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Abbaye de Saint-Sulpice-la-Forêt. |
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LES DROITS DE JUSTICE.
Les privilèges que nous venons d'énumérer sont complétés par un autre non moins estimable. Depuis fort longtemps, l’abbesse de Saint-Sulpice a droit de haute, moyenne et basse justice qu'elle exerce par des officiers attachés à son tribunal. Leur nombre paraît varier suivant les époques, ainsi que leurs honoraires. Le 14 juillet 1613, nous les trouvons au nombre de trois. Le sénéchal reçoit annuellement 12 livres, l'alloué, 6 livres, et le procureur d'office, 100 sols [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/31]. Plus tard, en 1682, cette Cour comprend 4 membres : le sénéchal perçoit comme traitement, 20 livres, l'alloué, 15 livres, un lieutenant, 10 livres, et enfin le procureur fiscal, qui se contente d'une somme équivalente [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/8]. Un aveu, du 15 juillet 1692, accorde 30 livres au sénéchal, 20 livres au lieutenant et au procureur fiscal [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/144]. Le premier est le juge principal, les deux autres jugent à sa place, mais non avec lui, car le principe est que le juge statue seul, sauf dans les affaires criminelles, pour lesquelles il se fait entourer d'assistants. Le procureur poursuit la répression des injustices ou délits, réclame le payement des sommes dues à la seigneurie et la confection des aveux. A chaque mûtation ou acquisition, et, pour le moins, tous les trente ans, chaque propriétaire doit déclarer ce qu'il possède, avec les tenants et aboutissants. Si le dénombrement qu'il fournit est fautif, incomplet réellement ou en apparence, force lui est d'en présenter un autre, tout en payant trois livres d'amende. Cet officier, on le comprend, est bien placé pour abuser de sa situation, commettre des vilainies et satisfaire des rancunes personnelles [Note : A. Giffard. Justices seigneuriales de Bretagne, in-8°, 1902. Rousseau, 5, rue Soufflot, Paris, H. Sée. Les classes rurales au XVIème siècle, Giard et Brière, Paris].
Un cinquième personnage nous apparaît sous le nom de greffier. C'est lui qui rédige les interrogatoires des accusés, sentence des jugements, procède aux inventaires, aux ventes mobilières. Son ministère s'impose quand une personne meurt en laissant des héritiers. Pour défendre les intérêts des mineurs ou des absents, il appose les scellés et fait enquêtes sur la valeur de la succession. En intrumentant de 10 heures à midi et de 2 heures à 4 heures, ce fonctionnaire gagne cent sols, ce que les paysans trouvent excessif, eux qui ne touchent que 5 sols pour douze heures de travail [Note : E. Dupont, Condition des paysans dans la sénéchaussée de Rennes, à la veille de la Révolution, H. Champion, in-8°, 1901, 5. quai Voltaire. Paris].
L'exercice de la justice suppose un tribunal pour apprécier la conduite des malfaiteurs, un lieu de détention où les accusés puissent attendre leur châtiment et leur délivrance, une solitude où le crime s'expiera dans le silence et le travail. Au moyen âge, et plus tard la prison que nous venons de mentionner doit comprendre deux chambres civiles pour les débiteurs insolvables, deux autres chambres pour les inculpés des deux sexes, deux cachots pour les condamnés, une chambre pour loger le geôlier, une chapelle, une infirmerie, une cour pour faire prendre l'air aux prisonniers, un hangar pour le bois et la paille [Note : Dupuy, Bulletin Archéologique, d’Ille-et-Vilaine, an 1883]. Nous ne voyons rien de tel à Saint-Sulpice. La maison Boullant qui accueille les repris de justice n'offre pas d'appartements aussi confortables, car elle comprend une cave, au-dessus une salle basse, où l'on confronte les prisonniers, enfin quelques chambres. C'est dans cet immeuble que se rend la justice, c'est là que séjournent les criminels, c'est là qu'habite leur gardien. Certainement, tout ce monde se trouve mal à l’aise dans ce local qui n'est rien moins que vaste et luxueux et on se demande si les hommes et les femmes peuvent y vivre separément ? [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/2, 8, 13]. Quelques bourgades voisines, malgré leur importance, ne sont pas mieux partagées ; à Antrain. (Ille-et-Vilaine) par exemple, la maison d'arrêt se compose d'un cachot noir et de deux chambres seulement. Les gens de l’époque s'accordent à reconnaître que les prisons sont mal bâties et malsaines ; on y rencontre très rarement une chapelle et une infirmerie [Note : Dupuy. Mémoires de la Société Archéologique d'Ille-et-Vilaine, an 1883]. Dans les aveux qu'elle fournit en diverses circonstances, l'abbese de Saint-Sulpice affirme ses droits de justice. Sur la place du village, on voit le pilori, poteau surmonté de ses armes et armé d'un carcan où l'on passe la tête et les mains du malheureux qui mérite d'y être exposé. Sur la lande de Chantepie s'élèvent les fourches patibulaires : elles se composent de quatre poteaux supportant deux traverses en bois où l'on pend les condamnés à mort. L'importance de ce gibet semble placer le monastère des Bénédictines parmi les baronnies [Note : Archives départem. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/8. 13, A. Bobeau, La Ville sous l'ancien régime, in-8°, 1878, Didier, 35, quai des Augustins. Paris]. Comme nous l'avons vu, les juges percevaient une somme fixe pour remplir leur mission, distribuer une bonne et équitable justice, faire observer les lois et règlements, mais cela ne suffisait pas. On avait sans doute remarqué qu'ils n'avaient pas une grande affection pour les séances juridiques ; pour stimuler leur zèle et encourager leur assiduité, on s'imagina de leur accorder 16 sols, chaque fois qu'ils présidaient les débats d'une affaire ou rendaient une sentence. Le sénéchal touchait regulièrement ces honoraires, mais il n'en était pas ainsi de son lieutenant qui s'en plaignait avec amertume. Son supérieur hiérarchique semblait se réserver tout le casuel judiciaire et ne consentait même pas à partager les épices avec on dévoué collègue [Note : La partie qui avait gagné son procès offrait quelques douceurs, des dragées, des confitures, aux juges qui avaient examiné la cause. Plus tard, on remplaça ces friandises par une somme d'argent, qui devint dans la suite obligatoire. On distingua alors les dépens et les épices ou gratifications. V. Encyclopédie méthodique de jurisprudence, par Floquet, t IV, p. 295], Celui-ci ne pouvant supporter plus longtemps une pareille iniquité, se bâte de mettre arrêt sur une somme de 100 livres que des justiciables avaient remise au tribunal après une sentence qu’ils n'escomptaient peut-être guère (11 octobre 1668) [Note : Archives départ. d’Ille-et-vilaine, 2H/31] Qu’advint-il de cet incident ? Nous l’ignorons, car rien n'est venu nous éclairer sur ce point. Les Bénédictines, nous le savons, avaient toute autorité à Saint-Sulpice ; elles y exerçaient toute justice mais là ne se bornait point leur pouvoir ; elles possédaient encore d'autres privilèges juridictionnels, en particulier à Vitré et au Thélouet. En expliquant les principales causes, les divers crimes ou délits qui ont été soumis à ces tribunaux, nous pourrons apprécier le caractère des âges qui nous ont précédés et juger les mœurs de l’époque. Procédant avec ordre, examinant les fautes suivant leur degré de gravité, nous verrons que si quelques-unes ont valu à leurs auteurs la peine capitale, d’autres ont été expiées par la prison ou une amende pécuniaire. En parlant de la fondation du monastère du Nid de Merle, nous avons eu occasion de gémir sur les désordres qui régnaient alors. Au XVème siècle, la situation, suivant saint Vincent Ferrier, ne s'était guère améliorée. Comme il avait parcouru la Françe et la Bretagne, il devait connaître ces contrées et leur mentalité. Si les pensées et les sermons qu'on lui attribue sont authentiques, nous pouvons dire qu’il avait une fort mauvaise opinion de notre pays. Autrefois, dit ce bienheureux, un laboureur, un pêcheur, si simple qu'il fût, savait au moins les choses nécessaires pour le salut : il savait son pater et son credo, il savait faire le signe de la croix, il savait saluer la reine du ciel par l'Ave Maria. Aujourd'hui il n'en est pas ainsi ; les fidèles ne savent plus que danser des rondes, s’occuper de conjurations et de sortilèges. Jadis, ils avaient une ardente dévotion. Dès le matin, à peine levés, ils se prosternaient à genoux pour dire leurs prières, le père de famille dans un coin de la maison, la mère, dans un autre, les enfants faisaient de même. Chaque jour, ils entendaient la messe des l’aurore, allaient ensuite à leurs travaux et Dieu les guidait dans tous leurs actes. Aujourd'hui les gens n’ont pas la même ferveur. Ils ne veulent plus entendre la messe, même le dimanche, ou du, moins ils n'y viennent que quand elle est commencée. Ils restent sur la place ou ils vont à la taverne, et quand ils entendent sonner l’élévation, ils se précipitent dans l'église comme les porcs, dans l'étable ; une fois entrés, ils ne font que parler de leurs affaires, ils sortent aussitôt après la communion. Autrefois, ils se confessaient et communiaient chaque dimanche, aujourd'hui, ils ne le font plus même à l'occasion des fêtes pascales. — Anciennement, les prêtres avaient tant de zèle que dans la moindre paroisse où il n’y avait qu'un clerc, il se levait au milieu de la nuit pour chanter matines, qu'il annonçait en sonnant la cloche. Les paroissiens réveillés venaient nombreux suivre cet office. Aujourd'hui, les prêtres ne sonnent plus l'office de matines ; si on le sonne, ils ne se lèvent plus pour le présider ; les cloches chantent toutes seules les matines, dans la nuit. Autrefois, les prêtres se préparaient par une bonne confession à célébrer la messe, aujourd'hui, ils n'ont plus souci de la dire, si elle n'est pas payée.
Autrefois, les religieux pratiquaient le vœu de pauvreté avec la rigueur apostolique et, quand ils quittaient une ville, ils portaient sur eux tout leur avoir. Aujourd'hui, ils ont de belles cellules et tant de biens dedans qu'il leur faut garder sur eux plus de clefs que n'en ont les marchands [Note : Vie de Saint Vincent Ferrier. Sermon de sanctis, édit. 1540, f. 99, v°. Histoire de Bretagne, par A. de la Borderie, t. IV].
