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Abbaye de Saint-Sulpice-la-Forêt.

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Relations des religieuses avec leurs vassaux.

 

Quoique les Bénédictines fussent cloîtrées, elles avaient nécessairement des relations avec le monde extérieur, soit par elles-mêmes, soit par l'intermédiaire de leurs procureurs. Comme elles possédaient de nombreuses propriétés, des prieurés, des couvents, dans plusieurs contrées de la France, elles étaient exposées à rencontrer, sur leur chemin, les natures les plus diverses, à entendre des compliments gracieux comme des paroles blessantes. Dans le pays qu'elles habitent, leur bonté traditionnelle, légendaire, ne les met pas à l'abri de procédés malséants. Le recteur de Saint-Sulpice, vénérable et discret messire Pierre Gaultier a, pour servante, une étrangère qui est la plus turbulente, harangère, séditieuse et insupportable personne qu'on puisse voir. Elle cherche dispute à tous les gens de l'endroit, et, comme elle est au service du pasteur, se croyant indemne de toutes recherches, son audace croît de jour en jour. Elle prétend gouverner, dominer, tous les habitants, elle ne craint personne et prend plaisir à susciter des querelles aux uns et aux autres. Rien ne l’arrête, elle a poussé la témérité jusqu'à vouloir battre les domestiques de Mme l’abbesse. Plusieurs fois, elle est allée hardiment, brusquement, les gronder, les menacer jusqu'à la maison conventuelle. Le samedi, 5 août 1741, vers une heure de l'après-midi, la même Marie Jamet s’en alla attaquer Renée Guenail, officière de Mme l'abbesse, qui se trouvait en ce moment dans la cour du monastère, occupée à vider une paillasse, et lui dit force injures parce qu'elle avait renvoyé de la prairie de Mme l'abbesse la vache du recteur qu'on y mène journellement paître contre toutes les règles de la justice, Elle la poussa vivement et faillit la renverser par terre. Armée d'un gros bois, elle le leva plusieurs fois pour la frapper et elle l’aurait fait sans l'arrivée d'un particulier qui détourna le coup qu'elle allait asséner sur la tête de la malheureuse Guenail. Cette dernière ne faisait que s’excuser et ne prononça aucune parole sévère, bien que Marie Jamet jurât le saint nom de Dieu, et menaçât de la battre partout où elle la rencontrerait. La servante du recteur se retira enfin peu à peu, après avoir écouté les remontrances de l’homme sage qui était intervenu et lui prouvait qu’elle était gravement en faute. Ce ne fut qu’une trève car la guerre n’était pas terminée. Le dimanche 13 août, Renée Guenail se rendit, vers 5 heures et demie du matin, pour acheter de la viande. Peu de temps après, Marie Jamet y arriva elle-même. Aussitôt, elle cria à Renée Guenail : « A ! te voila donc ; veux–tu battre, allons, nous allons le faire toutes les deux… ; aussy bien, je t’en veux, tu n’es plus dans la cour de ton couvent aujourd’huy ». A ce discours, Renée Guenail répondit : « Non, je ne suis pas venue icy pour me battre, je n’ay dessein de me battre ni avec vous ni avec d’autres ». Cependant, la dite Jamet arracha bruquement et de force le bâton d’un homme se trouvant dans son voisinage, sous la halle, et comme Renée Guenail visitait et marchandait de la viande, Marie Jamet s’approcha d’elle par derrière et lui en donna trois coups sur une épaule et deux sur un bras avec une telle violence que ces sévices indignes laissèrent des traces noirâtres. Elle aurait assommé sa victime sans l’intervention des hommes, Maheu et Ostier, qui enlevèrent la malheureuse trique des mains de Marie Jamet, jurant comme une possédée et menacant de tant battre Renée Guenail que mort s’en suivrait. Elle déclara devant plusieurs personnes que, si elle pouvait rencontrer son ennemie à l’écart, elle lui brûlerait la cervelle, à coups de pistolet. Elle répéta aussi sous les halles de Saint-Sulpice que le jour précédent elle avait aperçu Renée Guenail sur la lande de Chasné ; elle regrettait de n’avoir pu l’approcher, car elle l’eût bien repassée, elle lui aurait relevé le nez ! Tout cela, quoyque trop vrai, ne paraît pas surprenant puisque la dite Jamet a voulu poignarder à coups de couteau le nommé Michel Régnault, qui était domestique chez le recteur de Saint-Sulpice. Par ses violences, elle l'a obligé de quitter son service, car il n'était pas en sûreté de sa vie avec elle !

Mme l'abbesse, informée de tous ces incidents, manda le recteur et lui expliqua qu'il y allait de son honneur et de sa réputation de mettre fin à ces regrettables désordres en employant des moyens extrêmes. Le vénérable ecclésiastique comprit le sacrifice qu'on lui demandait. Il répondit qu'il ne la congédierait pas, parce qu'il n'avait que cette servante et qu'il ne pouvait se priver de son dévouement. Il ajouta avec ingénuité que Mme l'abbesse avait plusieurs domestiques à son service, elle pouvait donc ramener la paix dans le modeste hameau en renvoyant Renée Guenail. Ce conseil ne fut point goûté de l'éminente religieuse ; pour éviter, à l'avenir, des scènes scandaleuses, pour prévenir une mortelle agression, elle demanda à la justice d'éloigner cette étrangère et de la faire transporter dans son pays d'origine. Cette énergique décision dut contrister le vieux pasteur qui excusait les excentricités de son cordon bleu, en considération de ses bons et loyaux services ! [Note : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 2H2/62].

