Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

Les Dames de St-Thomas de Villeneuve et son fondateur le Père Ange Le Proust.

  Retour page d'accueil       Retour "Ville de Lamballe" 

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Le couvent des Filles-Saint-Thomas, appelé aussi couvent des Filles-de-Saint-Thomas-d'Aquin était un vaste monastère, situé à Paris sur l'emplacement actuel du palais Brongniart jusqu'à la Révolution française. Les filles de Saint-Thomas étaient des religieuses hospitalières et leur couvent fut fondé en 1626 à Paris par Anne de Caumont.

De son vrai nom Pierre Le Proust, le Père Ange Le Proust naît à Châtellerault le 3 décembre 1624. Il vit une grande partie de sa jeunesse à Poitiers. Il prononce ses voeux le 25 mars 1642 et devient ainsi religieux membre de la branche réformée dite des Petits-Augustins de la Province de Bourges. En 1652, il est envoyé au couvent de Lamballe, comme "professeur de philosophie et lecteur" chargé des lectures liturgiques. En 1659, il est nommé Prieur du couvent de Lamballe et fonde en 1661 une "société des dames se mettant au service des plus pauvres" (la future Congrégation Saint-Thomas-de-Villeneuve). En 1662, il est nommé "Visiteur des couvents de l'Ordre" puis retrouve sa charge de professeur de théologie à Rennes puis à Paris, où il meurt à 73 ans le 16 octobre 1697 et est inhumé dans le cloître du couvent des Petits-Augustins de Paris. Aujourd'hui, le père Ange Le Proust est enterré près de l'autel de la chapelle, à la maison-mère de la Congrégation où il a été transféré.

Le Père Ange Le Proust

****** 

Au commencement du XIVème siècle, il y avait, près de Lamballe, en dehors des murs, un monastère de religieux pénitents, qu'on appelait les Frères Sachets, à cause de l'espèce de sac dont ils se couvraient la tête.

En l'année 1317, le duc Jean III, de son autorite privée, et sans avoir l'assentiment du souverain Pontife, donna la maison des Frères Sachets aux ermites de Saint-Augustin. Cette usurpation des droits de l'Eglise fut punie par une sévère excommunication ; mais quelque temps après, les choses s'arrangèrent : le duc se soumit, le Pape pardonna et ratifia le nouvel établissement des Augustins.

Les libéralités des seigneurs du pays vinrent bientôt enrichir le couvent. Olivier de Tournemine, seigneur de la Hunaudaye, donna, en 1337, six vingt livres de rente, et voulut être inhumé, ainsi qu'Isabeau de Machecoul, sa femme, dans le chœur de la chapelle. En 1378, le seigneur du Vauclair, en Pléneuf, créa, au profit des religieux, une rente de soixante-douze perrées de froment. Somme toute, le revenu de la maison était de six mille livres. Des bâtiments spacieux, un vaste enclos, une belle chapelle du XIVème siècle, embellie encore au commencement du XVIème siècle par d'élégantes additions, faisaient de ce couvent un des principaux établissements de la congrégation des Augustins en Bretagne. Les religieux de Lamballe, comme ceux de Rennes et de Vitré, appartenaient à la Réforme de Bourges, et étaient par conséquent de ceux qu'on désignait sous le nom de Petits-Augustins. Il n'y eut jamais au monastère de l'Ave-Maria (c'était le titre de la maison de Lamballe) plus de cinq ou six profès ; mais la congrégation y avait un de ses collèges, sorte de noviciat où l'on instruisait les jeunes gens qui se destinaient à entrer dans l'ordre.

Telles étaient les origines et la situation du couvent des Augustins-lez-Lamballe, lorsqu'en 1659, le Père Ange Le Proust vint le gouverner en qualité de prieur.

