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L'ABBAYE DE LANGONNET DURANT LA PERIODE REVOLUTIONNAIRE

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Premier prélude : les Doléances. — Les débuts de l'Ere de la Liberté : vols avec effraction, pillage, déprédations. — Sécularisation et confiscation du Domaine. — Dispersion des Religieux. — La Curée, les acquéreurs des biens nationaux.

L'édit du 8 août 1788 convoquait les Etats Généraux pour le 1er mai de l'année suivante. Le parti national attribua cette hâte à la peur, et il avait raison. Malgré le Parlement et les Princes du sang, malgré l'avis de la majorité des Nobles, le Conseil du Roi fit décider la double représentation du Tiers.

Le règlement électoral du 24 janvier auquel le roi ne comprenait rien, pas plus que le ministre Necker, son rédacteur, donna lieu à une foule d'erreurs et à un gâchis inextricable. Là-dessus, les assemblées électorales se réunissent en février et déposent leurs Cahiers de Doléances. Le devoir le plus élémentaire du gouvernement était de faire l'opinion, surtout dans les campagnes ; mais le roi et les ministres persistèrent dans leur abstention, bien que des hommes très avisés les eussent invités à dresser un plan arrêté de concessions, de réformes, qui, au lieu de tout ébranler, consoliderait les bases de l'autorité légitime.

Le parti révolutionnaire en profita pour établir lui-même des cahiers-modèles ou recueils de doléances conformes à son esprit. On peut dire que, grâce à l'incurie et à la faiblesse du pouvoir royal, les Cahiers de 1789 furent un colossal truquage.

Les plaintes des paroisses de la Sénéchaussée de Gourin étaient bien bénignes et ne visaient guère que les agissements des officiers ministériels : contrôleurs, greffiers, huissiers, c'est-à-dire les agents les plus actifs de la cause révolutionnaire. — (CHANOINE MARTIN, L'Echo des Montagnes Noires, mars avril 1935, p. 11).

Toutefois, les cahiers du Tiers réclament l'abolition de la corvée, l'admissibilité à tous les emplois publics, l'établissement d'un impôt unique payé par tous et proportionnel aux revenus de chacun ; la confiscation, au moins partielle, des revenus des Commendataires et même de ceux des Moines, pour être affectés aux œuvres d'éducation et de bienfaisance [Note : « Art. 23. — Que les droits ou revenus attribués aux abbés commendataires et autres soient appliqués à établir des hôpitaux, des manufactures ou autres établissements propres à remédier à la mendicité ; Art. 24. — Que les corps Religieux ou Moines rentés soient, en tant que besoin, conservés et surtout ramenés à la pureté de leur institution primitive. Qu'après leur avoir assuré de quoi vivre frugalement et un entretien décent, leurs revenus soient appliqués comme à l'article précédent ; que pour les rendre utiles les Bénédictins soient chargés de l'éducation de la jeunesse et les Bernardins tenus à faire des plantations et défrichements comme il est de leur institution. » (Cahier des Réclamations, Plaintes et Doléances des gens du Tiers-Etat de la Sénéchaussée Royale de Gourin. 3 avril 1789. - Arch. du Morbihan, B. 2.403)] ; l'abolition du domaine congéable, etc.

Voici, par exemple, ceux de Langonnet :
Les habitants roturiers de la paroisse de Langonnet et sa trève de la Trinité, assemblés ce jour, trente mars mil sept cent quatre-vingt neuf, au nombre de huit cents, dans le cimetière de la dite Paroisse, aux fins d'assignation (prévotale) de hier, pour procéder tant à la rédaction d'un cahier de leurs plaintes ou doléances aux Etats-Généraux, qu'a l'élection de huit députés pour porter le dit cahier en la Sénéchaussée Royalle de Gourin, le troisième jour du présent mois, suivant l'assignation qui leur a été donnée par l'acte de notification des lettres de convocation du Souverain... aux dits Etats-Généraux, sont tombés d'accord sur les objets et articles qui suivent :
Article premier. — Ils adhèrent aux articles 1er. 2ème. 3ème. 4ème. 5ème. 6ème. 7ème, 8ème. 9ème. 15 et 16 des sentiments de MM. les officiers du Siège Royal de Gourin, en date du 12 janvier 1789 ;

Art. 2. — Ils demandent que les Rolles des impôts soient faits et rédigés de l'avis des Egailleurs nommés à cette fin par le général de chaque paroisse par tel commissaire qu'il élira pour les faire rédiger, que la Rédaction en soit faite en chaque paroisse et que copie en soit délivrée sans déplaire aux Egailleurs ;

Art. 3. — D'avoir la liberté de disposer des bois qui sont sur les domaines, comme les ayant plantés, nourris et conservés dans leurs terres ;

Art. 4. — Que les eaux-de-vie soient distribuées à un prix égal à tous les sujets du Roy dans la Province ;

Art. 5. — Que les corps des Ponts et Chaussées soient supprimés et qu'il y soit pourvu d'une manière moins onéreuse ;

Art. 6. — Que les corvées soient réduites à celles prescrites par les coutumes de la Providence et établies par les Titres ;

Art. 7. — Que chaque sujet ait la liberté de faire moudre son grain de consommation dans le moulin qu'il jugera à propos, ayant été jusques à présent soumis aux vols et au pillage des meuniers des moulins auxquels ils font mouture ;

Art. 8. — Que tous les Seigneurs à qui il est due rente en grain, la perçoivent en espèce et qu'ils n'aient point l'option de la percevoir autrement ;

Art. 9. — Qu'il soit fait un Règlement certain des mesures de chaque Seigneur pour la perception de leur rente en grain : d'aunes, pots, chaupines, balances et autres chauses semblables ;

Art. 10. — Qu'il n'y ait point d'incompatibilité pour l'exercice des offices de notaire et procureur, l'une étant sans l'autre insuffisante pour faire subsister et vivre l'officier qui en est pourvu ;

Art. 11. — Que les Seigneuries des Seigneurs soient continués dans leurs exercices accoutumés et ordinaires, comme étant moins coûteux aux vassaux, tant pour y plaider qu'à cause des journées et droits de greffe qui sont infiniment moins forts que ceux d'une juridiction Royalle.

Me Yves Le Clec'h, avocat au Parlement et Procureur fiscal de la juridiction de Langonnet. Me Nicolas Yves Le Clec'h, notaire Royal dit Thomas Le Clec'h, René Broustal, Yves Péron, Yves Le Bihan, Michel Beauroperts. Fr. Hamon pour Barthélémy Le Du, qui a déclaré ne savoir signer.

Il n'y avait là rien de bien inquiétant, mais les Cahiers du siège de la sénéchaussée, où l'on reproduisait presque textuellement les articles des bourgeois de Rennes, sauf ceux qui étaient trop subversifs pour cette région, furent bien différents. C'est pourtant ce factum qui fut présenté aux Etats-Généraux comme l'expression de la volonté du peuple. Pour lui donner une apparence d'origine populaire, on le fit signer par deux ou trois laboureurs absolument incapables de le comprendre, et par trois artisans de la ville disposés à devenir les hommes à tout faire de la Révolution.

Les délégués de chaque paroisse se réunirent à Gourin, le 3 avril, pour désigner les quatre électeurs qui devaient se joindre, le 7 courant, aux délégués des autres sénéchaussées, à Carhaix, en vue de nommer les deux députés attribués à la circonscription électorale : Quimperlé, Châteaulin, Châteauneuf, Carhaix, et Gourin.

Les délégués de Langonnet étaient : Michel Beauropertz, Yves Le Bihan, Barthélémy Le Du, Yves Péron et René Broustal. Ceux du Faouët : Jean-Marie Bargain, sieur de Praiville, notaire, marchand, procureur et syndic faisant fonction de maire ; le sieur Haute, marchand ; le sieur Georget, papetier et négociant ; Jean-Baptiste Laverge, de Saint-Fiacre, et Yves Bomin, de Trosalaün.

Parmi les autres dirigeants du Faouët, on signale : noble Maître Louis-Marie Le Gorgeu, sieur Duhellier, ancien avocat au Parlement, exerçant la juridiction, à défaut de Sénéchal pourvu ; Maître François-Hyacinthe Bargain, avocat au Parlement et Procureur fiscal ; Maître Jean-Marie Talhouarn, notaire royal et doyen des procureurs du Siège ; Maître Jean-Christophe Lorans, aussi notaire et procureur du dit siège ; Nicolas-François de Talhouarn, chirurgien ; le sieur de Bove ; le sieur Rousseau ( Julien-Marie), notaire et procureur de plusieurs juridictions ; Julien-Cyprien Hervéaut, marchand et armurier ; René de Maisonneuve, marchond. (Arch. du Morb., B. 2.403).

La signature de Bargain de Praiville et celle d'un des Talhouarn portent les trois points maçonniques.

Les quatre délégués élus furent : Messire Jean-Maurice-René-Marie Soueff, sieur de Montalembert, Conseiller du Roy, son Baillif et seul juge actuel de ce siège [Gourin ] ; noble Maître Laurent Caurant, avocat, substitut de M. le Procureur Général ; Maître François-Sébastien Le Gallic de Kergonan, notaire royal ; et subdélégué Maître Joseph-Marie Le Goarant de Tromelin, Procureur de notre siège.

Bien que cette nomenclature paraisse fastidieuse, la plupart des noms sont à retenir. On trouve ici, parmi les robins principalement, les protagonistes du mouvement révolutionnaire dans notre région.

Jusqu'à la Révolution, Le Faouët avait fait partie de la Sénéchaussée de Gourin. De très bonne heure, ses habitants furent acquis aux idées nouvelles, si bien que, pour les récompenser, leur petite ville devint, dans la réorganisation du territoire, le chef-lieu d'un très important district, comprenant presque entièrement les trois cantons de Faouët, de Gourin et de Guéméné. Il comptait exactement dix-sept communes. L'activité des administrateurs du District, parmi lesquels se distingua le curé constitutionnel, Mathurin Berto, fut considérable pour établir dans la région le régime nouveau [Note : Berto (Mathurin), né le 27 septembre 1740, ancien recteur de Motreff : curé du Faouët, Procureur-Syndic du District. En l'an IX, on le retrouve ministre du culte à St-Michel de Quimperlé. Il est porté sur la liste des notabilités départementales. Décédé en 1805, curé de Châteaulin. — Le citoyen Berto endossa quelques avatars dans sa nouvelle carrière, Un patriote zélé lui contesta le droit à l'encens ; le sieur Mathurin s'empressa d'en référer au Directoire de vannes, afin de savoir si on lui permettait, oui ou non, le privilège des encensements à l'autel ; il insistait pour une prompte réponse, l'affaire étant d'une extrême importance. On ignore malheureusement la solution donnée par le Directoire à ce cas épineux].

La première assemblée électorale eut lieu le 18 juin 1790, et fut précédée, sur l'invitation du maire, M. Haute, d'une messe solennelle, afin d'implorer le secours du Très-Haut et d'invoquer les lumières du Saint-Esprit.

« On est sorti au son de la caisse et de toutes les cloches pour se rendre à l'église paroissiale sur deux lignes : à gauche était M. le Maire et MM. les Officiers Municipaux ; à la droite, le Président, le secrétaire et les scrutateurs ; la garde Nationale renfermait l'assemblée sur deux autres lignes et la Maréchaussée fermait la marche ; ensuite, venait un grand concours de peuple. Rendus à l'église, on a chanté le Veni Creator, et on a dit la Messe du Saint-Esprit, à laquelle tout le monde a assisté avec la plus grande décence ».

Mathurin Berto fut élu Président par 22 voix sur 26 votants ; mais, dès l'année suivante, il fut remplacé par le curé de Langonnet, Louis Le Monze, et devint Procureur-Syndic. Ce fut alors le règne de la Robinocratie.

« Une bourgeoisie de légistes, nés au pays ou venus d'ailleurs : les Bargain, Bosquet, Rousseau, Talhouarn, Caurant, Le Goarant, Bazin, etc... qui, après avoir vécu dans le sillage des nobles et amassé les premiers éléments de leur fortune dans la poussière de leurs greffes, s'étaient ralliés de suite aux principes nouveaux, afin de liquider sans doute plus sûrement leur dette de reconnaissance.
Cette bourgeoisie grandira parmi les dépouilles des victimes de la conquête jacobine : véritable clan dans lequel se recruteront législateurs et magistrats, avec l'unique souci d'assûrer leur domination par l'extermination des privilèges, et par l'oppression des consciences.
Personne n'a plus largement profité de la manne féconde des Biens Nationaux. Personne non plus ne s'est appliqué avec autant de zèle à mettre eu pratique les décrets votés contre les partisans de l'ancien régime et spécialement contre les prêtres réfractaires. Chien qui ronge un os n'est pas accommodant »
.

