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Françoise d'Amboise, duchesse de Bretagne et religieuse carmélite.

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La bienheureuse Françoise d'Amboise naquit en 1427 ; elle eut pour père Louis d'Amboise, vicomte de Thouars, et pour mère Marie de Rieux. La famille d'Amboise était l'une des plus illustres de France ; celle de Rieux figurait au premier rang parmi les familles de Bretagne, et possédait la baronnie d'Ancenis. Il est probable que la Bienheureuse vit le jour au château de Thouars, où son père faisait alors sa résidence. Elle n'avait encore que quatre ans, lorsqu'elle fut fiancée, le 21 juillet 1431, à Pierre, second fils de Jean V, duc de Bretagne, et conduite à la cour de ce prince, pour y être élevée, en attendant l'époque de son mariage.

L'épouse de Jean V, Jeanne de France, soeur du roi Charles VII, prit un soin particulier de la petite Françoise. Cette princesse, l'une des plus vertueuses de son temps, avait été formée à la vie spirituelle par saint Vincent Ferrier, qui venait de mourir à Vannes, en 1419. « En cet âge tendre et enfantin, dit un vieil historien de la Bienheureuse, elle donnait des présages et indices manifestes de ce qu'elle serait un jour. Elle était d'un naturel doux et paisible, ne fâchait aucun, et, lorsqu'elle s'éveillait en son berseau, ne criait aucunement ; mais levant les yeux au ciel, ses petites mains jointes ou croisées sur la poitrine, demeurait comme ravie et extasiée en quelque profonde contemplation, excitant à la dévotion ceux qui expressément épiaient de la surprendre en tels ravissements ».

Ce qui était surtout remarquable en Françoise, c'était son amour pour Notre-Seigneur dans le sacrement de l'autel. Lorsque le prêtre montrait au peuple la sainte hostie, la pieuse enfant versait souvent des larmes de dévotion. Un jour de fête, elle pleurait ; la duchesse Jeanne voulut savoir le sujet de son chagrin : « Hélas !  madame, répondit en sanglotant la jeune sainte, Monseigneur et vous, et toute la cour, avez, ce jour, joui d'une grande faveur, ayant reçu le corps de notre Sauveur, et moi seule, faute d'âge, je suis privée de ce bien !  Jugez, s'il vous plaît, si je n'ai pas sujet de pleurer. ». Le Père Yves de Pontsal, dominicain, confesseur de la duchesse Jeanne, et qui devint plus tard évêque de Vannes, crut devoir récompenser la dévotion de la petite Françoise, en lui faisant faire sa première communion, quoiqu'elle ne fût âgée que de cinq ans.

La duchesse Jeanne aimait, avec une tendresse singulière, cette enfant, que Dieu avait si manifestement prévenue des bénédictions de sa douceur. En mourant, elle lui remit le chapelet de bois qu'elle avait reçu de saint Vincent Ferrier. Ce chapelet, fidèlement gardé par Françoise, est aujourd'hui conservé avec les reliques de la Bienheureuse, dans le monastère de la Grande-Providence, à Nantes. Françoise avait sept ans environ quand mourut la duchesse Jeanne.

A l'âge de quinze ans, elle épousa le duc Pierre, à qui son père avait donné en apanage la seigneurie et la ville de Guingamp. Ce fut là que la Bienheureuse, qui prit alors le nom de comtesse de Guingamp, alla fixer sa demeure. Il y avait dans l'existence des jeunes époux tout ce qui peut, ce semble, procurer le bonheur selon le monde. Mais Dieu se plaît à sanctifier ses serviteurs par les souffrances ; il permit que le prince Pierre, bon, mais faible de caractère et facile à recevoir les impressions d'une humeur sombre, fût pris contre sa sainte épouse d'une noire jalousie. Dans un accès de cette malheureuse passion, il la maltraita avec tant de violence, qu'il la laissa baignée dans son sang.

La Bienheureuse tomba gravement malade à la suite de ces mauvais traitements ; sa patience fut invincible : « Ce monde, disait-elle, n'est point un lieu de félicité, mais de traverses et de calamités, auquel Notre-Seigneur Jésus-Christ a tant souffert d'opprobres, de travaux et de tourments, étant mort honteusement pour notre salut ; et ceux qui sont ses amis participent de ses peines et passions. Mon Seigneur Jésus-Christ, c'est mon amour, c'est ma patience, qui, par sa grâce, m'a donné de son vin d'amertume, duquel le nom soit béni à jamais. ».

Dieu récompensa une vertu si admirable dans la jeune comtesse, à peine âgée de seize ou dix-sept ans, en ramenant à elle le coeur de son époux. Il lui demanda humblement pardon de ses violences, et devint dès lors un modèle de piété et de pénitence. Rien n'était plus édifiant que la vie de Pierre et de Françoise. « Ils se levaient tous les jours à quatre heures, dit Albert de Morlaix, et, à genoux dans leur oratoire, récitaient dévotement leurs heures ; puis faisaient une heure d'oraison mentale, dont les points leur étaient fournis par celui de leurs aumôniers qui était de semaine pour desservir l'oratoire du prince. Sur les six heures, ils entendaient tous les deux la messe, où, depuis le Sanctus jusqu'à la Communion, Françoise versait de ses yeux un torrent de larmes, excitant à dévotion les plus tièdes et lâches ; et son mari sortant pour vaquer à ses affaires, elle demeurait en oraison en sa chapelle, si quelque affaire urgente ne l'en divertissait ; et l'heure de la grande messe venue, elle allait à l'église cathédrale ou à la paroisse, ou bien à quelque monastère, et y entendait tout le service divin... Après avoir sobrement pris sa réfection, elle passait la journée à travailler avec ses filles à ouvrages à l'aiguille, de broderie, dentelle et autres semblables... Elle visitait les hôpitaux et les maladreries, s'informait diligemment s'ils étaient fournis de lingerie, meubles et autres ustensiles... C'était la mère du peuple, le refuge des misérables, la nourrice des pauvres ».

