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LA RESTAURATION DE L'ABBAYE DE LANGONNET

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LA RESTAURATION DE L'ABBAYE PAR LES MISSIONNAIRES DU SAINT-ESPRIT.

Bretonne par ses origines premières, la Congrégation du Saint-Esprit avait toujours conservé de fortes attaches au pays d'Arvor. Bien que née à Paris, au début du XVIIIème siècle, elle eut cependant pour fondateur un jeune étudiant breton, Claude Poullart des Places, condisciple à Rennes du Bienheureux Père de Monfort. C'est au pays de Bretagne que l'Institut naissant recruta ses premiers sujets. Parmi les prêtres du St-Esprit qui allèrent missionner au Canada, avant la Révolution, une douzaine étaient bretons, et c'est ce qui faisait dire à l'abbé de l'Isle-Dieu, dans une lettre à l'évêque breton de Québec, Mgr de Pontbriant, le 20 juin 1754 : « Nous recevons plus de secours et de meilleure grâce de Nos Seigneurs des évêques de Bretagne que de tous ceux du Royaume ; et d'ailleurs, les sujets, en prêtres et religieuses, y valent bien mieux que partout ailleurs. ».

Depuis ces temps héroïques, les mêmes bons rapports avaient continué, mais les circonstances n'avaient point encore permis à la Congrégaticn restaurée et florissante de prendre pied en pays breton. C'est au P. Briot de la Mallerie que sont dues les premières tentatives d'établissement. Revenu d'Afrique en 1848, il avait été chargé par le Vénérable Libermann d'étudier les dispositions des évêques et du clergé à ce sujet. Très entreprenant de sa nature et jouissant d'une réelle influence par ses relations de famille, le P. Briot se mit à l'œuvre, mais sans résultat appréciable. Cinq ans plus tard, on le voit revenir à la charge, avec mission de préparer une oeuvre de recrutement et d'agir en liaison avec M. Jean-Marie de La Mennais, fondateur des Frères de l'Instruction Chrétienne.

L'abbé de La Mennais avait établi à Ploërmel le centre de son institut naissant, avec un petit collège, d'une cinquantaine d'élèves, où des prêtres du diocèse s'employaient comme professeurs. Ouvert en 1851, le Collège St-Stanislas Kostka était sous la direction de l'abbé Guilloux, le futur archevêque de Port-au-Prince, qui faisait en même temps fonction d'aumônier pour les Frères. Après une expérience de deux années, le jeune supérieur vit clairement qu'il lui fallait s'assurer le concours de professeurs attitrés et permanents. D'accord en cela avec M. de La Mennais, il offrit la direction de l’œuvre à la Congrégation du St-Esprit, qui accepta, avec l'intention d'y créer plus tard un foyer de recrutement. Par la même occasion, M. Guilloux résignait au nouveau supérieur la direction du noviciat des Frères, bien convaincu que ces religieux enseignants avaient tout avantage à être formés par les membres d'une Congrégation qu'ils retrouveraient plus tard aux Colonies [Note : M. de la Mennais était déjà en relation avec la Congrégation du St-Esprit par ses Frères qui se trouvaient en Afrique. Il avait reçu à Ploërmel, en 1852, la visite de Mgr Bessieux, Vicaire apostolique des Deux-Guinées. D'autre part, dans le clergé de Vannes, un vif courant de sympathie s'était créé en faveur des Spiritains par suite de la vocation aux Missions d'Afrique de l'abbé Le Berre, originaire de Neulliac près de Pontivy. On leur offrait même de créer, à Auray, un collège où jeunes noirs seraient admis]. Lui-même manifestait le désir de se vouer aux Missions.

Le R. P. Schwindenhammer fit un voyage à Ploërmel et, peu après, le P. Frédéric Le Vavasseur y passa avec le P. Briot. Le 22 septembre 1853, il écrivait à Paris : « Avec le P. de La Mennais nous avons parlé de beaucoup de choses. C'est une merveille que ce bonhomme, comme il s'appelle. Quelle tête étonnante ! et quelle simplicité, quelle naïveté, quelle bonté ! Il nous témoigne, au P. Briot et à moi, une affection qui nous touche singulièrement. »..

A la suite de ces pourparlers, le P. Collin, amenant avec lui quatre professeurs, fut installé, le 9 octobre, comme supérieur du collège, avec la direction spirituelle des Frères et de leurs novices. On se proposait dès lors d'installer une œuvre indépendante dans l'ancien couvent des Carmes, mais le projet fut vite abandonné. L'essai, loyalement tenté, avait eu tout le succès espéré, et ce succès lui-même ruina l'entreprise. L'union envisagée avec les Frères ne parut pas réalisable et l'on dut se séparer à la fin de l'année scolaire. Ce passage rapide à Ploërmel ne fut pourtant pas sans fruits. On s'y affermit dans la conviction que la Bretagne serait un champ exceptionnel pour le recrutement de Pères et de Frères Missionnaires, une pépinière de vocations apostoliques. D'ailleurs, une nouvelle perspective s'offrait spontanément, toujours par l'entremise du P. Briot. Il y avait, à Gourin, un certain abbé Maupied, docteur ès-sciences, ancien professeur de Sorbonne, qui avait ouvert un petit collège, dont le maintien lui était devenu par trop onéreux. Il ne demandait que d'en être déchargé. Son plan était de confier l'institution de Gourin aux Pères du Saint-Esprit et, en même temps, de la transférer à l'abbaye de Langonnet [Note : M. l'abbé Maupied avait été autrefois le condisciple du P. Briot à St-Méen et du P. Frédéric Le Vavasseur au collège Stanislas. On le considérait comme le bras droit de M. de La Mennais et il paraissait tout désigné pour lui succéder à la direction de l'Institut des Frères].

Il est juste de rendre un hommage mérité à l'homme providentiel qui opéra le sauvetage de notre chère vieille abbaye, Mgr Maupied (François-Louis-Michel), Prélat de la Maison de Sa Sainteté, né à la Poterie, le 14 janvier 1814, décédé à la cure de St-Martin de Lamballe, le 14 janvier 1898. D'abord élève des Jésuites au petit-séminaire de Sainte-Anne d'Auray (1824), puis de M. Jean-Marie de La Mennais, au collège de Saint-Méen, le jeune Maupied avait poursuivi ses études cléricales à Saint-Sulpice pour les terminer, avec l'abbé Blanc, au collège Stanislas qui était, à cette époque, une école de Hautes-Etudes ecclésiastiques. Ordonné prêtre en 1838, le 10 mars, il s'adonna à l'étude des sciences naturelles et, après avoir conquis son Doctorat ès-sciences à la Faculté de Paris, fut nommé, en 1844, suppléant du doyen Glaire à la Sorbonne, chargé de l'enseignement des sciences dans leur application à la Théologie et à l'Ecriture-Sainte. Mis à pied par la Révolution de 1848, il entreprit la fondation d'un collège en Bretagne, avec l'assentiment des évêques de la province, en août 1849. M. Maupied avait donc établi son collège Ste-Marie, à Gourin, dans l'ancienne école primaire de M. Kerdavid, qui est devenu, après de multiples transformations, le florissant pensionnat de Dames Bleues de St-Joseph-de-Cluny. Il voulait organiser une petite société enseignante et, dans ce but, il réussit à grouper autour de lui six prêtres et quelques séminaristes ; vingt-deux maîtres, 90 élèves, 24 domestiques : en tout 136 personnes. Ses premiers collaborateurs s'engageaient à titre gracieux, par pur dévouement, sans aucune rétribution : ce qui est fort beau, mais assez peu pratique.

Le fondateur avait des vues grandioses et des ressources assez minimes. Préoccupé, avant tout, de former de bons agriculteurs, se trouvant trop à l'étroit dans son petit local de Gourin, il eut vite répéré le vaste domaine de Langonnet, qui attendait un acquéreur. Depuis 1806, la vieille abbaye cistercienne servait de dépôt au haras départemental, les étalons occupaient à la chapelle la place des anciens moines. Le directeur s'ennuyait fort dans cette solitude et ne cessait de représenter à l'administration que, si elle avait été excellente pour les religieux, elle ne valait rien du tout pour ses chevaux. Assûré de répondre aux vœux de tous, l'abbé Maupied s'offrit à acquérir la propriété en vue d'y transférer son œuvre naissante et, dès les premières démarches, il obtint la location de la forêt pour 900 f. par an. Il se proposait d'y établir, avec le temps, un orphelinat, une colonie agricole, une ferme-modèle ; d'un seul coup d'œil il avait prévu l'ensemble des œuvres qui allaient se réaliser au cours d'un siècle, sur les rives de l'Ellé. Il comprit bien que pour la réussite de ses projets, il lui fallait le concours d'un institut déjà organisé ; d'autant plus qu'il se trouvait aux prises avec d'inextricables difficultés d'ordre à la fois administratif et financier. Il ne vit donc d'autre issue que d'offrir aux Pères du Saint-Esprit son collège… et ses brillantes perspectives sur l'avenir. Or, en août 1853, appelé par M. de La Mennais pour donner la retraite à ses frères, il rencontra, à Ploërmel, le P. Briot, son ancien camarade de classe, et lui exposa tout de suite ses vues : substituer la Congrégation du St-Esprit à la Société civile Ste-Marie, lui céder le collège et acquérir l'abbaye. Lui-même demandait à entrer dans la Congrégation et s'en ouvrait à Paris. Ces propositions répondaient assez aux désirs formulés déjà par les Spiritains de s'établir en un pays de nombreuses et bonnes vocations. Le P. Frédéric Le Vavasseur vint se rendre compte sur place, à la fin de septembre, et donna un avis favorable, d'après lequel on tomba facilement d'accord.