Saint Vincent Ferrier reconnaît qu'il y eut dans notre pays une époque où le peuple était fort pieux, mais nous ne savons à quelle date la placer. Nous l'avons montré, nos compatriotes ne paraissaient pas très dévots au commencement du XIIème siècle, et notre vénérable thaumaturge, qui évangélisait la Bretagne en 1418-1419, se plaint de ses habitants, comme nous venons de le voir. Est-ce que le XIIIème et le XIVème siècles auraient été l’âge d’or pour l’Armorique ? Nous aimons à le penser. Dès le XVIème siècle, l’esprit du mal se fit sentir dans nos régions ; une deplorable licence, l’immoralité faisait rage dans les classes inférieures de la société, malgré une surveillance rigoureuse, les infanticides se multipliaient. En 1713, dans un égoût de la ville de Rennes, qu’on nettoyait, on trouva 80 cadavres d’enfants nouveau-nés. En 1733, deux enfants furent tués et un troisieme exposé, dans l’espace d’un mois. Indépendamment de malheureuses femmes qui vivent du crime dans, nos grandes villes, il n'était pas rare de voir des jeunes filles, abandonner leur famille pour courir à la suite des régiments ou des troupes de comédiens [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, CC-154. Société Archéologique d'Ille-et-Vilaine, an 1883, p. 24].
Nous ne sommes pas surpris de voir la justice sévir, avec rigueur contre des mères dénaturées, moins sensibles à la voix du sang que les êtres privés de raison. A Saint-Sulpice, une pauvre femme, nommée Perrine Mouton, se laisse suborner. Honteuse de son inconduite, elle espère échapper au déshonneur en dissimulant sa grossesse et en tuant son enfant. Bientôt dénoncée pour ce forfait, elle est traînée devant les tribunaux. Ne pouvant alléguer des causes atténuantes, elle est condamnée à mort le 28 juin 1614. Les juges de l’endroit paraissent avoir rendu cette sentence capitale sans en demander confirmation au Parlement. Le même-jour, vers 4 heures de l'après-midi, l'exécuteur criminel, Ollivier Gohin, et le greffier, Jehan du Moullin, la conduisent sur la lande de Chantepie où se trouvent les fourches patibulaires. Au pied de l'échelle, la criminelle est derechef réconciliée par Jacques Bonhomme, recteur de la paroisse. On sonne trois fois de la trompette et un sergent général lit la sentence à haute voix. En ce moment, on prie, Perrine Mouton de déclarer ce que bon lui semblera et d’aviser à son salut. Cette dernière confesse qu'une seule personne est cause de sa mort et refuse d'en dire davantage. Elle se recommande aux prières des assistants, puis elle est lancée dans l’espace quand elle à rendu le dernier soupir, son corps est descendu de la potence, brûlé dans un feu, pour ce allumé, et réduit en cendre [Note : Archives du parlement de Rennes, cour de Saint-Sulpice, justice criminelle H. 63]. Cette sentence et son excécution coûtèrent à la juridiction de Saint-Sulpice la somme de 93 livres 8 sols, 6 deniers [Note : Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/13, 63].
Un demi siècle plus tard, nous voyons le même crime se renouveler. Ysabeau Pivert, veuve de Pierre Lizé, demeurant à Vitré, faubourg Saint-Martin, se plaignait d’avoir une fièvre continuelle. Francoise Carré, qui la fréquenlait, la soupconnait d’être aposthumée d’enfant. Le 25 août 1661, vers la point du jour, cette voisine entendant des cris plaintif, se rendit chez la Rivert. Ayant remarqué des traces de sang sur le sol de la maison, elle comprit qu’il s'était passé quelques chose de grave, malgré les protestations de la veuve Lizé, qui assurait avoir saigné du nez. Ayant été informée qu’une fâchese rumeur circulait au sujet de cette affaire, la police accourut et découvrit dans la ruelle du lit un nouveau-né qui avait péri par strangulation. L’enfant fut porté au cimetière de Saint-Martin et la mère conduit en prison. Expia-t-elle sa faute au prix de sa vie ? Nous ne le savons pas, car nous n’avons point trouvé les documents qui concernant la suite de cette affaire. Il est probable qu’elle subit le même châtiment que Perrine Mouton [Note : Archives du parlement de Rennes, H63].
On avait commis un vol de chevaux et pillé le presbytère de Dingé (Ille-et-Vilaine). Mathurin Coudray, dit la Flache, et Jullien Rouyer de la Noë, convaincus d’avoir participé à ces crimes, furent appréhendés à Saint-Sulpice et conduits devant la juridiction de cette localité où ils s’entendirent condamner à être pendus et étranglés jusqu’à extermination de vie, le 18 mars 1620. Cette sentence confirmée par le Parlement, le 28 du même mois, reçut son exécution le 30 mars. Avant de payer leur dernière dette à la justice, ces deux brigands feront connaissance avec la torture ou question encore trop en usage à cette époque. On inflige la question préparatoire à un accusé pendant l’instruction pour lui faire avouer son crime, la question préalable à un condamné à mort pour lui arracher des révélations sur ses complices. La question préparatoire se divise en question ordinaire et question extraordinaire suivant qu’elle se prolonge plus ou moins longtemps, s’exerce avec plus ou moins de cruauté, de barbarie. Dans certains cas, la question durait cinq ou six heures consécutives, parfois elle ne dépassait guère une heure. En France, le mode de torture variait suivant le Parlement qui jugeait. A Paris, on employait les brodequins qui consistaient en deux petites planches épaisses et fortes dont on entourait les jambes du patient ; on enfonçait ensuite entre les planches et la chair, à coups de maillet, un nombre déterminé de coins de fer ou de bois.