Le P. Ange n'était pas né Breton, mais il nous appartient par ses œuvres, et le diocèse de St-Brieuc met justement au nombre de ses plus chères illustrations, le fondateur des Dames de Saint-Thomas de Villeneuve. On manque de documents imprimés touchant la vie du P. Ange et les origines des Dames de Saint-Thomas ; une lettre publiée à la suite des constitutions de l'ordre, deux pages du P. Helyot, où il se plaint du peu d'empressement que l'on a mis à lui ouvrir les archives de la Congrégation, c'est, avec la notice de l'abbé Tresvaux, au cinquième volume des Vies des Saints de Bretagne, tout ce que nous connaissons. Le P. Nivard, augustin et petit neveu du P. Ange, entreprit, en 1748, d'écrire l'histoire de son saint oncle. Le biographe n'avait malheureusement, pour remplir cette tâche, aucune autre qualité que sa piété filiale, et cela n'a point suffi ; de sorte qu'il y a très-peu de choses utiles à retirer de son volumineux manuscrit, qui n'a jamais été publié et ne méritait point de l'être. Les registres et mémoires particuliers des Dames de Saint-Thomas renferment, au contraire, des détails pleins d'intérêt sur les commencements de cette pieuse et utile congrégation. Plus heureux que le P. Helyot, M. l'abbé Marsouin, ancien vicaire de Lamballe, a pu dépouiller ces dévotes archives, et, avec une obligeance dont nous ne saurions trop le remercier, il a bien voulu mettre à notre disposition les notes à l'aide desquelles nous entreprenons d'écrire cette page importante de l'histoire de l'évêché de Saint-Brieuc.

Pierre Le Proust, né le 24 décembre 1624, fut l'aîné des neuf enfants de maître Le Proust, procureur au présidial de Poitiers, et de demoiselle Magaud, son épouse. Les heureuses dispositions que le petit Pierre avait reçues du ciel furent merveilleusement développées par une éducation chrétienne et par les saints exemples du foyer paternel, et le jour où il terminait ses études, le pieux écolier, dégoûté d'un monde dont il avait entrevu les déceptions à travers ses méditations et ses prières, s'en allait frapper à la porte du couvent des Petits-Augustins de Poitiers. Les supérieurs jugèrent que l'âge du postulant ne permettait pas de reconnaître encore une vocation bien déterminée et ajournèrent son entrée au noviciat. Le jeune Le Proust dut se soumettre à cette épreuve ; mais il vécut au milieu du siècle comme s'il avait déjà revêtu l'habit monastique, et, chaque jour, à chacun de leurs offices, les Augustins le virent dans leur chapelle unissant ses prières et ses chants aux prières et aux chants de la communauté. Enfin, après dix longs mois d'attente, les portes du couvent s'ouvrirent devant lui et il prit l'habit le 21 mars 1641. Ce fut alors que l'on changea, suivant l'usage, le nom de Pierre, qu'il avait reçu au baptême, et qu'on lui donna celui de frère Ange, qu'il devait justifier par sa virginale sainteté et son ardente charité. Le novice se montra si fervent, on le reconnut si manifestement appelé à la vie religieuse, que, bien qu'il n'eût pas encore dix-huit ans accomplis, on l'admit à prononcer ses vœux le 25 mars 1642. Il quitta le couvent de Poitiers pour aller terminer ses études et se préparer au sacerdoce, dont son humilité l'éloignait, mais où l'appelaient sa vertu, son mérite et la volonté expresse de ses supérieurs. A peine eut-il reçu les ordres sacrés, qu'on lui donna la lourde tâche d'enseigner la philosophie et la théologie. Les leçons du jeune professeur obtinrent un succès rare et bientôt le P. Ange eut, dans les universités de Poitiers, de Bourges et de Paris, une réputation incontestée.

Dix années s'étaient écoulées dans cette calme et laborieuse carrière de l'enseignement, quand le P. Le Proust reçut ordre de se livrer au travail de la prédication. Il parcourut en apôtre le Poitou, le Berri, la Bretagne ; il prêcha à Paris même, et partout sa parole simple et franche obtint d'immenses et merveilleux résultats ; ce n'était point un orateur brillant ni un élégant rhéteur, mais c'était un théologien plein de science et un ardent missionnaire, qui ne laissait aucun doute à l'esprit et savait admirablement le chemin du cœur.

