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Abbaye de Saint-Sulpice-la-Forêt. |
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Progrès et conséquences de la réforme.
La réforme produisit les plus heureux effets, on regardait St-Sulpice comme une école des plus belles vertus, dirigée par une sainte. On y accourait de toutes parts, les plus nobles familles y conduisaient leurs filles, qui s'estimaient heureuses de s'y enfermer pour se donner entièrement à Dieu. Cent vingt-cinq religieuses se sont glorifiées d'avoir eu Marguerite d'Angennes pour mère et d'avoir, sous sa conduite, vécu dans une paix inaltérable. Cependant l'ivraie devait pousser au milieu du bon grain. Avant 1620, c'est-à-dire avant la réforme, les religieuses titulaires des divers prieurés qui dépendaient de l'abbaye de St-Sulpice résidaient dans leurs petits monastères, généralement avec une ou plusieurs compagnes. Là, elles se comportaient honnêtement, comme d'honorables séculières, soucieuses de se procurer une existence agréable avec leurs rentes qu'elles dépensaient intégralement, sans en rien réserver pour l'abbesse, trop souvent plus occupées des affaires du monde que des choses du ciel. Alizon du Pontbellanger nous laisse deviner cette triste vérité quand elle nous présente ces âmes, qui avaient juré de se donner entièrement à la vertu, comme peu ou point familiarisées avec l'obéissance. C'est bien en vain qu'elle avait fait appel à la bonne volonté de quelques-unes d'entre elles, en les suppliant de venir se reposer sous son toit, pour entendre ses conseils maternels. Comme elle le dit avec tristesse, elles s'ingéniaient à consommer singulièrement leurs revenus, sans lui en rendre un seul denier [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/25].
Quand la grâce divine eut modifié les coeurs, Marguerite d'Angennes réunit autour d'elle ces religieuses égarées dans le monde et fort anémiées au point de vue spirituel. Elle fit cependant exception pour les moniales qui habitaient la Fontaine-Saint-Martin [Note : Canton de Pontvallain (Sarthe)], la Fougereuse, [Note : Canton d'Argenton-Chateau (Deux-Sèvres)] le petit Locmaria [Note : Plumelec (Morbihan)] et le grand Locmaria, près Quimper, 1623. Pour consoler ces âmes en peine, égayer leur solitude, exciter leur zèle, elle leur envoya, cinq, six, et même huit compagnes, 1636, 1641 [Note : Arch. départ. d'Ille-Vilaine, 2H2/71]. C'est alors qu'une piété sincère commença à embaumer ces modestes couvents, s'il faut en croire un curé, habitant dans le voisinage de la Fontaine-Saint-Martin. Il écrit, le 30 novembre 1628, que la prieure fait chanter tous les soirs, dans l'église, par ses religieuses et les petites filles qu'elles instruisent, les litanies de la Sainte Vierge, des motets au Saint-Sacrement et d'autres cantiques édifiants. A l'entendre, c'est un acheminement à quelque chose de plus grand et absolument conforme aux désirs de l'abbesse. L'honorable pasteur conseille à Marguerite d'Angennes d'envoyer des obédiencières, qui puissent apprendre à chanter [Note : Arch. départ. d'Ille-Vilaine, 2H2/1]. Ce fait laisse supposer que les offices liturgiques n'étaient pas fréquents dans ces petites communautés. L'abbesse de St-Sulpice ne tarda pas à visiter la Fontaine-Saint-Martin, elle voulait s'assurer si tout se passait régulièrement. Le 19 septembre 1642, elle y rencontra une religieuse étrangère qu'on avait associée au couvent, sans lui demander avis. Elle lui déclara qu'elle ne la reconnaissait pas pour sa religieuse et lui défendit de paraître devant elle en cette qualité, mais simplement, comme pensionnaire. Cette personne reconnut sa faute et lui demanda d'être admise au nombre de ses filles, mais l'abbesse ne voulut lui donner satisfaction qu'après avoir pris l'avis de son chapitre [Note : Arch. départ. d'Ille-Vilaine, 2H2/94].
Une vive inquiétude vint tourmenter Marguerite d'Angennes, en 1633, l'évêque de Rennes voulut lui imposer des confesseurs ordinaires et extraordinaires, suivant que le demandait le concile de Trente. Cette déclaration bouleversa l'âme de la sainte Abbesse. Elle s'était toujours servie pour la confession de ses religieux et des Jésuites qui lui étaient très sympathiques et lui avaient rendu de signalés services. A la pensée d'en être séparée, privée, son âme faillit se révolter. « Comment ! disait-elle, personne ne songeait à nous aider de ses conseils et de ses lumières, quand nous étions en proie à la tiédeur, et maintenant que nous commençons à marcher dans le bon chemin, on sème des obstacles sous nos pas. Si on impose un confesseur aux religieuses, elles seront moins favorisées que le dernier des mortels, toujours libre de le choisir. C'est une mesure qui peut décourager celles qui ont fait profession, comme celles qui se disposent à la faire. Et puis, imposer un confesseur, sait-on s'il plaira ? Quand la supérieure le désigne, elle peut en appeler un autre, lorsqu'il ne s'accorde pas avec certains caractères. Celle-là aura-t-elle la même faculté, quand il faudra le demander à l'évêque ? ». Dans-son trouble, elle aurait facilement déclaré, comme on le faisait fréquemment jadis, que le concile de Trente n'avait pas force de loi en France, puisqu'il n'a pas été enregistré. Elle consulta les docteurs de la Sorbonne qui la tranquillisèrent. Le 8 juin 1633, ils lui firent savoir que son abbaye était exempte et par cela même dispensée de recevoir de la main de l'évêque les confesseurs qu'il lui plairait de nommer [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/1-2]. Du reste, l'autorité ecclésiastique se montra bienveillante et permit aux moniales de prendre comme confesseurs les prêtres qu'elles voudraient pourvu qu'ils fussent approuvés par l'ordinaire [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/1-94].
Marguerite d'Angennes avait en horreur tout ce qui portait atteinte à la pauvreté monastique. Philippe de Cornulier, prieure de Teillay [Note : Ille-et-Vilaine], avait acheté de François Peschart, seigneur de Beaumanoir et de Bienassis [Note : Paroisse de Pipriac (Ille-et-Vilaine)], une maison sise près le caroil Jouault, où pend le heaume d'argent [Note : Paroisse de St-Etienne (Rennes)], construite en bois et couverte en ardoise. En bas, se trouvait une salle avec cheminée ; à côté, un cabinet. Dans cette maison, il y avait des latrines, chose rare à cette époque, au-dessous, une cave, et au-dessus, deux chambres. Cet immeuble avait coûté cinq mille livres. La propriétaire, encore peu initiée au desintéressement qui convient à une parfaite religieuse, s'imagina de la léguer à sa famille. L'abbesse de St-Sulpice n'hésita pas à faire remarquer à messire Pierre de Cornulier que ce logis avait été acquis avec les revenus de biens ecclésiastiques et qu'il appartenait en droit à son couvent (19 septembre 1624). Nous ne savons si ce dernier se rendit à ses bonnes raisons [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/50].
