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Abbaye de Saint-Sulpice-la-Forêt. |
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Les Visites Canoniques.
Les fondateurs d'ordres ne se sont pas contentés d'établir une règle sage, capable de stimuler les volontés les plus rebelles, ils ont voulu en contrôler l'observance par eux-mêmes ou des délégués, méritant toute leur confiance. Bien plus, ils ont respectueusement supplié l'autorité ecclésiastique de leur signaler les abus qui, a leur connaissance, pourraient envahir et contrister quelques-unes de leurs communautés, de prendre même des mesures énergiques, si des circonstances spéciales réclamaient un prompt remède. De là est venue l'origine des visites et surveillances régulières, pratiquées dans les congrégations religieuses, qui ont parfois notifié, en de sévères et minutieuses relations, de fâcheux écarts. Les Bénédictines de St-Sulpice n'ont pas toujours donné l'exemple de la plus pure vertu dans les divers monastères qu'elles ont habités, comme nous le verrons dans le cours de ces pages.
Lorsque nous serons témoins d'incidents regrettables nous reconnaitrons presque instinctivement que la piété et une clôture étroite fournissent les seuls préservatifs assez puissants pour étouffer le germe de malencontreux excès. Au mois d'août 1224, nous voyons le saint Evêque du Mans, soucieux de procurer le bien des âmes, destituer le prieur de la Fontaine St-Martin [Note : Canton de Pontvallain, arr. de La Flèche (Sarthe)], nommé Lambert, pour ses malversations, et lui donner un successeur. Sans tarder, il informe l'abbesse de St-Sulpice, la vénérable Mabille, de tout ce qu'il a fait et proteste qu'il n'a point voulu usurper sa juridiction; il lui est loisible de regarder comme non avenues ses démarches si elle ne les trouve pas judicieuses. Les événements laissent supposer que cette vertueuse femme les approuva, car elle chargea aussitôt le prieur de son monastère de se rendre à la Fontaine St-Martin pour faire une enquête sur l'état de ce couvent. Il somme, sous les peines les plus graves, les moniales de lui dire toute la vérité. Celles-ci ne l'écoutent pas et ne s'émeuvent point de ses menaces.
La sous-prieure, Mabile de Sesser (?), Elisabeth Malherbe, Cécile du Mans, Jeanne de Saint Paul et cinq autres quittent tumultueusement le chapitre en prononçant des paroles injurieuses pour l'abbesse de St-Sulpice et son délégué. Pour cette criminelle désobéissance, elles encourent la censure de l'excommunication. Pendant combien de temps furent-elles retranchées du sein de l'Eglise catholique ? Nous ne le savons pas.
Cependant nous aimons à penser qu'elles furent touchées de la bienveillance de leur supérieure générale qui demanda, quelques mois plus tard, à l'Evêque du Mans de leur envoyer un prêtre pour absoudre celles qui voudraient s'humilier [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/68]. En 1294, l'abbesse de St-Sulpice manifesta une sollicitude vraiment maternelle pour les religieuses de la Fontaine St-Martin, elle recommanda au prieur de leur procurer une nourriture substantielle tout en songeant au bon entretien de l'Eglise [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/68].
En 1367, elle les visita elle-même et leur procura ses encouragements, ses bons conseils [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/68]. Le temps marche, nous arrivons au 12 avril 1507 et les mémoires de cette époque nous révèlent un fait déplorable. Jeanne Pennart, prieure de la Fontaine St-Martin, écoutant une humeur trop capricieuse s'oublie gravement et déclare à l'abbesse de St-Sulpice qu'elle ne veut plus lui obéir, à l'avenir, elle ne comparaîtra plus au chapitre général et ne lui payera point ses devoirs. Douée d'une nature généreuse, elle comprend bientôt sa faute, elle en éprouve un cruel remords qui ne lui laisse pas de repos. Elle n'y tient plus, elle se rend spontanément à la Fougereuse où se trouve momentanément celle qu'elle a reniée, injuriée, Andrée de Belloneau. Se prosternant à deux genoux devant elle, elle implore son pardon pour le passé et lui jure fidélité jusqu'à la mort. Après avoir payé en espèces d'or les arrérages de la rente qu'elle lui doit, elle exige qu'un notaire prenne acte de sa défaillance et de son repentir, 12 avril 1507 [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/25].
