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LA DYNASTIE DES MARBEUF ET L'ABBAYE DE LANGONNET

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La dynastie des Marbeuf : Isaac, Claude et René-Auguste (1648-1754) — La Réforme de l'Etroite Observance — Les Bonnets Rouges : Sébastien le Balp (1675) — La Conjuration de Pontcallec (1719) — Marion du Faouët — Philippe le Normand — La peste de Langonnet.

La commende, ce régime néfaste, ne pouvait qu'accélérer la décadence des monastères, déjà troublés très gravement par les conséquences déplorables des guerres civiles. Elle était devenue une simple jouissance des revenus, un bénéfice viager auquel peu d'usufruitiers attachaient, comme Paul de Bonacourcy, l'idée du devoir.

En effet, « si les abbés commendataires pensaient aux revenus de leurs abbayes, ils oubliaient trop facilement leurs devoirs : devoir d'entretenir les bâtiments du monastère, devoir de loger et de nourrir convenablement les religieux qui s'y trouvaient. Economiser sur les dépenses, c'était grossir les revenus. On vendait le plomb ou l'ardoise de l'église pour la recouvrir de tuiles ; on laissait les édifices sans réparations ; on empêchait ou limitait le recrutement des moines pour avoir moins de bouches à nourrir ; on diminuait la pension alimentaire faite aux religieux ». [PIERRE COSTE : Monsieur Vincent, III, p. 124].

Abandonnés à la discrétion du pouvoir royal, les biens d'église sont exposés, comme les charges civiles, à des investissements purement séculiers et pécuniaires, avec des formes qui ne sauvent même pas les apparences. Ils sont distribués à la faveur, comme aujourd'hui les bureaux de tabac. En résumé, un abbé commendataire est, le plus souvent, un oisif qui, par la grâce du Roi, vit sur les trésors de l'église, sans le moindre souci des charges qui lui incombent. — [PIERRE DEFRENNE : Les Etudes, 1933].

Au moment de sa mort, le Cardinal de Richelieu possédait vingt-six bénéfices, qui lui rapportaient, toutes charges déduites, un revenu net de 274.655 livres.

Mazarin, qui n'était pas prêtre, jouissait de l'évêché de Metz et de vingt-neuf Abbayes, ce qui, ajouté au revenu de ses autres emplois, lui donnait par an la jolie somme de 500,000 livres, c'est-à-dire dix millions de notre monnaie. — [Louis MADELIN : Les grands serviteurs de la Monarchie, p. 59].

On avait, depuis longtemps, divisé les domaines de chaque monastère en deux parts, celle de l'abbé : Mense Abbatiale, et celle des religieux : Mense Conventuelle. On put, grâce à ce moyen, éviter l'absorption de toute la fortune monastique par les seuls abbés. Avec la Commende, cette distinction des menses devint pour les monastères d'hommes une sauvegarde.

L'abbé, présenté par le Roi, recevait du Pape sa nomination. Les Bulles qui la notifiaient n'étaient expédiées que si le titulaire versait au préalable une taxe convenue. On l'avait établie une fois pour toutes à l'aide d'indications assez peu exactes ; elles révélaient toujours des revenus inférieurs à la réalité. La taxe figure sur la liste officielle des Bénéfices.

Les moines préposés aux offices claustraux ne tardaient pas à suivre l'exemple donné par les abbés et les titulaires des prieurés, en transformant leurs fonctions en bénéfices. Les cellériers, chambriers, réfectoriers, infirmiers… s'attribuaient personnellement les revenus de leurs offices, sans s'occuper d'en remplir les charges. Les religieux, de leur côté, rompirent avec la vie commune et partagèrent les ressources monastiques en prébendes, au profit de chacun d'eux. Il se forma de la sorte, dans les abbayes, un certain nombre de portions monacales correspondant à un nombre limité de places, comme dans les chapitres et collégiales : c'était l'acheminement à la sécularisation. Ces places monacales assimilées aux canonicats pouvaient, en certaines circonstances, être mises à la disposition du roi ou des personnages ecclésiastiques, qui les attribuaient comme bon leur semblait, sous forme de Pensions, même à des laïques, par exemple aux anciens soldats réduits à l'impossibilité de gagner leur vie. — [D. BESSE, op. cit. passim.].

Dans ces conditions.

« Les moines cherchaient par tous les moyens à se préserver de la rapacité des commendataires de telle sorte qu'entre les religieux et les abbés, il n'existait guère que des relations d'intérêt et trop souvent des procédures succédant à de pénibles exactions ». — (HERVÉ DU HALGOUET : Le Duché de Rohan, I, p. 161).

C'est ce qui se produisait à Langonnet durant l'administration de Messire Isaac de Marbeuf.

La communauté, à défaut d'abbé régulier, vivait sous l'autorité du Prieur : elle comptait d'ordinaire sept à huit religieux profès et quelques novices ou frères convers, au total une dizaine de personnes. Sans doute, il n'y eut point de grands désordres parmi eux, mais on avait pris insensiblement des habitudes de bien-être inconnues des anciens :

« L'abbé est au loin, — dit Pierre de la Gorce, — un des religieux, sous le nom de prieur claustral, le remplace. Chacun, suivant son crédit auprès des grands, auprès de roi, s'est taillé une part dans l'abondante proie ».

Il faut reconnaître toutefois que cette part était plutôt très réduite chez nos bons moines de Langonnet.

A la suite de Jacques de Montenay, nous voyons se succéder, au cours du siècle de Louis XIV et sous le règne de Louis XV, de 1647 à 1754, les trois de Marbeuf : Isaac, Claude et René-Auguste, d'une illustre famille de parlementaires angevins, « aussi ancienne dans le Parlement que le Parlement même ».

La Gallia Christiana nous apprend que Messire Isaac avait fait profession chez les Carmes, « Instituta Carmelitanorum antea professus ». Il eût mieux fait d'y rester. Fils de Messire Claude de Marbeuf, sieur de la Pilletière, procureur général puis Président à mortier du Parlement de Bretagne, et de Dame Robine Le Febvre : il était né à Rennes et fut baptisé à St-Aubin, le 30 avril 1615.