Les classes s'ouvrirent donc à Gourin, dans les premiers jours d'octobre 1854 ; M. Maupied demeurait supérieur, assurant les cours de rhétorique, de philosophie et de hautes sciences. Le P. Collin faisait fonction d'économe, avec la direction générale des études et de la discipline ; quatre Pères, six Frères et quatre aspirants lui étaient adjoints. Un ancien professeur, M. Logeat, conservait la classe de seconde. Le P. Le Vavasseur, assistant du Supérieur général, était chargé de mener à bien l'acquisition de N.-D. de Langonnet et la création des œuvres projetées.

En octobre 1855, un petit-séminaire était annexé au collège, toujours sous la haute direction de M. Maupied, et le P. Guilmin venait y remplacer le P. Collin. Ce séminaire comprenait une section de grands scolastiques, les sujets du petit-scolasticat, ainsi que les philosophes et les plus jeunes élèves du séminaire des Colonies. On y comptait vingt-deux scolastiques et parmi eux deux noirs d'Afrique. L'inauguration officielle aura lieu le jour de Pâques, 12 avril 1857 ; sept philosophes recevront l'habit religieux.

Dès 1856, M. Maupied avait quitté Gourin pour se retirer à Rome, au Séminaire Français, où il passa une année et prit ses grades de docteur en Théologie et en Droit canonique. On le verra plus tard au Concile du Vatican en qualité de théologien de Mgr Charbonnel, évêque de Toronto. Il finit par se consacrer très simplement au ministère paroissial. D'abord vicaire à Guingamp, puis curé de St-Martin de Lamballe, où il terminera sa carrière, à l'âge de 84 ans ; ses restes reposent en son village natal, La Poterie (Côtes-du-Nord). Il fut chanoine honoraire de Reims, d'Aquila, de Quimper et de St-Brieuc ; professeur titulaire de l'Université d'Angers.

Mgr Maupied a beaucoup écrit : une quarantaine de volumes et de très nombreux articles dans les Annales de la Philosophie Chrétienne, la Revue Critique et Littéraire, l'Encyclopédie Catholique, l'Encyclopédie du XXème siècle, la Revue Médicale, la Revue Anthropologique ; la Voix de la Vérité ; la Foi Bretonne et plusieurs autres journaux [Note : Principaux ouvrages de Mgr MAUPIED : — Dieu, l'homme et le monde, connus par les trois premiers chapitres de la Genèse. 3 vol., in-8°. — L'Eglise et les Lois éternelles des sociétés humaines. 1 vol, in-8°. — Juris canonici Compendium. 2 vol. in-4°. — Theologia positiva dogmatica et moralis, 2 vol. in-4°. — Origine de l'homme et des espèces animales vivantes et fossiles. — Le Futur Concile. 1 vol. in-8°. — Réponse à la lettre de Mgr Dupanloup, du 11 novembre 1869. — Devoirs des Chrétiens devant l'Infaillibilité doctrinale du Pont. Rom. Vie de Mgr Graveran. — Essai sur l'origine des peuples anciens. — Réconciliation de la Raison et la Foi, — Etc.].

Il ne fut pas seulement un intellectuel, mais un homme d'œuvres, entreprenant et zélé. Durant son séjour à Paris, il réunissait chez lui, trois fois par semaine, pour des conférences, un groupe de jeunes ouvriers ; il se dévouait à l'aumônerie de l'Institution Savouré, aux Madeleines de la Maison St-Michel, aux soldats de la citadelle de Vincennes.

Il prêcha des retraites à la Société St-François-Xavier et aux Frères de Ploërmel ; des sermons de circonstance à l'Abbaye-au Bois, aux religieuses Assomptiades, fondées par le P. Combalot ; à St-Médard, un Carême (sur la Gloire de Dieu, 1842), un Avent (1844) ; à l'archiconfrèrie N.-D. des Victoires : (le Sacerdoce de Marie ; un panégyrique de St-Pierre (1846) et un autre de St-Vincent de Paul) ; à St-Louis de Paris, à Reims, (Panégyrique de St-Remy, 18 oct. 1849) ; à Thouars, en Poitou (Pâques 1848) ; des mois de Marie en plusieurs églises.

L'abbé Maupied avait été remarqué à Rome et nommé membre de l'Académie de la Religion Catholique. Le P. Perrone a fait l'éloge de ses études apologétiques dans les Prœlectiones (Ed. LECOFFRE, 1853, p. 31).

Il avait su gagner la confiance de plusieurs prélats : Mgr Fioramonti, Mgr Filippi, Mgr Bartholomeo d'Avanzo ; des cardinaux Antonelli, Chigi, Altieri, Berardi, Fornari et Meglia ; du cardinal Gousset, du cardinal Caverot et de Mgr Sergent, évêque de Quimper, « le bon sergent de Dieu, » disait Pie IX. Le grand Pape l'avait également en très haute estime et disait de lui : « Maupied est dans les bons principes et les saines doctrines ; toujours sur la brèche pour défendre l'église et la vérité ». Aussi avait-il les yeux sur lui : La tiene di mira ! disait à son ami Maupied, le bon évêque d'Aquila, Mgr Luigi Filippi.

C'est ce qui explique l'appel de Maupied au Concile. Le Cardinal Altieri l'avait même désigné comme Théologien du Pape. Il présenta plusieurs Mémoires importants et la rédaction de six Canons sur le Pontife Romain.

Il se vit sur le point d'être agrégé à l'Université Romaine, si l'état de sa santé l'eût permis. Nommé Consulteur de l'Index, puis Camérier en 1872 et Prélat domestique en 1873, Mgr Maupied vint reprendre son modeste ministère dans la campagne bretonne, avec la réputation d'un brillant ultramontain : ce qui ne fut pas sans lui créer quelques difficultés avec son évêque, qui, lui, ne l'était point du tout.

« M. l'abbé Maupied est un esprit très distingué, disait-il, mais ami des extrêmes, et le tempérament de notre époque de transition ne les supporte guère, à tort ou à raison ». Zélé bonapartiste, Mgr David s'était signalé, à Rome, parmi les plus ardents soutiens du parti Dupanloup ; aussi le bon Pie IX disait, avec un sourire quelque peu malicieux : « Si vous voyez David, dites-lui donc qu'il n'a pas tué Goliath ! ».

L'évêque de Saint-Brieuc finit cependant par nommer Mgr Maupied chanoine de sa cathédrale, en déclarant qu'il voulait récompenser « une vie de travail sérieux, d'érudition, de science et de dévouement à l'Eglise ».

Mgr Maupied jouissait d'une grande réputation dans le monde savant de l'époque ; il décida la conversion de son ancien professeur en Sorbonne, le Dr. Blainville, et d'un protestant, le diplomate anglais David Urquhart.

Mgr Justin Fèvre affirme qu'il fut proposé jusqu'à sept fois pour l'épiscopat. Il est certain qu'il faillit être agréé par le ministre Fortoul, sur la proposition du Supérieur du St-Esprit, pour le diocèse de La Réunion ou pour celui de la Martinique ; le préfet du Morbihan l'avait proposé également au siège de Bayeux ; réclamé pour Vannes, il fut définitivement écarté, en raison de ses principes romains et de ses idées légitimistes, par le ministre Rouland [Note : Mgr Maupied, par Mgr JUSTIN FÈVRE, dans Le Clergé contemporain. N. 8. 1er février 1896. — Notice biographique sur M. l'abbé Maupied, supérieur de l'Institution N.-D. de Gourin, dans Les Orateurs sacrés, de MIGNE. Tome 86, col. 74 et suiv. — Histoire de l'Eglise, par RHORBACHER, continuée par Mgr JUSTIN FÈVRE. Vol. 24ème].

« Mgr Maupied fut recteur de St-Martin de Lamballe pendant une trentaine d'années ; et son influence se fait encore sentir dans cette paroisse. La génération, qui a été formée et instruite par lui, se distingue des autres par un plus grand esprit de foi et surtout par une connaissance plus grande et plus approfondie des vérités religieuses » (Chanoine Toublanc).

« D'une grande simplicité, sous des dehors très dignes, Mgr Maupied était d'un commerce agréable pour les esprits cultivés qui aimaient en lui sa science profonde, son érudition variée, son aménité parfaite » (La Croix des Côtes-du-Nord, 23 janvier 1898).