Pour développer la vie religieuse dans les prieurés conventuels, Marguerite d'Angennes fait des conditions avantageuses aux titulaires. Le 9 octobre 1634, nous la voyons passer un compromis de ce genre avec Marie de Bourgneuf, prieure du grand Locmaria, où des intérêts communs se trouvent sauvegardés. La supérieure, y est-il dit, veillera à ce que la clôture soit bien gardée. Elle aura, pour recueillir les rentes du monastère et l'argent provenant de la pension des religieuses, un coffre fermant à deux clefs, qu'elle placera dans un lieu sûr de la maison. La prieure et la dépositaire en auront chacune une clef et enverront tous les trois ans à l'abbesse un état financier du monastère, signé de la sous-prieure et de la cellérière. Les autres officières rendront leurs comptes à la prieure, assistée de la sous-prieure et de la dépositaire. Si quelques filles se présentent, poussées par le désir d'être religieuses, la prieure les admettra dans son monastère pendant quelque temps et renseignera ensuite l'abbesse sur leur âge, leur santé, leur esprit et les autres qualités. Les personnes jugées dignes d'embrasser la vie monastique seront envoyées, pour faire profession, après un an d'épreuve, à St-Sulpice où elles porteront leur pension et leur dot. Dans la suite, elles resteront à l'abbaye ou s'en retourneront au prieuré de Locmaria, suivant que les supérieures en décideront. Les frais de voyage seront à la charge de l'abbesse et de la prieure qui se partageront également la dot. Si les religieuses du prieuré tombent malades, la prieure les gardera ; l'abbesse ne pourra pas non plus envoyer au prieuré des religieuses infirmes pour en décharger l'abbaye. Tous les trois ans, le premier lundi de Carême, les officières déposeront leurs charges, céderont la place à d'autres ou seront renouvelées [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/90].
Cette maternelle condescendance devait déchaîner un jour la plus terrible tempête et nous donner le triste spectacle d'une noire ingratitude, d'une perfide et rare duplicité. Le 30 juillet 1624, le vénérable évêque de Rennes permettait à Claude d'Appelvoisin et à Madame Brunault de la Rabatelière, deux religieuses de Saint-Sulpice, de se rendre au monastère de Ste-Madeleine de la Fougereuse, l'une pour recueillir la succession de sa tante, qui était prieure, l'autre, pour donner des conseils relatifs aux constructions qu'on allait entreprendre. Ces deux moniales ne songeaient pas à séjourner indéfiniment loin de l'abbaye, puisque le prélat qui autorisait ce voyage fixait leur retour vers le commencement de l'année suivante.
Le 2 août 1624, avant le départ, Marguerite d'Angennes eut un long entretien avec Claude d'Appelvoisin, la future supérieure de la Fougereuse, et lui soumit des conventions provisoires qui pouvaient se réaliser dans un avenir plus ou moins lointain.
1° L'abbesse déclare tout d'abord que le prieuré de la Fougereuse sera désormais conventuel et qu'elle y enverra tôt ou tard 16 ou 20 religieuses, si les revenus de ce couvent permettent de les entretenir mais elle fait remarquer que ce monastère dépendra entièrement de St-Sulpice et que le personnel en suivra exactement la règle.
2° Le prieuré sera clos de murs, les moniales auront un sanctuaire séparé où elles vaqueront au service divin et des parloirs avec des grilles.
3° Pour y établir la réforme, l'abbesse y conduira quatre ou cinq religieuses, professes de St-Sulpice ; l'une d'elles sera sous-prieure, gouvernera et instruira les novices ; une autre, dépositaire.
4° Claude d'Appelvoisin sera prieure, sa vie durant ; après son décès, l'abbesse nommera une prieure, qui sera triennale. Lorsque le couvent comprendra dix ou douze religieuses, la prieure sera élue. Elle devra être âgée de 30 ans, au moins, et professe depuis dix ans. Elle devra être confirmée par l'abbesse, lorsqu'elle aura prêté serment de fidélité.
5° Si au bout de trois ans, il n'y a pas dix ou douze religieuses, l'abbesse nommera encore une prieure pour trois ans.
6° Quand tout sera ainsi réglé, la prieure pourra recevoir des novices et les admettre à la profession, mais avec le consentement de l'abbesse et de la majorité des religieuses de St-Sulpice.
7° L'abbesse aura le droit de visiter et de faire visiter le prieuré, de changer, de rappeler les religieuses. Les moniales ne pourront quitter le monastère sans la permission de l'abbesse, excepté en cas de peste, de famine, de guerre.
8° L'abbesse aura aussi pouvoir sur les prêtres qui seront au prieuré, elle pourra présenter les confesseurs à l'évêque diocésain [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/72].
Peu de temps après, le 16 août 1624, l'ancienne prieure de la Fougereuse, Louise d'Appelvoisin, remercie Marguerite d'Angennes de lui avoir envoyé sa nièce et Mme Brunault, elle fera tout pour leur faciliter le genre de vie qu'elles ont embrassée. Pour elle, elle ne se sent point les forces et le courage de se soumettre à la réforme. Elle a eu beaucoup de soucis dans sa vie, maintenant elle désire passer le reste de ses jours dans la paix. Et cependant l'évêque de Maillezais [Note : Canton (Vendée)] lui fait la guerre et essaye de la tracasser, elle supplie l'abbesse de ne point s'unir à lui, mais de la défendre, car elle fait partie de son fidèle troupeau [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/71].
Le lendemain, 17 août, nous avons la bonne fortune de découvrir une longue lettre du neveu de cette vénérable prieure, adressée également à l'abbesse de St-Sulpice. M. de la Roche du Maine raconte les péripéties de son voyage à la Fougereuse où il a accompagné les moniales, envoyées en obédience. Il dit que sa sœur et Mme de la Rabatelière se sont senties grandement fatiguées et travaillées par l'injure des grandes chaleurs, par le train du carosse qui était bien le plus rude et le plus incommode qu'on eût pu rencontrer. De plus, étant arrivés à Fromentau [Note : Fromentau ? (Vendée)], Mme de Naullière eut affaire de ses chevaux. Nous laisserons parler ce noble personnage. « Par ce moyen, dit-il, notre carosse demeura désattelé, et nous étions à pied, sans aucun pouvoir de marcher. Ma cousine des Planches nous fit cette faveur d'envoyer en son voisinage pour en faire recherche et en emprunter. N'en ayant pu rencontrer, la nécessité nous a contraints d'aller au prochain lieu où nous crusmes en pouvoir trouver, qui fut à la Rabatelière [Note : La Rabatelière (Vendée)], à cinq lieues de Fromentau, et sur le droit chemin de la Fougereuse. Nous n'y avons séjourné qu'un jour seulement, et nous n'y fussions allés sans cette considération, vous pouvant assurer que Mme de la Rabatelière y avait tout à fait de la répugnance. De là nous sommes venus droict en ce lieu, sans passer chez ma sœur de Saint-Offange, qui m'en a fait beaucoup de reproches, mais sa maison ne s'estant trouvée sur nostre droict chemin, je ne l'ay pas désiré, de crainte d'encourir blasme. En qualité de bon père directeur et conducteur, j'ay voulu estre exact observateur de vos ordonnances. Nos bonnes filles se portent assez bien, à présent, grâces à Dieu. Ma tante les a recueillies avec la plus grande joye et tesmoignage d'affection et de bonne volonté qu'il est possible qu'elles eussent pu attendre et espérer, bien contente et désireuse qu'elles facent leurs fonctions et exercices en l'a mesme forme et manière qu'elles souloint à St-Sulpice. Elle les y convie et leur en facilite les moyens en leur faisant faire un passage à couvert pour aller de leur chambre dans l'église, sans pouvoir estre vues des séculiers. Elle leur a faict faire un oratoire joignant le sien où elles entrent droictement, sans pouvoir estre vues de ceux qui pourraient estre dans l'église ou cloistre, dans lequel oratoire, il y a deux petites fenêtres par où elles communient, qui seront vitrées, et une petite porte pour entrer dans l'église, en laquelle il y a des barreaux de bois, à jour, au travers desquels elles se confesseront et parleront aux séculiers. Ma dicte tante leur a permis d'y mettre ung rideau et leur faict ouvrir une porte prosche de leur chambre pour aller à la promenade, sans passer par les cours et parmy les séculiers. Bref, elle reçoit beaucoup de joye de les veoir vivre selon leurs vœux. Elle leur donne une fille pour les servir. Le confesseur m'a dict que Monsieur l'evesque de Maillezais l'ayant envoyé quérir luy demanda s'il confessait ma tante et ses religieuses. Luy ayant répondu que ouy, après plusieurs autres discours, le dict seigneur évesque luy commanda de continuer à les confesser selon qu'il avait accoustumé. Puisqu'il l’a approuvé de sa propre bouche, je crois qu'il n'est pas besoing d'aultre approbation. J'oseray bien, Madame, vous donner les assurances certaines que vous ne recepvrez de cette affaire que tout contentement. Aussitôt après nostre arrivée, ma dicte tante de la Fougereuse a pensé aux moyens de faire sa résignation à ma sœur et m'a fait l'honneur de me dire qu'elle la désirait faire'au plus tôt. Et sur ce qu'il est absolument nécessaire auparavant icelle d'avoir l'information de vie et mœurs de ma dicte sœur, par Monseigneur l'evesque ou l'official, pour avoir la preuve comme elle est bien capable d'accepter la résignation que lui veult faire ma dicte tante, ne se pouvant faire par deça où elle n'a jamais demeuré, je vous prie très humblement, Madame, de la faire faire et de me l'envoyer par ce porteur. La résignation faicte, je m'en chargerai et en ferai au plus tôt après les diligences requises en court de Rome. La santé de ma tante est, grâces à Dieu, meilleure qu'elle n'a esté, mais non encore parfaite. Nostre Seigneur luy veuille restituer. Elle a été contraincte de vous renvoyer Madame de Villebouquet par les grandes réquisitions qu'elle luy en a faict et faict faire sans qu'il ait été possible de l'en divertir, quelque peine que Madame de la Rabatelière et moy y ayons pris jusques à faire des protestations publiques à ma tante qu'elle ne luy donnerait jamais ny repos, ny patience qu'elle ne l'eust renvoyée. Et même aujourd'huy a pris ma sœur de Saint-Offange à tasche et luy a dict mille injures et sornettes devant tout le monde, tellement que en fin, après l'avoir dissuadée de s'en aller et prié ma tante de la retenir, j'ay esté contrainct de conseiller à ma tante de la renvoyer, la voyant continuer en ses malices et opiniâtretez accoustumées, car, dans votre abbaye, ses défaults se pourront mieux cacher, » [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/70].