Voila ce que nous connaissons do la vie du P. Ange Le Proust, jusqu'au jour où il fut élu prieur des Augustins de Lamballe, dans un chapitre tenu à Montmorillon, en 1659, sous la présidence du R. P. Paul Luchini, géneral de l'ordre. Le géneral confirma cette élection, séance tenante.

L'ancien Hôtel-Dieu de Lamballe (Bretagne).

Le premier soin du nouveau prieur fut de célébrer, avec toute la pompe possible, la fête de la canonisation de Saint Thomas de Villeneuve, archevêque de Valence, au XVIème siècle, que l'ordre de Saint Augustin comptait au nombre de ses plus hautes et de ses plus chères illustrations, et que le pape Alexandre VII venait de mettre solennellement au nombre des saints. Or, tandis que le P. Ange méditait pieusement la vie de Saint Thomas, il se sentit fortement pénétré d'une pensée, qui venait de Dieu sans doute, et qui le portait à se consacrer tout entier au service des pauvres, pour imiter la merveilleuse charité qui fut la principale vertu de l'archevêque espagnol. Il conçut, en même temps, le projet de fonder une congrégation spécialement vouée au soin des hôpitaux, et qui prendrait pour patron et pour modèle Saint Thomas de Villeneuve.

C'était, certes, un dessein admirable au point de vue de la Bretagne surtout, dont les hôpitaux étaient laissés dans le plus triste abandon ; mais ce dessein ne pouvait s'accomplir en un jour et à la légère ; le P. Ange ne se hâta point ; il garda son inspiration dans son cœur, la féconda par la prière et ne la communiqua qu'aux personnes dont les avis pouvaient le diriger sûrement dans son entreprise. Il eut, entre tous, pour confident et pour conseil, son confrère le P. Chaboisseau, qui avait, en Bretagne, une réputation universelle de sagesse et de piété.

Enfin, le moment d'agir arriva : après avoir été prieur pendant trois ans, le P. Ange fut nommé visiteur, et, plus libre désormais de son temps et de ses actions, continua de résider à Lamballe. Déjà, il avait pu former une pieuse association de demoiselles de la ville, qui, sous le nom de Confrérie de la Charité, visitait et secourait les malades à domicile ; ce n'était alors qu'une œuvre essentiellement séculière, quelque chose comme toutes les associations de bienfaisance qui se multiplient si heureusement de nos jours, comme la Société de Saint Vincent-de-Paul, par exemple ; aucune règle positive, aucun lien religieux ne servait de base et n'assurait l'avenir. Ce n'était évidemment pas là ce que le prieur des Augustins avait conçu sous l'inspiration de Saint Thomas de Villeneuve ; mais ce fut cependant au milieu des jeunes personnes agrégées à la Confrérie de la Charité, que le P. Ange alla chercher les trois femmes d'élite qui devaient être les fondatrices de l'ordre hospitalier de Saint-Thomas, et, dans ce sens, on peut dire que la confrérie a été comme le berceau, comme l'essai, comme le noviciat de l'ordre.

Le 10 février 1661, la communauté de ville de Lamballe traitait avec Mesdames Gillette de La Pommerays, Laurence Dubreuil et Anne du Canton, et leur confiait l'administration de l'Hôtel- Dieu.

L'hôpital où les trois nobles femmes allaient exercer leur sublime mission de dévouement existait dès l'an 1391 : il était alors connu sous le nom de Prieuré de l'Hôtellerie ; c'était un de ces asiles ouvert à la fois aux infirmes et aux pèlerins par la charitable hospitalité de quelque seigneur. Dans le courant du XVIème siècle, on réunit à l'Hôtel-Dieu l'hospice de la paroisse de Saint-Martin. Les bâtiments devinrent dès-lors insuffisants et les malades, qui ne pouvaient être admis dans la maison, recevaient des secours à domicile. Les revenus de l'établissement, qui consistaient dans les droits d'un petit fief à Lamballe même et dans quelques rentes, étaient administrés par la communauté de ville, sous l'autorité d'un gouverneur, nommé par la municipalité : quelques mercenaires distribuaient aux indigents des soins inintelligents et avares.