Pour la question à l’eau, on attachait le criminel horizontalement, par les poignets et les chevilles, à des anneaux de fer, fixés au mur et au sol d’une chambre, et on lui glissait ensuite un tréteau sous l’épine dorsale pour que son corps fût roide et immobile. A l’aide d’une corne, formant entonnoir, pendant qu’on lui serrait le nez avec la main pour le contraindre d’avaler, on lui versait lentement dans la bouche 9 litres d’eau pour la question ordinaire, et le double, pour la question extraordinaire.
A Orléans, jusqu’à la fin du XVIIème siècle, on employait l’estrapade. Le patient, les mains liées derrière le dos, était élevé en l’air par le moyen d’une corde attachée à ses bras, puis on le laissait tomber brusquement jusqu’au niveau du sol, de manière à lui disloquer bras et jambes.
En Bretagne, on liait l’inculpé ou le condamné sur une chaise de fer qu’on appelait tourment, après lui avoir fait chausser des escarpins en cuir souple et soufré. On approchait alors graduellement le siège, au moyen d’un treuil ou de roulettes sur lesquelles il était monté, d’un feu incandescent allumé dans un réchaud. Les chaussures, au contact du brasier, s’enflammaient et causaient d’horribles brûlures. Au XVIIème siècle, le torturé, qu’il fit des aveux, des révélations ou non, était soumis au feu par trois fois différentes ; au XVIIIème siècle, on renouvelait ce supplice jusqu’à neuf fois. Nous anciens magistrats n’étaient pas tendres pour les malfaiteurs.
Nous revenons à nos voleurs. Dans l’après-midi du 30 mars 1620, nous les trouvons dans la chambre criminelle de la juridiction de Saint-Sulpice, devant Amaury Lecorre, lieutenant et juge ordinaire, assisté de Jean Lépinay, commis au greffe. Mathurin Coudray et Julien Rouyer se mettent à genoux et entendent la lecture du jugement confirmatif du Parlement. Avant de subir un nouvel interrogatoire, ils jurent de dire la vérité. On commence par écarter Rouyer que l'on conduit dans un autre appartement. Coudray, reconnaît sans peine qu’il a participé à la volerie du cheval de Jan Gandon, après quoi il chausse les escarpins et s'assoit sur le tourment. On le fait aprocher trois fois du réchaud. Une première fois, il s'écrie qu'il consent à être damné s'il n'a pas dit la vérité ; à la seconde épreuve, il assure qu'on lui fait perdre le sauvement de son âme ; à la troisième, il demande en suppliant qu'on ait pitié de lui, car, il a dit toute la vérité. On met un terme à ses souffrances et on introduit Julien Rouyez. Quand celui-ci a chaussé les escarpins, on l'approche du feu. Il crie alors vengance et affirme qu'il n'a rien à dire ; il demande en grâce qu'on ne le brûle pas. Soumis une seconde fois au supplice du feu, il pousse de grandes clameurs, il répète qu'il est tout brulé, qu’il est mourant. Prenant ses souffrances en considération, les tortionnaires ne l’inquiètent pas plus longtemps et se contentment de lui poser quelques questions qui restent sans réponse. Le lieutenant et le grefier se retirent après avoir confié les prisonniers aux bons soins du R. P. Verny, jésuite.
Ce religieux acceptait souvent la charitable mission d'assister à leurs derniers moments les condamnés à mort. Vers les quatre heures de l'après-midi, Amaury Lecorre et Jan Lépinay retournent à la chambre criminelle et trouvent nos infortunés voleurs en compagnie de leur vertueux et sympathique confésseur. Interrogés à nouveau, ceux-ci répondent qu'ils n'ont rien à révéler. Livrés à l'exécuteur des hautes œuvres, Pierre Pinet, ils se dirigent vers la lande de Chantepie où doit se consommer leur supplice. Parvenus au pied des fourches patibulaire, ils entendent une dernière fois la lecture de leur sentence et payent bientôt leur dette à la justice. Les biens des suppliciés sont confisqués et départis à l'abbesse de Saint-Sulpice [Note : Archives du parlement de Rennes, H63. Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/63, question et torture. Parfourn. Paul, in-8°. 1896, Imprimerie Simon. — Mémoire Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine, t XXV, an 1896. L’Ancienne France (justice et tribunaux) Firmin Didot, 56, rue Jacob, 1888, Paris. — Larousse, Dictionnaire, art. question et torture].