En conséquence des arrangements pris avec M. Maupied, les Pères du St-Esprit héritaient de la Société civile Ste-Marie de Gourin et, du même coup, des droits éventuels de préemption qu'elle s'était ménagée sur l'abbaye de Langonnet. L'administration du haras, d'accord avec la préfecture du Morbihan, ne demandait qu'à favoriser ce projet, ayant en vue un autre domaine abbatial, devenu propriété privée, celui de La Joye, près d'Hennebont. Mais, comment l'acquérir ?

Chargé de cette affaire, le R. P. Le Vavasseur s'employa sans relâche à la faire aboutir. D'accord avec M. Maupied, et après entente avec le préfet de Vannes, il se posa acquéreur pour cinq hectares du domaine convoité par le haras et fit établir le plan des installations requises pour le transfert des étalons. Mais, à distance et en présence des résultats, on se fait difficilement une idée des démarches, visites, lettres, rapports, sans parler des appels aux plus hautes influences (celle, par exemple de l'Impératrice), qu'il fallut entreprendre pour arriver à une heureuse conclusion. Il s'agissait, en effet, de mettre en mouvement le directeur du dépôt de Langonnet et le directeur général des haras, le préfet du Morbiban avec le sous-préfet de Pontivy, le ministre de l'Agriculture, ainsi que l'administration des Domaines, le ministère des Cultes, le Conseil d'Etat, le Corps Législatif, le Sénat et jusqu'à l'auguste personne de l'Empereur... Aussi, l'affaire, amorcée dès la fin de 1852, ne fut terminée qu'en 1857, par un décret impérial promulguant la Loi qui autorisait la Congrégation du Saint-Esprit à échanger l'abbaye de La Joye contre celle de Langonnet [Note : Acte d'échange entre l'Etat et la Congrégation du Saint-Esprit, passé à Vannes, le 31 décembre 1856, autorisé par décret du 10 novembre 1856. — Acte approuvé par le Corps législatif, le 21 avril 1857 ; ratifié finalement par l'Assemblée législative, en 1858. — Cette abbaye cistercienne de femmes avait été fondée en 1260, par Blanche de Champagne, femme de Jean-Le-Roux, duc de Bretagne, pour Sibille de Boisgenay, sa nièce, qui en fut la première abbesse. En 1792, les religieuses et leur abbesse Madeleine de la Bourdonnais, préférèrent au serment l'exil ou l'internement à l'hôpital St-Nicolas de Vannes ; tandis que leurs aumôniers Antoine Duquesne et Pierre-Marie Taillart, bernardins, se soumettaient à la loi. Ils habitaient la Conciergerie, qui a été classée monument historique. En souvenir sans doute de leurs faces rubicondes, ce coquet pavillon a conservé le nom de maison des petits cochons du bon Dieu, dont l'avait affublé la malice populaire].

L'abbé Maupied s'était basé, en principe, sur un compromis conclu avec M. M. Quéro, d'Hennebont et Halouis, de Lorient. M. Halouis, architecte, s'engageait à construire le haras sur le terrain de cinq hectares de l'abbaye de La Joye, appartenant à M. Quéro. Ces messieurs avaient promis d'effectuer l'échange avec le Gouvernement et de céder ensuite l'abbaye de Langonnet à M. Maupied.

Le P. Le Vavasseur ayant fait une première proposition de 50.000 fr. à M. Maupied, la somme fut jugée insuffisante et l'on s'en remit, de part et d'autre, à une expertise, qui porta à 70.000 fr. la valeur du collège de Gourin avec tout son mobilier. L'abbaye devait nous revenir en dédommagement de ce prix élevé.

M. Quéro, qui ne voulait point courir les risques du premier arrangement conclu avec M. Maupied, réclama 30.000 fr. pour son terrain d'Hennebont. Cette somme lui fut avancée et le Supérieur général de la Congrégation du St-Esprit se trouva, par le fait, substitué à M. Maupied, pour traiter avec le Gouvernement. Les choses étaient ainsi réglées en mai 1856 ; il ne restait plus qu'à obtenir le décret impérial autorisant l'échange, puis une sanction législative. En vertu de tous ces arrangements, la Congrégation du St-Esprit devint propriétaire de l'ancien domaine abbatial de Langonnet, par voie d'échange, et le haras dut être transféré à Hennebont.

Enfin un décret du 10 novembre 1856 autorise l'échange de l'abbaye de La Joye, à Hennebont, contre celle de Langonnet. Quelques mois auparavant, l'Etat avait dû racheter l'auberge du Tourne-Bride, située en face de l'entrée principale du haras, au sieur Le Bihan, auquel le terrain avait jadis été concédé afin d'y établir une hôtellerie indépendante de l'établissement. Le Bihan, qui avait construit sur le terrain domanial et l'avait amélioré, demanda une indemnité de 20.000 francs, et l'Administration ne voulut lui en accorder que 12.000.

Le 1er décembre 1856, le directeur de l'Enregistrement de Vannes adresse au préfet du Morbihan le projet d'acte d'échange de Langonnet contre cinq hectares pris dans l'enclos de l'abbaye de La Joye, que le Supérieur de la Congrégation du St-Esprit avait acquis du sieur et de la dame Quéro, par autorisation du décret impérial daté de Saint-Cloud, 6 octobre 1856, signé du ministre de l'Instruction publique et des Cultes, Rouland. L'acte de cession est daté du 31 décembre 1856, et fait suite à un décret du 9 novembre précédent. Par acte du 25 février, le Supérieur s'est engagé à faire, à Hennebont, diverses constructions, qui sont les écuries et communs encore en usage aujourd'hui. La loi qui ratifia l'échange est datée de Fontainebleu, 19 mai 1857, signée Napoléon, contresigné : A. Fould, ministre d'Etat ; Abbatucci, garde des Sceaux.

L'acquisition des cinq hectares de l'Abbaye de La Joye avait coûté 26.490 fr. et les constructions du nouveau haras 51.360 fr.
11 c., soit au total 77.850 f. et onze centimes. Comme les 36 hectares du domaine de Langonnet étaient estimés 46.399 f. 46 c., il revenait aux acquéreurs, sur cette opération, la somme de 31.450 f. 65 c., dont 10.000 f. à la charge de la ville d'Hennebont et le surplus sur le compte de l'Etat. Les frais et les droits seront payés par moitié, par les deux parties.

Le 15 février 1858, devant M. Boulage, préfet, comparaît le R. P. Le Vavasseur, sous-directeur de la Société civile de N.-D. de Langonnet, pour l'acquisition de la ferme de Ker-Lorois et de la forêt de Langonnet, propriétés départementales, aliénées par le Conseil général (séance du 28 août 1857, et arrêté préfectoral du 27 janvier 1858). Mise à prix 50.000 fr., payables par annuités de 5.000 f. Ces terres faisaient partie de propriétés transportées à la Caisse d'amortissement par la loi du 25 mars 1817, et acquises par le Département, le 1er juillet 1820.

Il fallut ensuite s'occuper des aménagements nécessaires pour rendre la maison propre à sa nouvelle destination. A mesure qu'ils s'achevaient dans des conditions de pauvreté, dont se félicitait l'organisateur, les démarches se poursuivaient pour d'autres acquisitions : la ferme de Ker-Lorois ou St-Jean Baptiste, anciennement Maner Hoët, le manoir du Bois [Note : Le nom de Ker-Lorois lui avait été donné en l'honneur de M. Lorois, Conseiller général, député du Finistère, qui devint, en 1873, propriétaire du château de St-Maurice de Carnoët] ; l'hôtel du Tourne-Bride, l'étang de Priziac (100 hectares), loué en vue d'un établissement de pisciculture ; enfin la colline de Kermainguy, où devait s'établir la Colonie pénitentiaire de St-Michel [Note : A. — M. le comte Emile-Fernand de Najac (38. rue Cadet, Paris), maréchal de logis, a vendu au PP. Le Vavasseur et Schwindenhammer, agissant pour la Congr. du St-Esprit, avec l'approbation du Gouvernement, les fermes ou métairies : 1° du Harlay et dépendances (échangées plus tard avec M. de Soussay, par acte notarié de M. Guignard, notaire de Hennebont, le 13 avril 1866, contre 22 hectares, 19 centiares, à prendre sur la ferme du Dréortz en Priziac) ; 2° de Parc-Alix et dépendances ; 3° de Quellenec et dépendances en Langonnet ; 4° de Kermainguy en Priziac, sauf parcelles en Plouray. Dont acte de vente, devant M. Bargain, notaire au Faouët, le 29 septembre 1856, pour la somme de 36.000 fr.
B. — La maison de Pontchampeau, en Langonnet, a été acquise par les PP. Le Vavasseur et Schwindenhammer, à Caradec Ourvois, le 30 novembre 1857, pour 1.500 fr. devant M. Bargain au Faouët.
C. — La forêt a été achetée par la Société civile, le 3 mars 1858, à M. Boulage, préfet du Morbihan, agissant au nom du Département, autorisé par le Conseil-général, session du 29 août 1857.
D. — Quelques autres parcelles, ainsi que Kerourggant, furent acquises successivement en 1871, 1874, 1877.
— Dans le but de repeupler l'étang de Beler, on fit venir des œufs de truite de Huningue ; ils arrivèrent, vers la mi-février 1858, en très piteux état ; on ne put sauver que deux alevins ; un second envoi de truites et de saumons du Rhin réussit quelque peu mieux, nous raconte le P. Le Vavasseur].

