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Abbaye de Saint-Sulpice-la-Forêt.

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La révolte et la faillite à Sainte-Sulpice.

Nous avons lu avec peine le récit de ces désordres scandaleux qui ont désolé certains monastères ; nous déplorerons avec plus d'amertume les excès qui terniront la bonne réputation de St-Sulpice. Nous verrons la révolte éclater dans cette antique abbaye, des religieux et des religieuses s'élèveront contre leurs légitimes supérieures et contesteront leur autorité. Par contre, d'humbles moniales seront molestées, accusées et ne trouveront de consolation que dans l'appui d'âmes sincèrement charitables ou dans l'assistance épiscopale. Quand la faiblesse, le vice, l'inintelligence auront pris possession de la chaire abbatiale, l'autorité diocésaine interviendra avec sagesse et mettra un terme aux angoisses d'une pieuse communauté menacée d'une irrémédiable faillite.

Suivant une ancienne coutume, les abbesses de St-Sulpice gouvernaient et administraient leur monastère avec le concours de religieuses qu'elles choisissaient librement et révoquaient à leur plaisir. Elles ne négligeaient pas non plus d'utiliser les lumières des, religieux qui, associés à la congrégation demeuraient dans le voisinage. La confiance qu'elles témoignaient à ces auxiliaires des deux sexes n'était pas sans limite, il leur était loisible de la retirer quand elles le jugeaient à propos. Sous Perrone des Granges, vers 1320, tout ne semble pas s'être passé comme d'habitude : la jeunesse monastique se montra frondeuse, s'ingéra dans l'administration, et désigna pour gérer les affaires des personnes que la vigueur et l'âge tendre rendaient plus alertes. Ces jeunes officiers et officières avaient des idées nouvelles, ils voulaient tout régenter à leur guise, sans le contrôle de leur abbesse, désirant avant tout se stabiliser dans leurs intéressantes fonctions ; qu'on se scandalisât de voir de jeunes moines, et de jeunes moniales conférer ensemble sur des choses matérielles, ils n'en avaient cure. Se montraient-ils bienveillants pour tout le monde, ce n'est guère probable. Ils avaient sans doute en horreur les sages et sévères réflexions des anciens et des anciennes qui n'approuvaient pas leur gouvernement. Au milieu de cette révolution, la plus malheureuse était Perrone des Granges à qui on refusait tout et principalement de l'argent pour payer les dettes de la communauté. Comme la situation n'était pas tolérable, elle se hâte de recourir au pape, avec les recommandations du roi de France et du duc de Bretagne. Jean XXII résolut de mettre un terme à ce deplorable état de choses, il pria l'abbé de Saint-Florent de Saumur et l'évêque de Nantes de faire une enquête sur ces incidents, 2 mars 1321 [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/2. — B. N. 105, f. 22325 f. 212]. Ils avaient ordre de contraindre les délinquants, qui s'appropriaient les biens de la communauté, à venir en aide à leur supérieure. Sans vouloir rien entendre, blessés dans leur honneur, mécontents des mesures qu'on prenait contre eux, prieurs, moines et moniales exercèrent leur rancune sur Perrone des Granges, la chassèrent de sa propre maison et choisirent pour la remplacer Denise Piron, apparemment l'âme de cette cabale. A cette nouvelle, Jean XXII écrivit, à l'évêque de Luçon et à l'abbé de Saint-Vincent du Mans, de remettre en possession de son monastère la malheureuse abbesse et d'obliger ses inférieurs à lui rendre l'obéissance et le respect qui lui étaient dus. Le Saint-Siège se réservait la faculté de châtier les coupables, comme ils le méritaient (13 avril 1322) [Note : Registre Avin, 16, f. 414]. Pendant qu'elle vivait hors de la communauté, Perrone des Granges n'avait payé ni les décimes perçues par l'Eglise romaine, ni ses dettes, et pour cette raison, elle avait été excommuniée. Le pape se montra indulgent et la releva des peines canoniques qu'elle avait encourue, mais lui imposa l'obligation de se libérer dans les trois mois qui suivraient sa rentrée à St-Sulpice. Pour déterminer la part dans laquelle frères et sœurs contribueraient au payement des dettes, les délégués pontificaux furent chargés de former un conseil de prud'hommes et de matrones dont l'abbesse devait prendre l'avis. Lorsqu'elle fut rétablie dans ses fonctions, Perrone excita encore l'animosité des frères condonats [Note : C'est ainsi qu'on appelait les religieux de Saint-Sulpice], qui refusaient de rendre leurs comptes et de remettre à leur supérieure le superflu des fruits de leurs bénéfices. Il lui fallut encore invoquer la protection du pape, qui donna pouvoir à l'abbé de Saint-Melaine de Rennes, de sévir contre les rebelles (25 octobre 1630) [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine 2H2/2. — Conf. — Etudes et documents sur l'Histoire de Bretagne, in-8° XIIIème-XVIème siècle par l'abbé G. Mollat. Honoré Champion, 5, quai Malaquais, 1907]. La bulle pontificale désigne les coupables et révèle leurs noms à la postérité : Guillaume de Saint-Sulpice, Perrin de Mouazé, Thomas Gallet, de Chasné, Thomas Lepage, de Sérigné, Pierre, de Saint-Aubin d'Aubigné, Raoul de Mordefroy, de Hercé-en-Lamée, Pierre Mouton, de Bais, Pierre, de la Bouëxière [Note : Localité d'Ille-et-Vilaine] refusent de rendre leurs comptes à l'abbesse, comme la règle les y oblige. L'abbé de Saint-Melaine réussit-il à leur faire entendre raison ? Rien ne nous le dit.

En 1544, nous voyons Alizon du Pont Bellanger fort peu satisfaite des prieurs des environs et autres qui ne refusent de résider à l'abbaye et de justifier l'emploi de leurs revenus, elle menace d'informer contre eux, si mestier est. Elle ajoute que Samsonne de Morais, prieure de la Giraudière (St-Amand, Deux-Sèvres), Catherine de Retoux, prieure de Lattay, (Faye cant. de Thouarcé, Maine-et-Loire), la prieure des Couets, (Bouguenais, Loire-Inférieure), Yvonne Rabault, prieure de la Ville-ès-Nonains (Ille-et-Vilaine), ne veulent pas résider à l'abbaye, suivant qu'elles y sont tenues et ne fournissent pas un seul denier de leurs bénéfices. Toutes les religieuses sont obéissantes et se rendent au monastère, quand on les demande, excepté celles qu'elle vient de signaler. Cependant Catherine de Retoux est fidèle à envoyer sa procuration pour le chapitre, et la prieure des Couets paye la procuration qu'elle doit à l'abbesse.

La mention de cette religieuse nous ramène à propos dans le pays nantais pour assister à un curieux procès. La moniale qui administrait le monastère des Couets, étant affligée d'une maladie de langueur, se crut en butte à des maléfices, à de funestes sortilèges. Une sœur converse, nommée Jeanne Doucherne, lui prodiguait nuit et jour les soins les plus délicats et les plus affectueux. Elle ne fut pas récompensée, comme elle le méritait, pour son dévouement : sa supérieure l'accusa d'avoir pactisé avec le démon, de l'avoir envoûtée pour la faire périr, lui approcher la mort. L'abbesse de St-Sulpice, la vénérable Allemote, instruite de cette grave affaire, reconnut sans peine que la malheureuse prieure des Couets était le jouet d'une affection morbide, elle prit la défense de Jeanne Doucherne. Ce prétendu crime avait été, sur le champ, dénoncé à l'autorité ecclésiastique et l'évêque de Nantes chargea son vicaire général, monseigneur de Nazareth, d'élucider cette épineuse question. Après une consciencieuse enquête, celui-ci déclara que l'accusée était innocente. En effet, l'envoûtement supposait quelque habileté, il fallait confectionner avec de la cire une statue d'une parfaite ressemblance avec la personne qu'on détestait mortellement, il était nécessaire de piquer au cœur cette image avec une aiguille, en prononçant des paroles exécrables. Comment une sœur laye, personne fort simple, aurait-elle su parfaire cette opération magique ! De plus, sa piété, sa vertu ne permettaient pas de supposer qu'elle pût commercer avec Satan. Lorsqu'elle connut le verdict, l'abbesse prit, à nouveau, la défense de la moniale qu'on avait calomniée ; elle recommanda à la prieure de la traiter avec bienveillance et d'oublier pour toujours les sentiments de haine qui l'avaient un instant égarée. Il y a tout lieu de croire qu'elle ne réussit pas à convaincre la malade, car pour mettre fin à ce malheureux épisode, elle fut obligée d'envoyer Jeanne Doucherne au grand Locmaria [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H3/17, 2H2/69. — Cartulaire de St-Sulpice, n° 247. Voir Larousse : Envoûtement], 12 octobre 1374.