Ce fut à cette époque que Pierre, à la persuasion de Françoise, fit rebâtir en entier le choeur de la collégiale de Notre-Dame, dans la ville de Nantes. Cette église était le sanctuaire le plus vénéré de la sainte Vierge dans la cité nantaise. Les deux jeunes époux y choisirent leur sépulture et y firent la fondation d'une messe quotidienne qui devait être célébrée, le dimanche, en l'honneur de la très sainte Trinité ; le lundi, en l'honneur du Saint-Esprit ; le mardi, en l'honneur des saints Anges ; le mercredi, en l'honneur de sainte Anne, et le jeudi, en l'honneur de saint Sébastien. Le vendredi, c'était la messe de la sainte Croix, et, le samedi, celle de la sainte Vierge.

Le duc François, frère aîné de Pierre, mourut sans laisser d'enfants mâles, et Pierre fut appelé, en 1450, à recevoir la couronne ducale de Bretagne. Le nouveau duc et la nouvelle duchesse furent couronnés à Rennes, au mois de septembre, et firent leur entrée solennelle à Nantes le 12 octobre.

La Bretagne jouit d'une paix presque complète sous le règne de Pierre. Elle fut respectée au dehors, et ce bon prince s'appliqua à rendre son peuple heureux par de sages institutions et une administration vraiment paternelle. Tous les historiens s'accordent à reconnaître dans la conduite de Pierre les inspirations secrètes de Françoise. « Dieu, dit Albert de Morlaix, se servit de cette princesse pour la réformation générale de la Bretagne et y faire revenir un siècle d'or après tant de malheurs et de misères. Le duc, son mari, voyant qu'elle était guidée de Dieu, suivait son conseil, et en toutes ses affaires prenait son avis ».

Devenue duchesse de Bretagne, Françoise fut, plus que jamais, la mère et la nourrice des pauvres. Il y avait une classe de personnes qui était tout particulièrement l'objet de sa charité c'étaient les pauvres honteux et les familles de la noblesse que des revers avaient fait tomber dans l'indigence. Les lépreux furent aussi les privilégiés de la Bienheureuse dans l'exercice de la charité. Sa foi reconnaissait en eux une image plus vive de Jésus-Christ délaissé et couvert de plaies. Elle voulut assurer la perpétuité des secours qu'elle leur accordait, en établissant pour eux des maisons spéciales et en gageant des personnes pieuses pour les assister. Les historiens nous apprennent que l'une de ces maladreries avait été fondée par la sainte à l'extrémité de la ville de Nantes, en descendant la Loire ; et il paraît que cette fondation a été la première origine de l'hospice général, si connu jusqu'à nos jours sous le nom de Sanitat, et placé, en effet, au bas de la Fosse, avant d'avoir été reconstruit et transporté dans le quartier de Saint-Jacques.

Un trait, dont les anciens biographes nous ont conservé le souvenir, montre jusqu'à quel degré Françoise porta le dévouement et la délicatesse de la charité. Il y avait une pauvre femme, dont la vie s'était passée à soigner les malades. En vieillisant, elle devint toute paralysée, et n'ayant ni parents, ni amis, se trouva réduite à un complet abandon. La Bienheureuse apprit la triste situation de cette femme, que la misère jetait dans le désespoir. Elle l'envoya chercher, et la logea dans le palais même, tout près de sa chambre. Se faisant la garde-malade de la vieille infirme, elle lui apprêtait elle-même ses repas, lui faisait prendre sa nourriture, la visitait de temps en temps dans la journée, et avait chargé deux de ses femmes de l'assister et de veiller près d'elle pendant la nuit.

La pauvre vieille était d'un caractère difficile et chagrin. Quand la bonne duchesse l'exhortait à souffrir patiemment ses douleurs, elle lui répondait plus d'une fois avec un ton maussade et irrité : « Prends patience, Madame, prends patience ! Oh ! que cela est aisé à dire, mais difficile à faire ! ». Et alors la Bienheureuse, sans adresser aucune parole amère à sa protégée, se tournait vers ses filles et leur disait, avec toute d'humilité d'une vraie servante des pauvres : « Dieu nous la envoyé pour nous donner sujet de mériter et d'exercer les oeuvres de miséricorde ». Françoise avait recueilli cette vieille femme lorsqu'elle n'était encore que comtesse de Guingamp ; elle ne l'abandonna point quand elle fut devenue duchesse de Bretagne, et continua de lui prodiguer toutes les tendresses de la charité jusqu'au jour de sa mort. Elle l'assista dans ses derniers moments, la disposa à recevoir les sacrements de l'Eglise, pourvut à sa sépulture et fit célébrer l'office divin pour le repos de son âme.

C'est dans la fréquentation des sacrements que Françoise puisait les inspirations de sa charité et l'amour des vertus qui ornaient sa vie. Dès les premiers temps de son mariage, la jeune comtesse de Guingamp s'était prescrit, dans son règlement de vie, de se confesser et de communier au moins tous les quinze jours. Elle le faisait avec une préparation si parfaite et avec une si grande dévotion, surtout aux fêtes solennelles, qu'on le voyait alors toute ravie en Dieu et toute baignée de larmes.

Elle avait une dévotion spéciale pour le mystère de la naissance et de l'enfance de Jésus : « Le jour de Noël, dit Albert de Morlaix, Françoise prenait quelque petit pauvre, lequel elle vêtait et accoutrait tout de neuf, pour l'honneur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et disait, avec une joie et réjouissance spirituelle : Ce petit innocent nous représentera l'Enfant Jésus cette année ».

Tous les ans, le Jeudi-Saint, elle lavait et baisait humblement les pieds à quinze vierges, puis elle les servait à table et donnait à chacune de l'argent ou une robe blanche.

