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Histoire de l’Abbaye de Saint-Sulpice-la-Forêt.

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A quelques lieues de la ville de Rennes, à la lisière de la forêt qui porte son nom et à l'entrée de la modeste bourgade de St-Sulpice-la-Forêt, on aperçoit les ruines majestueuses d'un antique monastère. Presque seule, l'infirmerie a résisté à l'injure des temps et, loin d'abriter des valétudinaires comme par le passé, elle procure aux riches de ce monde une grâcieuse et riante hospitalité. Qui habitait jadis cet asile de la prière ? Si vous le demandez aux habitants du pays, ils ne savent que vous répondre, mais si vous consultez les archives locales, elles vous fournissent des renseignements nombreux et circonstanciés. Elles permettent de fixer approximativement l'époque qui vit naître cette pieuse communauté, de déterminer les religieuses et les religieux qui l'habitèrent, de noter les cruelles épreuves qui affligèrent ce couvent, de présenter aux générations modernes les moniales des temps passés avec leur existence journalière, leurs vertus et leurs défauts, de signaler le régime sous lequel elles ont vécu, régime dont elles ont souffert ou bénéficié.

§ I. — LE MONASTÈRE ET SON ORIGINE.

Dans son Histoire de Bretagne, Arthur le Moyne de la Borderie, résumant sans doute l'opinion d'auteurs plus anciens qui ont écrit sur la matière, déclare que l'abbaye de St-Sulpice fut érigée, en 1120 [Note : Histoire de Bretagne, t. III, p. 195, in-4°, J. Plihon et Hervé, éditeurs, 5, rue Motte-Fablet, Rennes], par Raoul de la Fustaie, moine originaire du Poitou. Tout en respectant les vastes connaissances et l'entière bonne foi de ce noble érudit qui a illustré les personnes et les choses de Bretagne, il nous serait malaisé d'accepter cette thèse. Les archives du monastère, que nous avons compulsées attentivement, considèrent en général Conan Ier, comme fondateur de cette sainte maison qu'il établit, vers 992 [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/1, 2H2/12, 2H2/69, 2H2/93]. En soutenant que le monastère de Saint-Sulpice ne date que de l'an 1120, il nous paraît impossible d'expliquer les nombreuses et importantes donations qui lui ont été faites et que l'archevêque de Tours énumère, le 12 mars 1127 [Note : Item, 2H2/64]. Suivant plusieurs mémoires, l'acte original attestant le bienfait du duc Conan était sur vélin et scellé de lacs de soie. Remis aux commissaires royaux chargés d'examiner la situation financière de l'abbaye, le 14 avril 1727, et le 11 avril 1733, il disparut pour toujours. On s'explique mal la négligence extraordinaire, l'indifférence avec laquelle on a traité ce document ! Des centaines de personnes avaient eu occasion de l'examiner, de le manipuler et on n'avait pas songé à en prendre une ou plusieurs fidèles copies. Une telle incurie devait naturellement jeter la confusion dans les esprits. L'on pourrait nous objecter avec un semblant de raison qu'une œuvre dont personne ne parle pendant plus d'un siècle est chose extraordinaire ! Si Conan Ier, dira-t-on, a voulu glorifier Dieu en établissant un monastère, il ne s'est pas borné à bâtir une église, un cloître, un chapitre et des cellules, à déterminer des rentes pour l'entretien de ce local ; il a dû vivifier ce corps sans âme avec une population de pieuses moniales ! Pourquoi les chroniques, l'histoire de l'époque gardent-elles le silence sur des religieuses qu'un vaillant duc de Bretagne a chargées de prier le Seigneur pour lui et les siens ? Sans nous arrêter plus longtemps sur ce point qu'il serait difficile d'éclaircir complètement, il nous suffira de citer le prieuré de la Fougereuse, qui après avoir été établi, en 820, et attribué à St-Sulpice, en 1117, demeura absolument ignoré pendant de longs siècles [Note : La Fougereuse, canton d'Argenton-Châteaux (Deux-Sèvres). — Cf. : Cartulaire de Toussaint, Bibliothèques de la ville d'Angers, manuscrits V, p. 895. — Archiv. départ. d’Ille-et-Vilaine 2H2/69].

Après avoir soumis cette difficulté à l'examen de lecteurs sérieux et bienveillants, nous sommes bientôt arrêtés par une autre, non moins spécieuse, que la suite des événements nous présente. Conan IV (1156-1169), salue d'un cri de joie l'entrée de sa sœur Enoguent au monastère de St-Sulpice. Pour exprimer sa reconnaissance aux religieuses qui veulent bien admettre dans leurs rangs un membre de sa famille, qu'il affectionne, il leur donne sa propriété du Nid de Merle avec toutes ses dépendances. S'il faut en croire dom Morice, le modeste couvent n'est pas digne sans doute de la glorieuse princesse qui vient l'habiter : on décide d'en édifier un autre plus vaste, plus considérable dans le domaine ducal. Où se trouvait l'ancien que Raoul de la Fustaye avait sanctifié en enseignant la pratique d'une observance exacte à des âmes d'élite, désireuses de donner le bon exemple sur terre, tout en marchant vers le ciel ? Nous l'ignorons, mais on peut croire qu'il était situé dans le voisinage et jouissait, malgré son humble apparence, d'une véritable considération, puisque Conan III daigna y séjourner. En 1147, il réunit dans cette abbaye ses barons et discuta avec eux les intérêts de la religion et du pays, en présence de son estimable mère, la vénérable Ermengarde, de douce et pieuse mémoire. Peut-être fut-il question dans cette assemblée de la nouvelle croisade, car, l'année suivante, bon nombre de Bretons partirent pour la Palestine [Note : D. Lobineau, t. I, p. 149]. Comme D. Morice fait autorité en matière d'histoire, surtout pour tout ce qui concerne notre pays, ce serait une imprudence de contester ses assertions ; cependant, nous devons confesser que nous n'avons rien lu, ni découvert qui puisse étayer son opinion. Du reste, que le monastère de Saint-Sulpice ait changé de place ou non, on peut affirmer qu'il a toujours conservé sa dénomination du Nid de Merle, comme l'attestent une lettre de l'archevêque de Tours, 12 mai 1127, et une bulle du pape Eugène III, 22 avril 1146 [Note : Cartulaire de l’Abbaye, n° XLII et LVI, Archiv. depart. d’Ille et Vilaine 2H2/2 et 2H2/64].

Pour justifier l'absence de documents que nous regrettons et ce silence funèbre que nous déplorons amèrement, rappelons-nous qu'aux Xème et XIème siècles, la honteuse et mortelle clérogamie siégeait sur le trône pontifical de Rennes et portait au loin ses terribles ravages. Des évêques scandaleux n'avaient aucun goût pour encourager les fondations pieuses et célébrer celles qui existaient. Nous savons qu'en résidant à St-Melaine, ils faillirent éteindre de leur souffle empesté la belle ardeur qui avait brillé dans cet institut fameux. En 1050, il n'y avait plus qu'un seul moine qui errait, comme dans un désert, dans cette maison, jadis si animée. Pour sustenter sa misérable existence, il ne percevait aucun revenu et se voyait obligé de tendre la main aux visiteurs et aux pélerins qui venaient le distraire dans sa solitude. Il faut l'avouer, les belles ressources du célèbre monastère Rennais servaient à alimenter le vice [Note : Annal. Bol. lX, p. 441. — Du Paz, Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne, 1619, in-f°, 2ème partie, 48-49. — Le Moyne de la Borderie, Histoire de Bretagne, t. III, A. Picard, Paris]. Etienne de Fougères, évêque de Rennes (1163-1178), nous console en fustigeant avec une noble vigueur, dans son livre des manières ou des mœurs, la dépravation cléricale de son temps et des âges qui l'avaient précédé ; une sainte indignation excuse la vivacité de son langage. « S'empiffrer de viande et de boisson, jusqu'à la débauche, dit-il, en parlant de certains ministres de l'Eglise, c'est leur plaisir. Ils vantent hautement l'abstinence, mais ils disputent entre eux à qui boira le plus. Ils excommunient l'adultère et cela ne les empêche pas d'y tomber eux-mêmes. Ils nourrissent leurs maîtresses avec le patrimoine du crucifix et leurs petits enfants avec l'argent des messes qu'ils n'ont pas dites. Ils exploitent rudement les pauvres gens, ils s'entendent à garder comme à prendre et ils savent si bien vider les bourses que les plus riches s'en fatiguent. O Dieu, s'écrie-t-il, que fais-tu de ton tonnerre ? Que ne frappes-tu ces coupables ? » [Note : Histoire de Bretagne, par Lemoyne de la Borderie, t. III, p. 252]. On doit admirer comme la Providence dispose toutes choses avec sagesse. Ces désordres demandaient un prompt, un salutaire remède ; au vice, il fallait opposer une vertu sincère, une vie de prières et de sacrifices, une charité inépuisable ; les religieux et les religieuses du Nid de Merle, formés par les leçons et les exemples de Raoul de la Fustaye, paraissaient à propos et avec les qualités nécessaires pour éclairer et régénérer toute une contrée.

 

§ II. — LES EPREUVES.

Elles ne manquèrent pas à la vertueuse communauté de St-Sulpice ; elle eut à souffrir des guerres et des maladies. L'histoire nous raconte, avec d'amples détails, les malheurs qui désolèrent la Bretagne et le pays de Rennes pendant de longues années. Tout d'abord, le roi d'Angleterre, Henri II, dit Plantagenêt, abusant de la faiblesse du prince régnant, Conan IV, se hâte d'envahir l'Armorique et essaye de la transformer en province anglaise (1166-1181). Ses troupes prennent d'assaut les villes, ravagent les campagnes et portent au loin la terreur et l'épouvante. Les Bretons ne se laissèrent pas déconcerter : 8 fois, ils se soulevèrent et répondirent à l'appel de nobles chefs qui leur demandaient de chasser l'injuste et cruel envahisseur. Parmi ceux qui luttèrent pour la bonne cause, nous citerons en passant les sires de Léon, de Fougères, de Vitré et le baron de la Guerche, Bonabe de Rougé. Les villes dé Fougères et de Rennes durent ouvrir leurs portes à l'ennemi, après avoir subi les horreurs d'un siège [Note : Histoire de Bretagne, D. Lobineau et Morice. — Item, Le Moyne de la Borderie, t. III, p. 273]. Mais quelle n'est pas notre surprise d'entendre les religieuses de Locmaria près Quimper, en 1172, chanter les louanges du bourreau de leur patrie et lui donner le doux nom de libérateur ! [Note : Cartulaire de St-Sulpice, n° CCXXXVIII. — Arch. départ. du Finistère, H 357. — Bibliothèque nationale, Ms lat. 12663, p. 338] Qu'avait fait Henri II pour mériter une pareille adulation ? Il les avait exemptées de toutes redevances et leur avait reconnu le droit exclusif de juridiction sur leurs hommes et leurs terres. Aucun document ne manifeste l'impression du monastère de St-Sulpice sur ces tristes événements, mais il est permis de croire qu'il n'a point souillé sa bonne réputation en abdiquant tout patriotisme.