***

C'est le 29 septembre 1856 que les Spiritains devinrent propriétaires de Kermainguy et de ses dépendances qui leur furent cédés par le comte Emile-Fernand de Najac et son frère Adrien, petits-fils de l'ancien acquéreur des Biens nationaux. En raison de la date même du contrat, la nouvelle acquisition fut placée sous le vocable de St-Michel, archange. C'était le prélude de la réalisation d'une prophétie attribuée à Philippe Le Normand : « La colline de Kermanguy deviendra une petite ville ».

Kermenguy : endroit pierreux ou rocheux ; peut-être tout simplement habitation de Menguy, puisque Menguy est devenu un nom de famille ; d'aucuns, trompés par la similitude de nom, ont voulu y voir, bien à tort, un fief de la famille Cadio de Kermainguy. Il y avait sur cette colline une métairie à domaine congéable, comprenant un manoir, ou lieu noble, avec ses dépendances, une tenue de 29 journaux 1/4 de terres cultivables, bois et prairies, environ 15 hectares ; qui semble bien avoir fait partie du domaine abbatial primitif. On trouve Kermainguy signalé, en 1431 et 1448, parmi les exempts de fouages, comme appartenant aux abbés de Langonnet. Il figure en première ligne sur l'Aveu fourni à la Cour d'Hennebont, 10 septembre 1493 : « La Mestaerie de Ker-Mainguy o toutes et chacune ses appartenances sites en la paroisse de Prisiac, en laquelle demourent Jehan Even et fame ». Le manoir n'avait rien d'une résidence seigneuriale ; c'était une habitation en pierre de taille, couverte d'ardoises, mesurant 40 pieds de long sur 14 pieds de large et onze pieds en hauteur, désignée sous le nom de Maison-Neuve. Elle avait une porte au levant avec deux fenêtres carrées et une claire-vüe ; sur la couverture, trois lucarnes pour éclairer la chambre supérieure. Intérieurement « une cheminée à corbeaux et corbelets de taille, manteaux de bois, la housse, dossier et pile de taille », sur le pignon du midi ; à l'autre extrémité, un escalier à pied droit pour le service de la chambre, puis « un cellier avec son entre-deux de planches ».

Dans le prolongement subsistait la Maison ancienne, un peu plus grande (50 pieds x 15 x 12 1/2), à laquelle s'adossait un hangar couvert de paille. De plus, une petite maison avec couverture de gleds, un second hangar, une étable à vaches et une souïl à cochons. Joignez-y un four, une aire à battre, un puits et un jardin. A l'est, se trouvait le verger, en bordure de la route de Priziac ; de l'autre côté le Bois de Ridel. Le Leur-Guer ou placître, planté de hêtres et de chênes occupait le rond-point actuel de la conciergerie. Sur la place du Tourne-Bride, à l'embranchement du chemin, se trouvait un calvaire, qui faisait face au pont Gentiris et à l'entrée de l'abbaye. Il était érigé à l'orée d'une pâture désignée sous le nom de Tachen-er-fest, le lieu de la danse. On sait que la danse était strictement prohibée dans l'ancien diocèse de Cornouaille ; aussi la sémillante jeunesse franchissait la rivière pour se trouver en Terre de Vannes, et là, avec la complicité tout au moins tacite des paternels Bernardins, elle suivait le conseil du bon Horace : Nunc est bibendum ; nunc pede libero - Pulsanda est tellus.

Kermainguy était une tenue à domaine congéable, c'est-à-dire que l'abbé, à titre seigneurial, se réservait uniquement le fonds, sur lequel il percevait une redevance très légère ; tandis que les édifices et superfices, clôtures, plantations, cultures avec leur essouchement, etc., en un mot tout ce qui se trouvait en surface, appartenait au domanier ; de telle sorte que le seigneur ne le pouvait congédier, à termes réglés et convenus, qu'après remboursement intégral des constructions et améliorations. C'est ce qui explique que les familles se maintenaient sur le même domaine pendant des siècles, la tenue passant de droit aux héritiers, parents ou alliés. Ainsi Kermainguy demeura longtemps en la possession d'une famille Auffret ; on l'appelle, dans les aveux et déclarations, « Tenue anciennement Jean Auffret ». Les premiers actes conservés portent la date de 1609, au temps de l'abbé Paul de Bonacourcy. Au XVIIème siècle, les domaniers doivent payer, « chaque année, au premier septembre, jour de St-Gilles, la somme de cinquante soulz monnoye, qui font trois livres aux espèces d'aujourd'hui (1745), plus le charroy d'une pipe de vin des hasvres d'Hennebont, Quimperlé ou Pont-Scorf, et le charroy de la moitié du foin de Prat-Huon », plus les dîmes, corvées, redevances et servitudes habituelles. En 1762, les moines se décidèrent à congédier leurs domaniers de Kermainguy ; ils doivent rembourser 900 livres à Guillaume Le Louët, Jean et Pierre Rostorven ; 2.925 livres à Messire François-Jacinthe Le Borgne de Penguer, par son tuteur Claude-Marie Picot, écuyer, sieur de Coëtual.

Le dernier fermier de Kermainguy pour le compte de l'abbaye, Jean Beurné, payait 210 livres par an, plus une rente de 12 livres, douze poulets, douze livres de bon beurre, un charroi de vin et deux charrois d'ardoises.

D'après l'expertise de 1790, il y avait « une maison d'habitation — avec façade et corniche en pierre de taille, porte cintrée, ornée de moulures, — couverte en ardoises et en très bon état, sauf la couverture. Au levant, une suite de logements : deux maisons couvertes en ardoises, une écurie en appenti, couverte en paille, le tout en très bon état. Au midi de la cour, deux crèches s'entrejoignant, couvertes en paille, dont l'une menace ruine. Sur le placître, au nord, une maison couverte en paille. Un four en bon état, un puits, bon, à l'exception de la charpente et du treuille et couronnement qui sont hors de service ». Le tout fut estimé 4.660 livres et adjugé au sieur Benoît-Georges Najac, commissaire des ports et arsenaux de la marine, à Lorient.

De 1804 à 1816, Kermainguy est loué à Louis Auffret, contre « la somme de 222 fr. en numéraire, douze poulets et douze kilogrammes et demi de beurre loyal et marchand », plus 150 fr. de commission payables par trois annuités de 50 fr.

Le Comte de Livène, inspecteur du Haras Royal de Langonnet, prend le domaine à bail pour six ans, le 29 novembre 1816, au prix de 300 fr. ; il en cède la gestion, deux ans après, à Joseph Pasquiau, praticien, demeurant au bourg communal de Priziac, pour la même somme, avec garantie hypothécaire de 1.950 fr. Mais, dès l'année suivante, le sieur Pasquiau, n'ayant pu s'acquitter, se voit condamné à la saisie, par jugement du 22 mars 1819. On lui réclame 384 f. 52 c. pour les frais et les intérêts échus depuis neuf mois. Louis Le Goff, palefrenier au haras, devient locataire (29 septembre 1824), par bail renouvelable jusqu'en 1848. Le dernier bail, consenti à 420 fr. aux enfants de Le Goff, devait expirer le 29 septembre 1857. Mais, dès le 29 septembre 1856, les Pères du Saint-Esprit sont devenus acquéreurs. Ils durent prendre possession à l'expiration du bail précédent. Déjà les premiers colons, venus de Coat Piket et de Carlan, se trouvaient à Ker-Lorois, avec le F. Grégoire, depuis le 13 mai 1856. Aussitôt après l'acquisition, ils s'employèrent à aménager la propriété ; car, à la date du 20 août 1857, un ouvrier et deux colons périrent asphyxiés en travaillant au puits de St-Michel. Les enfants furent inhumés au nouveau cimetière de l'abbaye, qui ne sera béni qu'en 1859, le 29 juin, par Mgr Bessieux.