Quelque vingt ans auparavant, les Bénédictines n'avaient pas eu à se louer de trois ecclésiastiques auxquels leur situation commandait une respectueuse déférence. Non loin de Saint-Sulpice se trouve Mouazé, un des plus anciens fiefs de l'Abbaye ; ce sont les religieuses qui présentent à l'agrément de l'Evêque, le clergé local. En 1722, missire Coplot est le recteur de cette paroisse. Comme nous allons le voir, il se montre peu soucieux des égards qu'il doit aux moniales, il cite leur abbesse devant les tribunaux et se vante de consommer le monastère en procédures. Il réclame d'abord que sa pension congrue soit portée à 300 livres ; sa demande est accordée [Note : Pensions congrues : 1686-1768 ; 300 livres ; 1768-1786 : 500 livres ; 1786-1790 : 700 livres]. Il ne s'arrête pas en si beau chemin ; désirant augmenter ses revenus, il jette un œil d'envie sur les dîmes novales, sur les dîmes perçues sur les terres nouvellement défrichées, il prétend qu'elles lui appartiennent. Pour éviter une pénible discussion, on s'engage de ce chef à lui payer une rente annuelle de 20 livres, mais cela ne suffit pas à ce brave ecclésiastique. Après avoir longuement médité, cherché comment il pourrait bien tracasser les moniales, il se présente devant l'abbesse, Mme de Lesquen, et lui déclare que sa conscience se trouve mal à l'aise : il avance en âge et ses forces ne lui permettent plus d'évangéliser avec fruit sa population, il a besoin, pour le seconder, d'un curé (vicaire). La religieuse lui répond qu'elle ne refuse point de payer une pension de 150 livres, pour cet auxiliaire ; elle lui rappelle en outre que Mme d'Armaillé lui a offert de lui procurer le secours qu'il sollicité « mais, reprend Mme de Lesquen, il faudrait d'abord savoir si les paroissiens désirent un curé ». Le sieur Coplot se hâte de répliquer que tous le réclament. Avec un sourire malicieux, l'abbesse observe que c'est parfaitement vrai, mais il ne saurait ignorer qu'ils souhaitent aussi universellement un recteur, pour des motifs qu'il connaît ! — Un proche parent de Gabrielle de Morais, ancienne abbesse, avait acheté, payé de ses propres deniers plusieurs héritages qu'il avait donnés à la communauté, et cette dernière devait, par reconnaissance, faire célébrer, chaque semaine, dans l'église du couvent, après l'avoir préalablement annoncée avec la grosse cloche, une messe basse en l'honneur de Saint Gabriel. Missire Coplot fut pourvu de cette chapellenie. Lorsque Mme d'Armaillé lui présenta ce bénéfice, elle lui dit avec bonté : « Puisqu'un service régulier vous amènera chaque semaine dans nos parages, je vous invite dès maintenant à manger avec Messieurs nos prêtres ». Il va sans dire que le recteur, de Mouazé accepta avec joie cette gracieuse proposition, elle lui permettait de varier le maigre ordinaire de sa table et de discourir agéablement avec les chapelains. Cette généreuse hospitalité n'étouffa pas chez le sieur Coplot la furie des procès, il lui fallait toujours inventer quelque chicane ! Depuis qu'il n'était plus sustenté par la copieuse et délicate pitance des Bénédictines, depuis qu'il n'avait plus entrée libre au réfectoire des aumôniers, faveur qu'on lui avait sans doute retirée pour quelques réflexions malséantes, il trouvait le trajet de Mouazé à Saint-Sulpice et de Saint-Sulpice à Mouazé fort pénible. A force de crier famine, son estomac lui suggéra l’idée qu'il serait peut–être facile d’améliorer la situation. Cette messe qui lui imposait tant de fatigues, pourquoi ne lui serait-il pas permis de la célébrer dans son église ? Quel contrat l'obligeait ainsi à s'exposer, dès le matin, aux rigueurs des saisons ? S'adressant aux religieuses, il les pria de lui soumettre le malencontreux document qui le chargeait d'un si laborieux service ! On satisfit son désir et on lui prouva qu'on n'exigeait pas autre chose que la stricte justice ! Cette démonstration ne souffrait pas de réplique et l’infortuné recteur dut se résigner à son triste sort. Cela ne l’empêcha point de fréquenter les tribunaux, il y avait un compte courant assez chargé qu’il imposer à l’abbesse, celle-ci refusa de solder les 200 livres qu’il avait dépensées en divers procès [Note : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 2H2/62].

En 1724, nous trouvons un nouveau recteur à Mouazé, il s'appelle Etienne Lemeignant. A peine installé dans sa paroisse, il visita quelques maisons qui faisaient partie de la chapellenie de Saint-Gabriel et fut affligé de les voir en très mauvais état. Dans une entrevue qu'il eut avec l'abbesse, il la supplia de les réparer et de lui épargner le desagrément de lui intenter un procès. Ses paroles cauteleuses, ses protestations plus ou moins sincères, firent une mauvaise impression sur les religieuses ; son beau langage leur permit de penser que ces belles phrases cachaient de mauvais sentiments et une grande déloyauté, L'avenir montre qu'elles avaient deviné dans ce pasteur un homme décidé à leur faire la guerre. On ne dit pas s’il fut invité à manger avec MM. les aumôniers ! Si cet honneur lui fut refusé, il s’en vengea en citant en justice les moniales ! Il voulait que les quartiers de sa pension lui fussent payés d’avance, chose qu’il réclamait en vain depuis longtemps, disait-il. Il allègue que son curé, à qui on doit trois quartiers ou neuf mois de pension, ne veut plus avoir aucune relation avec l’abbesse ; cette femme l’a fatigué par ses refus non motivés ! Tout en parlant ainsi, il ne restait pas inactif ; s’adressant à la justice, il lui demandait de venir à son aide. Le 9 avril 1726, une sentence somma Mme de Lesquen de faire droit aux désirs du clergé de Mouazé [Note : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 2H2/62]. Avant d’aller plus loin nous tennos à dire ici que ces ecclésiastiques n’avaient peut-être pas tous à dire ici que ces ecclésiastiques n’avaient peut-être pas tous les torts ; rappelons-nous qu’à cette époque l’administration de Saint-Sulpice traversait une terrible crise où faillit sombrer la bonne réputation des religieuses de cet antique et respectable monastère.

