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UNE VISITE AUX RUINES DE L'ABBAYE DE SAVIGNY

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A deux lieues environ au Nord-Est de Louvigné-du-Désert, et à peu près à égale distance de Landivy, sur la frontière même du pays normand, en sortant des limites bretonnes, au fond d'une étroite vallée qu'encadrait jadis une sombre forêt, on retrouve encore les débris de ce qui fut jadis la puissante abbaye de Savigné ou Savigny. Les habitants de la contrée ont retenu un dicton qui rappelle l'opulence de cet ancien monastère : « D'où qu'il vente, Savigny a rente ».

abbaye de Savigny.

A la position choisie pour l'assiette du monastère, on reconnaît les traditions de l'Ordre de Cîteaux, comme aussi les restes qui subsistent des anciens bâtiments peuvent, en se reportant aux plans connus des autres maisons cisterciennes, aider à reconstruire par la pensée la disposition primitive des lieux.

L'oeil, en descendant la pente escarpée du chemin vicinal, n'aperçoit d'abord au bas de la vallée que quelques grands pans de murailles nues et croulantes, amas de pierres désolé et morne, surgissant sur un fonds de vertes prairies, arrosées par un cours d'eau qui fait tourner un moulin vers le Sud.

C'est là tout ce qui reste de Savigny, cette célèbre et plantureuse abbaye fondée par saint Vital de Mortain, dans les premières années du XIIème siècle, dotée et enrichie par les puissants barons de la Normandie, du Maine et de la Bretagne, spécialement par les sires de Fougères, dont l'un des plus fameux, Raoul, se glorifiait du titre de père nourricier de l'abbaye, protégée et comblée de faveurs par les ducs de Bretagne, et même par des rois d'Angleterre.

Pour tout ce qui concerne l'historique de Savigny et les diverses phases de son existence, je ne puis mieux faire que de renvoyer le lecteur à l'intéressante notice consacrée à cette illustre abbaye par M. Hippolyte Sauvage, membre de la Société Archéologique d'Ille-et-Vilaine, dans son volume : « Recherches historiques sur l'arrondissement de Mortain ». C'est d'une simple visite de touriste archéologue aux ruines du vieux monastère que je veux rendre compte en ce moment.

En quittant le bourg de Savigny-le-Vieux, on prend vers le sud la route de Landivy, et après avoir suivi pendant une demi-heure un chemin bien entretenu, accidenté, bordé çà et là de prairies et de cultures qui ont remplacé les anciennes forêts, on arrive, comme je le disais tout à l'heure, au sommet d'une rampe assez rude, au bas de laquelle serpentent deux ruisseaux découpant le vert tapis de la vallée de leurs rubans argentés. Ne sont-ce pas la Chambe et la Chambenette (chamba flurius, chambesneta fluvielus), désignées toutes deux dans la charte de 1112 qui renferme le don de la forêt de Savigné à l'ermite Vital, fondateur de l'abbaye, par le puissant baron de Fougères, Raoul ; don ratifié par sa femme Avicia et ses quatre fils, Mainon, Fransgalon, Henry et Robert ?

Trois ou quatre maisons, construites en partie avec les démolitions des dépendances de Savigné, s'élèvent sur la droite au bas de la côte : vous tournez à gauche, et, pénétrant par un vieux portail dans un verger autrefois clos de murs maintenant écroulés, vous êtes dans l'enceinte de l'abbaye.

Faites quelques pas : voilà devant vous les ruines de l'église abbatiale. Oui, ces monceaux de débris, ces amas de matériaux presque informes occupent la place de la vieille basilique dont l'abbé Joscelin jeta les fondements en 1173, et qu'acheva en 1200 Guillaume (IV) de Douvres.

Ces débris, du reste, attestent la grandeur et les vastes dimensions de l'édifice : on en reconnaît fort bien et on suit sur place le plan cruciforme terminé vers l'Orient par une abside circulaire dont quelques massifs encore debout dessinent la courbe, en attendant qu'ils aillent rejoindre sur le sol le reste des murs démolis et transformés en carrière de moëllons.

Abbaye de Savigny.