Jeanne Pennart était passée de vie à trépas et le prieuré de la Fontaine St-Martin était vacant. Le 22 avril 1511, les dames Guillermine de Grosgelin, Hardouine de Sarcé, Jeanne de la Roë, religieuses de ce couvent, assistées de Pierre Busson, religieux, prieur curé de la paroisse, s'assemblèrent dans l'église du monastère et choisirent comme prieure Jeanne de la Roë, soutenant que cette élection leur appartenait. L'abbesse de St-Sulpice, Andrée de Belloneau ne partageait point cette manière de voir, elle protesta en conférant le prieuré à Peronnelle de Bellonez. Cette dernière ne conserva pas longtemps ce bénéfice, qu'elle transmit bientôt à Jacquette Couasnon. Par suite d'un assez curieux ricochet, le prieuré de la Fontaine St-Martin fut de nouveau attribué à Jeanne de la Roë, mais elle devait payer une rente annuelle à Jacquette Couasnon qui l'avait résigné en sa faveur, 19 mars 1513 [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/19-68].
Jeanne de la Roë était quelque peu avare, elle consentait avec peine à payer la somme qu'on exigeait, pour son bénéfice ; d'ailleurs elle s'en croyait légitimement pourvue, ses compagnes le lui disaient, soutenant que le prieuré était électif et non collatif. Cependant on passa un accord, devant l'official du Mans, entre l'abbesse, représentée par François de la Pommeraye, écuyer, sieur du Verger, et Jacquette Couasnon, d'une part, Jeanne de la Roë et ses religieuses, d'autre part, Andrée de Belloneau s'entremit et considérant que la pension était trop élevée pour les modestes revenus du prieuré, elle la fit réduire et la fixa à 75 livres. Charmées de la bienveillance que leur supérieure générale leur avait témoignée, elles renoncèrent pour toujours à l'élection de leur prieure et en abandonnèrent le choix à l'abbesse. Deux religieuses, Urbane le Roux et Renée le Roy se disputaient le monastère de la Fontaine St-Martin, le Parlement de Paris trancha la question en donnant pour toujours à Marguerite d'Angennes et à l'abbesse de St-Sulpice la faculté de pourvoir ce prieuré quand il serait vacant (17 mars 1629).
En quittant le pays manceau, il nous plait de rendre un bon témoignage à cette communauté qui ne semble avoir gardé la mémoire de ses errements passagers que pour s'attacher plus sincèrement à la maison de St-Sulpice. Les abbesses en l'honorant de fréquentes et affectueuses visites la ramenèrent dans le chemin du devoir, qu'elle ne quitta plus. A la Fontaine St-Martin comme dans l'antique abbaye du Nid de Merle, les moniales, fidèles à leur règle et à leur vocation, bravèrent l'orage de la révolution et répétèrent comme les martyrs des premiers âges : « Nous aimons mieux obéir à Dieu qu'aux puissances du monde » [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/68].
Si nous suivons les visiteurs dans leurs courses apostoliques, si nous prêtons une oreille attentive aux dépositions des témoins, des religieuses qui comparaissent devant eux, nous serons parfois douloureusement surpris de ce que nous entendrons. Le triste spectacle auquel nous assisterons nous fera mieux que jamais comprendre l'instabilité des personnes et des choses humaines. C'est alors que la bonté, la diligence, la fermeté des supérieurs nous apparaîtront comme absolument nécessaires pour remédier à une situation quasi désespérée.
Instinctivement, nous nous dirons en nous-mêmes : « Si ces infortunées avaient scrupuleusement observé leur règle, défendu l'entrée de leur cloître aux personnes du siècle, nourri leur intelligence de la pensée de Dieu et de l'éternité, elles ne seraient pas devenues un objet d'horreur et de mépris pour le ciel et la terre ». Les excès que l'histoire nous fera connaître, peuvent venir un sujet de méditation pour les supérieurs et les inférieurs ; les premiers n'oublieront pas qu'ils doivent être vigilants et toujours affectueusement dévoués, les autres marcheront avec prudence dans le chemin de la vie et se répéteront souvent ces paroles : « Cave ne cadas ».
