pas dire qu’elle a agi contre lui en raison de son indépendance et de son opposition ‘jamais déclarée’ au régime de juillet. Il faut admettre que la majorité de la population est du même avis que l’inspecteur, puisque le montant de sa rétribution scolaire, bien qu’il enseigne aux enfants de trois communes, n’atteint qu’une fois 297 francs (en 1847). Ses notes continuent à être « médiocre » ou « mauvaise ». En 1846, il a même dû fermer sa classe d’adultes dont l’effectif des élèves n’a fait que décroître. 

Ah ! ce n’est pas lui qui bénéficiera des « billets de satisfaction » que l’inspecteur Montier attribuait aux instituteurs qui « pendant les conférences....se distinguent par leur bonne tenue, par leur zèle et par leur application. ». Pas plus qu’auparavant, le projet de répartition des subventions aux instituteurs ruraux méritants, daté du 15 janvier 1848, ne mentionne le non de Claude Rannou. 

Quelles sont donc les raisons qui expliqueraient cette décadence dans le mérite professionnel et dans la confiance de la population ? Se sent-il méconnu parce que ses initiatives pédagogiques n’ont pas rencontré l’agrément de ses chefs ? Caresse-t-il déjà avec excès quelque muse bretonne ? Sa vie familiale l’absorbe-t-elle au point de le détourner de ses obligations ? Eprouve-t-il les effets de quelque passion peu avouable ? Nulle part ne se voit dans la colonne « observation » l’épithète « d’ivrogne » que les inspecteurs n’hésitent pas à attribuer à quelques autres. Est-ce seulement la politique qui le trouble depuis plusieurs années dans l’accomplissement de sa tâche ? Le socialisme romantique des Saint Simon et des Fourier a-t-il trouvé un adepte dans Claude Rannou, tellement préoccupé de l’amélioration du genre humain qu’il néglige celle de l’instruction dont ont cependant besoin les enfants de Saint-Michel, de Trédrez et de Tréduder ? On pourrait le croire. Car, mal considéré des autorités et assez peu des parents de ses élèves, il va se porter candidat aux élections de 1848. 

Saurait-on mieux préparer un cuisant échec ? 

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Le décret du 5 mars 1848 convoqua pour le 9 avril suivant les assemblées cantonales « pour élire les représentants du peuple à l’Assemblée nationale qui doit décréter la constitution». L’élection avait lieu au scrutin de liste et devait être secret. Nul ne pouvait « être nommé représentant du peuple s’il ne réunit pas deux mille suffrages ». 

Dire que l’autorité supérieure n’intervint pas dans les élections pour les diriger et les rendre favorables aux premiers bénéficiaires de la Révolution de février serait incroyable. Le ministre de l’intérieur Ledru-Rollin, le secrétaire général du ministère Jules Favre, le commissaire général des cinq départements bretons, Michel Rocher, le commissaire du département des Côtes-du-Nord, Henri Coüard, ne s’en firent pas faute. 

L’agitation électorale fut très active. A côté de listes complètes, s’offrirent aux choix des électeurs de nombreuses candidatures isolées. Il suffisait d’ailleurs pour être éligible d’avoir vingt-cinq ans et de n’être ni privé, ni suspendu de l’exercice de ses droits civiques. Il appartenait aux électeurs d’inscrire sur leur bulletin des noms de candidats de manière à présenter une liste complète. 

On se doute bien qu’il y eut parmi ceux-ci bon nombre de politiciens, au sens moderne et presque péjoratif du mot, avides de puissance et peut-être de fortune. Il y eut aussi plus d’un naïf et plus d’un illuminé, transporté d’un enthousiasme verbal, tellement le prestige de certains vocables est susceptible de s’exercer sur l’esprit de ceux pour qui il n’est pas impossible que l’âge d’or puisse sortir des urnes électorales. Il semblerait que Claude Rannou pourrait légitimement figurer au nombre de ces derniers. Sa profession de foi, la plus longue de toutes celles des candidats qui se présentèrent dans le département des Côtes-du-Nord, ne devrait laisser aucun doute.  

Il n’est pas inutile de la reproduire intégralement (tirée des Arch.dép. C.-du-N. Série M) 

« AUX ELECTEURS DU DEPARTEMENT DES COTES-DU-NORD 

Mes chers Concitoyens, 

Il m’a semblé qu’à l’aspect de l’ère de bonheur et d’humanité qui s’ouvre devant notre France, si nous savons rester calmes et unis comme la force, sans haines et sans antipathies, qu’en présence d’un avenir aussi consolant, tout homme qui sent vibrer dans son âme la généreuse ambition du dévouement à la cause commune, doit se lever, se manifester publiquement, faire connaître à ses concitoyens, à ses frères, qu’il ne reculerait pas devant l’obligation de sacrifier ses moyens, son cœur, son existence entière, afin de coopérer dans la mesure de ses forces, au salut de tous et de chacun. 