Après avoir immolé son propre neveu, Arthur, l'espoir et la gloire des Bretons, ses contemporains, l'infâme Jean-sans-terre se jeta sur la Bretagne et promena le fer et le feu dans les régions de Fougères et de Rennes, 1203 et 1206. Pour mettre un terme à ces terribles excès, Philippe-Auguste dut intervenir et assurer à notre duché sa protection. Il n'est pas improbable que les ennemis n'aient lésé plus ou moins gravement les intérêts ou troublé la quiétude de l'abbaye de St-Sulpice, en ravageant les environs de la ville de Rennes. Nous ne pouvons savoir gré à Philippe-Auguste d'avoir décerné le gouvernement de notre pays à un prince français, Pierre de Dreux ou Mauclerc, qui, profitant de quelques abus, s'avisa de persécuter l'Eglise. Les recteurs de Bretagne avaient coutume d'exiger le tiers de la succession mobilière de tout chrétien qui décédait. En outre, ils demandaient à tous ceux qui voulaient contracter mariage une somme de 40 sols. Ces redevances, connues sous le nom de tierçage et past (repas) nuptial, n'étaient originairement exigées que dans les villes et lieux où les dîmes ne se percevaient pas. Comme ces droits étaient une source de revenus notables, on ne tarda point à les appliquer à tous et partout ! Hélas ! ceux qui devaient payer ces redevances étaient loin d'être satisfaits ; aussi voyait-on des gens pratiquer l'union libre et se marier dans leurs demeures respectives, sans être assistés du prêtre. Ce casuel excessif devint bientôt très impopulaire : Pierre Mauclerc qui le savait, réunit la noblesse, en 1227, à Redon et engagea tout le monde à refuser ces droits exorbitants, ainsi que la dime. Le clergé protesta et sept évêques sur neuf lancèrent l'excommunication contre le Duc ; celui-ci s'en vengea en les molestant, en les chassant de leurs sièges.

Les évêques de Rennes et de St-Brieuc se rendirent à Rome et exposèrent la situation au pape Grégoire IX. Après avoir entendu et vérifié leur rapport, il excommunia Pierre Mauclerc nommément et frappa d'interdit tout le territoire de son duché, 30 mai 1228. Il était défendu d'y célébrer aucun office, d'y administrer aucun sacrement, si ce n'est le baptême aux nouveaux-nés ; on ne pouvait entendre que la confession des mourants. Cette mesure consterna sans doute tout le pays ; c'était la suppression de toute vie religieuse. Ce fut, comme nous pouvons le penser, une terrible épreuve pour la communauté de St-Sulpice et tous les autres couvents. Pierre Mauclerc ne s'en inquiéta guère, il quitta le pays, ne se résigna à faire amende honorable et à rappeler les évêques exilés qu'en 1230.

Son fils, Jean le Roux (1237-1286) fit oublier ces lamentablés errements. Il prit part à la croisade de 1270 avec son épouse, Blanche de Champagne, et son fils, qui visita la Syrie et en ramena des Carmes pour les établir à Ploërmel. Ce dernier, après avoir sagement gouverné le pays, sous le nom de Jean II, fit de nombreux legs en mourant. Croyant à une nouvelle croisade, il engageait son fils aîné à y prendre part et laissait une somme de 3.000 livres pour contribuer à en supporter les frais. La communauté de St-Sulpice eut part à sa bienveillance : il lui donna une somme de 40 livres, la chargeant de célébrer tous les ans un service pour le salut de son âme [Note : D. Morice, Histoire de Bretagne, Preuves, t. I, col. 1185-1191].

Il était réservé au duc Arthur II (1305-1312) de pacifier la fameuse querelle qui avait éclaté à propos des redevances réclamées par le clergé. La question fut débattue devant le pape par des délégués ecclésiastiques et civils. (1309) La somme de 40 sols (plus de deux cents francs de notre monnaie actuelle) que demandaient les curés pour bénir un mariage, parut excessive : on la réduisit à 3 sols pour ceux qui possédaient 50 sols en biens meubles. Le sujet dont la fortune mobilière s'élevait entre 40 et 50 sols payait deux sols, celui qui avait moins ne payait rien. Quant au tierçage, il fut fixé au neuvième de tous les biens meubles et fut appelé neune. Ces droits et les redevances de past nuptial tombèrent peu à peu en désuétude ; au XVIIème siècle, ils se payaient assez rarement. Pour consoler le clergé, on accorda aux prêtres, pour l'administration de l'extrême-onction un léger droit de 8 deniers dont furent affranchis les pauvres notoires et tous ceux qui ne possédaient pas une valeur de 30 sols. Cette décision pontificale fut notifiée et promulguée dans une bulle donnée à Avignon, le 27 juin 1309 [Note : Histoire de Bretagne, D. Lobineau et D. Morice, t. I, 861-862, 928 et 963. — Item, Le Moyne de la Borderie, t. III, p. 300-383. — Digard, Georges, Mélanges d’archéologie et d'histoire de l’Ecole française de Rome, au 1883, p. 291. — Registre de Benoît XI, publié par Grandjean, 1883-1885. — Benoît XI, Pérouse, 19 mai 1304, n° 974, neune (n° 772, fol. 176), past nuptial, n° 975 (n° 773, fol. 176)]. Tous ces droits n'étaient pas indifférents aux religieux de St-Sulpice, puisqu'ils exerçaient le ministère paroissial.

Nous arrivons à une période critique pour la Bretagne et aussi pour les Bénédictines de St-Sulpice. Perrine des Granges, leur abbesse, en dépit des contradictions qu'elle rencontra dans sa communauté, veillait à l'entretien des locaux monastiques et fit réparer le clocher de l'église. Honorée, ainsi que sa sœur, religieuse comme elle, de l'estime des ducs Arthur II et Jean III, elle osa demander à prendre, pour ce motif, du bois, dans leurs forêts (1329) [Note : Cartulaire de St-Sulpice-la-forêt, n°s VI et XXXIII]. Hélas ! à ce moment, on semblait entendre un terrible orage gronder dans le lointain : il ne tarda pas à se déchaîner et à multiplier les désastres. Jean III n'avait pas d'héritiers directs ; sa succession devait être vivement disputée. Un instant, il songea à confier le sort de la Bretagne à la sagesse du roi de France, mais l'assemblée nationale du pays refusa de sanctionner un pareil désir. Lorsqu'il mourut, Charles de Blois fut désigné comme son légitime successeur ; ce dernier trouva dans Jean de Montfort un dangereux compétiteur [Note : Histoire de Bretagne, A. de la Borderie, t. III, p. 390]. Le premier de ces prétendants jouissait de la bienveillance de Phiiippe VI, l'autre réclama la protection de l'Angleterre. La guerre de cent ans, qui d'abord ne concernait que la France, s'étendit bientôt à toute l'Armorique ; cette contrée devint un vaste champ de meurtre et de carnage. Au printemps de l'année 1342, les Français marchèrent sur Rennes. Cette ville était occupée par les troupes de Jean de Montfort. Guillaume de Cadoudal, qui les commandait, pour empêcher les ennemis de s'y loger, fit mettre le feu aux faubourgs qui étaient très étendus. A cette occasion, l'abbaye de St-Sulpice avec ses dépendances fut entièrement ruinée [Note : H. Denifle, La Guerre de cent ans, t. II, p. 19. — Hist. de Bret., A. de la Borderie, t. III, pp. 449-450]. Plusieurs documents paraissent confirmer ces sinistres ravages et leur langage concis laisse croire que les religieuses eurent beaucoup à souffrir. Charles de Blois éleva la voix en faveur de Marguerite de Coëtquen, le 13 mai 1358, et certifie que sa communauté a subi de grandes pertes à cause de la guerre [Note : Archiv. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/137. — Cartulaire de St-Sulpice, n° LXXXI]. Le 24 juillet 1360, il n'est pas moins explicit e; il expose que les ennemis ont occupé plusieurs fois leur monastère qu'ils ont désolé et livré au pillage. On a tort de demander aux moniales de cette maison des lettres qu'elles ont égarées dans leur fuite ou que l'adversaire a dérobées, rompues. [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/3. — Cartulaire de St-Sulpice, n°s XIII et XIV].

Il suffit de parcourir l'histoire de l'époque pour concevoir les nombreuses épreuves auxquelles les Bénédictines de St-Sulpice furent soumises. Les Anglais mettaient la Bretagne en coupe réglée. Dans les régions où ils dominaient, ils imposaient, chaque année, à toutes les paroisses rurales, si soumises qu'elles fussent, des contributions de guerre fort élevées en argent et en nature, qu'ils appelaient rançons. Celles qui ne pouvaient pas payer devaient être incendiées, saccagées sans merci. Les Anglais se croyaient très doux, très indulgents, quand, avant d'en venir là, ils saisissaient les principaux habitants, leur mettaient les fers aux pieds et aux mains, et les accablaient de mauvais traitements pour les contraindre à s'exécuter. A chacune des places fortes que les Anglais occupaient en Bretagne, il était attribué tout autour d'elles un nombre plus ou moins grand de paroisses rurales, où le capitaine qui commandait pouvait lever les rançons, ou contributions arbitrairement imposées, sauf à donner à sa garnison une part de ce gâteau. William Latimer, un des chefs anglais, très en vue pendant la guerre de Bretagne, avait la garde de la place de Bécherel, à laquelle on avait attribué la rançon d'un vaste territoire comprenant une centaine de paroisses. Il fut prouvé, vers 1376, qu'il avait volé aux pauvres Bretons une somme valant plus de 30 millions de notre monnaie actuelle [Note : Histoire de Bretagne, A. de la Borderie, t. III, pp. 510-512]. Les religieuses de St-Sulpice ne furent sans doute pas exemptes de ces injustes redevances.

