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LA BOUILLIE DE SAINT-GEORGES

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C'était une redevance, une sorte de prestation féodale que le monastère de Saint-Georges payait, chaque année, au Chapitre de Saint-Pierre de Rennes, le mardi de Pâques, ainsi que le constate le Livre des Usages de l'église de Rennes, déjà cité dans ce recueil : « Le mardy de Pasques, lisons-nous dans ce manuscrit rédigé en 1415, va la procession à Saint-Georges en chappes, et dire la grant messe …. Et à celui jour et lieu, l'abeesse et couvent de Saint George doivent au colège de Liglise de Rennes bouillie de froment en leit, preste à menger et bien honnestement fecte et bien appareillée ».

L'origine de cette coutume, qui paraît assez bizarre, ne nous est pas connue. M. Marteville, dans ses annotations sur Ogée, art. Rennes, émet l'idée que cet usage pourrait avoir quelque rapport avec la donation de la paroisse de Saint-Pierre-du-Marché à l'abbaye de Saint-Georges, par le chapitre de la Cathédrale. On peut provisoirement admettre cette hypothèse. Toutefois, il y a une petite difficulté : c'est qu'aux termes d'un acte du XIème siècle, très-voisin de la fondation de l'abbaye, la susdite église de Saint-Pierre « Monasterium Sancti Petri de Marcheil, quod est situm in suburbio Redonis, ante portam Civitatis magnam, » fut donnée à Adèle de Bretagne, première abbesse de Saint-Georges et à ses compagnes, non pas par le Chapitre de Rennes, mais par le Duc Alain III, avec l'assentiment de son frère Eudon et de leur mère Havoise (D. Morice, Preuves, t. I, 370).

Quoi qu'il en soit, le droit du Chapitre à se faire présenter, tous les mardis de Pâques, une bassinée de bouillie, était incontesté, et s'exerça chaque année avec une grande régularité jusqu'à la fin du XVIIIème siècle. On en dressait procès-verbal, et dans les registres capitulaires, qui existent encore, on retrouve plusieurs spécimens de ces actes authentiques constatant le droit du Chapitre et l'exercice annuel qui en était fait.

Nous empruntons à un de ces procès-verbaux, dressé le mardi de Pâques, 16 avril 1476, les détails curieux de cette cérémonie ; nous traduisons sur le texte latin :

« L'an de N. S. 1476, le mardi après la fête de la Résurrection de N. S., seizième jour du mois d'avril, indiction IX, la cinquième année du pontificat de Notre Très-Saint-Père en J. C. et Seigneur Sixte IV, par la divine Providence Pape, pendant la célébration de la grand'messe de ce jour que le collège de l'église de Rennes était venu processionnellement, selon la coutume, célébrer à l'autel de l'église du monastère de Saint-Georges, vénérable messire maitre Jehan Hollier, chanoine de ladite église de Rennes, comparut dans le cloître dudit monastère, en présence de vénérables messires maîtres Jehan Du Loquet et Jehan Boüedrier, chanoines de la même église ; lequel Hollier trouvant dans ce cloître une grande bassinée de bouillie de lait et de fleur de froment cuite, comme il lui sembla, et un peu urcée ou brûlée [Note : Una magna patellata bullie lactis et floris frumenti cocta, prout apparebat, et modicum ussata seu assata… (Registre de délibérations capitulaires, arch. départ. 5 G, 38)] ; il demanda, au nom du vénérable chapitre de l'église de Rennes, à honorables et religieuses dames Guillemette de la Houssaye, cellerière, et Julienne Péan, sous-cellerière dudit monastère de l'ordre de saint Benoît, si la susdite bassinée de bouillie était bien la bassinée de bouillie qui, en ce jour et à cette beure, était due par les vénérables dames l'abesse et le couvent dudit monastère au susdit chapitre de l'eglise de Rennes, selon l'usage anciennement observé. Ladite dame Guillemette, assistée de ladite Julienne, répondit qu'elle n'avouait pas qu'il y eût quelque chose de dû ; mais qu'elle offrait selon l’usage et baillait à la susdite eglise la présente bassinée de bouillie convenablement preparée. Ces explications échangées, les gens du chœur [Note : Quibus dictis, Choriste dicte ecclesie Redonensis de ipsa patellata bullie, prout et quantum voluerunt, in et cum magnis scutellis et coclearibus ligneis ceperunt et secum detulerunt (ibid.)] de ladite église de Rennes s'approchèrent de la bassinée de bouillie, en prirent autant qu'ils voulurent dans de grandes écuelles, avec des cuillers de bois, et l'emportèrent avec eux. Donné comme dessus, en présence des susdits seigneurs, ainsi que de Jehan Breteigne et de Michel le Saige, clercs du diocèse de Rennes, de maître Jehan Hervoche, du diocèse de Vannes, de Jehan Simon, du diocèse de Saint-Malo, et de plusieurs autres témoins à ce appelés et requis ».  — « G. Roumé, clerc du diocèse de Rennes, notaire public par l'autorité impériale et scribe de mesdits seigneurs du chapitre, ai signé le présent acte pour minute ».