Une seule portion de la muraille côtale du Midi est un peu mieux conservée. A son flanc extérieur existent encore quatre contre-forts entre lesquels s'ouvraient des fenêtres cintrées ; on peut remarquer sur ces contre-forts des rainures profondes qui constatent que là venait s'appuyer le toit en appentis du grand cloître, dont le côté septentrional adhérait, suivant l'usage, à l'église de l'abbaye. L'emplacement du portail occidental est indiqué par les décombres ; mais toutes les pierres sculptées ont disparu ; d'avides acquéreurs les ont dispersées. Il est possible toutefois de restituer en entier le plan de la basilique et d'en vérifier la longueur qui, aux termes d'un ancien procès-verbal dressé en 1751, et que M. Sauvage cite dans sa notice, s'étendait « en dedans oeuvre à 250 pieds ». Des collatéraux et des treize chapelles rayonnantes autour de l'abside, des deux chapelles latérales à la nef mentionnées par l'état des lieux ci-dessus, il subsiste à peine quelque trace. La nef avait 75 pieds de largeur. D'une extrémité d'un transept à l'autre, on comptait 150 pieds. L'ouverture de chaque aile de la croisée mesurait 36 pieds. L'église, dit encore le procès-verbal, « était presqu'entièrement voûtée, et les voûtes avaient 67 pieds d'élevation à compter au-dessous du cerceau des voûtes en bas, soutenues sur quarante pilliers ou colonnes, et les murs appuyés en dehors de 52 pilliers buttant 22 arcs boutans. Elle était percée de 72 grands vitraux avec trois roses aux trois pignons, de 18 pieds de diamètre et les entreaux (quid ?) depuis 20 jusqu'à 22 pieds de hauteur. Le grand clocher avait 200 pieds d'élévation ; il était composé de deux lanternes et d'une flèche au-dessus, le tout couvert en ardoise fine, ainsi que le corps de l'église et les quatre clochetons autour du grand clocher qui avaient 24 pieds d'élévation ».

Cette description fait revivre, du milieu des décombres amoncelés sous nos yeux, les principales dispositions de cette belle église dont les dimensions étaient tracées, comme on voit, sur un grand modèle. En comparant aux ruines de Savigny le plan cavalier de l'abbaye de Cîteaux, tête de l'Ordre (publié par M. Violet-Leduc dans son Dictionnaire de l'architecture française), on est frappé de la fidélité avec laquelle les moines architectes de Savigny ont reproduit dans l'ensemble les données du programme arrêté pour les constructions de l'ordre cistercien. Or, Savigny, à partir de 1148, date de son affiliation à Cîteaux, fut complètement renouvelé dans sa physionomie architectonique. C'est dans la deuxième moitié du XIIème siècle que s'élevèrent tous les vastes bâtiments claustraux dont les débris jonchent aujourd'hui le sol.

Comme à Cîteaux, nous l'avons déjà dit, le grand cloître était placé au côté sud de la nef ; il avait, dit le procès-verbal déjà cité, 120 pieds de long de chaque côté : il était formé « de 124 colonnes ou piliers en pierres, qui portaient une rose dans le champ de chaque arcade ». Il n'en reste plus rien.

Mais le long de la galerie du cloître, opposée et parallèle à celle qui longeait la nef (ou plutôt au centre de l'emplacement de cette galerie), venait aboutir, toujours comme à Cîteaux, par un de ses pignons, le bâtiment du réfectoire des religieux. Une porte monumentale, d'un beau et sévère style roman, en marquait l'entrée. C'est le seul morceau remarquable qu'aient conservé les ruines de Savigny, et on en doit la conservation à M. de Caumont, qui de ses propres deniers a acquis ce fragment pour le sauver de la démolition. La double baie de ce portail est dessinée par des moulures décorées de dents de scie, et des cordons de zigzags courent dans l'archivolte. Des colonnettes engagées aux angles intérieurs soutenaient la grande voûte du péristyle donnant accès dans la salle du réfectoire, lequel avait 168 pieds de long sur 27 de large, et 42 pieds d'élévation du rez-de-chaussée. « Il avait, dit de plus le procès-verbal de 1751, voûte sur voûte, ce qui formait deux réfectoires l'un sur l'autre, celui des religieux et celui des frères convers ».

A part les restes du portail monumental ouvrant sur le cloître, le bâtiment du réfectoire a complètement disparu ; les spéculateurs en matériaux y ont mis bon ordre.