Le 15 août 1502, nous sommes au prieuré de la Fougereuse et nous y rencontrons Jean Lévêque, prieur de Bais (Ille-et-Vilaine) et religieux de St-Sulpice, auquel son abbesse, Andrée de Belloneau, a donné une mission, toute de confiance et de délicatesse. La supérieure qui gouverne ce monastère, Andrée de la Chapelle, a eu une discussion assez vive avec un noble personnage, qui peut être estimable, mais qui a le malheur d'avoir ses entrées trop libres au couvent ! Trois jours durant, diverses personnes viennent lui parler de la querelle et lui exposer l'état lamentable de toute une communauté. Suivant les dépositions des témoins, deux gentilshommes fréquentent trop souvent le prieuré ; l'un qu'on appelle le sieur de Moreux y séjourne de longues semaines ; l'autre, nommé Etienne de Sanzay, aime à converser avec les religieuses et à partager leur frugale collation. Celui-ci se montre un peu jaloux des faveurs que la prieure accorde à son rival, il plaisante avec ironie sur des relations trop intimes. Andrée de la Chapelle admet à son plat le sieur de Moreux, lui fait le plaisir de le visiter dans sa chambre, va en sa compagnie, hors du monastère, prendre part à de joyeuses agapes, auxquelles il l'invite. La prieure, blessée dans son honneur de femme, lui demande compte de ses paroles, car il passe pour l'avoir qualifiée plus sévèrement qu'une vulgaire ribaude. Dans la ferveur de la querelle, Andrée de la Chapelle prétend qu'Etienne de Sanzay l'a prise à la gorge, décoiffée, traînée par les cheveux, battue !
Les personnes qui ont assisté à cette scène, comme celles qui habitent le couvent viennent dire tout le bien et le mal qu'elles savent des belligérants. La première qui comparaît est une religieuse Bénédictine, âgée de soixante ans ; elle se nomme Olive de Saint-Malon. Sa déposition assez longue semble résumer celle des autres témoins. Elle déclare que la prieure n'a aucune indulgence pour elle, elle a voulu la faire empoisonner par le sieur de Sanzay. Pour l'exciter à parfaire cette triste besogne, elle promettait de lui donner la pension de sa victime. Elle n'a point été battue, elle peut en parler, car elle était présente, elle faisait sa collation avec plusieurs moniales et Etienne de Sanzay ; tout le monde mangeait des fines herbes au vinaigre. A ce moment survint sa supérieure grandement courroucée, elle injuria cet estimable convive. A l'entendre, Andrée de la Chapelle mange seule, dit ses heures seule, ne se lève jamais avant dix heures, à moins que le sieur de Moreux ne soit au monastère. Elle ne va jamais à l'église que le samedi et le dimanche. Chose plus grave, elle a vu sa supérieure se prenant la tête avec les deux mains et criant qu'elle se donnait au diable, corps et âme, depuis les pieds jusqu'à la tête ! Elle ne veut avoir qu'un petit nombre de religieuses pour réduire ses dépenses ; sur son ordre, le sieur de Moreux défend de donner l'aumône aux pauvres et fustige ceux qu'il rencontre.
Une autre moniale, Hélène de la Chasse, déclare que le sieur de Moreux est mal disposé pour les religieuses, il menace de rompre l'échine à celles qui vont chercher leurs soupes à la cuisine. Nous le voyons, dans ce monastère, tout n'est pas édifiant, de pieuses âmes en gémissent. Sans doute, l'abbesse de St-Sulpice, amplement informée, se crut en conscience obligée de mettre, un terme à des abus si criants, mais nous ignorons quels moyens elle employa pour y obvier [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2, liasses non classées].
