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Abbaye de Saint-Sulpice-la-Forêt. |
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Etablissement d'un Noviciat dans les Prieurés conventuels.
Les luttes que St-Sulpice avait dû soutenir contre les prieures de la Fougereuse avaient produit une déprimante impression sur des âmes vraiment prieuses et dociles. On remarquait çà et là les signes d'une dangereuse fermentation, un vent d'indépendance semblait souffler en divers monastères.
Marguerite d'Angennes, après une longue carrière des plus saintes, des plus laborieuses, était entrée dans son éternité, heureuse d'avoir pour lui succéder, sa nièce, Marguerite de Morais, femme d'une vertu éprouvée, d'une grande intelligence et d'un remarquable sang-froid, qui sut surmonter les graves difficultés qui se présentaient à elle.
Les monastères conventuels manquaient d'animation et n'avaient aucun moyen d'expérimenter leurs ressources et leurs propres forces. Dans tout le pays, on admirait les moniales qui les habitaient, on louait leur piété, leur soumission, leur régularité. Les jeunes filles du voisinage enviaient leur sort, elles désiraient embrasser la règle de St-Benoît, pour se sanctifier et sanctifier les autres, mais il fallait s'exiler pendant un an et s'enfermer à la maison-mère, pour satisfaire aux épreuves du noviciat, et se résigner à subir les prescriptions quotidiennes de la Supérieure qui pouvait les garder près d'elle ou donner une obédience contraire à leurs affections et inclinations personnelles. Marguerite de Morais comprit qu'il était temps de faire des concessions et de compléter les faveurs particulières que l'ancienne abbesse avait accordées.
Un concordat fut passé avec les monastères de la Fontaine St-Martin (Sarthe), du grand Locmaria, près Quimper, et du petit Locmaria (Plumelec, cant. de St-Jean de Brevelay, Morbihan), qui leur concédait la faculté d'avoir un noviciat.
La forme du contrat est en partie uniforme, et sauvegarde les droits de St-Sulpice et la sujétion du couvent. Suivant sa teneur, l'abbesse aura toujours le droit de les visiter par elle-même ou par ses délégués, séculiers ou réguliers, de disposer des moniales, d'approuver les ecclésiastiques, chargés de la direction spirituelle, d'accepter ou de refuser les postulantes qu'on lui désignera, d'approuver ou de réformer les accords relatifs à la dot et pension [Note : En 1660, il y avait à Saint-Sulpice 65 religieuses, 48 religieuses de chœur et 16 converses. Le revenu de la communauté s'élevait à 22,134 livres et les dépenses dépassaient 30,966 livrés, L'abbesse fait constater le déficit par l'évêque et obtient la permission d'exiger des dots pour les religieuses qui feront profession à l'avenir. — Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/18].
Un mois avant la profession, on soumettra la novice aux suffrages des professes de la communauté. Si la décision est favorable, on demandera l'agrément de l'abbesse. La jeune religieuse prononcera ses vœux suivant la formule usitée à St-Sulpice et promettra obéissance non seulement à la prieure locale, mais aussi à l'abbesse. Celle-ci se réserve le choix de la sous-prieure et de la maîtresse des novices, la liberté de fixer le nombre des professions. Pour dédommager son monastère des pertes qu'il fait dans les dots plus ou moins considérables qui s'en vont ailleurs, elle exige une rente annuelle.
Le privilège de recevoir des novices se prenait pour dix ans et devait être mentionné dans un acte double, dont l'un était annexé aux archives abbatiales et l'autre se conservait dans la communauté de la professe.
Il fut entendu que la prieure de la Fontaine St-Martin pourrait recevoir trente religieuses de chœur et huit converses. La redevance annuelle fut fixée à deux cents livres, payables au mois de janvier de chaque année, mais comme on faisait de grandes dépenses pour restaurer le prieuré, il fut convenu que le premier payement aurait lieu en janvier 1666. Ce contrat fut ratifié, à la Fontaine St-Martin, le 8 décembre 1664, en présence de Noël Vaidye et Morin, notaires royaux, au Mans, à St-Sulpice, le 12, du même mois, devant Bonabe Aubrée, l'un des cinquante notaires royaux de Rennes, et Lamarre, notaire de St-Sulpice [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/68].
La prieure de la Fontaine St-Martin écrivait à l'abbesse, le 12 août 1665, que sa famille ne connaissait pas l'ingratitude et qu'elle saurait témoigner sa reconnaissance lorsque l'occasion s'en présenterait [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2, liasses non classées]. Elle paraît avoir tenu parole, car les moniales de ce couvent n'ont point, à notre connaissance, cherché à renier le monastère auquel elles devaient tout [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/1].
Marguerite de Morais se rendit au milieu de ces religieuses, en septembre 1672. Elle tenait à leur porter en personne les témoignages de sa bonté, à les encourager dans la pratique de la vertu et surtout à bénir les nombreuses novices qui réjouissaient cette solitude [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/31].
Plus tard, en 1680, elle envoya à Paris, Pierre Le Héricy, prêtre, bachelier en théologie, et prieur de Bais (Ille-et-Vilaine), traiter avec l'évêque du Mans certaines questions litigieuses. Ce prélat avait des idées assez singulières : il n'appréciait pas les visites canoniques et s'évertuait à les restreindre. Il prétendait qu'il suffisait a une supérieure de voir une fois ses filles pendant son existence. Marguerite de Morais ne l'entendait pas de la sorte et ne se laissa pas intimider. Il voulait aussi s'arroger le droit exclusif d'autoriser la sortie des religieuses.