La ville de Lamballe sut apprécier le dévouement des filles du P. Le Proust. Leur installation à l'Hôtel-Dieu se fit avec la plus grande pompe, le 2 mars 1661. Le clergé et les magistrats de la ville les conduisirent solennellement à leur nouvelle demeure, et l'on chanta le Veni, Creator au milieu d'une foule immense accourue de toutes les paroisses voisines. Il est vrai que c'était un merveilleux et émouvant spectacle de voir ainsi trois demoiselles, dans la fleur de leur jeunesse et de leur beauté, riches d'un noble nom et appartenant aux premières familles du pays, dire adieu au monde qui les enviait, aux jouissances qui leur étaient promises, à leur famille qui les pleurait, pour se consacrer aux plus pauvres et aux plus abandonnés, aux malades et aux infirmes.

Mademoiselle Gilette Le Bohu de la Pommerays, fille de Pierre Le Bohu, écuyer, et de dame Hélène Le Borgne, était née dans la paroisse de Saint-Aaron, proche Lamballe. Ses parents recevaient nombreuse et brillante compagnie ; elle avait quitté, toute jeune encore, la maison paternelle, et s'était retirée à Lamballe, dans le plus modeste des appartements, pour être entièrement libre dans ses dévotions et dans ses charités. Le P. Ange, frappé de ses vertus et de son mérite, l'avait tout d'abord choisie pour être la première fondatrice et la supérieure de l'ordre qu'il voulait fonder : Mlle de la Pommerays, s'il faut en croire les chroniques des Dames de Saint-Thomas, était par ailleurs une femme remarquablement belle, à l'air modeste et simple, à l'abord grâcieux et prévenant.

Mademoiselle Laurence Dubreuil appartenait à une famille qui tenait le premier rang dans la bourgeoisie de Lamballe. Son père occupa les charges les plus élevées de la magistrature municipale, et il était gouverneur de l'Hôtel-Dieu, l'année même où sa fille y entra. Il ne contraria en rien la vocation de Mlle Dubreuil, et mit au contraire à favoriser le nouvel établissement le zèle d'un vrai chrétien et d'un sage administrateur. Une vive et profonde amitié unissait déjà Mlle Dubreuil à Mlle de la Pommerays, lorsqu'elles étaient toutes les deux dans le monde : cette affection se fortifia encore dans l'intimité de la vie religieuse. La mère Dubreuil fut dès le principe chargée de la difficile mission de former les novices ; elle mourut à l'âge de trente-cinq ans : les austérités avaient prématurément usé une constitution naturellement forte et robuste.

Mademoiselle Anne Le Maignan du Canton, était aussi née à Lamballe : elle était fille de Messire Jean Le Maignan et de dame Jacquette Le Boissier. C'était une femme d'une capacité extraordinaire ; nous dirons plus tard la part immense qu'elle prit à l'établissement stable et régulier de la société.

Le jour où les trois premières Dames de Saint Thomas de Villeneuve prirent possession de l'Hôtel-Dieu de Lamballe, on put dire véritablement que l'œuvre du P. Ange était réalisée, que la congrégation dont il avait eu l'heureuse et féconde idée était fondée ; cependant aucun vœu religieux, aucune règle spéciale, aucun costume monastique n'étaient encore imposés : ce fut plus tard et après que les maisons de l'ordre se furent rapidement multipliées, que le pieux fondateur consigna dans des constitutions écrites, les règles que ses charitables filles avaient apprises de sa bouche et qu'elles étaient déjà habituées à pratiquer.