Un siècle plus tard, les religieuses de Notre-Dame des Couets tombèrent dans le relâchement, on les accusait de recevoir des séculiers et même de sortir pour leur rendre visite. Les deux témoignages du 20 décembre 1476 et du 16 août 1477, qui dénoncent leurs moeurs légères et leur expulsion, sont trop respectables pour que nous songions à les discuter ; cependant nous aurions aimé à rencontrer sur notre chemin des faits qui nous eussent montré comme irréfragable leur déchéance et clairement motivé leur remplacement par les Carmélites de la bienheureuse Jeanne d'Amboise [Note: Archives départementales de la Loire-Inférieure, H 379]. D'instinct, on se prend à dire intérieurement : que pouvaient ces infortunées Bénédictines contre une puissante princesse qui cherchait un asile pour abriter ses religieuses. Si leur dispersion, quelque peu violente, a éveillé notre sympathie pour de telles expulsées, nous devons avouer par contre, que la religieuse qui se prévaut du titre du prieure des Couets, tout en refusant de reconnaître l'autorité de l'abbesse de Saint-Sulpice, jette un voile funèbre sur le souvenir d'une antique et célèbre communauté [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/25].

En 1605, une contestation très vive s'éleva à St-Sulpice, elle fut motivée par d'imprudentes démarches. La religieuse qui déchaina cette tempête s'appelait Blanche du Pont fille de Jacques, sieur du Coussy. Etant entrée au noviciat, le 8 novembre 1587, elle s'engagea, au nom de ses parents, à payer une pension annuelle de 80 livres [Note : Localité d'Ille-et-Vilaine, 2H2/19]. Dix-huit ans plus tard, nous voyons cette jeune moniale se répandre en plaintes amères, elle avait eu le malheur de solliciter et d'obtenir, en cour de Rome, le prieuré de la Pierre Aubrée, le 7 novembre 1605 [Note : Paroisse de St-Martin de Beaupréan (Maine-et-Loire). Archives départementales d'Ille-et-Vilaine 2H2/104]. L'abbesse, Antoinette de Morais, fort mécontente qu'une de ses subordonnées eût agi en chose si grave, sans pressentir son agrément, commença par soutenir que cette nomination était nulle, car une supérieure doit disposer exclusivement de tous les bénéfices qui relèvent de sa maison. Le bon ordre et la discipline demandent qu'il en soit ainsi et un concile provincial de Tours le reconnaît formellement. D'ailleurs, n'est-il pas naturel que l'abbesse dispose des charges et des offices, comme le père de famille a coutume de le faire. Qu'on ne parle pas de mois réservés au pape ; la supérieure de St-Sulpice a toujours conféré les bénéfices vacants, singulis mensibus. Rome semble avoir sanctionné cette antienne pratique en différentes circonstances [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/66]. Blanche du Pont, pour défendre ses intérêts, s'adresse au présidial d'Anjou, Antoinette de Morais expose sa cause devant les requêtes du palais de Rennes et réclame l'appui qui lui est nécessaire pour ramener à la raison une religieuse en révolte. La situation s'aggrave. S'il faut en croire la moniale, l'abbesse a maltraite par elle-même ou par des religieuses à sa dévotion. On va jusqu'à lui jeter des pierres en plein jour ; on lui a ôté son rang de profession pour lui assigner une place inférieure, on la prive de l'usage des sacrements, de sa nourriture ordinaire, elle meurt de faim. Cependant le monastère possède d'assez beaux revenus pour que les religieuses puissent être sustentées d'une manière fort convenable, car, avec 15.000 livres de rente, on peut faire royalement les choses. Malgré tout, on se borne à leur donner, par semaine, sept sous pour chair et poisson, un peu de pain et de vin breton, un cent de fagots, par an, et une charretée de gros bois, pour le chauffage. Ce n'est pas suffisant pour entretenir une religieuse pendant le quart de l'année. Pour elle, Blanche du Pont, elle s'en contente pour éviter de plus graves inconvénients.

Excédée par de continuelles vexations, elle s'adresse au Parlement, demande qu'on lui rende son rang de profession, qu'on lui accorde l'usage des sacrements et une pension de 300 livres., Antoinette de Morais répond que cette religieuse est désobéissante, elle n'assiste plus au service divin depuis six mois, Elle ajoute que Blanche du Pont ne recule pas devant le mensonge, ses paroles sont autant de calomnies. Et puis, si on connaisait ses déportements ! mais il vaut mieux se taire, car il y a des choses dont on ne peut parler en public !... [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/104]. Informé de cette querelle, l'évêque de Rennes se rend à cheval, à St-Sulpice, le 30 janvier 1606. Il demande que Blanche du Pont ne soit pas plus longtemps privée des sacrements ; l'abbesse y consent à une condition, qu'elle se fera absoudre de l'excommunication qu'elle a encourue pour ses désobéissances. Sa chambre au dortoir est bien meublée, mais il y pleut ; on lui répond que c'est un accident, le vent a dû emporter quelques ardoises, on fera les réparations nécessaires. Le prélat semble avoir blâmé et même condamné, en cette circonstance, l'abbesse qui en appela [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/104].

Le 6 janvier 1607, on voit Blanche du Pont quitter St-Sulpice, avec la promesse que la communauté lui fera une pension annuelle de 150 livres.

Cette infortunée moniale s'engage à se retirer chez son frère, Guy du Pont, receveur des décimes de l'Anjou, et son beau-frère, Jan d'Amours, conseiller au Parlement [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/19]. Le 22 février 1608, nous la rencontrons au prieuré de Saint-Sauveur d'Angers, lieu situé près des murs et mal fréquenté ; on la somme de se retirer dans une communauté bien réglée [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/104]. Nous n'avons vu nulle part que ce monastère fut un endroit où le scandale se donnait rendez-vous. Le 8 avril 1617, l'évêque de l'endroit s'y rend et demande à Madeleine Hachon, la prieure, si son abbesse lui permet de résider seule à Saint-Sauveur, sans clôture. Il lui enjoint de payer une rente annuelle de cinq sous au vicaire perpétuel de l'église paroissiale de Saint-Jean-Baptiste, de recevoir de la main de ce dernier la communion, si elle veut satisfaire sa piété, après midi, et l'extrême-onction, et lui défend de célébrer des funérailles dans sa chapelle. Il paraît que le cimetière du couvent avait été pollué, parce qu'on y avait donné la sépulture à des hérétiques, mais la maison priorale ne semble pas avoir été interdite pour autant [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/17, 2H2/114].

En 1624, nous retrouvons Blanche du Pont toujours en butte aux plus terribles contradictions. Romaine de la Chapelle, prieure de Saint-Jacques de Lattay, vivait à l'abbaye du Ronceray (diocèse d'Angers), bien qu'elle fût religieuse de Saint-Sulpice. Avant de mourir, en 1620, elle résigna en faveur d'une nièce qui portait son nom. Marguerite d'Angennes commanda à celle-ci de se transporter à Saint-Sulpice, pour y résider, sous peine de déchéance. Romaine de la Chapelle répondit qu'elle ne pouvait le faire, car on lui avait opposé une rivale, Marie de Rabodange. C'était pour elle une raison de croire que ses compagnes ne se feraient pas faute de la tourmenter. A ce moment, elle voulut résigner en faveur de Blanche du Pont. Cette dernière prit possession de son bénéfice, au mois d'avril 1624. Marguerite d'Angennes intervint aussitôt et déclara déchue de tous ses droits et même de sa pension cette religieuse qui vivait dans le monde depuis 1607. Elle ne pouvait prétendre hériter des privilèges de Romaine de la Chapelle, puisque celle-ci n'en avait aucun, il lui était impossible de transmettre un bien qui ne lui appartenait pas. Le parlement de Paris ratifia cette mesure et accorda à Marie de Rabodange le prieuré de Saint-Jacques de Lattay [Note : Commune de Faye, canton de Thouarcé (Maine-et-Loire). Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/84].

Nous devons reconnaître que la cupidité perdit cette moniale et la jeta dans un monde pour lequel elle n'était pas faite. Deux fois, elle se vit en possession d'un prieuré, et deux fois, cette proie lui échappa ; elle souffrit le supplice de Tantale ! Etait-elle licencieuse, comme on l'a furtivement insinué ? Nous ne le croyons pas. Elle appartenait à une famille honorable qui voulut bien la recevoir dans son sein ; l'aurait-elle fait, si elle l'avait crue coupable des pires égarements? Antoinette de Morais aurait pu traiter cette religieuse avec plus de bienveillance, tout en défendant les lois de la discipline. Les mesures extrêmes ne servent qu'à aigrir des caractères qui ne peuvent oublier les mauvais traitements qu'on leur inflige.

Un siècle plus tard, le 1er mai 1718, Marie de la Porte de Chatillon, religieuse de St-Sulpice, écrit une lettre au procureur général du parlement où elle se plaint d'être très malheureuse ; madame d'Armaillé la maltraite. Cette abbesse est âgée et se laisse diriger par quelques moniales qui l'excitent, contre les personnes qui n'ont pas le bonheur de leur plaire. Si un visiteur venait régulièrement s'informer de l'état du monastère, les victimes d'une sacrilège oppression pourraient leur ouvrir leur cœur et réclamer son secours ; malheureusement il ne parait jamais [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/2]. Qu'y avait-il de fondé dans ces gémissements ? Nous n'en savons rien, aucun document ne nous éclaire sur ce point. Cependant nous pouvons dire, sans craindre de nous tromper, que les religieux ou religieuses qui s'attachent aux supérieurs, les courtisent, leur donnent des conseils en tout et sur tout pour mieux dénigrer les inférieurs, sont les plus terribles fléaux qu'on puisse imaginer ! Heureux le monastère où ce mal n'existe pas, béni soit le supérieur qui éloigne de son entourage de perfides conseillers qui songent plus à leur avantage temporel qu'à leur avancement spirituel.