Nous allons maintenant voir passer devant nos yeux des rixes, des disputes plus malédifiantes les unes que les autres. Le 26 décembre 1552, troix joyeux compagnons se rendent après la messe dans une auberge de Saint-Sulpice où ils dînent et boivent copieusement. Après avoir absorbé plusieurs pots de vin, ils finissent par ne plus s’entendre. Les récits de l'époque ont livré leurs noms à la postérité : ils s'appellent Bouan Scorbin, la Vieuxville et la Tousche. Soudain, Bouan Scorbin s'avisa de dire à la Vieuxville : « Mon compère et ami, si vous ne voulez pas boire avec nous, descendez en bas ». Ce détail nous montre qu'ils se trouvent dans une chambre haute. La Vieuxville étant allé s'asseoir auprès de la Tousche, ce dernier le pria de boire. La Vieuxville, ne goûtant pas cette invitation, se hâte de répondre injurieusement : « Bran, toi, et ton vin ». La Tousche lui réplique avec aigreur : « Bran, pour vous aussi ! ». La Vieuxville, blême de colère, saisit un grand verre d'une chopine et le lance à la tête de la Tousche, qu'il blesse grièvement. Celui-ci passe ses mains sur sa figure, il est étonné de les voir se couvrir de sang. Aveuglé par la fureur, il se lève de table et veut évaginer (tirer son épée), mais l’hôtelier et les assistants l’en empêchent. Il se rue alors sur La Vieuxville ; Bouan Scorbin s’interpose et reçoit deux ou trois coups de dague à la gorge. Ce dernier, en voyant qu’il perd du sang en abandance, s'écrie : « Je suis mort ! La Tousche m’a tué ! ». La Tousché descend l’escalier et s'arrête au bas. Là, il outrage Bouan-Scorbin et veut l’empêcher d’avancer, avec ses dagues et épées, un frère de Bouan intervient et désarme ce forcené. On s'empare ensuite de la Tousche, qui est sans doute incarcéré ! Quant à Bouan Scorbin, qui se trouve en piteux état, on le met dans un bain, où il se confesse à dom Jehan Aubrée. Porté ensuite dans une chambre de l'abbaye il y demeure assez longtemps entre la vie et la mort malgré les soins assidus du barbier. Nous le voyons, les gens de cette époque étaient nerveux, ils ne craignaient pas de frapper d'estoc et de taille. Les discussions étaient d'autant plus dangereuses alors qu'on ne se faisait aucun scrupule de porter des armes. Nous admirons la charité des Bénédictines qui portaient secours aux victimes des ces fameuses batailles [Note : Archives du parlement de Rennes, H63].
En 1616, Jean Garnier et son épouse, Perrine Huet, habitaient le bourg de Mouazé. Ils étaient dans leur demeure quand Guy Besnard et son épouse, Jeanne Legendre vinrent leur réclamer des hardes qu’il avaient données comme gage d'argent prêté. Ils répondirent qu'ils les rendraient lorsqu'ils seraient payés. Besnard, blasphémant et jurant exécrablement le saint nom de Dieu, leur jeta des pierres par la porte et la fenêtre. Il criait : « par la tête de Dieu, je t'assassinerai aujourd'hui ! ? Je renie Dieu, si je ne te tue pas ». Pour la femme Huet, il la qualifiait de chienne ! de putain ! de double putain ! de prêtresse ! de fille de prêtre ! « Tu donnes, disait-il, tous les jours à dîner à un prêtre ! Par la tête de Dieu, je te tuerai ». Il cria ainsi pendant une heure et répéta les mêmes injures en traversant le bourg. Celui qui raconte cette scène, ajoute qu’on informa contre cet homme, si peu, correct dans son langage. Certes la chose en valait la peine ! [Note : Archives départ. d’Ille-et-Vilaine, 2H2/144].
La concorde ne régnait pas toujours entre proches voisins, comme le prouve le fait suivant. Mathurine et Perrine Picot, filles de René Picot, demeurant à la Barbotaye, en Chasné, étaient allées, entre 7 et 8 heures du soir, quérir de l’eau à la fontaine du village. Comme elles traversaient la cour du sieur Jehan Morel, la femme de ce dernier, Perrine Buffé, leur adressa d'atroces injures et les appela : putains ! S'approchant plus près, elle en vint aux voies de fait, les frappa à coups de pied et de poing et avec un bâton. Jehan Morel et sa fille Julienne, armés de faucilles à bois, de bâtons, de garrots, volèrent au secours de l'épouse et de la mère. Ces gens battirent tellement les deux jeunes personnes que nous avons nommées qu'elles restèrent longtemps gisante, au lit [Note : Archives du parlement de Rennes, H63].
On allait en pèlerinage à Mouazé prier le bon saint Eloi, pour lequel on avait une grande dévotion. La principale fête avait lieu le 26 juin, et ce jour-là on se rendait en foule aux pieds du bienheureux pour implorer son assistance, et cette ferveur, cette affluence, avaient donné naissance à une foire très fréquentée. Comme la chaleur était fort grande, on ne refusait pas de boire pendant le trajet, dans la bourgade et au retour. Le cidre, plus ou moins capiteux, qu'on absorbait en notable quantité, finissait par étourdir les plus sobres, les plus discrets, et à noyer leur raison. Aussi les incidents les plus regrettables ne tardaient pas à surgir. La fête se prolongeait parfois fort avant dans la huit, comme le montre le fait suivant. Jean Dubois, fauconnier de Mgr le vicomte du Chesnay de la Pinguelaye, se trouvait au bourg de Mouazé, le 26 juin 1626, vers neuf heures du soir. Tout à coup il fut assailli par Pierre Charles, des Quatre-Chênes, Pierre Moussot et Pierre Chaussonnière. Ils semblaient pris de vin, juraient et blasphémaient le saint nom de Dieu, en diverses sortes et manières. Ils se jetèrent sur lui l'accablèrent de coups de pied, de poing, de bâtons, en criant : « par la double tête de Dieu, nous te tuerons, si tu ne veux pas nous donner à boire ! ». Ces malfaiteurs lui dérobèrent six livres qu'il avait dans une de ses pochettes. Ces violences lui ont valu de nombreuses contusions et ont failli lui coûter la vie. S’il ne s'était réfugié chez Jean Besnard, l’aîné, les bandits lui auraient ravi l’existence ! Cette innocente victime demande justice contre ses agresseurs. Des témoins, dignes de foi, confirment ces accusations et attribuent ces outrages à des excès de boisson. Dans leur récit, ils montrent qu'on débitait des pipes de cidre sur le champ de foire. Nous ignorons quel fut le résultat de ces poursuites judiciaires [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/144].