Un an après leur entrée à l'Hôtel-Dieu, les trois fondatrices virent venir à elles une jeune novice dont la fortune devait être d'un grand secours pour les développements de la société naissante : c'était Mademoiselle Le Nepvoux Ferblet de la VilIeanne. Mariée presque enfant à un gentilhomme de Lamballe, elle resta veuve très-peu de temps après son mariage. Elle avait jusque-là beaucoup aimé le monde où elle était admirée ; mais le coup imprévu qui la frappait, la changea entièrement : elle sanctifia son deuil par la pratique de toutes les bonnes œuvres et demanda bientôt à être admise, elle aussi, dans la congrégation des Dames de Saint-Thomas. Ce fut elle qui, avec la mère Lesné de Penfeunteun, fut envoyée, en 1666, fonder la maison de Moncontour, où elle mourut, en 1670. Déjà, la mère de la Pommerays et la mère Anne Guillemot de Vauvert avaient établi une première colonie à Saint-Brieuc. Les Dames de Saint-Thomas furent appelées à Moncontour par le célèbre M. Leuduger. C'était M. Leuduger, alors curé de Saint-Mathurin de Moncontour, qui avait relevé l'hôpital de cette ville, et qui en avait agrandi les bâtiments de manière à pouvoir joindre à l'hôpital une maison de retraites, qui fut également confiée aux Dames de Saint-Thomas.

Le P. Ange eut bientôt des établissements à Dol, à Saint-Malo, à Rennes, à Quimper, à Concarneau, à Landerneau, à Brest, à Morlaix, à Malestroit, à Châteaubriand. Plus tard, son ordre sortit de la province et posséda à Paris jusqu'à quatre maisons.

Toutes ces fondations ne se firent pas sans que le fondateur eût à surmonter bien des obstacles. Dieu ne ménage pas les épreuves à ceux dont il a voulu faire ses instruments. Tantôt il fallait traiter avec des gouverneurs d'hospice bizarres et stupides ; tantôt il fallait soutenir des procès pour recouvrer ou conserver les biens des pauvres : c'était une activité de tous les jours et de toutes les heures. Les confrères du P. Le Proust blâmèrent hautement un zèle qu'ils regardaient comme exagéré et contraire à l'esprit de leur ordre ; mais lui, fort de la protection d'en haut, marcha toujours vers son but sans regarder en arrière et sans dévier d'un pas.

Ce qu'on raconte de sa charité est merveilleux. Après avoir récité, à minuit, l'office des religieux, il prenait à peine une heure de repos et se rendait à l'hospice, où il prodiguait aux malades les soins les plus pénibles et les plus rebutants ; mais il recommandait sur cela le secret le plus profond, afin que ses filles ignorassent quel était l'auxiliaire mystérieux qui leur était donné. Pendant longtemps, en effet, les hospitalières trouvaient chaque matin leurs salles rangées et nettoyées, sans savoir à qui elles devaient ces bons offices ; enfin, le P. Ange fut découvert : les religieuses lui représentèrent que cette pieuse fraude les empêchait de remplir elles-mêmes un des devoirs essentiels de leur vocation et le charitable fondateur dut renoncer à sa visite matinale.

Cet amour immense pour les pauvres, qui dirigeait toutes les actions du P. Ange, prenait sa source dans l'esprit de pauvreté évangélique dont il était pénétré.

Il pratiquait héroïquement cette vertu du détachement des choses périssables, qui est, avec le renoncement à la volonté propre, la base de la vie religieuse. On le voyait passer avec des habits usés, des chaussures en lambeaux, exposé à toutes les injures de l'air. En voyage, il s'arrêtait dans les auberges de plus chétive apparence ; comme un mendiant, se coucher dans la grange ou dans l'étable et ne voulait jamais pour ses repas qu'un morceau de pain bis, partageait avec le premier pauvre qu'il trouvait sur son chemin. C'est ainsi qu'il parcourut la Bretagne pour y semer les maisons de sa congrégation. Si ses œuvres le faisaient admirer comme un grand homme, son costume et son genre de vie lui attiraient quelquefois les humiliations qu'il recevait comme une faveur de Dieu. Pour en témoigner sa reconnaissance, il se livrait avec une nouvelle ardeur à la pratique de la charité : s'il rencontrait un lépreux ou un pestiféré abandonné de tous, il allait s'asseoir à son chevet, le confessait, le soutenait dans l'agonie et ensevelissait de ses propres mains ce cadavre infect et empesté. Comme son divin Maître, il marquait ses traces par des bienfaits.