***

Notre-Dame de Langonnet ne fut pas plus épargnée que les autres abbayes qui formaient la parure de l'ancienne France et, si elle a pu survivre au désastre, elle le doit à un concours de circonstances tout à fait providentiel.

L'imagination populaire a pris plaisir, suivant sa coutume, à dramatiser les événements : « Un soir, a-t-on dit, le cloître fut envahi par une bande venue de Plouray : le Prieur fut massacré avec l'un ou l'autre de ses Religieux ; les survivants prirent la fuite et on ne les revit plus, à part un ancien Frère, qui se fit bourrelier dans son pays natal ».

En vérité, légende que tout cela !

L'éviction des moines et la liquidation des biens de l'abbaye se firent sans aucune violence, d'une manière absolument légale, je dirais presque tout à fait décente au point de vue administratif. Les derniers occupants se virent contraints, par la force des choses, de quitter leur domicile, non pas précisément pour mettre leur vie en sûreté, mais enfin de se procurer les moyens de subsistance, tous leurs biens étant mis sous séquestre. Ils s'établirent provisoirement au Faouët, pour y attendre le règlement définitif de leurs pensions : et c'est là que nous les retrouverons.

Il sera plus facile de comprendre la suite des faits, si l'on veut bien considérer tout d'abord les mesures générales de sécularisation dans tout le pays et leur mode d'application. (Voir : P. DE LA GORGE : Histoire Religieuse de la Révolution).

La prise de la Bastille avait donné le signal des désordres à travers les Provinces, durant l'été de 1790.

« Puisque les Parisiens ont détruit leur forteresse, nous pouvons bien détruire les nôtres ! » se dirent les paysans, et ils se jetèrent sur les châteaux ; sur les abbayes aussi. On commença par saccager les forêts. Ce n'était encore que le prélude des bouleversements. L'abolition des privilèges, la suppression des dîmes, le rachat des droits féodaux ne pouvaient qu'exciter l'appétit.

C'est en vain que l'archevêque de Paris, Mgr de Juigné, déclarait, le 11 août 1789 : « Nous remettons toutes les dîmes ecclésiastiques entre les mains d'une nation juste et généreuse. ».

C'est en vain que l'archevêque d'Aix, au nom du Clergé, offrait spontanément 400 millions pour alléger les charges de l'Etat ; le spectre de la banqueroute, agité par Mirabeau, réclamait d'autres hécatombes. Sur l'initiative de Talleyrand, les biens du Clergé sont mis à la disposition de la Nation, le 2 novembre, et l'on procède aussitôt à leur sécularisation.

« Cette sécularisation comprend deux ordres de mesures, dit M. de La Gorce ; les unes atteignent la propriété ecclésiastique, les autres visent les Religieux consacrés à Dieu. On rend au siècle les biens d'abord, puis les personnes préalablement dépouillées. Les deux entreprises s'entrecroisent, s'entr'aident, en sorte qu'on s'autorise de ce que la maison est sous séquestre pour la vider de ses hôtes ; puis de ce que ses hôtes se dispersent pour consommer la spoliation ».

Mis à la disposition de la Nation, les biens ecclésiastiques se trouvent par le fait même sous la surveillance de l'autorité, mais l'Eglise en conserve provisoirement la jouissance. Bientôt on rassemble les états statistiques, on inventorie : les chefs des communautés doivent déclarer tous leurs biens dans le délai de deux mois et fournir l'état de leur personnel. Entre temps, sur la proposition de Treilhard, on vote l'interdiction des vœux de Religion, 13 février 1790, et chaque religieux est requis de déclarer sa volonté de sortir ou de rester dans le cloître. On leur promet à tous une pension. Finalement, les biens ecclésiastiques sont déclarés Biens Nationaux, leur administration est transférée à l'autorité civile, pour aboutir à l'aliénation pure et simple, 28 octobre 1790.

Déjà le 28 octobre 1789, un décret, surpris en une fin de séance, avait suspendu à titre provisoire l'émission des voeux solennels dans les monastères. Le 13 février 1790, l'interdiction devenait définitive. Quant aux vœux anciens, le pouvoir civil devait désormais les ignorer et ne plus en assurer le respect. Enfin un regroupement des religieux dans un petit nombre de maisons était ordonné. L'évacuation des couvents désaffectés ne suscite point d'agitation. Beaucoup de villes et de villages avaient demandé par voie d'adresse, le maintien de leurs Abbayes. Les sympathies n'allèrent pas au-delà.

Ce n'étaient encore que des escarmouches. L'assaut véritable fut livré au printemps de 1790, lorsque le comité ecclésiastique de l'Assemblée eut terminé son rapport. Les plus importants de ses membres étaient des avocats, et plus particulièrement d'anciens avocats du Clergé. Ils ont plaidé procès de dîmes, de succession, de mitoyenneté ; à ce titre, « ils n'ont pénétré le monde ecclésiastique que par ses petitesses, ses rapacités, ses compétitions vaniteuses. N'ayant vu que quelques dossiers pleins de misères, ils sont persuadés que toute la vie cléricale n'est que la répétition de ces mêmes dossiers. Et, peu à peu, leur est née l'idée de l'affranchir et de la renouveler par un retour à la simplicité primitive. Du même Comité font encore partie un Évêque effaré qui n'y paraît plus, quelques timides abbés dociles, dans l'espoir que leur docilité sera récompensée ; et, pour le reste, des légistes rogues et austères qui veulent réduire les prêtres au rôle subordonné d'officiers de morale et d'instruction, selon la formule de Mirabeau et l'esprit du Vicaire Savoyard. De la collaboration des légistes et des Jansénistes sortit le projet de Constitution Civile, qui fut déposé le 21 avril, discuté à la fin de mai, voté article par article avec de sensibles modifications dans le courant de juin, adopté dans l'ensemble et soumis à la ratification du roi le 12 juillet ». — (PIERRE GAXOTTE : La Révolution Française, Chap. VII, pp. 167-170).

Ceux contre qui l'Assemblée venait de forger tant de lois avaient passé, depuis un an, par tous les effarements de la tranquillité troublée, par toutes les émotions de la colère, par toutes les transes de la peur, par toutes les angoisses pour leur vie religieuse menacée.

Vers le commencement de mars arriva un questionnaire à remplir. On réclamait, pour chaque établissement, sa règle, l'objet de son institution, les noms, prénoms et âge de tous ceux qu'il abritait. Cette enquête du Comité Ecclésiastique se faisait par l'intermédiaire officieux des Evêques. Ces statistiques étaient à peine parties quand, au mois d'avril, on vit paraître les officiers municipaux. Ils venaient, en vertu d'un décret du 20 mars, pour l'inventaire d'abord, puis pour l'interrogatoire. C'était la seconde inquisition, suivant de près la première. Un peu plus tard, les délégués des administrations du District ou du Département se présenteront pour le même objet.

Après l'inventaire, les interrogatoires. D'une manière générale, ce qui domine dans les déclarations des religieux, ce n'est ni la ferveur, ni l'apostasie. Sommés d'opter entre la vie séculière ou celle du cloître, ils ne répondent ni oui ni non. Ils souhaitent pour la plupart garder la vie religieuse, mais, disent-ils, « autant qu'ils le pourront ». Au lieu de s'expliquer, ils interrogent : « Où irons-nous ? Resterons-nous dans le même couvent ? ». Ils demandent encore s'ils auront une pension ? Quel en sera le chiffre ? Où elle leur sera payée ? Les pauvres moines, dans leur langage, se peignent su le vif, ni héros, ni renégats, mas réveillés en sursaut de leur tiède quiétude.

Ils hésitent ; ils ne comprennent pas ; il ont besoin de se reconnaître ; ils se raccrochent à tous les moyens pour assurer leur avenir.

La loi du 14 avril 1790 avait transféré aux autorités civiles l'administration des biens ecclésiastiques. A défaut de fermages, de dîmes, de rentes, des pensions avaient été ou seraient votées; mais elles ne seraient payables qu'au premier janvier 1791. Aussi, des monastères arrivent aux Directoires de Département ou de District des appels lamentables. La pension, d'abord jugée humiliante, apparaît comme un bienfait. Les solliciteurs sont prêts à tous les sacrifices, afin d'assurer ce suprême moyen de subsistance.

A la fin de l'automne 1790, sur les murailles furent apposés les placards qui annonçaient les adjudications. Il arriva que ceux qui étaient chargés de présider ces adjudications furent acquéreurs par personnes interposées : ce fut le signal de la curée.

Tel est, en résumé, l'ensemble des mesures administratives qui assurèrent, au cours de l'année 1790, la confiscation des biens ecclésiastiques.

A Langonnet, les choses s'effectuèrent comme partout ailleurs, mais dans un très grand calme ; et, il faut le dire, avec une certaine urbanité. Sans doute, les richesses de l'Abbaye offusquaient nombre de gueux, et quelques exaltés escomptaient le départ des moines pour s'emparer de leurs dépouilles ; mais la partie saine des populations rurales, c'est-à-dire la majeure partie du peuple, ne partageait nullement ces instincts de déprédation.

D'une manière générale, les religieux étaient grandement estimés, en raison de leur vie régulière et de leur générosité. Les gros revenus de l'Abbaye profitaient surtout au public. On y faisait large part aux miséreux et, sans parler du nombre de paysans qui vivaient de l'exploitation des terres, combien d'autres : officiers de justice, gardes-forestiers, meuniers, artisans de tout métier, profitaient à leur manière du domaine abbatial. Aussi la Municipalité de Langonnet considère, à bon droit, les religieux comme la Providence des indigents de toute la région. Elle ira même jusqu'à réclamer, dans son Cahier des Remonstrances, le maintien des justices seigneuriales, parce qu'elles sont moins coûteuses aux vassaux, tant pour y plaider qu'à cause des journées et des droits de greffe, qui sont infiniment moins forts que ceux d'une juridiction royale.

La bienfaisance était assurément la vertu dominante des Cisterciens bretons, aussi bien à Carnoët qu'à Langonnet. Aussi, quand il est question de chasser les religieux de St-Maurice, le Procureur-syndic, Michel Delliou, recommande aux délégués de se montrer « bien polis pour ces Messieurs qui sont très bons », et il ajoute : « Si les Ordres Religieux sont supprimés, ce sera une grande perte, tant pour les pauvres de cette paroisse que pour ceux des paroisses circonvoisines, puisque ces Messieurs distribuent au moins 500 livres pesant de pain par semaine, non compris les aumônes journalières, pécuniaires et autres soulagements qu'ils procurent aux malades ».

Le recteur de Clohars, M. Gorgeu, leur rendait à son tour le meilleur témoignage : « Les religieux de St-Maurice soulagent par des aumônes abondantes et multipliées les pauvres de ma paroisse et des paroisses avoisinantes, et ils les édifient par leur conduite très régulière ».

Les municipaux de Langonnet : Le Bihan, Hamon et Broustal, appréciaient au même titre la générosité des moines, quand après avoir approuvé les comptes, à la fin de décembre 1790, ils exprimaient le vœu qu'on leur donnât décharge d'une somme de 800 à 900 livres, en raison de ce qu'ils avaient dépensé pour l'assistance aux pauvres. En effet : « Les religieux ont continué de distribuer l'aumône comme l'ordinaire durant la présente année avec la plus grande exactitude ; ce qui constitue pour eux une lourde charge, vu la grande quantité de pauvres qui se rendaient tous les mercredy, et égard la grande chaireté des bleds qu'ils étaient obligés d'acheter pour faire la dite aumône, attendu qu'ils n'avaient point reçues leurs rentes ».