Le Président Claude était un véritable patriarche : il eut trente-deux enfants : ce qui ne l'empêcha nullement de se remarier à l'âge de 66 ans [Note : Les relations ne devaient pas être très amicales entre les Marbeuf et les Lopriac, si l'on en juge par cette petite scène du 10 décembre 1647, lors de l'incident Coëtlogon. Pris à partie par le conseiller La Forest, le Président de Marbeuf répondit que ses allégations étaient fausses. Sur ce, Guy de Lopriac, (de Kermassonnet), fils de Louis et frère de Charles de Lopriac, ayant avancé « De tels démentis ne peuvent être soufferts par un honnête homme et un gentilhomme : ils ne se réparent que par un soufflet ». Claude de Marbeuf, fils du Président, qui était assis derrière lui, au banc des enquêtes, se lève et, en jurant deux fois, crie à Lopriac : « Si vous le faisiez, je vous donnerais cent coups de bâton ». Lopriac s'avance pour lui demander réparation. Sur quoi parents et amis s'interposent et les entraînent dans les galeries » (Histoire de Bretagne. — B. POCQUET, tome V, pages 425-426.) Les Lopriac étaient voisins immédiats de l'Abbaye]. Il avait le légitime souci d'établir sa nombreuse progéniture. Isaac était déjà prieur commendataire de Pléchâtel, à l'âge de quinze ans (1630). Le 24 août 1633, il sollicita, des Dominicains de Bonne-Nouvelle l'établissement d'une confrérie du Rosaire dans l'église du Prieuré. Après avoir transigé avec Louis de Trélan, en 1637, il résigna, quatre ans plus tard, en faveur de son frère Luc, seigneur du Verger et chanoine de Rennes, stipulant que ce dernier paierait 800 livres de pension à Noël de la Régheraye, son prédécesseur, qui avait résigné vers 1630. — (Pouillé de Rennes, V. pp. 451-452).

Isaac de Marbeuf était seigneur de Laillé. Il prit possession de l'Abbaye de Langonnet en 1648, après avoir obtenu un arrêt, en date de 31 mars, qui l'autorisait à faire dresser un procès-verbal de l'état des lieux.

« Il remontroit qu'il a trouvé l'églize, le dortoir et les greniers de la dicte Abbaye en telle indigence de réparation qu'il est impossible de faire le service divin dans la dicte églize, d'habiter le dict dortoir sans péril des religieux, et de serrer et retirer les grains, en quoy consiste le revenu de la dicte abbaye, les greniers estant entièrement ruinés et le peu qu'il en reste n'estant capable de resserrer la quatrième partie des grains dubs à la dicte abbaye ».

En suite de quoi, le seigneur Abbé avait sollicité une descente et vérification de l'état des lieux, dans leur abandon et dépérissement par la négligence de ses prédécesseurs. Ce qui laisse supposer, tout en tenant compte de l'éxagération possible, que Messire de Montenay s'était plus occupé de toucher ses revenus que de veiller à l'entretien de l'Abbaye.

Les travaux de réparation étaient estimés 2,708 livres, « à prendre sur les coupes de bois, de taillis et hautes fûtaies, qui ne feront qu'avantager l'état général de la forêt ». Toutefois les lettres royales, autorisant des coupes de bois jusqu'à concurrence de 27,000 l., en vue de couvrir les frais, ne furent pas enregistrées, car le Parlement, pour des motifs que nous ignorons, refusa de passer outre.

Elles portent la mention : non vérifiées. — (Parlement de Rennes, B. 22. — 20ème Reg., fol. 330v). Parmi les motifs mis en avant pour obtenir une subvention, le nouvel abbé déclare que l'Abbaye « est grevée d'une pension envers le dernier titulaire, et que les revenus de plusieurs années ne suffiraient point pour les réparations ».

Le 3 mai 1648, Isaac de Marbeuf se trouve à Guipavas, près Brest, où réside une de ses sœurs, Robine, pour le baptême de Charles de Kernesne [Note : Guipavas, 1648, 3 mai. — Baptême par Révérend Père en Dieu D. Isaac de Marbeuf, abbé de Langonnet, de Ht. et Pt. Messire Charles de Kernesne, fils de Troël de Kernesne et de Dame Le Gendre, Vicomte et Vicomtesse De Curruz, SSrs. de Kéraudy. — En 1642, nous trouvons comme marraine, Robine de Marbeuf, marquise de la Roche, vicomtesse de Curruz, baronne de Laz].

L'abbé de Langonnet assiste aux Etats de Vannes, en 1649, et profite de l'occasion pour recevoir la Bénédiction abbatiale à laquelle toute l'assemblée est invitée pour le dimanche 11 juillet.

« Sur ce qui a été démontré par l'abbé de Paimpont, touchant la cérémonie qui doit se faire demain, en l'église cathédrale de cette ville, à la bénédiction de M. l'abbé de Langonnet, et prié l'assemblée d'y assister, M. M. des Etats ont commis M. M. des Ordres d'assister à cette cérémonie et remis l'Assemblée à Lundy, huit heures du matin, qui a été banni par le hérault » — (Parlement de Rennes, C. 2.654 (Reg.) 16 juillet 1649).

L'abbé de Marbeuf figure, en qualité de parrain, au baptême de Jean de Lanprat, fils du Sénéchal de Gourin, le 30 juillet 1651 [Note : A Gourin, 30 juillet 1651. — Baptême de Jean-Isaac de Lanprat, fils de Messire Paul de Lanprat, écuyer, sieur de Langoëlan, etc... Sénéchal de Gourin, et de Dame Le Gouvello : parrain, Révérend Père en Dieu, Messire Isaac de Marbeuf, seigneur abbé de Langonnet ; marraine, Dame Jeanne Le Gouvello, femme de Messire Etienne Guiller, seigneur de Keriergartz, Launay, etc...].