Un préau vert remplace aujourd'hui les constructions claustrales détruites. Des deux côtés du réfectoire s'élevaient, à gauche les cuisines, à droite la salle des archives, communiquant en retour sur le côté oriental du cloître aux dortoirs qui se prolongeaient, comme dans les autres monastères cisterciens, jusqu'à l'église. Il y a lieu de croire que, de même qu'à Cîteaux et à Clairvaux, la salle capitulaire était prise dans cette partie des bâtiments donnant à l'Est sur le petit cloître, autour duquel se groupaient ce qui était destiné, comme dit M. Violet-Leduc, à la pâture intellectuelle du monastère : la bibliothèque, les cellules des copistes, la salle des thèses théologiques ; puis, un peu plus retirées vers l'Orient, l'infirmerie et ses dépendances. Ce n'est guère que par conjectures que je place ainsi ces diverses constructions ; mais j'y suis autorisé par la similitude frappante de ce qui subsiste encore à Savigny avec le plan de l'abbaye-mère de Cîteaux, et aussi par les témoignages recueillis sur les lieux de la bouche d'anciens habitants du pays.

Eglise de l'abbaye de Savigny .

C’est à partir du début du XIXème siècle que les actes de vandalisme que nous déplorons ont rendu méconnaissables les vénérables ruines de l'antique église abbatiale de Savigny. Les vieux paroissiens, dit M. Sauvage, qui se souviennent de l'avoir vue intacte, répètent que, c'était une des plus grandes et des plus belles de la province de Normandie.

Une vieille femme, qui habite au milieu de ces ruines, dans un reste de bâtiment qui fut une des granges de l'abbaye, me donna quelques explications et quelques renseignements précieux qui confirment les conjectures exprimées ci-dessus. Elle avait vu encore debout une partie des bâtiments claustraux ; elle a vu démolir les murs et emporter les pierres. C'est, m'a-t-elle dit, un M. Porphyre qui, au temps de la révolution, devint acquéreur de l'ancien monastère.

Depuis, ces vénérables murs, consacrés par tant de souvenirs, ont passé de mains en mains, profanes et destructives à l'envi. Nous l'avons dit en commençant : Savigny appartient aussi à la Bretagne par son histoire. Rappelons seulement ici qu'un de nos anciens évêques de Rennes, Charles-François de la Vieuville, fut abbé commendataire de Savigny vers la fin du XVIIème siècle (1650-1676). Il y rétablit la stricte observance. Heureux le monastère de Savigny si ses habitants n'avaient dévié plus tard de leurs saintes règles ! La piété unie à la science et à l'érudition dans la personne de Mgr. de la Vieuville donne ici la main à l'éloquence et à la grâce de la parole que rappelle la mémoire du célèbre J.-B. Massillon, évêque de Clermont ; cet illustre orateur sacré fut le pénultième abbé de Savigny au XVIIIème siècle (de 1721 à 1742).

C'était le dernier flambeau de la sainteté et du génie qui éclaira cette ancienne fille de Cîteaux avant l'époque de la décadence et de la destruction.

Dans l'église du bourg de Savigny-le-Vieux, situé à trois quarts de lieues des ruines de l'abbaye, — église assez insignifiante par ailleurs, — on conserve sur deux crédences, en côté du maître-autel, deux reliquaires.

L'esprit tout occupé de ce que j'avais vu sur l'emplacement du vieux monastère, j'entrai au retour de mon pèlerinage dans cette église paroissiale, et ces deux reliquaires frappèrent mes yeux. J'approchai, et sur l'un d'eux, du côté de l'Evangile, je lus ces mots : « Chefs des SS. Vital et Geoffroi, abbés de Savigny ». Le vitrage de la boîte laisse apercevoir plusieurs ossements et deux crânes.

Ce sont donc là les vénérables restes des deux premiers abbés de Savigny : Vital, à l'éloquence de qui personne ne pouvait résister, dit une vieille chronique normande, et qui a eu pour biographe un évêque de Rennes, Etienne de Fougères, à la fin du XIIème siècle ; Geoffroi, qui bâtit la première église de l'abbaye, remplacée plus tard par la basilique de Joscelin. — De l'autre côté de l'autel, côté de l'Epître, je lus encore sur le second reliquaire : « Reliques de St Guillaume ». C'était un moine mort en odeur de sainteté et objet d'un culte spécial dans le voisinage de Savigny et dans l'Ordre de Cîteaux. On peut suivre dans le livre de M. Sauvage les détails qu'il donne sur les dernières années de Savigny et sur ce qui subsiste de ses anciennes richesses monumentales dispersées au souffle de la tempête. (P. D.-V.).

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