On ne s'étonnera pas, après cela, des ménagements qui furent déployés à leur égard dans l'application des Décrets. D'abord les commissaires et délégués, les procureurs, notaires, huissiers, greffiers, et autres agents étaient pour la plupart des obligés de l'abbaye. Les mesures officielles furent dirigées par deux prêtres constitutionnels : le curé de Langonnet, Le Monze, président du conseil général, et le curé du Faouët, Berto, procureur-syndic [Note : Le Monze (Louis), né au manoir de Kérédan en Telgruc, Finistère, le 8 février 1747, de Maître Louis Le Monze et de Jeanne Riou. — bachelier en Sorbonne, — professeur de Philosophie au Collège de Quimper, — curé de Langonnet, 27 février 1789, — officier municipal et receveur de la contribution patriotique. Président du District du Faouët. Professeur de mathématique à l'Ecole Centrale de Quimper. Elu Curé de recouvrance (Brest), le 17 septembre 1800 par 125 voix sur 152, il n'accepte pas et continue ses fonctions de professeur, Décédé le 4 mars 1801 (13 Ventôse, an IX). Le curé de Langonnet ne manquait point de talent ; il fut même proposé pour l'évêché de Vannes ; du moins le bruit en courait dans la région : « Vous m'annoncez que Monsieur de Langonnet est évêque de Vannes. J'en doute, car on dit ici que c'était Monsieur de Pontivy [l'abbé Guégan, député à l'Assemblée Nationale] et qu'on dit avoir remercié ; ce dont je le loue, tout jureur qu'il est. Si Monsieur de Langonnet accepte sans entrer par la porte latine, mon estime pour lui tombe, malgré tous ses talents » [Lettre de M. Galliot, recteur de Nevez, à M. Le Goff, son successeur au Saint. — 17 mars 1791]. De fait, c'est le citoyen Le Masle qui fut élu évêque du Morbihan, « eskob plouz », évêque de paille, disaient les bonnes gens, qui terminaient leur Pater par cette invocation de circonstance : « délivrez-nous du Masle. Ainsi soit-il ! »]. Ces deux ecclésiastiques accomplirent leur mission avec d'autant plus de réserve, qu'ils avaient à se conformer soigneusement aux instructions venues du Département.

Nous voyons, de fait, les autorités départementales témoigner à nos moines une vive sollicitude ; et la raison en est très simple. Le procureur de l'Abbaye avait pour frère Dom Pierre-Jean Le Breton, ex-Prieur des Bénédictins de Redon, député à l'Assemblée Nationale et secrétaire général du Comité Ecclésiastique. C'est lui qui intervient personnellement en faveur des moines chaque fois qu'il est nécessaire, et qui prend soin de stimuler les agents du département, aussi bien que ceux du district ou de la municipalité. Nous voyons son obligeance se manifester à l'occasion des premiers troubles.

Dès le début de 1790, les biens de l'Abbaye, mis à la disposition de la Nation, se trouvent par le fait même placés sous la surveillance des autorités. La présence des religieux est tolérée provisoirement, jusqu'à ce que leur sort soit réglé, mais ils ne peuvent plus toucher aucune redevance ; non seulement il leur est défendu de s'approprier quoi que ce soit, mais, en outre, ils sont tenus responsables de tous les dommages ou préjudices causés à la propriété dont ils conservent la jouissance à titre précaire, et c'est là pour eux une source perpétuelle d'appréhensions. En effet, depuis la tentative d'incendie du 4 février 1788 attribuée à la malveillance, la haine de quelques particuliers n'avait point désarmé ; de perfides insinuations étaient répandues parmi les vassaux ; les plus violents ne se contentaient point de jeter des regards de convoitise sur les biens des moines, ils s'enhardirent à commettre quelques méfaits, à tel point que ceux-ci, pris de peur, durent réclamer assistance et protection.

« Les Religieux vivent dans les plus grandes appréhensions, par suite des différentes attaques faites contre leur Maison. Eloignés de tout secours, ils ne peuvent défendre les biens, dont ils sont responsables devant la Nation, et prient les commissaires de prendre les mesures nécessaires pour empêcher la récidive. Dans le grand dénuement où ils se trouvent, sans argent et sans ressources, ils auraient grand besoin pour subsister de faire rentrer les arriérés, mais les débiteurs se refusent par une ligue condamnable à l'acquittement de leurs prestations. Le Procureur fiscal, Yves Le Clec'h, déclare qu'il ne peut, rien contre eux, car ils ont menacé de mettre le feu à sa maison et de lui casser la tête. » (Extrait des Minutes du Greffe de la Municipalité de Langonnet. — 21 juin 1790).

Dans leur détresse, les religieux n'hésitèrent pas à s'adresser directement à l'Assemblée Nationale, par l'intermédiaire de leur ami Le Breton. Voici la suite des faits qui motivaient ce recours :

Le bruit avait couru dans le pays, que le régisseur de l'Abbé Chevreuil, M. de Toulgoët, devait faire enlever, durant la nuit, les blés qui se trouvaient en réserve dans le grenier de l'abbatiale. Aussi, le 9 mai, vers les sept heures du soir, plusieurs habitants s'attroupèrent devant les portes de l'abbaye, déclarant qu'ils s'y opposeraient par la force. Deux de ces individus accusaient les moines de se livrer au trafic des blés pour les faire passer à l'étranger. C'était d'ailleurs le mot d'ordre donné par les fauteurs des troubles : « Sus aux accapareurs ! » [Note : L'Ordonnance du 23 avril 1789, promulguée par l'intendant Dufaure de Rochefort, à l'instigation de Necker, obligeait tous les propriétaires, fermiers, marchands ou autres dépositaires de grains, à garnir suffisamment les marchés du ressort dans lequel ils étaient domiciliés. Cette mesure radicale était plus dangereuse que le mal qu'elle prétendait guérir : la crainte de la disette. Des émeutiers, gens sans aveu, jettent le trouble, crient à l'accaparement. Tout transport, tout enlèvement de blé, même dans l'intérieur des terres, devient impossible]. Le procureur, D. Le Breton, assisté de D. Derrien, qui parle leur langue avec plus de facilité, s'efforce de calmer les mutins, disant qu'il est d'accord avec eux pour que les provisions ne soient pas enlevées « et qu'il serait plus convenable que les blés fussent vendus dans le pays, où la disette commençait à régner ». Les mécontents finirent par se disperser, espérant une meilleure occasion. Ils n'attendirent guère. Dans la nuit du 10 au 11, quelques-uns réussirent à pénétrer dans la boulangerie pour enlever un sac de farine. N'ayant pu réussir à fracturer la porte, ils étaient passés par une fenêtre, après avoir descellé un barreau de fer. Ils reviendront encore dans la nuit du 22 au 23 pour s'introduire, en forçant les portes, dans les greniers du magasin, afin de soustraire douze mesures d'avoine, quatre mesures de blé noir et le reste de seigle.

Ce n'est pas tout : une grande partie des ustensiles de la forge ont été volés, parmi lesquels une meule à aiguiser, ainsi qu'un étau valant au moins 2 louis ; les soupentes d'une voiture ont été endommagées dans le hangar. On coupe les bois dans l'enclos, à la faveur des ténèbres, et on les enlève même de la cour. D'autre part, les riverains emploient la violence et brisent les clôtures, pour introduire leurs bestiaux dans les prairies, disant que les moines n'y ont plus droit, mais bien la Nation. Aussitôt avertie, la brigade du Faouët fait une enquête sur les lieux et dresse procès-verbal. La Maréchaussée constate le vol de farine avec tentative d'effraction à la boulangerie. On saisit un poulain, qui paissait dans la prairie avec une jument grise, laquelle s'est échappée. Le poulain appartient à Pierre Michel, métayer de Parc-Alix, qui le reconnaît, mais jure ses grands dieux qu'il n'a point mis ses animaux dans la pâture. Vaines dénégations, puisqu'on découvre chez lui les débris d'une clôture en claire-voie de bois peint en vert avec lesquels on entretient le feu pour cuire la bouillie.

« Les Religieux nous ont fait part, dit le procès-verbal, des désagréments qu'ils éprouvaient, depuis quelque temps, dans leur maison, de la part de gens malintentionnés et de leurs voisins ; presque tous les jours, les voleurs rôdent autour du magasin à bled ». — (Archives Nationales, D. XIX, Carton 56, N° 195, f. 15-22).

Le sieur Bargain rédige en conséquence le texte d'une adresse, qui sera expédiée en double exemplaire aux députés Le Breton et Coroller, chargés de la présenter à Nosseigneurs de l'Assemblée Nationale.

Après avoir exposé en détail les actes de malveillance que nous connaissons déjà, et qui font le sujet de leurs doléances, les suppliants ajoutent :

« Ce brigandage sera sans doute bien répréhensible à vos yeux ; c'est un attentat à vos Décrets, qui ont mis tous les biens ecclésiastiques sous la sauvegarde de la Nation ; mais en même temps ces Décrets rendent les Religieux, comme dépositaires, responsables des objets dépendants de leurs couvents ; dans ces circonstances, dans un lieu isolé parmi les bois et les forêts, éloignés de tout secours et de toute communication, comment les Religieux de Langonnet pourraient-ils veiller avec succès au dépôt qui leur est commis ?

Vous voyez, Nosseigneurs, que malgré tout leur zèle, quelques faibles Religieux ne sçauraient s'opposer aux efforts d'un peuple effréné, qui n'a jamais passé pour être facile à conduire, et qui se laisse entraîner par de mauvais conseils.

L'on répand que l'on doit enfoncer les portes du Couvent et le mettre au pillage, tantôt que l'on va mettre le feu pour tout consumer ; les exemples trop récents de pareils malheurs répandent avec raison la consternation et les plus grandes alarmes dans les cœurs des exposants, qui ne peuvent d'ailleurs avec sécurité faire rentrer aucun des revenus et arrérages de la Manse conventuelle, les vassaux étant convenus ensemble de ne rien payer.

Dans la perplexité où ils se trouvent, ils ont recours à votre protection paternelle et vous supplient de leur permettre de se retirer sans délai d'un lieu où leurs jours sont en danger, et où ils ne peuvent donner leurs soins à la garde qui leur a été confiée. Ils attendent avec impatience, de votre sollicitude et de votre justice, un Décret qui, en mettant en sûreté les Biens de la Nation, mettent également les exposants à l'abri de toute entreprise, qui puisse faire suspecter leur exactitude ou exposer leur existence ».

Ce document est daté du 20 mai 1790. Trois semaines plus tard, le Comité ecclésiastique s'adresse à la municipalité du Faouët et la charge d'employer, conjointement avec celle de Langonnet, toute l'autorité dont elle est revêtue pour assurer le repos et la tranquillité des religieux de Langonnet, et faire punir les coupables, si on réussit à les découvrir (1 1 juin). Des instructions précises, dans le même sens sont envoyées aux administrateurs du Département du Finistère, à Quimper :

« Le Comité ecclésiastique, Messieurs, désirant pourvoir à la sûreté et à l'assistance de Messieurs les Religieux de l'Abbaye de Langonnet, vous prie de prendre connaissance de l'état actuel de cette Maison, et d'aviser, dans votre sagesse, au moyen de procurer aux Religieux le repos et la tranquillité qu'ils ont perdu. S'il n'y a point de sûreté pour eux dans l'abbaye, et que vous leur permettiez de se retirer, dès à présent, dans leur famille, vous voudrez bien, Messieurs, leur faire payer sur les Revenus de leur Abbaye les Pensions décrétées par l'Assemblée Nationale » (19 juin).

Déjà, à la date du 24 mai, la municipalité de Langonnet s'était transportée à l'Abbaye pour une première enquête. Cette Commission comprenait le maire, M. Le Bihan, de Ninijou, assisté des sieurs Yves Hamon et René Broustal, officiers municipaux, Jean-Barthélémy Le Du, procureur de la Commune, Me Nicolas-Yves Le Clec'h, notaire royal, greffier et secrétaire de la dite municipalité. Le 12 juin, en vertu des ordres émanés de l'Assemblée Nationale, une nouvelle commission se rend sur les lieux. Le procureur déclare « ne pouvoir faire aucune suite, n'ayant pu jusqu'ici reconnaître les coupables, mais le Maire proclame officiellement que les biens de l'abbaye sont placés sous la sauvegarde de la Nation, ainsi que les personnes des religieux ».

Ces mesures de répression n'étaient pas inutiles, car les paysans enthousiasmés par l'abolition des droits seigneuriaux et la suppression des dîmes, se figuraient trop facilement qu'ils avaient acquis désormais la libre disposition des terres et des bois, devenus propriétés nationales, puisqu'ils étaient eux-mêmes la Nation. Ils furent vite détrompés, et c'est avec rage qu'ils virent apparaître les agents du fisc, chargés de recouvrer les impôts, comme s'il n'y avait rien de changé, si ce n'est qu'au lieu de porter les redevances au Seigneur ou à l'Abbé, on devait les remettre au receveur du District.

A la fin de 1790, les moines, interrogés par le sieur Berto, ne se plaignent d'aucun pillage à la Maison et sur leurs terres : mais ils ont ouï dire que l'on pillait journellement les bois de Conveau et que l'on enlevait même des charretées de bois. Aussitôt, on augmente le nombre des gardes forestiers ; défense est faite au sieur Chupeau, officier de santé de Carhaix, d'abattre les arbres qui se trouvaient sur le placître de Ker-Lambras, en Langonnet (Grand-Borin), et la Maréchaussée reçoit l'ordre d'arrêter tous les pilleurs des bois.