Sans nous arrêter plus longtemps à ces considérations qui ont un aspect plus idéal que positif, nous abordons une série de litiges propres à contrister les âmes qui manifestent un véritable intérêt pour les choses de notre vieille abbaye. L'orage qui va envelopper, pendant de longues années, d'un sombre nuage, cette communauté bénédictine, prend naissance, au loin, dans le pays nantais. Dans la paroisse du Loroux-Bottereau [Note : Loire-Inférieure, arrondissement de Nantes], St-Sulpice possède un important prieuré, célèbre par le patronnage de sainte Radegonde. En 1624, Françoise des Vaulx, qui se glorifie d'en être titulaire, rêve de lui donner un éclat légitime. Comme elle est remplie d'admiration et d'estime pour sa sainte abbesse, Marguerite d'Angennes, elle ne veut rien entreprendre, sans l'avoir consultée et mérité son agrément; elle lui soumet donc ses projets. Ces deux moniales se comprennent, discutent et arrêtent les termes d'un concordat.

Il s'agit de doter Ste-Radegonde d'une conventualité monastique, et pour éviter dans l'avenir tout malentendu, il importe de régler avec précision les détails qu'elle comporte. Il est convenu que cette communauté pourra compter seize ou vingt religieuses si ses revenus suffisent pour leur entretien. On y observera la règle de saint Benoît, comme cela se pratique à la maison-mère et on reconnaîtra toujours l'autorité supérieure de l'abbesse. Pour observer la clôture, il conviendra d'aménager dans l'église un oratoire séparé où les religieuses satisferont à l'œuvre de Dieu. Celles-ci auront un ou plusieurs parloirs, munis de grilles, leur enclos fermé de hautes murailles ne donnera point asile aux prêtres, serviteurs et servantes. Françoise des Vaulx sera prieure tant qu'elle vivra. Marguerite d'Angennes se réserve de choisir, parmi les religieuses qu'elle lui enverra, une sous-prieure, chargée par son office de veiller sur le spirituel et le temporel du monastère, sur la formation des novices. Lorsque la prieure actuelle viendra à disparaître, les moniales, si elles sont au nombre de huit, choisiront celle qui devra lui succéder parmi les sœurs de la réforme de St-Sulpice, ayant au moins trente ans d'âge et 10 ans de profession. Si les religieuses ne sont pas assez nombreuses pour procéder à cette élection, l'abbesse nommera une prieure pour trois ans. Cette titulaire ne pourra prendre possession qu'après avoir juré fidélité et obéissance à la supérieurd générale. Il ne lui sera pas non plus loisible de donner l'habit de novice ou recevoir à la profession sans y avoir été autorisée par l'abbesse, qui se réserve le droit de visiter le prieuré, de changer les religieuses, de nommer ou de révoquer les ecclésiastiques voués à la direction des âmes, de contrôler tous les trois ans l'état spirituel et temporel du monastère. Françoise des Vaulx devait demander, en cour de Rome, à ses propres frais, la bulle qui devait fixer la conventualité.

Les démarches nécessaires furent faites et le précieux document fut obtenu le 22 janvier 1627, au prix de 2850 livres ? Guillaume du Bois, sieur de la Rougère, demeurant au noble lieu de la Haye-Bottereau, fit l'avance de cette somme, que Marguerite d'Angennes se fit un devoir de rembourser [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/14, 105, 109]. L'évêque de Nantes se transporta au prieuré de sainte Radegonde, 1628, et fit la visite de tout ce qui en dépendait. Il put constater qu'il y avait une église assez vaste, renfermant cinq autels, des habitations assez convenables pour loger un certain nombre de religieuses et, suivant les gentilshommes du voisinage, des revenus suffisants pour les entretenir. Les mesures étaient prises pour établir la conventualité, quand Françoise des Vaulx mourut. Les moniales qui lui succédèrent étaient d'un âge trop avancé pour se charger d'une pareille entreprise. Il n'en était pas de même pour Marguerite de Morais ; elle était jeune, active, intelligente, judicieuse, elle avez toutes les qualités requises pour réaliser les vœux de Françoise des Vaulx. Marguerite d'Angennes ne lui en laissa pas le temps, elle la pria de partager avec elle le lourd fardeau du supériorat. Le temps a marché, nous sommes en 1683.

Le 24 août de cette année, Marguerite-Charlotte-Renée Ménard de Toucheprès, fille de monsieur et madame la baronne de Toucheprès, fit sa profession. Elle était nièce de l'abbesse et la communauté, par déférence pour la Révérende Mère, n'avait point voulu soumettre au scrutin cette novice privilégiée. On insinue cependant que si elle avait été examinée comme les simples mortelles, elle aurait eu des voix à suffire.

Le recteur de St-Sulpice, messire Perdriel, assiste à la cérémonie et, en signant l'acte qui la mentionne, il se croit obligé de proclamer sa vertueuse humilité et se qualifie de prêtre indigne ! [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/18]. La jeune religieuse gagna la confiance de sa tante, qui yen fit sa principale auxiliaire. Les faveurs ne lui manquèrent pas ; le 17 avril 1694, elle fut pourvue du prieuré du Thélouet ; le 19 mai 1704, le couvent de sainte Radegonde lui fut aussi attribué [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/47] et le pape lui permit de posséder simultanément ces deux bénéfices. Pendant plus de 15 ans, elle exerça les délicates et importantes fonctions de dépositaire de l'abbaye. Elle recevait tous les revenus de la maison, mais elle n'en tenait aucun compte, elle n'avait pas plus de registres pour les dépenses que pour les recettes. A la mort de sa tante, Marguerite de Toucheprès fit en sorte qu'il ne s'y trouva aucun argent au monastère, pas même pour payer les funérailles de l'illustre abbesse. C'était partout le désordre, les édifices claustraux aussi bien que les bâtiments des fermes tombaient en ruines, les dettes se montaient à la notable somme de 20.786 livres, 13 sols, 6 deniers, que sœur Marguerite eut la prévoyance de faire contrôler, arrêter par sa vertueuse parente, au lit de la mort. Elle prit encore la précaution de soumettre à sa signature une décharge pure et simple pour l'agent qui gérait les intérêts temporels du couvent, pour le mettre à couvert de toutes recherches. Ce document fut libellé le 8 juin 1704, et Marguerite de Morais expirait le 13 du même mois [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/47].

Cette moniale, qui avait dépensé, utilisé, manié suivant ses fantaisies l'argent, sut trouver pour l'avenir, de précieuses ressources. A cette fin, elle afferma, à l'insu de la communauté, ses deux bénéfices, pour la somme de 3222 livres ; les preneurs avaient ordre de verser entre ses mains cette valeur, sous peine de payer deux fois [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/48]. Les choses allèrent ainsi jusqu'en septembre 1711, époque où sœur de Toucheprès déclara à son abbesse qu'elle songeait à se retirer à Sainte-Radegonde ; elle désirait y établir une communauté conventuelle, après avoir obtenu des lettres patentes du roi. Madame d'Armaillé lui fit remarquer qu'elle ne saurait se dispenser de son placet pour effectuer une telle entreprise ; personne ne pouvait prouver du reste que le prieuré de Sainte-Radegonde eut été reconnu comme prieuré conventuel. Cette supérieure distinguée s'opposa à une démarche si peu raisonnable et signifia aux tenanciers du Thélouet [Note : Ille-et-Vilaine] et de Sainte-Radegonde qu'ils devraient désormais verser le prix de leurs fermages entre les mains de la dépositaire de St-Sulpice. Ces derniers se rendirent à l'abbaye et soldèrent ce qu'ils devaient, comme ils en avaient reçu l'ordre. Margularite de Touchepres refusa alors de signer la quittance, mais l'abbesse ne se laissa pas déconcerter, elle convoqua deux notaires qui prirent acte de cette mauvaise foi. La prieure en révolte ne se tient pas pour battue ; le 8 août 1713, elle fait saisir les meubles des fermiers de Sainte-Radegonde, menace de les ruiner et de les jeter en prison s'ils ne payent pas, comme par le passé, les rentes qu'ils se sont engagés à lui payer. Ces malheureuses gens se trouvent dans une fâcheuse conjoncture, ils ne savent à qui obéir, car madame d'Armaillé leur fait entendre des choses peu consolantes ; d'un côté comme des l’autre, c'est la ruine, c'est l'humide cachot de la justice. Il fallait en finir à tout prix. L'abbesse présente au parlement une requête signée de ses religieuses et demande de défendre aux prieures titulaires de toucher leurs revenus, de passer des baux sans son avis. Le 20 novembre 1713, un arrêt vient satisfaire ce légitime désir et suspendre pendant quelque temps cette misérable querelle [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/47, 48].