Il m’a semblé que c’est là, non seulement un droit, mais son devoir le plus impérieux, maintenant que nous commençons tous à apprécier notre dignité d’homme qui nous est restituée, notre égalité native qui nous est enfin rendue. 

Il doit braver les sarcasmes acrimonieux que ne manquera pas de lui décocher l’orgueil égoïste, qui, se complaisant dans la contemplation de ses propres vertus, s’imagine que ses concitoyens sont tenus de connaître, d’apprécier et de récompenser les talents transcendants qu’il se connaît lui-même. 

Non que j’approuve, Citoyens compatriotes, non que j’approuve des Courtiers électoraux, qui, désireux sans arrière-pensée, disent-ils, de s’offrir en holocauste à la patrie, iraient de ville en ville, de commune en commune, de bourgade en bourgade, faire pompeusement étalage de leur incommensurable dévouement à la chose publique, cherchant ainsi à s’imposer, autant qu’il est en eux aux populations qui les écoutent, mendiant en quelque sorte les suffrages d’hommes libres de leurs consciences et de leurs votes. 

Non, une telle conduite n’attirerait à son auteur que l’indignation publique, que le mépris le plus dégradant, le plus justement mérité ,et, s’il se trouvait quelques audacieux assez dépourvu de bon sens pour oser recourir à de tels moyens, nos suffrages en feraient justice, en le laissant contempler à loisir l’importance qu’il se trouve. Mais à côté de cet excès révoltant se trouve l’obligation rigoureuse qu’à chacun de nous d’exposer avec simplicité ses vues, ses désirs, ses convictions. 

Alors les concitoyens de cet homme, qui aura eu le courage d’une profession publique, peuvent discuter, peser le mérite des doctrines qu’il a émises, et, si elles sont trouvées conformes à l’équité naturelle gravée dans le cœur de chacun, les votes librement donnés, loyalement obtenus, viennent faire connaître qu’il a été apprécié, qu’il a été supposé assez de force, assez d’énergie , pour ne point faillir à la haute tâche qui lui serait imposée. 

Si les doctrines émises sont désapprouvées, la profession publique qui en aura été faite n’aura rien de vil ni de dégradant pour son auteur, s’il a su se tenir dans les limites de l’honneur, dans les termes d’une probité franche et décente. Au contraire, il aura, selon moi, la gloire d’avoir donné une preuve de dévouement qui, dans une République jeune comme la nôtre, se nommerait civisme. 

Telle est ma manière de sentir. 

Vous comprenez dès lors, Citoyens compatriotes, qu’en me présentant aux suffrages de mes concitoyens, je suis loin d’élever l’intolérable prétexte de chercher à modifier en rien les convictions de qui que ce soit. J’expose simplement mes idées et ne voudrais pour rien au monde, les imposer à aucun. Je suis instituteur ; chercherais-je à émouvoir mes confrères en ma faveur ? Non, je ne veux pas d’autre influence que celle qui me sera acquise par la conviction. Celle-là, je l’accepte ; toutes les autres sont indignes de mes fonctions. 

Si l’on me demandait quels sont mes titres à la confiance publique, je n’aurais que ces mots à répondre : Enfant du Peuple !  

Oui, enfant du peuple ; je suis né au milieu du peuple ; je connais ses voeux, ses craintes, ses espérances ; je les sais, je les sens, je les partage ; j’ai palpé, j’ai savouré toutes ses douleurs, toutes ses misères. 

Si maintenant je me trouve dans une position, sinon digne d’envie, au moins plus heureuse, comparée à ma condition passée, je le dois à Dieu qui m’a soutenu dans mes difficiles débuts, je le dois à ma probité persévérante, à la confiance que j’ai su inspirer, mériter autour de moi. 

Enfant du peuple, sorti des rangs les plus infimes de la société, mon élection, si elle avait lieu, élèverait le peuple lui-même à ses propres yeux ;ce serait un noble stimulant pour tous ceux qui, comme moi, sont privés des dons de la fortune, et placent toutes leurs espérances dans la culture de leur esprit, dans le développement de leur intelligence ; ce serait une douce pierre d’attente posée dans la vie de chacun, pierre qui ne contribuerait pas peu à faire supporter plus patiemment les douleurs présentes, à exciter en chacun une généreuse émulation de vertus et de probité. 

L’enfant du peuple n’est ni exclusif ni égoïste ; il ne prétend point siéger seul avec ceux de sa condition à l’Assemblée Nationale. Seulement, il désire, demande, que toutes les positions sociales y soient représentées, depuis la plus humble jusqu'à la plus élevée. 

Voilà, Citoyens compatriotes, à quoi se réduisent mes titres. 