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Ce n'était pas une petite affaire assurément de transférer, de Gourin à Langonnet, l'œuvre de M. Maupied. Homme de foi et d'initiative le P. Frédéric Le Vavassseur n'attend point la fin des pourparlers. Il met tout en oeuvre pour faire déguerpir de l'abbaye « les chars d'Aminadab et toute sa cavalerie ». Dès le printemps de 1856, il appelle de Coat Pikel, près St-Ilan, une première équipe de sept jeunes colons afin d'occuper les avant-postes, c'est-à-dire la ferme de Ker-Lorois (13 mai). Ce n'était qu'une feinte pour ne pas trop effrayer l'adversaire ; mais, dès le 29 septembre, le P. Guyot traverse la forêt et s'empare du vieux manoir de Kermainguy, qui n'offrait aucun confort. De là, il domine la situation. Les débuts furent véritablement héroïques. Un vaste grenier couvert en chaume, éclairé seulement par une porte au pignon et par deux mauvaises lucarnes, servait à la fois de dortoir, de salle à manger, de salle de classe et de récréation, aussi bien pour les Frères que pour les enfants. La cuisine, peu somptueuse, était installée dans une vieille porcherie abandonnée. On vivait de crêpes, de bouillie de blé noir, de patates et de rutabagas. Chaque dimanche, il fallait entreprendre un long chemin pour entendre la messe aux églises du voisinage, le directeur ne pouvant venir de Gourin que deux fois par semaine, pour faire le catéchisme et entendre les confessions.

En arrivant sur ce plateau, dont il fait son quartier général, le P. Guyot place son entreprise sous la protection de l'Archange vainqueur ; lui-même n'hésite point à franchir les ponts et vient passer la nuit sous l'escalier dans un des pavillons de l'entrée. Ces travaux d'approche permirent de pénétrer dans la place, l'année suivante. Le premier bastion occupé fut l'abbatiale, dont jouissait un certain Le Bihan. Le 17 mars 1857, le F. Columban amenait de St-Ilan 23 personnes, dont 14 frères, avec deux grandes voitures de bagages, mais le directeur du haras ne consentit à leur céder que trois chambres et quelques mauvaises mansardes dans un quartier délabré. Les chevaux commençaient leur exode, mais les derniers occupants s'opposaient à toute transformation. Défense absolue de toucher aux stalles des étalons, ni au grenier à fourrage établi dans les combles de la chapelle. Quelques frères devaient remonter pour la nuit à Ker Lorois, et toute la communauté s'y rendait pour les repas, faisant en cours de route les exercices de règle, agrémentés par les rafales de vent et de pluie.

« A l'époque du haras, raconte le F. François-Marie dans ses souvenirs de jeunesse inédits, le premier étage était occupé par le directeur (Drieu), le régisseur (Duplessis) le vétérinaire (Morin). Ce dernier avait ses appartements du côté de l'est ; au fond de ce bâtiment s'ouvrait un corridor, transformé en chapelle qui pouvait contenir une cinquantaine de personnes. Le régisseur habitait au midi. Homme très affable, il demanda au F. Eugène de lui mouler son buste. Sur la façade, se trouvaient les appartements du directeur ; du rez-de-chaussée jusqu'à son salon, on arrivait par un double escalier monumental qu'il pouvait monter à cheval. C'était trop de luxe pour de pauvres religieux, pensa le bon P. Pernot, qui le fit démolir par le F. Jean, 1862. « Vous auriez mieux fait d'aller vous coucher, ce jour-là, » dira le P. Collin au candide démolisseur.
Le directeur était un personnage de haute stature ; ancien commandant du train des équipages, il avait un air martial, qui sentait la rudesse. On devait user de ménagements pour lui parler. Ce qu'il accordait aujourd'hui, il le retirait trop facilement le lendemain »
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Ainsi, pendant que le P. Guyot se fortifiait sur les hauteurs de St-Michel, le P. Frédéric Le Vavasseur s'insinuait tout doucement au cœur même de l'antique abbaye et installait dans une vieille masure son poste de liaison. On y campait en plein air, le logis n'ayant plus ni portes, ni fenêtres depuis longtemps. Il fallut naturellement se replier en bon ordre, à la fin des beaux jours, réintégrer St-Ilan pour la période de l'hivernage, mais avec le plan bien arrêté de revenir à l'assaut, dès le printemps prochain et d'emporter la place définitivement.

C'est le 25 mai 1858, qu'on put occuper les locaux, après la vente du mobilier ; mais le gardien, M. Morin, ne quitta, en fin de compte, que le 7 juillet.

L'année 1858 marque donc, dans les annales du monastère cistercien, le début du renouveau. Désormais, une jeunesse active, exubérante, animera de ses jeux, de ses cris, la solitude monacale. La vie religieuse, interrompue depuis 68 ans, attirera comme autrefois les gens de la contrée. On commence de revenir à l’Abati, pour la messe du dimanche et les beaux offices ; on y viendra bientôt se consacrer à Dieu. Une ère nouvelle s'ouvre pour le vieux couvent, avec, sur l'avenir, des perspectives de prospérité, qu'il n'avait encore jamais connues au cours de sa longue existence, souvent paisible, maintes fois troublée, mais toujours féconde. La prédiction de Philippe le Normand continuait de s'accomplir : « L'abbaye verra revenir d'autres moines plus nombreux que les anciens, qui transformeront le pays ».

A mesure que le personnel du haras procédait à l'évacuation des locaux, on entreprenait à la hâte les réparations les plus urgentes, nécessaires à l'installation de la communauté de Gourin. A Pâques 1858, une escouade de Frères vint à la rescousse ; mais la prise de possession n'eut lieu que le 10 juin, en la fête du Sacré-Cœur. Une croix fut portée en procession, au chant de Vexilla Regis, pour être fixée au sommet de la tour et remplacer la girouette en forme de cheval. Les arrivants formaient un groupe assez complexe : aux novices Frères, appelés de St-Ilan, vinrent s'adjoindre, en juillet, cinquante petits scolastiques et quatorze élèves du Séminaire Colonial, sous la direction du P. Pernot. Les élèves du collège effectuèrent leur entrée, le 5 octobre, au nombre de 65. Plus tard viendront les grands Scolastiques [Note : Afin de distinguer plus facilement les œuvres diverses qui vinrent s'abriter à Langonnet, on nous pardonnera d'entrer dans quelques détails. La Congrégation du Saint-Esprit est composée de deux catégories de membres, tous également religieux et missionnaires : les prêtres, ou Pères, chargés du saint ministère et de la direction des œuvres ; et les Frères auxiliaires, particulièrement adaptés au soins du matériel. Parmi les aspirants figurent les postulants et les novices Frères ; puis les apostoliques, les novices clercs, et les Scolastiques, ou seminaristes de philosophie et de théologie. Les aspirants clercs qui n'ont pas encore terminé leurs humanités sont désignés sous le titre d'apostoliques ; on les appelait autrefois les petits Scolastiques. En outre, la Congrégation, ayant à sa charge les trois diocèses coloniaux : Réunion. Guadeloupe et Martinique, avec les Préfectures Apostoliques de St-Pierre-et-Miquelon et de La Guyanne, desservis en partie par le clergé séculier, il lui incombe de recruter des sujets pour le Séminaire Colonial de la rue Lhomond, Paris. Antérieurement aux lois scolaires, les Spiritains avaient accepté également la direction de quelques collèges en France et dans les Colonies].

La chapelle n'était pas encore totalement restaurée, quand se fit l'inauguration, en la solennité du huit décembre, sous le vocable de la Vierge Immaculée. M. Eugène Schwindenhammer fut chargé de la décorer et s'acquitta de cette tâche avec tout son savoir-faire.

On fit apporter de N.-D. du Gard la statue de N.-D. des Victoires et celles des Apôtres ; l'orgue, qui avait connu autrefois des heures de gloire à Ste-Gudule de Bruxelles [Note : H. Loret, facteur d'orgues, à Bruxelles, chaussée de Laecken, N° 70, facteur des orgues du Conservatoire et du Théâtre royal], et la petite cloche au son argentin, souvenir de la Visitation Sainte-Marie d'Amiens, datant du grand siècle. On ajouta une seconde cloche, dite de l'Ave Maria, en 1859, puis une troisième, en 1879, sous le vocable de St-Joseph, pour remplacer les trois timbres profanes du haras, placés en ces lieux. Le 29 juin, Mgr Bessieux procéda à la bénédiction du nouveau cimetière, sur le sommet de la colline, au levant. C'est là que vint reposer, près des restes exhumés des vieux moines Bernardins, le corps de Dr. Samson Libermann, décédé le 10 janvier 1860.

Frère aîné du Vénérable Père Libermann, Samson fut le premier à sortir du judaïsme, et son exemple entraîna l'adhésion de plusieurs des siens. En 1859, le bon docteur vint s'installer à l'ancienne abbatiale et se fit la providence des malades de la région. Un monument rappelle son souvenir : Heic in pace quiescit - Franciscus Xaverius Sampson Libermann - Domo Taberna apud Argentoratum - Medicus - a Judacis ad Catholicos - Singulari Dei munere digressus - pietatem constanter coluit - Religionis officia accurate obivit uxorem, filios, fratres beneque multos Judaeos - ab errore ad veritatem traduxit. - Decessit eximia opinione virtutis - XIX Kal. Febr. an. MDCCCLX - an. n. LXX. mens. VII. D. XXVI. - filii mœrentes patri - plus de se merito quam titulo - scribi queat - posuerunt. - Ave, Ave, Pater. Vive in Deo.