Marguerite de Toucheprès ne demeure pas inactive pour autant. Elle s'adresse à l'évêque de Rennes, Louis Turpin de Crissé et lui laisse entendre que lui seul peut rétablir l'ordre à St-Sulpice. Pourquoi ne revendique-t-il pas une suprême juridiction sur cette abbaye, qui lui permettrait d'y exercer une salutaire influence ? Le prélat, flatté de recevoir un pareil conseil se hâte d'y donner suite. Le 10 novembre 1716, nous le trouvons dans ce couvent avec mission de faire une enquête sur l'état spirituel et temporel, il est accompagné de deux vicaires généraux et d'un secrétaire [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/46]. Les choses n'en restent pas là, l'indépendance de St-Sulpice mérite une particulière attention, le 20 novembre 1717, le parlement reçoit ordre d'étudier cette question. Le 7 septembre 1732, ce tribunal déclare que les bénédictines seront, dans l'avenir, sujettes aux visites et corrections de l'ordinaire [Note : Bibliothèque de la ville de Rennes, factum 177/C-1]. Madame d'Armaillé avait le droit de dire que cette religieuse discole, qui avait occasionné à l'abbaye une perte de plus de 40.000 livres, l'avait ruinée au spirituel comme au temporel [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/47]. Sœur Marguerite de Toucheprès rougit de lutter seule contre l'abbesse et sa communauté. Elle gagne plusieurs de ses compagnes à sa cause ; elle leur fait espérer, comme fruit de leurs efforts, la liberté, la possibilité de vivre seules, à leur guise, dans les couvents dont elles sont titulaires. Avec elle, Jeanne Rosnyvinien de Piré, Julie de Morais, Pélagie d'Espinay, Anne Ménard de Toucheprès se plaignent amèrement de madame d'Armaillé à qui veut les entendre.

Elles répètent à tout venant qu'il est malheureux de tomber dans la disgrâce de cette supérieure, qui se laisse trop facilement dominer par le clan de la réaction ; on les tourmente, elles seront obligées de quitter St-Sulpice [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/67].

Le 13 avril 1718, Marguerite de Toucheprès obtient une pension annuelle de mille livres et la faculté de se retirer dans une communauté que lui désignera l'évêque de Rennes. Ce prélat lui assigne le couvent de la Trinité, situé dans la même ville, où elle se rendra par le plus court chemin, en compagnie de la marquise de Toucheprès, sa belle-sœur [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/46 et 106]. L'abbesse fut surprise par cette décision qui bouleversait ses projets et la plongeait dans un grand embarras. Aussi, c'est avec des larmes dans la voix qu'elle expose les difficultés qu'elle a du surmonter depuis son avènement. Elle a rétabli l'ordre dans sa maison, payé la plus grande partie des dettes qui la déshonoraient, restauré les bâtiments qui menaçaient ruine. Sa communauté allait jouir du fruit de ses peines, de ses fatigues, de ses veilles, quand un esprit chimérique est venu, sous prétexte de rendre justice aux bienfaiteurs des temps passés, susciter procès sur procès, contester une règle qu'elle avait juré de respecter. Madame de Toucheprès a-t-elle bien compris les contradictions de son étrange conduite ? Si elle affirme que tout prieuré doit avoir des moniales chargées de prier pour les fondateurs, comment fait-elle exception pour le monastère du Thélouët, dont elle se contentera de percevoir les rentes, sans, songer aux personnes généreuses qui les ont constituées ? Et puis, elle se laisse instinctivement envahir par une grave inquiétude ; si toutes les prieures vont résider dans les communautés dont elles sont titulaires, comment pourront vivre les trente autres, qui n'ont pas de bénéfices ? Les revenus de St-Sulpice ne sauraient leur suffire.

Madame d'Armaillé mourut, le 1er mai 1721, et fut remplacée, le 8 de ce même mois, par Madame de Lesquen, religieuse de Saint-Georges. Ce fut un moment de transition, d'apaisement relatif, on parla même de réconciliation. Le 7 juillet 1721, madame Jeanne de Montbourcher, grande prieure de St-Sulpice, le laisse clairement entendre en écrivant à monsieur de Lesquen, frère de l'abbesse : « Madame Notre Abbesse vous envoie, Monsieur, le témoignage de notre respect et de notre attachement pour elle, en vous envoyant les copies des suffrages unanimes de toute la communauté pour un accommodement. On s'est rendu avec plaisir au zèle qu'elle marque avoir pour la réforme et le bien de cette maison. Nous sommes enchantées, Monsieur, de ses manières gracieuses et pleines de bonté pour toutes en général et chacune en particulier. Nous ne désirions rien tant que de voir finir nos affaires, cela était réservé à Madame notre charmante abbesse. Elle en aura tout l'honneur. Nous nous faisons une vraie félicité de vivre sous ses lois et de ne perdre aucune occasion de lui persuader la reconnaissance que nous devons à la bienveillance dont elle nous honore ... » [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2, liasses non classées]. Madame de Toucheprès semble aussi disposée à conclure une paix durable, comme l'insinue une lettre que lui écrivait son avocat, le 15 juillet de la même année : « Madame, lui dit-il, j'ai appris par votre missive du 9 courant que vous avez pris le parti de terminer tous vos procès avec votre nouvelle abbesse... J'ai toujours cru que cette affaire n'était bonne qu'à accommoder et vous ne pourrez la mettre en de meilleures mains qu'en la confiant à la sagesse des arbitres que vous avez choisis. J'enverrai demain ou après-demain toutes vos pièces. Le mémoire de mes frais se monte à 93 livres » [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/115].

Le 30 avril 1718, madame d'Armaillé avait reçu une note pour les frais de ce même procès ; ils étaient sensiblement plus élevés, puisque le billet qui les indiquait portait la notable somme de 771 livres, 13 sols, 14 deniers [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/27]. Comme nous allons le voir, cette affaire commençait à inquiéter les religieuses de St-Sulpice, leurs multiples démarches le prouvent avec une entière évidence. Le 31 mai 1722, madame Jeanne de Montbourcher, la grande prieure, écrit à monsieur de Sacy, avocat au conseil, rue Beaubourg (Paris), et lui fait part des peines et des angoisses qui affligent la communauté. « Monsieur, lui dit-elle, nous ne doutons point que vous ne sachiez notre affliction, nous avons perdu Madame d'Armaillé, notre digne et sainte abbesse. Convaincues que nous étions de son zèle, de son application à maintenir la régularité et le bon ordre, à sauvegarder les intérêts de la maison, nous lui faisions entière confiance pour la direction des affaires ainsi qu'à son neveu, monsieur de Craon [Note : Le 30 janvier 1722, Madame de Lesquen envoya Monsieur l'abbé Aubert auprès de Monsieur de Craon pour le prier de rendre les papiers de l'Abbaye qu'il avait entre les mains ; on avait besoin de ces documents pour soutenir le procès que Madame de Toucheprès avait entrepris contre sa propre supérieure. Monsieur le comte de Craon neveu de la dernière abbesse, Madame d'Armaillé, et conseiller au Parlement, déclara qu'il était disposé à tout rendre pourvu qu'on lui payât la somme de deux mille cent livres, reliquat de trois mille livres, qu'il avait déboursées pour la recherche et la découverte de la bulle de la réforme. Il conseillait de solder cette dette au plutôt et sans bruit Sur le champ, Mme de Lesquen réunit la communauté pour savoir ce qu'il fallait faire. On décida d'abord d'emprunter cette somme qui serait remboursée au bout de deux ans. Puis l'abbesse se ravisa et donna l'ordre de différer cette affaire. Monsieur de Craon fut-il remboursé pour les dépenses qu'il soutenait avoir faites ? Nous n'en savons rien. (Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/18)]. Aujourd'hui, nous trouvons les choses dans une situation critique, mais nous nous consolons en remerciant la providence de vous avoir chargé de nos difficultés. Notre nouvelle abbesse, qui nous vient d'une autre maison n'est pas instruite de nos droits et et de leurs conséquences, elle n'en prendra peut-être pas la défense avec le même zèle. Il nous est même revenu qu'elle désire entrer en accommodement. Nous venons donc, Monsieur, vous demander le secours de vos lumières, et vous prier de nous dire en quel état est l'affaire, quel succès nous pouvons en espérer si nous la poursuivons. Si nous entrons en règlement, veuillez nous prescrire ce que nous aurons à faire » [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2, liasse non classées]. Pour metre fin à ce pénible différent, la communauté de St-Sulpice décide de le soumettre à l'arbitrage de deux personnages éminents, l'évêque de Rennes et le premier président, et leur écrit les deux lettres suivantes, le 6 juillet 1722. « Monseigneur, le désir sincère que nous avons de continuer à vivre dans le même esprit de ferveur, de régularité, d'union, porté par nos constitutions et nos vœux, nous engage avec plaisir, Monseigneur, de vous supplier très humblement d'accepter ce pouvoir que nous vous donnons, pour toute notre communauté, de décider conjointement avec monsieur de Brillac, premier président de ce parlement, toutes les contestations que nous avons malheureusement avec madame de Toucheprès, notre très chère sœur, tant au conseil privé qu'au parlement de Bretagne et ailleurs, à l'occasion des prieurés dont elle est titulaire. Nous le faisons d'autant plus volontiers que nous correspondons en cela aux empressements de Madame de Villemeneust, notre abbesse, nommée par le roi qui, par toutes ses manières gracieuses et obligeantes, nous présage d'avance le bonheur dont nous jouirons, après sa prise de possession canonique, par son attention à nous inspirer cet esprit d'union si nécessaire pour notre salut et notre repos. Nous ne doutons pas, Monseigneur, que vous ne ménagiez nos intérêts et notre confiance par rapport à nos engagements, nos obligations consignés dans la bulle de Grégoire XV, à laquelle nous sommes toutes soumises par nos vœux solennels, que nous renouvelons tous les jours de nos communions. Pleines de confiance, nous vous supplions, Monseigneur, de finir cette affaire de manière que nous puissions, avec madame de Toucheprès, toutes unies ensemble, témoigner à notre nouvelle abbesse, lors de sa prise de possession canonique, la joie que nous avons de vivre et de mourir dans l'obéissance et la soumission que nous lui devons. Nous continuerons, Monseigneur, nos prières pour votre conservation et nous aurons une reconnaissance insigne de vos charitables soins pour nous procurer un repos, une tranquillité et une union si désirée... ».