Finalement on trouva le moyen de tout concilier. L'abbesse fut considérée comme, ayant pleine juridiction sur la communauté de la Fontaine, elle avait le droit de la visiter par elle-même ou ses délégués, de s'informer de l'état spirituel et temporel du couvent, de prendre, d'exercer des sanctions, de rédiger des avertissements, des ordonnances exigés par les circonstances.
Les personnes qui avaient pouvoir de la remplacer pour ces missions délicates, devaient présenter leurs lettres de créanse à l'évêque ou à ses vicaires généraux. Les religieuses qui se rendaient au monastère pour y séjourner, en vertu d'une obédience, se voyaient soumises aux mêmes formalités.
L'abbesse choisissait les confesseurs, les prédicateurs et les faisait approuver par le prélat, qui se réservait aussi d'interroger les postulantes et les novices, avant la prise d'habit et l'émission des vœux, de confirmer les permissions de franchir la clôture pour une raison grave. Il pouvait encore assister à la cérémonie de la profession et même la présider.
La redevance annuelle qu'on payait à la maison-mère fut réduite à 150 livres, mais il fut convenu que les moniales qui seraient envoyées de St-Sulpice ne payeraient pas une somme plus considérable pour leur pension, 1680 [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/1, 68].
La visite de 1680 fit remarquer que la clôture était loin d'être parfaite : les serviteurs et les servantes, les troupeaux logeaient dans l'enclos, les palfreniers y conduisaient même leurs chevaux. On se hâta de mettre un terme à cet abus en construisant en dehors de la clôture des édifices pour abriter les personnes séculières et les animaux domestiques.
Marguerite de Bréhant, prieure du grand Locmaria, s'unit à ses cinq religieuses pour solliciter la grâce d'avoir un noviciat. Les raisons qu'elles alléguaient, nous les connaissons déjà. Elles font valoir que l'office divin sera mieux célébré, que l'abbaye sera déchargée d'envoyer des obédiencières, que les postulantes et les religieuses ne seront plus exposées, comme par le passé, aux fatigues, aux dangers d'un long voyage. Il fut permis à Marguerite de Bréhant et à celles qui lui succéderaient de recevoir 25 moniales de chœur et 5 converses, mais elles devaient payer à St-Sulpice un tribut annuel de 150 livres.
Ce contrat fut signé, le 22 octobre 1664, en présence de messires Charles d'Angennes, marquis de Poigny, et Julien de Larlan, marquis de Kercadio [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/89].
Mme d'Angennes avait toujours redouté d'accorder aux prieures conventuelles le droit d'admettre des filles à la profession. Elle semblait avoir une claire vision qu'elles abuseraient un jour ou l'autre de ce privilège pour se déclarer indépendantes. Sa nièce avait aussi compris que sa bienveillance, ses maternelles faveurs pouvaient donner lieu à de sérieuses complications. Pour prévenir, étouffer toute idée de révolte, elle témoignait une grande affection à ses religieuses et leur recommandait de rester toujours fidèles et attachées à leur abbesse.
Une lettre datée du 2 février 1665, nous fait pressentir une rupture plus ou moins prochaine ; Marguerite de Bréhant y laisse entendre des plaintes acrimonieuses. « Sans mon indisposition, écrit-elle à sa supérieure, je n'aurais pas si longtemps tardé à vous exprimer mon déplaisir de me voir traitée si durement par vous, qui me faites si tôt payer, moi qui n'ai encore reçu aucune fille de chœur, ni converse. Cependant vous avez été indulgente pour d'autres prieurés, que vous avez quittés (exemptés), et moi, vous me faites payer dès la première année, où j'ai des angoisses autant que j'en puis porter [Note : En 1648, Marguerite de Bréhant ou de Bréhaut eut quelques démélés avec le vicaire de Locmaria. Depuis 15 ans, la clôture était observée au prieuré ; une porte qui était en face de la grille du chœur avait été condamnée à cause des courants d'air qui pouvaient incommoder les religieuses lorsqu'on ouvrait la grille pour ouir la messe ou recevoir la communion. Le sieur Jean Derrien, vicaire de la paroisse, extrêmement brouillon, la fit ouvrir et remplacer par une porte en bois mobile, dans la nuit du dimanche au lundi 3 et 4 mai 1648. La prieure fit maçonner la porte ; le sieur Derrien jura qu'il démolirait ce travail et se mit aussitôt à l'œuvre, et cela pour humilier la prieure dont il tenait son bénéfice. Nous ne savons pas si la justice, que Marguerite de Bréhant avait appelée à son aide, lui permit de terminer son travail. — Archives départementales du Finistère, G,319]. J'ay un vicaire, qui me tourmente continuellement ».
Cette prieure était sans doute un peu jalouse des remises qu'on avait faites à la Fontaine St-Martin. Personne ne saurait considérer cet accès de mauvaise humeur comme un acte de vertu. L'abbesse, malgré sa douceur, son grand calme, sa patience éprouvée, dut se sentir quelque peu contristée [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2, liasses non classées].