Ces mesures n'arrêtèrent point les déprédations, car, le 7 janvier 1791, le District du Faouët écrit aux municipalités de Langonnet et de Plouray : « Nous apprenons avec une vraie sensibilité qu'il se commet, de jour et de nuit, des dégâts, dévastations et vols considérables, dans les forêts dépendantes de l'abbaye de Langonnet » (Arch. du Morbihan, L. 992).

Il leur prescrit de veiller à la conservation de ces propriétés sacrées à la Nation et d'y employer leur garde nationale [Note : Plus tard, quand le sieur de Najac sera devenu gros propriétaire, il fera interdire aux pauvres gens de ramasser du bois sec, dans sa forêt, sous peine de prison].

Les huissiers étaient particulièrement odieux aux contribuables, qui les recevaient à coups de fourche. Le 19 août 1791, Jean Hingant déclare qu'il s'est rendu « en la demeure d'Yves Vétel, demeurant au village de Botquelvé, Trève la Trinité, pour opérer un saisie de meubles et immeubles à défaut de paiement et signifier exploit à Jean Gled, au lieu dit du Guern-hir... ».

Et il ajoute :
« Je n'ai jamais été plus surpris que de voir Yves Vétel, fils, demeurant avec son dit père ; Yves le Corre, du dit Guern-hir, accompagné de sept à huit autres quidam à nous inconnus, armés de fléaux, entrer en la demeure du dit Le Gled, jurant et blasphémant le nom de Dieu, et nous demander ce que nous faisions dans le canton ; à quoi je répondis, en présence de mes dits assistants — Thomas Savary et Michel Guillemot, — que j'y étais pour la dixme et autres objets ; à quoi le dit Vétel nous répondit qu'il allait nous les payer sur-le-champ à coups de fléaux, et que nous fussions, retournés au Faouët... et moi et mes dits assistants, nous voyant en danger de perdre la vie, nous taschâmes de nous sauver vers le Bourg de Langonnet ; et ce que voyant, les dits Vétel, le Corre et autres, ils nous poursuivent quelque temps, toujours armés de leurs fléaux et de pierres, criant « Aux voleurs ! Aux coquins ! Il faut leur casser la tête, afin qu'ils ne viennent plus nous tracasser » ; et disant qu'ils ne devaient rien à personne, qu'ils ne reconnaissaient pas de maître ; qu'ils se moquaient de toute garnison, et qu'ils auraient renversé tout, district et autres ; qu'enfin ayant parvenu à nous rendre au dit Bourg de Langonnet, et, entré avec mes dits assistants, en la maison de François Le Dour, aubergiste y demeurant, j'ai de tout ce que dessus fait et rédigé le présent procès-verbal de rébellion... ».

On voit par là que les anciens vassaux de l'Abbaye ne se montraient pas mieux disposés à l'égard de leurs nouveaux maîtres ; aussi les déclarations faites par le maire de Langonnet ne paraissent pas avoir produit beaucoup d'impression, puisque le second vol se produisit dix jours après la descente de la maréchaussée, pendant que la municipalité procédait à un premier inventaire du mobilier (20-25 mai). Dès le mois suivant, les moines renouvellent leurs sollicitations pour être autorisés à se retirer en lieu sûr. C'est ce qui ressort d'une supplique adressée au Département par leur Prieur, à la date du 24 juillet 1 790 :

« Pour nous conformer aux ordres donnés au Procureur de l'abbaye de vous faire passer, le plutôt possible, une requête en nos noms, nous nous empressons d'y souscrire d'autant plus volontiers que nos jours sont exposés plus que jamais. Je ne m'arrêterai point à vous exposer derechef les vols, les brigandages et les menaces qu'on n'a cessé d'exercer contre nous depuis plus de six mois : tous ces faits sont trop notoires ; mais hier, en revenant d'une visite que j'ai rendue à M. Bosquet, Membre du Département, j'ai appris chez M. Le Clec'h que les habitants de la Trinité venaient de chasser à coups de pierres un huissier et un cavalier que M. Kervant, de Gourin, avait envoyés pour faire payer nos arrérages... Sur les représentations qu'on a faites à ces habitants qu'ils s'exposaient par leur mutinerie à recevoir 500 hommes de troupe, pour les mettre à la raison, ils ont répondu que les moines seraient sacrifiés avant, et que 2000 hommes ne viendront pas à bout de les réduire, parce qu'ils ont fait serment de ne pas payer et qu'ils verseront plutôt jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour se défendre mutuellement.

Vous sentez parfaitement, Monsieur, que de semblables discours ne sont point faits pour rassurer six religieux, dans le milieu d'une campagne et éloignés de tout secours. C'est pourquoi nous vous supplions, avec les plus vives instances, de vouloir bien acquiescer à nos demandes, afin que nous puissions nous retirer le plutôt possible en lieu de sûreté et nous mettre en même temps à l'abri des reproches que nos supérieurs ecclésiastiques pourraient nous faire dans la suite : chose que vous pouvez facilement, en procurant à chacun de nous un certificat qui constate que des raisons majeures nous ont forcés à sortir de nos cloîtres ». — (Cfr. CHANOINE LE MENÉ : Les Abbayes du Diocèse de Vannes. — Langonnet).

C'est donc au milieu de transes perpétuelles que les malheureux Bernardins durent assister, l'année 1790, aux opérations qui préparaient leur spoliation définitive. Les commissions se succèdent : on procède aux inventaires et à l'apposition des scellés ; les biens, devenus propriété de la Nation, sont soustraits à la régie des religieux et la garde en est confiée provisoirement à quelques domestiques. Les occupants ne peuvent plus disposer de rien, ni toucher aucune redevance. Sans doute, on leur promet une pension de 900 l., mais, avant de la recevoir, ils doivent fournir des pièces justificatives, rendre leurs comptes, livrer leurs titres, déclarer qu'ils n'ont rien soustrait des biens de la communauté, opter pour ou contre la sortie du cloître, puis finalement attendre que les Directoires soient disposés à payer et surtout qu'il y ait de l'argent dans la caisse du District.

Dès le mois de janvier, les commissaires se présentent pour apposer les scellés sur les archives : en réalité, ils n'ont qu'à constater le bon état de conservation des cachets, qui avaient déjà été posés précédemment, par mesure de précaution, après l'incendie de 1788. Les ouvriers étaient encore occupés à la restauration de la partie endommagée. En mai, la municipalité de Langonnet procède à une première expertise détaillée du mobilier : argenterie, linge et autres meubles, matériel de la ferme, ce qui lui demande quatre journées pleines, 20, 21, 22 et 25 mai. Une nouvelle commission apparaît pour procéder à la vérification exacte de l'état financier, c'est-à-dire de l'actif et du passif de la Manse conventuelle ; à cet effet, le Rentier de l'abbaye et toutes les autres pièces de comptabilité doivent être remises à Le Goarant. Le maire de Gourin, Julien Bosquet [Note : Julien Bosquet avait un frère avocat, l'excentrique Basile, dit Bosquet cadet, qui avait pris d'une de ses terres, le titre de Kozkleiz. Il lui arrivait assez souvent d'être en état d'ébriété. Le 25 avril 1791, Basile insulte les juges du Faouët qui trouvaient ses honoraires excessifs. Il en fut quitte pour faire de plates excuses le 4 mai suivant, et déclara que « son cœur n'avait pas eu de part aux mots indiscrets et indécents que sa bouche avait prononcés »], accompagné de noble-maître Laurent Caurant, notaire, consacre toute une semaine à dresser l'état des biens de la communauté. Ils reçoivent pour leur commission la somme de 144 l.

En vertu d'une délibération rendue au Département du Morbihan le 27 juillet, les commissaires Le Monze, Le Goarant et Lamy font une descente à l'abbaye et dressent procès-verbal de l'apurement de comptes ; on règle les gages des domestiques à 612 l. 19 sols 8 d. « sauf à en faire l'imputation au traitement des religieux ». A la mi-octobre, ordre est donné de procéder à l'estimation des bois ; on exige le dépôt immédiat du rentier. Le sieur Bargain cadet est désigné pour procéder à l'expertise des diverses propriétés, tandis que le sieur Bosquet, de Gourin, est chargé d'en négocier la vente. Une autre commission est nommée pour dresser l'inventaire et faire l'estimation des bois de charpente et de construction dans la forêt.

Dans les derniers jours du mois de novembre, les religieux réclament la présence du procureur-syndic Berto, et lui déclarent qu'ils sont disposés à quitter l'abbaye tout prochainement à condition que leur pension alimentaire leur soit payée, pour l'année courante et le premier trimestre de 1791. Berto profite de l'occasion pour s'informer s'il a été commis des dégâts dans la forêt, et si l'on a dressé le catalogue des livres et manuscrits. Durant tout ce temps, Bargain procède aux prisages des moulins et des métairies, tandis que l'estimation des bois de Conveau est confiée au sieur Robin. Les opérations prennent fin avec le mois de décembre 1790 ; Bosquet est requis d'assister à l'adjudication des bois de la forêt de Langonnet fixée au 21 janvier suivant. On procède avec soin au récolement de l'inventaire des meubles et effets mobiliers ; Le Goarant est chargé d'enlever les archives ; une dernière sommation est faite aux religieux d'avoir à opter pour le cloître ou pour la sécularisation ; enfin, les trois derniers jours de l'année sont consacrés à l'examen, vérification et rectification des comptes du 5 décembre, par les officiers du District : Berto, procureur-syndic, Talhouarn [Note : Le citoyen Talhouarn réalisa, au cours de la Révolution, une fortune rondelette qui lui permit d'élever ses enfants dans l'abondance, le luxe et la vie large. Il était, nous dit-on, un père au cœur excellent, mais de caractère faible. A la fin de sa vie, il se vit presque réduit à l'indigence et fut réconforté par sa fille Onésime qui alla rejoindre la Mère de Kertanguy, à la Retraite de Quimperlé. Excellente Religieuse, Mère Talhouarn décéda pieusement le 28 mai 1854. — Mgr DU BOIS DE LA VILLERABEL : Mère de Kertanguy, pp. 627 et suiv.], vice-président, Lamy, Julou Talhouarn, chirurgien, tous administrateurs et directeurs.

La situation des occupants était rendue impossible, puisqu'ils ne pouvaient plus jouir d'aucun revenu, leurs biens étant placés sous séquestre et confiés aux soins de trois domestiques, sous la surveillance du garde-forestier. Ils n'avaient plus qu'à se disperser et patienter en attendant leur maigre pension. Certains avaient déjà pris les devants. D. Bourguillaut s'était retiré à Ker-Guiomar en Querrien, et D. Grolleau avait trouvé asile au château du Faouët, chez les Commandant de la Milice Nationale, Rével. Pour l'un ou l'autre, le dernier espoir était de se maintenir sur les lieux, afin de veiller sur le domaine, tout en assurant le service du culte en faveur des populations environantes, et d'attendre des jours meilleurs. D. Derrien, D. Le Denmat et le Prieur lui-même se proposent successivement, mais leurs démarches sont vaines ; ils voient avec tristesse tomber leurs dernières illusions. Tout était consommé.

La Communauté de Langonnet, qui n'avait jamais été bien nombreuse depuis l'institution de la Commende, — dix ou douze profès au maximum était alors réduite à six religieux prêtres, dont le plus âgé n'atteignait pas la cinquantaine : le prieur, D. Jean-François de Frémont, 42 ans [Note : De Frémont, né le 22 avril 1749, à Saint-Martin de Bohain, région de Saint-Quentin (Aisne), et baptisé le 23. Il avait fait profession en 1768, à Vauclair (D. de Laon) pour l'abbaye de Barbeau] ; D. Dominique-Michel Le Breton, procureur, 32 ans ; D. François-Yves Grolleau, ex-prieur de Lanvaux, 46 ans ; D. Jean-Yves Le Denmat, 38 ans ; D. Laurent Derrien, ancien Prieur, 46 ans, et D. Jean-Robert Bourgouillaut, 32 ans. Les trois derniers seulement étaient profès de Langonnet.

Le Prieur était venu, en 1789, de l'abbaye cistercienne de Barbeau (Seine-et-Marne) [Note : Barbeau, Barbellum, D. de Sens (aujourd'hui de Meaux), commune de Fontaine-le-Port ; fondée par une colonie de Preuilly à Sacer Pontus (1145) ; transférée à Barbeau, par le roi Louis VII (1156). Il y fut enseveli. L'église. consacrée en 1178, a été détruite au cours de la Révolution]. Sa Maison professe lui avait alloué un supplément de vestiaire de 174 l. par an, pour cause d'infirmité. Un accident survenu en 1785, le rendait impotent, au point que ses religieux, au dire de Théphany, devaient le porter à l'autel, et qu'il avait besoin d'un domestique particulier. D. Le Breton, profès de Bégard (1780), était fils d'un Bailli de Quimperlé [Note : Le Breton (Dominique-Michel), né à Quimperlé, le 28 septembre 1758, et baptisé le lendemain à Saint-Colomban. Profès de Begard (1780) : Procureur à Langonnet (1789). On le verra plus tard curé constitutionnel de Trégunc, puis de Pont-L'abbé]. En 1792, sur les registres du Faouët, on trouve la signature d'un certain Le Breton qui touche 295 l. 11 sols, pour cinq mois et deux jours d'appointements, en qualité de commis-secrétaire de séance ; or le procureur de l'abbaye s'était retiré au Faouët et fut sans doute heureux de trouver cette occupation lucrative, en attendant que sa pension fût réglée.