La lettre que les religieuses adressèrent au premier président du parlement est aussi fort respectueuse ; on y voit l'expression d'une profonde reconnaissance pour des services rendus dans le temps passé, mais on y trouve aussi un souci, une crainte clairement formulés qu'on ne porte atteinte à leurs statuts. Nous dirons ailleurs le motif qui les poussait à parler ainsi. Dès les premières lignes, les Bénédictines cherchent à toucher le cœur du personnage éminent auquel elles ont recours. « Monsieur le Président, Notre communauté a reçu tant de marques de votre protection, qu'elle ose vous donner conjointement avec Monseigneur l'évêque de Rennes, plein pouvoir pour déterminer par vos décisions le différent que nous avons avec madame de Toucheprès, tant au conseil privé qu'au parlement de Bretagne. Nous nous flattons que votre arrêt ne donnera aucune atteinte à nos constitutions, ni à nos vœux. Les manières gracieuses et obligeantes de Madame notre nouvelle abbesse, nommée par le roy, nous ont décidées à recourir à des arbitres aussi éclairés. La communauté dont ils pourront assurer le repos et l'union, leur témoignera une juste reconnaissance par ses prières » [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2, liasses non classées].

Monseigneur Turpin de Crissé ne tarda pas à répondre ; il s'estimait heureux d'être mêlé à ces affaires pour mieux établir la juridiction qu'il prétendait avoir sur l'abbaye de St-Sulpice : « Mesdames, je seconderai avec plaisir vos bonnes intentions pour consolider le bien et la paix de votre maison. Je ferai donc part de vos aimables dispositions à madame de Toucheprès, qui, j'espère, voudra bien entrer dans vos saintes vues. Je lui en ai déjà parlé, ayant su par Madame Votre abbesse que je vous serais agréable de préparer les voies pour vous ramener une âme, qui ne peut que vous édifier par sa piété et son mérite. Autorisé de vos suffrages, je lui parlerai avec plus de hardiesse, et j'espère qu'elle répondra à votre empressement.... ».

Au bas de sa lettre, le prélat ajoute : « Je sors de chez madame de Toucheprès à qui j'ai lu votre missive. Elle s'en est montrée reconnaissante et satisfaite, mais elle m'a fait remarquer qu'il serait peut être à propos que Madame votre Abbesse parlât comme vous. Comme je connais ses dispositions, je crois qu'elle n'aura pas de peine à le faire ».

Le 9 novembre 1722, nous lisons dans une lettre de madame de Toucheprès, datée du couvent de la Trinité de Rennes que les chicaneurs ont fait échouer l'accord amiable dont madame de Lesquen lui avait parlé et qu'elle-même souhaitait. Elle habite une communauté de la ville, depuis trois ans, et dit qu'elle ne veut pas rentrer à St-Sulpice où elle a trop souffert. Elle demande pardon de reprendre le procès contre madame de Lesquen [Note : Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2 liasses non classées].

En 1723, nous entendons madame de Toucheprès se plaindre amèrement des persécutions inouïes qu'elle a supportées depuis 10 ans. On l'a dépouillée de ses revenus. Le parlement de Bretagne, pour la soustraire à ces vexations, décida qu'elle serait transférée chez les religieuses de la Sainte-Trinité de Rennes. Elle était à couvert, dans cet asile, des mauvais traitements dont elle avait fait une fâcheuse expérience pendant qu'elle résidait à Saint-Sulpice, mais l'abbesse n'a pu se résigner à la laisser jouir de ce léger avantage. Elle a eu le crédit d'obtenir une lettre de cachet, en vertu de laquelle la dame de Toucheprès a été transférée au grand Locmaria, près de Quimper où elle est actuellement. L'on aurait vu une épouse du Christ livrée a des archers, si la supérieure du monastère de la Sainte-Trinité n'avait pas eu la charité d'engager une dame de ses amies à l'accompagner pendant tout le voyage. La sainteté de l'état que madame de Toucheprès a embrassé l'aurait déterminée à soutenir ces injustes persécutions sans se plaindre si elle n'était pas obligée de soutenir les droits des prieurés dont elle est titulaire [Note : Archives nationales, G8 196].

Un arrêt du 6 avril 1723, avait condamné madame de Toucheprès à rentrer à St-Sulpice ; c'était le conseil privé qui lui intimait cet ordre [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/48]. Le 3 mai, madame de Lesquen charge Claude-Marie de Mainguit, huissier, demeurant rue de la Poulaillerie, paroisse de Saint-Aubin, de sommer madame de Toucheprès de déférer à cet ordre. Ce dernier se rend au couvent de la Trinité, rue de la Cordonnerie, paroisse de Saint-Etienne, et lui commande de réintégrer l'abbaye de Saint-Sulpice pour y reprendre les fonctions ordinaires des religieuses. Il l'assure que tout le monde lui fera l'accueil le plus cordial, elle sera traitée comme une personne de son rang et de son mérite, on lui fournira tout ce qui sera nécessaire. Dès son arrivée, Madame l'Abbesse lui accordera une permission générale pour vaquer à ses affaires, fréquenter le parloir quand bon lui semblera. Il ajoute qu'une littière est arrêtée pour la transporter et une vertueuse personne désignée pour l'accompagner pendant le voyage ; si celle-ci ne lui convient pas, on en choisira une autre. Avec tout le respect désirable, il la prie de fixer l'heure et le jour de son départ. Madame de Toucheprès lui répond que l'arrêt du conseil en question ne l'oblige pas à rentrer à St-Sulpice et à quitter le monastère où elle est. Elle se gardera bien de satisfaire aux sommations et stimulations de la dame abbesse. Après avoir été si maltraitée dans sa communauté, il lui serait difficile de l'oublier pour quitter si facilement une maison où elle peut faire son salut et vivre dans le calme [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/47]. C'est sans doute après ce refus que madame de Toucheprès fut internée dans le monastère du grand Locrnaria, parmi les moniales de son ordre. Si l'arrêt du 6 avril 1723, contrariait les goûts de madame de Toucheprès, dans sa première partie, il la consolait dans un second article, qui lui permettait d'administrer les biens de ses prieurés, d'en passer librement les baux et d'en toucher les revenus [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/47]. Le 10 décembre 1723, elle signifie à Mathurin Aubron, fermier de Sainte-Radegonde qu'elle est heureuse de pouvoir désormais exercer tous ses droits dont on l'avait injustement dépouillée. Elle lui demande s'il veut librement lui payer le terme de Noël et éviter les frais d'une poursuite. Les relations entre Nantes et Quimper sont fréquentes, il lui sera facile de lui faire remettre l'argent dont elle a un pressant besoin. Le 20 du même mois, elle écrit à monsieur Desplesse le Tournoux, son agent à Montfort-sur-Meu (Ille-et-Vilaine), et le prie de lui envoyer le montant de ses fermages du Thélouet (commune de Paimpont - Ille-et-Vilaine) [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2 liasses non classées].

La joie de madame de Toucheprès fut de courte durée ; un arrêt du 30 juin 1723, annulle toutes les saisies qu'elle se propose de faire [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/64]. Enfin, le 1er février 1725, elle se voit déboutée de toutes ses prétentions, une sentence défend aux prieures titulaires de quitter leur abbaye pour aller résider dans leurs couvents et d'en percevoir à l'avenir les revenus, qui seront attribués à la mense commune [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/48-109]. Ce long et épineux procès était de nature à émouvoir nos timides et vertueuses Bénédictines, aussi combien elles se montraient reconnaissantes envers les personnes qui les soutenaient dans cette terrible affaire. C'est dans ces louables sentiments que madame de Montbourcher, la grande prieure, écrivait, le 9 novembre 1723, à monsieur le marquis de la Villemeneust : « Monsieur, J'ai bien des fois prié Madame notre Abbesse de vous assurer de la sincère part que j'ai pris à l'indisposition où vous avez été tous ces temps passés. Trouvez bon, Monsieur, que j'aie l'honneur de vous le dire moi-même et que je fais mille vœux au Seigneur pour le parfait rétablissement de votre santé qui nous est si chère à toutes et que vous employez si obligeamment et avec tant de zèle pour le bien de notre maison. Je vous supplie instamment, Monsieur, d'être bien persuadé de la très vive reconnaissance que nous en avons et d'avoir la bonté de donner vos soins pour terminer au plus tôt l'affaire que nous avons contre madame de Toucheprès, qui porte en toutes façons un dommage si considérable à cette communauté. Nous vous en avons tous les jours, monsieur, de nouvelles obligations, mais celle-là sera une des plus essentielles. Nous sommes charmées, Monsieur, d'avoir l'honneur et le plaisir de posséder mademoiselle votre fille [Note : Jeanne de Lesquen de Carméné (1723-78). Archiv. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/18 , 87, 90, 104, 106, 116, 138]. C'est la plus belle et la plus aimable enfant du monde, elle nous est infiniment chère pour bien des raisons. Elle est fille de notre protecteur, nièce de notre chère Abbesse et toute charmante par elle-même... ». Si ces lignes renferment des louanges presque excessives, nous les excuserons en pensant qu'elles sont le fruit d'une profonde et sincère gratitude.