Comme leur demeure avait été incendiée et que les gens d'armes couraient le pays, exerçant toutes sortes de violences, ces moniales avaient, pour la plupart, quitté St-Sulpice et s'étaient réfugiées dans les villes ou dans leurs familles. Nous en trouvons une preuve dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie [Note : Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, an 1880, t. 30, p. 36. — Du Paz, in-f° cd 1620, p. 431]. On lit, en effet, que l'Anglais Jean Felleton, conduisant 300 hommes pour presser le siège de Bécherel, traversa Pontorson et adressa un défi à du Guesclin, qui résidait dans cette place. Messire Bertrand manda en toute hâte les garnisons de Dol, de St-James, du Mont St-Michel et se mit avec elles à la poursuite des ennemis, qu'il atteignit dans les landes de Combourg, auprès de Meillac. Il fut victorieux après une lutte assez vive et s'empara de Felleton, qu'il ramena prisonnier à Pontorson (1364) [Note : D. Lobineau, Histoire de Bretagne]. Lorsque celui-ci eut recouvré sa liberté, il voulut venger son échec et son incarcération. Par une nuit fort sombre, il se rendit à Pontorson, suivi de vigoureux guerriers portant 15 échelles pour escalader les murs du château, car il avait utilisé sa captivité en examinant la place et en s'assurant l'aide de précieux complices dans le cas où il lui plairait de tenter un coup de main. Il avait déjà pris ses dispositions et personne ne l'avait remarqué. Par une grâce spéciale, il advint que dame du Guesclin eut pendant son sommeil l'idée qu'on eschelloit le château. S'éveillant en sursaut, elle cria que l'ennemi se trouvait au pied des murs. Quand Julienne du Guesclin, sœur de messire Bertrand, qui couchait avec sa belle-sœur, l'entendit, elle saillit du lit, prit un jacque [Note : Jacque, petite casaque qui se mettait sur la cuirasse. — V. Ducange] pendu à la chambre et courut sur la plate-forme. Bien qu'elle fût religieuse, elle n'avait rien perdu de la vaillance et du courage qui animaient les siens trouvant les échelles qui avaient été dressées, elle se hâta de pousser à terre et de crier à l'arme. Grâce à ce sang-froid singulier, elle déjoua les projets de l'ennemi. Bertrand du Guesclin réussit à capturer de nouveau Felleton et à connaître les auxiliaires qui avaient facilité son entreprise : c'étaient les lavandières du château que l'Anglais avait pu suborner. En punition de leur perfidie, elles furent noyées dans la rivière adjacente. Julienne était religieuse de St-Sulpice et s'était réfugiée chez son frère pendant cette période de troubles. Elle devint plus tard prieure des Couëts, diocèse de Nantes, et mourut abbesse de St-Georges de Rennes, en 1405 [Note : Guillotin de Corson, Pouillé, t. II, p. 260].

Nous ne devons pas oublier que le monastère de St-Sulpice n'est plus qu'un monceau de ruines. Qui va rétablir cette sainte maison et préparer un asile pour ces bénédictines qui se sont dispersées comme emportées par le vent de la tempête ? Le 2 mai 1369, l'abbesse et le convent de ce lieu adressent une respectueuse supplique au duc de Bretagne, Jean IV, et lui demandent la permission de prendre dans ses forêts du bois et des matériaux pour réparer leur demeure. Le souverain leur répond avec bienveillance, leur accorde tout ce qu'elles désirent et donne à ses officiers des ordres pour satisfaire pleinement à cette requête [Note : Cartulaire de St-Sulpice, n° XX]. Rien ne nous parle de la Supérieure qui a formulé, signé cette requête et l'histoire ne peut nous fixer sur son nom. Il nous semble donc inutile d'émettre des hypothèses que chacun pourrait discuter. Nous arrivons à une époque moins ténébreuse et nous pouvons encore aujourd'hui admirer, sur la porte ogivale du moulin, dépendance du moustier, un écusson orné d'une crosse : ce sont les armes de Jeanne Milon, qui gouverna Saint-Sulpice pendant seize ans (1391-1407). Issue d'une noble famille, elle dut faire appel à la charité des siens et se recommander à la bienveillante aristocratie de toute la contrée. Albert le Grand nous dit que cette abbesse fit rebâtir le dortoir et deux côtés du cloître monastique [Note : Guillotin de Corson, Pouillé de Rennes, t. II, p. 314]. Les restaurations se poursuivirent sous Guillemette de Taillis (1407-1426). Si les archives ne nous parlent pas de son œuvre, les pierres, au moins, nous révèlent son nom et nous le montrent gravé, avec ses armes, à la date de 1423, sur le portail principal de l'abbaye, qui a résisté jusqu'à nos jours aux malheurs des temps [Note : Guillotin de Corson, Pouillé de Rennes, t. II, p. 314]. Le couvent possède maintenant sa clôture, si nécessaire pour défendre les âmes et les corps ; que peut-il encore lui manquer ? La chapelle de Notre-Dame sur l'eau, si connue par son légendaire pèlerinage et les nombreux miracles que la Vierge y opère, a été détruite pendant les terribles guerres qui ont ruiné le pays. C'est une désolation pour toute la contrée. Informé de ce malheur, le pape console l'abbesse Guillemette Milon en lui faisant tenir une lettre où il accorde aux visiteurs du sanctuaire vénéré des indulgences et leur demande des aumônes pour la restauration de ce lieu béni, 1435 [Note : Guillotin de Corson, Pouillé de Rennes, t. II, p. 315]. De plus, pour augmenter les ressources dont elle a besoin, le saint pontife unit à son monastère fort appauvri, les prieurés de St-Sauveur de Hannelou, en la ville d'Angers, et de la Ville-es-Nonais, arrondissement de St-Malo (I.-et-V.) [Note : H. Denifle. Guerre de cent ans : désolation des églises de France, t. I, p. 124]. Il est à présumer que les fidèles qui se rendaient en pèlerinage à St-Sulpice se montrèrent généreux : quelques années plus tard, 1440, une élégante chapelle s'élevait sur les ruines de l'ancienne et, dans une remarquable verrière qui l'ornait, on voyait figurer le portrait de Bertrand Milon, vénérable père de l'abbesse, sénéchal de Rennes et plus tard juge universel de Bretagne [Note : Guillotin de Corson, Pouillé de Rennes, t. II, p. 315].

Les moniales Bénédictines souffrent à l'heure actuelle et souffriront encore longtemps de la guerre. En 1392, elles se plaignent qu'on veut les empêcher de jouir de leurs droits dans les forêts ; on les moleste, on a battu un de leurs chapelains, qui criait à l'injustice, et plusieurs de leurs gens [Note : Cartulaire de St-Sulpice, n° XXIX. — Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/2]. Chose plus grave, elles ne peuvent exploiter leurs propriétés, situées à quelque distance du couvent, comme le pré Auffray, que les gendarmes et les brigands fréquentent de jour et de nuit. A les entendre, ces pauvres religieuses sont tourmentées par le fléau de la guerre depuis seize ans (1431) [Note : Archiv. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/12].

Thomas Bazin, dans l'histoire de Charles VII [Note : Société de l'histoire de France. Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, an 1880], raconte qu'à cette époque, en Normandie, on ne cultivait plus que le pourtour des villes et des châteaux, à portée de la cloche et du cor qui annonçaient l'ennemi. Ce signal d'alarme était si fréquent que les bestiaux eux-mêmes apprirent à le connaître et à fuir quand ils l'entendaient. La guerre était devenue une chasse aux paysans qu'on mettait en prison, qu'on torturait pour en obtenir une rançon. Des compagnies de brigands vivaient dans les bois et n'en sortaient que la nuit pour ravager les campagnes et faire des prisonniers. Après avoir dévasté la Bretagne, ils se réfugiaient dans les marches de Normandie pour y vivre impunément [Note : Bréquigny, n° 1365].

Quand notre pays fut délivré de la présence des Anglais, il se promettait une ère de tranquillité pendant de longs jours : cet espoir ne se réalisa pas. Les rois de France envahirent la Bretagne et répandirent au loin la frayeur et l'épouvante. Du 10 au 15 août 1491, un corps d'armée vint s'établir à St-Sulpice. Nous ne savons pas si l'abbaye fut molestée par ce voisinage, mais nous pouvons croire qu'elle dût satisfaire aux réquisitions formulées en pareille occurrence [Note : Histoire de Bretagne, A. de la Borderie, t. IV, p. 577]. Le mariage de la duchesse Anne mit fin à cette guerre, et cet événement apporta dans nos campagnes une ère de prospérité qui consola le paysan de ses épreuves antérieures. L'hérésie des protestants déchaîna sur notre pays de nouveaux malheurs la France, menacée d'avoir un roi Luthérien, se souleva, mue par une légitime indignation, et obligea le prétendant à renoncer à son erreur et à témoigner sa bienveillance à l'Eglise catholique, que ses aïeux avaient édifiée par leur foi vive et sincère. Dans l'effervescence de la lutte, les défenseurs de la bonne cause oublièrent trop souvent leurs devoirs pour s'abandonner aux pires forfaits. Ligueurs et royalistes semblaient rivaliser de zèle et de fureur pour ruiner la vieille terre d'Armorique. Partout, on ne rencontrait plus que villes brûlées, châteaux abattus, villages en cendres, récoltes perdues ou terres en friche. Les paysans se réunissaient par troupes armées, pour pouvoir récolter quelques grains de blé noir à moitié mûr, ou relever un reste d'épis broyés contre le sol. On voyait ces malheureux, décharnés par la souffrance et la faim, mettre le feu aux ajoncs des landes, pour y jeter en tremblant quelques semences, s'atteler comme des bêtes de somme à la charrue commune ou retourner la terre avec un lourd hoyau. Comme les chaumières étaient incendiées, ces pauvres gens n'avaient souvent pour retraite que les buissons où ils languissaient, se nourrissant d'herbes sauvages, comme la vinette. Ils n'osaient même pas faire du feu dans la crainte d'être découverts par l'indice de la fumée. Ne pouvant se procurer une nourriture suffisante, car les hommes de guerre avaient emporté toutes les provisions, ils mouraient d'inanition dans les parcs ; les fossés, où les loups, trouvant leurs cadavres, s'en nourrissaient. Ces animaux s'habituèrent si bien à la chair humaine, que dans la suite, pendant l'espace de 7 à 8 ans, ils attaquèrent les hommes même armés. Personne n'osait s'aventurer, seul au loin et même dans les environs, et lorsque la nuit était venue, le cri sinistre : « Arrête le loup ! » retentissait dans la campagne. Dans les contrées moins affligées, où la culture n'était pas totalement abandonnée, les fermiers n'échappaient pas aux perquisitions de soldats avides et rapaces qui emmenaient la meilleure partie du troupeau, emportaient le blé qu'ils avaient découvert et, après avoir bu jusqu'à l'ivresse, ils défonçaient les tonneaux et répandaient le cidre qu'ils contenaient. Suivant le journal de Duval, maître d'école à Châteaugiron, des troupes de brigands se succèdent tous les deux ou trois jours dans cette ville, volent, pillent et emportent tout ce qu'ils trouvent sans avoir même des égards pour les gens d'église. Par où ces bandits passent, les jardins sont convertis en landes. Notre province était si désolée que le bon roi Henri IV s'écriait en la traversant : « Comment feront ces malheureux Bretons pour me payer les 200.000 écus qu'ils m'ont promis ? ». Si les pillards de cette triste époque ne respectaient rien, on peut supposer qu'ils firent d'assez nombreuses visites aux religieuses de St-Sulpice ; cependant nous devons avouer que nous n'avons rencontré aucun détail précis sur de pareils faits ; c'est à peine si nous avons lu ça et là quelques furtives allusions. Un fait, daté de 1595, réglant la location de la ferme du Fayet, en la paroisse de St-Sulpice, observe que les tenanciers doivent annuellement douze poulets et douze chapons, mais ils n'en fourniront qu'autant qu'ils pourront en nourrir, à cause de la misère occasionnée par la guerre présente [Note : Grégoire, Histoire de la Ligue, Paris, in-8°, 1856. — Journal de Duval, maître d'école à Châteaugiron (I.-et-V.). — Archives municipales de Rennes. — D. Lobineau, La Ligue, t. II, p. 281. — Ch. Larouze, Essai sur le régime municipal pendant les guerres de religion, 1890. Hachette, 79, boulevard Saint-Germain, Paris. — Duportal, La Ligue : un épisode de la vie dans les campagnes, à la fin du XVIème siècle. Mémoires de la Société archéologique d'Ille-et-Vilaine, an 1909, 2ème partie, p. 161. — A. de la Borderie, La Bretagne aux temps modernes, 1491-1739, 1894, 12 fr. Plihon et Hervé, 5, rue Motte-Fablet, Rennes. — F. Joüon des Longrais, Information du sénéchal de Rennes contre les Ligueurs, en 1589. Mémoires de la Société archéologique d'Ille-et-Vilaine, t. XLI, 1ère et 2ème parties. — Moreau, Histoire de la Ligue, Brest, 1836. — Notes sur l'histoire de la ville et du pays de Fougères, par le Vte Le Bouteiller, 3 v. in-8°, 1912, Plihon et Hommay, Rennes, t. III, p. 89]. On peut être surpris de ne pas voir l'abbesse de St-Sulpice impliquée dans les poursuites exercées contre les Ligueurs, car on lit, dans l'information les concernant, un aveu qui la compromet singulièrement. Un témoin déclare que les gens du Bordage [Note : Château situé en la paroisse de Ercé près Liffré] ont une grande amitié pour la dite dame, celle-ci les invite à manger et les traite avec beaucoup d'égards [Note : Information contre les Ligueurs, Joüon des Longrais. Mémoires de la Société d'archéologie d'Ille-et-Vilaine, t. XLI, 2ème partie, p. 203].