Quant à mes opinions politiques, elles pourraient se résumer en ces mots : Bien-être à tous et pour tous. 

Dans ma conviction, la forme républicaine du gouvernement est la seule habile à donner la sanction pratique à tout ce qu’il y a de généreux dans ces simples paroles. Des détails plus explicites sont néanmoins nécessaires pour que chacun puisse entrer plus aisément dans le sens de ma pensée. Je commencerai par déclarer que, d’après ma manière de voir, l’Assemblée Nationale ne pourrait être appelée à discuter et à voter que peu de lois particulières, seulement les plus urgentes, et que son œuvre capitale devrait consister à décréter la Constitution française sur les bases les plus larges, les plus démocratiques possibles. 

Qu’aussitôt après la promulgation de cette Constitution, l’Assemblée Constituante serait dissoute et remplacée par l’Assemblée législative, chargée d’élaborer des lois qui n’auraient été qu’indiquées dans le décret organique ; 

Qu’aucun membre de l’Assemblée Constituante ne pourrait faire partie de la Législative qui la suivrait immédiatement, ou, durant un temps déterminé, accepter aucun changement individuel quelconque dans la position qu’il occupait avant l’élection. 

Ensuite, pour ce qui regarde la Constituante elle-même, je voudrais qu’elle garantit, à tous et à chacun indistinctement, la liberté civile, la liberté politique, la liberté religieuse, dans le sens le plus étendu de ces idées, sans conditions comme sans entraves autres que des lois protectrices de ces libertés elles-mêmes. 

Je demanderais donc que la Constitution assurât la liberté individuelle, la liberté des cultes, la liberté de discussion, la liberté d’association, en un mot toutes les libertés sans anarchie ni exclusion, sans autre contrainte que la conscience publique. 

Qu’elle maintînt le principe des élections pour l’obtention de toutes les charges publiques ; 

Au moyen du suffrage direct et réellement universel pour les fonctions de Président de la République et de ses suppléants, fonctions toujours temporaires, jamais à vie ; 

Au moyen du suffrage aussi, mais partiel comme aujourd’hui, pour les fonctions législatives et de haute administration ; 

Au moyen du suffrage plus partiel encore, mais toujours direct, pour les charges locales. 

Concours pour toutes les fonctions susceptibles de ce mode d’appréciation, le tout sans autre condition que celle d’un âge déterminé. 

Enfin, je désirerais que la Constitution, tout en laissant une porte toujours ouverte aux améliorations que le temps et l’expérience feraient connaître, proclamât l’urgence à l’Assemblée Législative de s’occuper immédiatement de certains points généraux qui touchent les masses et les particuliers. 

Au nombre de ces projets généraux, je signalerais les suivants :  

- Inviolabilité de la famille et de la propriété ; 

- Abolition de l’impôt sur le sel et de tout monopole ; 

- Au droit naturel de vivre, joindre la possibilité d’atteindre ce but de l’existence humaine : ce serait la meilleure organisation du travail intellectuel, du travail agricole et du travail industriel ; 

- Suppression de l’impôt sur les portes et fenêtres, qui nous fait payer l’air introduit dans nos habitations, l’air qui nous est un fluide essentiellement gratuit et commun ;  

-Taxe uniforme des lettres ; 

- Révision de la loi des patentes, suppression de certaines classes de ‘patentables’ ;Taxe sur les objets de luxe ; 

- Révision des lois sur les impositions directs, suppression de celles qui sont onéreuses aux masses ; 

- Répartition équitable des charges de l’Etat ; 

- Abolition des sinécures ; 

- Diminution, dans de justes limites, des traitements qui fournissent le superflu ; 

- Augmentation des traitements qui sont au-dessous des besoins de la famille ; 

- Abolition de l’autocratie de quelque administration que ce soit ; 

- Fixation du minimum de travail exigible de chaque subordonné ; 

- Juste indemnité accordée à tout citoyen à qui l’Etat demande une part quelconque de son temps ; 

- Et pour consacrer tous ces principes, développement de l’intelligence humaine, au moyen d’un vaste système d’éducation nationale donnée à tous et obligatoire pour tous indistinctement, jusqu'à un certain degré. 

Enfin, comme je l’ai dit précédemment, 

Bien-être à tous et pour tous ! 