Le 23 août 1665, la même prieure écrit de nouveau à Marguerite de Morais, avec un accent qui accuse une âme tourmentée. Elle est surprise qu'on lui envoie trois religieuses, au lieu de deux qu'on lui avait annoncées. « Madame, dit-elle, sans ma grande soumission à vos volontés, j'aurais une extrême peine à les recevoir, principalement dans la nécessité où nous sommes. J'ai dans la maison des esprits que je crains de mettre de mauvaise humeur ! J'en ai tant souffert, que j'appréhende toujours d'être en guerre. Faites-les partir, si elles ne le sont déjà, et dites-leur que je les aurai très chères. La paix ne sera jamais rompue de mon côté... Vous nous obligerez infiniment de croire que personne au monde n'est plus attaché à vous honorer et à suivre vos volontés que ma sœur du Guilly, ma nièce et moi » [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2, liasses non classées].
En 1670, Marguerite de Bréhant, qui avait toujours fidèlement exécuté le concordat, choisit pour lui succéder Françoise de Thalouët.
Le 6 juin 1674, les visiteurs trouvèrent le monastère dans une situation précaire, peut-être grâce à l'inexpérience de la nouvelle supérieure ; les religieuses n'avaient rien à manger, elles mouraient de faim. Marguerite de Morais, dans cette pénible conjoncture, voulut suspendre la permission de recevoir des novices, au moins transitoirement. Françoise de Thalouët, menacée de subir un pareil affront, se redresse et déclare qu'elle sollicitera à Rome le droit d'admettre des novices, sans la permission de St-Sulpice. L'abbesse s'y opposé.
Les esprits se calmèrent et, le 30 décembre 1675, Marguerite de Morais accorda une commission décennale pour admettre à nouveau des jeunes filles à la profession, mais elle exigea qu'à l'avenir on ne pourrait donner l'habit qu'après avoir fait approuver le contrat de dotation par l'abbesse. C'était une mesure fort sage pour remédier au défaut de vigilance de la prieure [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2 89/90].
En 1678, Françoise de Thalouët se rendit à St-Sulpice pour demander des religieuses obédiencières et, particulièrement pour obtenir sa sœur puînée, Jeanne de Thalouët, comme maîtresse des novices. L'abbesse accorda tout.
En s'en retournant, Françoise alla visiter, à St-Georges, sa sœur aînée, Marie-Henriette. La prieure de Locmaria était une fille sans esprit, sans prudence et sans instruction. Elle était si ignorante, disait Marguerite de Morais, qu'elle ne pouvait écrire son nom, si on ne lui épelait pas les lettres qui le formaient, les unes après les autres [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2 89/90].
Pendant son séjour à Rennes, elle logeait, avec sa sœur Jeanne, chez un frère, conseiller au Parlement, qui habitait dans le voisinage de la rue de Corbin. Une troisième sœur, Judith de Taihouët, dame de la Higourdaye, vint la rejoindre, Celle-ci avait des enfants qu'elle ne savait trop comment élever, car elle n'était pas riche. Connaissant l'ignorance de sa sœur Françoise, avec son imagination féconde, elle trouva vite le moyen de pourvoir à la subsistance de sa famille. Après une journée passée dans la joie, elle circonvint Françoise et, tout en plaisantant, elle la pria d'apposer sa signature sur une feuille de papier immaculée et vierge de toute écriture, peut-être sous prétexte d'exercer son habileté de calligraphe. Bientôt, à l'insu de cette fortunée, on inscrivit en tête un acte de résignation en faveur de Henriette, acte qui réservait à Françoise une pension de 400 livres. Henriette passait pour généreuse, Judith croyait qu'elle lui serait d'un grand secours mais les événements se chargèrent de dissiper ses illusions.
Françoise, qui avait été dépouillée sans le savoir, s'en plaignit au ciel et à la terre [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/89-90].
Dans une lettre qu'elle écrivit à cette époque, probablement, à l'abbesse de St-Sulpice, elle nous dépeint ses tribulations. Elle se plaint amèrement de ses religieuses. Cinq sont pour sa sœur, la religieuse de St-Georges ; elle est plus humiliée que la dernière servante de sa maison. Les rebelles ne lui parlent qu'avec dédain, arrogance, mépris. Quoique les casuistes le leur aient dit, elles ne veulent plus la reconnaître pour leur supérieure jusqu'à la fin du procès. Lorsqu'elle les trouve en défaut contré les voeux et les règles, elle les reprend avec la plus grande douceur possible, sans leur imposer de pénitence ; elles lui disent avec hauteur qu'elle n'a plus de droit sur elles, qu'elle n'est plus rien, qu'elle n'est plus leur supérieure.
Elle n'est en réalité la prieure que de quatre moniales. Les autres fréquentent l'office quand elles veulent, elles vont à la grille, au parloir, sans permission, sans être demandées. Elles restent au parloir jusqu'à neuf heures, tous les soirs, avec des séculiers de l'un et l'autre sexe. Si elle ferme les parloirs les révoltées arrachent les serrures.
Ces mêmes religieuses ont reçu deux fois la communion au parloir. Elles se confessent et communient avant le réveil général, elles font avertir pour ce motif le vicaire qu'elles ont gagné. Elles ne veulent pas du confesseur de la communauté qui leur a été donné par les Jésuites ; bien plus, elles l'ont fait, par leurs menées, leurs intrigues, suspendre, interdire pendant trois semaines. Elles n'assistent point à la lecture de la méditation, après complies, elles se dispersent, et vont bavarder à la cuisine, à l'infirmerie, au parloir de l'église. Elles refusent de faire leur coulpe, comme les autres, quand elles viennent à l'église, elles ne font que rire et murmurer. Elles percent les murailles par le dedans et les font percer au dehors par des séculiers. Elles ont de fausses clefs pour ouvrir le grand portail. Elles couchent ensemble et parlent le jour et la nuit, elles se plaignent toujours de la nourriture et de l'entretien de la maison. Quand les mets ne leur plaisent pas, elles les jettent à la tête de leur supérieure, en diffamant ses habits! Elles mangent toujours et partout, sans congé. Elles veulent que les sauces soient faites avec du beurre frais et du sucre. Elles mangent tous les légumes, tous les fruits du jardin : montent sur les murs et sur les arbres pour les attraper. Elles courent à travers le monastère, comme des mouches [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2 liasses non classées et 2H2/89].