Nous avons parlé longuement des hostilités, du malaise qu'elles engendrent dans toute une contrée et des ruines qu'elles accumulent sur leur passage. Ce n'est pas la seule calamité qui peut tourmenter le genre humain : d'autres fléaux ont couru le monde en causant de terribles désastres ; que l'histoire a consignés dans certaines pages sinistres. DD. Lobineau et Morice, dans l'histoire de notre pays, notent, en quelques lignes brèves, les cruelles famines qui, en 1061, 1173, 1174, 1221, 1260, firent de si nombreuses victimes. Furent-elles parfois annoncées par des pluies de sang ? Les mortels furent-ils réduits à manger des racines sauvages, de la terre, leurs propres enfants, comme ils semblent l'insinuer ? Comme bien on pense, nous ne saurions insister sur ces faits que la pénurie de documents ne nous permet pas d'apprécier. Du reste, les archives de notre communauté de St-Sulpice ne mentionnent pas ces tristes événements et ne disent rien des privations que nos moniales auraient pu éprouver en cette circonstance [Note : D. Lobineau, t. I, pp. 154, 161, 214. — D. Morice, t. I, pp. 105, 111, 150].

Le temps marche, nous arrivons à la fatale année de 1348, où un mal terrible, que le ciel en sa fureur inventa pour punir les crimes de la terre, la peste noire, s'étendit sur la France entière. La Bretagne paya un large tribut à cette terrible épidémie. Dans le pays de Cornouaille, les vivants suffisaient à peine à enterrer ceux qui mouraient [Note : Placide Leduc, Histoire de Ste-Croix de Quimperlé, édit. Lemen, p. 237]. S'il faut en croire les auteurs de ce temps, la Normandie fut aussi cruellement éprouvée, les neuf dixièmes de ses habitants périrent [Note : L. Delisle, Condition agricole de la Normandie au moyen âge, 1851, Evreux, in-8°]. Cette fois encore nous ne voyons pas que les pieuses Bénédictines soient décimées par cette horrible et mortelle contagion. Un siècle plus tard, cette épouvantable maladie paraît les avoir effrayées. L'abbesse de St-Sulpice, Jeanne de Quédillac, venait de mourir et Marie de Morais lui avait succédé (1461). Comme la famille des Mordefroit avait légué quelque héritage à son monastère, elle aurait dû jurer fidélité au duc de Bretagne pour ces biens. Cette formalité ne fut pas remplie et le receveur de Rennes saisit les 30 livres de revenus qui en provenaient. Cette sévérité fiscale ne déconcerta pas la nouvelle abbesse. Dans une supplique respectueuse qu'elle adressa à François II, elle lui remontra que si elle avait péché par omission, c'était contre sa volonté ; elle n'avait pu se rendre à Rennes, à cause de l’hostilité d'une épidémie [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/17]. On doit supposer qu'il s'agit ici de la peste, car, au moyen âge, c'est presque la seule maladie considérée comme redoutable. Il nous souvient d'avoir consulté autrefois les archives de la ville de Brest et nous n'avons pas oublié que les dirigeants de cette cité tremblaient chaque fois qu'un navire se montrait à l'horizon et demandait à séjourner dans les parages. Vite, on s'informait s'il ne cachait pas dans ses flancs le germe de la peste, s'il ne venait pas d'une région contaminée par ce mal. Reconnaissons que des accidents antérieurs avaient légitimé ces minutieuses et sages précautions. Cependant l'épidémie dont nous parlons n'est pas encore publiquement signalée à cette époque et il nous faut attendre vingt ans pour la voir semer l'épouvante dans la ville de Rennes et au loin dans tout le voisinage. Les vénérables chanoines de ce temps n'osèrent braver ses coups, ils gagnèrent en hâte des climats plus salutaires et hospitaliers. Un seul, pour sauvegarder l'honneur d'un corps aussi respectable, demeura à son poste, consola ses concitoyens mourants en leur portant secours, légiféra, chapitra tout seul, au nom de tous ses collègues, notoirement en fuite (1483-1484) [Note : Mélanges d'histoire et d’archéologie bretonnes, an 1855-1858, t. I, p. 185. — Histoire de la ville et du pays de Fougères, t. III, p. 229].

La peste reparaît à Rennes en 1563, mais elle sévit surtout avec fureur en 1582 et en 1583. Les habitants, terrifiés, abandonnent leur logis, fuient devant le fléau et s'en vont errer à travers les campagnes où ils manquent de tout, mais où ils respirent un air pur et salubre. Les religieuses de l'abbaye de St-Georges, craignant que la contagion ne vienne les atteindre dans leur monastère, l'abandonnent avec un prétendu congé de l'autorité épiscopale. Après enquête, on reconnaît que le monastère n'est pas infecté. Il n'en est pas de même de la communauté de St-Sulpice, on constate que la maladie y règne et Gabrielle de Morais doit s'enfuir avec ses religieuses, 1583 [Note : Bibl. Nationale, Ms lat. 22.325, p. 213. — Delourmel Louis, La peste à Rennes, 1563-1640. 1897, Simon, rue Leperdit. — Guillotin de Corson, Pouillé de Rennes, t. II, p. 316]. Combien de temps furent-elles dispersées ? Nous n'en y savons rien. La peste qui avait disparu en 1585, sévit de nouveau pendant les excès de la Ligue. Un tableau funèbre s'offre à tous les regards ; les gens de la campagne qui sont ruinés quittent leur pauvre village et se réfugient en ville pour mendier leur pain et soutenu- leurs forces défaillantes. On laisse les terres sans culture, ce qui occasionne une effroyable disette, plus de 4.000 infortunés encombrent la cité de Rennes, Les malades et les enfants qui ne peuvent y arriver meurent de faim le long des routes. La peste fut intermittente de 1605 à 1640 et fit encore de nombreuses victimes. Les moniales de St-Sulpice durent passer des jours sombres, pénibles ; mais cela ne les empêcha pas de secourir les infirmes, les malheureux et de se donner tout entières à la vertu.

 

§ III. — LES RUINES OCCASIONNÉES PAR LE TEMPS, LES INCENDIES ET LES TEMPÊTES.

Nous venons de voir les religieuses de St-Sulpice se débattre au milieu des plus graves calamités, tout en conservant leur sang-froid, en sauvegardant leur piété et leur honneur. La respectueuse sympathie qu'elles nous inspirent nous porte à leur souhaiter une ère de calme, de repos, de tranquillité ; mais, par malheur, ce vœu ne s'accomplira pas, jusqu'à la Révolution, elles auront à lutter contre les ravages du temps et du feu. On serait tenté de dire qu'elles passeront leur vie à démolir et à reconstruire leur monastère. Le 21 octobre 1544, les mémoires de l'époque nous montrent un vénérable personnage, Pierre d'Argentré, conseiller en la cour du parlement, quittant Rennes pour se rendre à St-Sulpice, en compagnie de plusieurs hommes notables, chargés comme lui de faire une enquête sur l'état de la communauté. Arrivés dans la modeste bourgade de l'endroit, ces nobles commissaires racontent ce qu'ils ont vu. Pour gagner l'abbaye, ils franchissent une chaussée au bout de laquelle se trouve la chapelle de Notre-Dame sur l'eau. En passant, ils examinent la clôture, signalent les grandes portes d'entrée qui sont ouvertes ou fermées, suivant les circonstances, mais toujours surveillées par des personnes vigilantes. Dans une grande cour qu'ils traversent, avant d'atteindre les bâtiments claustraux, ils remarquent un moulin, un four, un grand bâtiment pour loger les serviteurs et des étables pour remiser les animaux domestiques. Arrivés aux maisons qui joignent l'église, ils frappent à une porte qui leur est ouverte par deux religieuses se tenant à l'intérieur du monastère. Introduits, ils visitent les lieux réguliers. Dans le chœur, ils admirent un magnifique pupitre, porté sur quatre piliers, avec un beau vis (escalier), commode pour y monter, travail de menuiserie qui sépare le chanceau du grand autel. Un maître ouvrier, occupé à le terminer, affirme qu'il n'a cessé d'y besongner avec ses compagnons depuis un an entier. Il s'agit, à n'en pas douter, d'un jubé qu'on vient d'ériger. Les religieuses sont entièrement séparées du public par une élégante cloison, bien entretenue et bien gardée. Du côté de l'épitre se trouve l'oratoire de saint Aubert, à l'opposé est aménagé celui qui est réservé à l'abbesse quand elle assiste à l'office. Après avoir examiné de belles chaires ou stalles, qui ornent le chœur, les commissaires pénètrent dans les cloîtres. Trois côtés, orientés au Midi, à l'Ouest et à l'Est, sont bien couverts, maçonnés, et semblent avoir été réédifiés à neuf. Montant au dortoir des religieuses, ils le trouvent en très mauvais état : c'est un appartement qu'on ne saurait habiter longtemps avec la santé du corps, car l'air y manque. Les moniales ne peuvent avoir de jour que par la couverture où il y a de petits pertuis. L'abbesse, Alizon du Pontbellanger, remontre à ces inspecteurs que tous les édifices claustraux sont vieux et caducs, quand les ouvriers ont terminé à un bout, la ruine commence à l'autre. Les revenus de la communauté ne peuvent suffire aux réparations, car le monastère est grevé par les décimes et les dépenses extraordinaires. La pauvreté des religieuses est telle qu'elles n'ont pu construire une modeste hotellerie pour recevoir les personnes de marque qui les visitent, et cependant il n'y a pas dans le bourg de St-Sulpice, entièrement ruiné, une seule maison où pourrait loger un homme de bien, derrière les bâtiments du monastère, on voit un petit bois et enfin des fossés pleins d'eau qui opposent aux profanes une barrière infranchissable. En dernier lieu, on fait allusion à la mauvaise volonté des gens de Liffré qui avaient tenté de faire passer un chemin public par le milieu de la grande cour pour se rendre à Rennes. C'est avec grande peine qu'on avait pu empêcher le tracé de cette voie, destinée à troubler la solitude qui convient aux personnes religieuses [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/25].