Jadis, comme de nos jours, les gens d’église passaient pour une clientèle qu’on pouvait exploiter sans scrupule et sans réserves. Si Mme de Villemeneust a été sévèrement jugée pour son administration ruineuse et confuse, il faut avouer qu’elle n’est pas la seule coupable. Nous avons tout lieu de croire qu’elle fut souvent l'innocente victime de personnes intéressées à tromper sa vigilance et à profiter de sa grande bonté d’âme. Nous allons apporter ici une prevue de ce que nous avancons. En 1734, nous voyons un sieur Hamelin présenter une note pour des marchandises qu’il a fournies au monastère de Saint-Sulpice, du 31 octobre 1721 au 25 mars 1723. Il exhibe d’abord un billet de 1390 livres, signé de l’abbesse, mais il se garde bien de signaler un acompte de 232 livres qu'il a reçu dans l’intervalle, se réservant d’alléguer un léger défaut de mémoire si on découvre sa mauvaise foi. Il pousse plus loin la déloyauté, il ose exiger 900 livres d'appointements pour avoir été le fournisseur habituel de l'Abbaye pendant 18 mois. Non content d'avoir vendu ses denrées au prix maximum, il veut encore faire honorer dignement son manque de conscience [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/52].

Les religieuses de Saint-Sulpice possédent le tiers des dîmes dans les paroisses de Vendel et de la Chapelle-Saint-Aubert (Ille-et-Vilaine), qu'elles afferment généralement. Ces revenus leur suscitent parfois de chaudes discusions et de cruelles inquiétudes. Missire Renaudin, recteur de la Chapelle, exige qu'on lui accorde une gerbe par ménage, le dixième de boisseau des grains qui appartiennent à l'abbesse, toutes les dîmes novales ou provenant de terres récemment défrichées, les balles d'avoine, les écochons de blé noir, 5 boisseaux de seigle et d'avoine pour nourrir deux cochons ; à cette condition, il s'engage, à faire transporter les gerbes à la grange dîmeresse. Par charité, par amour de la paix, l'abbesse accepte les propositions qu'on lui fait (11 décembre 1612) [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/60].

En 1686 Julien Blouet, pasteur du même lieu, sollicite les mêmes avantages et les obtient, 29 mai 1690 [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/46]. Ce dernier va trouver Marguerite de Morais et lui expose qu’elle lui rendrait un grand service en lui payant d'avance sa portion congrue ou son traitement évalué à 300 livres. Comme l'abbeese ne croit pas possible d'accéder à sa demande, le recteur de la Chapelle s'indigne et déclare tout haut que le prieur de Saint-Sauveur-des-Landes et les religieuses de Saint-Sulpice ne savent que vexer le pauvre peuple ! La moniale lui réplique que, tout prêtre du Seigneur qu'il est, ne songe qu'à injurier et invectiver [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/46].

En 1721, missire Claude-Joseph Boulanger gouverne la paroisse de la Chapelle-Saint-Aubert. Comme il est jeune, actif, vigoureux, tout ce qui est antique, ruineux, ne lui plait pas, il éprouve le besoin de faire du nouveau. La grange dîmeresse a beaucoup souffert de l'injure des temps, il considère qu'il est sage de la renverser et d'en construire une autre à sa place : il dépense, de ce chef, 700 livres. Ces frais considérables ne l'effrayent pas, car il espère les faire solder par les riches décimateurs. Les Bénédictines de Saint-Sulpice, auxquelles il explique cette affaire, ne veulent rien entendre, elles lui repondent que les paroissiens doivent fournir à leur pasteur les logements qui lui sont nécessaires ; d'ailleurs elles lui payent, tous les ans un droit pour charroyer et abriter leurs dîmes, elles ne sont pas tenues à autre chose. Claude-Joseph Boulanger, froissé d'un accueil aussi peu cordial, rentre chez lui et garde un pieux silence. Le 22 décembre de la même année, le sieur Piedelou, procureur du monastère de Saint-Sulpice, arrive avec un harnais et réclame les fruits des dîmes, les 64 boisseaux de seigle qui appartiennent aux Bénédictines ; le recteur lui déclare que si les moniale n'ont pas d'argent à lui fournir, il n'a pas de blé à leur livrer ! Informée de ce malencontreux incident, l'abbesse intente un procès au sieur Boulanger et lui fait demander de justes indemnités. Quel fut dénouement de ce litige ? Nous l'ignorons [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/47].

Les dîmes que nos religieuses possédaient en Vendel, localité voisine, avaient été affermées à Jeanne Méneust, veuve de Jean Gastel, dame de la Cocherie, fermière des terres et du moulin de Bloc. Comme celle-ci voulait les emporter dans l'aire de sa ferme, Jacque Chevalier, recteur de la paroisse, et son subcuré, Jacque Biard, s'y opposèrent. A les entendre, elles doivent être conduites à la grange dîmeresse du presbytire, où elles seront battues et distribuées au boisseau. Le pasteur affirme qu'il a droit aux balles, aux pailles, aux écochons et au résidu des blés qui restent dans l'aire après le battage ; transporter une partie des dîmes au moulin de Bloc, c'est le priver de droits avantageux. Pour défendre ses privilèges, il s'adresse au présidial de Rennes et engage un procès, mais les Archives monastiques ne disent point quel en fut le résultat [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/62].