Madame de Rosnyvinen de Piré, écrivait au même, le 11 janvier 1725 : « Monsieur, Il n'y a point de terme qui puisse exprimer notre reconnaissance pour le succès que nous venons d'obtenir au sujet de notre procès. Cette victoire est votre ouvrage. C’'est à bon droit que notre abbaye vous comptera parmi nos bienfaiteurs, vous qui, après nous avoir donné une abbesse aussi accomplie, n'avez pas craint votre peine pour défendre nos droits depuis trois ans. Toute la gloire de cette affaire vous en revient, et faute d'avoir un protecteur aussi puissant, nous avions tout à craindre ! ».

Comment madame de Piré avait-elle connu l'issue du procès avant qu'il fût prononcé ? On sait que monsieur de Brilhac, le premier président du parlement, lui était uni par les liens du sang. Madame de Lesquen insinuait que madame de Toucheprès devait plus à la voix de la parenté qu'à la justice la sentence qui lui accordait une pension alimentaire de 1000 livres en 1718 [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/47]. C'est pour ce motif qu'elle se crut autorisée d'en appeler au conseil du roi. Si sœur de Piré connaissait d'avance le résultat de ce fameux procès, il faut convenir qu'elle s'en montra bien discrète, puisqu'elle n'en parla pas à une seule de ses compagnes. Madame de Lesquen elle-même ignorait cette bonne nouvelle s'il faut en croire madame de Montbourcher, qui écrivait à monsieur le marquis de la Villemeneust, le 9 février 1725 : « Monsieur, nous avons appris par Madame Notre Abbesse l'heureux succès de notre procès. C'est une joie bien grande pour notre communauté. Nous n'ignorons point, Monsieur, toutes les attentions et tous les soins que vous avez eu la bonté de vous donner pour cette affaire, nous en sommes pénétrées de reconnaissance... » [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/109, — Voir Archives nationales, G8 196, G 8 746-56, G 8 349-56. — Bibliothèque nationale, 105 f., nouv. acquisitions 5273 p. 202].

Pendant de longues années, notre abbaye bénédictine a été troublée par de regrettables discordes. Une moniale, abusant de la confiance que lui témoignait sa tante, l'abbesse Marguerite de Morais, a causé à ce vénérable couvent les plus graves préjudices. Avec sa vertueuse parente, elle était tout, rien ne se faisait sans son avis, elle se montrait fière de l'influence qu'elle exerçait autour d'elle. Madame de Morais disparaît, l'abbesse qui lui succède ne prodigue pas ses faveurs à madame de Toucheprès, comme le faisait l'ancienne, celle-ci s'en montre froissée, elle prépare son hégire. Elle est prieure d'un monastère, doté d'une quasi conventualité, elle saura la prouver et la faire reconnaître, elle vivra non comme une inférieure, mais comme une supérieure. Elle met alors tout en œuvre pour atteindre ses fins, la justice se hâte d'intervenir, des flots d'encre coulent pour départir la bonne et mauvaise cause, les mémoires se multiplient. Cet incident fournit aux juristes une excellente occasion d'exercer leurs talents et d'alimenter leur cassette personnelle. Pendant ces misérables débats, les divisions grandissent dans une maison où doit régner la paix, la discipline semble céder ses droits. On oublie le culte de la vertu pour satisfaire des rancunes ou des visées ambitieuses, on grève avec des enquêtes, des appels, un budget plus que modeste et parfois insuffisant pour sustenter nombre de religieuses qui ne vivent pas seulement de la prière ! Les supérieures, instruites de la gravité des circonstances, se voient tourmenter par d'amères angoisses, elles tremblent devant une échéance qui s'imposera, elles perdent une bonne part de leur énergie. N'est-ce pas dans ce milieu déprimant qu'a vécu madame de Lesquen ? Depuis son arrivée à St-Sulpice, elle ne parait pas avoir goûté une minute de vrai bonheur, elle trouve du malaise en elle et autour de sa personne, et cependant, nous le savons, elle se montre aimable. Sa nomination comme abbesse est contestée. Quel crime a-t-elle commis ? Ses croyances sont-elles suspectes ? Favorise-t-elle quelque hérésie de l'époque ? Non, sa doctrine est pure, elle accepte les dogmes que le concile de Trente a proclamés, comme elle l'a déclaré, le 3 octobre 1721, devant monsieur Jouanne, archidiacre de Tours [Note : Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/18]. Le 14 juillet 1724, le parlement de Bretagne s'était prononcé contre madame de Lesquen et avait protesté contre l'impétration de ses bulles en cour de Rome, en juillet 1721.

Etait-il défendu de recourir au pape pour les choses religieuses ? On serait porté à le croire. Nous sommes sans doute en face d'une vengeance gallicane qui explose sur nos moniales comme un coup de foudre, on veut leur apprendre à se passer de Rome.

A l'ombre du procès qu'elle a dû soutenir, l'évêque diocésain est entré dans son monastère, en a réclamé la haute direction et le parlement la lui a accordée, le 7 septembre 1723. Les religieuses protestent et déclarent qu'on a surpris la bonne foi des juges ; on leur répond, le 21 janvier 1724, qu'elles seront désormais soumises à l'évêque de l'endroit [Note : Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/25].

St-Sulpice vient de perdre un des plus beaux fleurons de son diadème, il ne relève plus immédiatement de Rome. Mais il n'eût pas été sage d'incriminer des sentiments ultra montains, il fallait invoquer d'autres motifs. Dès le 11 septembre 1723, une lettre de soeur de Montalembert nous fait prévoir qu'ils ne manqueront pas. Elle écrit à monsieur de Lesquen et lui exprime combien elle est dévouée à madame de Villemeneust, sa tante. « Vous voulez bien que je me donne l'honneur de vous demander de vos nouvelles et des nouvelles de tout le monde, de vous assurer combien je suis touchée de reconnaissance de tout ce que vous faites pour notre maison. Permettez-moi de vous dire que toutes les plaintes qui vous reviennent touchant madame votre Abbesse ne peuvent être que l'œuvre de nos discoles ; elles mettent tout en usage pour avoir un commissaire. Je crois qu'elles seront dupées, car s'il fait son devoir, il commencera par les mettre à la raison et à exiger d'elles la soumission et le respect qu'elles doivent à une vénérable supérieure. Je suis charmée des manières gracieuses de Mme l'Abbesse. Vous savez, Monsieur, que je suis très attachée à ma supérieure, mais je le suis plus à Madame votre sœur que je ne l'étais à celle qui la précédait » [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/109].

Si madame de Lesquen avait des sympathies dans son entourage, elle y rencontrait aussi une véritable hostilité et la lettre que nous venons de lire nous laisse soupçonner des bruits malveillants relatifs à son administration et même à sa conduite privée. Ces rumeurs parvinrent aux oreilles de l'évêque, qui se hâta de prescrire une enquête. Le 18 avril 1726, il commit pour la faire le sieur Pierre Perrin, docteur en théologie, vicaire général, recteur de Toussaint. A la suite de cette visite, l'abbesse fut accusée d'avoir laissé entrer dans le monastère des personnes de l'un et l'autre sexe, favorisé le libertinage des domestiques, entretenu des relations suspectes, de s'être abandonnée à l'ivrognerie, à des violences, d'avoir multiplié les dettes, disposé clandestinement et furtivement des meubles et effets de la communauté. Monseigneur Charles le Tonnelier de Breteuil, évêque de Rennes, ne crut plus devoir attendre pour prendre des mesures énergiques, qui furent signifiées et publiées, le 16 juillet 1726, et se résument ainsi : Madame de Lesquen ne doit point s'immiscer dans l'administration spirituelle et temporelle de l'abbaye jusqu'à ce que ses bulles n'aient été correctées, fulminées et mises à exécution suivant les formalités observées pour les anciennes abbesses.

Il est commandé à la prieure et aux discrètes [Note : Conseillères] de procéder incessamment à une nouvelle élection d'officières ayant les qualités requises et de gouverner la communauté, comme si le siège était vacant, jusqu'à ce que l'abbesse soit bien et valablement installée. Celle-ci sera nourrie et entretenue aux frais du couvent, ainsi que la domestique qui la servira. En outre, elle recevra chaque année une pension de 1500 livres, qu'elle emploiera pour le bien de la religion et l'édification des âmes, sans être obligée d'en rendre compte à personne.

La dépositaire tiendra ses registres de dépenses et de recettes, par jour et par mois, pour tout justifier. Le coffre où sera déposé l'argent fermera à trois clefs, que trois personnes différentes détiendront, il ne sera jamais ouvert qu'en présence de ces trois religieuses. La dépositaire rendra, tous les six mois, ses comptes, qui seront arrêtés par l'abbesse ou la prieure et, en cas de vacance du siège, par les discrètes, et contrôlés ou réformés par les vicaires généraux, lors des visites.