Le 26 juin, 1642, en pareille circonstance, un nommé Gilles Boullay fut assassiné à Mouazé, au logis de Jean Lemonnier ; il avait reçu des coups de bâton sur la tête, que lui avaient assénés Julien Bertu, père, Guillaume et Julien Bertu, fils, Raoul Jugault, Pierre Paigné et un nommé Boullais. On appela le recteur, qui accourut en toute hâte, mais il ne put confesser la victime, même par signe, car elle n'avait plus de connaissance. Un témoin dépose que Philippe Bertu, de Saint-Aubin-d’Aubigné, avait une épée à la main et empêçhait les gens d'entrer dans la chambre où se passait cette terrible scène [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/144]. Nous devons avouer que les habitants de Saint-Sulpice et des environs n'avaient pas une charité angélique pour leurs semblables, nous les voyons à chaque instant exhaler leur mauvaise humeur en administrant de mortelles corrections. Le 7 août 1643, Etienne Charles passait par un pré, situé sur les bords de l'Islet, quand il rencontra le propriétaire, Pierre Garnier, qui lui en fit un crime et lui chercha querelle. Celui-ci le frappa si fort avec un bâton, qu'il portait à la main, qu'il en mourut. Son fils, Jean Charles, désolé d'avoir perdu son père d'une façon si tragique, demanda à la justice de le venger [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/144].
En 1685, nous entendons encore les funèbres échos du pèlerinage de Saint Eloy. Après avoir prié le bienheureux, si populaire dans tout le pays, et assisté à la foire, car le spirituel s’allie fort bien au temparel, nombre de personnes s'étaient rassemblées au village de la Motte du Puits, où l'on débitait du cidre, un tantinet capiteux. Soudain, une violente dispute éclata entre 20 ou 30 personnes ; on se frappait à droite, à gauche, on ne ménageait pas les coups de matraques, plusieurs têtes étaient fort malades. Parmi les plus cruellement traités se trouvent les frères Jean, Guillaume et Julien Georgeart, Mathurin Bohuon, Julien Barbedor, demeurant tous en la paroisse de Betton. Si le vin excitait la piété, il n'avait pas l'avantage d'entretenir la charité ! François Solio, chirurgien, alla visiter les blessés, qui avaient la tête enveloppée de linges. Le 1er juillet, Pierre Castel, alloué et juge ordinaire de la juridiction de Saint-Sulpice, fit enquête et entendit de nombreux témoins. Le 6 du même mois, Michel Huchet, Julien Chausse Blanche, François Picoult, Mathieu Gavard, Gille Guillou, Pierre Peigné, Pierre Havard, furent accusés d'avoir reconnu eux-même qu'ils étaient vigoureusement intervenus dans la bataille. Ils s'entendirent condamner à payer 60 livres aux Georgeart, 30 livres à Julien Barbedor, et 20 livres à Mathurin Bohuon [Note : Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 2H2/144].
Le vénérable Chapitre de Saint-Malo et les humbles moniales de Saint-Sulpice percevaient des dîmes à la Ville-ès-Nonais (Ille-et-Vilaine). Heureusement, ils ne les recueillaient pas eux-mêmes et les affermaient à des séculiers. Comme les moissonneurs des Bénédictines battaient dans un aire voisine de celle du Chapitre, ils ne purent s'empêcher d'invectiver les ouvriers des bons chanoines : on échangea des coups de râteaux et de fléaux. L'un des métiviers fut assez, grièvement blessé puisque sa guérison nécessita 30 livres de médicaments, 24 août 1674 [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/130].
Le fait suivant montre qu'on a apprécié les réjouissances dans tous les temps. Mme veuve Joseph Oresve, demeurant tout près de Bédé, recevait, un dimanche soir à sa table, ses métiviers, journaliers et charretiers ; elle voulait récompenser leur fidélité et leurs bons services. Après le dîner, on dansa jusqu'à huit heures. Un fâcheux incident se produisit alors et troubla la joie et la concorde qui n'avaient cessé de régner. A ce moment, Julien Martin, fils, réclama à Nicolas Houé, 29 livres qui'il lui devait, le menaçant de lui envoyer le sergent, le lendemain, s'il ne le payait sur-le-champ. Celui-ci emprunta cette somme à Mme Oreve et dit en la versant à son créancier : « Mon gars Martin, te voilà payé, maintenant, va te faire foutre ! ». Certes, ce langage n'était pas conforme au langage d'une saine politese. La fête n'était pas complète, on alla boire à l'auberge où pendait l'image de Saint Pierre. A dix heures, on quitta cette maison. Julien Martin s'en retournait dans la nuit avec un jeune homme ; lorsqu'il fut assailli par Nicolas Houé et son gendre, Pierre Depoix, qui lui enlevèrent son argent. Martin avait la figure en sang, il avait reçu des coups de pied et de bâton. La juridiction de la prieure du Thélouet prit des informations à ce propos (5 décembre 1714) [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/119].