Nous assistons à l'origine d'une intrigue qui prendra un développement extraordinaire et se compliquera d'incidents fameux.
Le 3 septembre 1624, le même écrit à l'abbesse de St-Sulpice, pour lui demander, comme devait le faire, trois jours plus tard, sa chère tante, la permission, pour sa sœur Claude et Mme de la Rabatelière, de se promener dans les jardins avec les membres de la famille et de les recevoir dans une salle commune ; il redoute que ces bonnes âmes ne s'ennuient par trop. Il profita de la circonstance pour s'expliquer sur un conflit que nous avons à moitié compris et qui a une raison tout autre que celle qu'il nous a présentée. Avant l'arrivée à la Fougereuse des religieuses que nous avons suivies sur la route de Rennes au prieuré de Ste-Madeleine vivait avec Louise d'Appelvoisin, Mme de la Villebouquet, moniale, qui avait sans doute gagné la confiance de la vieille supérieure. Les anciens sentent irrésistiblement le besoin de s'appuyer sur quelqu'un ou sur quelque chose ; alors ils ne marchandent pas leur reconnaissance aux personnes plus ou moins dignes qui ont charmé leurs vieux jours, ils leur abandonnent ce qu'ils possèdent, ce qu'ils ont de plus précieux. Nous le voyons, le prieuré de la Fougereuse était en jeu, on le guettait comme une religieuse et honorable proie, tout en essayant de sauvegarder les apparences extérieures. Avait-on fait des promesses sur ce point à Mme de la Villebouquet ? C'est fort probable, et il était malaisé de se dégager ! Heureusement, un homme fort habile était là pour veiller au maintien des bonnes traditions. Un bénéfice ecclésiastique ne doit-il pas toujours rester au pouvoir d'une même famille, honorée d'un blason et inquiète sur l'avenir de jeunes filles, que Dieu veut bien recevoir, quand le monde leur refuse ses faveurs ? M. de Saint-Offange circonvient sa bonne tante, lui prodigue ses conseils intéressés, lui arrache une lettre pour Marguerite d'Angennes où la vénérable supérieure lui mande son intention de choisir pour lui succéder sa grâcieuse nièce, la complaisante et fidèle Claude. Armé de cette requête, il se présente devant l'abbesse de St-Sulpice qui accorde ce qui lui paraissait inoffensif. Le noble châtelain offre ses services et il s'estime heureux d'être désigné comme l'ange gardien qui doit veiller sur deux âmes consacrées au Seigneur, obligées par les circonstances de voyager à travers un monde, rempli des plus graves dangers. La pieuse caravane arrive, non sans peine, au terme de son pèlerinage. Quelle déception pour Mme de la Villebouquet, quand elle apprend qu'elle a perdu les bonnes grâces de celle qu'elle considérait comme la plus tendre des mères ! quand elle aperçoit sa rivale, l'heureuse mortelle qui la supplante ! Il faut l'avouer, c'était un casus belli et les hostilités ne tardèrent pas à devenir fort bruyantes. Nous en avons déjà entendu quelques échos, une séparation s'imposait. M. de Saint-Offange nous affirme qu'il a tout fait, avec Mme de la Rabatelière, pour conjurer cette rupture ! Cependant, on attendait avec impatience le départ, une lettre du complaisant neveu de la vieille prieure nous édifie à ce sujet. Ecrivant, le 3 septembre 1624, à l'abbesse de St-Sulpice, il se disculpe d'avoir maltraité sœur de la Villebouquet, il ne l'a point tirée du lit, comme on l'a raconté. Les choses se sont passées très simplement. Etant entré dans la chambre de sa tante, qui était habillée, car il était huit heures passées, il vit Mme de la Villebouquet au lit. Il ne put s'empêcher de lui faire des reproches et lui déclara qu'il ne convenait pas de faire la malade pour retarder son départ pour St-Sulpice, quand elle avait retenu une voiture depuis deux jours. Ses paroles produisirent un effet magique, une demi heure plus tard, elle était sur pied et partait. Tout le monde disait qu'avec trois mots il avait fait un miracle ! [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, fonds St-Sulpice, 2H2, liasses non classées]. Remarquons, en passant, que cette liberté d'allure a quelque chose d'extraordinaire : voir un homme entrer sans scrupule dans l'appartement de plusieurs moniales peut motiver quelque surprise et excuser quelques réflexions !
On nous permettra de dépouiller la correspondance qui nous tombe sous la main pour apprécier les sentiments des personnages qui se présenteront devant nous au milieu de ces multiples événements.
Le 21 mars 1625, jour de saint Benoît, Louise d'Appelvoisin écrit à l'abbesse de St-Sulpice et lui annonce que soeur Brunault de la Rabatelière est très malade, elle est au lit depuis sept semaines. Elle se dispose à la mort et demande pardon à Marguerite d'Angennes. Le 6 juillet de la même année, elle lui fait savoir de nouveau qu'elle est très souffrante. Elle a de la fièvre et des apostumes, aux deux côtés du cou, gros comme un œuf. L'infortunée patiente désire faire le voyage (le pèlerinage) des Ardilliers ?
Louise d'Appelvoisin n'est plus, elle a rendu son âme à Dieu. Elisabeth Brunault écrit elle-même à son abbesse et lui exprime tout son dévouement et sa soumission. Elle ne garde pas le lit, mais elle est fort chétive. Elle sera obligée de se mettre au lait d'ânesse et de demander dispense pour l'abstinence de l'Avent et du Carême. (2 janvier 1632).
Une maladie contagieuse désole le pays de la Fougereuse et des environs ; le 17 août 1632, Marguerite d'Angennes permet à Claude d'Appelvoisin, la jeune prieure, et à sa compagne, sœur Brunault de la Rabatelière, de quitter le couvent et de se réfugier chez les Cordelières de Cholet [Note : Maine-et-Loire] et d'y rester aussi longtemps que durera cette cruelle épidémie. A leur retour, elle les autorise à s'arrêter chez Mme de la Guyonnière, la mère de Mme Brunault, pendant dix ou douze jours. Ce sera une consolation pour cette vénérable personne, qui ne peut se rendre à la Fougereuse, à cause de son âge avancé. Combien de temps ces deux religieuses restèrent-elles éloignées de leur monastère ? Une lettre datée seulement du 12 août, nous fait présumer qu'elles regagnèrent leur prieuré, en 1633 [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, fonds St-Sulpice, 2H2, liasses non classées].