Nous sommes en 1674, Marguerite de Morais a reçu de mauvaises nouvelles du grand Locmaria près de Quimper, des plaintes fort graves lui sont parvenues, la confusion et le désordre règnent dans cette maison. C'est encore au prieur de Bais, Pierre le Héricy, que l'abbesse s'adresse ; elle le charge de visiter, en son nom, ce malheureux prieuré. Ce religieux accepte cette obédience avec humilité et soumission. Le grand Locmaria est à quarante lieues de St-Sulpice, il y arrive, le 4 juin, vers 6 heures du soir. Il est reçu au parloir par la prieure, il passe avec elle et une partie des religieuses le reste de la journée. Comme il est fatigué d'un long voyage et sent le besoin de se reposer, il se retire dans une chambre qu'on lui a préparée près du parloir. Le lendemain, après avoir examiné l'extérieur du monastère, fait une courte promenade à travers la ville voisine ou dans les jardins de la communauté, il prend de nouveau contact avec la prieure, Françoise de Thalouët, que nous connaissons déjà, et lui demande le nom de toutes ses religieuses. Le 6 juin, Pierre le Héricy commence la visite par une messe solennelle du Saint-Esprit qu'il chante, assisté du chapelain ; les religieuses lui répondent. Quand l'office est terminé, il quitte le sanctuaire, sans visiter le Saint Sacrement, car il ne peut le faire : l'église étant paroissiale, ce droit est réservé à l'Evêque. Revêtu de la soutane, du surplis, de l'étole, il entre dans la clôture du prieuré par la grande porte, où les religieuses l'attendent, au nombre de dix et deux novices. Elles le conduisent au chœur, lieu qui leur sert de chapitre.
Là, il donne lecture de lettres spécifiant la commission qui lui a été donnée. Il exhorte ces moniales à demeurer unies à l'abbesse de St-Sulpice, comme des membres à leur chef. Ces dernières, gagnées par ses pieuses paroles, son air de bonté, lui répondent qu'elles sont prêtes à obéir en tout aux ordres de Marguerite de Morais. Interrogée, la prieure répond qu'on se montre fidèle aux statuts de St-Sulpice. Les moniales communient les dimanche, jeudi et les jours de fête qui arrivent dans la semaine. La communauté n'a qu'une messe chaque jour.
Venant à parler de la clôture, Françoise de Talhouët déclare qu'elle est bien observée, et cependant nous savons par ailleurs que ce point de la règle mérite des réserves. Elle indique ensuite l'horaire des divers exercices de la maison. Les religieuses se lèvent à 5 h. 1/2, font oraison à 6 h. 1/2, récitent prime à 7 h. 1/2, après quoi, elles assistent à la sainte messe. Retournant au chœur à 9 h. 1/2, elles disent tierce et sexte, qu'elles font suivre du dîner. Lorsqu'elles ont mangé, elles prennent une récréation jusqu'à midi et demi, moment où elles rentrent à l'église pour réciter none. Quand cet office a pris fin, commence le silence, qui se prolonge pendant une heure. De 1 h. 1/2 à 3 h. 1/2, tout le monde se livre au travail manuel, qui est immédiatement suivi des vêpres. Lorsqu'elles sont achevées, les religieuses se retirent dans leurs chambres jusqu'à 5 heures, instant où elles prennent leur repas du soir. Lorsqu'elles se sont restaurées, elles jouissent d'une récréation jusqu'à 7 heures. Après les complies et un examen de conscience d'un quart d'heure, elles récitent l'office des matines, qui se termine généralement à neuf heures. Après une journée aussi bien remplie, les religieuses ont droit au repos.
La prieure observe que les jours de jeûne, on dit tierce après prime, sexte et none à 10 heures. Le dîner a lieu à 11 heures et la récréation se prolonge de midi à 1 heure, le silence s'observe de cet instant jusqu'à 2 heures, le travail manuel se fait de 2 à 4 heures, temps fixé pour les vêpres. La collation se prend à 5 h. 1/2. Le reste de la journée se passe comme à l'ordinaire.