A l'Abbaye, de déplorables abus avaient mis les religieux en conflit avec leur abbé, ainsi que le purent constater les visiteurs du 18 juin 1653, du 30 octobre 1659 et du 30 avril 1663. La situation de cet établissement est, à tous points de vue, lamentable : les moines demandent à se saisir du temporel de leur abbé jusqu'à ce qu'intervienne un partage des revenus. Isaac de Marbeuf fait argent de tous les bois, emporte de la sacristie les objets de culte et laisse les étrangers envahir le cloître. Aussi les religieux requièrent un exécutoire contre les colons, contravention contre les acquéreurs de bois et que le dit abbé soit condamné à rapporter à la sacristie « le calice, la patène, boeste d'argent et tapisserie », qu'il a emportés et que « commandement lui soit fait de faire se retirer des lieux réguliers toutes les personnes séculières qui sont de par lui dans la dite abbaye et toutes personnes scandaleuses ».

La Cour, en médiatrice, s'efforce de rappeler le respect aux religieux, l'humanité au commendataire, et elle avise le Général de l'Ordre qu'une réforme est urgente à Langonnet. De ces débats, il résulte un jugement qui accorde à chaque religieux une pension de 300 l. et fournit à ceux-ci les moyens — si l'abbé refuse d'exécuter l'arrêt — de se pourvoir directement contre les fermiers (27 juin 1663). Mais l'abbé de Marbeuf n'est pas à court de motifs de querelles. Sous prétexte que l'arrêt de 1663 ne stipule rien relativement aux bâtiments, aux meubles, au chauffage, il menace les moines de les priver de toutes les jouissances ordinaires et de droit : si bien que les religieux durent porter une nouvelle requête au Parlement pour obtenir protection et sauvegarde du roi. — (Hervé du Halgouët, Le Duché de Rohan, II, p. 283).

Le conseiller Louis de Langle [Note : Louis de Langle, sieur de Kermorvan, conseiller, fils de Jérôme et de Bertrame de Roscoët. — Pourvu le 24 novembre 1641, au lieu de Lantivy, décédé. — Reçu le 7 janvier 1642. — Résigne en faveur de son fils, 2 août 1671. — Lettres d'honorariat, 7 juin 1672 — décédé avant le 10 mai 1683] reçoit commission du Parlement de Bretagne pour se rendre sur les lieux et procéder à une enquête minutieuse. Dans son rapport, il expose d'abord les desiderata des religieux :

« Vous plaise voir l'arrêt donné contre le sire abbé de Villeneufve, le 4 juin 1653, et ordonner : que le sieur abbé (de Marbeuf) laisse jouir vos suppliants des cuisine, dépense, réfectoire, cellier, basse-cour et écuries destinés à la communauté, et des meubles et ustensiles y détenus : qu'il laisse faire à vos suppliants les charrois et les abats de bois pour le chauffage et cuisine et les charrois de grosses provisions ; et de leur octroyer la somme de 300 l. pour la dépense des dits religieux et les frais du procès ; et pour l'avenir 500 l. par an pour les suites nécessaires jusqu'à conclusion du procès ; et 300 l. chaque année pour les gages des boulanger, cuisinier, jardinier ; que les frais d'aumônes et d'hospitalité seront portés au compte de l'abbé, ainsi que le traitement des malades à l'infirmerie ; que les titres seront déposés aux Archives, dont l'abbé aura une clef, le Prieur l'autre, et l'un des religieux, élu par la Communauté, la troisième ; que la bibliothèque leur sera ouverte et l'entrée usage libre, avec charge de bailler recette des livres qu'ils ont besoin de garder dans leur cellule ; que l'abbé leur délivrera et fournira quatre psautiers, trois missels, quatre suppléments, deux graduels, douze processionnaires pour le service de l'église et du chœur à l'usage nouveau de leur Ordre, avec le luminaire ; que la sacristie, dortoir, infirmerie, réfectoire, chapitre et autres logements, qui sont désignés, seront réparés et rétablis en l'état, et les meubles et ustensiles, qui leur sont nécessaires, seront réglés suivant le mémoire que fournirai pour leur être fournis par le dit sieur abbé ; qu'ils auront la jouissance de leurs petits jardins, au derrière de la cuisine et ancien réfectoire, d'un grenier et boulangerie et d'un pré compétent, et faire les charrois de leur bois nécessaire ; leur adjuger par provision la somme de cent livres par an... ».

Le sieur de Langle, après enquête, jugea recevable la plainte des religieux et rédigea ses conclusions :

« Conformément à l'arrêt du 27 juin 1662, condamne l'abbé à payer trois cents livres par an et par quartier pour nourriture et vestiaire des dits religieux, une moitié par deniers et l'autre par grains, lesquels seront reçus par un cellérier, l'un des anciens religieux qui sera élu par l'abbé, ayant pris l'avis des dits religieux pour vivre tous en communauté, suivant les Ordonnances rendues dans la carte de visite du Supérieur de leur Ordre ; lequel cellérier sera tenu de rendre compte aux dits abbé et religieux, par chacun mois, de la dépense qu'il fera pour la subsistance des dits religieux, lesquels jouiront du jardin, qui est situé derrière la cuisine et ancien réfectoire de l'abbaye, à la manière accoutumée ;

Condamnons le dit défendeur faire charroyer aux dits demandeurs leur vin et provisions, et de fournir le bois convenable pour le chauffage ordinaire, pour leurs personnes et services de la communauté, tant en gros bois que fagots, jusqu'à la concurrence de 300 l. par chacun an, suivant l'Ordonnance portée par la carte de visite du 30 octobre 1658 ;

Et, pour le service de la communauté des religieux, sera entretenu, aux dépens du dit abbé, un boulanger, cuisinier et jardinier, et autres serviteurs ordinaires et nécessaires à la dite maison et, à défaut de l'abbé de payer les gages et nourriture des susdits serviteurs, avons permis aux demandeurs d'arrêter, entre les mains des fermiers de la dite abbaye, jusques à la concurrence de 300 livres par an ;