D. Dominique avait deux frères plus âgés que lui : Pierre-Jean, prieur des Bénédictins de Redon, et Jean-Jacques, dit de Villeblanche, ardent jacobin, qui joua un certain rôle à Quimper, au début de la Révolution, Quant au prieur de Redon, devenu député à l'Assemblée Nationale, on le retrouvera curé constitutionnel de Loudéac (1791-1794). Ils étaient fils de Pierre-François Le Breton, conseiller du Roi, procureur d'office de la juridiction de Rostrenen, baillif de Quimperlé, et de Marie-Magdeleine-Renée Lalliouse [Note : Le Breton de Villeblanche (Jean-Jacques), né à Rostrenen vers 1750 ; étudie à Marmoutiers ; juge des Traites (Douanes) à Quimper avant la Révolution. Officier Municipal ; substitut de Le Coz (1791) ; lui succède en qualité de Procureur-syndic (1793), nommé par Jullien. En l'an VIII, il est nommé juge au Tribunal d'Appel de Rennes ; enfin Conseiller de la Cour Impériale, par Décret du 14 avril 1811. — Le Breton (Pierre-Jean), né à Rostrenen, le 8 mars 1752 ; étudie au collège de Quimper et à l'Abbaye de Marmoutiers. Devenu Bénédictin (1770), professeur de Rhétorique à Marmoutiers (1779), de Philosophie au Mans, de Théologie à Compiègne (1885), enfin de Droit-Canon à Paris. Prieur de Redon (1788), député du Clergé aux Etats-Généraux. Secrétaire Général du Comité Ecclésiastique (1790-1791). — Ils avaient deux sœurs : Marie-Thérèse, femme de Charles-Eléonore-Yvonnet de Run, membre de la Commission Administrative du Finistère, et Marie-Vincente, qui épousa l'avocat Sévène].

D. Derrien, ancien prieur, avait séjourné dix-huit ans à Langonnet et possédait à fond le dialecte régional. Une pension supplémentaire de 120 l. lui était accordée, par acte du 25 décembre 1788, en raison de ses infirmités. Il figurera plus tard sur l'état de traitement des ex-religieux du District de Lannion, payé pour les 2ème et 3ème trimestres 1793 (Arch. des Côtes-du-Nord, Série Lv, Carton 18) [Note : Derrien (Laurent), né le 10 août 1744, à Ploubazre (D. de Tréguier), fils de Jacques Derrien et de Dame Fouron ; profès à Bégard, le 2 septembre 1769].

D. Grolleau, de Nantes, ex-prieur de Lanvaux (1777-1780), était profès de Melleray (8 septembre 1769) [Note : Grolleau (François-Yves), né à Nantes, rue Ste-Catherine, Paroisse Saint-Nicolas, le 27 décembre 1744, avait reçu l'habit religieux à Bégard, le 7 septembre 1768]. D. Le Denmat était originaire de Saint-Guen de Mur (D. de Quimper) [Note : Le Denmat (Jean-Yves), né et baptisé le 12 février 1752, à St-Guen-en-Mur : novice de chœur à Bégard, 31 octobre 1778 ; profès le 14 novembre 1779].

D. Bourgouillaut, fils d'un avocat de la juridiction d'Hennebont, était le plus jeune de la communauté [Note : D. Bourguillaut (Jean-Robert), né à Hennebont et baptisé à N.-D. de Paradis, le 18 juin 1758, profès à Bégard, 26 novembre 1780]. Assez peu attaché à sa vocation de religieux, il fut le premier à quitter le cloître, pour chercher asile à Ker-Guiomard en Querrien, chez un certain Chefdubois, allié des Bréban et coté comme farouche républicain.

La vie de ces bons Bernardins, d'ailleurs assez réguliers, n'avait rien de commun avec celle de nos modernes Trappistes. Leur tâche quotidienne. était de réciter l'office divin, d'acquitter les Messes de fondation et de distribuer les aumônes prescrites par les bienfaiteurs de l'abbaye. En dehors de cela, ils s'occupaient de la gestion de leurs biens, de la surveillance des employés et pratiquaient une très large hospitalité. Parmi les raisons que donna le Procureur, à l'occasion de sa sortie au cloître, on note celle-ci : « Parce qu'il n'avait plus des moyens de recevoir, comme au passé les hautes (sic) et étrangers qui abondaient à l'abbaye de Langonnet ». Il y avait table ouverte au « benoît moutier de Notre-Dame » et tous ceux qui se présentaient étaient doublement bienvenus, d'abord comme envoyés par la Providence et aussi parce que leur passage apportait une heureuse diversion à l'existence monotone des bons moines, perdus dans leur solitude.

Ils ne prévoyaient nullement la catastrophe imminente et continuaient de vivre sans trop de souci du lendemain dans leur vaste maison solidement construite, de chanter les psaumes dans une église toute neuve et activaient les travaux de restauration du pavillon qui venait d'être récemment la proie des flammes [Note : D'après un compromis du 21 juillet 1789, pour 600 fr. de travaux à commencer, l'entrepreneur s'était engagé à carreler la cuisine et la salle à manger avec les pierres qui étaient jadis dans le chœur de l'ancienne église. Les religieux paient 1.848 livres pour les travaux exécutés à leur église et à la partie incendiée (12 février 1790). Enfin M. de Frémont verse 112 livres, le 20 février 1790, aux envoyés de Gourin, pour moitié de leur vacation, à la descente faite par eux à la dite abbaye, le 23 et autres jours de janvier précédent]. A la fin de 1789, le procureur avait, comme de coutume, adressé sa commande annuelle au sieur Lacaussade de Bordeaux, leur fournisseur attitré de vins et d'huile d'olive. La facture est du 3 mars 1790 : elle annonce l'expédition de 26 barriques de vin, dont 19 pour le monastère et sept pour des voisins : M. Bréban, négociant en bois ; Le Clec'h, notaire, et Me de Kerret-Quillien, qui habitait au bourg une maison dépendante de l'abbaye. La cargaison était confiée à Joachim Thomas, capitaine de la Ste-Hélène de Carnac [Note : 14 barriques vin rouge nouveau Bonnei (Htes Graves), à 290 £ : 1.015 £ ; 4 barriques vin blanc de Graves Preignac, à 85 £ : 255 £ ; 1 barrique vin rouge Médoc supérieur, prêt à boire (à double fond) : 108 £ ; Expédition : 66£.10s. ; Droits : 145£.07s. ; Assurances : 37 £ ; Total : 1.626£ 17s. ; 4 barriques vin rouge p. M. Bréban : 2 barriques vin rouge p. Me Kerret-Quilien ; 1 barrique vin rouge p. M. Leclef (sic) [Le Clec'h]]. Les bâtiments claustraux avaient la disposition qu'ils ont conservée : celui de la façade, avec son magnifique escalier à double rampe, était réservé aux hôtes ; en bas, les salons, et les chambres, à l'étage ; le mobilier des deux pièces destinées à l'évêque était assez riche. La section du dortoir, donnant sur le jardin, comprenait huit cellules pauvrement meublées. Les archives et la bibliothèque se trouvaient au dessus de la sacristie, tandis que le quartier de la bibliothèque actuelle était réservé pour la pharmacie et l'infirmerie. Il y avait un chauffoir commun. La cuisine était la pièce avec cheminée, unie au réfectoire des Scolastiques, qui devait être celui des Religieux. La salle à manger des hôtes occupait une partie de la pièce où travaillent maintenant les tailleurs. Notre grand réfectoire a dû servir d'atelier durant la période des grands travaux. La cuisine actuelle était le pressoir, puisque l'ancienne salle du Chapitre, divisée par une cloison, servait de cave au vin, « séparée du pressoir par le couloir qui conduit au jardin ». De l'autre côté, la cave au cidre, actuellement salle à manger des étrangers et salle de réunion des frères, cette partie, dépourvue de fenêtres et éclairée seulement par des lucarnes en oeil-de-bœuf formait ce qu'on appela, bien à tort, la Prison, car la geôle, qui dépendait du siège de la Sénéchaussée se trouvait au bourg, à proximité de l'Auditoire et du Pilori.

Les étables et écuries renfermaient cinq chevaux, six bœufs, douze vaches, un taureau et trois bovillons. Le personnel des employés était assez nombreux. Outre le choriste, Julien Levot, et le garçon de salle, Barnabez, il y avait un cuisinier, Badiou, et son marmiton, Pierre Derrien ; puis Jacquette Nicole, domestique et deux lingères, sous la haute direction de dame Catherine Le Coutelier, femme de ménage. A la ferme, un garçon d'écurie, Pierre Le Sang ; un bouvier, François le Pander, et Anne Guéguen, chargée du soin des vaches. Ajoutez à ceux-là un jardinier, Jean Congreté et le garde-forestier Tourtil. En tout quinze personnes, y compris Erené, portier appareilleur, et le domestique du prieur, Pierre le Dantec [Note : Le procès-verbal de l'incendie (1788) signale comme témoins : Joseph Boyer, charron ; Jean Migosch, maçon ; Mathurin Le Camic, menuisier ; Louis Ollivier, couvreur ; François Cloarec, menuisier. Un maréchal ferrait les chevaux pour 15 l. chaque année].

A la fin de novembre 1790, les Religieux sont disposés à se retirer, à condition qu'on leur verse la pension décrétée et qu'on leur laisse une part de mobilier, c'est-à-dire la portion de meubles, linge, argenterie, batterie de cuisine dont ils ont besoin, « a fin d'avoir un petit ménage à leur entrée dans le monde et de n'être à charge à personne ».

« Par ailleurs, c'est avec un grand plaisir, déclarent-ils, qu'ils font à la Nation l'abandon général de leurs grandes possessions, bien persuadés que la Nation française, aussi juste que généreuse, pourvoira à leur subsistance et à leur honnête entretien, » d'autant plus qu'ils sont « français, enfants de citoyens honnêtes et bons patriotes ».

Cette supplique du 27 juillet est apostillée par Le Bihan, maire et Le Clec'h secrétaire.

Les bons moines s'étaient fiés à l'assurance du député Le Breton, qui leur écrivait, le 3 mars : « Chaque religieux aura les meubles de sa cellule, sa part dans le linge et l'argenterie de table ; » mais pressé de s'expliquer, il avait ensuite répondu à son frère (8 mai et 5 juillet) : « Mon bon ami, il n'y a point de décret qui autorise le partage dont je t'ai parlé. C'est l'intention tacite du Comité, qui n'a point voulu rien décreter à cet égard, de peur qu'on ne donnât trop d'extension au décret. ».

Cette prudente réserve était regrettable pour les religieux, qui insistent à nouveau. Nouvelle déclaration du député (20 novembre 1790) : « Le Comité dit, dans sa délibération, que le Département peut accorder à ces Messieurs de Langonnet tout ce qu'il jugera raisonnable, en forme d'indemnité de l'incendie de 1788. Ainsi le Procureur-syndic peut conclure une seconde fois à ce qu'il soit fait droit à la première réquisition et que l'argenterie demeure aux Religieux en forme d'indemnité ».

Sur ce sujet, nous avons, huit jours plus tard, une décision du procureur Berto : « Les Religieux réclament la libre disposition des meubles de leur chambre et effets usuels et personnels, ce qui ne peut leur être accordé avant la reddition des comptes de leur Maison ».

Il est probable qu'ils purent emporter un modeste trousseau, mais non l'argenterie. En effet, à l'occasion du recolement des inventaires qui fut fait au début de février 1791, sur la réclamation des religieux présents, leur couvert personnel et l'écuelle du prieur ne furent point compris dans la pesée de l'argenterie. On décide d'en référer au Département. Le prieur insiste à plusieurs reprises (8 février et 4 mars) : « Chaque Religieux, dit-il, apporte, en entrant dans le cloitre, son couvert d'argent, ou une somme de 60 £ pour en tenir lieu ».