Françoise avoue publiquement qu'une regrettable division règne dans sa communauté, elle en éprouve un grand déplaisir. Elle veut espérer que le digne visiteur qui honore son monastère de sa présence pourra y rétablir le calme. Elle n'est pas satisfaite de toutes les religieuses, elle se propose d'en exposer le motif en particulier. Elle affirme qu'elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour qu'il ne leur manque rien. Elle fait elle-même la recette et l'emploi des revenus du prieuré, elle se propose de donner au délégué de l'abbesse un aperçu concernant les rentes annuelles et les charges ; mais pourra-t-elle le faire ? L'ancienne prieure, dame de Bréhant, n'avait aucun registre, tout se trouve dans une grande confusion. Malgré tout, elle se mettra au travail et ne désespère pas de présenter pour la prochaine visite des comptes apurés. Tout ce qu'elle peut dire à l'heure présente, c'est qu'elle n'a rien échangé, ni aliéné. Dans l'après-midi du même jour, 6 juin, Pierre le Héricy entendit les dépositions secrètes des religieuses. La prieure comparait la première et décharge son âme et conscience, elle proteste d'avoir les meilleures intentions pour tous les membres de sa communauté. C'est une grande peine pour elle de se voir obligée de formuler des plaintes contre quelques-unes de ses moniales. Certaines ont eu des relations épistolaires compromettantes avec des ecclésiastiques qu'elle peut, pour le moins, taxer d'imprudence, elle a dû les dénoncer. La maîtresse des novices, madame de la Royrie n'élève pas les filles qui lui sont confiées dans un esprit de sainte obéissance, elle les excite contre la supérieure du monastère.
Madame Turin de la Royrie se présente à son tour, nous pouvons écouter ses accusations, car elles décèlent une âme ulcérée et dénotent une complète anarchie dans ce couvent. Elle déclare que la prieure est irascible, peu éclairée et complètement dénuée de bienveillance pour son prochain. Cette supérieure est sans attention pour les malades à qui elle refuse du bouillon, de la viande et des œufs, elle n'accorde point non plus, comme cela se fait d'ordinaire, quelque soulagement aux religieuses, qui se font saigner, si ce n'est aux dames du Guilly et des Hurlières [Note : Suivant Dom Calmet, les religieux avaient coutume de se faire tirer du sang chaque année, ils en demandaient préalablement la permission à leurs supérieurs. Dans l'ordre de Citeaux, on permettait la saignée, quatre fois par an, chez les Chartreux et les Prémontrés, cinq fois. En général on se faisait saigner après la Purification, l'octave de Pâques, de la saint Jean-Baptiste, la Nativité de Notre-Dame, la Saint-Martin d'hiver. En Allemagne, il était un temps où les religieux se faisaient saigner le premier four de chaque mois. D'aucuns l'étaient si habitués qu'ils ne pouvaient s'en dispenser. On avait l'habitude de faire bonne chère pendant trois jours à ceux qui subissaient l'opération de la saignée ou de la minution du sang, ils restaient assis et couverts pendant l'office. — V. Dom Calmet. Commentaire sur la règle de saint Benoist, t. 1er, p. 568-570. Les Bénédictines avaient conservé la pratique de la saignée, même au XVIIIème siècle, mais elles réclamaient du bouillon et de la viande les jours qui suivaient cette médication violente]. Toutes les autres se plaignent d'être misérables et maltraitées. Quand on lui demande ce qui est nécessaire pour la subsistance et l'entretien de la maison, elle n'a jamais d'argent. Les parents des religieuses ne participent pas davantage à ses bontés ; elle ne daigne pas les recevoir, même quand ils viennent de loin. Elle réserve toutes ses faveurs pour quelques moniales. Ainsi madame du Guilly est tout dans le monastère : sous-prieure, sacristine, portière, dépositaire. Ne pouvant multiplier sa personne, comme ses diverses charges le demanderaient, elle quitte à chaque instant l'office pour courir à la porte, au grenier, à la cuisine ; ses allées et venues troublent grandement l'office. Bien plus, elle veut s'immiscer dans les affaires du noviciat où elle met le trouble, elle empêche les jeunes filles qui s'y trouvent de travailler à de petits ouvrages, comme cela se pratique à St-Sulpice. Laissant libre cours à son ressentiment, elle fait des révélations encore plus graves, elle affirme que ses compagnes ne veulent plus se confesser au sieur Naouel, qui est suspect, non sans motif, à une grande partie de la communauté. Lorsque cet ecclésiastique vient au couvent, pour remplir ses devoirs de sage directeur, il rend visite à la prieure qui fait d'avance la confession des religieuses et lui en dit tout le mal qu'elle peut imaginer. Excité par ces relations, ce prêtre excentrique perd son sang-froid et pose des questions fort indiscrètes. Il vit un peu trop dans l'intimité de la sousprieure qui fait servir dans sa chambre de véritables festins en son honneur et en l'honneur du sénéchal du monastère. Ce dernier mange tous les jours à la communauté et franchit la clôture en passant par une porte, située sous la grille du parloir réservé à la prieure. A cet instant survient la cuisinière, Anne Piloit, qui se plaint d'être obligé de faire des ragoûts et des sauces extraordinaires.