Nous venons de constater que les religieuses de Saint-Sulpice ne vivaient pas toujours en parfait accord avec les ecclésiastiques qu'elles sustentaient de leurs dîmes. Tout en reconnaissant la grande vertu de ces prêtres, elles déploraient certaines indélicatesses et l'oubli des plus élémentaires prévenances envers des supérieurs que les circonstances leur avaient donnés. Naturellement, on se demande si les Bénédictines n'eurent pas à souffrir du voisinage des hérétiques, car il y avait des protestants à Ercé-près-Liffré (Ille-et-vilaine). Dans le pays même, nous ne voyons pas qu'elles aient été inquiétées ; cependant le seigneur du Bodarge n'avait pas une vive affection pour les catholiques. On raconte que le 25 juillet 1596, en revenant de Pontorson (Manche), où il était allé rendre visite au sieur de Montgommery, passant par Romazy et Sens (Ille-et-Vilaine), il tua 12 ou 15 personnes, pour se venger des injures qu'on lui avait adressées [Note : Vaurigaud, Eglises réformées de Bretagne, 3 v. 8°. Paris, Joel. Cherbuliez, 33, rue de Sèvre, 1870]. Quelques prieurés ne furent pas aussi favorisés.

Nous savons en effet que les réformés manifestèrent quelque turbulence dans le pays de Châteaubriant (Loire-Inférieure).

En 1562, le jour de la Fête-Dieu, dans le bourg de Sion (Loire-Inférieure), René de la Chapelle, seigneur de la Roche-Giffart, voulant, au mépris de toutes les convenances, traverser la procession avec sa voiture, vit son carrosse renversé. Pour laver cet affront, il pilla et incendia le couvent des Cordeliers, situé dans la forêt de Teillay, et fit massacrer deux religieux [Note : Le Protestantisme dans le pays de Châteaubriant, Marquis de Bellevue, 1905, p. 18]. — L'orage grondait, les religieuses de Saint-Sulpice avaient tout à craindre pour le monastère de Teillay (Ille-et-Vilaine). Péronnelle de Lourme, qui l'habitait, crut prudent de l'abandonner et de se réfugier à Châteaubriant, 1562. Les Huguenots ne tardèrent pas à envahir ce prieuré, où ils demeurèrent 8 ou 10 jours ; ils s'emparèrent de tout ce qu'ils trouvèrent, à leur convenance et brûlèrent les images des Saints [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/96]. Le couvent de la Giraudière ne trouva pas grâce devant les hérétiques, il fut incendié [Note : Paroisse de Saint-Amand-sur-Sèvre (Deux-Sèvres). — Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 2H2/81].

Puisque nous sommes en train de narrer divers événements qui ont pu contrister nos vertueuses moniales, nous allons consigner dans notre récit plusieurs autres contestations propres à nous faire juger et apprécier les mœurs et les caractères des temps anciens. Nous sommes à Avessac, localité de la Loire-Inférieure, nous y trouvons un modeste prieuré connu sous le nom d'Estival et relevant de Saint-Sulpice. Les populations voisines s'y rendent en foule, le 3 mai, pour honorer saint Eutrope et lui recommander leurs intérêts spirituels et temporels. Les dépendances de ce bénéfice sont exploitées par un fermier fort honorable qui, pour une redevance convenue, se charge de faire acquitter les messes de fondation, de percevoir les revenus de la terre et les dons qui se font à la chapelle. Jusqu'en 1668, rien ne vient troubler la piété des fidèles, mais, à cette époque, le recteur de l'endroit, tout nouvellement installé, ne souffre pas qu'on discute ses privilèges, quand même il lui arriverait de les exagérer. Il a, dit-il, toute juridiction en sa paroisse, personne n'y peut célébrer sans son consentement exprès et surtout profiter de la piété des fidèles. Le 3 mai 1668, fête de saint Eutrope le fermier envoie son fils René, qui est prêtre, célébrer la messe à la chapelle et le charge de recueillir les offrandes. Il avait compté sans le pasteur d'Avessac qui se présente et s’en empare furtivement. Pour cette fois, on se contente de protester, d'informer la prieure titulaire qui saura défendre ses droits ; on aime mieux la paix, la tranquillité, que les procès, et puis, on espère que le coupable, éclairé par un charitable avertissement, renoncera à ses prétentions. Il n'en fut rien. Le 3 mai 1669, le recteur d'Avessac ne paraît pas dans le sanctuaire d'Estival, mais il prie son vicaire, Robert Guillotin, de s'y présenter en son lieu et place. Le moment critique arrive, l'autel de Saint-Eutrope est couvert de pièces de monnaie. On se surveille de part et d'autre. René Ménard s'avance pour recueillir les offrandes, mais le vicaire d'Avessac s'y oppose et lui saisit la main si vivement qu'il lui fait une blessure d'où le sang jaillit en abondance. Robert Guillotin s'écrie que l'église est polluée et que personne ne peut plus y célébrer la messe. Plusieurs ecclésiastiques qui se trouvent là ne savent qu'en penser, ils se retirent sans satisfaire leur piété ! Sur ces entrefaites survient le recteur de Fégréac (Loire-Inférieure), avec un grand nombre de ses paroissiens qui sont venus en procession. Après avoir tout examiné, il comprend qu'il s'agit d'un léger accident involontaire, d'un déplorable scandale, dont la sainteté du lieu n'a pu souffrir. Rien, donc ne l'empêche de chanter la messe, à la grande satisfaction de son religieux troupeau. La prieure, Jeanne de Rosnivinen, ne petit tolérer plus longtemps de pareils abus, elle les dénonce au juge du présidial de Nantes.

L'année suivante, le 3 mai 1670, Julien Mancel, notaire royal à Saint-Nicolas-de-Redon, se transporte, dès 8 heures du matin, à la chapelle d'Estival. Dans son rapport, il expose que nombre de prêtres ont célébré la messe, les gens y sont venus avec leurs pasteurs, tout s'est passé dans le calme et la cérémonie du pèlerinage s'est déroulée au milieu d'un édifiant et pieux recueillement. Vers onze heures, alors que le peuple s'est retiré, Pierre Ménard, l'un des fils du fermier, a pu recueillir les offrandes sans entendre aucune réclamation ; les menaces de la justice avaient sans doute déconcerté la belle assurance du recteur d’Avessac [Note : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 2H2/67].