Nous sommes en 1556, époque fatale pour nos Bénédictines, époque qui est le premier chaînon d'une série de malheurs. L'année, déjà à moitié écoulée, se distingue par l'inclémence d'une température excessive, le soleil désole les campagnes par l'ardeur continue et irrésistible de ses rayons. On travaille à rentrer les récoltes mûries prématurément. La cour, l'aire de l'abbaye, située devant l'église, est remplie de paille et de gerbes de blé entassées. Le 22 juillet, entre neuf et dix heures du matin, on voit un prêtre, un tison au poing, passer tranquillement par cet endroit, sans se soucier du mal qu'il peut causer, songeant avant tout à allumer les cierges pour la messe solennelle qui va commencer, car c'est un jour de fête. Soudain, pendant l'office religieux, on entend crier : « Au feu ! » et on voit en même temps les flammes envahir l'église, lécher les murs de la tour, gagner la charpente du clocher qui la couronne et de l'église entière. Les fidèles et les religieuses qui assistent à la messe courent les plus grands dangers. Aveuglés, par une fumée intense, ils peuvent difficilement découvrir une issue pour sortir. On accourt de tous côtés, on essaye de limiter les progrès de cet effroyable incendie en rasant les maisons propringues (adjacentes). Comme l'eau est rare, à cause de la sécheresse, on pénètre dans les celliers de la communauté pour prendre le cidre et le jeter sur le brasier. Les cloches se fondent en répandant une pluie de métal bouillant et s'effondrent elles-mêmes avec la tour. Les ruines se multiplient, le monastère n'est plus qu'un monceau de cendre et de débris informes ; seuls, quelques rares bâtiments isolés restent, subsistent au milieu de ce désastre. La triste nouvelle de ce sinistre sans pareil vole à travers le pays, effraye les habitants et donne lieu aux plus lugubres commentaires. Chacun voit dans ce malheur les artifices de la malveillance et une enquête seule peut dissiper les soupçons, couper court à ces bruits divers.

L'année suivante, le 11 mai 1557, Bertrand d'Argentré, sénéchal de Rennes, se rend à St-Sulpice et entend plusieurs dépositions relatives à ce grave événement. Jean d'Espinay et René de la Chaussée, gentilshommes de la chambre du roi, André Poyfille, hôtelier à St-Sulpice, et Bonabe Morel, boulanger, habitant la même localité, s'accordent pour attribuer le sinistre à une cause purement accidentelle, que nous avons déjà insinuée, et qui peut nous faire apprécier l'heureuse découverte des allumettes et des briquets ! Le lendemain, 12 mai, le magistrat fait comparaître devant lui Vincent Gilet, prêtre et sans doute religieux, bien que nous ne puissions l'affirmer. Faut-il reconnaître en lui ce digne ecclésiastique, coupable d'avoir promené, à la légère, un tison enflammé à travers des matières éminemment combustibles ? Rien ne l'indique. Plusieurs religieuses sont aussi interrogées, mais on ne connaît pas leur déposition.

Effrayées, découragées, peu rassurées sur l'avenir, plusieurs ont-elles quitté leur monastère, comme on l'a dit, pour se réfugier dans leurs familles ? Cette assertion paraît très vraisemblable, mais a le grave défaut de ne reposer sur aucun témoignage contemporain. Cependant, en 1544, il y avait 35 religieuses à l'abbaye de St-Sulpice ; si ce nombre n'a pas diminué, comme il est probable, tout ce monde ne peut aisément trouver place dans cette petite maison, située dans la première cour d'entrée où les moniales s'étaient retirées après l'incendie [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/25, 2H2/10].

Il s'agit maintenant de réparer le désastre, de réédifier ce qui a été détruit, une majeure partie de la maison et l'église tout entière, dont il ne reste plus que les murs noircis et ébranlés. Tous les ornements sacerdotaux avec les calices avaient disparu dans le brasier. En quel état se trouve le monastère ? Les documents que nous avons sous la main ne montrent pas clairement ce qui a été incendié. Une requête du 14 septembre 1556, pour obtenir la permission de prendre du bois dans les forêts royales, mentionne une galerie mesurant 60 pieds de long et située dans un bâtiment dont fait partie la boulangerie. On estime qu'une somme de deux mille livres ne suffirait pas à couvrir les frais de constructions nouvelles. Le roi de France, Henri II, avisé de cette cruelle infortune, se hâte de secourir les religieuses si éprouvées, en le exemptant de payer les décimes pendant huit ans, et leur accordant cent cinquante pieds d'arbres à prendre dans le bois Sévaille, 3 décembre 1558 [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/1. — Cartulaire de St-Sulpice, n° CCX et CCXI].

Comme une communauté ne se comprend pas sans une maison de prière, Jacqueline de Harcourt, l'abbessé de St-Sulpice, prend des mesures pour restaurer l'église. Après avoir mandé Guillaume Janvier, l'aîné, paroissien de Toussaint de Rennes, elle passe avec lui un accord réglant dans les moindres détails les travaux qui doivent être accomplis (6 janvier 1557) [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/16]. Il nous indique les dimensions de ce bâtiment. La nef mesure 100 pieds de long, 45 pieds de large et 35 pieds de haut ; les chapelles de St Aubert et de St Raoul, situées à droite et à gauche du chœur, ont la même élévation et comptent chacune une superficie de 31 pieds carrés. L'entrepreneur se charge de la charpente, de la couverture de ce monument et de la construction en bois d'une tour, en forme de dôme quadrangulaire ayant 30 pieds sur chaque face, et devant dominer le faîte de l'église de 50 pieds. L'ornementation du chœur, les boiseries, l'oratoire de l'abbesse, le pupitre, rien n'est oublié. Comme l'abbaye fournit tout le bois, le marché est passé au prix de deux mille cinq cents livres payables en cinq ans [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H3/16].

Hélas rien n'est stable dans ce monde, les accidents les plus imprévus peuvent changer dans un instant la face des choses. Nous venons de voir que l'église de St-Sulpice a été restaurée et bien aménagée, l'intérieur comme l'extérieur font oublier l'incendie qui en avait fait une misérable ruine. Le 15 décembre 1616, une violente tempête s'élève et exerce sa fureur contre la charpente et la toiture de ce sanctuaire qu'elle renverse et emporte, les murs eux-mêmes en demeurent tout ébranlés. L'hiver sévit avec rigueur et les religieuses, pour assister à la messe dans un oratoire extérieur, doivent sortir et affronter les coups d'une température glaciale. Marguerite d'Angennes se soucie de la santé de ses filles et adresse, le 4 janvier 1617, une requête au réformateur général des eaux et forêts de France, pour lui demander de venir à son secours, sans retard, après avoir constaté les dégâts qu'elle déplore. Cet accident ne saurait être imputé à une coupable incurie, mais à la construction de l'édifice : les murailles sont anciennes, la nef est trop élevée et trop large. On a dû interrompre le service divin dans l'église, ce qui est une gêne et une privation pour tout le monde. On fait droit à cette supplique. Nicolas de Collées et Pierre de Rigné, maîtres particuliers des eaux et forêts de Rennes, St-Aubin-du-Cormier et Liffré, se transportent à St-Sulpice avec le procureur du roi et Jean Boullé, le jeune, notaire royal. L'abbesse va les recevoir, assistée de son agent, Jean Thouminot de la Touche. Les représentants de l'Etat semblent peu disposés à satisfaire la demande qui leur est faite ; ils cherchent à se dérober en alléguant de spécieux prétextes. A les entendre, les forêts royales ont été dépopulés, ruinées par les ventes extraordinaires, nécessitées par la misère des temps et des guerres il est impossible d'y trouver le bois qu'on requiert pour les réparations. Pourquoi ne le prendrait-on pas dans les bois du Fayet, qui appartient à la communauté ? Jean Thouminot se hâte de répondre qu'il n'y a que des fousteaux, absolument impropres à la construction. Les gens du roi, enflammés d'un beau zèle, veulent faire des économies ; ils désirent qu'on vende le vieux merrain et les débris de charpente, au profit du trésor public. Marguerite d'Angennes intervient alors et concilie tout, en disant qu'on pourra en tirer partie pour les réparations. La question est enfin jugée : on accorde aux religieuses quatre-vingts charretées de bois [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/16]. La célèbre et sainte réformatrice qui régit actuellement le monastère de St-Sulpice veille sur tout, et s'occupe du temporel comme du spirituel. Nous savons que les parents des moniales qui venaient les visiter ne trouvaient pas où se loger dans la localité ; en dépit de la règle, on les recevait pour une nuit ou deux dans les dépendances du cloître. Marguerite d'Angennes met bon ordre à ce léger abus, qui pouvait avoir de graves conséquences. Après avoir restauré la maison de l'Ecu, une propriété de la communauté, elle l'afferme pour 70 livres et impose aux locataires de la tenir approvisionnée de foin, d'avoine, de cidre, de vin, de lits, meubles, linges, pour recevoir les familles des religieuses [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/17]. Comme la clôture. n'est point parfaite, elle fit entourer de murs la propriété contiguë au monastère, ayant 50 journaux de superficie. Le maître ouvrier nommé Lamballais reçut pour ce travail la somme de 1.260 livres (17 juillet 1620) [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/16].