Tel est le résumé de mes principes, Citoyens compatriotes, s’ils sont conformes aux vôtres, et que vous me supposiez d’ailleurs assez de force et d’énergie de caractère pour les soutenir et les faire triompher, je recevrais vos suffrages avec reconnaissance, avec la ferme volonté de remplir consciencieusement et rigoureusement le haut mandat que vous m’auriez confié,  

Salut et fraternité, 

Votre dévoué compatriote : 

Claude RANNOU, 

instituteur public à Saint-Michel-en-Grève, 

arrondissement de Lannion  

 

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Une candidature isolée d’un homme aussi peu connu dans le département que Claude Rannou n’avait aucune chance de succès. Son nom ne figure même pas dans le procès-verbal du recensement départemental des voix qui porte les noms des cinquante-six candidats ayant obtenu le minimum de 2 000 suffrages. Echec d’autant plus cuisant que le nombre des électeurs inscrits atteignait 167 673 et celui des votants 144 377. En fait Rannou n’avait recueilli que 595 voix.  

M. Alfred Besnier, professeur d’histoire au lycée de Saint-Brieuc a bien voulu m’en donner le détail. « Le nom de Rannou, m’a-t-il écrit, n’apparaît pas sur la feuille de l’arrondissement de Saint-Brieuc (qui comporte 62 noms de candidats) pas davantage sur celle de Dinan (qui comporte 98 noms de candidats ayant obtenu des voix). Dans l’arrondissement de Guingamp 4 voix (2 dans le canton de Guingamp, 2 dans celui de Callac); dans l’arrondissement de Lannion, 574 voix se décomposant ainsi : cantons de Lannion, 82; de La Roche-Derrien, 9; de Lézardrieux, 32; de Perros-Guirec, 76; de Plestin-les-Grèves, 365; de Plouaret, 1; de Tréguier, 9. » 

Souhaitons que le très relatif succès d’estime que Rannou obtint dans la canton où il enseignait, l’ait un peu consolé d’une telle défaite. 

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Ses compatriotes ne l’ayant pas jugé digne de défendre à l’Assemblée Constituante les idées qu’il avait exprimées dans sa prolixe profession de foi, il n’avait qu’à continuer l’exercice de ses fonctions d’instituteur. Bien qu’il en eût indiqué l’importance et la dignité, il n’y apporta pas plus de zèle ni même de conscience. 

Au début de 1850, Rannou, mentionné comme instituteur à Saint-Michel-en-Grève et à Tréduder, est encore noté « mal ». Il perçoit une somme totale de 875 francs (600 francs de traitement fixe, 275 francs de rétribution scolaire). A la fin de cette année 1850 (est-ce une omission ?) il ne figure plus que comme instituteur de Saint-Michel. Il aurait dû se méfier. Sa note demeure « mauvaise ». Ses appointements étant devenus inférieurs à 600 francs (200 francs de traitement fixe et 325 francs de rétribution scolaire), somme au-dessous de laquelle, en application de la loi du 15 mars 1850, ils ne peuvent descendre, force est bien de la compléter au moyen d’une subvention de l’Etat de 75 francs. 

Bien entendu, pas plus qu’avant 1848, il ne figure sur les états de répartition de l’allocation (15 000 francs) votée par le Conseil général des Côtes-du-Nord à titre d’encouragement aux instituteurs publics des écoles rurales. 

Or, il était inévitable que Rannou, à la suite de sa candidature malencontreuse de 1848, verrait ses agissements surveillés avec d’autant plus de soin qu’il avait vu s’accroître le nombre de ses ennemis déclarés, sinon à Saint-Michel, du moins à Plestin. Ils durent apprendre avec satisfaction qui, au mois d’août 1850, à la suite d’une visite à l’inspecteur de l’enseignement primaire, Marre, il avait été l’objet d’une sanction disciplinaire. Aussi jugèrent-ils le moment opportun pour porter plainte contre Rannou auprès du recteur départemental des Côtes-du-Nord et l’accuser d’avoir assisté à une « réunion politique de caractère fort tranché ». 

Le recteur ne se hâta pas de le frapper, attendant sa réponse « pour prendre une décision à son égard ». Rannou ayant formellement déclaré que cette accusation était toute inventée, l’affaire parut classée. Alors furent suscitées de nouvelles plaintes émanant de parents contre l’insuffisance de son enseignement. Indifférence ou lassitude, il ne fit aucun effort pour se ‘rédîmer’ vis-à-vis de ses chefs. Peut-être furent-ils satisfaits de sévir contre un homme ayant affiché des sentiments qui étaient loin d’être conformes à ceux qui avaient cours alors. Mais nulle part il n’est fait allusion à ses opinions politiques, et c’est uniquement pour fautes professionnelles que le recteur prit contre lui, le 30 août 1851, un arrêté de révocation. 