Quelques années plus tard, au fond de la Bretagne, à Quimper, au monastère du Grand-Locmaria, les Bénédictines sont aux prises avec un genre de persécution inouïe. Le vicaire de la paroisse, nommé Fiacre Richard, ne pratique pas toujours la douceur évangélique : dans ses crises de mauvaise humeur il qualifie sévèrement les religieuses qu’il traite de charognes, de bougresses, de laronnesses. Affligé d’un grain de jalousie, il ne supporte pas qu’un autre leur dise la messe ou leur donne les sacrements. Pour punir celles dont il n'est pas satisfait, il leur refuse la communion et pour empêcher qu’un autre la leur distribue, il porte sur lui la clef du tabernacle. Le 11 juin 1679, le vicaire général lui adresse une sévère admonestation, mais ne le corrige pas. Le 14 août de la même année, il se met en tête de jouer un bon tour aux moniales. Comme elles assistent dans une tribune aux sermons qui se donnent dans l’église, il commande de tapisser entièrement la grille qui la ferme, sans doute pour les punir d’avoir souri de son enseignement ou de ses réflexions. Une religieuse qui s’y trouve alors, occupée à prier, surprise de cette étrange opération, fait des remarques à haute voix. En l’entendant, Fiacre Richard interrompt un baptême qu’il a commencé, grimpe sur une échelle, une hache à la main, menace d’enfoncer la grille et de fendre le crâne à toutes les nonnes ! Le bruit de cette scène attire plusieurs religieuses qui, effrayées de l’attitude de cet ecclésiastique, poussent des cris de terreur. Des personnes qui se tiennent dans l'église interviennent et modèrent la fureur du vicaire de Locmaria. Cette violence justifiait une plainte au Parlement, et, du reste, ce n’était pas la seule chose qu’on pouvait lui reprocher. Il pénétrait dans la clôture en franchissant les murailles qu’il se vantait de percer ou de renverser un jour ou l’autre ; il menacait de jeter dans la rivière les restes des anciennes prieures ensevelies dans l’église ; lui, fils d’un vulgaire meunier, n’avait que des mépris et des injures pour des personnes de qualité. A tout cela, il ajoutait qu’il ne craignait pas les hommes de loi, car les juges, que les religieuses accablaient de procès, ne voulaient plus les entendre ! Que devint ce légendaire chapelain ? Sa conduite étrange lui valut peut-être une disgrâce bien méritée [Note : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 2H2/91].

Un événement tout particulier nous ramène dans le voisinage de l’abbaye du Nid de Merle. A Mouazé, s’élève une modeste église, dont le plus bel ornement est la piété des fidèles qui la fréquentent. Les archives de Saint-Sulpice nous en font une très brève description. Au-dessus de la balustrade, qui sépare le chœur de la nef, s’élève une sorte de jubé, où le clergé se rend pour chanter les meses hautes et y répondre, on y accède par un escalier tournant fort étroit. Au bas, se trouve un coffre servant à recevoir les ornements et les objets du culte. Comme ce meuble, peu décoratif, est assez long et s’étend en dehors du sanctuaire, les notables de l’endroit sont fiers de s’asseoir sur la partie qui avance dans la nef. A Mouazé, les seigneurs de la Piguelay ont de hautes prétentions, il s’imaginent qu’ils ont droit à des égards tout spéciaux et comme personne ne songe à les leur accorder, ils cherchent à les revendiquer, à les conquérir s’il le faut. Ils ne perdent pas une occasion favorable pour obtenir ce qu’ils désirent. Lorsqu’il s’agit de réparer les chapelles latérales, ils s’estiment heureux de contribuer à cette dépense, mais à condition qu’on y placera leurs armes. Plus tard, ils offrent une magnifique bannière et y appliquent leur blason. En 1585, la violence du vent a brisé les vitres qui ferment la fenêtre placée au fond du sanctuaire ; le sieur de la Piguelaye se propose de réparer ces dégâts et demande seulement la faveur d'agir en toute liberté. 0n s'accorde à trouver la restauration parfaite, cependant on se montre surpris de voir les armes du bienfaiteur au milieu de la nouvelle grisaille de la fenêtre. L'abbesse de Saint-Sulpice, qui possède de longue date le privilège exclusif d'avoir son blason dans l'église, informée, de cette nouveauté, se transporte sur les lieux et constate de visu la vérité de tout ce qu’on lui a dit, Gabrielle de Morais n'hésite pas à défendre ses droits et les droits de son monastère, elle ordonne de remplacer ces armoiries, qu'elle ne connaît pas, par un modeste médaillon en verre blanc qui sera l’écusson muet et ordinaire des supérieures devant se succéder à Saint-Sulpice. C'est un moyen ingénieux pour éviter des changements après l'installation de chaque nouvelle abbesse [Note : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 2H2/2]. Si le seigneur de la Piguelaye n'a pas encore atteint le but qu'il vise, il ne désespère pas d’y arriver. Par une sombre nuit d'hiver, le médaillon de Saint-Sulpice tombe en morceaux, brisé peut-être par une pierre lancée du dehors. L'accident n'aurait pas causé grand, émoi s’il n'avait permis au vent et la pluie de pénétrer dans le sanctuaire. La famille de la Piguelaye est toujours là, elle consent à réparer ce malencontreux dégât et même, le personnage qui la représente s'engage à faire davantage. Il observe que le chœur est très étroit, qu'on ne peut faire une génuflexion sans heurter du pied la balustrade, la table sainte, ce qui est fort indécent ! Ne serait-il pas possible de régulariser, d'agrandir le sanctuaire en reculant l’autel majeur jusqu'au mur du fond, sous la grande fenêtre qui l’éclaire ? Le recteur de Mouazé approuve cette généreuse idée et donne pleins pouvoirs d’agir comme on l’entendra. Les changements projetés se réalisent, émerveillent les gens du pays, mais deux choses les frappent : au milieu de la fenêtre que nous avons mentionnée, brillent les armoires des seigneurs de la Piguelaye, un banc avec accoudoirs, installé dans le sanctuaire du côté de l'Evangile, porte le même écusson. En regardant de près on trouve ça et là force blasons de l'illustre famille qui sent le besoin de perpétuer son souvenir. Ceci se passe en 1639. Marguerite d’Angennes, qui gouverne alors le monastère de Saint-Sulpice ne tarde pas à connaître toutes ces modifications et comme elle respecte le patrimoine qui lui a été confié, elle se dispose à défendre ses droits. Le Parlement est bientôt saisi de cette affaire et l'examine avec une scrupuleuse impartialité ! Philippot de la Carpraie, sieur de la Piguelaye, se montre inquiet, il sent que les honneurs, qu'il poursuit depuis nombre d’années, vont lui échapper. Il a beau protester qu'il en jouit depuis 15 ans, 20 ans, qu'un conseiller de la Cour a reconnu son bon droit, ces belles paroles n'impressionnant personne. Une idée lumineuse lui vient à l'esprit, il songe à composer avec l’abbesse, il lui envoie des personnes amies et lui promet de lui reconnaître le privilège de présenter le recteur de la paroisse si elle veut lui accorder le banc qu'il sollicite. Marguerite d'Angennes ne se laisse pas gagner. Le seigneur de la Piguelaye ne se décourage pas, il emploie d'autres armes pour ébranler la conscience des juges. Il leur représente combien il est dangereux d'accorder à une moniale des honneurs qui peuvent l'engager à violer sa clôture. Qui sait si un jour, aiguillonnée par la vanité féminine, elle ne tiendra pas à se présenter dans l'église de Mouazé, devant les habitants, avec l'auréole de la dame de l’endroit. De plus, quand même elle resterait fidèle à sa vocation, qui occupera ce fameux banc honorifique ? Sans doute, un procureur fiscal, des employés subalternes attachés à l’administration des Bénédictines ! Ces gens sans dignité primitifs, se prélasseront dans le sanctuaire tandis que de nobles personnes, fort estimées dans toute la contrée, seront relégués dans quelque coin obscur de la nef ! Ces arguments ne produisirent pas l'effet qu'en attendait le sieur de la Piguelaye, mais ils lui valurent cependant une demi-satisfaction. Une sentence du 19 mars 1658, permet à l'abbesse de Saint-Sulpice d'avoir près de la balustrade, du côté de l’Evangile, un banc honorifique avec accoudoirs ; pour ce qui regarde le seigneur de la Piguelaye, elle tolère qu'il en possède un, très ordinaire, du côté de l'Epître [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/2, 144].