Blanche de Kergoët dit que le prieuré est un enfer, elle demande, comme grâce, la permission de retourner à St-Sulpice. On reconnait en général que Françoise de Thalouët se montre très avare, elle néglige de fournir des habits et du linge à ses religieuses, qui mourraient de misère si les parents ne venaient à leur secours. Il n'y a pas de salle chauffée comme dans les autres monastères, il n'y a de feu qu'à la cuisine.
Le visiteur est obligé d'avouer qu'il a entendu parler de cette scandaleuse lésinerie en ville, où elle provoque une véritable indignation. Il faut croire que Pierre le Hericy avait consigné par écrit toutes les dépositions pour les communiquer aux religieuses réunies. Le tableau, comme on le voit, se trouvait chargé et fort noir, l'autorité n'y était pas flattée ; aussi nous ne sommes point surpris de voir la prieure et la sous-prieure refuser de signer un tel procès-verbal. L'abbesse de St-Sulpice dut sentir son cœur brisé de douleur en apprenant dans quel misérable état se trouvait ce beau couvent du grand Locmaria. Femme d'une intelligence remarquable et d'une grande sainteté, elle dut tout essayer pour y remédier. En dépit de ses louables efforts, le monastère devait encore pendant de longues années contrister la maison-mère par de déplorables excès [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/89].
Pendant plus de trente ans, les dames de Talhouët se sont succédé au grand Locmaria, comme prieures, mais nous le savons déjà, toutes les trois y ont apporté le trouble et le désordre, soit par leur inintelligence, soit par leur avarice ou leur orgueil. Leur direction néfaste a servi à montrer aux générations futures tout le mal qu'un être humain peut occasionner quand il abuse d'une autorité qui lui a été départie, pour torturer des âmes qu'on lui a confiées. Partial dans ses jugements, ses appréciations, ses égards, il accorde tout aux uns et oublie que les autres existent. Il partage bientôt ceux qui l'entourent en deux camps, en favoris et prétendus ennemis ; aux premiers, il accorde sa confiance, des honneurs, des charges, pour les autres, il n'a que des paroles aigres, des affronts pieusement motivés, des travaux surhumains. On dirait qu'il n'a qu'un seul désir : les tourmenter, les compromettre aux yeux de Dieu et des hommes, pour satisfaire des courtisans toujours assis à ses côtés ou prosternés à ses genoux, plus amoureux de perfides intrigues que d'une véritable piété. Comme nous allons le constater, Jeanne de Talhouët, pas plus que sa Sœur Françoise, n'estimait également ses religieuses, elle ne les voyait pas toutes du même œil. N'est-ce pas ce parti pris qui a découragé les meilleures volontés et introduit dans un monastère fameux la honte et la désolation. Marguerite de Morais avait entendu des plaintes amères s'élever de ce cloître où la piété n'osait plus se manifester. C'est sur l'ordre de cette abbesse que François Gautier, doyen de Fougères et recteur de Billé, s'y rend, sans tarder. Il y arrive, le 5 février 1700, bien décidé à scruter les coeurs et les reins. La visite commence, vers 9 heures du matin, par une messe solennelle en l'honneur du Saint-Esprit, assisté de messire Guillaume Forest, aumônier et secrétaire de l'abbesse. Vêtu de la soutane, des surplis et de l'étole, il quitte l'église et se rend au chapitre des religieuses, qui s'y trouvent au nombre de neuf choristes et trois converses. Les dépositions secrètes, particulières qu'il reçoit attesteront un affreux désordre dans ce couvent. La prieure annonce que deux moniales : les dames de Kerbiguet et de Lansullien, se