La Municipalité a bien voulu leur accorder de ratifier cette concession. Il réclame aussi l'équelle d'argent, qui est dans sa chambre et qui fut de tout temps à l'usage du Prieur. Cette écuelle couverte lui tient vraiment à coeur et il apporte toute sa dernière énergie à la réclamer : « Je vous supplie de vouloir bien agréer et confirmer l'abandon de l'écuële, que la Municipalité de Langonnet m'a laissée ; cela m'indemnisera un peu de la perte que je souffre et du long voyage que j'ai à faire pour me rendre dans ma famille. De plus, Messieurs, je vous prie de prendre en considération que cette écuëlle n'a pas été achetée par la Maison de Langonnet, mais par D. Pasquet, Prieur de Langonnet, qui l'a payée de ses propres deniers, pour son usage exclusif et personnel ; à sa mort, elle est passée à D. Letard, prieur, aussi à son, usage particulier ; ensuite à D. Derrien, aussi prieur et, de là, à D. de Frémont qui a succédé à ce dernier. Si quelqu'un était dans le cas de me succéder, je la lui laisserais volontiers, mais regardant la chose comme impossible, j'ose espérer que vous ne ferez aucune réclamation pour ce petit objet, qui est d'alleurs le seul meuble que je me serai procuré depuis deux ans que je suis Prieur de Langonnet ».

Cette demande paraissait tellement raisonnable aux Directeurs du Faouët, que Rousseau cadet n'hésite point à la recommander au Département : « M. le Prieur réclame une écuëlle d'argent couverte, comme ayant toujours été dans sa chambre à l'usage exclusif des Prieurs de la Maison. Indépendamment de ces motifs, la position de M. de Frémont mérite des égards ; il est estropié et se trouve à plus de 200 lieues de sa famille. Je pense, Messieurs, que vous ne serez pas insensibles à ces considérations. Vous n'ignorez pas que, dans d'autres départements, on donne aux religieux un traitement honnête pour retourner dans leur propre pays ».

Mais toutes les démarches furent inutiles. Le Département répond que c'est aux particuliers de prouver qu'ils ont apporté, en entrant au couvent, un couvert d'argent ou une somme correspondante. En tout cas, « la Loi ne permet pas aux Religieux de disposer de l'argenterie et, par conséquent, de l'écuëlle. » (3 mars 1791).

Dans ces conditions les moines de Langonnet avaient hâte de quitter l'abbaye, mais ils étaient avant tout préoccupés du paiement de leur pension et multipliaient les démarches pour hâter l'échéance.

Le Directoire de Vannes répond, le 9 décembre, aux administrateurs du district du Faouët : « La demande, que les Religieux vous ont faite de leur payer leur traitement dans le cours du présent mois, est conforme à la lettre du Prieur du 13 novembre ; mais, avant tout, il faut que ces Messieurs fassent leur déclaration à la Municipalité de vouloir quitter le cloître, suivant l'art. 4. du titre 1er du Décret de septembre et octobre ; il faut qu'ils déclarent, suivant l'art. 36, s'ils ont pris ou reçu quelques sommes, ou partagé quelques effets appartenant à leur maison ».

Aussi, le 17 décembre, les officiers municipaux de Langonnet font savoir qu'ils se sont rendus à l'abbaye,

« aux fins d'interpeller Messieurs les Prieur, Procureur et Religieux de la dite abbaye de nous déclarer s'ils entendent quitter le cloître ou y demeurer, suivant l'art. 4, du Titre 1er, du Décret du 7 septembre et du 8 octobre, lequel décret nous n'avons jamais vu, ni reçu...

1° — le dit sieur de Frémont a répondu qu'il se retirait dans la ville du Faouët pour y prendre sa pension, se réservant néanmoins toute l'autorité et la juridiction qui lui a été confiée par M. l'abbé de Cîteaux, général de l'Ordre, tant au spirituel qu'au temporel, sur toute l'abbaye de Langonnet et ses dépendances ;

2° — le sieur Denmat déclare qu'il est décidé à rester dans le cloître, si sa Maison est conservée comme cy-devant ; si que au contraire elle ne l'est pas, il part de droit avec la pension decrétée ;

3° — le sieur Fr. Laurens Derrien, ancien prieur et profès de Langonnet, nous a aussi déclaré qu'attendu qu'il ne s'est engagé dans le dit Ordre, que dans l'espérance où l'ancien ordre des chauses subsisterait relativement au régime religieux y adopté et auquel il s'est dans le temps volontairement consacré, sous la protection des loix du Royaume, et toujours prêt à se conformer aux Décrets émanés de l'auguste Assemblée Nationale, il opte, en conséquence d'iceux, le parti de rentrer dans le monde aux termes des Décrets de la dite Assemblée, avec la Pension ou le traitement qui est accordé aux Religieux à raison de son âge, et supplie Messieurs les administrateurs des Biens nationaux de lui continuer, en sus du traitement décrété, le payement annuel d'une pension de 120 £ que sa Maison de profès lui a accordée pour raison d'infirmité, et qu'il n'a contractée qu'en remplissant avec les plus grandes fatigues les différents emplois qu'il a occupés dans sa maison professe depuis dix-huit ans.

4° — D. Dominique Le Breton, procureur, nous a déclaré qu'égard aux circonstances et attendu qu'ils n'ont plus la régie de leurs biens, actuellement celuy de la Nation, et que sa pension pour l'année 1789 et 1790 ne lui a pas encore été payée, il nous a déclaré désirer se retirer de son couvent pour vivre où bon lui semblerait, parce qu'il n'avait plus les moyens de recevoir, comme au passé, les hautes et étrangers qui abondaient à l'abbaye de Langonnet.

« 5° — Le sieur Grolleau nous a déclaré que, depuis le 10 du présent mois (de décembre), il s'est retiré au Faouët, pour y prendre sa pension et se retire de son cloître, conformément au Décret de l'Assemblée Nationale, pour vivre où bon lui semblera, et y rentrer, si les Décrets subséquents de l'Assemblée l'y obligent, surtout par le défaut de payement de sa pension, qui lui devient absolument nécessaire, vu l'éloignement de sa famille, qui se trouve dans l'Amérique, et d'ailleurs ne se croyant pas dans le cas de travailler au ministère, en raison de ses infirmités.

6° — Le sieur Bourguillaut a déclaré qu'il prend pension à K'Guiomard, dépendant de la paroisse de K'rien, toujours disposé à se conformer au Décrets de l'Auguste Assemblée Nationale. Signe Le Clec'h fils, greffier » (Extrait des Minutes du Greffe de la Municipalité de Langonnet).

Bien que disposés à quitter leur vieille résidence, en raison des circonstances nouvelles, ce n'est point sans crève-cœur que les Cisterciens se voyaient contraints de s'éloigner, sans savoir ce qu'ils allaient devenir.

Dès le mois d'août 1790, d'après une lettre de Berto, D. Derrien serait heureux de pouvoir se fixer à l'Abbaye, « ce qui serait bien commode au public qui, dans les environs de la dite Abbaye, est obligé, pour avoir la Messe, de faire au moins une lieue et demie » (21 août).

De fait, D. Derrien adresse une supplique dans ce sens aux Administrateurs du Directoire de Vannes, et il est appuyé dans sa démarche par les municipalités de Plouray et de Langonnet :

« A Messieurs les Administrateurs du Directoire du Département du Morbihan — Remontre D. Laurent Derrien, religieux prêtre et profès de l'abbaye de Langonnet, Ordre de Cîteaux, que dans les temps qui ont paru orageux pour ses confrères, tous se réunirent pour demander à abandonner la dite Maison ; mais aujourd'huy que ces alarmes sont heureusement dissipées, surtout relativement au suppliant, qui habite au canton depuis bientôt vingt ans, sachant l'idium du dit canton, pouvant y être utile aux habitants des campagnes qui avoisinent cette Maison, pour ne pas dire même nécessaire, attendu leur éloignement en partie d'une lieue et plus des paroisses de Langonnet, Plouray, Priziac et St-Tugdual, pour avoir la Messe, les dimanches et autres jours festés par l'Eglise, le dit remontrant a l'honneur de conclure et de requérir de votre équité, ce considéré,

Qu'il vous plaise, Messieurs, de licentier le sieur remontrant à résider et demeurer par continuation à la dite Maison de Langonnet provisoirement et jusques à ce que la destruction ou abolition des Ordres Religieux soit entièrement ordonnée, aux offres du suppliant d'y dire les jours de festes chômés par l'Eglise et les dimanches la Messe, à l'heure qui sera indiquée la plus commode pour le public, en temps qu'il ne sera ni malade, ni grièvement incommodé ; parce qu'il vous plaira, Messieurs, ordonner qu'outre le traitement qui sera accordé à chaque Religieux, en raison de son âge, il sera désigné au sieur remontrant un logement suffisant et convenable en la dite Maison et autres commodités qu'il sera jugé nécessaires, et il redoublera ses vœux pour la conservation des Représentants de la Nation et celle des Administrateurs des Départements et Districts. F. Derrien, religieux.

Je soussigné et certifie que tout ce qui est portez dans la requette cy-dessus de Dom. Derrien est conforme à la vérité et aux vœux du Public, et que s'il est besoin qu'on en administre les preuves je me joindrai aux Municipalités dès paroisses y dénommées pour les produire aux Messieurs du Directoire du Département du Morbihan. Y. Le Bihan, Maire de Langonet.

En l'absence de Monsieur notre mère (sic) nous réunissons notre supplique à celle que fait ici D. Derrien auprès des Messieurs du Directoire au Département du Morbihan, et avons signés, Louis Le Fur, notable de Plouray, Jean Vischeur, greffier de Plouray ».

La requête de D. Derrien fut bien accueilie des Administrateurs, qui ne trouvent point d'inconvénient à lui donner satisfaction.

« Ce Religieux serait même utile, ajoutent-ils, s'il voulait veiller sur les bois et autres propriétés. On pourrait donc lui permettre d'occuper un logement jusqu'à ce que le couvent soit vendu, mais à la condition expresse que personne ne puisse s'apercevoir de la complaisance qu'on a de se prêter à son désir. L'autorisation ne doit être donnée que verbalement par provision ».

D. Derrien n'était point seul qui aspirât à la garde du domaine ; D. Le Denmat ne demande pas mieux que de rester au moins provisoirement, et le Prieur fait des démarches dans le même sens. Cependant que les municipalités appuient la canditature de D. Derrien, les Administrateurs du Département lui préfèrent D. de Frémont, en qui ils ont plus de confiance. Une note du 21 décembre dit : « les sieurs Derrien et le Denmat, qui y demeurent, sont chargés de la garde des effets mentionnés dans l'inventaire ».

De fait, les trois compétiteurs se voient successivement évincés, et, finalement, le soin des biens séquestrés est confié à trois domestiques pour ce qui est de leur attribution à chacun, sous la surveillance générale du garde-forestier, Jacques Trégoat, ancien sergent de la ci-devant Principauté de Guéméné (11 janvier 1791). Mais, dès le début de l'année, les Administrateurs du Distict se préoccupent déjà de vendre les bestiaux, « qui consomment tant de fourrage et coûtent tant pour les soins et les gardes, qu'on est obligé d'avoir », et de congédier les trois domestiques, sans les payer au préalable de leurs gages.

Derrien et Le Denmat n'étaient point encore découragés ; le 9 février 1791, nous les voyons tenter une dernière chance pour rester à l'Abbaye, jusqu'à ce qu'elle soit vendue ou louée.

Il va sans dire que ce qui intéressait le plus vivement les liquidateurs, c'était la situation financière... Sur ce point capital, le prieur apporte le plus grand empressement à fournir au procureur Berto tous les renseignements demandés.

« Je vous ai déjà prouvé mon activité, lui écrit-il, le 8 octobre 1790, aujourd'hui je vous la confirme ». Le bilan est établi au 12 août 1790 : Revenu annuel : 13.323 £ 2 s. 11 d. ; Dettes actives : 90.907 £ 19 s. 3 d. ; Dettes passives : 6.684 £ 19 s. 2 d. Excédent des dettes actives sur les passives : 84.223 £ 4 s. 1 d.

Les dettes passives proviennent des avances consenties par la Mense pour la construction de la nouvelle église, terminée en 1788, et pour les réparations de la partie incendiée. Ces réparations sont estimées à 42.000 £. dont l'abbé doit payer les deux tiers, soit : 28.000 £. d'où 14.000 £. à rapporter au compte de la Communauté. L'église et la sacristie ont coûté 60.000 £. Il est vrai que la vente des bois à Brébant et à Blanchart avait rapporté 68.450 £. mais le dit Brébant a fourni pour 15.000 £. de bois de construction, ce qui réduit le capital à 53.450 £. et, de ce chef, la Mense subit un déficit de 6.550 £. D'autre part l'Abbaye possède 22.000 £. déposées au Domaine, dont elle n'a point eu la jouissance ».