La communauté de St-Sulpice se recommandait par sa nouvelle règle, son exacte observance ; les novices se présentaient en grand nombre et la population conventuelle augmentait chaque jour. Il fallait bâtir pour abriter tout ce monde pieux et consolider les édifices caducs. Le 12 juillet 1624, Joachim Descartes, conseiller au parlement, quitte Rennes, à 5 heures du matin et arrive à 8 heures à St-Sulpice, en compagnie de messire Lefebvre, Nicolas Baratte, procureur des religieuses, et Jean Thouminot, leur agent d'affaires, que nous connaissons déjà. Il s'agit sans doute de vérifier le bien fondé d'une requête formulée par les moniales. A la porte du monastère, ils trouvent : les charpentiers, Yves Rimasson, de Gahard, et Denys Durocher, de St-Aubin-du-Cormier ; les maçons : Jean Chaussonnière et Raoul Lambert, de Mouazé ; le couvreur d'ardoise, Julien Rimasson, de Gahard. Ces hommes doivent donner leur avis. L'abbesse, accompagnée de quelques religieuses leur ouvre les portes du cloître. Ils visitent un grand bâtiment orienté à l'Est, qui menace ruine : c'est le dortoir. Des maçons s'occupent à relever les murs qui se sont écroulés. Le sieur Baratte prend la parole et explique que les religieuses deviennent nombreuses, un seul dortoir ne leur suffit plus, il est urgent de construire un second étage. Le bâtiment projeté aura 150 pieds de long. Au-dessus du deuxième étage, on établira un plancher pour atténuer la froidure et obvier aux inconvénients des pluies et orages. Tout est examiné et supputé : on estime ce qu'il faudra de sommiers, de poutres, de soliveaux et de chevrons. Vingt milliers de lattes seront nécessaires. Le compte rendu de cette réunion nous apprend que les dortoirs se composent de cellules. A l'extrémité de cet édifice, se trouve une misérable infirmerie comprenant un rez-de-chaussée, une petite chambre au premier et au second étage. On décide de surélever chaque étage, car les religieuses manquent d'air dans les anciens dortoirs. L'infirmerie aura deux étages, et à chaque étage il y aura deux chambres de 21 pieds carrés, avec une antichambre. Le procureur des religieuses, le sieur Baratte, plaide la cause de ces dames qu'il représente, et après avoir formulé un désir, il a soin d'ajouter, avec une respectueuse diplomatie : « S'il plaît au Roi, si c'est la volonté du Roi ». Il faut croire que les négociateurs se montrèrent habiles, car ils virent leurs demandes exaucées et les forêts royales fournirent du bois pour les nouvelles constructions [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/3].

Un quart de siècle s'écoule, le monastère de St-Sulpice renouvelé, agrandi, fier d'hospitaliser un essaim de jeunes vierges, venues de tous les pays pour écouter les vertueuses leçons d'une grande âme qui embaume cet asile, devient à nouveau la proie des flammes. Le 15 mars 1651, au milieu de la nuit, un incendie se déclare au sein de l'abbaye et fait bientôt des progrès effrayants. Le feu gagne les principaux édifices, dévore les meubles, les ornements de l'église, le linge, les habits des religieuses et même partiellement les archives de la communauté. Grâce à des secours qui s'organisent promptement, cette fois l'église est épargnée. Quelle douloureuse épreuve pour ces moniales qui ont mis tout leur courage, toute leur intelligence, tout leur zèle à restaurer une maison où elles doivent vivre et mourir ! Le monde officiel, informé de cette cruelle infortune, se hâte d'y porter remède. Le 29 mars de la même année, le premier conseiller du Parlement, Joachim de Beaucé, se rend à l'abbaye pour constater les ravages causés par le récent sinistre et descend chez Jeanne Rouxelle, hôtesse de St-Sulpice. Noble homme, Pierre Bernard, sieur de Champiron, agent de Marguerite d'Angennes, va le prendre et le conduit au monastère, où il est reçu par les religieuses et leur digne supérieure. Pour faire son rapport avec plus d'exactitude, il a emmené avec lui deux hommes compétents en pareille matière : frère Pierre Hoït (ou. Gois), architecte des Pères Jésuites, et Pierre Chaussonnière, maître maçon. Arrivé au petit jardin du cloître, il ne voit, à droite et à gauche, en avant et en arrière, que des murs calcinés. Au Midi, le bâtiment des dortoirs, mesurant 60 pieds de long, n'existe plus ; il ne reste plus rien du logement des pensionnaires, des cloîtres, du chapitre, des galeries conduisant à l'église. Un instant, le feu a menacé le chœur des moniales qui ont voulu sauver leurs orgues ; mais deux jeux sont perdus et le reste est gâté. Les religieuses habitent la partie des dortoirs qui a été épargnée, mais elles s'y trouvent fort à l'étroit: elles logent cinq ou six dans la même cellule, en établissant des cloisons avec des nattes. L'incendie a été si violent que les ardoises sont fondues et incorporées les unes aux autres. Il importe de réparer au plus tôt ce désastre et de rendre à une communauté que le malheur éprouve, le calme et la joie. Tout naturellement, on fait appel à la bienveillance de l'autorité publique et on lui demande de prendre dans les forêts du roi le bois qui sera nécessaire pour les nouvelles constructions. Le Parlement, avant de se prononcer sur la requête des Bénédictines, a besoin d'être renseigné sur l'état du monastère. En conséquence, il charge le conseiller Joachim Descartes de faire une enquête consciencieuse. Ce dernier se transporte à St-Sulpice, en compagnie du procureur du Roi, et choisit comme experts : frère Pierre Hoït, architecte des Jésuites, et Jacques Aignan, maître charpentier. Après avoir tout examiné, on juge que, pour satisfaire aux réparations, il faudra 651 charretées de bois de 28 à 30 pieds de long et d'un pied carré. Ce chiffre parût peut-être extraordinaire, car on le diminua notablement ; la Cour trouva qu'il suffisait d'accorder 200 charretées de bois à merrain (12 juin 1651). L'exécution de cet arrêt nécessite un nouveau voyage. Nicolas Jouault, écuyer lieutenant-général des eaux et forêts en Bretagne, monte en litière, le dimanche 25 juin, et arrive, à 6 heures du soir, à St-Sulpice. Le lendemain, une pluie torrentielle l'empêche d'instrumenter. Comme le mardi le temps s'est remis, le haut fonctionnaire monte en litière et parcourt la forêt pendant trois ou quatre jours, pour marquer tout le bois qui était nécessaire. Dans cette expédition, il se voit escorté du sieur de la Bégassière, procureur du Roi, de Jacques Dubois, agent de l'abbesse, et des forestiers Jean Boullay et Pierre Poilvé.

Marguerite d'Angennes avait une âme énergique, rien ne l'émouvait quand il s'agissait de la gloire de Dieu et du salut des âmes. Comprenant que ses religieuses souffraient, elle se hâta de remédier à la gêne où elles se trouvaient. Il lui fallait de l'argent pour payer les ouvriers qui devaient travailler à la reconstruction du couvent : comme elle avait de nombreuses et belles relations, elle put facilement s'en procurer. Nous la voyons, en 1651, implorer la bienveillance du sieur du Tertre-Pringuet, conseiller au Présidial, qui lui avance une somme de 8.000 livres [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/12]. Un noble personnage, Gilles Martin de la Morandaye, seigneur des Hurlières, conseiller au Parlement, voulut, après sa mort, reposer dans l'église abbatiale et sollicita pour ses sœurs le même privilège. Accédant à ce pieux désir, l'abbesse lui accorda un enfeu et reçut en retour 6.000 livres (14 avril 1654) [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/29]. En 1660, le Roi lui pèrmet d'exiger des dots pour les postulantes et novices qu'elle admet dans son monastère et lui procure ainsi des ressources nouvelles [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/18]. Les travaux de restauration prenaient généralement une bonne allure néanmoins, quelques incidents fâcheux surgissent de temps à autre. Pierre Blaigny s'était chargé de faire la charpente du chapitre et de plusieurs autres logements, pour sept cents livres et 20 livres de vin, promettant d'y vaquer sans discontinuer et de parfaire cet ouvrage dans l'espace d'un an (30 mai 1653) ; mais il ne tint pas parole. Non seulement il ne réalisa pas sa tâche au temps convenu, mais il l'abandonna, après avoir perçu la majeure partie de la somme qui lui avait été assignée. Si Marguerite d'Angennes avait péché par bonté, elle répara sa faute en faisant appel à la justice pour obliger cet ouvrier à tenir ses engagements (12 juillet 1654) [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/49].

La célèbre abbesse mourut avant d'avoir mis la dernière main à la reconstruction de son monastère, mais celle qui lui succédait devait parfaire son œuvre. Le 1er décembre 1668, elle charge Laurent Robin, demeurant à Rennes, faubourg L'évêque, d'établir sur la maison abbatiale un clocher en forme d'octogone avec des fenêtres cintrées et orientées, deux par deux, vers les quatre points cardinaux [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/16]. Songeant ensuite aux murs de l'enclos qu'elle veut continuer ou restaurer, elle passe un marché avec quatre ouvriers : Jean Guilleman, Gratien Barbé, Gilles Monterfil, Pierre Sauson, qui promettent d'y travailler incessamment et sans interruption (8 juin 1676). Ils manquent bientôt de parole et disparaissent. L'abbesse s'en plaint avec amertume, car l'hiver approche, l'hiver qui entrave l'oeuvre de la maçonnerie avec ses gelées. Indignée de la mauvaise foi de ces gens, elle menace de les traîner devant la Justice et de les forcer à restituer l'argent qu'ils ont reçu d'avance. Deux se laissent convaincre, reprennent leur ouvrage et jurent de le continuer l'année suivante ; mais Barbé et Guilleman ne veulent rien entendre. Ces petits conflits prouvent que la mauvaise foi et les grèves ont existé bien longtemps avant notre époque, si mouvementée par les contestations entre les employeurs et les employés. Marguerite de Morais avait aussi chargé les sieurs Haloche, Ruaudel et Derval de recouvrir le clocher de l'église. Elle leur adjugeait la somme de 80 livres ; mais ils devaient se nourrir, fournir leurs instruments et achever le travail avant la Toussaint (8 septembre 1689) [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/16]. C'est la même abbesse qui dota l'église de belles orgues ; un religieux Carme les avait construites, s'était engagé à les livrer, jouant et sonnant, pour 800 livres (21 octobre 1665). Ayant reçu la moitié de cette somme, on le voit remercier avec effusion ; il écrit de Dol à la vertueuse moniale, en lui disant qu'elle ne peut douter de sa grande inclination pour elle (4 février 1666) [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/16]. Il n'y a pas lieu de s'étonner de ce langage, car les musiciens ont l'habitude des notes délicates et tendres !