sont retirées au petit Locmaria pour changer d'air ; elle ajoute avec malice que ces personnes étaient fort médisantes. Plusieurs religieuses corrigent cette remarque en déclarant qu'elles ont quitté le monastère pour ne plus avoir sous les yeux des scènes scandaleuses. Continuant de décharger leur conscience, elles ajoutent que Jeanne de Talhouët ne donne pas le bon exemple, elle n'assiste jamais aux matines et aux vêpres, sinon les jours de fête. Elle n'encourage pas la communion, qui ne se fait qu'une fois la semaine. Il n'y a pas de confesseur ordinaire ; tantôt, c'est un père cordelier, tantôt, un inconnu. Catherine le Barzic, incommodée de cette irrégularité, a choisi comme directeur un missionnaire du séminaire de Quimper. La prieure n'a pas trouvé cette exception de son goût, elle lui a souvent refusé la clef du confessionnal. Quant à la clôture, elle est fort mal gardée, on entre dans le cloître et les jardins, comme dans un champ de foire, des laquais, des porteurs de chaises viennent s'y battre au couteau ! Le sieur Marolle, dont la femme est pensionnaire au couvent, y est venu trois fois avec un officier de marine, tous les trois ont mangé au dortoir avec Jeanne de Thalouët, qui leur a fait servir un véritable festin. Un homme, le sieur Périac [Note : C'était un invalide de guerre, ainsi que l'atteste le factum. B. N. 16017. — Bibliothèque Nationale] sert les religieuses au réfectoire, on le retrouve partout, à la cuisine, au dortoir, au parloir. Le nommé Despérière garde les clefs de la maison et ne se fait aucun scrupule d'ouvrir les portes à qui bon lui semble. Le parloir des séculiers se trouve situé au-dessus du réfectoire, il s'y fait un tel bruit qu'on ne peut entendre la lecture. La prieure y reste souvent jusqu'à minuit, les grandes pensionnaires ne le quittent parfois qu'à cinq heures du matin. Les jeunes filles qui sont confiées aux Bénédictines pour leur éducation troublent le repos des moniales par le bruit qu'elles font dans le dortoir à toutes les heures de la nuit. Dame Silvie Lollivier de saint Maur est d'un funeste exemple. Elle assiste rarement à l'office, ne porte point de chemise de laine et passe son temps à lire des romans. Ayant gagné les bonnes grâces de la prieure, elle abuse de son influence pour l'exciter contre les religieuses. Un dimanche qu'elle gardait la porte de la communauté, elle laissa entrer tous ceux qui voulaient visiter le monastère [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2 89-92]. Informée de tout ce qu'on lui reprochait, Jeanne de Thalouët protesta contre la visite et soutint qu'elle avait seulement permis d'inspecter les bâtiments. Ses explications tardives n'émurent pas le visiteur, qui prescrivit de faire observer la clôture, la liberté de conscience et de fermer les parloirs, au moins à neuf heures du soir. Ce règlement fut approuvé par l'abbesse de St-Sulpice. Celle-ci défendit, sous les peines les plus graves, d'introduire des personnes séculières à l'intérieur de la communauté. Elle décida que le recteur de Locmaria pourrait entendre les confessions comme confesseur extraotrdinaire, mais elle ordonna la prieure de faire célébrer l'office divin aux heures déterminées et de donner l'exemple de la régularité (26 mars 1700) [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/90. — Bibliothèque Nationale, factum 16017]. Le 31 mars 1700, Jeanne de Talhouët se porta appelante comme d'abus, avec quelques religieuses, mais elle n'obtint pas gain de cause [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/90. — Bibliothèque Nationale, factum 16017].