«  Nous, Recteur de l’Académie départementale des Côtes-du-Nord, 

Vu l’article 33 de la loi du 15 mars 1850, 

Vu les visites de l’inspection qui, depuis 1840, signalent que le sr Rannou, instituteur communal de Saint-Michel-en-Grève et de Tréduder comme instituteur très insuffisant et son école comme une école très faible et mal tenue, 

Vu le rapport daté du 4 juin 1851, de M. l’Inspecteur de l’instruction primaire pour les arrondissements de Lannion et de Guingamp, 

Vu l’avis, en date du 8 juillet suivant, de MM. Les Délégués du canton de Plestin, 

Vu les moyens de défense présentés par l’inculpé, 

Considèrant que, malgré la peine prononcée contre lui au mois d’août 1850, à raison de sa négligence habituelle dans l’accomplissement de ses fonctions d’instituteur communal, le sr Rannou ne s’est pas corrigé, 

Considérant qu’on ne saurait laisser plus longtemps en souffrance l’intérêt et le droit des familles qui se plaignent avec raison d’une incurie qui est si préjudiciable à l’instruction de leurs enfants, 

Considérant que la loi du 15 mars 1850, en améliorant la situation des instituteurs, leur a fait un devoir d’autant plus impérieux du zèle et de l’exactitude dans l’accomplissement de leurs fonctions, qu’il serait déplorable que la certitude de toucher 600 francs de traitement, quel que soit le nombre des élèves, quelle que soit la médiocrité de l’école, encourageât l’insouciance de l’instituteur, qu’il importe donc que l’incurie prolongée et coupable du sr Rannou ne trouve des imitateurs, 

Arrêtons, 

Le sr Rannou est révoqué des fonctions d’instituteur communal à Saint-Michel-en-Grève et à Tréduder. 

Saint-Brieuc, le 30 août 1851. 

Le Recteur de l’Académie 

P. LAMACHE. » 

 

Dès le 4 septembre, Rannou était remplacé par un instituteur intérimaire, Guillaume Tilly, de La Roche-Derrien, qui bénéficiait de « tous les avantages attribués à l’ancien instituteur ». 

Tels sont les documents officiels. 

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Bien que Rannou eût du prévoir sa révocation, il se trouva du jour au lendemain, sans grandes ressources et embarrassé de ce qu’il lui faudrait faire. 

Il est probable que ce fut Le Scour qui lui vint en aide. Le barde Itron Varia Rumengol était établi marchand de vins à Morlaix. C’est lui qui dut établir Rannou comme aubergiste (il s’établit dans la Vieille Côte à Saint-Michel-en-Grève. La maison qu’il occupa, qui n’est plus à usage commercial, est la propriété en 1952 d‘une demoiselle Le Clerc) et lui avancer dans de bonnes conditions les boissons dont il allait avoir besoin. En tout cas, il est certain que Le Scour fut amené à lui en faire des livraisons dans la suite. Peut-être même est-ce encore Le Scour, fondateur de la Breuriez Breiz-Izel, qui, connaissant le talent poétique de Rannou, l’enrôla dans l’Association et le poussa à en faire un usage dont il s’était peu soucié jusqu’alors. 

Les années passant, à l’auberge primitive fut adjoint un commerce plus important. Les en-têtes des lettres commerciales portent « Rannou père, à Saint-Michel-en-Grève (Côtes-du-Nord). Vins, Eaux-de-vie, Liqueurs, gros et demi-gros ». Il se peut que cette prospérité ait été due pour une bonne part au savoir-faire et à l’économie de Marie-Yvonne Ollivier, sa femme, qui lui survécut, et peut-être à l’aide des aînés de ses enfants. Mais peut-être aussi était-elle surtout apparente et Le Scour, qui avait « fourni » une bonne part des marchandises, et qui ne pouvait faire d’infinies libéralités, montra-t-il de l’inquiétude quand il apprit que son client n’était pas loin de trépasser. Il dépêcha près de lui un avocat de Lannion, M. Le Brun, sans doute son homme d’affaires, qui eut la triste mission d’aller s’informer de la situation financière du barde de Roc’h-Allaz. Il dut l’accomplir le jour même de la mort de Rannou, car sa lettre est datée de ce jour-là, 12 janvier 1869. 

« J’arrive de Saint-Michel-en-Grève, écrit-il à le Scour. Rannou est à ses derniers moments ; je n’ai pu comprendre que quelques mots qu’il a essayé de prononcer. Si j’ai bien compris la situation, elle se résume comme suit : 

- Valeur immobilère : 13 000. 

- Dette commerciale : 5 000. ».  

Mais ce n’est pas du commerce de Rannou et des événements qui suivirent sa mort qu’il peut être question ici. Ce qu’il faut retenir c’est que le discrédit dans lequel était tombé « l’instituteur » Rannou auprès des habitants de sa commune n’atteignit pas « l’aubergiste » Rannou. Ils s’en montrèrent même un peu fiers quand ils surent qu’il composait des poésies bretonnes que des journaux imprimaient, quand ils le virent recevoir des visites d’étrangers, qui, eux aussi, rimaient en breton et en français et qu’ils surent (car tout se sait au village) que le facteur lui apportait une assez nombreuse correspondance. 