L'année 1701 apporta avec elle une nouvelle épreuve pour nos religieuses de St-Sulpice. Le 2 février, un terrible ouragan se déchaîna sur le monastère et les environs et multiplia les dégâts. On est à peine remis de cette légitime émotion qu'un incendie se déclara à nouveau, dans les dépendances de la communauté, s'étend avec la rapidité de l'éclair et gagne d'autres bâtiments en causant de notables ravages (30 décembre). A la suite de cet accident, l'abbesse exprime bientôt l'inquiétude et la douleur qui la torturent. Elle doit pourvoir à la subsistance de 60 religieuses et ses revenus ne dépassent pas six mille livres. On a augmenté les impositions et les taxes qui pèsent sur elles, après lui avoir défendu d'accepter des dots et des pensions pour ses novices, et d'ailleurs, les vassaux et les fermiers se disent trop souvent insolvables. Elle se consolerait à moitié si elle jouissait de son antique droit de prendre du bois dans les forêts royales, mais tout le monde sait qu'on l'en prive depuis 20 ans [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/8, 2H2/16]. Dans sa détresse, elle s'adresse au Roi, qui accueille avec- bienveillance sa supplique. Le souverain ordonne, le 13 février 1702, à l'intendant de Bretagne, le sieur de Nointel, de faire vérifier par des gens compétents les désastres qui lui sont signifiés. Le 3 mars, Maurice Micheau, sénéchal de Rennes, se transporte sur les lieux et commence sa visite, vers 11 heures du matin. Il examine d'abord les boulangeries, les buanderies, les écuries ; puis, dans une cour sur le bord de l'eau, une rangée de maisons servant d'étables, de refuges à porcs, de fagotiers et de boucherie. On a démoli ces modestes édifices pour arrêter les progrès du feu. Après avoir inspecté les cuisines, la cellérerie, bâtiment à deux étages, l'abbaye, il sort le soir et se retire dans le bourg pour y passer la nuit avec le sieur Anger, procureur du roi. Le lendemain, 4 mars, le sénéchal commence sa tournée, à 7 heures du matin. Nous le suivrons en énumérant ce qu'il remarque sur son chemin. La laiterie, la poulaillerie, maisons aux murailles en terre, méritent son attention. Plus loin, il signale plusieurs sanctuaires vénérés, comme la chapelle de la Sainte-Famille, Notre-Dame de Bon-Secours et du Mont-Cassin, Notre-Dame sur l'eau, qu'on appelle la chapelle ducale. Tous ces oratoires paraissent situés dans la clôture. Il parcourt l'enclos et remarque qu'en plusieurs endroits les murs menacent ruine par suite de vétusté ou de malfaçon, car rien n'a été maçonné à chaux et à sable. Le ruisseau de l'Isle qui traverse la propriété a emporté les ponts de bois de Pouthart et Notre-Dame, avec les grilles en fer qui les complétaient. Les dépendances extérieures sont aussi examinées avec conscience. Le moulin de la Porte ne fonctionne plus, car ses deux meules sont usées, celui de la Ridelaye est aussi en fort mauvais état. Dans le bourg de St-Sulpice, l'impétuosité du vent a endommagé les halles et emporté six chevronnées de la couverture de chaque côté ; la charpente de l'hôtellerie laisse fort à désirer. Dans un procès-verbal très détaillé, le sieur Maurille Micheau suppute avec soin le montant des réparations et observe que les matériaux ne se trouvent pas, pour la plupart, sur les lieux, le transport s'en fera avec mille peines, car les chemins sembles impraticables. On se verra obligé de faire venir la pierre de Pont-Réan [Note : Commune de Guichen (I.-et-V.)], l'ardoise de Redon, le tuffeau de Nantes, la brique et la chaux de Pont-Péan [Note : Commune de St-Erblon (I-et-V.)], localités distantes de 5, 6, 14, et même 20 lieues. Quant, au sable, qu'on emploiera, il faudra aller le quérir à 2 lieues, à Ville-Asselin ? On ne trouvera pas non plus dans les environs de l'abbaye du bois propre pour faire des poutres, des sommiers ; il sera nécessaire d'aller le chercher à 3 et 4 lieues. A son avis, les réparations peuvent coûter quatre-vingt-mille livres. Sa mission étant terminée, notre bon sénéchal, homme fort sympathique, monte à cheval, vers deux heures, pour se rendre à Rennes [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/16].

Cette expertise n'eut pas l'avantage de plaire à tout le monde, on la trouva fort exagérée. Pour tout rectifier, l'intendant de province députa un nouveau délégué, qui avait pour mission de réaliser des économies. A prendre les choses comme elles se présentent, on peut dire qu'il ne manqua pas à son devoir, puisqu'il prétendit qu'avec la somme de 17973 livres, il était possible de réparer les dommages occasionnés par l'incendie (6 et 7 août 1702). L'écart entre ces deux chiffres était si notable qu'il ne manquât pas d'exciter des plaintes et de motiver des critiques. On s'accordait à reconnaître que la somme fixée en dernier lieu suffirait à peine à payer le montant des couvertures. Le temps pressait, les réparations s'imposaient au plus vite, il était urgent de frapper monnaie. A ce moment, les Bénédictines pensèrent à leurs bois, elles crurent pouvoir y trouver le trésor qui leur manquait. Sans attendre, elles s'adressent au roi et lui demandent la permission de vendre par elles-mêmes, dans le ressort de la Bretagne, tous les arbres mûrs qui se trouvaient dans leurs propriétés, en promettant d'avoir recours aux bons offices des maîtres particuliers des eaux et forêts de la Touraine et de l'Anjou, si elles avaient besoin d'exploiter leurs bois dans ces contrées. Elles alléguaient que si on leur imposait la surveillance des grands maîtres, elles se verraient frustrées de la majeure partie du prix des ventes, car elles devraient compter à ces vénérables employés de gros honoraires pour des formalités fort dispendieuses. Le vieux monarque, dont les dernières années furent marquées par les plus terribles épreuves, comprit leur gène, eût pitié de leur misère et leur accorda ce qu'elles désiraient [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/16].

Un état estimatif du 10 décembre 1725 note que les réparations de l'abbaye s'élèvent à la somme de 105.400 livres. C'est vers cette époque que la maîtrise des eaux et forêts mit en adjudication les bois de Rennes et d'Angers qui étaient légalement exploitables [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/12]. Leur vente rapporta net environ 60.000 livres ce qui permit sans doute de payer certaines dettes criardes, de dédommager les entrepreneurs et les ouvriers qui avaient travaillé à la restauration du couvent. Mais, chose surprenante, cette maison, pour laquelle on a tant dépensé, se comporte très mal, l'ingénieur Mousseux le déclare dans un rapport motivé, le 1er décembre 1724 [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/16]. On se demande si on n'est pas le jouet d'un mauvais rêve, d'une légende inventée pour noircir quelque réputation, quand une voix autorisée daigne se faire entendre. Madame Bouchard d'Aubeterre, dans un écrit, daté de juillet 1738, déclare qu'elle fut placée à la tête du monastère de St-Sutpice, en 1727. L'abbaye était alors grevée de dettes considérables dépassant 60.000 livres. Les créanciers se présentaient tous à la fois et menaçaient la communauté d'une honteuse faillite. Pour obvier à ce grave inconvénient, le roi lui permit, le 6 avril 1727, d'employer l'argent provenant des bois qui avaient été vendus, en 1725, à payer les dettes les plus urgentes et à réparer les prieurés ; mais elle devait en cela prendre l'avis des commissaires désignés temporairement pour gérer les affaires des religieuses. Son premier souci fut de compter avec les créanciers, de les satisfaire, d'assoupir les procès. Elle a réussi dans son entreprise puisqu'elle a réparé les maisons priorales et payé presque toutes les dettes qui avaient si gravement compromis la bonne réputation du monastère de St-Sulpice. Elle songe maintenant à l'abbaye, dont le mauvais état lui cause de vives inquiétudes. Plusieurs murs et pignons qui soutiennent les deux principaux dortoirs, les greniers menacent ruine, ainsi que le chapitre et une aile du cloître. Les religieuses ont été obligées de se réfugier dans un dortoir qui était inhabité depuis 50 ans, et, pour mettre leur vie en sûreté, il a fallu étayer de tous côtés. Elle se disposait à rebâtir quand une ordonnance de l'intendant a forcé ses métayers de se rendre à la corvée pour les chemins publics [Note : Ces corvées duraient pendant les mois d'août et de septembre. — V. Régime de la corvée en Bretagne, XVIIIème siècle, par Letaconnoux, in-8°, 1905, Plihon et Hommay, Rennes, 5, rue Motte-Fablet]. Eux seuls doivent faire les charrois des matériaux qui seront nécessaires, elle demande qu'on les en dispense pour cette fois. Elle s'adresse ensuite au roi et à son conseil. Elle lui rappelle que le 3 décembre 1558, il exempta sa communauté de la contribution des décimes, après un grave incendie ; il lui accorda, en 1701, 125 pieds de chêne à choisir dans la forêt de Rennes. S'il faut en croire cette vertueuse dame, son abbaye se trouve dans une situation plus pénible que jamais, elle sollicite la faveur de prendre 100 pieds de chêne et 200 hêtres dans l'enclos, ou à défaut sur les métairies. Elle ajoute qu'elle perçoit annuellement 80 charretées de bois de chauffage que l'Etat lui assigne dans divers cantons de la forêt de Rennes, mais elle supplie Sa Majesté, en considération de son indigence actuelle, de remplacer cette redevance, pendant quelques années, par une rente de mille livres. Ses religieuses toutes dévouées sauront comme elle se gêner, elles se chaufferont pendant dix ans avec les débris des vieilles charpentes [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/16, 2H2/29].

M. l'abbé du Tiercent, archidiacre et grand vicaire de Mgr de Vauréal, évêque de Rennes, s'était rendu à Saint-Sulpice, le 15 juin 1738, et avait constaté que les bâtiments laissaient fort à désirer, le tout avait été construit sans chaux ni sable [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/16, 2H2/29].