Le courage qui lui était nécessaire pour pratiquer de telles vertus, le P. Ange le demandait à une piété ardente et sincère. Il n'y avait ni travail, ni fatigue qui lui semblât un motif de s'exempter de la célébration des saints mystères. Un jour qu'il cheminait au milieu de l'été, tourmenté d'une soit ardente, il avala un peu d'eau ; mais, tout aussitôt, se rappelant qu'il n'avait point encore dit la messe, il se prit à pleurer à chaudes larmes et sa douleur fut extrême.

Le 15 avril 1669, un coup bien rude et bien difficile à supporter vint frapper le P. Le Proust et l'ordre des Dames de Saint-Thomas ; ce jour-la, la mère de La Pommerays, la principale fondatrice, la supérieure de la congrégation, rendait son âme au ciel.

Après avoir visité les maisons qui s'étaient successivement fondées en Bretagne, la mère de La Pommerays était revenue à Lamballe. Dans les premiers jours du mois d'avril 1660, le P. Ange l'envoya de nouveau à Saint-Brieuc : elle tomba malade en arrivant et, quelques jours après, elle n'était plus. La ville de Saint-Brieuc lui fit des funérailles magnifiques. Lamballe, à son tour, fit célébrer pour elle un service solennel auquel assistèrent tous les prêtres, les gentilshommes et les magistrats du pays. Le P. Ange regarda toujours la mère de La Pommerays comme une sainte et il disait souvent à ses religieuses : « Si vous voulez bien faire, souvenez-vous comment elle faisait et faites comme elle a fait ». Une sœur lui demandait un jour quelle avait été la principale vertu de la défunte : « Elle aimait toutes les vertus, répondit le P. Ange, mais sa soumission lui a mérité de grandes grâces et en a fait en peu une très-grande sainte ».

A la mère de La Pommerays succéda, en qualité de supérieure de la maison principale, la mère Anne du Canton. Ce fut alors que le fondateur songea à rédiger les constitutions de sa société, désormais consolidée. La règle des Dames de Saint-Thomas n'est autre chose que la règle du Tiers-Ordre de Saint-Augustin ; mais les constitutions ont voulu que la société fût gouvernée par une supérieure générale, élue par toutes les sœurs. La supérieure est secondée par des assistantes, élues comme elle. Les supérieures des maisons appartenant à la congrégation sont, au contraire, nommées et révoquées par la supérieure générale.

Aussitôt que les statuts furent dressés, la mère du Canton s'occupa de faire approuver l'ordre naissant. Le roi accorda des lettres patentes, qui furent homologuées par le parlement de Bretagne. Ce fut encore la mère du Canton qui donna un habit monastique à ses religieuses et qui obtint que les filles de Saint-Thomas s'engageassent par des vœux.

Toutes ces affaires si importantes étaient à peine terminées, lorsque le P. Le Proust fut élu, en 1671, provincial de la province de Saint-Guillaume, qui comptait trente et une maisons, dont deux étaient situées en Lorraine. Cette charge importante le força d'abandonner, pour un temps, la congrégation de Saint-Thomas de Villeneuve. Son absence se prolongea pendant huit longues années ; il revint en Bretagne, en 1679, pour ne plus s'occuper que de sa chère société, et le reste de ses jours fut entièrement consacré à assurer l'avenir de son œuvre.

La mère Anne du Canton sembla n'attendre pour mourir que le retour du P. Ange. En 1680, elle fut atteinte d'une fluxion de poitrine. Se voyant à sa dernière heure, elle appela près d'elle toutes ses sœurs ; elle leur recommanda l'amour des pauvres et l'obéissance à la règle, elle leur donna ensuite sa bénédiction et s'endormit paisiblement.