Près de ces restes vénérés, on apportera plus tard (1868) quelques cercueils relevés du cimetière de Mons-Ivry, près de Paris, quand le terrain de cette maison fut exproprié pour la construction d'un fort détaché. C'étaient les restes des Pères Janin et Holley, des Frères Lazare et Benoît, d'un novice, M. Gibier et du célèbre historien Rhorbacher, qui, toujours original, trouva le moyen d'avoir deux tombeaux, l'un en Bretagne et l'autre à Chevilly, où son crâne est resté.

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Le Pénitencier de St-Michel, d'abord simple annexe de celui de St-Ilan, fut érigé en Colonie autonome par décret du 2 mars 1859. On construisit alors le grand bâtiment central en forme de croix, puis les étables, avec une salle de classe au-dessus du bétail. Le 10 mars 1860, la bénédiction des eaux donna lieu à une cérémonie grandiose pour l'inauguration du canal à siphon, long d'un kilomètre, qui déversait sur le plateau 1000 hectolitres par jour. Le P. Guyot passa, du coup, pour sorcier aux yeux des paysans émerveillés, jusqu'au moment où le recteur de Langonnet, après avoir goûté l'eau du bassin-réservoir, eut déclaré à la foule anxieuse que ce merveilleux liquide n'avait absolument rien de diabolique.

Le P. Collin était supérieur en 1864, quand la Colonie fut détachée de l'abbaye. Le P. Guyot devint officiellement directeur de l'œuvre, qui prenait, sous son habile direction, un rapide accroissement. On y comptait déjà 147 personnes, outre le directeur : 10 Frères, 3 agrégés, 3 colons libérés et 130 détenus. Leur nombre s'éleva à 247 l'année suivante, après la suppression de l'établissement du Grand-Quevilly près de Rouen. Soumis à une discipline toute militaire, ferme et paternelle à la fois, recevant une bonne éducation religieuse et patriotique, ces colons, à mesure qu'ils arrivaient, prenaient assez vite l'esprit de la maison. On y assista à des transformations surprenantes et les inspecteurs Jaillant et Lalou n'hésiteront pas à dire, en 1873, qu'ils n'ont jamais vu un établissement aussi bien tenu, et qu'il est au-dessus de sa réputation.

Deux colons, Tanguy et Jaffrénou, s'enrôlèrent aux Zouaves pontificaux et partirent pour l'Italie, à la défense de Pie IX. Originaire du Huelgoët (Finistère), Yves-Marie Jaffrénou tomba glorieusement à la bataille de Mentana, le 3 novembre 1867, sous les coups des Garibaldiens. Un monument fut érigé à sa mémoire le 28 juillet de l'année suivante. Au cours de la guerre franco-allemande, trente colons rejoignirent les Mobiles et quatre autres les Volontaires de l'Ouest.

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Isolée au centre de la presqu'île bretonne, la Communauté de Langonnet sentit le besoin d'organiser ses divers services, en vue de se suffire à elle-même dans la mesure du possible, et de se mettre en contact avec les bourgades du voisinage. Déjà la route de Rostrenen, ouverte en 1850, rendait les communications plus faciles.

Après avoir installé une scierie hydraulique, un moulin et une boulangerie, on fit à Quimperlé, l'acquisition d'une petite maison qui devint l'Abri St-Joseph ; puis, non loin du Tourne-Bride, fut construite en 1874, une buanderie avec séchoir, dont les religieuses de St-Joseph prirent la direction (1877). On établit également, à Gourin, un poste de missionnaires ambulants, la Maison St-Corentin, qui se maintint trois années seulement ; mais l'élan était donné. Le P. Jean-Marie Le Jeune parcourait toute la Bretagne, avec une réputation bien méritée de prédicateur populaire. Il travailla sans relâche à promouvoir la cause du Vénérable Michel Le Nobletz. Dès lors, la réputation de l'abbaye de Langonnet se répandit au loin ; elle attira l'attention du R. P. Vaughan, des Oblats de St-Charles, qui vint la visiter en 1869. Il envoya même deux de ses jeunes élèves du séminaire des Missions de Londres, qui arrivèrent le 12 août et y passèrent quelques semaines, afin de s'initier au genre de vie de nos scolastiques.

Chassés de Paris par l'invasion de 1870, les grands Scolastiques eux-mêmes vinrent chercher un refuge à Langonnet, avec leur directeur, le R. P. Libermann ; ils y séjournèrent jusqu'en 1879, pendant que s'élevaient, à Chevilly, de nouvelles installations pour les recevoir. Cette ardente jeunesse donna une vigoureuse impulsion aux travaux d'embellissement de la propriété ; on leur doit la grotte de Lourdes, les stations du Chemin de la Croix, la chapelle de Sacré-Cœur, et celle de N-.D. de Lorette [Note : Virgini Lauretanae — Majores Scolastici in signum Amoris et Devotionis. — MDCCCLXXVIII]. L'année 1874 vit arriver un aspirant peu ordinaire, qui n'avait pour tout équipement que son révolver et un cor de chasse... C'était Prosper Augouard, le futur évêque des anthropophages de l'Oubanghi. A cette période se rattache aussi un fait humoristique que Mgr Le Roy a raconté avec sa verve incomparable : l'anguille de M. Gatouillat.

« M. Gatouillat était un de nos scolastiques, originaire — j'allais dire original — de Troyes ou des environs. Un jour que, pendant les vacances, en une de nos maisons de Bretagne, il était allé à la pêche, il avait pris une anguille qu'il avait mise en poche, à la hâte, après l'avoir étourdie consciencieusement en lui frappant la tête contre un arbre ; car on l'appelait au salut du Saint Sacrement, où il avait une fonction à remplir auprès du célébrant. Or, pendant que M. Gatouillat était au pied de l'autel, debout, grave et solennel, grande fut l'étonnement de la pieuse assistance en le voyant se donner de grands coups de poing sur la cuisse, geste inconnu jusque-là dans la liturgie : c'était la fatale anguille qui, reprenant vie et mouvement, essayait de sortir de la poche ; le coup de poing l'y renfonçait pour un moment, mais l'anguille sortait bientôt de nouveau la tête, et de nouveau recevait un coup de poing... Image fidèle, hélas ! des défauts du vieil homme qu'il faut toujours renfoncer sous son mouchoir, comme l'anguille de M. Gatouillat ! » [Note : Le P. Paul Roserot, par JOSEPH ROSEROT DE MELIN. Lettre-préface de Mgr Le Roy, p. XIII].

On raconte encore sous le manteau, l'aventure d'un bœuf que nos ardents terrassiers avaient angarié, sans lui demander son avis, pour le transport des fardeaux. A la fin d'une semaine laborieuse, ils eurent l'idée d'enfermer leur collaborateur involontaire dans une sorte de caverne, afin d'être bien assurés de le retrouver à pied d'oeuvre le lundi matin. Dès l'aurore du dimanche, le frère bouvier inquiet de la disparition subite de l'animal, arpentait en tous sens les allées du parc, quand il entendit soudain sortir de dessous terre des mugissements lamentables. C'était le prisonnier que nos jeunes imprévoyants avaient condamné à faire, bien contre son gré, la grève de la faim, oubliant le précepte biblique : « Non obturabis os bovi trituranti ».

C'est vers la même époque, 1877, qu'eut lieu l'inauguration de la chapelle St-Joseph, dans l'antique salle du Chapitre, très habilement restaurée, après avoir servi successivement de cave et de cuisine [Note : Au cours des travaux d'excavation, on trouva quelques tombes à deux pieds de profondeur, qui, toutes, avaient été violées. Il y en avait trois de chaque côté de l'entrée, séparées entre elles par des pierres plates, posées de champ, ne contenant plus qu'un peu de terreau et un écu de 6 livres en argent. Un autre tombeau. maçonné en pierres de taille et rempli d'ardoises brisées, faisait face à l’emplacement de l'autel actuel, du côté de l’Epître. C'était la sépulture de l'abbé Yves de Bouteville, dont la pierre tombale, ornée de ses armes, a été débitée pour en faire des marches d'escalier...]. On y plaça sous l'autel, le corps de St-Octave, martyr.

Un autre oratoire, dédié également à St-Joseph, avait été construit à la Colonie et fut béni, le 27 septembre 1876. Mgr Bécel donna la statue en pierre de Volvic, qui décore la façade. Enfin, le 30 avril 1879 eut lieu l'inauguration du monument placé au centre du cloître. La statue de la Vierge, qui est une réduction de Notre-Dame de France, avait figuré à l'Exposition de 1878, où le P. Libermann eut l'heureuse idée d'en faire l'acquisition.

Le mois d'août 1880 fut marqué par deux événements inoubliables : la grande inondation qui emporta tous les ponts, dévastant les jardins que recouvrait cinquante centimètres d'eau ; puis la translation solennelle d'une relique de saint-Maurice.