En 1655, l'abbesse de Saint-Sulpice éprouva d'assez graves dommages contre lesquels elle protesta. Laurent Vauluisant, le jardinier du monastère, avait conduit et accompagné deux religieux Carmes qui allaient à La Guerche prêcher l'octave du Sacre. En revenant, il montait un cheval et l’autre suivait, attaché en queue. traversant la ville d'Acigné il fut assailli par 3 hommes qui lui enlevèrent de force le cheval qui marchait en arrière. Le voleur disait se nommer Aubault. On rechercha la bête de somme à Fougères., dans le faubourg Roger, à l'hôtel du Cheval-Blanc, chez le sieur Guérin. Ce dernier affirmait l'avoir achetée au sieur Aubault, marché qu'il avait passé de bonne foi, et pour l'avoir, il fallut dépenser 25 où 30 livres avec les autres frais. Laurent Vauluisant ne s’en tint pas là, il fit assigner les sieurs Aubault et Guérin pour payer ses débours et le dépérissement qu'il avait causé au cheval, du 25 mai au 23 juin 1655 [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/63].
L'abbesse faisait mener son harnais, ses bœufs et ses chevaux dans une prée, nommée la Madelaine. Le 4 octobre, au matin comme ils avaient, suivant la coutume, passé la nuit dehors, on trouva un cheval estropié, les épaules percées avec un fer pointu. C'était une perte de 100 livres. Elle acusa un sieur Cotherel et ses enfants, ses fermiers des Champs-Loriers, d'avoir commis ce méfait pour se venger de ne pas avoir obtenu le gain de cette prée qu'il possédait autrefois. Elle lui fit réclamer une, indemnité de 100 livres [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/63].
Nous arrivons à une criminalité spéciale que les bois répriment avec plus où moins de sévérité. La justice doit avant tout défendre la veuve et l'orphelin, protéger les faibles contre les puissants, la vertu contre le vice. Françoise Benoit demeurait, dans voisinage du prieuré de Sainte-Radegonde (Loire-Inférieure). Comme elle connaissait et affectionnait, trop, peut-être, un nommé Jean Nouvion, celui-ci abusa de l’influence qu'il exerçait sur cette femme pour l'entraîner au mal. Bien qu'il eût promis de l'épouser, il n'était point disposé à le faire. Grande était la désolation de Françoise Benoit ; elle ne vit point d'autre remède à son malheur que de le citer devant le tribunal du prieuré. Elle réclamait à celui qui l'avait subornée 200 livres pour couvrir les frais de la gésine [Note : Gésine, couches d'une femme], le 13 novembre 1634 [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/113].
En 1739, nous voyons une autre infortunée adresser une requête au sénéchal de la juridiction du Thélouet (Ille-et-Vilaine). Noëlle Jublan, car c'est ainsi qu'elle s'appelait, expose tout au long l'histoire de ses malheurs. François Toupé, un garçon du voisinage, n'a pas su se comporter avec dignité, quoiqu'il soit majeur. Pendant quatre ans, il l'a poursuivie de ses assiduités, de ses mauvais conseils. Quand elle allait à sa journée, le soir, il se portait à sa rencontre et l'accompagnait, jusqu'à sa demeure. Hélas ! après avoir longtemps résisté à ses perfides propositions, elle a succombé. Elle est aposthumée d'enfant et son séducteur refuse de l'épouser, comme il l'avait promis. Sa réputation serait fort compromise si elle n'avait pas pour elle la déclaration de sa Majesté, du 22 novembre 1730, et enregistrée, le 9 avril 1731. Suivant l'art. 2, cette loi condamne à mort celui qui a ravi l’honneur d’une femme, s'il ne consent pas à l'épouser, à règlement est parfaitement authentique, mais il exige que la victime, fille ou veuve, soit mineure, c'est-à-dire âgée moins de 25 ans. Noëlle Jublan ajoute que François Toupé, qui a abusé de sa confiance, n’est pas d'une condition supérieure à la sienne. Comme elle a toujours une grande tendresse pour lui, en dépit de son infidélité, elle supplie le sénéchal du Thélouet de le convoquer avec elle à sa barre. Ses explications sont précises, elle cite l'endroit où le crime a été commis et désigne l'hôtel de Ferronay, comme le lieu où son infortune a pris naissance. La confrontation fut fixée au 2 janvier 1739, à une heure de l'après-midi. Quelles furent les conséquences de cette curieuse affaire ? Nous l'ignorons. Il y a tout lieu de croire qu'il n'y eut pas de septence capitale et qu'un légitime hymen unit pour toujours ces imprudents. Il est clair que chacun de ces jeunes gens ne fut pas exempt de faute. Qui sait si la jeune fille n'avait pas songé à prendre dans ses filets son adorateur, avec l’appui des dispositions judiciaires. De nos jours, où la moralité ne brille pas d’un éclat spécial, le beau sexe pourrait abuser étrangement d'un pareil texte de loi [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/63].
Un autre fait, plus lugubre, se passe à Vitré, dans la nuit du 2 au 3 août 1742. Gilles Moriceau aimait une veuve et la courtisait. Au moment où il sortait de la maison de sa fiancée, un de ses rivaux l'avait attendu. Le rencontrant vers onze heures du soir dans une allée sombre du faubourg Saint-Martin, il le frappa d’un coup de baïonnette. Gilles Moriceau cria de toutes ses force : « Je suis mort ! Vite un confesseur ! ». Il alla tomber à 60 ou 80 pas plus loin, de l’autre côté de la rue, sur le terrain qui relevait du seigneur de la Trémoille [Note : Archives du parlement de Rennes, H63]. Si nous reconnaissons que les siècles qui nous ont précédés avaient leurs défauts et leurs défaillances, nous avouerons qu'ils se faisaient en général remarquer par un grand esprit de foi.