Vers la même époque, nous trouvons une religieuse de Saint-Sulpice qui se voit obligée d'intervenir pour défendre ses droits et l'existence de son modeste couvent. Madeleine Hachon est prieure du petit monastère de Saint-Sauveur, situé dans la ville d'Angers, près du portail de Saint-Aubin. Le 8 avril 1617, elle voit entrer chez elle l'Evêque diocésain en compagnie de ses vicaires généraux et de missire Cornilleau, chanoine théologal, D'un autre côté arrivent François le Camus François Beaudroys, Urbain Corbeau, chanoines de Saint-Jean-Baptiste et Jean Gautreau, vicaire perpétuel de cette même église. L'humble moniale est honorée d'une pareille visite et cependant elle tremble pour les conséquences qui peuvent en résulter. Elle représente son abbesse, elle ne saurait aliéner les privilèges qui lui appartiennent, elle les réserve entièrement et observe que la présence du premier pasteur de l’endroit ne peut y préjudicier. Le prélat, suivi de ses dignitaires, inspecte les lieux réguliers : la chapelle est en bon état ainsi que les ornements. Il dentande enfin à la Bénédictine qui lui administre les Sacrements. Celle-ci répond que c'est un religieux de Saint-Aubin, il lui rend ce service avec l'autorisation de l'Evêque précédent. Sans hésiter, elle demande, qu'on permette à ce digne régulier d'agir à l'avenir comme par le passé. Les chanoines de Saint-Jean-Baptiste élèvent alors la voix et requièrent que la religieuse soumette son chapelain à leur agrément. Le vicaire perpétuel songe avant tout au casuel, il demande qu’on défende de célébrer des funérailles dans ce couvent, il réclame les offrandes qu’on y fait à l’occasion des évangiles qui se lisent dans la chapelle de l’oratoire de Saint-Fiacre. Madeleine Hachon, toût en reconnaissant qu’elle se trouve dans l’enclave de la paroisse de Saint-Jean-Baptiste, déclare que le vicaire perpétuel n’a aucun droit sur elle ; elle peut s’adresser à qui bon lui semble pour en recevoir les secours de la religion pourvu qu’elle paye aux chanoines de l’endroit une rente annuelle de 5 sols. L’Evêque prend la parole en dernier lieu et adjure la moniale de lui prouver le plus tôt posible qu’elle habite Saint-Sauveur avec le consentement exprès de son abbesse. Il l’autorise à s’adresser pour la confession et la communion au prêtre qu’elle choisira pourvu qu’il soit aprouvé par lui pour elle. Quand elle devra communier après midi ou recevoir l’extrême-onction, elle sera obligée d’avoir recours au vicaire perpétuel au prône de la grand’messe paroissiale. Ce prieuré ne fut pas interdit comme on voulut l’insinuer plus tard : on y célebrait la messe deux fois chaque semaine [Note : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 2H2/114].