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Le 11 avril 1861, en adressant à Le Scour une chanson à sept couplets Kan da vro Breis - chant à la Bretagne - demeurée sans doute inédite, à Le Scour qu’il appelle « barde excellent », il écrit « L’Ami Guernisson (barde morlaisien) m’a fait le plaisir de me venir voir lors des fêtes de Pâques ». Et il signe Barz Roc’h Allaz. Il se peut qu’il ait en 1863 reçu la double visite de Le Jean et de Le Scour. En tout cas, il avait eu celle de Luzel qui écrivit deux ans plus tard dans la Revue de Bretagne et de Vendée (En Basse-Bretagne. Notes et impressions de voyage) : 

« Saint-Michel-en-Grève semble avoir été occupé anciennement par un poste romain, ou traversé par une voie romaine ; je laisse cela aux antiquaires et aux archéologues ; toujours est-il que M. Rannou m’a affirmé qu’il y a une trentaine d’années, lorsqu’on creusa les fondations de la maison d’école, on y découvrit des substructions, des tuiles, des fragments de poteries et plusieurs médailles romaines. Tout cela est allé rejoindre la collection, si riche et si intéressante, de M. J.-M. de Penguern ».  

Le 6 juin 1864, Rannou somme Le Scour de tenir la promesse que celui-ci lui a faite : « Chose promise, chose due ! Par votre lettre, vous promettez d’arriver bientôt. Nous comptons sur vous...Votre bien affectionné compère et ami, Rannou ». Quelques temps auparavant, il avait encore reçu la visite de Luzel qui reviendra le voir en 1865. 

Il n’est pas peu fier de ses relations épistolaires. Aussi ne manque-t-il pas de faire savoir à Le Scour que « par le facteur d’hier, M. de la Villemarqué a eu l’obligeance de me faire parvenir trois chants bretons ». 

Il ne manqua pas de donner son adhésion au Congrès celtique international de Saint-Brieuc, organisé par Charles de Gaulle (NDLR : à ne pas confondre avec le général), qui, trop malade, ne put assister à ses séances, et par Geslin de Bourgogne, président-fondateur de la Société d’Emulation des Côtes-du-Nord qui en publia le compte rendu en 1868.  

Ce congrès s’était tenu au mois d’octobre 1867. Dans la liste des membres titulaires, on relève les noms de Le Jean « instituteur à Guingamp », et de « Lescour, barde de N.D. de Rumengol, négociant à Morlaix » ; dans celle des membres adhérents, qui ne prirent pas nécessairement part aux travaux du congrès, les noms d’Ernest Renan, « de l’Institut » (il était membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), de Luzel « professeur au lycée de Quimper », du Vicomte de la Villemarqué « de l’Institut , château de Keransker, Quimperlé », de Milin « employé de marine, homme de lettres, Brest », de Rannou « négociant à Saint-Michel-en-Grève, Lannion », de Proux Prosper «négociant, Morlaix ». 

Rannou se rendit-il à Saint-Brieuc ? En tout cas son intervention ne se marqua nulle part. Mais au moins son nom figurait-il parmi ceux des celtisants les plus réputés. 

Pourtant le nombre de ses productions paraît avoir été très réduit. A moins de trouvailles à effectuer par le dépouillement de petits journaux régionaux ou locaux, il ne semble pas qu’aucune ait été livrée à l’impression avant le 15 janvier 1853. Le 5 août 1861, le journal Le Bas Breton publia de lui Laouenedigez da holl Varzed Breiz - Joie à tous les Bardes de Bretagne

Dédié à « Monsieur le vicomte Hersart de la Villemarqué, directeur de la Société des défenseurs de la langue de Basse-Bretagne », ce poème a été, comme les suivants, recueilli dans Eunn Neubeut Gwerziou Brezonek sous le titre Laouenedigez da holl Varzed Breiz. Comme les suivants, il est signé Rannow (NDLR : au lieu de Rannou). Il est alors suivi des deux couplets de six vers en breton et en français que l’auteur du Barzaz-Breiz lui avait adressés pour le remercier de sa dédicace. 

Joie à tous les Bardes de Bretagne ! Certes, ils étaient nombreux ces bardes, qui étaient connus dans la région de Plestin et de Lannion ! Ceux que cite Claude Rannou sont J.-M. Le Jean « le rossignol harmonieux de Coat an Noz », l’abbé Karis « barde de Menez Bré », l’abbé Kemar « barde de Saint-Laurent », Luzel « le grand barde », Prosper Proux «le franc rieur ». Mais ils se nommaient encore J.-P.-M. Le Scour « barde de Notre-Dame de Rumengol », Fr. Guernisson « barde de Keravel ». F.-M. Le Quéré (évangéliste protestant de l’école de Trémel), G.Milin et peut-être Yves Omnès. Il y avait même « l’ouvrier corroyeur » Ch. Le Bras. Tous considéraient alors Le Gonidec et La Villemarqué comme leurs maîtres. Leurs productions étaient publiées dans des revues telles que la Revue de Bretagne et de Vendée, dans des journaux tels l’Ocèan, le Bas-Breton, le Journal de Morlaix, Le Lannionnais, le Journal de Lannion. 