Tous les vendredis de l'année, la sainte duchesse donnait à dîner à cinq pauvres, en l'honneur des cinq plaies de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Elle les servait elle-même, avec des sentiments d'humilité si profonde, et il était facile de reconnaître qu'elle voyait le Sauveur dans la personne de ces pauvres.

On ne peut aimer Jésus sans aimer et honorer sa divine Mère. Aussi la bienheureuse Françoise eut-elle une piété filiale envers la très sainte Vierge. Il ne se passait guère de jour, lorsqu'elle était à Nantes, qu'elle ne visitât la collégiale de Notre-Dame. Elle aima pareillement la chapelle de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle , dans la capitale de la Bretagne : « Le duc Pierre et la bienheureuse Françoise, dit Albert de  Morlaix, étaient si affectionnés à ce saint lieu, qu'ils n'en bougaient tous les jours, pendant qu'ils étaient à Rennes, et y donnèrent plusieurs riches ornemonts ». Pendant les dernières années de sa vie, Françoise travailla efficacement avec un religieux dominicain, le vénérable Alain de la Roche, à faire revivre et à propager la dévotion du Rosaire.

La Bienheureuse témoigna une dévotion particulière pour saint François d'Assise, son patron, et pour sainte Ursule, vierge et martyre. Elle honora aussi beaucoup saint Vincent Ferrier, que la duchesse Jeanne lui avait appris à connaître et à vénérer dans son enfance, et elle eut une grande part à sa canonisation, qui fut solennellement célébrée à Vannes, en 1456.

Françoise, si pieuse envers Dieu, fit le bonheur de la famille ducale par sa douceur et sa bonté. Sa mère, Marie de Rieux, eut des peines nombreuses ; la sainte obtint du duc Pierre de la faire venir près d'elle et l'entoura des soins de son affection filiale jusqu'à la mort. Sa belle-soeur Isabelle, veuve du duc François, se trouva si heureuse en Bretagne, qu'elle ne voulut jamais consentir à retourner en Ecosse, son pays natal, malgré les instances de son frère. Françoise s'occupa, avec une sollicitude toute maternelle, d'assurer l'avenir de ses nièces Marguerite et Marie, filles d'Isabelle ; elle procura le mariage de Marguerite avec le comte d'Etampes qui devint plus tard duc de Bretagne, sous le nom de François II ; et celui de Marie avec Jean de Rohan, l'un des seigneurs les plus puissants du duché.

La Bienheureuse couronna toutes les oeuvres qu'elle avait accomplies pendant son règne, en fondant à Nantes un monastère de pauvres Clarisses. On aperçoit encore quelques débris de ce monastère dans la nouvelle rue qui conduit de la place Saint-Vincent à l'Hôtel-de-Ville, et on donne quelquefois à ce quartier le nom populaire des Saintes-Claires, souvenir de l'ancienne fondation de Françoise qui subsista jusqu'à la Révolution de 1789.

Pierre tomba malade au bout de six ans de règne. La maladie fut longue et dura une année entière. Avant de mourir, il réunit près de lui son oncle, le connétable de Richemond, et les seigneurs du duché ; et, prenant la main de la Bienheureuse : « Mon oncle, dit-il, je vous recommande mon épouse ; telle je l'ai prise, je vous la rends. Ne pensez pas que jamais elle épouse autre après moi : car je sais bien son intention et le voeu qu'elle a fait d'entrer en religion, si elle reste en vie après moi ». C'est ainsi que Pierre rendit un dernier témoignage à la vertu de sa sainte épouse ; et il ne paraît pas possible de révoquer en doute qu'elle ait gardé la virginité dans l'état de mariage. Pierre mourut le 22 septembre 1457. Françoise, après avoir assisté à la cérémonie des obsèques, rentra dans son oratoire, et là, tenant embrassé son crucifix, elle fit cette prière : « Mon Dieu, je vous supplie de placer en l'éternel repos l'âme de feu mon seigneur et mari. Quant à moi, je connais bien que vous désirez tout mon coeur et mon amour entier. Vous en avez toujours possédé la plus grande et meilleure part ; toutefois, il y en avait une partie pour celui avec lequel j'avais été conjointe par le lien sacré du mariage. Vous l'avez retiré à vous ; je n'en veux désormais d'autre et promets dès à présent de ne plus me remarier, ne voulant rien que pour vous et pour l'amour de vous ».

Les épreuves attendaient Françoise dans l'état du veuvage. Le comte de Richemond succéda à Pierre sur le trône de Bretagne, sous le nom d'Arthur II. Il avait beaucoup aimé la Bienheureuse ; mais par un changement que Dieu permit pour augmenter les mérites de sa servante, il se montra tout autre à son égard, après avoir hérité de la couronne ducale. Il s'offensa de la vie pieuse de Françoise et en vint à une persécution ouverte. Il lui fit ôter ses meubles, ses joyaux, et jusqu'aux présents que les villes de Bretagne lui avaient offerts à ses entrées ducales. Il ne lui laissa même pas une petite boîte d'argent qu'elle portait sur elle, et alla jusqu'à faire enlever les tapisseries de sa chambre. Les dames de la maison de Françoise voulaient parfois se plaindre de ces mauvais traitements : « Que vous êtes aisées à troubler ! répondait la Bienheureuse, avec une inaltérable douceur. Eh bien ! Dieu nous les avait prêtés, il nous les ôte ; faut-il pour cela murmurer contre sa bonté ? Non, non, mes filles, sa sainte volonté soit faite et son nom béni à jamais ! ».

Arthur ne vécut pas longtemps ; il mourut au bout de quinze mois de règne, le 26 décembre 1458. La Bienheureuse, oubliant les injures qu'elle en avait reçues, se trouva à son lit de mort, l'assista pieusement dans ces moments suprêmes, lui ferma les yeux, l'ensevelit elle-même, voulut faire tous les frais de ses funérailles, fit célébrer plusieurs milliers de messes pour le repos de son âme et répandit de grandes aumônes à la même intention.