Ces lignes nous laissent une fâcheuse impression sur l'observance au couvent du grand Locmaria. Marguerite Morais essayera d'y mettre bon ordre.
Françoise de Thalouët intenta à sa sœur Henriette un procès qu'elle perdit, (1682) [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/90].
Marie-Henriette était épuisée par les dépenses qu'elle avait faites pour défendre ses droits devant les tribunaux. Elle demanda à Françoise de lui faire grâce de la pension qu'elle lui devait, mais celle-ci fut inexorable. Henriette s'en vengea, d'abord en accusant Françoise d'avoir emporté du grand Locmaria plus de six mille livres, provenant des dots de plusieurs religieuses [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/89-90], puis en refusant de payer une rente annuelle de 300 livres qu'elle était tenue solder au monastère de St-Sulpice, pour un prêt de huit mille livres, fait en 1663, afin de compléter la restauration du prieuré, qu'elle avait obtenu par fraude. Une sentence du 4 juillet 1686 l'obligea de payer cette dette [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/89-90].
Nous avons vu que Jeanne de Thalouët était maîtresse des novices à Locmaria, mais Marguerite de Morais ne l'y avait envoyée que pour un temps limité. Elle la rappela auprés d'elle, juin 1686. Cette religieuse se rendit à ses ordres et arriva peu de temps après à St-Sulpice, avec sa sœur Henriette. L'abbesse se réjouissait déjà de cette ponctualité, de cette prompte obéissance et se disposait à féliciter les deux moniales, mais la prieure du grand Locmaria ne lui en laissa pas le temps. Elle déclara à sa supérieure qu'elle avait le droit de conserver sa sœur ; du reste, pour ne pas perdre son temps en vains discours, elle ajoute qu'elle a l'intention de soumettre la question au Parlement. Un pareil langage est loin de flatter Marguerite de Morais, elle se désole qu'on veuille ainsi discuter un point de discipline régulière. Sans écouter ses bonnes raisons, Henriette de Thalouët se retire fort brusquement; c'est en vain que l'abbesse lui propose une religieuse pour l'accompagner et un équipage pour l'emmener. Cette prieure capricieuse se transporta à Rennes et prit logement à l'abbaye de St-Georges. Elle intenta une action en justice contre Marguerite de Morais, mais elle n'eut pas gain de cause [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/91]. C'est alors qu'elle se décida à résigner en faveur de sa sœur Jeanne, qui se trouvait alors au monastère de St-Sulpice juillet 1686 [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/91].
Aussitôt, sommation fut faite à l'abbesse de lui ouvrir les portes de son couvent et de lui laisser emporter les hardes et les papiers qu'elle avait apportés, un mois auparavant [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/90-91].
La série des procès n'était pas terminée, la nouvelle prieure du grand Locmaria traîna plus d'une fois sa supérieure, celle qui portait tant d'affection à sa famille, devant les tribunaux. Le 23 juin 1690, après plaidoiries devant la cour elle obtint le droit de choisir sa sous-prieure et sa maîtresse des novices, mais elle fut condamnée à renvoyer les anciens titres de l'abbaye qu'elle avait emportés, cependant elle avait préalablement permission d'en prendre copie [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/93].
Toute sa vie, Jeanne de Thalouët semble prendre plaisir à tourmenter celle qu'elle doit considérer comme une véritable mère et un modèle de vertu. Comme elle néglige de payer régulièrement la redevance annuelle, exigée comme indemnité, Marguerite de Morais la prie de régler cette question, et ce faisant, elle montrera de la déférence envers l'abbaye, 6 juillet 1690. La prieure du grand Locmaria répond avec hauteur et jure qu'elle ne payera rien. Elle possède un revenu de mille écus ; elle est décidée, s'il le faut, a les sacrifier, pour démontrer son bon droit. Du reste, ce tribut annuel est la manifestation d'une infâme simonie ; on accorde à prix d'or le droit d'admettre des filles à la profession. Cet argument n'était pas nouveau, on l'avait déjà refuté en rappelant que cette redevance était un dédommagement et un signe de dépendance [Note : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 2H2/64-92].
Il est probable que l'abbesse usa de bienveillance et attendit quelque temps avant d'agir. On lui conseilla d'abandonner les arrérages, si Jeanne de Talhouet consentait à voir dans cette délicate démarche un acte de générosité. La prieure du grand Locmaria recevait des novices et les admettait à la profession, mais elle se gardait bien d'en informer son abbesse, comme elle le devait et comme l'avaient promis ses devancières dans un contrat solennel. Le 11 décembre 1690, Marguerite de Morais fit savoir son mécontentement, mais Jeanne de Thalouët ne parut pas comprendre ces reproches. Elle n'avait peut-être pas d'argent pour satisfaire à ses obligations, car elle dépensait follement en repas pour les séculiers et autres frivolités et elle laissait ses religieuses mourir de faim [Note : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 2H2/90].