Avant de quitter le grand Locmaria, il nous plaît de citer deux faits propres à modifier l'opinion sévère qu'on pourrait concevoir à son sujet. Il s'agit d'abord de la guérison miraculeuse d'une bénédictine qui habitait ce monastère. Catherine Aouel, sœur converse, souffrait cruellement d'un rhumatisme, qui la paralysait entièrement; elle ne pouvait faire le moindre mouvement sans pousser des cris déchirants. Ce mal ne l'avait pas quittée un instant pendant l'année 1682 et le mois de janvier 1683. Le 10 mai 1682, Marguerite de Morais lui avait permis de quitter son couvent, au temps des vendanges et d'aller se mettre dans le marc de vin, sous la conduite de sa mère et de ses sœurs [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/91]. Un jésuite, le Révérend Père Jacquesson, qui la confessait lui envoya une lettre du bienheureux Maunoir, qui venait de mourir, le 28 janvier 1683. Catherine Aouel prit le parchemin, le promena sur son corps endolori ; chose merveilleuse, le mal prit la fuite, comme s'il avait été terrifié par cet écrit. La patiente, subitement soulagée se leva seule, s'assit devant le feu, toute heureuse d'être délivrée d'une terrible infirmité. Le lendemain, 4 février, elle descendit au chœur pour rendre grâce à Dieu et assister à l'office. En 1714, monseigneur de Ploeuc fit une enquête et entendit quatre bénédictines, qui lui assurèrent le fait, sous la foi du serment, entre autres Gabrielle Marie de Kerbiguet. Nous avons rencontré cette miraculée, lors de la visite, en 1700 ; elle nous a fait une excellente impression, car, sans accuser personne, elle a déploré certains excès [Note : Archives départementales du Finistère, B, 11, 12. — G. 313-320 — H. 212-218].
Une lettre datée du 22 mai 1705, nous est tombée sous la main et nous a occasionné le plus grand plaisir, en rendant bon témoignage des religieuses du grand Locmaria ; Jeanne de Thalouët n'y est plus, madame de la Châteigneraye, bénédictine de St-Sulpice est désignée pour la remplacer. C'est Christophe Fresnel, recteur de l'endroit qui lui écrit : « Madame, lui dit-il, je ne serai jamais des derniers, quand il s'agira de rendre à la prieure de Locmaria tous les respects et les devoirs dont un homme peut être capable. Nous avons bien de l'obligation à Madame l'Abbesse de nous avoir donné, pour prieure, une personne aussi distinguée par le mérite, la naissance et la vertu, que l'est Madame de la Châtaigneraye ; qu'il y a longtemps que le pauvre recteur de Locmaria fait des vœux au ciel pour lui demander une prieure sage, prudente, charitable, qui n'ait en vue que la gloire de Dieu, le bon ordre et le salut du prochain, en la conduite de ce monastère désolé. L'heureux jour si désiré est enfin arrivé. Le ciel a donc exaucé mes prières, Madame, quand il a inspiré à notre illustre et digne abbesse de vous nommer prieure du grand Locmaria. Je ne doute point qu'elle s'est fait effort pour éloigner de chez elle une si parfaite religieuse, mais elle en sera récompensée dans le ciel puisqu'elle ne se prive de sa consolation que pour la plus grande gloire de Dieu. Quoique je n'aie pas l'honneur de vous connaître, Madame, le choix de Madame l'Abbesse qui est toujours si judicieux, a l'approbation universelle, et suivant ce que la renommée m'a appris, vous êtes la personne selon le cœur de Dieu que j'ai tant demandée. Venez donc, Madame, au plus tôt consoler une douzaine de pauvres filles qui sont dans l'impatience de vous embrasser, comme leur bonne et véritable mère, qui leur fera respirer un tout autre air. Je vous assure qu'elles sont de bons cœurs et de bons sujets qui, animés de la présence, des paroles et de l'exemple de leur chère et digne prieure, arriveront (en bref) au sommet de la perfection [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2, liasses non classées].
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