Le comte d'Etampes, cousin germain de François Ier et de Pierre II, remplaça Arthur sur le trône de Bretagne, sous le nom de François II. Il n'oublia pas que Pierre et la Bienheureuse, en ménageant son mariage avec Marguerite, leur nièce, fille de François Ier, avaient assuré ses droits à la couronne ducale. Il s'empressa de réparer les torts d'Arthur envers la servante de Dieu.

Françoise habitait alors la ville de Nantes, et partageait sa vie entre la prière et les bonnes oeuvres. Elle aspirait néanmoins à une perfection plus grande, et elle entra dans le monastère des Clarisses qu'elle avait fondé ; mais les austérités de la règle furent au6dessus de ses forces. Elle devint toute percluse, et, forcée de quitter ce saint asile, elle se fit reporter au château de Nantes : « Peut-être que mon Dieu, dit-elle, sans se décourager, qui étend sa Providence sur toutes choses, me garde pour quelque autre religion ? ».

Dieu ne tarda pas à lui manifester sa volonté. Le bienheureux Jean Soreth, général de l'ordre des Carmes, qui faisait la visite des couvents de Bretagne, arriva à Nantes. La sainte eut un entretien avec lui ; elle comprit, en écoutant ce saint religieux, que le Seigneur l'appelait à embrasser l'ordre du Carmel, et elle commença sans retard à préparer l'exécution de son pieux dessein.

Il y avait, près de Vannes, un monastère de Carmes, nommé le Bon-Don, situé sur un petit tertre, environné de prairies et de bocages. Ce monastère était particulièrement propre au recueillement et à la contemplation. Françoise choisit ce lieu pour y fonder son couvent de Carmélites. L'entrevue de la Bienheureuse et du révérend Père Jean Soreth avait eu lieu dans le courant et probablement vers la fin de l'année 1459 ; et dès le 16 février 1460, la sainte duchesse obtenait du pape Pie II une bulle qui autorisait la fondation projetée.

Elle vint alors à Vannes avec trois de ses nièces et quelques jeunes filles qui partageaient ses désirs de vie religieuse. Toutes ensemble, elles commencèrent à mener une vie commune et à prendre les habitudes du cloître, récitant l'office divin, gardant le silence, observant les jeunes, ne sortant que rarement et toujours deux à deux.

Un spectacle si nouveau devait nécessairement attirer l'attention, et le monde dédaigné par Françoise se mit à la poursuivre de sa colère et de ses railleries. La persécution lui vint de sa propre famille. Son père, le seigneur d'Amboise, forma le projet de la marier avec un prince de la maison de Savoie. Françoise était jeune encore, elle était douée des plus belles qualités et pouvait prétendre aux plus nobles alliances. Louis XI, qui occupait le trône de France, avait épousé Charlotte de Savoie, et c'était un frère de cette princesse que le seigneur d'Amboise destinait à sa fille. Le roi embrassa avec ardeur un projet qui pouvait servir sa politique ambitieuse.

Pendant que tous ces desseins se formaient à la cour de France, la Bienheureuse résolut de rompre d'une manière éclatante avec le monde. Elle se trouvait alors à son château de Rochefort avec sa mère et sa petite communauté naissante. Un jour donc elle se rendit à l'église de la paroisse. Son aumônier, Jean Houx, homme de sainte vie, célébra la messe. Au moment de la communion, Françoise se lève, va s'agenouiller au pied de l'autel, et là, pendant que le prêtre tient entre ses mains la sainte hostie, elle prononce à haute voix ces paroles : « Dès à présent, je fais voeu à Dieu et à la Vierge Marie du Mont-Carmel de garder chasteté, sans,jamais me marier, Dieu inspirant mon désir de me rendre religieuse, afin de vivre en perpétuelle continence. En signe de quoi je reçois le précieux corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ et vous en serez tous témoins ».

La sainte duchesse était désormais armée pour le combat. L'épreuve ne se fit pas attendre. Un de ses oncles, le seigneur de Montauban, arriva peu de temps après à Rochefort, pour lui faire connaître les projets formés à la cour de France et la presser à un second mariage. La Bienheureuse fut inébranlable.

Louis XI, qui se disposait à venir en Bretagne et à faire un pèlerinage à Saint-Sauveur de Redon, résolut d'agir personnellement pour amener Françoise à accepter l'alliance du prince de Savoie. Pendant qu'il était à Redon, le seigneur d'Amboise se rendit près de sa fille et employa toutes les ressources de son autorité et de sa tendresse paternelle, pour la décider à condescendre au désir du roi et à ses propres désirs : « Monseigneur et mon père, répondit-elle au seigneur d'Amboise, vrai est qu'après Dieu, et la raison et la nature veulent que je vous obéisse, mais aller contre la volonté de Dieu n'est ni licite, ni raisonnable... Quand je le voudrais, la chose n'est plus en ma puissance, d'autant que j'ai volontairement fait voeu de prendre Jésus-Christ pour époux, laquelle promesse il ne m'est pas permis d'enfreindre ». Et, comme son père voulut répliquer qu'il serait facile d'en obtenir la dispense du Souverain Pontife : « Mon seigneur et mon père, ajouta-t-elle en souriant, mais avec une fermeté qui ne se démentit pas, j'ai fait mon voeu et n'en veux pas de dispense. J'endurerai plutôt la mort que de le violer ».