Il n'est plus permis de temporiser, de nouvelles constructions doivent remplacer les ruineux édifices qu'on ne saurait plus habiter sans courir les dangers les plus graves. Madame d'Aubeterre n'hésite pas à prendre toutes les mesures qui lui paraissent nécessaires pour mener à bonne fin une pareille entreprise. Elle choisit comme architecte le sieur Marion, résidant à St-Malo. Son agent, Michel Vauversy, s'abouche avec les Carmes de Rennes et détermine le R. P. Valentin, sousprieur, à lui vendre pour mil cinquante livres tous les matériaux qui composent la chapelle de l'ancien château de Han [Note : Commune de Montreuil-le-Gast, canton Nord-Est de Rennes], la sacristie et deux autres pavillons. Il trouve ainsi de la pierre, des bois de charpente et quelque peu d'ardoise. Nous voyons incontinent six ouvriers qui entreprennent les travaux de maçonnerie, ce sont : Pierre Gourdel et Malo Leport, de Saint-Jouan-des-Guérets ; Joseph Blanchard et Pierre Gautier, de Paramé ; Gilles et Guilaume Rouxel, du voisinage. Ils exigent 3 livres par toise de 6 pieds carrés. Le 2 avril 1738, Jacques Goupil, surnommé la Crière, habitant St-Hilaire-des-Landes, s'engage à fournir, dans l'année courante, 150 charretées de pierre de taille, à raison de 20 sols, le pied cube. Cet industriel avoue qu'il ne la trouve pas sur place, il la fait venir de St-Marc-le-Blanc. Il ne put sans doute tenir sa promesse jusqu'à la fin, car nous voyons l'abbesse, après de vaines sommations, passer un contrat, le 13 décembre 1739, avec Joseph Joanne, marchand de pierre de taille, domicilié au château de la Belinaye, en St-Christophe-de-Valains, qui réclame aussi 20 sols, par pied cube. Le même s'engage aussi à livrer 300 pieds de pierre de taille pour la corniche des bâtiments, qui seront payés 50 sols, le pied de longueur ; il termine, en déclarant qu'il ne sait pas signer. Cette ignorance qu'il professe ne semble pas avantageuse pour son commerce ! Dans le même devis, on remarque que la toise de pavé revient à 15 sols. François Samson, demeurant à la Poterie de Fontenay, paroisse de Chartres (Ille-et-Vilaine), promet de procurer les carreaux pour pavage, carreaux mesurant chacun 6 pouces carrés, et valant 7 livres 10 sols, le millier. La brique est aussi indispensable pour les cloisons et autres travaux. Jacques Mayeux en fournira à 50 sols le mille. Bien souvent, comme on l'a vu dans cette étude, on a blâmé implicitement l'inexpérience des gens qui avaient construit ou restauré les bâtiments claustraux sans employer les éléments qui assurent la solidité : la chaux et le sable. Cette fois, voulant éviter le grave défaut qui a été signalé, on commande à Siméon Baudet, demeurant à Bourgneuf-la-Forêt (Mayenne) [Note : Les localités qui ne sont pas expressément désignées appartiennent au département d'Ille-et-Vilaine], deux cents barriques de chaux, à raison de 9 livres, la barrique. Julien Maheu, dit la Vigne, résidant à Rennes, paroisse de Toussaint ; Thomas Gaignard, de St-Sulpice ; Michel Charles, de Mouazé, s'engagent à faire les travaux de menuiserie et s'obligent à tenir les portes et les fenêtres prêtes à être mises en place aussitôt que les édifices seront couverts. S'ils ne sont pas fidèles à ce point, l'abbesse aura le droit de faire exécuter ces travaux à leurs frais et dépens (14 février 1739). Pierre Bourgeois, domicilié à Rennes, paroisse de St-Aubin, accepte de faire la couverture, en exigeant 11 livres, par toise de 7 pieds, 6 pouces. Enfin vient le tour des plombiers, qui consolident et perfectionnent les toitures. Joseph Eménau et Michel Lappelle, de St-Malo, fournissent le plomb et les tuyaux pour la conduite des eaux, ainsi que la boule et les vases des pavillons, à 32 livres, le cent pesant. La soudure et le plomb seront payés à raison de 7 à 8 livres, le pied carré. La toise de plancher coûte 23 sols. Les mémoires de 1739 à 1741 nous édifient sur les diverses dépenses, qu'on a dû solder. Sans parler des maçons et des menuisiers, on a dû payer pour la pierre, les charrois, les plombiers, les couvreurs, la somme de 14.628 livres, 16 sols, 16 deniers [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/16].

Le 16 juin 1745, Madame d'Aubeterre déclare qu'elle a dépensé plus de 50.000 écus pour restaurer le monastère. Elle a trouvé des ressources dans la vente des bois de haute futaye de l'abbaye et des prieurés ; mais ils ont été adjugés avec des formalités qui ont absorbé de beaux deniers ; elle a dû faire aussi des emprunts. Maintenant, il faudrait réparer la métairie des Champloriers, ce qui nécessiterait une somme de quatre mille livres, les moulins de la Ridelais, du Gahil et de la Porte [Note : Voir le Cartulaire, dépendances de l'abbaye]. Pour couvrir ces frais, elle trouvera peut-être 80 ou 100 pieds de chêne sur les métairies de St-Sulpice. Elle sollicite la faveur de les faire couper sans obtenir de lettres patentes ; il suffira qu'un seul officier de la maîtrise les marque [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/16].

La période des réparations et des constructions importantes est terminée, il suffira désormais de veiller à l'entretien et au bon état des bâtiments qui ont été édifiés au prix des plus lourds sacrifices. Les ouvriers ne troublent plus le calme de l'abbaye, comme par le passé, c'est à peine si quelques couvreurs viennent de temps à autre visiter les toitures et réparer le mauvais effet des tempêtes. Le 18 juin 1779, Joseph Latête livre 22 milliers d'ardoises et reçoit pour cette fourniture 236 livres, 10 sols [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/16]. La révolution éclate ; implacable, elle n'a d'égards pour personne, même pour des faibles femmes, elle commande aux Bénédictines de St-Sulpice de quitter leur abbaye et de se disperser à travers le monde, après avoir dressé un état des lieux, qui nous permet de rétablir la physionomie de ce beau et grandiose monastère.

L'ensemble forme un quadrilatère plus ou moins régulier. Le principal bâtiment est orienté à l'Est et mesure 222 pieds de longueur sur 42 de profondeur. Son rez-de-chaussée comprend, en allant du Nord vers le Midi, une cuisine, un réfectoire, la salle du chapitre et lieu de sépulture, une cage d'escalier et un oratoire dit de St-Joseph. Tout le long, à l'Occident, règne un corridor au bout Nord duquel se trouve un escalier, et à la suite, vers le Midi, l'un des côtés du cloître. Il y a au-dessus du rez-de-chaussée, un entresol, composé d'un appartement sur la cuisine, servant de cellérerie, avec cheminée, d'un grenier, sur le chapitre. Il existe un corridor superposé à celui du rez-de-chaussée. Au bout de ce corridor, vers le Midi, se trouve un appartement servant de cabinet d'archives, avec cheminée, et, à l'Est de ce cabinet, dont elle est séparée par un couloir conduisant à la tribune du chœur, la salle des archives. Les deux étages supérieurs sont doubles et parcourus dans toute leur longueur, du Nord au Sud, par un corridor. Le premier compte 30 chambres ou cellules, dont 5 avec cheminées, et 5 cabinets ; le deuxième, en compte 29, dont trois à feu. Au-dessus du second étage dans toute la longueur et largeur du bâtiment, se trouve un grenier à faire des mansardes. Le milieu de l'édifice est dominé par un clocher qui abrite l'horloge et la cloche, qui doivent signaler les divers exercices de la journée. Au pignon Nord du premier bâtiment, à angle droit, s'étendant vers l'Ouest, s'élève un second bâtiment, construit en murs de pierres, couvert d'ardoise, ayant de face, vers le Midi, 67 pieds, et de profondeur, 30 pieds. Le rez-de-chaussée se compose, à commencer du côté Ouest, d'une cuisine, d'une cage d'escalier, d'un cabinet non retranché sur cette cage, d'une salle avec cheminée servant d'infirmerie, d'un bûcher. Au-dessus de la cuisine, il y a une chambre avec cheminée, et au-dessus de l'infirmerie, il se trouve aussi une salle annexée à l'infirmerie, et, à la suite, un corridor de dégagement. Au second étage, on voit deux chambres à feu servant à l'infirmerie, un grenier, dans les combles, des cabinets d'aisance régnant depuis le bas jusqu'en haut du bâtiment, saillant sur la face Nord.

Au Midi du second bâtiment et à l'Ouest du premier, se trouve un jardin.

Au Sud de ce jardin, à angle droit sur la face occidentale du premier bâtiment, en allant de l'Est à l'Ouest, s'élève le côté Nord du cloître. A l'extrémité occidentale de cette partie s'adapte, à angle droit, le côte Ouest qui se dirige du Nord au Midi. Au point terminus de cette partie se greffe, toujours à angle, droit, le coté Sud, s'étendant de l'Ouest vers l'Est. Le quatrième et dernier côté est engagé, comme on l'a dit, sous le corps du premier bâtiment. Ce cloître mesure 133 pieds dans ses côtés Est et Ouest, et 117 pieds, dans ses côtés Nord et Sud. La largeur intérieure du cloître est de 11 pieds. Au milieu se trouve un jardin.

Au pignon méridional du principal corps de logis, on voit l'église abbatiale bâtie en croix. Le maître-autel et la sacristie derrière forment un cul-de-lampe ; à droite se trouve la chapelle St Jean, et à gauche la chapelle du Rosaire. Le tout est bâti en pierre et couvert en ardoise. La nef mesure 78 pieds de longueur et 25 pieds de largeur. Le chœur des religieuses comprend de l'Est à l'Ouest, 58 pieds de longueur et 45 pieds de largeur. Il est garni de stalles hautes et basses, d'un pupitre au milieu, de bancs. On y remarque des orgues, deux oratoires. Le tout est parqueté et plafonné. A l'entresol, au devant de la grille, à l'intérieur de l'église et dans toute sa longueur, se trouve une tribune. Au-dessus de l'église, s'élève le clocher construit en charpente et affectant la forme d’une tour ; quatre cloches y sont suspendues.

Au pignon occidental de la nef se dresse, construit en pierre et couvert en ardoise, un corps de bâtiment, mesurant de l'Est à l'Ouest 44 pieds de long, et 24 pieds de large, du Nord au Midi. Il comprend, au rez-de-chaussée, la sacristie et le parloir des dames. Au-dessus, il y a un grenier et deux chambres servant de noviciat, et ayant cheminée. A l'Ouest de ce dernier, on remarque un édifice de 85 pieds de long et 24 pieds de large, où se trouvent, avec plusieurs autres pièces, les appartements et parloir de Madame l'Abbesse.

On signale plusieurs autres dépendances qui servent à loger le personnel domestique, remiser le bétail, les instruments agricoles, comme l'indique plus longuement le cartulaire de l'abbaye [Note : Arch. départ. d’Ille-et-Vilaine, Q 300. — Cartulaire de l’abbaye de St-Sulpice].

Nous venons de voir que les édifices claustraux du monastère de St-Sulpice étaient assez vastes et multipliés pour recevoir un bon nombre de religieuses. On y comptait plus de 60 cellules, et si les circonstances l'avaient permis ou exigé, on pouvait construire, sans beaucoup de frais, de belles mansardes. Nous aurons occasion de le constater au cours de cette étude ; le chapitre général se tenait tous les ans et ramenait alors à la maison-mère les prieures conventuelles ou les moniales déléguées à leur lieu et place ; il fallait donc assurer d'avance à ces religieuses des appartements simples, mais convenables. D'ailleurs, à l'époque des célèbres abbesses : Marguerite d'Angennes, Marguerite de Morais, Madame d'Aubeterre, le ciel favorisait le couvent du Nid de Merle et lui prodiguait de nombreuses et sincères vocations. Tout le monde pouvait espérer que ce bel élan de la piété et de vertu ne se ralentirait pas, ne s'éteindrait pas, mais on comptait sans cette vague d'impiété, d'anarchie, qui déferla sur notre malheureux pays et renversa sur son passage tout ce qui rappelait, excitait notre vieille foi catholique.

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