Il est défendu à l'abbesse, à la prieure comme à la dépositaire, de faire, au nom de la communauté, un emprunt d'argent dépassant 100 livres, sans l'avis de toutes les discrètes, ou de négocier une affaire d'égale valeur.

On ne saurait payer aucune dette contractée depuis la mort de madame d'Armaillé s'il n'est prouvé qu'elle a été faite dans l'intérêt de la maison.

Ordre est donné de reprendre les aumônes interrompues et de les pratiquer comme dans le passé. Pour qu'elles soient plus abondantes, on diminuera le nombre des chiens de chasse et on supprimera les dépenses superflues.

Les séculiers, serviteurs ou étrangers n'entreront jamais dans le monastère ou l'enclos sans la permission de l'évêque et, dans aucun cas, il ne leur sera accordé d'y manger. A l'avenir, on se gardera de prendre ou retenir, pour le service intérieur ou extérieur de la maison, des personnes qui ne seront pas d'une probité reconnue. Les soldats invalides et les domestiques suspens seront incessamment congédiés [Note : Un édit du 29 janvier 1629 dit que des soldats invalides ou estropiés seront reçus, admis dans les communautés du royaume. Si on ne veut les admettre en personne on leur payera une pension de 100 livres. Nous avons vu que leur présence avait occasionné des désordres au grand Locmaria ; il en fut de même à l'Abbaye de St-Sulpice. Il est manifeste que des soudards ne sont point faits pour vivre avec des religieuses. (V. Isambert, Recueil des anciennes lois françaises)].

Comme les comptes présentés par madame de Lesquen ne peuvent donner des indications certaines sur les revenus, les charges et les dettes actuelles de l'abbaye, la prieure et les discrètes devront présenter un mémoire prouvant avec exactitude l'état financier de la communauté. Elles auront aussi un soin spécial des archives et leur destineront un endroit particulier, régulièrement clos.

Madame de Lesquen n'abrégera point le temps du noviciat sans l'avis de l'évêque de Rennes [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/1, 18].

Le 23 septembre 1726, l'Abbesse fut sommée de comparaître en son parloir, un mois plus tard, devant les sieurs Perrin, recteur de Toussaint, official, et Julien Marais, recteur de Saint-Martin, promoteur.

Toutes ces ordonnances provoquèrent l'indignation de madame de Lesquen qui en appela comme d'abus, le 27 septembre 1726. Comme nous l'avons déjà insinué, nous avons pitié de cette infortunée religieuse qui a eu le malheur de vivre au milieu des plus épineuses difficultés. Si la règle n'a pas été observée dans toute sa rigueur, si la discipline a fléchi, les charges de l'abbaye ont considérablement augmenté, il faut en voir la cause initiale dans les malversations et l'extraordinaire conduite de sœur Marguerite Ménard de Toucheprès.

Madame de Lesquen n'ayant plus la vigueur de sa première jeunesse ne pouvait résister avec succès à l'orage qui soufflait d'une manière violente. Qui n'aurait subi une dépression morale dans une telle ambiance d'hostilité ? Est-elle aussi coupable qu'on l'a dit ? Nous n'avons pour l'affirmer que les accusations de l'autorité diocésaine, formulées sans aucun témoignage à l'appui. Nous devons cependant avouer qu'elle ne savait pas administrer. Du 5 août 1721, au 5 août 1725, elle contracta 30.000 livres de dettes [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/1]. Se laissait-elle influencer par l'ivresse ? Un mémoire particulier ferait supposer qu'elle confiait aux liqueurs, le soin de restaurer ses forces défaillantes et l'aubergiste Boullé, demeurant dans la bourgade de St-Sulpice des Bois, lui en fournissait clandestinement sur sa demande [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/14].

En 1727, notre abbaye bénédictine était grévée d'un passif de 60.000 livres, elle voyait la faillite à sa porte. Il n'en fallait pas davantage pour semer le trouble et l'épouvante dans une communauté, madame de Lesquen ne pouvait plus longtemps demeurer à son poste ; elle donna sa démission en demandant au pape une pension de 2.500 livres qui lui fut accordée, mais elle devait en rendre compte à ses supérieurs [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/17].

Madame Bouchard d'Aubeterre, nommée abbesse de St-Sulpice, prit des mesures spéciales pour conjurer la ruine qui menaçait son monastère. Comme les créanciers se présentaient tous à la fois et pouvaient causer des frais énormes, elle demanda au roi la permission de suspendre ses payements pendant un an et la faveur de lui désigner une commission pour la guider dans l'administration des affaires. Le 5 avril 1727, Louis XV lui accorda ce qu'elle désirait et l'autorisa à prélever 25.000 livres sur 100.000 livres provenant de la vente des bois, pour régler les dettes les plus criantes [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/16, 24].

De plus, il chargea de la seconder dans cette liquidation délicate, en qualité de commissaires : l'évêque de Rennes ou son vicaire général, les sieurs de Blossac et de Langle, présidents à mortier, au parlement, le sieur de Montbourcher, président aux enquêtes [Note : Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/16, 24]. Ceux-ci s'acquittent avec conscience de leurs fonctions. Nous les voyons, le 24 août 1727, passer un marché avec Durand, boulanger, rue de la Réverdiais, Rennes, pour qu'il fournisse jusqu'à Pâques, les mardi, jeudi et samedi de chaque semaine, entre 10 et 11 heures du matin, au commissionnaire de St-Sulpice, 24 pains mollets de deux livres et 55 livres de pain sassé, ou avec toute sa fleur, le pain mollet, à raison de 19 deniers la livre, et le pain sassé, à raison de 17 deniers. Ils payent aussi aux religieuses 203 livres de chandelle de suif (20 septembre 1727) [Note : Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/24]. Les commissaires se plaignent bientôt que les intérêts de l'abbaye sont mal gérés, malgré leur attention et leur bonne volonté, ils ne comprennent rien aux revenus et aux dépenses, les registres se font remarquer par un impardonnable désordre. Réclamant avec raison contre cette négligence, ils demandent qu'à partir de janvier 1729, les diverses officières rendent leurs comptes, au moins tous les trois mois, avec quittances, factures et registres à l'appui et l'agent en fournira quatre fois l'an, un extrait au secrétaire de la commission. La dépositaire saura toujours ce qu'elle a en caisse et pourra en témoigner par des registres en bon ordre, elle indiquera ce qu'elle doit payer aux domestiques, journaliers, ouvriers maçons, charpentiers, menuisiers et autres, qu'elle fera surveiller. La cellérière marquera la qualité et la quantité des provisions qu'elle fournit, elle présentera, tous les mois, un mémoire à ce sujet. La pharmacienne agira de même. La grenetière indiquera le montant, la qualité et l'origine des divers blés que recèlent les greniers de l'abbaye, la cavière rendra un compte exact de toutes les boissons qui se trouvent dans les celliers, la dame pannetière tiendra un registre pour le pain qui lui sera envoyé. L'agent réglera tous les mois les comptes des boulangers, bouchers, des provisionnaires et autres fournisseurs. Le même s'informera des revenus du monastère, en consultant les fermages, veillera aux réparations urgentes, estimera la valeur et l'état des bois et présentera sur le tout un mémoire instructif aux commissaires [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/24]. Nous ne doutons point que cette régularité administrative n'ait supprimé une foule d'abus dont profitaient des gens qui n'écoutaient point la voix de la conscience. En 1734, nous trouvons un exemple de ces malversations insignes dont les personnes claustrées et adonnées à la prière sont trop souvent les innocentes victimes. Madame de Lesquen usait des bons services d'un certain négociant, nommé Hamelin. Sa politesse, ses manières séduisantes lui plaisaient autant que ses produits, toujours livrés au prix maximun. Pendant dix-huit mois, il lui avait livré pour 1600 livres de marchandises (1722-1723). Plus tard, lorsqu'il sollicita le payement de cette dette, il réclama un droit d'abonnement ou de commission s'élevant à 900 livres [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/52]. Comme on le voit, il était urgent de mettre un peu d'ordre dans les finances de l'abbaye de St-Sulpice.