Condamnons le dit défendeur de faire et continuer à l'avenir les aumônes et hospitalités, ce faisant que, au lieu d'un liard qu'il fait donner aux pauvres, il leur fera bailler du pain en la manière accoutumée et tout ainsi qu'ont fait les précédents abbés, suivant les fondations et ordonnances des supérieurs, et, à défaut au dit défendeur de ce faire après la signification de la présente, ordonnons que, sur le revenu du temporel de la dite abbaye, il sera pris la somme de 1000 l. pour chacun an, laquelle somme sera déposée entre les mains d'une personne solvable pour faire les achats des bledz et faire la dyte aumône, par l'avis du dit abbé et religieux ;

Et, en cas de maladie des dits religieux demandeurs, ils seront traités et soignés dans l'infirmerie de la dite abbaye aux dépens du dit abbé, laquelle infirmerie le condamnons de mettre en dû état de réparation, de meubles et autres choses nécessaires, et que les titres et enseignements de la dite abbaye seront mis et déposés aux archives d'icelle, lesquelles le dit abbé aura une clef, le Prieur l'autre, et l'un des religieux, élu par la dite communauté, l'autre ;

Ordonnons pareillement que la bibliothèque de la dite abbaye sera ouverte aux religieux, lesquels ne pourront emporter aucun livre dans leur cellule, qu'au préalable ils n'aient mis sur le papier ordinaire, en la dite bibliothèque, leur reçu ;

Condamnons outre le dit défendeur de faire avoir aux dits demandeurs, de jour à autre, quatre Psautiers, trois Missels, quatre Suppléments, deux Graduels, six Processionnaires et deux Antiphonaires pour le service de l'Eglise et du Chœur, à l'usage nouveau de leur Ordre ;

Fournir pareillement, entretenir et continuer le luminaire, chandelles et huile pour les dites lampes, tant de l'église que du dortoir, si mieux il n'aime leur payer la somme de 150 l. pour le dit luminaire, par an, par avance et par quartier ; et, faute au dit abbé défendeur d'avoir exécuté et obéi aux ordres des Supérieurs, lors de leur visite, d'avoir rétabli dans la sacristie le calice et boîte d'argent par lui pris, et la tapisserie, maintenue par les demandeurs avoir été par lui emportée hors de la dite Abbaye, l'avons condamné de rétablir les dites choses en essence, sinon en payer la juste valeur, à dire de gens dont les parties conviendront pour faire l'estimation, passé de laquelle payer la somme à quoy se trouvera monter la valeur des dites choses par saisie de son temporel ; et, attendu la grande nécessité de meubles comme linge, langes, et autres ustensiles, comme nous avons remarqué, et, faute au dit défendeur de ce avoir fourni, suivant les Ordonnances rendues par les Supérieurs au cours de leur visite, le condamnons d'en fournir suffisamment dans le mois, si mieulx n'ayme leur payer la somme de 300 l. pour être employée à l'achat des dits meubles et ustensiles ; et, faute d'y obéir dans le dit temps, y sera contraint par saisie de son temporel ;

Comme d'ailleurs baillera le dit abbé aux dits religieux un grenier particulier, boulangerie et écurie et douze charretées de foin, par chacun an, pour la nourriture de deux chevaux, pour le service de leur Communauté, qu'il leur achètera ; et, au surplus des demandes des dits religieux pour les réparations des dits bâtiments et autres, leur protestation avons ordonné qu'ils se pourvoiront en la Cour, et, pour subvenir aux frais extraordinaires qu'il leur a convenu faire et autres qu'il conviendra faire cy-après, leur adjugeons la somme de 300 l. qui seront prises sur les plus clairs deniers du revenu temporel de la dite abbaye, et, tout sans diminution de leurs dites portions, à valloir en laquelle somme, ordonnons que Don Lucas Le Merdy, se portant Procureur des dits demandeurs, demeurera saisi de la somme de 151 l. 14 sols restants, par le dit Le Merdy touchés de Michel Le Compte, huissier, les frais de sa commission payés ; sauf au dit Abbé à se pourvoir en la Cour pour faire modérer le salaire excessif pris par le dit Le Compte, n'ayant délivré au dit Le Merdy que la somme de 742 l. 5 sols, quoiqu'il ait reconnu en notre présence avoir touché des hommes et sujets de la dite Abbaye la somme de 1030 l. et partant il a retenu par ses mains 288 l., s'étant le dit Le Compte. hier 24e de ce mois midy, retiré sans avoir délivré l'original du dit arrêt ni procès-verbal, sur ce que lui aurions voulu modérer sur la vue d'iceluy cet salaire. Ordonnons que la présente sentence sera exécutée selon la forme et teneur, néant opposition ou appellation quelconque et sans y préjudicier. Arrêté à la dite abbaye de Lanaminci, 25 août 1663 ».

Les appelants contre les abus de Messire Isaac étaient : Guillaume de Jauréguy, Michel de Chef-du-Bois, Pierre Angevin, Lucas Le Merdy et Robert Daubin.

Toute cette procédure dénote de fâcheux dissentiments d'intérêts. L'abbé Sicard remarque que les religieux, à cette époque, ont été touchés profondément par l'esprit du siècle, qui a répandu parmi eux la langueur, le découragement, et parfois le dégoût ; que les couvents se dépeuplent, faute de recrutement, et que la sève de l'arbre monastique semble tarie. — (La Vieille France Monastique, 1909).

Il faut bien reconnaître que les procédés arbitraires des commendataires furent, en grande partie, la cause première de cette décadence religieuse. En général, les revenus des abbayes sont mis en ferme par les titulaires, qui laissent les moines manquer de tout le nécessaire à leur entretien. L'abbé pratique des coupes de bois dans les forêts, sans se soucier de laisser du chauffage à ses religieux ; il leur dispute devant les tribunaux les revenus des domaines, sans pourvoir aux réparations urgentes des édifices qui tombent en ruine. Prieurs et Abbés, en lutte ouverte, épuisent toutes les juridictions dont ils peuvent tirer parti, jusqu'à ce que le Roi évoque à son Conseil les questions pendantes. Le plus souvent, les arrêts restent lettre morte. La distance de Bretagne à Versailles ou à Paris sépare les parties, et ainsi chacun peut rester sur ses positions. Non content de la jouissance du logis abbatial, le seigneur abbé introduit ses gens dans les édifices conventuels et les impose à la charge des religieux. D'ordinaire le prélat ne fait que de rares apparitions, en grand cortège, pour des parties de chasse ; mais habituellement il est représenté à demeure par ses procureurs avec leurs familles, qui passent le temps en joyeuse compagnie ; et, pour que rien ne manque à l'agrément de la société, on fait établir des Hôtelleries pour les dames. C'est ainsi qu'il fut décidé d'en construire une à Langonnet au prix de 40,000 livres en 1736, pour se conformer à l'usage.