Claude d'Appelvoisin écrit à St-Sulpice qu'elles se portent assez bien pour le moment. Elles sont toujours dans la religion de saint François, mais elles craignent d'importuner ces bonnes religieuses. Elles demandent de nouveau à l'abbesse la permission d'aller chez Mme de la Guyonnière, qui leur a offert une litière pour les y transporter. Elles n'osent pas encore s'en retourner à la Fougereuse, elles craignent les funestes effets du mauvais air. Comme elles n'en sont pas très éloignées, elles en reçoivent souvent des nouvelles. La mort a frappé plusieurs personnes du bourg, deux ou trois de leurs serviteurs sont encore malades.
Depuis 1624, Marguerite d'Angennes avait souvent demandé à Claude de Saint-Offange si la clôture était bien observée, si les constructions étaient avancées ; celle-ci ne répondait pas sous prétexte qu'elle se trouvait très occupée et qu'elle n'avait pas un instant de loisir [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/50]. Le seul reproche que nous pourrions adresser à la sainte abbesse, c'est de ne pas avoir surveillé avec une sollicitude particulière cette œuvre de réforme matérielle et spirituelle du monastère de la Fougereuse, confiée à deux religieuses encore inexpérimentées, loin de la maison-mère, au milieu de parents et d'une société plus ou moins brillante, qui devait bientôt considérer le prieuré comme un lieu de pieuse récréation. Pendant longtemps, les deux moniales aimèrent à recevoir des personnes séculières, durant les heures de délassement, dans une salle commune ou dans les jardins.
Le 15 juin 1644, Elisabeth de la Rabatelière annonce que leur maison n'est pas encore terminée. Elles ne sont séparées des séculiers que d'affection, elles les voient dans une salle.
Le 26 du même mois, 1644, Claude d'Appelvoisin écrit à l'abbesse que les dortoirs seront bientôt terminés, on se hâtera ensuite d'édifier les cloîtres et le chapitre, et dès lors on ne les verra plus qu'au parloir [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine. Fonds St-Sulpice, 2H2, liasses non classées].
Le 17 novembre 1644, Charles Tiercelin d'Appelvoisin, seigneur de la Roche du Mayne, frère de la prieure, fit savoir à Marguerite d'Angennes que les maisons du couvent de la Fougereuse pouvaient recevoir des jeunes filles, désirant se vouer à la vie religieuse. Au nom de sa sœur, il ose demander pour elle d'admettre des novices dans son monastère. L'abbesse surprise d'une pareille démarche, se contenta de répondre que la prieure aurait pu exprimer cette requête dans une forme plus respectueuse [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/70].
Le 7 mars 1645, Jacques Jahin, vicaire de Saint-Sulpice et confesseur de l'abbaye, reçoit l'ordre de visiter le prieure de la Fougereuse, où il est accueilli par Claude d'Appelvoisin et sa compagne, Mme Brunault de la Rabatetière. Après avoir célébré la messe, adoré le Saint Sacrement, il commence l'inspection des lieux réguliers. Il remarque de beaux ornements, deux calices d'argent doré, des chandeliers d'argent de deux pieds, une lampe d'argent ornée de figures, douze cellules fort spacieuses, ajourées de deux fenêtres séparées. La clôture est en pierre, et, au delà des murailles, il y a des fossés, larges de 18 pieds [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/70].
Vers la même époque, Claude d'Appelvoisin a besoin de s'épancher dans le sein de son abbesse. Elle lui déclare qu'elle a envoyé, il y a plus d'un an, son frère pour lui exposer un désir bien légitime. Elle ose le renouveler. Sa conscience, l'honneur de son couvent, toutes les personnes de piété et de conseil la poussent à réclamer, toutefois avec un profond respect, pour son monastère, l'exercice de droits qui lui appartenaient autrefois. Des personnes de qualité lui offrent nombre de jeunes filles désireuses de se donner à Dieu ; qu'on lui accorde un noviciat pour l'amour et la plus grande gloire de Dieu. Elle se dit très heureuse et très fière d'être soumise à l'autorité de Marguerite d'Angennes ; elle promet de lui en fournir des preuves en toutes rencontres. Ses sollicitations ne se bornèrent pas là. C'est une lettre de l'abbesse de St-Sulpice qui nous le fait savoir, malheureusement sans date. « J'ai reçu votre épitre, lui écrit-elle par les mains de Monsieur le prieur de Saint-Hyppolyte et appris de lui ce qu'il avait à me dire de votre part. C'est la continuation de vos précédentes requêtes. Je suis toujours dans la résolution de conserver et, maintenir les droits de mon abbaye, comme je l'ai juré sur les saints Evangiles. Je regrette que vos désirs soient tels que je ne puisse les approuver. Vous et moy, nous n'aurions pas d'honneur en ce monde, mais certes, des châtiments dans l'autre, en changeant une fondation qui dure depuis six cents ans. Dieu m'envoie plutôt la mort que de commettre une faute si préjudiciable à la célèbre maison qui m'a été confiée » [Note : Cette réponse doit être postérieure à une lettre de Claude d'Appelvoisin, datée, du 23 septembre 1655. Cette prieure supplie son abbesse d'excuser ses importunités. La demande qu'elle lui fait ne tend qu'à mieux lui témoigner son obéissance. Elle désire se rendre indépendante de sa supérieure, mais ses démarches ne sauraient lui être désagréables, car elle doit comprendre qu'elle n'obligera pas une ingrate. (Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine. Fonds de St-Sulpice, 2H2, liasses non classées)].
Elle lui rappelle les conventions qu'elle a signées avant de quitter St-Sulpice. Dans une consultation, datée du 13 novembre 1644, Claude d'Appelvoisin ose soutenir qu'elle n'était pas libre quand elle avait souscrit certains articles reconnaissant la dépendance du monastère de la Fougereuse, elle était enfermée à St-Sulpice. Et quand même elle eût été libre, elle ne pouvait accepter des choses contraires aux intérêts de son prieuré [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/70 et liasses non classées].
Le 28 décembre 1648, Elisabeth Brunault écrit à l'abbesse de St-Sulpice et professe qu'elle lui est toute dévouée. Dans la même année, le 14 avril, elle lui avait demandé de la compter parmi ses humbles et modestes servantes. Le 9 juillet 1649, elle lui déclare qu'elle s'estime heureuse de l'affection qu'elle lui témoigne.
Le 17 novembre 1644, Claude d'Appelvoisin avait demandé à Marguerite d'Angennes des religieuses obédiencières pour donner de la vie à son couvent, mais elle lui faisait en même temps dire de vive voix qu'elle n'en voulait pas si elle ne lui accordait le privilège d'ériger un noviciat avec la faculté d'admettre à la profession les personnes qui se présenteraient. Elle renouvela plusieurs fois cet expédient pour démontrer à ceux qui voulaient l'entendre qu'elle n'avait aucune mauvaise intention ; si elle osait entrer en contestation avec sa vertueuse abbesse, c'était, à contre-cœur, elle luttait pour défendre son prieuré qu'on voulait anéantir en le privant de religieuses [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/71].