Celles-ci n'avaient pas beaucoup d'estime pour cette supérieure qui n'obéissait à personne. Jeanne de Thalouët s'en plaignit à Marguerite de Morais et lui avoua plus ou moins discrètement qu'elle n'avait pas une fille d'esprit à qui elle pût se confier, juillet 1699 [Note : Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 2H2/89].
Les moniales qu'elle dirigeait lui firent bientôt comprendre qu'elles n'approuvaient pas ses désordres. En 1700, François Gautier, prêtre, bachelier en théologie, aumônier du roi, doyen de Fougères, Bazouges, Antrain et du Vendelais, recteur de Billé, diocèse de Rennes, accompagné de Guillaume Forest, prêtre, aumônier et secrétaire de l'abbesse de St-Sulpice, fit la visite canonique du grand Locmaria. Les religieuses comparurent devant lui et leurs dépositions furent accablantes. Jeanne de Thalouët avait voulu faire lire à sœur de Kérivon une formule de profession qui ne reconnaissait pas la dépendance de St-Sulpice ; le père de la future professe en fut informé et s'y opposa.
La visite avait commencé, le 5 février ; le 7, la prieure craignant la sévérité d'un verdict final, l'interrompit, sous prétexte que les visiteurs avaient abusé de la liberté qu'on leur avait accordée bénévolement, pour exciter quelque religieuses contre leur supérieure. Du reste, le monastère ne dépendait pas de St-Sulpice ; elle, Jeanne de Thalouët n'était pas soumise à l'abbesse [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/89]. Elle s'appuyait sans doute sur l'opinion qui représente le grand Locmaria comme plus ancien que l'abbaye de St-Sulpice puisqu'il a été fondé par les rois de Bretagne, c'est-à-dire avant 874, tandis que St-Sulpice, date tout au plus de 990 ou 992 [Note : Archives départementales du Finistère, G 316. Bulletin Archéologique du Finistère, 1890, t. XVII, p. 101].
Marguerite de Morais soutenait que Locmaria avait été fondé entre 1030 et 1058, postérieurement à St-Sulpice, et avait été donné à Hodierne, alors abbesse de St-Sulpice [Note : Factum 11644, 11645, 18017. Bibliothèque Nationale].
Cette affaire avait été jugée, 23 juin 1690, par le Parlement de Rennes, qui confirma le concordat du 22 octobre 1664 et soumit Locmaria à St-Sulpice, malgré les protestations de Jeanne de Thalouët. Le 26 mars 1700, l'abbesse confirma les ordonnances que son visiteur avait formulées pour les moniales de Locmaria et décida que la prieure ne pourrait recevoir de novices à la profession avant d'avoir obtenu de la supérieure de St-Sulpice une commission à ce sujet [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/90].
Ces fâcheux incidents ne refroidirent pas les relations de la maison-mère avec les prieurés. Le 17 mars 1730, l'abbesse de St-Sulpice voulut donner une preuve d'une sincère affection au monastère du grand Locmaria ; elle réduisit notablement la redevance annuelle et la fixa à 75 livres ; elle fit remise de tous les arrérages et le concordat fut renouvelé [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/90].
Nous avons vu avec douleur et surprise comment les prieures de Locmaria avaient manqué à l'obéissance et au respect qu'elles devaient à leur abbesse ; le ciel permit qu'elles en fussent cruellement punies. Le 11 mai 1732, une lettre de cachet défendant de recevoir des novices fut remise à Mme Françoise de Marigo, qui était à la tête de cette maison, par Monseigneur l'Evêque de Quimper. Elle ne put comprendre ce qui lui avait attiré ce malheur, car l'écrit portait une simple défense sans spécifier les motifs. Elle conjectura cependant que ce malheur avait été occasionné par les déclarations du temporel de la maison que la défunte prieure avait fournies au roi, suivant ses ordres, quelques années auparavant. Cette religieuse qui voulait apparemment obtenir quelques gratifications de la cour n'avait rien omis pour montrer en quelle situation précaire elle se trouvait et surtout elle mentionnait les procès ruineux qu'il fallait soutenir pour défendre les intérêts de la maison. Il y avait quatre jeunes filles qui portaient le voile blanc, on ne savait si elles étaient comprises la défense.
Avant de les admettre à la profession on voulut connaître les intentions de Sa Majesté, pour mieux lui témoigner qu'on était entièrement disposé à respecter ses ordres. L'Evêque de Quimper se chargea d'écrire à ce sujet, la réponse favorable permit d'espérer bientôt une grâce entière. Aussi la communauté prit-elle la liberté, l'année suivante, de faire quelques tentatives à cet effet. Elle rédigea un placet adressé à Leurs Eminences les cardinaux Fleury et de Rohan, que l'Evêque de Quimper honora de sa signature et de ses bons témoignages. Cette requête cependant ne parut faire aucune impression et la réponse qu'on fit au premier pasteur de Quimper déconcerta de nouveau les pauvres religieuses, par le peu d'espérance qu'elle leur laissait. Dans cet écrit qui fut envoyé, fin de juillet 1734, on y vantait l'antiquité du monastère, ses illustres fondateurs, la régularité constante, la foi pure des moniales, ordinairement issues de bonnes familles, le grand nombre de personnes qui demandaient à entrer, la prospérité de la maison qui comptait de quinze à vingt mille livres de revenus.
Mme d'Aubeterre s'unit aux religieuses pour demander la révocation de cette lettre de cachet et vanter le zèle de la nouvelle prieure. Elle aurait pu faire des réserves sur le passé, mais elle s'en dispensa. La lettre de cachet dût être retirée avant le 20 octobre 1743, car à cette époque, on reçut comme novice une demoiselle Demisy de Lingris [Note : Archives départementales du Finistère, H. 357, G. 313].