Pierre de la Gorce a décrit, d'une manière fort pittoresque la visite du Seigneur abbé et la réception que lui font les moines.

« A certains jours, l'Abbaye s'anime. C'est qu'on attend l'abbé. Il vient rarement. Le plus souvent un simple homme d'affaires le représente, à la manière d'un régisseur qui compte et emporte le produit d'une ferme. En l'honneur du haut dignitaire, de grandes pompes se déploient avec une recherche extrême pour élargir la règle monacale sans la briser. Cependant, on pare le monastère mais pas trop, et on a soin, s'il y a quelque lézarde, de ne pas la cacher. L'usage s'est introduit que les revenus se divisent en trois parts : une part pour le Commendataire, une part pour la subsistance des moines, une part pour l'entretien des bâtiments, les constructions et, sans doute aussi, la charité. En mettant la main sur une des trois parts, le bénéficier des émoluments abbatiaux subit la tentation assez humaine de rogner les deux autres. Donc, à l'hôte qu'on tient pour quelques jours, on détaille non seulement les splendeurs, mais les misères : c'est-à-dire les crevasses des murs, l'humidité des cellules, le délabrement des fermes, des bergeries, des moulins. C'est, pendant la courte visite, une émulation très aiguisée, très savante aussi entre les moines pour tout montrer et le Commendataire pour demeurer à la fois très affable et très discret. Ainsi fait le métayer, qui promène à travers le domaine un propriétaire longtemps absent. Puis les requêtes commencent pour les besoins de la région, pour les églises voisines, pour les orphelins, pour les malades, pour les pauvres, pour tous ceux que l'abbaye a jadis aidés et soutenus... Le Commendataire est généralement bon, sensible, et, si on peut le saisir il donne largement, gracieusement, avec un charme simple qui rehausse le bienfait. Il aura même de ces élans qui illustrent avec avantage un livre de Morale en action.... Que si on le presse davantage, que si on essaie de substituer aux bienfaits accidentels, aux accès de bon cœur, l'exercice de la charité active, réglée, permanente, il se dérobe. Il a des hommes d'affaires, qu'on s'en remette à eux. Ceux-ci viendront en effet et mettront parfois la rudesse où le grand Seigneur, en sa courte apparition, n'a voulu déployer que la bonne grâce et l'abandon. Cependant la visite s'achève. On insiste une dernière fois pour les constructions, pour les pauvres. Le Commendataire n'écoute plus : il a trop à faire à se dépenser en adieux aimables. Puis, lui aussi, il compte mentalement : il a là-bas, dans son diocèse ou à la Cour tout un train de vie à soutenir ; en se remémorant ses propres charges, il s'excuse, il s'amnistie ; il se loue lui-même de sa prévoyance. Donc il brusque le départ et, dans un dernier geste de bénediction, s'éloigne au galop de ses chevaux ». — (Histoire Religieuse de la Révolution, I, pp. 32-34).

Si l'abbé de Marbeuf négligeait son abbaye, il s'intéressa davantage à l'église paroissiale de Langonnet, où il entreprit de sérieuses réparations. L'ancienne maison, dite Abbaye Noire, fut remise à neuf en 1660, par les soins de Noël Moren. L'église elle-même subit d'heureuses transformations, indiquées par les dates apparentes du côté du midi. On y voit un porche carré à pignon, communiquant avec l'intérieur par une arcade à anse de panier surbaissée, avec accolade à chou, crosses et pilastres à pinacles ; avec l'extérieur par un cintre légèrement brisé à plusieurs retraites surmonté par une accolade de même. Une des fenêtres porte la date de 1662 [Note : Sur le linteau de la porte de la Sacristie se lit cette inscription : Hoc pietatis opus struxerunt vota piorum. - Reddita vota placent, negata nocent. Le cadran solaire est de 1703. La tour fut édifiée au dix-neuvième siècle. Supportée par quatre piliers énormes, de fort mauvais goût, elle était surmontée d'une flèche qui fut renversée par la foudre, le 16 décembre 1868. Une des cloches porte la date de 1605]. A l'intérieur, la voûte en bois, avec ses sablières à modillons et denticules, ses entraits à têtes de crocodile, date de la même année. On y voit les armes des Marbeuf : « d'azur à deux épées d'argent garnies d'or et passées en sautoir, les pointes en bas ».

L'Abbaye, qui avait toujours porté les armes de Bretagne, prit alors un nouvel emblème : « deux crosses d'or en sautoir sur fond d'azur ». Poussé par l'amour excessif de la symétrie, Messire Isaac avait voulu sans doute joindre le bâton pastoral au glaive de la justice ; mais il ne semble point pour autant que ses moines aient vécu en assurance sous sa houlette et qu'ils aient pu chanter avec joie les paroles du Psalmiste : « Virga tua et baculus tuus ipsa me consolata sunt ». Ps. XXII, 4.