Une lettre qu'elle écrit, en septembre 1652, atteste ouvertement cette manière de faire. La prieure de la Fougereuse raconte que le R. P. Lochet est venu la voir. Il lui a dit que l'abbesse de St-Sulpice se proposait de lui envoyer des religieuses. Elle les accueillera avec bonté, si on lui permet d'admettre ses filles à la profession, comme on le fait dans d'autres instituts religieux, et comme cela se pratiquait jadis dans son prieuré. Elle acceptera toutes les conditions qu'on voudra lui imposer. Elle renverra sa nièce, mais elle conservera Mme de la Rabatelière, qui lui est nécessaire pour les affaires de la maison [Note : Les prieures de la Fougereuse, Andrée de la Chapelle (3 juin 1496), Jeanne Tiercelin (20 octobre 1540), avaient reçu des religieuses à la profession, mais avec l'agrément de l'abbesse de St-Sulpice. Ce n'était pas un droit, mais une faveur. (Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/69-72)].
Nous arrivons au point culminant de l'intrigue. Mme Brunault écrit à l'abbesse de St-Sulpice qu'elle n'a fait aucune violence à Mme de Saint-Offange ; on l'accuse faussement, mais, après tout, elle mérite bien de faire pénitence pour ses péchés. (20 octobre 1652).
Le 29 novembre 1652, sœur de Saint-Offange proclame que la prieure de la Fougereuse et sœur Brunault l'ont maltraitée. Elle demande au R. P. Lochet de s'employer auprès de l'abbesse de St-Sulpice pour faire rappeler Mme de la Rabatelière, ce serait le meilleur moyen de la venger.
Le même jour, Mme de Saint-Offange écrit à Marguerite d'Angennes que sa fille, religieuse de Fontevrault, étant indisposée, avait dû fréquenter les bains de Bourbon. A son retour, sa tante, Claude d'Appelvoisin, prieure de la Fougereuse, voulut la voir. Elle la retint et promit d'en demander la permission à l'abbese de Fontevrault. Le séjour se prolongea, et la dame de St-Sulpice envoya le R. P. Lochet avertir la prieure de la Fougereuse de vouloir bien renvoyer cette étrangère, craignant que sa tante ne résignât en sa faveur. Sa fille n'y avait jamais pensé. Il n'en était pas de même de Mme de la Rabatetière, qui fit renvoyer cette pauvre fille honteusement.
Nous entendons plusieurs personnes impliquées dans cette affaire et elles tiennent un langage tout différent, suivant les divers intérêts qui sont en jeu. Le 21 décembre 1652, Claude d'Appelvoisin expose à l'abbesse de St-Sulpice que la mère de cette religieuse a voulu lui arracher sa résignation ; elle a fait venir ses parents pour la décider à la faire. Comme elle voulait la renvoyer à son abbaye, pour obéir à sa vénérable supérieure, elle jura qu'elle ne sortirait pas qu'on ne la portât par les pieds et la tête ! Elle ne désire la revoir qu'en paradis. Sœur de Saint-Offange souhaitait la mort de Mme Brunault, pour occuper sa place.
Nous laissons maintenant la parole à l'accusée ; elle nous parlera sans embages et sans réticences. Mme de Saint-Offange, religieuse de Fontevrault, qu'on vient de juger si diversement et si sévèrement, prend la parole, et écrit au R. P. Lochet, qui a le rare bonheur d'être en bons termes avec tout le monde. Les enfants de saint Ignace de Loyola ont toujours su manœuvrer contre tous les vents et les plus furieuses tempêtes !
« 3 janvier 1655. — Mon Révérend Père. Il m'ennuie et tous nos proches qu'il ne vous plaise de m'honorer de vos lettres. Je vous le demande au plus tôt pour apprandre si nous aurons les justes et raisonnables satisfactions que nous attendons de la justice de Madame de Saint-Sulpice, de votre charitable et obligeante bonté. J'espère fort en vous, mon cher Père, malgré tout ce qu'on me peut dire et escrire pour man empescher. J'ay su que vous n'avez pas reçu ma dernière des Advants de Noël, par laquelle je vous faisais voir l'importance qu'il y avait pour Madame de Saint-Sulpice et Madame de la Fougereuse d'esloigner Madame de la Rabatelière d'auprès d'elle. Je vous demande cette grâce d'y vouloir travailler de la part de toute la famille, qui tout de bon vous en supplie, et aussi dans l'intérêt de Madame de la Fougereuse. Pour moy, cher Père, je vous jure que je n'ai point d'autres motifs que ceux-là pour vous recommander cette affaire, car jamais la Fougereuse ne me reverra après ce que j'y ai souffert. Je ne vois pas pourquoi, vous pouvez, comme on le dit, empêcher le rappel de Madame de la Rabatelière. Vous ne sauriez ignorer ses desseins contre les prétendus droicts de l'abbesse de Saint-Sulpice, ses prétantions au prieuré contre ceux du sang et de la Famille ! [Note : Cette déclaration montre bien que cette rébellion n'eut pas d'autre cause que l'ambition d'obtenir des honneurs ou un bénéfice ecclésiastiques]. Vous n'aurez jamais une plus belle occasion que celle de ses violences extrêmes et scandaleuses qu'elle m'a fait souffrir. On m'assure qu'elles les désavouent toutes, ce qui est bien honteux pour des personnes de leur condition... Et au nom de Dieu, mon Révérend Père, donnez-moi, en huit jours, de vos lettres, pour m'oster de peine. Adressez-les à Monsieur Couraud, près la Trinité, Angers, pour me les faire parvenir. J'oublyais de vous dire que vous ne devez point craindre de mescontenter Madame de la Fougereuse, si on rappelle Madame de la Rabatelière. Je vous donne parole qu'elle n'an sera pas faschée, deux heures de suite ; elle la craint plus qu'elle ne l'ayme. Et ne craignez pas que ma sœur ne soit bien reçue si on l'envoie et une autre religieuse avec elle. Je n'ay point de parans ny d'amis qui ne le souhaittent et ne vous prestent secours ».
Nous le voyons, la famille de Saint-Offange considère le prieuré de la Fougereuse comme un patrimoine ; pour le défendre, elle emploiera tous les moyens et ne craindra pas de provoquer une révolte, d'ameuter toute la noblesse d'un pays. Qu'on ne dise plus que Claude d'Appelvoisin soutenait les droits de son couvent ; dans la circonstance, elle pensait plus aux siens qu'à Dieu.
Le 20 octobre 1652, Elisabeth de la Rabatelière ne se fait aucun scrupule d'écrire à l'abbesse de St-Sulpice qu'elle souffre d'être si loin d'elle ; elle voudrait vivre à ses côtés pour s'animer de ses bons exemples [Note : La suite de ce récit nous montrera la fausseté de ces paroles].
Les deux solitaires de la Fougereuse font connaître l'état de leur santé. Claude d'Appelvoisin écrit à Marguerite d'Angennes qu'elle ne manque point de l'honorer, comme elle le doit, et de se souvenir, tous les jours, d'elle dans ses petites prières. Elle a toujours une dénuxion et des dartes qui l'ont importunée. Il y a plus de neuf ans qu'elle ne les a plus au visage, elles se sont retirées. Une sorte de rhume lui tombe sur les yeux et les oreilles et la rend presque sourde. Elle demande dispense de l'abstinence. Mme de la Rabatelière a été aussi très malade. Si elle a pris les sangsues, c'était par ordre du médecin et non pour se faire du mal. Elle demande la permission de manger de la viande, car elle a grand besoin de redonner des forces à son estomac [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine. Fonds de St-Sulpice, 2H2, liasses non classées].
Le R. P. Lochet se présenta à la Fougereuse, le 8 juin 1657, et fit une visite régulière, comme l'avait demandé l'abbesse de St-Sulpice. Le compte rendu qu'il en donne est intéressant. Il raconte que le monastère se trouve situé dans un pays sain et en bon air. Il regrette qu'il ait été bâti dans un endroit très solitaire, au milieu des bois, loin des villes et des bourgades. Il ne comprend guère comment on a pu placer un couvent de femmes dans un lieu aussi sauvage. La prieure l'a bien reçu. Les religieuses lui ont fait deux visites au parloir. Toutes, à part deux, ont été très gracieuses, bien qu'on leur ait mal parlé des Jésuites. On leur a donné un sermon sur les Saints Anges, qu'on leur a présentés comme des modèles de la vie religieuse. L'évêque a honoré les moniales d'une visite. Il leur a recommandé de pratiquer la réforme que quatre ou cinq observent. Le prieuré est achevé, il forme un carré avec des cloîtres tout autour c'est une belle construction. L'église n'est pas encore terminée, les religieuses occupent le chœur.