Sur les instances des Pères Jégou et Le Jeune, l'évêque de Quimper, Mgr Nouvel, avait accordé une parcelle de l'humerus du saint Abbé, dont la translation fut un véritable triomphe. La châsse, contenant la statue du bon saint revêtu des ornements pontificaux, fut placée sur un char et quitta le château de Carnoët, le 7 août, dès quatre heures du matin, escortée d'une centaine de fidèles à cheval ou en carriole. On gagna ainsi Quimperlé, sous une pluie battante, et le précieux reliquaire fut exposé à la vénération du peuple dans la très ancienne église de Ste-Croix, au lieu même où saint Maurice vint si souvent prier. Après la messe, le pieux cortège se remit en route, passant par Tréméven, Querrien, Lanvénégen, pour arriver dans la soirée à la bourgade du Faouët. Le jour suivant, qui était un dimanche, une foule de 20.000 personnes s'organisa en procession, afin de parcourir à pied les trois lieues qui séparent Le Faouët de l'abbaye.

A la même heure, un autre cortège partait à leur rencontre. A la jonction des deux groupes, une joyeuse fanfare retentit, les coups de canon éveillent des échos prolongés et l'évêque de Vannes, Mgr Bécel, assisté de Mgr Nouvel, vint recevoir le précieux dépôt. A l'abbaye, un autel champêtre, flanqué de deux tribunes, a été dressé sous une tente spacieuse, tout au fond de l'Allée des Moines, où les chênes séculaires forment un berceau de verdure. C'est là, en plein air, que le Vicaire apostolique du Sénégal, Mgr Duboin, célèbre l'office pontifical. Le panégyrique est donné en français par le chanoine Bernard, vice-doyen du Chapitre de Ste-Geneviève, et, le soir, en breton, par Mgr Le Moing, recteur de Langonnet. Après les vêpres, une immense théorie de fidèles, parcourt au chant de cantiques bretons les sinueuses avenues du parc ; puis la châsse est finalement déposée à l'église abbatiale, sous un autel spécialement dédié à saint Maurice et surmonté d'une statue de saint Bernard.

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Transféré de Gourin, en même temps que la communauté, le petit collège Ste-Marie ne tarda point à se développer et rendit les plus grands services aux familles de toute la région environnante. On y compta bientôt jusqu'à 150 élèves et il fallut construire, pour les abriter, un vaste édifice en prolongement de l'ancienne abbatiale (1884). Mais cette prospérité touchait à son déclin. Cinq ans plus tard, le nombre des élèves était tombé à 92 ; la création presque simultanée de plusieurs écoles nouvelles dans les trois cantons adjacents : Gourin, Le Faouët, Guéménésur-Scorff rendait le recrutement de plus en plus aléatoire. On eut le regret de voir disparaître, en juillet 1889, ce foyer de vie intellectuelle qui avait, depuis près d'un demi-siècle, distribué l'instruction à une foule de jeunes Bretons et fourni aux trois diocèses nombre d'excellents prêtres et une quantité de laïques qui ont su faire honneur à leur formation chrétienne dans tous les rangs de la société. Une nouvelle tentative risquée en 1895, ne réussit guère et fut du reste anéantie par la persécution sectaire de 1903. Le petit Scolasticat, annexé au collège, subit le même sort. Dans l'intervalle, Langonnet avait de nouveau donné asile aux étudiants de Chevilly devenus trop nombreux pour cette maison.

Arrivés le 3 septembre 1889, ils étaient au nombre d'une centaine, philosophes et théologiens de première année, sous la direction du vénéré P. Kroemer, quand ils furent rappelés au Scolasticat central en 1895. A partir de 1898, l'abbaye commença à devenir une maison de retraite pour les anciens missionnaires, jusqu'au moment où Combes supprima d'un trait rageur le collège et la communauté.

Mais l'établissement de Langonnet, autorisé par une loi, ne peut disparaître que par une autre loi ; Combes se voit contraint de rapporter son décret et la Maison de Retraite est maintenue (30 novembre 1903). Enfin, au cours de la dernière guerre, les rares scolastiques qui avaient échappé à la mobilisation générale, vinrent trouver le calme nécessaire à leurs études, sur les bords paisibles de l'Ellé (1914-1918).

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La Colonie de St-Michel, après avoir atteint le chiffre de 500 détenus, entra dans une période de transformations successives, dès que l'administration pénitentiaire eut décidé de diriger tous ses pupilles vers Belle-Ile-en-Mer. On commença à recevoir des enfants confiés par leur famille ou par quelque société privée de réforme et de préservation, préparant ainsi une transition toute naturelle de cet établissement en voie de devenir une maison d'assistance paternelle et de patronage moralisateur. En 1884, on y comptait 359 élèves, dont 90 colons seulement ; il y avait 32 Frères sous la haute direction des Pères Juillard et Chauty. Les derniers détenus quittèrent le 8 mai 1888, pour se rendre à St-Ilan.

En dépit de toutes ces épreuves, l'œuvre continuait de prospérer. En 1893, le P. Cosse — demeuré légendaire — entreprit la construction de la chapelle, qui mesure 44 m. de long sur 10 m. 60 de large, et peut contenir, à l'aise 600 personnes. La Maison de St-Michel, qui jusque-là dépendait de l'Abbaye, fut érigée en communauté autonome le 1er octobre 1897, avec le P. Juillard pour supérieur. Des circonstances tout à fait providentielles permirent d'y installer une œuvre nouvelle, dite des Petits Parisiens.

Madame Lebaudy, qui avait pris l'initiative de cette fondation en 1898, fit construire les nouveaux bâtiments, dont l'architecte fut le regretté M. Beauvais, et pourvut très noblement à l'entretien de 500 orphelins recueillis en Bretagne et dans la Capitale. Cette œuvre, éminemment sociale, était en pleine prospérité, quand surgit, à la fin de 1903, la persécution grotesque du Combisme. Par décret du 1er janvier 1904, St-Michel échappait à la direction des Pères du St-Esprit. On profita d'un délai de deux mois pour évacuer les apprentis des ateliers, au nombre de 200. La propriété fut aussitôt mise en vente par la Société civile en liquidation et rachetée par le baron de Boissieu, député du Morbihan. Les prêtres du diocèse de Vannes assumèrent la direction de l'École, et, grâce à leur zèle dévoué, l'œuvre continua sa marche en avant, au cours d'une quinzaine d'années, avec MM. Guillevic, Le Drogo, Camaret comme directeurs.

A la mort de la bienfaitrice, 3 mai 1917, disparut aussi la fondation qui avait sauvé de la misère et du vice plus de 1.600 âmes d'enfants. Une école primaire régionale fut alors ouverte sur l'initiative de l'abbé Compès ; on accueillit, à la fin de la guerre, tout un lot de petits Alsaciens de Baden-Larmor, puis des Pupilles de la Nation en assez grand nombre : ainsi fut constituée une école d'apprentissage, qui a vu passer successivement plus de 2000 internes. Finalement, l'Œuvre de St-Michel s'est rattachée de son plein gré à la Société des Orphelins apprentis d'Auteuil (1932).

Œuvre de préservation morale, qui doit son origine à une pensée sociale des plus généreuses, la nouvelle école n'a rien de commun avec l'ancienne maison de correction que fut St-Michel à ses débuts. Développer la santé des enfants par la vie en plein air, leur donner une formation pratique qui en fasse des hommes utiles au pays, telle est sa mission actuelle.

Placée au centre de la vieille Bretagne, sur les confins des trois départements du Morhiban, du Finistère et des Côtes-du-Nord, la maison occupe un plateau granitique, entouré de bois de sapins, de landes, de prairies, réunissant tous les avantages désirables pour l'hygiène, l'agrément, le travail. Ses dépendances sont assez vastes pour recevoir 500 jeunes gens, et, comme le disait, en 1908, M. le chanoine Guillevic : « Assis sur un monticule au bord de l'Ellé la jolie, en face des Montagnes Noires, à quelques pas de l'antique abbaye, sur le champ de bataille où tomba Morvan, le vaillant chef, dans une terre de saints, de savants, de héros, St-Michel réunit aux grands souvenirs historiques, le charme d'un paysage tantôt gracieux, tantôt sévère ».

Son élévation de 28 ni. au-dessus de la rivière, lui ouvre une perspective dont l'ensemble est un perpétuel enchantement. D'un côté, la forêt avec ses puissantes avenues ; dans le lointain, la ligne de hauteurs sombres qui dérobe la vue du Finistère ; autour des murailles, un merveilleux ensemble de jardins et de vergers, et, dans le creux de la vallée, le moutier séculaire avec son parc somptueux, ses prairies luxuriantes. L'air y est très sain, un peu vif parfois, toujours vivifiant et balsamique.