Quand les Bénédictines qui possédaient des prieurés simples durent se rendre à Saint-Sulpice pour y vivre en communauté, elles affermèrent leurs bénéfices à des particuliers, en les chargeant de faire acquitter les messes de fondation et de veiller sur la bonne tenue de la chapelle. Ces gens songeaient plus à leurs intérêts matériels, à leurs terres, à leur bétail, qu'à la décence du sanctuaire, aux divers objets du culte ; ils négligèrent l'oratoire et tout ce qui en dépendait. C'est à peine s'ils consentaient à y faire célébrer le Saint Sacrifice aux jours désignés. Ils ne choisissaient pas comme chapelains les prêtres les plus vertueux, les plus zélés, mais ceux qui leur demandaient moins d'argent. Ces derniers qui n'avaent pour vivre que des ressources fort limitées ne se faisaient aucun scrupule de réaliser quelques économies aux dépens du prochain et par là même fort illégitimes. En 1726, missire Elye était chapelain de Sainte-Radegonde [Note : Paroisse du Loroux-Bottereau (Loire-Inférieure)]. Le procureur de l'Abbesse, le sieur Dubert, avait fait réparer les appartements que cet ecclésiastique habitait. Comme les portes et les fenêtres avient besoin d'être remplacées, il avait laissé à celui-ci un chêne pour les confectionner en le priant de garder le surplus, pour les restaurations futures. L'abbé, sans tenir aucun compte des conseils qu'on lui avait donnés, vendit le bois qui lui restait. Un petit bâtiment situé à côté de la chapellenie tombait en ruine, on voulut le réparer. Le sieur Dubert ayant toute confiance dans le chapelain lui manda de faire ouvrager dans ce but un chêne qu'il lui avait montré dans le bois de la Templerie. Ce brave clerc profita, de la circonstance, en fit abattre 5 ou 6 et vendit une partie du bois à son profit ; il estimait que les moniales pouvaient bien lui faire ce petit cadeau. Cette malversation ne tarda pas à être connue, à défrayer la rumeur publique. Missire Elye cria à l'infamie, il répétait partout qu'on le calomniait. Le curé du Loroux, son voisin, prit sa défense et parut indigné qu’on osât accuser un prêtre. Malheureusement il y avait là des fermiers qui ne pouvaient plus supporter le chapelain, ils avaient, examiné sa conduite, surveillé ses démarches, ils se déclaraient tout disposés à prouver que l'abbé avait manqué aux lois les plus élémentaires de la justice. Il n'en fallut pas davantage pour confondre l’audace de missile Elye, il avoua en partie ses actes d'improbité et disparut pour toujours. Ce fait ne semble pas avoir causé trop de scandale, car on savait que les ecclésiastiques titulaires de modestes chapellenies se trouvaient en général dans une très grande gêne [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/16].

Les chapelains qui desservaient les sanctuaires isolés se trouvaient aux prises non seulement avec un budget trop souvent en déficit, mais ils devaient compter avec les exigences du clergé paroissial, les basses jalousies des fermiers du voisinage. Le 12 décembre 1758, l'Archevêque de Tours avait réglé que l'aumônier du prieuré de la Fresnaye [Note : Commune de Cléré (Indre-et-Loire)] dirait la messe chaque dimanche, à 6 heures en été, et à 7 heures en hiver, et ferait à l'assistance une instruction catéchistique. Les volontés du pontife furent-elles régulièrement accomplies sous ce rapport ? Dans quelques phrases assez ambigües, l’abbesse de Saint-Sulpice n'ose pas le nier, elle se contente d'affirmer que les chapelains n’ont pas rendu les services que les riverains en espéraient. Quelles personnes désigne ce terme si ce n'est les recteurs des environs ? Nous venons de dire que les aumôniers du prieuré de la Fresnaye avaient un traitement assez maigre pour assurer le service divin dans la chapelle de leur couvent ; pouvait-on leur demander autre chose ? Si on voulait leur imposer un travail évangélique, des œuvres paroissiales, des visites aux malades, la justice semble dire qu'on devait les y intéresser par des récompenses matérielles, d'autant plus justifiées que les ecclésiastiques ne vivaient pas dans l'abondance et le luxe ! Parce qu'un lévite végète au dernier rang de la hiérarchie, ce n'est pas un motif pour le traiter avec un pieux dédain et vouloir lui départir un travail que rien ne lui assigne ! L'aristocratie cléricale n'a pas le droit de se décharger gratuitement sur le bas clergé d'un fardeau qui lui paraît trop lourd et incommode. Dans la correspondance de l'abbesse de Saint-Sulpice, nous découvrons que les curés voisins de la Fresnaye se plaignent de voir trop rarement leurs sujets ! S'il en est ainsi, il faut croire que les chapelains exerçaient autour d'eux une véritable influence, puisque leurs auditeurs n'éprouvaient pas le besoin de fréquenter leurs propres prêtres ! N’est-ce pas là le vrai motif des doléances du clergé Tourangeau ? Bon nombre de pasteurs s’imaginent que personne n’a grâce d’état comme eux pour éclairer, diriger les âmes. Si un étranger instruit leurs ouailles, gagne la confiance des fidèles, ils l’accusent de tuer l'esprit de paroisse. Au contraire, lorsqu'il se montre discret, respecte les privilèges du clergé local en lui laissant le soin exclusif de visiter les vivants et les mourants, ils ne tardent pas à le taxer d’indolence. La situation des aumôniers de le Fresnaye paraît avoir été fort délicate ; ils faisaient toujours trop ou trop peu ! Les ecclésiastiques qui se trouvèrent chargés du service divin dans les divers prieurés dépendant de Saint-Sulpice ne réussirent certainement pas mieux. Avec l'agrément de l'Archevêque de Tours, l'abbesse du Nid de Merle fit acquitter dans l'église paroissiale de Cléré (Indre-et-Loire) les messes qui avaient été fondées dans le monastère de la Fresnaye, 1764. Elle se déclara entièrement satisfaite de cette solution qui la dispensait de courir à la recherche de chapelains capables de contenter tout le monde et qu'elle ne trouvait jamais [Note : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 2H2/73]. Cette appréciation peu charitableé de leurs frères dans le sacerdoce leur fut moins sensible que les tracasseries, les manques d’égards des paysans, des fermiers, au milieu desquels ils vivaient. A partir du XVIIIème siècle, les religieuses servaient en général à leurs divers chapelains une pension de 300 livres, tout en leur procurant un logement assez confortable et quelques pièces de terre à cultiver. En passant bail avec les tenanciers de leurs biens qui se trouvaient autour du prieuré, elles réservaient certaines corvées ou charrois en faveur de l’aumônier. Nous verrons que ces menus services ne s'accordaient pas toujours avec une respectueuse complaisance. Nous l’avouons, les chapelains ne veillaient pas toujours assez sur leurs paroles : on les accusait de faire aux Bénédictines des rapports défavorables sur les uns et les autres, et ce n'était pas sans raison ; les agents d'affaires, le procureur fiscal, les redoutaient, les jalousaient.