Le 14 juin 1657, la prieure déclare au R. P. Lochet, de la Compagnie de Jésus, établi au collège de Rennes, qu'elle ne recevra pas de moniales de St-Sulpice tant qu'on lui refusera le privilège d'avoir un noviciat. Son supérieur légitime est l'évêque de la Rochelle. Mme de la Rabatelière ne sera pas rappelée ; cette religieuse ayant été mandée ne paraît pas sous prétexte d'indisposition [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine. Fonds de St-Sulpice, 2H2/70].Le 6 juin 1651, l'évêque de la Rochelle s'était rendu à la Fougereuse et avait déclaré que le couvent était apte à recevoir un bon nombre de religieuses, il avait mandé à l'abbesse de St-Sulpice d'y pourvoir. La sainte femme n'aurait jamais refusé de le faire, si elle avait connu la vérité et si on ne lui avait pas imposé des conditions qui répugnaient à sa conscience, comme nous le savons déjà.
Le 5 juin 1656, Claude d'Appelvoisin demande, à nouveau, à Marguerite d'Angennes, la permission de recevoir des novices, elle la prie aussi de lui faire connaître les mesures qu'elle a prises pour les autres maisons. Elle fait sans doute allusion aux prieurés de la Fontaine-Saint-Martin et du grand Locmaria, près Quimper. Le 28 juin suivant, la prieure de la Fougereuse et Elisabeth de la Rabatelière lui renouvellent les mêmes désirs. Saint Benoît, disent-elles, exige la stabilité et défend qu'on passe d'une maison à une autre. St-Sulpice est loin de la Fougereuse, dans le trajet, on expose de timides femmes à de nombreux dangers, et de plus, on en fait des vagabondes. Elles dissent : « Je ne me plais pas là, j'irai ailleurs ». Saint Benoît demande la stabilité, il défend de passer d'une maison à une autre. Il est du reste dispendieux de payer les voyages de celles qui arrivent et des mécontentes qui s'en retournent [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2, liasses non classées].
C'est à la suite de cette démarche que Claude d'Appelvoisin adressa une plainte à l'évêque de la Rochelle, en 1557, lui demandant des religieuses puisque son abbesse refusait obstinément de lui en donner. Elle se gardait bien de dire toute la vérité et d'ajouter qu'elle n'en voulait pas recevoir tant qu'on ne lui accorderait pas la faveur d'avoir un noviciat. Cette réticence ne manqua pas d'induire en erreur le vénérable prélat qui lui permit d'en faire venir de monastères étrangers [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/69]. Il l'autorisa aussi à recevoir des filles à la profession et à employer tous les moyens légitimes pour sauver de la ruine et de l'anéantissement cet antique monastère pour la restauration duquel elle avait dépensé plus de cent mille livres [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/69 et liasses non classées 2H2].
Trois religieuses arrivèrent d'Angers, du monastère de la Fidélité, trois novices furent admises, parmi lesquelles figuraient deux nièces de M. le chanoine Bonchamp, attaché à la cathédrale d'Angers, qui devait instruire les jeunes filles et faire, à l'évêque de la Rochelle, un rapport sur la régularité du couvent [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/69].
Mme de la Prévalaye, la mère d'une religieuse de St-Sulpice, avait écrit à l'évêque de la Rochelle touchant cette épineuse affaire, qui divisait les esprits. Le prélat lui fit l'honneur d'une réponse. A l'entendre, il a tout fait pour éviter à l'abbesse de St-Sulpice les graves embarras où elle se trouve depuis cinq ans, il l'a suppliée et fait supplier, à diverses reprises, de peupler le monastère de la Fougereuse d'excellentes religieuses, comme il le désirait lui-même, comme toute la noblesse, du pays le souhaite. « Puisqu'elle n'a pas daigné m'écouter, nous avons formé une communauté ! ». Après mûre réflexion, il espère pouvoir y admettre les religieuses que Marguerite d'Angennes veut envoyer, si celle-ci veut supporter les novices qui s'y trouvent et laisser Mme de la Rabatelière vivre en paix dans un lieu qu'elle affectionne. Cependant il est bien à craindre que les âmes qui habiteront ce monastère soient plus ou moins troublées tant que la division règnera entre Madame de Saint-Sulpice et la prieure de la Fougereuse [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/70].
Claude d'Appelvoisin et sa compagne étaient en pleine révolte. Pour mettre fin. à ces discussions, l'abbesse de Saint-Sulpice envoya six religieuses à la Fougereuse, le 1er août 1657, mais elles n'y furent pas reçues. Elles se virent obligées, avec les deux prêtres qui les conduisaient, de se retirer, le 3 août, au château de la Flocelière. Marguerite d'Angennes, indignée, écrit à la prieure qu'elle manque à la charité chrétienne en recevant des religieuses étrangères et en fermant la porte de sa maison aux membres de sa famille [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/70].
La prieure de la Fougereuse et Mme Brunault de la Rabatelière, appuyées par l'évêque de la Rochelle, portèrent l'affaire devant le Parlement de Paris ; elles soutenaient que l'abbesse de St-Sulpice, qui n'avait pas voulu pendant trente ans envoyer une seule religieuse au prieuré, essayait alors d'en imposer six, en exigeant qu'on renvoyât les moniales de la Fidélité d'Angers et qu'on arrachât le voile aux quatre jeunes filles qui avaient été admises au noviciat. Le 4 juin 1658, une sentence permit à la prieure de la Fougereuse de recevoir au noviciat et à la profession autant de religieuses que son monastère pourrait en entretenir.
L'abbesse de St-Sulpice avait exigé qu'on renvoyât Mme de la Rabatelière à son monastère de profession. Le 6 décembre 1658, Claude d'Appelvoisin lui répond qu'elle prend bonne note de ses désirs, en attendant d'écrire à l'évêque de la Rochelle. Elle fait observer que la saison est dure pour effectuer un aussi long voyage, ce serait compromettre l'existence de cette chétive personne. Elle assure qu'elles sont toutes les deux ses fidèles servantes. Elle rappelle un peu plus loin que l'évêque de la Rochelle a défendu à Mme de la Rabatelière de sortir et à sa Supérieure de la laisser partir, sous peine d'excommunication. Elle ne peut donc rien faire si ces défenses ne sont pas levées [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/70 et liasses non classées].
Le R. P. Lochet se montre dévoué à l'abbesse de St-Sulpice et lui assure qu'il sera facile de comprimer cette révolution de la Fougereuse. Il suffira de faire reconnaître et confirmer les privilèges que les bulles pontificales accordent à son antique et célèbre monastère. Le R. P. Recteur et lui en écriront à Rome. (27 juin 1658) [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2, liasses non classées].
Le 28 août 1658, un sieur Perrin lui écrit de la Flocellière et lui donne des nouvelles de la Fougereuse. Il lui raconte que le chapelain qu'elle avait envoyé pour occuper la cure de St-Maurice avait tenu des propos imprudents. Il avait prétendu que l'abbesse de St-Sulpice était très humiliée du procès qu'elle soutenait contre la Fougereuse, procès qui lui avait déjà coûte cinq mille livres. Aux personnes qui lui rapportaient ces paroles, le sieur Perrin répliqua que si les religieuses de la Fougereuse voulaient avoir la paix, il leur fallait reconnaître l'abbesse de St-Sulpice comme leur supérieure et cesser de lui disputer le droit de disposer du prieuré quand il vaquerait. Le même fit observer à son interlocutrice, qui était la tourière du monastère, que les religieuses avaient été fort osées de présenter son fils à la cure de St-Maurice. Cette personne lui répond que les religieuses aimeraient mieux crever que d'y souffrir un autre. Elle ajoute que les dames de la Fidélité d'Angers s'en sont retournées, deux sont venues de Thouars (Deux-Sèvres). Cette femme, qui parlait beaucoup et savait donner plus d'une réponse, déclare qu'elle a une fille dans la communauté, deux fils prêtres, l'un, curé de St-Maurice, et l'autre, de St-Clémentin. Elle termine en disant que les dames de la Fougereuse auraient reçu volontiers les religieuses de St-Sulpice si elles avaient été moins nombreuses, mais, six ! c'était trop ; ces nouvelles venues auraient été vite les maîtresses.