Les archives de la maison de Lamballe rapportent que, quelque temps après sa mort, la mère du Canton apparut, à différentes reprises, à toute la communauté réunie, pour édifier et instruire encore les religieuses qu'elle avait si bien gouvernées pendant sa vie. Des témoins oculaires racontent les détails de ces apparitions étranges ; mais j'aurais peur, en les écrivant à mon tour, de jeter au vent le parfum caché de ces naïves légendes et je laisse, non sans quelques regrets, le soin de les publier à une plume moins profane.

La communauté de ville de Lamballe, voyant les heureux changements que les Dames de St-Thomas avaient apportées à l'administration du Petit-Hôpital, proposa, en 1684, à ces charitables filles de se charger également du second hospice de la ville, lequel était connu sous le nom de Grand-Hôpital. Cette maison, fondée à je ne sais quelle époque, était destinée principalement à recueillir les enfants trouvés et les vieillards indigents. Les Dames de Saint-Thomas accédèrent aux désirs de la communauté de ville. Le 5 novembre 1684, la mère Jeanne Le Blanc de Boissanne entrait au Grand-Hôpital. Elle était accompagnée d'une sœur converse et munie d'une petite somme d'argent que les religieuses de l'Hôtel-Dieu lui avaient donnée.

Nous avons, écrit de la main de la mère Jeanne de Boissanne, le touchant récit de son entrée dans cet hospice, qu'elle venait régénérer. Ce manuscrit renferme des détails précieux qui nous montrent à nu l'état pitoyable où se trouvaient réduits les hôpitaux confiés à des économes mercenaires. La charité ne se tarife pas.

Lorsque la mère de Boissanne entra dans l'hôpital, elle fut fort étonnée de ne voir personne. Elle appela à plusieurs reprises, nul ne répondait ; enfin, avec un long effort, une tête se souleva à demi, du milieu d'un tas de fumier, et dit d'une voix mourante : « Au nom de Dieu, assistez-nous ! ». La religieuse découvrit alors ce quelque chose qui gémissait et rampait dans une paille infecte : c'étaient les enfants de l'hospice. Ils n'avaient vu personne depuis la veille et mouraient littéralement de faim ; les moins affaiblis étaient allés mendier par la ville ; les autres restaient abandonnés, attendant la mort. La mère de Boissanne court à la cuisine, à l'office ; tout était vide : elle dépêche la sœur converse vers la supérieure de l'Hôtel-Dieu, qui se hâte d'envoyer du vin, du bouillon, des biscuits et des œufs. Les pauvres enfants commençaient à revivre ; la religieuse, après avoir ainsi pourvu à leurs plus pressants besoins, voulut mettre ces petits malheureux plus à l'aise dans leurs lits ; mais quand elle eut soulevé les misérables haillons qui les couvraient, elle reconnut qu'ils n'avaient, les infortunés, ni draps, ni chemises, ni couvertures ; leur couche n'était qu'un monceau de guenilles toutes pourries et pleines de vers. A ce spectacle, la charitable hospitalière ne fut plus maîtresse d'elle-même ; elle se prit à pleurer à chaudes larmes et elle s'abandonnait au découragement, quand survint M. Jacques Lesné, recteur de Saint-Martin : « Consolez-vous, Madame, dit le prêtre ; il faut avoir confiance en Dieu : soyez leur mère ; moi, je leur tiendrai lieu de père ». Il sortit, laissant la religieuse consolée, et, bien que la terre fût couverte de neige, et qu'il fût presque impossible de se procurer des fourrages, il revint, avant la nuit, avec deux charretées de paille et deux douzaines de couvertures. Le bon recteur ne s'en tint pas là ; il visita les plus riches maisons de la ville et sa quête fut assez heureuse pour que tous les enfants eussent des draps et des chemises et pussent être convenablement couchés dès le premier soir.