Le texte de ce procès-verbal nous met en mesure de relever une erreur commise par M. Ducrest dans l'Histoire de Rennes, qu'il a rédigée avec le concours de M. Maillet, ancien bibliothécaire de la ville. D'abord M. Ducrest veut voir dans cette cérémonie un hommage rendu par le chapitre de Rennes à l'abbesse de Saint-Georges. C'est tout le contraire qu'il fallait dire. Outre cette première bévue, M. Ducrest, qui, paraît-il, a une médiocre considération pour les chanoines, s'égaye à leurs dépens de la manière suivante : « Les religieuses, reconnaissantes, leur préparaient une bouillie urcée destinée à être mangée après l'office. Mais pour s'assurer qu'elle méritait bien cette épithète, le grand chantre, avant tous, plongeait l'index dans la chaudière, et en retirait un échantillon suffisant pour vérifier la qualité obligée du mets présenté. Chacun alors goûtait à son gré, et il ne paraît pas que l'appétit des chanoines fût hostile à ce goût privilégié de la bouillie de Madame l'abbesse ; car après s'en être régalés de manière à prouver qu'il n'entrait pas de flatterie dans leur consommation, ils en rapportaient chez eux de pleines écuelles. Les choristes, les musiciens suivaient l'exemple des maîtres, et c'était plaisir de les voir, les bons chanoines, s'en revenir tous processionnellement, l'aumusse sur le bras gauche et le plat de bouillie dans la main droite ». (Histoire de Rennes, in-8°, p. 94).

Comme c'est agréable d'avoir de l'esprit et de l'imagination ! Pourtant pas trop n'en faut. M. Ducrest aurait eu bien du succès à l'époque d'Ogée, à la fin du XVIIIème siècle ! Voyez-vous d'ici ce grand chantre qui plonge son index dans la bouillie brûlante, — le sot ! Puis tous ces bons chanoines se gaubergeant et avalant la bouillie urcée à pleine bouche, puis s'en retournant processionnellement un plat de bouilli à la main … c'est à mourir de rire. Seulement, je voudrais bien savoir où le spirituel historien a découvert tout cela. Ce n'est pas, à coup sûr, dans les documents historiques sérieux.

J'ai lu avec attention les procès-verbaux conservés dans les registres capitulaires du XVème et du XVIème siècle ; nulle part on n'y trouve texte aux agréables plaisanteries auxquelles se livre M. Ducrest, à l'occasion de la redevance due par l'abbaye de Saint-Georges au chapitre de Rennes. Mais il est probable que M. Ducrest avait jugé inutile de consulter les documents originaux. Il est bon pourtant, quand on écrit l'histoire, de respecter assez ses lecteurs pour ne pas leur servir comme faits avérés des pasquinades inventées à plaisir.

Si M. Ducrest avait consulté les archives du chapitre, il y aurait appris ce qui y est réellement ; les chanoines venaient exercer un droit de prééminence et de haut patronage, en célébrant la grand'messe à l'abbaye de Saint-Georges, le mardi de Pâques. Le lundi précédent, le chapitre jouissait de la même prérogative dans l'abbaye de Saint-Melaine. C'était sans doute en signe de dépendance et d'hommage vis-à-vis de l'église-mère du diocèse que les religieuses de Saint-Georges acquittaient cette redevance de bouillie qui nous parait bizarre, simplement peut-être parce que, comme pour beaucoup d'autres prestations féodales, nous en ignorons la signification et le symbolisme.

Nous ferons d'ailleurs remarquer que les vénérables chanoines, après qu'on leur avait présenté la bouillie à laquelle ils ne touchaient pas, l'abandonnaient aux gens du choeur, aux clercs et aux enfants de psalette (choristes), ou bien, mieux encore, la faisaient distribuer aux pauvres, ainsi que le constate un autre procès-verbal du 23 avril 1526. (Paul Delabigne-Villeneuve).

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