Le procès qui existait entre le monastère de St-Sulpice et la Fougereuse inquiétait les esprits. M. de Porman, domicilié à Paris, conseille à l'abbesse de faire intervenir dans cette affaire les parents de ses religieuses. Ils soutiendront qu'ils n'auraient jamais donné leurs filles à l'abbaye s'ils n'avaient pas été convaincus qu'elle possédait de nombreux prieurés, sans lesquels elle ne pouvait vivre. (3 mai 1659).
Le sieur Perrin fournit encore quelques détails sur le couvent de la Fougereuse. Le 25 mai 1659, il écrit qu'il est allé signifier à la prieure de ce couvent de renvoyer, à St-Sulpice, Mme de la Rabatelière. L'hôtesse qui lui a procuré l'hospitalité lui a affirmé que M. de Bonchamp avait trois filles à la Fougereuse. Les parents ont promis de donner quatre mille francs, si la troisième y fait profession. Passant aux Aubiers (Deux-Sèvres), un parent de M. de Bonchamp a dit au sieur Perrin que cette jeune fille pleurait en entrant au couvent. C'est alors que ce dernier dit, touché de compassion et tourmenté par une véritable affection : « Donnez-la moi, elle ne vous coûtera rien ». La mère refusa, en répondant, sur un ton sec : « Je veux qu'elle soit religieuse comme ses sœurs » [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2, liasses non classées].
Le 14 juin 1659, on fait une troisième sommation à Mme de la Rabatelière d'avoir à réintégrer St-Sulpice. On lui offre un carrosse attelé de quatre chevaux, et pour compagnons, M. l'abbé Guerry et Mlle de Cacaud. Ce fut une nouvelle et vaine tentative [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/70].
Le 10 février 1660, l'abbesse de St-Sulpice s'adresse au conseil privé du Roi, expose ses griefs et obtient gain de cause. Un arrêt de ce tribunal condamne Claude d'Appelvoisin de renvoyer les religieuses étrangères et les novices qui n'ont pas fait des vœux. Quant à celles qui ont fait profession, elles seront obligées de la réitérer entre les mains de l'abbesse. La prieure est condamnée aux frais de la procédure. Comme cette dernière interjette appel, les religieuses de St-Sulpice recourent de nouveau au conseil du Roi et obtiennent une sentence confirmative de la première (13 juillet 1662). C'est alors que mourut Marguerite d'Angennes que l'incendie du monastère et la mauvaise foi de ce conflit avaient si douloureusement contristée. Marguerite de Morais lui avait succédé. Claude d'Appelvoisin ne tenait pas compte des arrêts qui avaient été rendus contre elle, elle continuait de recevoir des novices à la profession. La nouvelle abbesse sachant que le parlement de Paris lui avait réservé le droit de visiter le prieuré de la Fougereuse, elle résolut de s'y rendre pour exercer ses droits [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/69-70]. Elle obtint des obédiences de l'évêque de Rennes, le 30 septembre, et de l'évêque de la Rochelle, le 16 octobre 1663, et la permission de se transporter à la Fougereuse avec quatre religieuses. Elle fit savoir à Mme de la Rabatelière que l'évêque de la Rochelle l'avait autorisée à l'emmener, elle la priait de se tenir prête à partir avec elle dans son carrosse. Jacques Guerry, prieur curé de la Flocellière, prévint, devant témoins, la prieure de l'arrivée prochaine de l'abbesse de St-Sulpice. Marguerite de Morais atteignit la bourgade de la Fougereuse, le 22 octobre, vers deux heures de l'après-midi, avec quatre religieuses qu'elle avait emmenée dans son carrosse. La prieure et ses compagnes la reçurent dans l'enclos. Après un échange de paroles et de divers souhaits, la visite solennelle commence, l'abbesse se rend à l'église et on porte la crosse devant elle. Quand elle a salué et adoré le Saint Sacrement, elle s'avance près de la grille du chœur où se trouve la prieure entourée de ses moniales. Tous les rideaux sont tirés. L'abbesse les salue et s'entretient avec elles. Un instant après, la communauté vient la recevoir en corps à la porte qui conduit de l'église dans le cloître. Marguerite de Morais y pénètre avec ses religieuses.
Le lendemain, 23 octobre, Marguerite est au grand parloir, elle déclare qu'elle a hâte de commencer la visite ; elle prie Claude d'Appelvoisin de faire donner, à Pierre le Héricy, des ornements sacerdotaux pour qu'il puisse célébrer la messe et visiter le Saint Sacrement. La prieure répond que la visite du Saint Sacrement est un droit purement épiscopal, mais, par respect pour l'abbesse, elle ne refusera pas cette visite. Elle ajoute que l'abbesse a droit de s'informer de la célébration de l'office, mais non du temporel. Marguerite de Morais lui réplique qu'elle connaît ses droits et qu'elle tient à les exercer. Quand tout le monde est à l'église, Claude d'Appelvoisin entonne le Te Deum, qui est chanté par toutes les religieuses. A la fin, dame du Halgouet, une des moniales qui accompagnent l'abbesse, psalmodie deux versets auxquels tout le chœur répond. Marguerite d'Angennes chante ensuite l'oraison de la Sainte Trinité. Au bas de l'autel, Pierre le Héricy entonne l'hymne : Veni Creator, après laquelle, on chante la messe du Saint-Esprit. A la fin de la messe, pendant qu'on chante le Tantum ergo, Pierre le Héricy visite le ciboire, le Saint Sacrement et remarque que tout est en bon ordre. Il trouve cependant dans le tabernacle trois ou quatre morceaux de vieilles croix.
Le lendemain, 24 octobre, sur l'ordre de l'abbesse, Pierre le Héricy visite l'église et tout ce qui est en dehors de la clôture. Le grand autel en bois est bien propre. Sur les colonnes on voit les armes de la prieure avec une crosse et les armes de Mme de la Rabatelière. L'autel est orné d'une croix en argent, de six chandeliers, deux en argent et quatre en bois. Il y a six cierges blancs, un plat, deux canettes, un encensoir en argent, des balustres devant l'autel. L'église a la forme d'une croix et paraît fort ancienne. Le chœur est voûté, la nef et le chœur des religieuses lambrissés, mais la traverse où se trouvent deux autels n'est ni voûtée, ni lambrissée. L'église est bien vitrée ; dans un vitrail on aperçoit les armes de la prieure avec une crosse. Il n'y a point de sacristie, mais un coin voûté en sert. Il y a deux calices en argent. Dans la basse-cour se trouve la chambre du chapelain, la clôture est défendue par des murailles. Le même jour, vers neuf heures du matin, l'abbesse, la prieure et les quatre religieuses de St-Sulpice étaient à la grille du parloir s'entretenant là avec dix-huit ou vingt personnes, quand survint un jeune homme, nommé Vilain, sergent royal et général, sommant l'abbesse d'obéir à l'ordonnance de l'évêque de la Rochelle et à l'arrêt du Parlement du 4 juin 1658. Ce fut sans doute le signal d'une véritable révolution. On alla en hâte chercher Antoine Maulevrier, sergent royal de la Flocellière. Quand il arriva, il trouva une soixantaine d'hommes armés d'épées, dont plusieurs étaient de nobles personnages. Ils frappaient la grille à coups redoublés, comme s'ils voulaient l'enfoncer ; réclamant la dame prieure, et disant que l'abbesse la voulait tromper et fourber. Ils parlaient les uns avec les autres fort haut, marchaient d'un côté à l'autre et paraissaient très en colère. Il y en avait en outre dans l'église, au dehors, dans le prieuré, dans les parloirs, ils entraient, sortaient et ressemblaient à des gens vineux. Quand Antoine Maulevrier intima à la prieure et à Mme de la Rabatelière l'ordre d'exécuter les arrêts du conseil privé du Roi, cette foule protesta et répondit qu'il n'en fallait pas tenir compte. « Quand il y aurait cinq cents arrêts du conseil, ce serait comme autant de chansons, » répétaient certains messieurs. — « Qu'on les jette au feu, s'écriaient-ils, nous ne souffrirons jamais qu'ils soient observés ». Cette foule tumultueuse se calma peu à peu. Plusieurs de ces étrangers qui étaient venus de loin restèrent au monastère et y passèrent la nuit avec leurs valets et leurs chevaux. Lorsque l'abbesse se retira le lendemain, vers huit heures du matin, plusieurs hommes se trouvaient encore là [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/70].