En Bretagne, on semblait avoir une sollicitude particulière pour le mineur qui avait perdu son père. Tant qu’il n’avait pas 25 ans, il ne pouvait contracter mariage sans avoir obtenu le consentement de la mère, de son tuteur et de ses proches parents, devant le juge de la juridiction locale. Il était défendu au prêtre, sous peine de nullité et des plus graves sanctions, de procéder à la cérémonie nuptiale, si cette formalité n'avait pas été observée, formalité que l'on connaissait sous le nom de décret de mariage. L'usage voulait que parents qui avaient désigné le tuteur fussent convoqués pour déclarer si le parti qui se présentait pour leur pupille convenait ou non. En général, le conseil de famille se composait de 12 membres, six, du côté paternel, et autant du côté maternel. Le 5 mars 1628, nous voyons Perrine Bourdelais, veuve de Bertrand Garnier, se présenter, avec son avocat et 8 de ses plus proches parents, devant le sénéchal du prieuré de la Ville-es-Nonais, assisté du procureur fiscal. Elle expose que son enfant mineure, Allonne Garnier, est recherchée en mariage par Briand Flaut, qui se trouve à cette réunion. Sans craindre de blesser la modestie du jeune homme, elle en fait publiqueinent l'éloge. C'est, dit-elle, un fort honnête garçon de bonne famille, qui vaut sa fille en bien et parentelle. Les personnes qui l’entourent approuvent sans doute ce langage, car pas une âme, ne s'oppose à union si désirée. Après avoir entendu ces témoins, légalement convoqués, le sénéchal décrète que le mariage projeté pourra être contracté selon les rites de notre Mère la Sainte Eglise, catholique, apostolique et romaine. Il permet à vénérable missire Bourdelais, prêtre, de célébrer les fiancailles, publier les bans, de procéder aux épousailles, quand bon lui semblera [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/129. Heurtel, La protection des mineurs dans le droit coutumier breton, in-8, Arthur Rousseau, éditeur, 14, rue Soufflot, Paris].
La justice considérait les prêtres, les curés des paroisses, comme ses auxiliaires naturels. En effet, quand un crime avait été commis, sur la réquisition du juge laïque, l’official diocésain leur envoyait un monitoire qui en faisait l'histoire et en signalait les auteurs présumés. Ce document, qui était lu du haut de la chaire, engageait les coupables à se livrer eux-mêmes et obligeaient en conscience ceux qui les connaissaiant à les dénoncer dans la huitaine ou la quinzaine. Si les criminels, leurs complices leurs fauteurs, ne répondaient pas à cet ordre, ils étaient frappés d'excommunication. Lorsque cette dernière cérémonie ne produisait pas l'effet qu'on espérait, on avait recours à l'aggrave, à la réaggrave, qu'on fulminait contre les mêmes, du haut de la chaire, avec des formes solennelles, « De l'autorié de Monseigneur, s'écriait le prêtre, nous les proclamons excommuniés, aggravés, réaggravés, forclos et frustrés des oraisons, de la communion, des sacrements et bienfaits de l’Eglise, par le son de cette clochette et l'extinction de cette chandelle ». En disant ces mots, le curé sonnait deux ou trois fois et, laissant tomber la chandelle à terre, il l'éteignait avec le pied [Note : A. Babeau, L’Eglise, la paroisse, sous l’ancien régime, 1873, Didier, 35, quai des Augustins, Paris].
Les Archives de Saint-Sulpice nous montrent que les choses se passaient ainsi et qu'on faisait appel au crédit vigilant du clergé quand il s’agissait de réprimer quelque scélératesse. On avait dérobé les titres qui constataient les propriétes du prieuré d'Estival [Note : Commune d'Avessac, Loire-Inférieure]. En 1606, Mathurin Blanchard, prêtre, licencié en l'un et l'autre droit, officiel de Nantes, commande de dénoncer, dans les quinze jours, les personnes qui les conservent, les cachent et les recèlent. Comme les Bénédictines avaient des biens à Avessac, Fégréac, Guémené et Plessé (Loire-Inférieure) le monitoire fut notifié dans ces localités. Le recteur de Plessé certifie qu’il l’a publié au prône de la grand’messe alors qu’un grand nombre de peuple était congrégé, assemblé, pour le service divin [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/67].
A Vitré, de vénérables et notables gens, Jean Farcy et son épouse, Julien Doudar, étaient décédés, le 30 janvier et le 9 février 1700. Après les funérailles, on fit apposer les scellés sur les coffres et les fermetures de la maison qu’occupaient les défunts. Plus tard, une héritière se présenta demandant à recueillir la succession. Mais à ce moment, quel ne fut pas l’étonnement de la police ! Elle remarqua que des voleurs avaient forcé les portes et enlevé une foule d'objets. Pour découvrir les maléfacteurs, le procureur fiscal s’adressa aux recteurs de Saint-Martin, de Notre-Dame et de Sainte-Croix, et les pria de publier des monitoires à ce sujet. Les témoins devaient donner leurs noms aux pasteurs de ces paroisses [Note : Archives départ. d'Ille-et-Vilaine, 2H2/31].
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