C'est à l'occasion des démêlés de l'abbé de Marbeuf avec les Religieux que la Réforme finit par s'introduire à Langonnet, vers 1670. [Note : Quelques monastères français tentent de sortir du relâchement, au début du XVIIème siècle. C'était aller au-devant de la réforme qu'Urbain VIII et Louis XIII avaient chargé le Cardinal de la Rochefoucauld d'établir. D. Denis l'Argentier, promoteur de ce retour à la discipline, le fit approuver par le Chapitre Général de 1618. Les réformés constituèrent la congrégation de l'Etroite Observance soumise à un Chapitre spécial et gouvernée par un vicaire général. Le Cardinal de Richelieu et les Papes encouragèrent ouvertement la Réforme qui fit de rapides progrès, sans s'étendre néanmoins à toutes les maisons. Celles qui refusèrent de reprendre l'abstinence furent connues sous le nom de Commune Observance. Les réformés et les non-réformés continuèrent d'appartenir à l'Ordre sous l'autorité du Chapitre et de l'Abbé de Cîteaux dans les conditions déterminées par un Bref d'Alexandre VII (19 avril 1666)]. On ne peut dire que ce prélat en fut l'instigateur, mais les abus de son administration fournirent la cause occasionnelle et la rendirent absolument nécessaire. En tout cas, le désordre était à son comble en 1655, alors que le Cardinal de Retz, J. F. P. de Gondi, mettait à la raison les bénédictins de Quimperlé.

« Monseigneur de Cornouaille (René du Louët) y donna son consentement avec une grande joye, en disant qu'il mourrait content s'il voyait la Réforme aussi bien établie à l'Abbaye de Langonnet comme à celle de Ste-Croix ». — (D. le Duc, p. 485).

La Réforme, établie à Clairvaux par D. Denis l'Argentier, au début du XVIIème siècle se répandit en Bretagne par l'Abbaye de Prières qui l'adopta tout d'abord. L'instigateur en fut un moine d'origine gasconne, D. Bernard Carpentier, qui avait eu une existence passablement tourmentée. Admis de bonne heure dans la vie religieuse, il avait refusé d'accepter la réforme des Feuillants, et s'était vu frappé d'excommunication. Relevé de cette censure, il se retire à Poblet, en Catalogne, puis finit par venir à l'abbaye de Prières où il devint Prieur (1606-1629). Ayant compris la nécessité de la Réforme, il travaille activement à l'implanter parmi ses religieux (1613).[

Note : D. Bernard Carpentier décéda en 1647, à l'âge de 94 ans. Voici son épitaphe :

Cy gist Dom Bernard Carpentier.
Gascon, Prieur, digne ouvrier,
Qui sans lâche, malgré l'envie,
Par le concert et l'harmonie
Des grâces qu'il reçut de Dieu.
Rétablit son Ordre en ce lieu.
Et retrancha l'ancien désordre ;
Et le remit en si bon ordre
Qu'il est, en effet, la Maison
De Prières et d'oraison.
Où, mourant enfin centenaire,
Père de sept abbés pieux
Et de deux cents religieux,
Il prit le chemin de la Gloire.
]

L'abbé, Jean Bouchard, seconda ses efforts, ainsi que Guillaume Jamet (1613) ; mais en réalité ce fut Jean Jouaud et son coadjuteur Dom Hervé du Tertre, vicaire général de l'Observance, qui établirent la Réforme à Lanvaux, à Langonnet et ailleurs.

« Le mot de Réforme sonne faux à certaines oreilles — a dit Dom Canivez — il semble évoquer l'idée d'une situation désespérée faite d'abus criants, d'oubli complet des devoirs religieux. De fait, il n'en est rien dans la majeure partie des communautés, et l'on a beaucoup trop généralisé la déchéance de telle ou telle abbaye en particulier, comme par exemple celle de Lanvaux, qui était en pleine anarchie. D'une manière générale cependant, vie chrétienne et vie religieuse sont demeurées intactes dans leurs éléments essentiels ; il ne s'agit que d'un degré d'intensité dans la lutte contre les tendances de la nature sensuelle. La grande faute (des Mitigés) est d'avoir mis un peu de bien-être dans une existence qui devait s'établir comme un état d'holocauste perpétuel.
Au lieu de faire abstinence continuelle, les Religieux de la Commune Observance mangeaient de la viande à un de leurs repas, trois jours de la semaine : le dimanche, le mardi et le jeudi ; ils demandaient à voix basse les choses nécessaires que la règle primitive ne permettait de demander que par signes ; ils se levaient à trois heures du matin, au lieu de se lever à minuit, une ou deux heures, selon le degré de la fête ; au lieu de coucher tous ensemble dans un dortoir commun, ils toléraient les cellules privées ; ils adoucirent un peu le jeûne et prenaient quelques fruits à la collation du soir »
. — (Abbé MARTIN : Les Moines et leur influence sociale).

Quant aux Cisterciens de l'Etroite Observance, ou « Réformés », ils se levaient à deux heures pour chanter l'Office du jour ; ils couchaient sur la dure, portaient la serge, observaient une clôture exacte et un maigre perpétuel, sauf le cas de maladie.

« Quelque louable que fût cette Réforme, il est juste et nécessaire de dire qu'elle n'égalait pas les austérités des premiers Cisterciens. Elle avait retranché l'usage de la viande, mais elle permettait un régime maigre analogue à celui des séculiers. Elle rétablissait les jeûnes de l'Ordre, le jeûne perpétuel depuis l'Exaltation de la Sainte Croix jusqu'à Pâques, mais elle autorisait en même temps une collation ; elle imposait l'observance du silence, mais elle accordait chaque jour une heure de conversation et les sorties hors du monastère comme un délassement et une occupation. Tout en replaçant l'Office nocturne dans la nuit, elle rendait quelques moments de repos et de sommeil après Matines. Du reste, elle prescrivait le travail des mains, les vêtements de laine, les couches de paille et la pauvreté des individus ». — (GAILLARDIN : Histoire de la Trappe).

Telle fut, dans ses grandes lignes, la vie de nos bons Bernardins, à Langonnet et dans les autres abbayes de Bretagne jusqu'à la Révolution : absolument correcte, sans avoir rien d'héroïque. Ils étaient au nombre de sept, quand la Réforme fut établie à Langonnet : D. D. Jean-Guillaume Pezdronno, prieur ; Jean-Louis Prigeant, sous-prieur, procureur et cellérier ; Jacques Fraboulet, Guillaume Jauréguy, Hervé Salaün, Jacques Berné et Guillaume Allain.

La Réforme se maintint à Prières mieux que partout ailleurs, grâce à la suppression de la Commende.