Louis Xl s'était transporté à Nantes ; la Bienheureuse dut le suivre et s'y rendre elle-même. Là, elle eut à soutenir un dernier assaut. Tous semblaient l'avoir abandonnée. Le duc de Bretagne, François quoique très attaché à Françoise, était faible de caractère et n'osait combattre les projets du roi de France. Les personnes même de la maison de la sainte duchesse étaient d'intelligence avec ses persécuteurs. Françoise, destituée de tout secours humain, recourut avec plus de ferveur à la prière. Elle reçut, en cette circonstance, un témoignage éclatant du dévouement et de l'affection des Nantais pour leur ancienne souveraine. Un jour qu'elle allait de grand matin à la Collégiale, pour y prier sur la tombe de Pierre II, son époux, elle rencontre un de ses oncles, qui l'arrête brusquement et la saisit avec emportement : « Vous n'irez pas, lui dit-il, et je mets la main sur vous de par le roi ». « Etes-vous bien si osé, lui répond Françoise avec dignité, que d'attenter sur ma personne dans une ville de Nantes ? Allez, je saurai de quelle autorité vous le faites ». Les passants, témoins de cette scène, s'émurent, et dans quelques instants tout le peuple était en armes dans les rues, pour défendre la bonne duchesse. Plus de quatre mille hommes armés l'accompagnèrent à la Collégiale et ne la quittèrent qu'après l'avoir reconduite à sa maison.

Louis XI voulut toutefois tenter un dernier effort ; il vint en personne, accompagné du duc François, visiter la Bienheureuse. Il employa tout ce qu'il avait de ruse et d'habileté dans l'esprit pour la décider à venir en France, où il espérait la faire condescendre plus facilement à ses projets. Le père de Françoise et ses oncles se joignirent au roi. On eut recours tantôt aux flatteries, tantôt aux menaces. La Bienheureuse, éclairée par la lumière d'en haut et fortifiée par la grôce divine, ne se laissa point séduire par les flatteries, ni effrayer par les menaces. « L'Eglise approuve l'état des veuves, répondit-elle au roi, et Dieu, leur créateur, est leur protecteur et leur défenseur. Or, pour l'honneur et l'amour de Dieu, j'ai voué de ne jamais me remarier et mourrais plutôt de mille morts que de lui fausser la foi, ni rompre ma promesse ».

« Mon cousin, dit-elle à François II qui menaçait de l'abandonner, si elle résistait aux volontés du roi, j'ai appris qu'il faut plutôt plaire et obéir à Dieu qu'aux hommes. Si vous m'abandonnez de votre assistance et protection, Dieu m'assistera ».

Ses oncles, les seigneurs de Beaurepaire et de Montauban, passèrent aux menaces et aux injures. La Bienheureuse ne se laissa pas déconcerter. « J'achèverai, leur répondit-elle avec fermeté, ce que j'ai commencé et Dieu m'assistera, et vous dis bien plus : faites tous vos efforts, je ne sortirai point de Bretagne contre ma volonté, car Dieu est plus fort que vous ».

Cette dernière lutte de la Bienheureuse se passa dans la maison d'un gentilhomme qui habitait à l'entrée du faubourg de la Fosse, près de la chapelle Saint-Julien. C'est là que Françoise était allée prendre son logement en venant à Nantes, rejoindre Louis XI. Craignant, après les menaces qui venaient de lui être faites, de n'y être pas suffisamment en sûreté, elle rentra dans l'intérieur de la ville et fut reçue au carrefour du Pilori, chez un bourgeois, nommé Guiolle.

Louis XI partit pour retourner en France, après sa visite à la sainte duchesse ; mais, loin d'abandonner ses projets, il avait, en partant, donné l'ordre d'enlever de force la Bienheureuse et de la conduire en France. Les seigneurs de Beaurepaire et de Montauban disposèrent tout pour exécuter les ordres du roi. Ils firent amener des bateaux derrière le jardin des Frères prêcheurs, à l'endroit où se trouve aujourd'hui le Port-Maillard, et s'étant mis d'intelligence avec les serviteurs de Françoise, ils résolurent de se saisir de sa personne à minuit, et de la conduire par la Loire hors des limites du duché, pour la mettre sous la puissance de Louis Xl.

Au milieu de toutes ces agitations des hommes, Françoise eut recours à Dieu et se mit en prière. Ce fut alors qu'arriva le fait raconté par les plus anciens historiens de la Bienheureuse et qu'il ne parait guère possible de révoquer en doute. On était à la fin du mois de mai ; la Loire se trouva subitement gelée, au milieu de la nuit, jusqu'à Mauves, dans un espace de deux lieues. Le reste de son cours demeura libre. Il était impossible de ne pas reconnaître le doigt de Dieu dans la merveille qui venait de s'opérer. Les oncles de Françoise partirent immédiatement pour retourner en France, et la sainte duchesse, si admirablement délivrée des persécutions dont elle avait été l'objet, se rendit à l'église des Carmes pour y témoigner à Dieu sa reconnaissance. En rentrant dans sa maison, elle dit à ses filles qui se réjouissaient autour d'elle : « Eh bien !  avez-vous pas vu comment Dieu a fait miracle en notre faveur ? Oh ! qu'il est bon à ceux qui colloquent leurs espérances en lui, et non pas dans les enfants des hommes ! Qu'il mérite d'être aimé et servi ! En courageons-nous donc à le louer et persévérons constamment au saint propos que nous avons fait de lui consacrer tous les jours et toutes les actions de notre vie ».

Dieu avait levé les obstacles qui s'opposaient aux pieux desseins de Françoise ; elle se hâta d'en procurer la complète réalisation. Les Carmélites que le bienheureux Soreth faisait venir de Liège pour la nouvelle fondation arrivèrent à Vannes, et, le 21 décembre 1463, elles furent mises en possession de leur couvent du Bon-Don, dédié sous le nom et l'invocation des Trois-Maries. Ce sont les trois saintes femmes mentionnées dans l'Evangile pour leur dévouement envers la personne adorable du Sauveur, et qui se trouvèrent les premières à son tombeau au jour de sa résurrection : Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Marie-Salomé.