Le 13 octobre 1756, le procureur fiscal de Sainte-Radegonde (commune du Loroux-Bottereau, Loire-Inférieure), écrit à l'abbesse de Saint-Sulpice que les paysans ne sont pas dignes de chasser. Se glorifiant d'un très honorable préfixe, car il s'appelle de Kérembart, il souhaite d'avoir seul le droit de poursuivre le gibier dans toute la contrée.

Le 4 novembre de la même année, la moniale, dans sa réponse, releva la sévérité de ses expressions. Elle lui permet de chasser sur ses terres mais elle ne l'autorise pas à désarmer les fermiers.

Le 16 janvier 1757, il cherche à s'excuser en disant qu'il ne leur a jamais défendu d'avoir des fusils, mais seulement de s'en servir pour détruire les petites et grosses bêtes. Les fermiers l'accusent de diffrentes choses, dit-il ; il les soupçonne de prendre avis du chapelain auquel il a dû faire des réprimandes. Il menace de le dénoncer à l'abbesse s'il ne se montre plus circonspect à son endroit.

Le 20 décembre 1758 l'aumônier de Sainte-Radegonde écrit à l’intendant de Saint-Sulpice, M. Odier, que le procureur fiscal tourmente les fermiers.

Le 13 avril 1760, il mande au même que les fermers ont trois barriques d'eau-de-vie à vendre, ils les offrent à l'abbesse au prix courant. Depuis de longues semaines, il lui a écrit pour ce motif et il n'a pas reçu de réponse, il n’y comprend rien ......, il mériterait bien de ne jamais goûter cette eau-de-vie qu’il lui recommande. Cela ne l’empêche pas de l’assurer de ses respects jusqu’à la mort !

Le 30 juillet 1760, il reçoit enfin une réponse, M. Odier a été fort malade — il fait savoir par une main d'emprunt qu'il est hors de danger. — Cela suffit pour tranquilliser le chapelain, M. Hamel... Mais, hélas ! Il est bien contrarié, un des fermiers lui a manqué de respect, il a refusé de lui faire une petite corvée. « Je suis bien ennuyé de dépendre de ces paysans, dit-il, je les porte à mon col ! Quand on recoit quelques peine de son supérieur ou de son égal, la raison jointe à la réflexion dissipe tout cela, mais quand on en reçoit de ces sottes gens, jugez ce qu’il en est ! ».

Le 5 septembre 1760, il conseille à M. Odier de refuser un nouveau bail au vaurien qui l’a vexé. Le deux autres fermiers pourront exploiter sa part. Lorsqu’il consentira de nouveaux arrentements, il le prie de songer à ses petits charrois, à son petit cheval à qui on regrette de fournir le pacage.

Le 31 octobre 1760 ce sont de nouvelles plaintes. Il écrit que certains fermiers se montrent si fiers, si insolents, qu'ils se permettent de ne plus le saluer.

En leur adressant une remontrance, l'intendant de Saint-Sulpice paraît avoir fait plus de mal que de bien.

Le 4 décembre 1760, M. Hamel lui écrit que ces gens répètent partout que le chapelain décampera à Noël — Comme il se fait du mauvais sang ! Il recommande bien de ne pas le compromettre auprès de ces grossiers paysans !

Le 8 janvier 1761, il s'adresse à l'abbesse et lui dit en terminant : « Vos fermiers, Jean et René Aubron, plus insolents que jamais, disent partout en parlant de vous, Madame : Je la tiendrons bien, je la chicanerons, je, la défions bien de nous ôter notre arrentenent (bail)... En voilà de jolis propos ; je ne suis plus surpris si on en tient de jolis sur mon compte ! — Je ne vous en avais jamais parlé, mais si vous le pouvez, vous ferez bien d'expulser ces drôles qui ont abattu vos arbres » [Note : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 2H2, liasses non classées].

En 1758, l'abbesse Saint-Sulpice, Mme de la Bourdonnaye, témoigna qu'elle n'avait pas un grand culte pour les impôts qui frappaient ses revenus ; volontiers, elle aurait désiré s'y soustraire. On ne peut trop lui en savoir mauvais gré, elle avait de nombreuses charges et souvent elle ne savait comment y faire face. Les officiers de la paroisse du Loroux avaient imposé ses biens d'une taxe de 90 livres qu'il fallait payer pour satisfaire à la loi des vingtièmes. Vite, elle se récria et menaça d'en appeler au Parlement pour modérer cette somme qu'elle trouvait excessive. On l'imposait, disait-elle, non pas au vingtième, mais au dixième des rentes qu'elle percevait dans cette localité, rentes qui ne dépassaient pas 700 livres. Les officiers lui répliquèrent qu'elle semblait faire erreur, car il était avéré que ses revenus atteignaient le chiffre de 2.000 livres. Cette réponse était fondée, ses biens étaient affermés 2.300 livres à cette époque [Note : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 2H2/106, 109].

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