Un des quatre grands monastères qui dépendaient de St-Sulpice n'avait pas encore été gratifié d'un noviciat ; cette faveur allait bientôt réjouir le petit Locmaria. La prieure qui gouvernait cette communauté, Suzanne du Guémadeuc, avait un caractère franc, loyal, comme tout ceux de sa noble lignée et, de plus, elle manifestait pour son abbesse une singulière affection. Le 1er juin 1664, elle lui écrivait : « Trouvez bon, Madame, que je m'unisse à vos filles pour vous rendre mes hommages. J'ai un vif désir d'apprendre de vos nouvelles. Il court un bruit que vous devez bientôt sortir. Comme j'aimerais à être la première honorée de votre visite, qui me permettrait de vous témoigner mon profond respect.
Les parents de ma soeur de Coudré me sollicitent de consentir à son retour, mais je n'ai rien autre chose à dire, Madame, que de vous représenter combien nous avons besoin d'aide pour observer exactement la règle. Le coeur (choeur) est fort faible. Nous ne sommes que huit et quatre ne servent de rien ni pour le chant, ni pour la psalmodie. Les autres s'ennuient de toujours tirer et moi-même, qui ai la voix la plus forte, je vous assure que cela me fatigue d'être obligée de tenir pied à boule. D'ailleurs, j'ai tant de fatigue pour les soins de notre bâtiment ! C'est pourquoy, Madame, je conjure vostre bonté d'avoir égard à mon incommodité et besoin, me donnant au moins six religieuses de chœur, de bonne humeur et qui chantent et psalmodient bien, autrement nous n'en serions pas plus soulagées. Souffrez que je vous en propose six. Je souhaiterais de tout mon cœur avoir ma cousine Boisfeillet, ma cousine Cahideuc, ma sœur des Alleux, des Portes, de Piré, Trémeur et une des parentes à sœur de la Varenne ou toutes les deux. Vous en recevez tant qu'il vous plaît. C’est pourquoy donnez m'en une bonne bande, à la fois, je vous en prie. Nous vivrons plus contentes et les régularités seront mieux observées dans leur lustre. Ne craignez pas que le bâtiment leur fasse souffrir aucune incommodité, car ces religieuses, que je demande particulièrement, apportant de bonnes pensions, ne manqueront de rien. J'attends des réponses de Paris pour vous proposer une petite nièce, qui désire embrasser la vie monastique. J'aime cette enfant, c'est mon amour-propre. Je crois qu'elle agréera à toute vostre communauté, comme à la nôtre. Je souhaiterais que vous lui donnassiez l'habit céans, mais en cela, comme en toute chose, je suis soumise » [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2, non classées].
Le 19 mars 1665, Suzanne de Guémadeuc écrivait de nouveau à l'abbesse de St-Sulpice, en ces termes : « Je vous prie, dit-elle, de m'envoyer un modèle de contrat pour recevoir des religieuses. Nous avons une postulante ! Comme je souhaite qu'elle soit bientôt novice, car ce jour-là, je recevrai sa dot.
En vérité, je n'ai pas le sou. Je suis bien en peine comment faire subsister la cuisine. Notre bâtiment n'a point avancé depuis mon retour et n'est pas près d'être terminé si le blé ne hausse. Pas une fille ne se présente à nous ! Si vous m'en procuriez ? Je pense que la permission sera inutile, car vous ne m'en trouverez pas à plus de mille écus. On se moque de moi quand je demande quatre mille livres. Aux Ursulines, à Vannes, il y a dix-huit novices, à mille écus chacune, et à moins... » [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, liasses non classées, 2H2].
Suzanne du Guémadeuc ne vit pas toujours ses désirs se réaliser ; les nombreuses novices que le ciel lui envoya, lui apportèrent rarement la dot qu'elle convoitait, mais elles lui fournirent ce qui était nécessaire à la subsistance et au bon ordre de la maison, tout en la consolant par le bon renom de leurs nobles familles, leur esprit religieux et leur édifiante soumission dont elle leur donnait le plus admirable exemple. Le 15 février 1658, la prieure du petit Locmaria fut prévenue que son frère Claude du Guémadeuc de Trévécar était fort malade. Comme elle avait plusieurs affaires urgentes à traiter avec lui, elle présuma la permission de son abbesse pour sortir de son monastère, mais après la mort de ce pieux personnage, elle se rendit à St-Sulpice pour exprimer à sa supérieure son entière dépendance. En quittant son cloître, elle ne voulait point contester les droits que son abbesse avait sur sa personne et son prieuré [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2, non classées, 2H2/94].
C'était une salutaire leçon que les religieuses qui lui succédèrent pouvaient suivre pour le plus grand bien des âmes et la prospérité d'un couvent déjà honoré des plus belles vertus. Pour témoigner à cette religieuse combien elle estimait sa famille, Marguerite d'Angennes lui permit d'ensevelir le cœur du frère qu'elle pleurait dans la chapelle de son monastère, 18 mars 1658 [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine,, 2H2, non classées, 2H2/90-94].