Nous revenons à l'ancienne abbesse, madame de Lesquen de la Villemeneust, qui se trouve encore à St-Sulpice. Elle désire quitter le plus tôt possible ce lieu où sa présence est pénible pour elle et pour celles qui furent ses religieuses. Elle gémit sur sa situation et se déclare aussi misérable que le dernier des humains ! Elle n'a ni linge, ni vêtements, elle ne peut se montrer en public sans choquer la bienséance. Elle réclame de l'argent aux commissaires afin qu'elle puisse se procurer ce qui lui est nécessaire et payer les frais du voyage qu'elle doit faire pour se rendre à sa nouvelle résidence. On lui accorde 1500 livres [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/17, 24]. Son neveu, monsieur le marquis de la Villemeneust, ne tarde pas à faire de timides confidences sur le passé, il a dû avancer à sa tante la somme de 7314 livres, 18 sols dont elle avait besoin pour soutenir le procès que madame Marguerite-Charlotte-René Ménard de Toucheprès avait suscité dans son fol orgueil, 7 mai 1727 [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/48]. Le 1er septembre 1727, le même écrit à monsieur Perrin, recteur de Toussaint, le remerciant d'avoir permis à sa tante de passer un mois à Matignon (Côtes-du-Nord), où elle a pu se remettre de ses émotions et de ses fatigues. Il le prie de faire payer la pension de cette dernière, car les 1500 livres qu'il lui a remises ont été dépensées pour sa nourriture et ses vêtements. Les commissaires lui accordent 1500 livres. Madame de Lesquen se met en route polir se rendre chez les dames Cordelières de Quimper, où madame de Robien est supérieure. Son neveu l'accompagne. Le 29 septembre 1727, il raconte à monsieur Perrin, recteur de Toussaint, les incidents du voyage. Il a eu beaucoup de mal à trouver des litières à Dinan et Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord). Il s'est mis en route, le 21 septembre, par un fort mauvais temps. Il n'a passé qu'un jour à Quimper. Affligé d'un abcès, il a eu la fièvre pendant tout le voyage. Et pour comble de malheur, on est mal nourri et il en coûte cher dans ces méchants cabarets de basse Bretagne. Sa tante doit se meubler ; il prie le recteur de Toussaint de lui faire payer 400 livres [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/17]. Le 16 juin 1728, madame de Lesquen écrit qu'on ne lui paye que 1000 livres. Elle s'élève avec indignation contre ceux qui lui imputent des dettes personelles. Si elle a fait des dépenses, c'était pour la subsistance de la communauté et non à son profit. Elle s'étonne qu'on lui retienne 1500 livres pour payer des dettes qui ne sont pas les siennes [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/17]. Le 30 juin, elle demande qu'on lui paye sa pension, les Bulles romaines lui assignent 2.500 livres et elle ne perçoit que mille livres.

Madame de Lesquen avait-elle toujours bien conscience de ce qu'elle recevait ? Du mois de février au mois de septiembre 1728, les registres montrent clairement que 1800 livres lui ont été fournies [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/17]. La même crie toujours misère. Elle s'étonne que les commissaires ne puissent lui procurer ce qu'ils lui doivent lorsqu'ils viennent de vendre pour 75.000 livres de bois. Puisqu'on ne lui paye pas sa pension, elle ne payera pas non plus la sienne (15 mai 1730). Le 31 juillet, elle répète que sa pension ne lui a pas été payée en entier ; les Cordelières attendent avec impatience le reliquat qui lui est dû. Si elle avait 1200 livres en ce moment, elle pourrait payer des dettes qui la gênent beaucoup [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/17]. Moins de deux mois après, elle parraissait devant Dieu : elle n'avait plus besoin de pension ! (21 septembre 1730) [Note : Guillotin de Corson, Pouillé du Diocèse de Rennes, 2ème volume]. Comme nous l'avons compris d'après sa correspondance, cette ancienne abbesse souffrait d'une dépression morale. Elle avait tant souffert et puis elle n'avait pas toujours, au milieu de ses graves difficultés, trouvé les consolations sur lesquelles elle pouvait compter. Nous le savons, un certain nombre de ses filles avaient pour elle de l'affection et de l'estime. Le mandement épiscopal qui la dépouillait de ses privilèges de supérieure parlait de relations suspectes ? Cette accusation ne paraît pas avoir eu un fondement sérieux, puisque le vénérable recteur de Toussaint ne craignait pas de correspondre avec elle et les membres de sa noble famille. Nous déplorons qu'elle ait jugé à propos de suspendre la distribution de ces aumônes quotidiennes qui, dans tous les temps, avaient valu au monastère de St-Sulpice une glorieuse célébrité de bienfaisance. Si cette existence qui vient de s'éteindre n'a pas été absolument irréprochable, nous oublierons ce qu'elle a eu d'imparfait en mémoire de sa petite nièce, sœur Jeanne-Joseph de Lesquen de Carmené, qui vécut plus d'un demi-siècle (1723-1778) dans le monastère que sa tante avait gouverné, en faisant la joie et l'édification de tout le monde [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/18, 87, 90, 104, 116, 138].

Madame d'Aubeterre avait eu une succèssion fort difficile à liquider ; grâce à sa prudence et aux sages avis des commissaires qui lui avaient été adjoints, elle avait payé presque toutes les dettes, mais à ce moment, des réparations urgentes réclamèrent de nouveau son activité, et nous avons vu quelles imposantes constructions elle sut édifier. Craignant que certains créanciers, mal disposés, vinssent lui intenter des poursuites judiciaires, elle demanda la faveur de suspendre ses payements pendant deux ans et de soumettre à une commission de trois parlementaires l'examen des différends qui pourraient survenir. Messires René Leprêtre, Claude-Marie de Montbourcher, François de Langle de Beaumanoir, présidents à mortier, Julien de Marnière, marquis de Guer, le vicomte de la Houssaye, chevalier, Huart, seigneur de la Bourbansais, conseillers au parlement, avec Jean-François de Guersans, abbé commendataire de Saint-Méen (Ille-et-Vilaine), official et vicaire général de l'évêque de Rennes, furent désignés pour étudier les questions litigieuses (10 avril 1750) [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/29]. Le temps s'était écoulé rapidement ; l'abbesse, redoutant de nouveaux procès, sollicita et obtint qu'on prorogeât les pouvoirs des commissaires pendant quatre ans (14 juillet 1752) [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/29]. Il y avait bientôt six lustres que madame Bouchard d'Aubeterre gouvernait la communauté de St-Sulpice ; elle avait accompli de grandes choses, tout en calmant les esprits et stimulant le zèle pour la vertu, mais ses forces n'étaient plus à la hauteur de la bonne volonté. Elle se crut donc obligée de donner sa démission et de céder la place à une religieuse plus active (1755).

Madame Clotilde de la Bourdonnaye, religieuse de Fontevrault, fut désignée pour recueillir sa succession, le 8 juin de la même année. Ayant reçu ses Bulles de Rome, le 19 septembre, elle les fit entériner et fulminer, le 2 octobre. Le 4 novembre suivant, elle prit solennellement possession de son abbaye. Julien Tumoine, notaire royal et apostolique de la ville et du diocèse de Rennes, nous raconte les principaux détails de cette curieuse cérémonie. Madame de la Bourdonnaye arrive à St-Sulpice, à dix heures, accompagnée de monsieur de la Borderie, vicaire général et official, de plusieurs dames et personnages de marque. Toute la communauté vient la recevoir à la porte du cloître et la conduit à l'église du monastère, où elle prend place sur un siège, au milieu du chœur. Monsieur de la Borderie, après avoir adoré le Saint Sacrement, revêt un surplis et l'étole et, assisté de plusieurs ecclésiastiques, il s'avance auprès de la grille. Il expose le motif de cette réunion solennelle, présente le brevet royal et les lettres pontificales, duement insinuées, qu'il explique en français. Ayant demandé ensuite aux moniales si elles agréent la supérieure qu'on leur envoie, elles répondent toutes qu'elles consentent à son installation. Madame de la Bourdonnaye se prosterne alors à genoux, et prononce la profession de foi du Concile de Trente et jure de l'observer, après l'avoir signée, en présence de trois présidents du parlement, de plusieurs messieurs et personnes amies, qui avaient été autorisés à pénétrer dans le cloître, en cette mémorable circonstance. Après avoir reçu la crosse et pris place sur son siège abbatial, la nouvelle supérieure accueille l'hommage des religieuses qui viennent suivant leur rang de profession, lui baiser la main. On se rend ensuite processionnellement au chapitre. L'abbé de la Borderie accompagne madame de la Bourdonnaye, les moniales suivent et s'avancent par rang d'âge. L'abbesse s'asseoit sur la chaire qui lui est destinée. Les officières se présentent devant elle et déposent à ses pieds les insignes de leurs charges. Le cortège se dirige de là vers les jardins où l'abbesse coupe du bois, arrache des herbes, cave (creuse) la terre. Madame de la Bourdonnaye monte à sa chambre où elle est introduite, prend place dans un fauteuil, fait du feu et de la fumée, boit et mange. Après avoir ainsi pris possession du temporel de son bénéfice, l'abbesse retourne au chœur, précédée de la croix et suivie de la communauté et de l'assistance. Là, monsieur de la Borderie entonne le Te Deum, qui est chanté alternativement par les religieuses et l'orgue. Quand cet hymne d'action de grâces est terminé, le vicaire général clôture par le verset et l'oraison de la sainte Trinité, cette imposante et joyeuse cérémonie, qui semble présager pour nos vertueuses bénédictines des jours de calme et de prospérité. Le monastère, restauré au prix de gros sacrifices et décoré comme dans ses beaux jours paraît adresser des invitations pressantes aux âmes généreuses qui le visitent, il promet de les protéger contre les infortunes physiques et morales de ce monde. Le calme est revenu dans le couvent, le spectre d'une ignominieuse banqueroute a disparu, et cependant on éprouve un malaise général. La vie monastique n'a plus d'attraits, les vocations religieuses deviennent de plus en plus rares, on hésite à se donner à Dieu, comme s'il n'y avait plus de sécurité dans les asiles de la prière. N'est-ce pas là le signe avant-coureur d'une furieuse tempête que nous verrons bientôt éclater.

La foule qui est venue souhaiter la bienvenue à madame de la Bourdonnaye s'est dispersée et le cloître a retrouvé sa tranquillité habituelle. Nous avons vu figurer dans cette assistance : Jacques Ribault, recteur de St-Sulpice, J.-B. Thomas, Guillaume le Port et Thomas Vannier, maître chirurgien, tous demeurant à l'abbaye [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/52].

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