Ce seul exemple donne la mesure des misères affreuses que le P. Ange avait voulu soulager et du service immense que ce saint religieux rendit à l'humanité en fondant l'ordre de Saint-Thomas de Villeneuve.

Cependant, le pieux fondateur, affligé par des infirmités graves et succombant sous la fatigue de sa vie laborieuse, bien plus encore que sous le poids des années, comprit que sa carrière était finie et se retira pour mourir dans le couvent des Petits-Augustins de Paris. Il se prépara à la mort par un redoublement de piété ; il voulut repasser, dans une confession générale, toutes les actions de sa vie ; et, lorsqu'on lui apporta les derniers sacrements, il se fit mettre à genoux sur le sol et laissa éclater les sentiments d'amour et d'humilité dont son cœur était plein, dans une sublime paraphrase des Psaumes de la Pénitence. Il mourut le 16 octobre 1697.

On grava sur son tombeau cette épitaphe bizarre, qu'il ne nous est pas donné de comprendre :

Passant, si sur la terre on voyait des mélanges
D'esprits célestes et de corps,
Parmi les vivants et les morts
Tel que fut celui-ci, tels tu verrais les anges.

La maison des Petits-Augustins, de Paris, dans le cloître de laquelle fut inhumé le P. Ange, est aujourd'hui l'Ecole des Beaux-Arts. En 1834, les Dames de Saint-Thomas, ayant appris que le cloître allait être démoli, obtinrent la permission de transporter les restes de leur fondateur, dont la Révolution avait respecté le tombeau, dans la chapelle de leur maison principale, rue de Sèvres. Monseigneur de Quélen archevêque de Paris, voulut présider lui-même à cette translation et rendre ainsi un dernier hommage au bienfaiteur de la Bretagne.

Le P. Ange, avant de mourir, avait confié le soin de sa congrégation à Madame de Volvire du Bois-de-la-Roche, qu'il nomma procuratrice de l'ordre, et à la Mère de la Villemereux, supérieure générale. Les heureux progrès de cette société ont continué depuis lors : la tourmente révolutionnaire ne fut pour elle qu'une courte épreuve, et, en Bretagne, il y eut des maisons que les religieuses ne quittèrent pas même au plus fort de la Terreur.

Le Grand-Hôpital de Lamballe avait pour supérieure, en 1789, la Mère La Villéon, qui fit d'abord une espèce de soumission et assista à la messe des prêtres-jureurs ; bientôt, repentante de ces démarches que réprouvait tout son ordre, cette religieuse se rétracta et dut quitter sa maison : dès le lendemain, on installa, pour remplacer les hospitalières, trois citoyennes dont je tais le nom. Mais un débris de la communauté, une sœur converse, nommée Marie-Françoise, était restée comme une protestation vivante ; au bout de quatre ou cinq ans, les autorités civiles, voyant que l'hôpital, sous l'administration des citoyennes, était précisément dans les conditions où la mère de Boissanne l'avait trouvé plus d'un siècle auparavant, demandèrent avec instance à Madame Walsh de Valois, générale de l'ordre, le retour des Dames de Saint-Thomas.

Le Petit-Hôpital de Lamballe ne fut jamais abandonné par les religieuses. La supérieure, la Mère de Mauny, fut bien incarcérée et remplacée aussi par une citoyenne ; mais la Mère Boixière continua toujours de soigner les malades, et, comme on savait à quoi s'en tenir sur le compte des infirmières à gages, on laissa la bonne religieuse continuer à faire du bien.

La maison principale de l'ordre de Saint-Thomas est aujourd'hui et depuis longtemps la maison de Paris, où réside la supérieure générale ; le Petit-Hôpital de Lamballe a été converti en maison de retraite pour les religieuses âgées et infirmes qui y sont envoyées de tous les autres couvents ; c'est ainsi qu'elles viennent se reposer dans les lieux qui furent l'humble berceau de leur congrégation.

(M. S. Ropartz).

© Copyright - Tous droits réservés.