L'Académie française a reconnu à plusieurs reprises le mérite de cette école et la haute portée de son influence morale : « Nous voici dans la partie montagneuse du Morbihan, a dit M. Pierre de Nolhac, sur un sol granitique, dans une sorte de désert pittoresque, comme la Bretagne en ménage souvent les beaux aspects. Tout à coup, apparaît au voyageur une immense maison que domine le clocher de l'église et qui a les proportions d'une grande abbaye d'autrefois. C'est Saint-Michel en Priziac.
Que fait-on dans ce désert et dans cet établissement magnifique ? On y élève une nombreuse jeunesse dans l'air le plus salubre de la province et dans l'atmosphère morale la plus propre à relever les âmes. Et les enfants sur lesquels s'exerce cette action éducatrice sont les plus délaissés, les plus malheureux, ceux dont on ne veut plus s'occuper. D'une matière souvent ingrate, le dévouement de ses éducateurs fait des hommes, des chrétiens, des Français. St-Michel est une institution dont la nécessité sociale est de plus en plus démontrée »
. — (Discours de M. Pierre de Nolhac, pour les Prix de Vertu, 1929).

Dès que la situation politique permit de songer à rétablir en France les oeuvres de recrutement, on se préoccupa d'ouvrir à nouveau, au centre du pays breton, une Ecole apostolique. Par mesure de prudence, elle s'abrita discrètement, au cours d'une dizaine d'années, sous la tutelle du collège Campostal, à Rostrenen. Après la guerre, on dut se contenter d'une école primaire préparatoire au latin, qui s'établit à l'abbaye, sous la forme de pension de famille, dont les élèves allèrent suivre les cours à l'école St-Michel. En l'espace de dix ans, cette Ecole apostolique a donné aux Missions 210 aspirants et, de plus, a fourni au petit séminaire de Sainte-Anne d'Auray nombre de vocations sérieusement éprouvées. Ainsi, comme autrefois, la Congrégation du Saint-Esprit a su favoriser avec sagesse, dans ses méthodes de recrutement, l'avantage des Missions, sans porter préjudice aux intérêts du Clergé local.

Aujourd'hui, ainsi qu'aux jours les plus beaux du passé, la solitude de Langonnet a refleuri ; l'appel vibrant des cloches scande les travaux du jour. A la vieille chapelle gracieusement rajeunie, des accents cristallins s'unissent aux voix plus viriles, pour chanter à l'envi les louanges de l'Esprit-Saint et du Cœur béni de Marie. Les stalles du chœur sont occupées par les anciens missionnaires qui, fatigués de parcourir la terre et l'onde, sont venus fixer leur tente en ces lieux paisibles, pour y achever une carrière qui fut laborieuse et féconde. A côté des vétérans à la barbe fleurie, ainsi que de jeunes plants à l'ombre des grands arbres, se groupe et croît à vue d'œil une légion juvénile de futurs apôtres. Dans les salles spacieuses de l'ancienne abbaye s'abrite l'Ecole apostolique, qui, patronnée par NN. SS. les évêques de Basse-Bretagne, permet à de nombreux enfants de pouvoir étudier en paix leur vocation, sans avoir à se dépayser.

La vieille abbaye cistercienne est devenue une pépinière de vocations ; à la vie contemplative des Bernardins a succédé la vie apostolique, comme pour mieux marquer qu'une vie intérieure intense est la source vivifiante du véritable apostolat.

La communauté de Langonnet eut l'honneur et la joie de posséder quelque temps (1932-1935) un prélat vénérable, de qui tous admiraient la noble prestance, unie à la piété la plus délicate. Grand par le charme de sa personne et de sa courtoisie, il savait allier à une distinction naturelle toutes les délicatesses d'une âme d'enfant et toute la charité d'un grand cœur.

« Il fut, a dit Mgr Grente, une conscience, toujours guidée par le devoir, robuste et tranchante comme l'épée ; une âme généreuse, vibrant aux grandes causes de Dieu, de l'Eglise et de la Patrie ; un évêque majestueux en ses fonctions et plus digne, plus vénérable encore par sa vie ».

Désireux d'achever sa carrière dans la solitude, après avoir renoncé aux dignités et aux charges ecclésiastiques, l'ancien évêque de Langres et de Poitiers avait choisi pour séjour de retraite la vieille abbaye bretonne, et là il continuait de se prodiguer à tous, avec cette bienveillante charité qui fut la ligne caractéristique de sa physionomie si attachante : « Il ne dédaignait pas les sympathies respectueuses qui l'entouraient, ni les jeux bruyants des enfants, ni les conversations des vieux missionnaires, ni les réunions des modestes presbytères, où les prêtres l'accueillaient avec une cordialité qui, littéralement, le ravissait, parce que tous étaient conquis par son extrême bonté. ». — (Mgr TRÉHIOU).

Décédé au château de Combourg, à la fin de février 1935, il fut, selon ses désirs, rapporté à Langonnet, aux pieds de la Vierge Immaculée, loin de tous les bruits du monde. Taceat heroum gloria futilis.

Ici repose
Son Excellence Monseigneur Olivier-Marie
de Durfort Lorge
né le 12 juillet 1863,
prêtre au Mans, le 29 juin 1887
Evêque de Langres (1911), de Poitiers (1918)
Archevêque titulaire de Sotèropolis
Affilié à la Congrégation
des Pères du St-Esprit
Hôte et bienfaiteur de l'abbaye
1932-1935
Décédé le 27 février 1935.

Il était juste de célébrer, en 1930, le cinquantenaire de la translation de la relique de saint Maurice et l'abbaye ne pouvait y manquer. Tout avait été prévu pour l'organisation de la fête, au 3 août, sauf l'état de l'atmosphère. La pluie qui a tombé toute la nuit et qui continue de tomber, en dépit de la présence du R. P. Parra, S. J., n'a pu cependant arrêter la population des environs qui accourt en foule aux messes matinales. Elle n'arrêtera pas davantage les habitants de Loudéac, de Noyal-Pontivy et tant d'autres, venus de loin pour honorer leur saint compatriote et manifester la dévotion des fils envers celui qui sanctifia leurs aïeux. Les prélats eux aussi sont accourus : Mgr Tréhiou de Vannes, Mgr Duparc de Quimper, Mgr Le Hunsec, Supérieur-général du St-Esprit, Mgr Guichard, Vic. ap. de Brazzaville, Dom Dominique Nogues, abbé de N.-D. de Thymadeuc, et Dom Corentin Guyader, abbé de la Trappe de Melleray. La messe solennelle est célébrée à l'ancienne église abbatiale. Si l'ornementation, qu'on avait réservée pour l'office en plein air, lui manque en partie, sa beauté lui suffit : « Omnis gloria filiœ Regis ab intus ». Les robustes colonnes élancées ; le maître-Autel où le palmier étend sa verdure parmi les hortensias et les glaïeuls ; la gloire, où se détache la belle statue de Marie, portée sur un vol d'anges vers une clarté mystérieuse ; plus haut dans la voûte, le vitrail d'or et d'azur où la colombe rayonnante plane au-dessus du cœur virginal, entre les lis et les roses. Les feux des lampes et des lustres versent dans l'édifice l'abondante clarté que le soleil refuse aujourd'hui. Les stalles sont occupées par vingt chanoines et plus de deux cents prêtres en surplis. La foule déborde des tribunes, et les 300 élèves de St-Michel occupent le triforium. Au milieu de l'église, entouré des fidèles et du clergé, qui lui font, comme en 1880, une couronne de gloire, le héros de la fête, saint Maurice, dont la panégyrique est prononcé avec une éloquence toute cordiale, par le Révérendissime Père Abbé de Thymadeuc.

Dans l'après-midi, le ciel se découvre, comme pour sourire enfin aux flots de pèlerins venus de si loin. Une foule de 6000 personnes s'organise en procession, présidée par le vénéré Mgr Duparc ; la bénédiction du Saint Sacrement est donnée au reposoir préparé sous les arbres et suivie de la bénédiction de tous les prélats.

Pour clore dignement la fête, on se rend à St-Michel, où le jeunes acteurs de Pontivy interprètent avec le plus vif succès, le poème dialogué de M. l'abbé Le Bayon, qui fait revivre saint Maurice dans les principales étapes de sa merveilleuse carrière.

Bientôt, en 1936, les pèlerins reviendront, plus nombreux encore, se presser à N.-D. de Langonnet pour fêter le huitième centenaire et inaugurer le cloître nouveau, qui a rendu au vieux Moutier son aspect des temps anciens. « In solario domus regiœ deambulabunt ».

SUPERIEURS DE L'ABBAYE DE LANGONNET :

RR. PP. LE VAVASSEUR [1856-1858]. PERNOT [1858-1863]. COLLIN [1863-1865]. DAUGER [1865-1867]. GUILLOU [1867-1871]. LIBERMANN [1871-1879]. JEGOU [1879-1898] et [1903-1904]. PICARDA [1898-1900]. PRONO [1900-1903]. HASSLER [1904-1919]. VALY [1919], etc ....

(Albert David).

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