La Bienheureuse fut obligée de passer encore quatre années dans le monde, pour achever d'assurer l'avenir du monastère et régler les affaires importantes dont elle était chargée. Enfin, le 25 mars 1468, elle put revêtir l'habit du Carmel. La cérémonie fut présidée par le vénérable Yves de Pontsal, évêque de Vannes, qui avait autrefois fait faire la première communion à la petite Françoise, âgée de cinq ans. Ce fut le général des Carmes lui-même, Jean Soreth, qui donna l'habit religieux à la sainte duchesse. Une foule immense de peuple assista à la cérémonie. Françoise, toujours attentive aux besoins du prochain, voulut qu'on servît à dîner à ceux qui étaient venus de loin ; et tous les pauvres gens qui se présentaient, dit son vieil historien, furent traités à table ouverte.

Les religieuses, qui ne pouvaient oublier que leur nouvelle soeur avait été naguère duchesse de Bretagne, résolurent de lui donner la première place après la prieure. L'humble Françoise ne voulut jamais y consentir. « Jésus-Christ, notre cher Epoux, disait-elle, nous a appris le chemin de l'humilité, étant venu en ce monde pour servir et non pour être servi, et s'est humilié jusqu'à la mort de la croix. Je le veux imiter et partant, mes Mères, ne me parlez plus de cela... Laissez-moi en la place que nos constitutions me donnent, et ne m'appelez plus ni duchesse, ni madame, ni votre fondatrice : car j'ai laissé tous ces titres et ces qualités, entrant céans, et n'en veux plus ouïr parler. Je m'appellerai, s'il vous plaît, soeur Françoise, la servante de Jésus-Christ ». Il fallut que le R. P. Soreth intervînt pour terminer cette contestation toute d'humilité. Il ordonna à Françoise d'accepter la place que les religieuses lui donnaient ; elle obéit aussitôt, mais non sans verser beaucoup de larmes.

La Bienheureuse saisissait toutes les occasions de s'humilier ; elle s'occupait volontiers aux emplois les plus vils de la maison ; elle lavait la vaisselle, portait le bois et travaillait chaque jour au jardin, plus qu'aucune autre soeur : « Voyez un peu notre novice, se disaient entre elles les religieuses, voyez un peu notre novice, qui naguère était noble duchesse de Bretagne, comme elle se plaît ès exercices d'humilité ».

Françoise supplia les Mères de lui permettre de soigner les malades à l'infirmerie, et l'on finit par céder à ses instances et la donner pour aide à la soeur infirmière. Pendant qu'elle remplissait cette charge, la prieure avait au pied un ulcère qui répandait une odeur fétide et insupportable. La bienheureuse fit si bien qu'on lui confia le soin de panser cette plaie. Elle le faisait deux fois le jour et toujours à genoux. On voulut la faire asseoir sur un tabouret : mais elle n'y voulut jamais consentir, et elle remplit cet office de charité avec tant de ferveur qu'on regarda la guérison comme miraculeuse.

L'année de son noviciat écoulée, Françoise fut admise à faire profession. Il y avait dans son âme un sentiment si profond de sa bassesse et un désir si grand d'être méprisée, qu'elle conjura les soeurs de la recevoir en qualité de converse ; mais elle ne purent jamais consentir à la demande que son humilité lui suggérait et elle fut admise en qualité de religieuse de choeur. Ce fut encore le bienheureux Soreth qui reçut ses voeux. Le caractère distinctif de la sainteté de Françoise dans le cloître fut l'amour de la vie commune et l'observance parfaite de la règle. Jamais oisive, on la trouvait perpétuellement occupée dans quelques-uns des emplois de la maison. « Lorsqu'elle était malade, dit Albert de Morlaix, elle allait à l'infirmerie commune, avec les autres soeurs, et hors ce cas, logeait au dortoir, en une petite chambre sans cheminée, ni autre meuble qu'un simple lit, une table et un escabeau. Elle ne mangeait jamais hors le réfectoire, ni ne voulait être servie d'autres mets que de ceux de la communauté... Toute sa vaisselle d'argent était d'étain ou de bois, et elle tranchait elle-même avec un couteau de fort vil prix ».

Sous son pauvre vêtement d'un gros drap roux et enfumé, selon l'expression des vieux manuscrits, elle cachait la plupart du temps une haire et un cilice ; et elle prenait souvent de rudes disciplines qui allaient jusqu'au sang. Ce qui était plus admirable encore que son austérité, c'était sa simplicité et son obéissance. Nulle religieuse ne dépendait plus entièrement de ses supérieurs et ne se mettait entre leurs mains avec plus de simplicité.

Six ans s'étaient écoulés depuis que Françoise avait prononcé ses voeux, lorsque les religieuses du couvent des Trois-Maries l'élurent d'une commune voix pour prieure. Le bienheureux Soreth lui ordonna, en vertu de la sainte obéissance, d'accepter cette charge dont elle se jugeait indigne. La servante de Dieu se soumit en versant des larmes, et confiante, comme toutes les âmes humbles, dans le secours divin, elle se mit à l'oeuvre.

Elle se pénétra tout d'abord de cette pensée que si jusque-là elle avait travaillé à se sanctifier elle-même et vécu pour soi, désormais elle devait vivre tout entière pour ses filles spirituelles. Elle redoutait singulièrement que le souvenir de sa dignité de duchesse n'introduisît quelque dérogation aux pratiques de la communauté par les égards qu'on voudrait avoir pour elle. Un jour, après complies, une religieuse prit son chandelier et voulut l'éclairer pour la conduire à sa chambre. « Non, non, ma fille, lui dit Françoise, laissez cela ; Jésus-Christ, notre époux, est venu en ce monde pour servir et non pour être servi, et moi, qui suis votre prieure, je dois, à son exemple, me servir moi-même et toutes vous autres aussi ».