C’est dans cette dernière feuille qu’on retrouve entre le 22 décembre 1864 et le 16 mars 1865 trois des plus célèbres poèmes de Claude Rannou. 

- 22 décembre 1864 : Glac’har-gan, Greg ar Medead - Elégie : La Femme du Marin. 

- 16 et 23 février 1865 : Teutates-Prezegen Fergussoch, Tad ann Druized, dastumel gant Fitilloc’h, Kals Kent Donedigez Jézus-Krist - Teutatès. Discours de Fergussoc’h, chef des Druides, recueilli par Fitilloc’h, bien avant la naissance de Jésus-Christ. 

Dans ce poème, après le long discours de Fergussoc’h, Rannou, sous le prétexte de dire « quelques mots sur ce chant de Teutatès », tient à faire une déclaration qui ne peut être qu’agréable aux membres du Gorsedd de Petite Bretagne : « Notre but est de réhabiliter en ce qu’il a de bon le druidisme si discrédité parmi nous, quoique si peu connu ». 

- 16 mars 1865 : D’am Bro ger Breiz Izel. Kan Kiniget d’Ar Skour Barz I.V. Remengol, gan he genvreur Barz Roc’h Allaz Rannow. - A mon cher pays la Basse-Bretagne. Chant dédié à le Scour, barde de N.D. de Rumengol par son confrère barde de Roc’h Allaz Rannou. 

Le Journal de Lannion étant la propriété de l’imprimeur A. Anger, il est naturel que ce soit lui qui ait édité l’in-8 de 38 pages Eunn Neubeut Gwerziou Brezonek. Quelques chants bretons par C. Rannou. On y lira avec intérêt l’observation suivante, qu’il a introduite dans la ‘Post-Face’ : 

«Bien des lecteurs instruits parlant et comprenant le breton, comme des Français ou des Allemands illettrés parlent et comprennent leurs langue, s’épouvantent quand on leur propose à lire quelque chose en breton, soit manuscrit, soit imprimé. Ils s’excusent en se pâmant comme s’il s’agissait de leur imposer une tâche trop rude et au-dessus de leurs forces. 

Et pourtant la plupart de ces lecteurs lisent parfaitement le latin, voire plusieurs le grec, et même d’autres langues étrangères, et ils se refusent à croire qu’il leur serait possible de lire leur langue maternelle qu’ils ont sous la main, et qu’ils ont l’occasion de parler tous les jours... ».  

C’est également chez A. Anger que parut, sans date, mais en 1864 ou peu après, cette brochure de 60 pages Excentricité d’une petite rivière par U... , initiale qui cacherait le nom de Rannou. 

Le prétexte c’était que « la petite rivière de Pont-Ariar qui sépare la commune de Tréduder de celle de Saint-Michel-en-Grève » avait « par un audacieux coup de tête, bel et bien détaché de la Lieue de Grève, une notable partie pour l’annexer à la commune de Tréduder ». Cet événement c’était produit le 13 février 1864. Après quelques considérations plus ou moins géographiques ou topographiques, l’auteur rappelait les récits souvent dramatiques, relatifs à cette Lieue de Grève « jadis, avec raison, si mal famée ». Il les plaçait dans la bouche de M. Cotty, un ancien maire de Plestin, décédé. 

Personne ne douta à l’époque que U... fût un autre que Rannou. 

«  N’imitons... - faisait-il dire aux deux ruisseaux de la Lieue de Grève, le Yar et le Roscoat - n’imitons ... point ces hommes si peu connaisseurs du passé, ainsi que de l’avenir se permettant de franciser des noms essentiellement bretons. 

...Si un héritage venait à échoir à une famille Le Yaouanc ou à une famille Le Coz, héritage datant de deux cents ans, ou de cent ans seulement, est-ce que ceux qui se font nommer maintenant Le Jeune, ou Le Vieux, pourraient y prétendre ?  

Evidemment non. 

Donc toutes ces permutations de noms sont, ou des anomalies, ou des non-sens, et la langue française me semble trop jeune pour se les permettre ».  

Mais les dangers qu’entraînait, entre autres, le passage de la rivière de Pont-Ariar, ont aujourd’hui disparu, grâce à la loi de 1836 sur les chemins vicinaux. 