Les relations de la communauté du petit Locmaria et de St-Sulpice étaient fort étroites ; Jacques Jahin, recteur de St-Sulpice, 1643, et messire Pierre le Héricy, 1664, furent délégués pour y faire la visite [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/90]. En 1675 et 1707, les supérieures sollicitèrent l'autorisation de recevoir des novices, demandes qu'elles devaient renouveler tous les dix ans [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/90]. Suzanne du Guémadeuc étant devenue abbesse du Mont Cassin, près de Josselin (Morbihan), 1672, elle résigna son prieuré en faveur de Anne du Guémadeuc [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/94].
En 1684, celle-ci gisant au lit, tout en étant saine d'esprit, donna purement et simplement sa démission de prieure. Marguerite de Morais lui permet de changer d'air, car celui du petit Locmaria était trop vif pour elle, suivant les médecins, et l'autorise à séjourner à St-Malo de Beignon (Morbihan), autant qu'elle le voudra, et à emmener avec elle, Jeanne Labbé, dite sœur Ursule [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/94]. Le 3 février de la même année, Eléonore du Guémadeuc lui succéda. En 1705, quand elle renonça à sa dignité, elle fut remplacée par Jeanne-Françoise de Faramus [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/94].
La prieure était à la nomination de l'abbesse de St-Sulpice. Son installation était solennelle. L'élue, accompagnée de l'aumônier et d'un notaire, était reçue à la porte du couvent par toutes les religieuses, baisait la croix et recevait l'eau bénite et l'encens. Conduite processionnellement au chœur, elle prenait possession de sa stalle, y entonnait le Te Deum et sonnait la cloche. Elle visitait ensuite sa chambre, où elle allumait du feu, puis le réfectoire où elle buvait et mangeait, et enfin l'enclos où elle se promenait. Le notaire rédigeait un acte énumérant les circonstances de la cérémonie, qui était signé par tous les assistants [Note : Archives de Nantes, B. 836. Insinuations du Morbihan, XXXI, p. 56].
Depuis 1665 à 1685, la communauté du petit Locmaria se conforma entièrement aux articles du traité qui avait été passé avec Marguerite de Morais ; elle acceptait avec reconnaissance la sous-prieure et la maîtresse des novices que lui envoyait St-Sulpice ; elle n'admettait aucune postulante sans l'agrément de l'abbesse. Dans la suite, elle se montra moins fidèle à ces bonnes traditions. Mme de la Bourdonnaye de Clermont désigna sa propre sœur, Mme de Liré, pour gouverner ce monastère, 18 juillet 1765. Avant de lui confier cette importante charge, la supérieure de St-Sulpice dut lui rappeler ses principaux devoirs envers la maison-mère, l'existence d'un concordat qui n'était plus guère observé. Si elle avait agi autrement, elle aurait méconnu les intérêts sacrés de son abbaye, tout en se montrant indifférente à l'exacte observance d'une vertueuse discipliné.
Comment les choses se passèrent-elles ? Nous n'en savons rien, mais un fait nous paraît certain, c'est que, dix ans plus tard on agissait au petit Locmaria, comme si la concession du noviciat n'entraînait aucune obligation. Le souvenir des anciennes prieures qui s'empressaient de notifier à l'antique abbaye du Nid de Merle le nom, la qualité des novices qu'elles recevaient, la dot qu'on leur accordait semblait avoir disparu. Il n'était jamais plus question de la redevance annuelle qu'on avait si formellement exigée en 1664 ; le temps qui détruit tout n'avait laissé trace de ces clauses librement admises de part et d'autre !
En 1777, une abbesse qui ne fit que passer à St-Sulpice, Mme de Verdière, s'en indigna, elle défendit à la prieure du petit Locmaria de recevoir à la profession des novices, avant d'avoir obtenu son consentement exprès. Mme de la Garlaye qui lui succéda donna à deux honorables ecclésiastiques, Julien Anne-Morazain et Joseph-François Le Beau, recteur de Guégon (diocèse de Vannes), mission de faire la visite dans ce monastère. Ils s'acquittèrent ponctuellement de leur obédience, le 13, 14 et 15 juillet 1778. Ils furent reçus par toutes les religieuses, que se trouvaient au nombre de vingt.
Ces moniales se hâtèrent de formuler des réserves qui contredisaient tout un passé. A les entendre, les visiteurs n'ont pas le droit d'interroger le personnel en particulier, ni de voir les livres des recettes et dépenses. Elles déclarent qu'elles ignorent l'existence d'un concordat ; elles n'ont point songé par là même à renouveler la commission de recevoir des novices et a envoyer les actes de profession à St-Sulpices Les religieuses affirment qu'elles sont contentes de leur prieure, et celle-ci rend bon témoignage de ses subordonnées L'observance est régulière et les locaux conventuels sont en bon état. Informés de tout, l'abbesse de St-Sulpice et son chapitre intentent une action à la communauté du petit Locmaria, le 14 juillet 1779. Mme de la Garlaye dit que les abbesses qui l'ont précédée n'ont pas exigé régulièrement que les formalités du concordat de 1664 fussent observées, elles sont donc sensées avoir approuvé tacitement les professions, qui ont été faites dans cette communauté pendant leur administration.
Mme de Verdière ayant réclamé avec énergie contre cette négligence, en 1777, et défendu expressément de recevoir des novices et de les admettre à la profession, Mme de Liré, qui n'a pas tenu compte de ces avertissements, ne peut être considérée comme ayant agi de bonne foi. Les vœux qui ont été émis ultérieurement sont donc radicalement nuls et les personnes qui les ont émis ne sont pas religieuses. Le 15 septembre 1780, le présidial de Rennes condamna la prieure du petit Locmaria :
1° A recevoir de l'abbesse de St-Sulpice sa sous-prieure et sa maîtresse des novices ;
2° A lui payer une redevance de 200 livres qu'on a negligé de solder pendant vingt-neuf ans ;
3° A observer entièrement le concordat de 1664.