« C'était la seule abbaye de Bretagne — dit l'abbé Tresvaux -- qui jouît du précieux avantage d'un abbé régulier, c'est-à-dire d'être gouvernée par un Religieux, abbé titulaire, dont le revenu était de 30.000 livres ».

Ainsi, la Réforme avait assuré la prospérité matérielle de l'Abbaye de Prières ; elle avait également attiré de nombreuses vocations. Alors que les autres maisons végétaient sous le régime commendataire avec quelques sujets seulement, Prières comptait cinquante religieux en 1740.

Messire Isaac de Marbeuf dut toutefois se montrer un peu plus équitable à l'égard de ses moines. Nous le trouvons, en 1667, à la pose de la première pierre du Petit Séminaire de Plouguernével, fondé par les soins du P. Maunoir et de Messire Maurice Picot, le zélé Recteur de cette paroisse.

Le dernier acte important de son administration est l'établissement des Foires et Marchés au bourg de Langonnet. Les lettres royales sont de 1668, sans autre indication de date, entérinées à la Chancellerie le 23 septembre de la même année ; présentées au Parlement de Rennes le 6 avril 1669 et enregistrées le 20. — (Rennes, Parlement, B, 24, 22ème Reg., fol. 461v°). Le marché avait lieu chaque semaine, le jeudi ; les foires étaient fixées au 25 janvier, 19 mars et 27 septembre, et remises au lendemain, en cas de dimanche ou de fête solennelle. On construisit les Halles, avec bancs et étaux nécessaires ; ce qu'on appela, un siècle plus tard, la Grande Boutique. L'événement fut publié au prône, le 2 juin 1669, par le Recteur Jean Morvan. — (Vannes, Série B, N° 2, 404). Dans la supplique au Roi, « Les Religieux remontrent qu'ils sont Seigneurs du Bourg de Langonnet, dans lequel ils ont droit de haute, de moyenne et basse justice, dépendant de la juridiction royale de Gourin, du même diocèze (de Cornouaille) qui a son estendue sur plusieurs paroisses dans un pays fort fertile en grands bestiaux et autres marchandises, et peuplé d'un grand nombre d'habitants, lesquels, pour le débit de leurs denrées et marchandises, sont obligés de se transporter en divers lieux esloignez de leurs demeures, ce qui leur cause un véritable préjudice, tant en la vente qu'ils sont contraints d'en faire à beaucoup meilleur marché qu'elles ne valent, pour n'estre pas obligez de séjourner et demeurer longtemps absents de leurs maisons, que par les risques qu'ils courent d'estre volléz et pilléz la nuict, lorsqu'ils rapportent le prix de leurs marchandises : et que, pendant qu'ils vont et viennent, ils ne peuvent vacquer à leur travail, ni cultiver les terres ».

Finalement, en 1674, Messire Isaac se démit de sa charge en faveur de son neveu D. Claude « qui soutiendra les droits de l'Abbaye avec toute la capacité et le zèle possible ». Il sera, au même titre que D. Paul de Bonacourcy, un véritable restaurateur.

***

Le nouvel abbé de Langonnet avait alors 25 ans, étant né à Rennes, le 17 septembre 1649, et baptisé le 21 novembre suivant, en l'église St-Germain. Il avait pour mère Jeanne Cadio, première femme de Messire Claude de Marbeuf, sieur de Laillé, vicomte de Chemillier, Président à mortier au Parlement de Bretagne. L'abbé Claude avait un Hôtel à Rennes, rue de la Quintaine, paroisse St-Yves, et fut témoin, le 27 février 1679, au baptême de Claude Poullart des Places ; son père le Président étant parrain de cet enfant qui devait être un jour le fondateur de la Société du Saint-Esprit. Quelques jours auparavant, 23 février, il venait de faire acquisition d'un domaine, situé en Guichen, et nommé Le Gay Lieu — Gaudii Locus — qui avait, dans le passé, appartenu aux moines de St-Convoyon de Redon. Cette propriété lui fut cédée au prix de 5.700 l., par Damoiselle Ridouet, veuve de feu noble homme Jean Blouet, sieur du Portal. L'abbé de Langonnet affectionnait tout particulièrement sa Maison de campagne ; il y fit construire une modeste résidence avec une chapelle dédiée à son saint Patron, qui sont encore existantes l'une et l'autre. Par actes de 10 mai 1719 et du 5 février 1721, il fit une fondation de 15 livres de rente, en faveur de cette chapelle [Note : Contrat de Constitution sur les Etats de Bretagne, en date du 10 mai 1719, passé au profit de Messire Claude de Marbeuf, abbé de Langonnet, portant 75 l. de rente au principal de 1.800 l. à raison du denier 24, par lequel le dit seigneur abbé a déclaré destiner la dite constitution pour faire le fonds de la fondation qu'il veut faire de la chapelle qu'il a fait bâtir dans la cour de la maison du Gay-Lieu. L'acte de fondation de la dite chapelle, passé par le dit abbé de Marbeuf, le 13 mars 1719, au rapport de Le Barbier et son collègue, notaires royaux à Rennes. — Autre contrat de constitution sur les dits Etats de Bretagne, au profit du dit sieur abbé de Marbeuf, en date du 5 février 1721, portant 40 livres de rente au denier 50, pour 2.000 livres de principal, avec déclaration faite par le dit abbé de Marbeuf d'appliquer dès à présent la dite rente de 40 livres à l'exécution de la fondation de la Chapelle du Gay-Lieu et pour suppléer à une première rente de 75 livres. (Archives du Gay-Lieu, communiquées par M. Fresneau)], pour deux messes hebdomadaires, le dimanche et le mercredi.

Il est fait mention en 1695 de ce manoir, relevant du comté de Maure, et Claude de Marbeuf en était déjà propriétaire. — (Pouillé de Rennes, IV, p. 684).