Enfin les Religieux s'étaient engagés à, payer à M. Chevreuil, leur abbé, 5.000 £. pour la cession de son Abbatiale, plus 25.000 sur les coupes de bois, en tout 30.000 ; et voilà, gémit le Prieur, le chef-d'œuvre de D. Derrien, qui nous aurait infailliblement ruiné !

Il reste encore dû à M. l'abbé 15.684 £. 10 s., mais, comme il doit intervenir pour les deux tiers dans la réparation de la partie incendiée, évaluée à 42.000 £. cela fait que l'abbé se trouve payé de ses 30.000 £. et se trouve de plus redevable à la communauté de 12.315 £. (8 oct. 1790).

D. de Frémont termine son rapport, en disant :

.« Il est bien dûr pour nous, Messieurs, d'être obligés d'accuser des dettes, dans un moment où nous devrions avoir de l'argent devant nous pour y faire honneur et compléter encore notre traitement de cette année. Si nos vassaux avaient montré moins de résistance à nous payer et, si d'ailleurs, notre Mense Conventuelle ne s'était pas épuisée en avance pour nos réparations, ny le procès-verbal de vérification ny le compte que nous vous rendons ne feraient mention d'aucune dette... Si, d'autre part, comme nous avions lieu de nous y attendre, nous avions touché les 22.000 £. que nous avons au Domaine en remplacement d'une partie de nos avances, il n'est pas douteux que nos dettes passives seraient acquittées. Il nous resterait encore de quoi compléter notre traitement pour cette année et nous aurions plus de 12.000 £. à verser dans la Caisse de votre District » (5 décembre 1790).

Une note du 21 juin précédent complète ces déclarations :

« Les Messieurs, Prieur et Procureur de l'abbaye, ont ajouté que l'état de misère et de détresse où ils sont réduits est d'autant plus dûr, que par leurs économies, ils laissent de grands recouvrements à faire dans leur abbaye, à la Nation, portant à plus de 100.000 £ ; que le procès-verbal déjà dressé par la Municipalité de Langonnet, en fait foy ». (Extrait du greffe de la Municipalité de Langonnet).

Les religieux aspiraient au règlement définitif de leur pension et n'épargnaient aucune démarche pour y parvenir. Dans ce but, plusieurs d'entre-eux étaient venus s'abriter au Faouët, afin d'agir plus efficacement sur les autorités du District. Le Procureur-syndic les renvoie au Département qui leur répond :

« Quant à votre pension, elle vous sera exactement payée et à tous vos Religieux sur les premiers fonds qui seront versés dans la caisse du District ; et, si elle ne l'a pas encore été, vous devez vous en imputer la faute. Comment voulez-vous qu'on vous la paie, lorsque par votre refus à remettre les pièces dont vous êtes saisis, vous mettez le receveur du Faouët dans l'impossibilité de toucher » (13 octobre 1790).

Il s'agit ici du Rentier, qui avait été précieusement conservé et qu'ils s'empressèrent de déposer, le 16 octobre. Mais il y avait encore d'autres formalités à remplir. Avant de toucher leur pension, ils doivent faire à nouveau la déclaration de vouloir quitter le cloître et déclarer s'ils ont pris ou reçu quelque somme ou partagé quelques effets appartenant à leur Maison (9 décembre 1790). Après avoir satisfait à toutes ces exigences sans obtenir satisfaction, le prieur s'adresse de nouveau au Département :

« Les religieux de Langonnet, dit-il, se trouvent, depuis le mois de décembre dernier, sans pain, sans feu, et sans lieu, obligés d'avoir recours aux séculiers de leurs amis pour obtenir les choses de première nécessité et à crédit » (20 janvier 1790).

D. Grolleau, de son côté, multiplie les instances : « Messieurs, ne trouvez pas mauvais, je vous prie, que je m'adresse à vous avec confiance : depuis près de deux mois que nos comptes sont sortis de Langonnet, je suis chez un citoien respectable, en Pension, qui ne serait pas surpris de son honesteté (sic). Ce citoien, qui est M. Revel, Commandant de la Milice Nationale, a bien voulu ne pas exiger d'avance de subsistance. Daignez, s'il vous plaît, me consoler sur l'avenir... » (15 janvier 1791).

Finalement tous les comptes étant réglés par décision du 17 janvier 1791, le Directoire du Département a fixé le traitement global des moines à 5.400 l. « Bernardins de Langonet — 6. Profès au-dessous de 50 ans, à cy 900 l. ». En conséquence il est ordonné au receveur du Faouët de leur verser, à la fin de janvier, leur pension de l'année écoulée, plus un acompte de 1.800 l., soit au total 7.200 l. à partager entre eux. Toutefois rien n'était encore fait au 17 janvier, puisque D. Le Breton est obligé d'écrire : « Nous osons donc espérer de votre justice et de votre bienveillance, Messieurs, que vous voudrez bien, ayant égard à notre factieuse position arretter définitivement nos comptes et ordonner au District du Faouët de nous compter ce qui nous revient. Il y aura bientôt deux ans, Messieurs, que nous avons perdu notre repos et notre tranquillité, rendez-nous les, Messieurs, puisque cela dépend de voire générosité.
Rendez-nous à nos familles qui sont désolées de nous voir, depuis longtemps dans l'inquiétude, errants et dispersés chez des particuliers, qui nous font payer cher l'hospitalité qu'ils nous donnent, et nous redoublerons nos vœux pour votre conservation et la réussite de vos opérations »
.

A la date du 2 mars suivant, les comptes sont ainsi établis :

Recette 7.371 £. 13 s. 1 d. ; Dépenses 11.084 £. 4 s. Avoir des Religieux 3.712 £. 10 s. 1 d., dont il faut déduire les 1.700 £. déjà versées, il reste dû par conséquent, 1.912 £. 10 s. 1 d. ; ce qui fait, avec le premier quart de pension pour 1791 (1.350 £) un total de 3.262 £. 10 s. 1 d. pour laquelle somme, ordonnance est donnée au Receveur.

Il est impossible de savoir exactement ce qu'il parvint de cet argent aux mains des religieux. Sur une feuille d'émargement sans date, l'article du Faouët est laissé en blanc, ce qui fait supposer que les traitements n'ont point été payés.

Sur ces entrefaites, les commissaires et leurs agents prenaient avec diligence toutes les mesures nécessaires, pour une confiscation générale des biens de l'abbaye.

***

Les archives étaient conservées dans la salle voûtée, au-dessus de la sacristie et renfermées en dix armoires sur lesquelles se trouvaient les scellés apposés, le 27 janvier 1790, par le sieur Le Bail, greffier au siège royal de Gourin. Les religieux eux-mêmes avaient réclamé cette mesure de précaution après l'incendie de 1788.

Berto constate que les scellés sont intacts, à l'occasion d'une descente à l'abbaye, 26-27 novembre 1790, et, le 16 décembre, ordre est donné à Le Goarant de les enlever : qu'il fit dès le lendemain. On remplit sept barriques des vieux parchemins, conservés au chartrier, et on les chargea sur une voiture réquisitionnée pour les transporter au Faouët. Rousseau cadet écrit au Département, à la date du 30 janvier 1791 : « Quant aux Archives, elles ont été déjà transportées ici avec leur chartrier, qui est placé dans un des appartements du District, afin de pouvoir les consulter plus facilement pour la régie des biens ».

Elles furent inventoriées par Joseph-Marie Le Goarant, qui consacra onze journées à ce travail et réclama 99 l. pour sa peine.

La bibliothèque contenait 2.578 volumes, qui furent également transportés au Faouët et déposés dans le couvent des Ursulines. J.-Grégoire Rousseau et J.-Jacques Julou touchèrent l'un et l'autre 70 l. pour la confection du catalogue. Les meilleurs ouvrages furent expédiés à Vannes et mis aux enchères. Un certain nombre se trouvent aujourd'hui à la bibliothèque du Grand-Séminaire, ayant été rachetés par un ancien Vicaire-Général, M. de Coëtcanton.

Lorsque les cinq cloches furent descendues de la tour, la municipalité de Langonnet réclama vainement pour en conserver une « qui eût le son le plus clair et qui se fasse le plus au loin entendre ».

Le Département répondit, le 11 octobre 1791 : « L'Assemblée Nationale ayant destiné la matière des cloches à titre convertie en pièces de monnaie, il ne nous est pas permis de changer cette destination ».

Les cinq cloches, qui pesaient ensemble 1.126 livres (poids de marc), furent donc transportées à Hennebont, puis de là expédiées à Nantes pour l'Hôtel de la Monnaie, sur le bateau La Revanche, capitaine Chaton (11 octobre 1791).

Le recolement de l'inventaire de 1791, énumère les objets de culte conservés à la sacristie :

« Dans le tabernacle, un Soleil et deux Saints Ciboires, dont l'un grand et l'autre petit ; une grande lampe, toute neuve ; cinq calices avec leurs patènes ; deux grands chandeliers ; une grande croix avec couvercle pour le pied ; une petite croix, un encensoir, navette avec sa cuiller d'attache ; un bénitier, un goupillon et la crozille, trois burettes et le plat, et un plat à lavabo : le tout en argent ».

En outre : « douze chandeliers de cuivre, grands et petits ; vingt-deux aubes, trente nappes d'autel et plusieurs autres petits linges, amicts, etc. ; plus deux chasubles avec leurs étoles, manipules et voiles, dont l'une à fond d'argent garni en or vrai, et l'autre de velours noir, garni en argent : les deux de prix ; le reste commun ; plus deux chapes, dont l'une en Damas garnie en or, aussi de prix ; l'autre noire et très commune ».

L'argenterie comprenait — en plus des vases sacrés : « Une cafetière, quatre flambeaux anciens, une cuillère potagère, plus une cuillère potagère dans le goût moderne, cinq cuillères à ragoût, deux cuillères à sucre percées, quatorze couverts, trois cuillères sans fourchette, une fourchette cassée en deux pièces, un pot-huilier et une écuelle couverte ».

Lors du premier inventaire, la municipalité mit en réserve l'ostensoir, les deux ciboires, les six couverts réclamés par les religieux et l'écuelle du prieur. On avait d'abord laissé à l'église un calice d'argent ; mais, le 2 juillet 1791, le citoyen Hervéou, du Faouët, chargé d'enlever l'argenterie, fractura le tabernacle, ne trouvant pas la clef.

A la date du 6 juillet 1794 — 18 Messidor an II, — le District du Faouët était fier d'envoyer au Département 485 marcs, 4 onces, 3/4 d'argenterie et 163 marcs de galons et tissus, « dépouilles des asyles de la superstition de notre ressort ». Le Goarant, notaire public, touche 164 l. pour les frais de vente des ornements des églises et des chapelles du District du Faouët. L'argenterie de l'abbaye expédiée à la Monnaie de Nantes, pesait 125 marcs et 4 onces ; mais, à la réception, on trouva qu'il y manquait 4 marcs, 1 once et 6 grammes, sans que personne ait su comment cela s'est fait. Le 9 mai 1792, on procède au dévitrage de l'église : vitraux et barreaux sont expédiés au Faouët. Le mobilier et le matériel de la ferme furent mis à l'encan, à la porte de l'abbaye, et la vente dura quinze jours, du 14 au 31 mars 1791. Bréban fut un des principaux acquéreurs ; les recteurs de Priziac et de Plouray, Hervo et Jamet, achetèrent quelques articles de peu de valeur.

Ce qui restait fut transporté au Faouët et adjugé au plus offrant, les 26 et 27 juin 1791. Le total des recettes s'éleva à 4.347 livres 18 sols 9 deniers. Le mobilier de la chapelle, autel, stalles et boiseries du chœur furent enfin mis aux enchères, le 17 juillet 1793.

L'affaire la plus importante était la liquidation des terres et des immeubles qui ne se fit pas sans quelques difficultés. Le 15 octobre 1790, le sieur Bargain cadet avait été désigné pour l'expertise des métairies et le sieur Robin, de Gourin, devait être chargé de l'estimation des bois de Conveau (17 décembre). Les opérations durèrent un mois entier, du 15 novembre au 14 décembre 1790.
Ker-Andrenic, prisé : 17.360 l.
Loster-Coat : 8.183 l. 6 s. 8 d.
Grand-Borin (Maison-Blanche) : 25.540 l.
Moulin du Bourg : 3.000 l.
Moulin de Ker-Antour, en La Trinité : 5.000 l.
Harlay : 2.873 l. 6 s. 8 d.
Moulin de Baëron : 5.900 l.
Belorient : 4.653 l. 6 s. 8 d.
Quellenec : 3.600 l.
Petit-Borin : 12.900 l.
Ker-Mainguy : 4.660 l.
Parc Alix : 4513 l. 6 s. 8 d.