Et l’auteur de rappeler que pour être entré dans la rivière sans apercevoir le sommet de la croix de granit plantée dans la grève, le notaire impérial de La Roche-Derrien, Joseph-Yves Le Saux, revenant de Morlaix, se noya dans la nuit du 14 au 15 janvier 1812, qu’il en arriva de même à une inconnue « mendiante supposée », le dimanche 14 mai 1815. 

Puis (c’est-à-dire Rannou) rappelait comment il était , aussi dangereux pour les voyageurs de s’engager dans une certaine coulée de dunes propice aux embuscades. Que de frayeurs causées, la nuit, par le poteau placé près de cette coulée, pour en indiquer l’entrée, et que l’on prenait pour un brigand ! 

Et de raconter très au long l’histoire d’un commis qui, vers 1720, se rendant à cheval à Morlaix, pour les affaires d’un négociant de Rennes, fut dépouillé de sa valise par deux véritables brigands. Leur ayant échappé, il cherche asile dans les terres et croit l’avoir trouvé dans une ferme isolé où il est parfaitement accueilli par le ménager et par sa fille. Or les brigands n’étaient autres que les fils du fermier. Ceux-ci, de crainte d’être dénoncés, se proposent de le faire mourir. Mais, grâce à un subterfuge imaginé par Louizaic, la fille du maître, et à ‘Koup (Pompée)’, la jeune servante, le malheureux commis est sauvé, alors que les deux bandits, qui ont poignardé un mort, tremblent devant celui qu’ils croient être ressuscité. Le dénouement est ce qu’il doit être, pour satisfaire les âmes sensibles. Le vieux ménager, après de sérieuses réflexions, quand Louizaic lui eût révélé les crimes de ses fils, consulte un de ses amis et dénonce lui-même les coupables. Ils sont arrêtés, jugés et pendus, mais le jeune commis se mariera à Louizaic. Il emmène à Rennes sa femme et son beau-père qui, dans la famille de son gendre sera « respecté, vénéré comme père à tous ». 

Evénements qui paraissent véritables, s’il est vrai qu’en 1832 un des petits-fils des deux jeunes gens tenait à Rennes « sur la place Sainte-Anne un riche café très renommé et surtout très fréquenté ». 

Y avait-il comme une promesse - promesse que Rannou n’aura pas tenue - dans ces quelques phrases de la fin de brochure ‘précées’ dans la bouche de l’ancien maire de Plestin ? 

«...Si  j’avais été plus jeune, je me serais fait un plaisir, un devoir de réunir toutes ces histoires dans un recueil aussi complet que possible. 

J’aurais recueilli tout ce que la tradition nous a conservé au sujet du couvent druidique qui existait autrefois auprès de l’un des mamelons de Roc’h Allas ou Grand Rocher, la légende merveilleuse de saint Efflam, son dragon, sa fontaine miraculeuse ; du cataclysme qui changea en un immense désert de sable les verdoyantes prairies, les bois touffus qui existaient jadis ici ; de cette croix en face de nous sur la grève, croix qui depuis tant de siècles brave toute la fureur des flots ; des prouesses de Rannou-le-Fort, vrai Samson breton ; de Lexobie et de ses vestiges qui attestent encore une puissance éclipsée ; du dernier Brigand qui a effrayé ces parages, et qui expie en ce moment au bagne quelques-uns de ses nombreux forfaits ; en un mot j’aurais réuni une masse énorme d’histoires et de légendes qui finiront par se perdre entièrement dans la nuit des temps, si l’on ne prend la peine d’en faire un livre aussi amusant qu’instructif. 

Vous êtes jeunes, vous autres, et pourrez entreprendre cet utile ouvrage ». 

On ne peut dire cependant, s’il n’a pas réalisé cet hypothétique projet, que Claude Rannou fut surpris par la mort. Elle le prit à l’âge de soixante ans, le 12 janvier 1869, à cinq heures du soir. La déclaration du décès du « commerçant » Rannou fut faite par François Huard qui avait été nommé instituteur le 18 janvier 1854 à Saint-Michel-en-Grève où il exerçait en outre les fonctions de secrétaire de mairie, et par le juge de paix Louis Rouxel, ses amis. 

Le 30 janvier, le journal Le Lannionnais reproduisit l’entrefilet suivant du journal Le Breton : 

« Un de nos correspondants nous annonce la mort de M. Claude Rannou, ancien instituteur au bourg de Saint-Michel-en-Grève, près de Lannion. 

Comme poète breton, M. Rannou avait acquis une certaine célébrité et ses chants populaires étaient justement appréciés par tous les amateurs de notre vieille langue celtique ; ce qui lui avait mérité le titre de Barde de Roc’h-Allas. M. Rannou est mort bon chrétien, entouré des secours de la religion ». 

 [ Inspiré des articles que Léon Dubreuil a publié en 1952 dans la Nouvelle Revue de Bretagne (revue aujourd’hui disparue)]