Françoise avait coutume de commencer et de terminer tous ses discours par ces paroles : Faites sur toutes choses que Dieu soit le mieux aimé. C'était le cri qui s'échappait sans cesse de ses lèvres et de son coeur ; et ces paroles, dignes d'être écrites en lettres d'or, dit un ancien historien, sont demeurées la devise de la sainte duchesse.

Un autre historien nous apprend qu'elle ajoutait à la fin de ses instructions aux religieuses une recommandation qui exprime la charité compatissante de la Bienheureuse pour le prochain : « Je vous recommande, disait-elle à ses soeurs, la paix entre les princes et les autres choses accoutumées, et principalement le royaume de France et ce pauvre pays de Bretagne ».

En 1477, Françoise fut appelée par le pape Sixte IV au monastère des Couëts, près Nantes. C'était alors un couvent de Bénédictines tombé en décadence. La Bienheureuse en prit possession en 1477, avec neuf de ses religieuses. Elle restaura cette maison avec toute l'activité qu'elle savait apporter aux oeuvres de Dieu. Les Religieuses qu'elle avait laissées au couvent des Trois-Maries ne purent rester longtemps séparées de leur sainte fondatrice. Avec l'autorisation du Souverain-Pontife, elles vinrent rejoindre Françoise aux Couëts, et toute la petite famille carmélite bretonne se trouva de nouveau réunie sous la conduite maternelle de la Bienheureuse.

Françoise vécut huit ans dans le monastère de Notre-Dame des Couëts. Durant cet intervalle, elle prit toutes les mesures pour assurer le maintien des observances religieuses, la paix et la ferveur dans la communauté. Son œuvre était achevée ; elle était mûre pour la récompense.

Le 29 octobre 1485, pendant qu'elle soignait les malades dans l'infirmerie du couvent, elle sentit elle-même les premières atteintes de la maladie qui devait mettre un terme à sa vie mortelle. Le lendemain, qui était un dimanche, elle se confessa, entendit la messe, reçut la sainte communion, et, toujours avide de la parole de Dieu, assista à la prédication. Vers midi, sentant que le mal faisait des progrès, elle se retira à l'infirmerie. Les deux jours suivants s'écoulèrent ; le mal continua, et le jour de la Toussaint fut marqué par de grandes souffrances, que la sainte malade endura sans donner aucun signe d'impatience. Le jeudi, 3 novembre, elle se confessa de nouveau et reçut le saint Viatique.

Vers minuit, elle fit appeler toutes les religieuses, et, en leur présence, voulut faire une dernière fois sa coulpe au Père vicaire et à la Mère prieure, s'accusant avec beaucoup de larmes d'avoir mal édifié les sœurs, et leur demandant humblement pardon. Toutes ses filles fondaient en larmes autour de son lit ; elle se tourna vers elles et leur dit : « Mes chères soeurs, je vous prie, faites sur toutes choses que Dieu soit le mieux aimé. Soyez humbles, douces et charitables, chastes et obéissantes ; aimez-vous les unes les autres, chérissez la paix, union et concorde ; soyez loyales à Dieu, fermes, constantes et persévérantes en l'observance de votre profession. Je sais bien, mes chères filles, que Dieu vous ôte ce que plus vous chérissez en ce monde ; mais il le fait afin que vous mettiez en lui toute votre affection, et pour donner sujet de mérite à votre patience, vous conformant à sa sainte volonté. Sur toutes choses, faites que Dieu soit le mieux aimé. Adieu, mes filles, je m'en vais à présent expérimenter ce que c'est que d'aimer Dieu. Celui-là est bien abusé qui désire longuement vivre en ce monde. Quant à moi, je me soumets entièrement à la divine miséricorde et à la justice de Notre-Seigneur, afin qu'il fasse de moi selon sa volonté. Je me rends à lui ».

La Bienheureuse pria ensuite le Père vicaire de lui donner l'Extrême-Onction, qu'elle reçut avec une grande dévotion, répondant elle-même aux psaumes de la pénitence, aux litanies et autres prières que l'on récitait pour elle. Pendant le reste de la nuit, elle voulut qu'on lût continuellement devant elle quelque méditation ou dévote oraison, lors même que le mal la pressait davantage.

Les forces corporelles de la Bienheureuse s'affaiblissaient, et son âme s'élevait davantage vers Dieu. « Oh ! qu'il fait beau en paradis, à voir Dieu et sa gloire ! disait-elle, avec un visage enflammé. Oh ! que je le verrai volontiers ! Oh ! quand sera-ce ! quand sera-ce ».

Le vendredi matin, elle fit venir le R. P. vicaire, et le conjura de veiller au maintien de la réforme dans la maison. Elle demanda ensuite qu'on récitât le Stabat mater. La Bienheureuse écouta attentivement cette prière : « Oh ! qu'elle est belle ! » s'écria-t-elle pieusement quand on l'eût achevée. On lut alors la Passion selon saint Jean, et, lorsqu'on fut arrivé aux paroles de Jésus expirant : Seigneur, je remets mon âme entre vos mains, Françoise jeta un regard sur les soeurs qui entouraient son lit : « Si vous voulez, répéta-t-elle une dernière fois, que je vous avoue pour mes filles, soyez sages, discrètes, fermes et constantes en votre vocation. Je vous prie, faites que Dieu soit surtout le mieux aimé ! ». Elle perdit ensuite la parole ; néanmoins, elle conserva sa connaissance : on le voyait aux signes de dévotion qu'elle donnait pendant qu'on lui récitait les prières de la recommandation de l'âme. Son agonie se prolongea jusqu'à trois heures. A ce moment, elle regarda le ciel, et, joignant les mains, dit à haute voix : « Vous soyez les très bien venues, mes bonnes Dames ». On lui demanda ce qu'elle voulait dire : « Ce sont mes Dames, répondit-elle, que j'ai toujours honorées et vénérées. Oh ! qu'il y a longtemps que j'ai désiré être avec elles ! Je vous prie, qu'on fasse place pour les recevoir ». On crut pieusement alors que le Seigneur avait voulu consoler sa servante par une vision céleste, au moment de son passage de cette vie mortelle à l'éternité, et que ces Dames dont elle saluait la bienvenue avec tant de bonheur étaient sainte Ursule et ses compagnes, vierges et martyres, qui avaient toujours été honorées par elle d'un culte particulier. Quelques instants après, Françoise rendit son âme à Dieu dans la paix des saints, le vendredi, 4 novembre, à l'heure où Jésus-Christ mourut sur la croix.