Mme de Liré interjeta appel de cette sentence. Les mémoires de l'époque nous montrent que les esprits s'exaltèrent ; les moniales du petit Locmaria songèrent, en 1781, a se séparer de la maison-mère. Elles revendiquèrent le droit de choisir leur prieure sous la présidence de l'Evêque, comme cela se pratiquait chez les Ursulines, les Carmélites et les Bénédictines du Mont Cassin. Maître Robinet de Panpoulle leur conseilla d'agir avec modération. Reconnaissant qu'une communauté doit connaître la personne qui doit la gouverner, il engagea ces religieuses à soumettre à l'agrément de l'abbesse trois moniales qu'elles choisiraient parmi leurs compagnes ou dans le monastère de St-Sulpice ; celle qui lui plairait deviendrait par le fait même leur supérieure. Sur ces entrefaites, Mme de Liré mourut, et la nouvelle prieure, Marie-Louise-Pauline Pajeot de Lafond de Nomper, se montra conciliante et voulut transiger. L'abbesse de St-Suipice, Mme de la Garlaye s'y prêta très volontiers.
La communauté du petit Locmaria devait une grosse somme à la supérieure générale, elle ne savait comment la payer. On lui réclamait 7.500 livres environ, c'était une ruine pour un monastère qui possédait d'assez faibles revenus. Pour calmer des âmes qui songeaient à se séparer d'elle et à lui refuser foute obéissance, Mme de la Garlaye ne voulut plus parler d'argent, elle fit remise de tout ce qu'elle pouvait réclamer. Elle n'exigea à l'avenir, de ces religieuses qui avaient voulu la renier, qu'un peu d'affection, la fidélité au concordat de 1664, et le payement annuel d'une rente de 24 livres, comme gage de leur entière soumission à l'abbaye de St-Sulpice dont elles relevaient, 23 août 1782 [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/94].
Une lettre écrite, le 12 avril 1782, par sœur de Lafond de Nomper à Mme de Garlaye est assez suggestive et intéressante ; elle éclaire les débats d'un jour particulier et mérite qu'on la cite. La prieure du petit Locmaria se montre très habile et se déclare très attachée à la vieille abbaye, dont la prospérité et les deuils la touchent également. Elle rappelle que les supérieures qui l'ont précédée promettaient de payer à la maison-mère une rente annuelle de 200 livres ; c'était une charge fort lourde dont elle se tiraient au mieux en ne payant pas un denier. Pour ce qui la concerne, ce ne sera pas la même chose, car elle a coutume de tenir sa parole.
« Vous avez bien raison, Madame et chère Abbesse, de croire que je suis sensible aux pertes que fait St-Sulpice. Je vous assure qu'elles me percent le cœur. La Mère de Casso fera une brèche dont on s'apercevra beaucoup, et je sens, ma très digne Abbesse, ce que votre bon cœur a dû souffrir de ces fréquentes disparitions. Je suis bien touchée de la peine que cette sainte mère de Casso a ressentie de laisser des dettes. J'écrivis, il y a peu de jours à mon cousin, je le pressais fort de les payer, sans savoir qu'elle fût malade. Nous sommes dans un temps où les officiers s'occupent plus des soins militaires que de l'arrangement de leurs affaires. J'espère cependant qu'il va penser à s'acquitter, je le désire ardemment. Je vais écrire à la famille pour annoncer sa mort et je marquerai qu'il faut que son neveu paye ce qui lui était dû.
Est-il donc possible, ma chère Abbesse, que notre affaire ne puisse encore se terminer et que St-Sulpice ne veuille pas en revenir au louis sur lequel a roulé toutes mes propositions. Ce n'est point entêtement qui empêche de consentir aux 50 livres, c'est uniquement la prudence qui défend de s'engager à plus qu'on ne pourrait tenir. Les dames prieures (qui m'ont précédée), se tiraient de leur engagement à 200 livres en n'en payant pas un denier. Vous voyez que cela n'a abouti qu'à mettre le trouble et aliéner les cœurs. Une petite rente, en signe de dépendance, gesnera toujours un peu, à la vérité, mais personne n'en pourra inférer que St-Sulpice veuille s'engraisser de la substance de ses enfants, pour lesquels 50 livres sont un gros objet, quoyqu'en dise monsieur Louvel, Les revenus ne se montent certainement qu'à 3.000 livres ; il ne serait pas possible de vivre sans les pensionnaires. Au nom de Dieu, aimable Abbesse, consentez à terminer cette infinissable affaire et agréez les respects de cette communauté qui partage sincèrement avec vous et tout St-Sulpice les événements douloureux que vous éprouvez. Je suis lus morte que vive quand je reçois ces tristes lettres. Elles mettent ici tout en deuil ! Est-il donc possible qu'il ne se présente point de sujet ? J'en suis dans la consternation » [Note : La dernière phrase fait allusion aux signes avant-coureurs de la Révolution, de sinistres pressentiments détournaient les âmes de la visite monastique. — Arch. dép. d'Ille-et-V. 2H2/115].
La tempête révolutionnaire ne déconcerta point le zèle que les moniales du petit Locmaria professaient pour la gloire de Dieu ; elles déclarèrent qu'elles voulaient vivre et mourir en religieuses [Note : Archives départementales du Morbihan, L 787].
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