Marguerite de Morais obtint une nouvelle sentence du conseil qui mit fin au litige. Les religieuses de la Fougereuse reçurent l'ordre de reconnaître l'abbesse de St-Sulpice comme leur supérieure et Elisabeth de la Rabatelière dût quitter le prieuré et se rendre au monastère du Nid de Merle [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/9].
Le 17 mars 1664, on somme Claude d'Appelvoisin d'avoir à payer les frais du procès qui sont évalués à 2.306 livres, 17 sols, 6 deniers. Comme elle néglige de le faire, les revenus de son couvent sont saisis. Cette religieuse âgée et déconcertée par sa défaite, donne sa démission. Françoise de Saint-Offange, une religieuse de St-Sulpice lui succède. Peut-être se laisse-t-elle influencer par son entourage et sa famille, et comme si le passé n'existe pas pour elle, elle continue de recevoir des novices, sous prétexte qu'on ne lui a fait aucune défense à ce sujet. Ces longues et orageuses discussions finirent par ouvrir de nouveaux horizons, elles inspirèrent l'idée d'accorder aux quatre prieurés conventuels le droit d'avoir un noviciat. Un avis du 9 mars 1664, en formule clairement la constitution et l'utilité. On conseille à l'abbesse de visiter les prieurés, au moins tous les trois ans, par délégués, qui sauraient examiner l'état spirituel et temporel de ces monastères. Si les supérieures refusent de recevoir le visiteur, on pourra sévir en saisissant le temporel. La visite ne devra pas se prolonger au delà de huit ou dix jours, autrement elle serait trop onéreuse. L'abbesse agira sagement en donnant aux prieures des commissions pour recevoir des novices, commissions valables pendant dix ans. On reconnaît que Madame de la Fougereuse ne peut user de la crosse [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/70]. En 1672, 1673, Marguerite de Morais voulut prouver sa bienveillance aux moniales de la Fougereuse et résolut de transiger. Elle offrit de recevoir à la profession les novices qu'on avait admises contre toutes les règles. Comme nous allons le voir, l'abbesse de St-Sulpice passa avec les prieurés de la Fontaine-Saint-Martin, du grand et du petit Locmaria un compromis pour établir un noviciat dans ces communautés. On ne trouve nulle part trace de cette convention avec la Fougereuse ; aurait-on cédé aux demandes de la prieure et accordé la conventualité avec les privilèges qu'elle comporte ? On peut supposer que l'abbesse de St-Sulpice, pour gagner l'affection de ce monastère rebelle, lui ait abandonné la liberté d'ériger un noviciat, chose qu'il désirait tant, et d'y recevoir les jeunes qui se présenteraient. Les vocations étaient, paraît-il, nombreuses, puisque Mme de Saint-Offange affirme en 1672 que son monastère abrite plus de trente religieuses [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/72]. N'oublions pas que les arrêts du conseil privé du Roi ont reconnu que le prieuré de la Fougereuse n'était pas indépendant, mais soumis à l'abbaye de St-Sulpice, et nous verrons celle-ci intervenir à son sujet.
Les prieures de la Fougereuse ne se montrèrent pas reconnaissantes de ce qu'on avait fait pour elles. De tout temps, St-Sulpice avait présenté le curé de St-Maurice, sans rencontrer aucune opposition. En 1682, Anne Turpin de Crissé, qui gouvernait alors la communauté de la Fougereuse, ne craignit point de s'élever contre son abbesse et de lui disputer un droit qui paraissait incontestable : le 8 novembre, elle désigna comme curé de St-Maurice, le sieur Comte. Après un procès. qui dura trois ans, elle fut déboutée de ses prétentions [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/72]. La querelle, qui s'était calmée pendant quelque temps, se réveilla et revêtit le caractère d'une singulière âpreté. Ecoutons le récit d'un malheureux chapelain qui s'était égaré dans le pays de la Vendée. « Dans le mois de mai 1724, désigné par l'abbesse de St-Sulpice, comme curé de St-Maurice-la-Fougereuse, je suis allé prendre possession de mon bénéfice. Arrivé là, je trouve la place occupée, un prêtre présenté par Madame la Prieure de céans m'avait supplanté. Cet ecclésiastique ne me permit pas de célébrer la messe, le jour de saint Jean-Baptiste. Je me vois obligé de l'assigner au présidial d'Angers qui reconnaît là justice de ma cause. Sur ce, mon rival signe sa démission et la remet entre les mains de Madame de la Fougereuse. Cette dernière ne perd pas de temps et désigne un autre candidat à la cure. Pendant que l'abbesse et la prieure débattent leur procès devant la cour de Paris, mon nouveau compétiteur, qui s'appelle Robert, se pourvoit contre la sentence que j'avais obtenue. Aussitôt que Madame de la Fougereuse obtient gain de cause, le sieur Robert se présente pour remplir les fonctions curiales, accompagné des sergents de Madame la Prieure, de ses domestiques, armés de fusils. Ils me font des sommations, plusieurs violences, ils saisissent mes blés sur l'aire, mes meubles. Obligé de céder à la force, je prends la fuite, à la faveur de la nuit et je me réfugie à St-Sulpice, dépouillé de tout » [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2, liasses non classées].
En 1726, l'abbesse de St-Sulpice faisait le raisonnement suivant, d'une logique rigoureuse. Si la prieure de la Fougereuse est réellement patronne de l'église, elle l'a donc fondée, dotée. Comment a-t-elle satisfait à cette dépense, si ce n'est avec le pécule, les fruits du prieuré, dépendance de l'abbaye ? Il faut donc conclure que le patronage de St-Maurice appartient à St-Sulpice [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/72].
Les religieuses de St-Sulpice durent payer les frais du procès. Se trouvant dans la détresse, elles furent obligées d'emprunter mille livres au curé de Toussaints de Rennes, leur protecteur. Elles se plaignaient très haut de cette cruelle nécessité [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/72]. Ce fut un malheur irréparable pour le vénérable monastère de la Fougereuse d'avoir été, pendant près de deux siècles, la proie d'une même famille (1521-1692) qui se le passait de mains en mains, pour doter honorablement de nobles vierges lénifiant avec les revenus de l'Eglise le chagrin d'avoir été méconnues du monde. Sans respect pour deux saintes et illustres abbesses, sans égard pour la forte discipline que ces pieuses femmes avaient instituée, les prieures de la Fougereuse que nous signalons à la vindicte de l'histoire ont ébranlé par leurs intrigues une puissante réforme qui a sanctifié tant d'âmes et fait apprécier la vertu dans nombre de monastères. Le premier effet de ces luttes intestines fut la multiplication des noviciats [Note : Les abbesses de St-Sulpice revendiquèrent toujours le droit de nommer la prieure de la Fougereuse et l'exercèrent, non sans contestation, jusqu'en 1790. Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/69].
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