L'abbaye elle-même, avec ses dépendances immédiates, sera estimée 29.438 l. 13 s. 6 d. par le commissaire Le Gorgeu, à la fin de 1793.

Sans perdre de temps, toutes ces propriétés sont mises en vente et les affiches apposées. Le 7 février 1791, François-Hyacinthe Robin, chargé du prisage de la forêt de Conveau, se fait adjuger deux coupes de bois taillis pour la somme de 4.400 l. ; Jean-Marie Aumont et consorts versent 461 l. 8 s. 2 d. pour les droits de Lods et Ventes sur la métairie de Kerhyuel (14 avril). Une maison qui servait de logement au prêtre de Kernascleden, est vendue, le 11 mai, à Alain Graveran, 2.400 l. Le moulin de Conveau est adjugé pour 4.250 l. à Joseph-Fr.-Marie et Jean-Louis Davion, père et fils, de Gourin, qui sont également acquéreurs de 8 journaux de terre froide sis en Gourin, pour 120 l. (26 septembre et 17 décembre).

Barthélémy Le Du, de La Trinité, paie 5.225 l. pour l'acquisition du Moulin de Ker-Antour, avec ses dépendances (10 décembre). Et cinq journaux de terre froide, en Langonnet, sont adjugés à Jean Le Stang, de La Trinité, pour 66 l. 13 s. et 4 d. Enfin, une partie des bois de l'abbaye avec ses neuf métairies de Ker-Andrenic. Losercoat, Quellenec, Belorient, Parc Allx, Grand et Petit-Borin, Ker-Mainguy, passèrent le 2 juillet pour une somme globale de 87.809 l. 6 s. 8 d. aux mains du sieur Najac, commissaire des ports et arsenaux de la Marine à Lorient, lequel deviendra plus tard « M. Benoît-Georges Comte de Najac, Chevalier de l'ordre royal et militaire de St-Louis, l'un des Commandants (sic) de la Légion d'Honneur, ancien Conseiller d'Etat à vie, Intendant général de la Marine, demeurant à Paris, boulevard des Capucines, N° 13 » [Note : Aucun acquéreur ne s'étant présenté à la première criée du 16 juin 1791, de nouvelles affiches sont apposées. On procède à une seconde criée, le 2 juillet, et l'adjudication est faite à M. Najac, sans aucune surenchère : Ker-Andrenic (17.810 l.) ; Loster-Coat (8.363 l. 6 s. 8 d.) ; Bellorient (4 953 l. 6 s. 8 d.) ; Parc-Alice (4.813 l. 6 s. 8 d.) ; Petit-Borin (12.900 l.) ; Kermainguy (4.810 l.) ; Quellenec (3 600 l.) ; Le Harlay (2.863 l. 6 s. 8 d.) ; Grand-Borin (27.696 l.) ; Au total : 87 809 l. 6 s. 8 d. L'acquéreur doit verser 8.148 livres dans la quinzaine, et le surplus en douze annuités égales ou obligations, le tout conformément aux termes des Décrets].

Sous l'administration du Préfet Jullien, M. de Najac figure en tête de la liste pour 1.391 f. 21 c. de contributions (liste du 20 septembre 1805) parmi les plus imposés du Département; il n'est point signalé comme « ayant une partie notable de sa fortune en biens Nationaux ; mais il prend place parmi les notables nationaux de droit (1801) et fait partie (1805) de la liste des soixante citoyens les plus distingués du Département, tant par leur fortune que par leurs vertus publiques et privées ».

L'abbaye elle-même ne trouve point d'acquéreur. Son domaine comprenait, outre les bâtiments claustraux, l'église, l'abbatiale, les dépendances, le parc et le jardin, plus vingt hectares de prairies et cent hectares de terrains vagues et incultes. Le tout, estimé 29.438 l. 13 s. 6 d., fut affermé (2 mars 1791) pour 1.100 livres — sans être tenu aux impositions, ni réparations, qui demeurent à la charge de la Nation — au sieur François-Pierre Bréban, fermier régisseur, déjà adjudicataire des bois de l'Abbaye, qu'il exploitait depuis 1788, « originairement sabotier de profession, devenu ensuite un négociant très riche ». Les Bréban vinrent résider à l'Abbaye, avec les citoyens Pierre Herpe et Joseph Lochon. Ce dernier, qui était sabotier, occupait le logis de l'Abbé.

Trois ans plus tard, 3 mars 1794, l'abbaye est de nouveau mise aux enchères, sans qu'il se présente aucun acquéreur. Le domaine avait été réparti en trois loties, après une minutieuse expertise faite par le commissaire Le Gorgeu en personne, du 4 décembre au 10 décembre 1793. Il était assisté de Pierre Bréban fils, membre du conseil-général de la commune de Langonnet, de Bréban père, de Pierre Herpe et du sabotier Lochon, chargé de porter la chaîne d'arpentage. L'opération prit cinq jours et se termina le 8 décembre. Il ne semble pas que les nouveaux occupants de l'abbaye aient apporté un grand empressement à ce travail, car le procès-verbal se termine par cette déclaration du commissaire : « Les dits Bréban, père et fils, le dit Herpe, ayant répété ne vouloir pas signer et le dit Lochon ne le savoir faire ».

Avec les Bréban, l'abbaye devint bientôt le rendez-vous des Chouans de la région, comme nous le verrons par ailleurs ; les gendarmes y vinrent perquisitionner le 9 février 1793 ; puis, le 10 août de l'année suivante, un détachement de Républicains du Faouët survint pour tout saccager, et les fermiers eurent tout juste le temps de s'enfuir pour se mettre en sûreté ; leur mobilier fut porté au Faouët et placé sous séquestre. Pierre Bréban dut résilier son bail, le 25 juin 1796. Il déclare que « depuis cinq ans passés du mois de mars dernier (v. s.), il est fermier de la cy-devant abbaye de Langonnet, ainsi que du moulin, de l'enclos et des prairies y attenant. La ferme lui a été consentie pour six ans, commencés au mois de mars 1791, par l'administration du District, pour une somme annuelle de 1.125 livres ».

Les Bleus vinrent s'établir en permanence pour surveiller les environs et achevèrent la dévastation, jusqu'à ce que le district se résolut à trouver de nouveaux locataires, qui furent Jean Roulay, Jean Garain et Mathurin Le Bail (6 octobre 1797).

Jean Roulay payait 189 l. pour le premier lot : maison principale, maison à buée, une grande écurie, le tout couvert en ardoises ; trois différentes cours, un jardin contenant sous fonds deux journaux, une pièce de terre froide, en partie sous pâture ; prés, bois, vergers, contenant deux journaux ; une autre dite l'Enclos avec ses murs, ayant 32 journaux et, sous pré, six journaux et demi.

Jean Garain choisit le second lot, pour une location de 150 l. : abbatiale, maison, deux écuries, une partie des grandes écuries, différentes portions de cour, moitié de la Maison à Bulle (sic) ; sous jardin 25 cordes, sous prés 3 journaux et demi ; terre grise, 2 journaux ; terre chaude, 2 journaux trois quarts ; sous allée, un journal.

Enfin le troisième lot échut à Mathurin Le Bail : maison dite Maison du Four et du Moulin à Tan, servant à moudre le grain, une cour ; sous différents jardins, 38 cordes ; une écurie ; terre froide, deux journaux ; sous prairie, dix-neuf journaux ; les moulants, tournants, chaussée et biais : le tout pour 336 l. par an.

Ce bail ne faisait sans doute que régulariser une situation antérieure, car à la date du VIII Pluviôse, an IV (27 janvier 1796), nous trouvons un acte du « Prisage du Moulin de l'abbaye, à la requête de Mathurin Le Bail, fermier, estimation totale portée à la somme de 519 l. et 9 sous en numéraire » avec cette note en marge : « le moulin est vendu ». Il fut en effet adjugé mais en 1789 seulement, pour 40.100 l. au citoyen Kerviche aîné, de Vannes, agissant pour le citoyen Le Goarant.

Jusqu'à ce moment, un certain nombre de propriétés n'ayant point trouvé acquéreur avaient été affermées à des particuliers : 16 janvier 1791, le Moulin du Bourg, pour six ans, à Jean Le Pennec pour 162 l. ; 10 octobre 1792, le Moulin Baëron, à Louise Le Masson pour 300 l. ; 18 octobre, la Vieille-Boutique, à Guillaume Tréguier, 24 l. ; 7 novembre, la Maison de l'Abbé, à Jean Le Guillou, 27 l. ; 20 février 1793, Le Four, à la Vve Tréon, 6 l. ; 7 mai, le Moulin à seigle, à Alain Le Pennec pour six ans, 200 l.

En outre : les deux terres Lizerin et Cozic, en Kerourgan, affermées à Louis Le Fur pour 46 sous ; une tenue en Gourin, affermée à la Vve Henry Perron, pour 2 poules, 18 f. de corvées et 4 f. 45 c. en argent ; la métairie du Manoir de Conveau, à la même pour 36 f. en argent ; les deux tenues Craobras et Broustal, en la Trinité, à la Vve Barthélémy Le Du l'une pour 15 f. et l'autre pour 7 f. 50 en argent.

En 1798, le citoyen Le Goarant, notaire public au Faouët, et commissaire près du canton de Langonnet achète, par personne interposée, le moulin à seigle pour 63.200 f. (13 février) et le moulin de l'Abbaye, pour 40.100 f. (5 mars). Le moulin du Bourg et celui de Baëron sont vendus au citoyen Boudeville, Philippe-Joseph, rentier de l'Etat à Lorient, pour 7000 f. et 3000 f. (5 mars).

A la fin de 1801, le 16 décembre, la Maison de l'abbé, au bourg de Langonnet, avec le Four et la Vieille Boutique, sont adjugés au cityoen Ménard père, administrateur des Hospices de Vannes, pour 132.155 f.

Le presbytère de Langonnet avec ses dépendances, qui comprenaient sept journaux de terre chaude, autant en prairies et trois journaux en pâture, avait d'abord été affermé, pour 246 f., au sieur Le Monze, curé constitutionnel, jusqu'au 5 Vendémaire an V, et depuis lors à Vincent Lincy. Dès le 13 Thermidor an IV, Raboisson avait soumissionné pour l'achat du pourpris, mais il n'y eut pas d'adjudication. Ces biens furent finalement cédés à la caisse d'Amortissement, en vertu de la Loi du 24 avril 1806, puis distraits par arrêté ministériel et vendus le 20 juillet 1807, à Béjà, de Lorient, pour Raboisson. Ce fut une surprise désagréable pour le maire et le curé. Au mois de frimaire an XIV, le maire s'était cru en droit de toucher, au nom de la fabrique, le prix de la ferme échue le 8 vendémiaire précédent, et d'employer la somme aux réparations de l'église. Il fit différentes démarches qui n'aboutirent à rien. L'acquéreur vit ses droits confirmés par le directeur de l'Enregistrement.

La maison presbytérale avait été exclue de la vente ; mais la situation du curé n'en était pas plus brillante, car cette maison n'avait, écrit-il en 1808, ni portes, ni fenêtres, ni planchers, ni cloisons ; il n'y restait, comme à l'église, que les murs, et c'était l'œuvre des Bleus qui y avaient caserné [Note : Il ne s'agit pas du presbytère actuel, qui fut le Logis de M. Chevreuil, mais de la tenue du Bourlogot, autrement dite Le Manoir, qui était la résidence du Recteur et payait à l'abbaye une redevance annuelle de « sept sols, six deniers monnoie ». (Voir l'Aveu de 1684)] (Jos. Moisan : « La Propriété ecclésiastique dans le Morbihan, pendant la période révolutionnaire », Revue Morbihannaise, 1906).

La liquidation définitive se fit en 1806 ; le 3 février, MM. Duhamel et Morand, de Napoléonville, se portent acquéreurs des deux terres de Kerourgan, pour 1850 f. et de la tenue Craobras (en La Trinité) pour 755 f. La tenue Broustal passe pour 300 l., à MM. Carré et Raboisson, également de Napoléonville. La tenue sise en Gourin est vendue à M. Jollivet, jurisconsulte à Vannes, 1.600 l., pour Guillaume Coroller, François Lohéac, Marianne Lohéac, Vve Le Roy, Guillaume Le Merdé, Joseph Jourdain et Joseph Guiséniou, édificieux. Finalement, le susdit Jollivet obtient, à 890 l., la métairie du Manoir de Conveau pour Le Corre, de Conveau.

(Albert David).

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