La Bienheureuse fut inhumée dans son monastère des Couëts, à l'entrée du Chapitre. Fidèle à la pratique de l'humilité, même dans la tombe, elle avait choisi ce lieu pour sa sépulture, afin que les religieuses, en entrant et en sortant, la foulassent aux pieds. Dieu se plaît à glorifier les humbles. Sept ans après la mort de Françoise, en 1472, on ouvrit son tombeau. Le saint corps fut trouvé entier sans corruption. Cet événement fit grand bruit. Toute la ville de Nantes accourut aux Couëts et fut témoin du prodige.

On eut alors la pensée de placer le corps de la sainte duchesse dans un tombeau honorable, en dehors de la clôture ; mais les religieuses ne voulurent jamais consentir à se laisser enlever les dépouilles mortelles de leur mère. Le corps fut donc déposé dans un enfeu ou chapelle, situé sous le choeur des religieuses. Cet enfeu avait deux ouvertures : l'une du côté de l'église, large d'environ un pied carré, et fermé d'une grille en fer. C'est là que les fidèles venaient offrir leurs voeux à la bonne mère duchesse. L'autre ouverture se trouvait dans la partie intérieure du monastère, et répondait à cette chapelle souterraine dont nous venons de parler ; elle était fermée également par une grille en fer, mais dont les barreaux étaient un peu moins serrés que ceux de la grille extérieure. C'était à cette seconde ouverture que les religieuses venaient prier leur sainte fondatrice

Le tombeau de la Bienheureuse demeura dans le même état jusqu'à 1793. Durant cet intervalle de trois siècles, Dieu fit éclater la gloire de sa servante par les grâces merveilleuses qu'il accorda, plus d'une fois, à son intercession. Aussi, en 1761, les trois ordres qui composaient les Etats de Bretagne assemblés à Nantes, c'est-à-dire le clergé, la noblesse et le Tiers-Etat, écrivirent au Souverain-Pontife pour lui demander, au nom de toute la province, la béatification de la souveraine dont le nom était demeuré cher aux Bretons. L'année suivante, Mgr de la Muzanchère, évêque de Nantes, fit aux Couëts la reconnaissance juridique du tombeau et des reliques de la sainte duchesse. Il constata la vénération dont elle était l'objet de temps immémorial ; et ce document, conservé jusqu'à nous, a permis de reconnaitre l'authenticité des reliques sauvées pendant la révolution. C'est ainsi que la Providence toujours admirable dans ses saints, au moment où la vieille société française allait disparaitre, voulut que la Bretagne se levât tout entière pour attester par un acte solennel la sainteté de Françoise.

La révolution arriva bientôt. Les Carmélites des Couëts furent livrées à la persécution et chassées de leur couvent. Au mois de février 1793, la maison fut dévastée ; le cercueil de la Bienheureuse brisé par des mains sacrilèges, et ses ossements dispersés çà et là. Une des filles de Françoise, la courageuse prieure, soeur Jeanne de la Roussière, était présente ; elle recueillit la tête, une partie des ossements de la Bienheureuse et quelques morceaux de ses vêtements. Ces restes vénérés demeurèrent cachés, pendant la terreur, dans une maison du village des Couëts. Quand la paix commença à être rendue à l'Eglise, deux anciennes religieuses de la maison vinrent chercher les reliques de leur sainte fondatrice. Après d'inutiles efforts pour rétablir leur communauté, l'une d'elles, Mme de la Salmonière, porta le précieux dépôt qui était resté entre ses mains dans la maison de la Grande-Providence, à Nantes. Elle mourut en 1828.

Le moment approchait où Dieu allait glorifier sa servante. N. l'abbé de Courson, vicaire général du diocèse, mort, en 1860, supérieur général de la compagnie de Saint-Sulpice, acheta, le 7 mai 1842, l'ancien couvent des Couëts. Le souvenir de la bonne mère duchesse était encore vivant dans ce village. Des recherches, poursuivies avec persévérance pendant vingt ans, permirent de constater l'authenticité des reliques de la Bienheureuse et de recueillir les monuments de son culte. Ces travaux furent heureusement terminés en 1863, et Mgr Jaquemet, évêque de Nantes, présenta au Saint-Père une supplique pour obtenir la confirmation du culte immémorial rendu à la bienheureuse Françoise. NN. SS. les archevêques de Tours et de Rennes, les évêques de la Bretagne, celui de Poitiers, et le Révérend Père général des Carmes de l'ancienne Observance, joignirent leurs instances à celles de Mgr Jaquemet. Pie IX avait dit, lorsqu'on lui présenta la supplique pour la béatification de la sainte duchesse : « Ce sera la récompense donnée par Dieu aux Bretons pour leur dévouement au Saint-Siége et à l'Eglise catholique ». Le 16 juillet de la même année, en la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, il confirma le décret de la sacrée Congrégation des Rites qui avait approuvé le culte immémorial rendu à la bienheureuse Françoise. L'année suivante un second décret de la sacrée Congrégation approuva la messe et l'office de la Bienheureuse sous le Rit double mineur, avec une oraison et des leçons propres. Sa fête se célèbre aujourd'hui, le 5 novembre, dans tout l'ordre des Carmes et dans les diocèses qui avaient sollicité sa béatification. (extrait d'un ouvrage de Mgr. Richard, 1898).

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