Le manoir demeura entre les mains des Marbeuf pendant plus de 60 ans (1679-1742). Le 11 avril de cette dernière année, la terre du Gay-Lieu fut mise en vente par Marie-Françoise Gilbert, épouse de Pierre Le Fur, sieur de la Saudre, en qualité d'héritière d'Angélique Pépin, dame Présidente de Marbeuf. L'édifice actuel servant d'habitation, et qui date sans aucun doute du temps des Marbeuf, est une construction de style Louis XIII, au centre d'une propriété de 50 hectares, sur un promontoire escarpé, qui domine le cours de la Vilaine, en face de Bourg des Comptes ; la rivière formant une boucle qui enserre étroitement la haute falaise du Gay-Lieu. Le domaine comprend des jardins en terrasses, un parc très habilement dessiné, qui descend jusqu'au bord de l'eau, avec des avenues, des charmilles, bosquets, fûtaies et prairies ; puis un parterre à la Française avec une orangerie. Dans les bâtisses des communs se voient encore quelques vestiges de l'antique Prieuré, datant du XIème siècle. Le manoir du Gay-Lieu était autrefois un fief du Marquis de Piré. A la période révolutionnaire, la chapelle fut, naturellement, spoliée : tous les ornements et vases sacrés « offerts à la Patrie, par le citoyen Bidard, cy-devant noble homme du Roy ». Les propriétaires actuels conservent un gracieux pastel qui passe pour être un portrait du très noble et Très Révérend Seigneur, Messire Claude de Marbeuf, bien que le personnage soit drapé dans la coule noire des fils de St-Benoît.

Les débuts de D. Claude, à Langonnet, furent troublés par la fameuse révolte du Papier Timbré, dite des Bonnets Rouges.

Le Parlement de Bretagne avait dû enregistrer, en 1673, de nouveaux impôts créés par Colbert sur le tabac, l'étain, le blé, le papier timbré. Aussitôt, le peuple s'insurgea contre ces mesures vexatoires qui allaient alourdir ses charges et, poussé par certains agitateurs, s'en prit à la noblesse. Toutefois la Révolte n'eut point pour unique cause — comme on l'a trop dit — les fameux édits de Colbert. La Bretagne des petits gens, des laboureurs de terre, souffrait d'autres maux infinis, et surtout des exactions des gentilshommes. Le mémoire de Charles Colbert, rédigé vers 1665, après une mission en Bretagne, est sur ce point édifiant. C'est à leurs nobles, bien plus qu'aux Commis des Devoirs, qu'en voulaient les paysans. Leur haine n'était guère moins grande contre la bourgeoisie des villes et contre les gens de Loi : avocats, juges, procureurs, notaires, officiers de toute nature, qui causaient la ruine des peuples. Ainsi la Révolte des Bonnets Rouges fut l'explosion de haines longuement contenues, exaspérées par la misère de plus en plus lourde, au tournant du règne de Louis XIV, et auxquelles les édits fiscaux et la grande peur de la Gabelle fournirent l'occasion de se déchaîner. Assez souvent le petit clergé, qui souffrait lui aussi de l'oppression et du mépris des grands, prit la tête du mouvement ; certains prêtres furent condamnés aux galères.

L'insurrection devint redoutable quand elle eut trouvé un chef en la personne de Sébastien Le Balp, notaire royal de Kergloff, qui avait eu maille à partir avec la justice et venait de passer quelques mois dans les prisons de Carhaix, pour certaines irrégularités professionnelles. Le matin du dimanche 9 juin 1673, le tocsin sonne dans toutes les paroisses de la région de Châteaulin : de toutes parts surgissent des bandes, armées de mousquets, de fourches, de piques, de hallebardes. Ce fut une ruée vers les châteaux, pour mettre le feu aux titres et s'emparer des armes. Le Balp n'avait pas seulement pour but de piller et de brûler quelques maisons de nobles ; il eut de plus hauts desseins et, tout en défendant la liberté bretonne, entreprit de faire sortir de l'insurrection une véritable révolution agraire. Il imposa aux nobles, aux bourgeois des villes et aux moines des abbayes comme Langonnet, un code paysan dont les ordonnances contenaient en germe une législation plus douce de la terre. Il y réclamait la limitation des charges arbitraires : champarts, corvées, droits de lods et ventes ; le rétablissement des anciennes censives ; la suppression, pour les curés gagés, de noyales, dîmes et trop haut salaires. Ces revendications se trouvaient exposées d'ailleurs sur un ton mesuré, mais ferme et qui évoque, à plus d'un siècle d'intervalle, les cahiers de Doléances.

Vingt paroisses avaient répondu à l'appel de Le Balp, qui exigeait un homme de chaque maison, sous peine de mort : Carhaix, Poullaouën, Spézet, Motreff, Saint-Hernin, Tréogan, Landéaleau, Plounévez du Faou, Trébrivan, Gourin, Guiscriff, Scaër, etc., furent du nombre ; 6.000 paysans armés se dirigèrent vers le château de Kergoët, résidence du marquis de Trévigny, qui fut pillé et livré aux flammes. Le seigneur dut signer l'abandon de ses droits féodaux.

C'est aux premiers jours de juillet que la Révolte atteignit son point critique. Maître du Poher, mais menacé par l'approche des troupes royales, Le Balp, à la tête de 12.000 mutins, résolut de marcher sur Morlaix, que défendait une garnison très faible, pour de là donner la main aux Hollandais de Ruyter, dont les vaisseaux croisaient, avec des ravitaillements tout prêts, sur les côtes léonaises. L'intelligente audace du marquis de Montgaillard l'empêcha de réaliser ce dessein, qui eût pu compromettre la cause française dans la guerre de Hollande. Il abusa tout d'abord Le Balp qui, manquant d'officiers, avait entrepris de l'enrôler de gré ou de force pour commander les séditieux ; puis, finalement, comme celui-ci menaçait de le tuer en cas de refus, le maître de Thymeur lui passa son épée à travers le corps, 2-3 décembre 1675. Les rebelles, pour la plupart ivres et saisis d'épouvante, se débandèrent et ne songèrent plus dès lors qu'à implorer la clémence royale. Le duc de Chaulnes en eut facilement raison : la répression fut terrible ; les plus coupables furent pendus ou envoyés aux galères, et les paroisses se virent condamner à des amendes considérables. Gourin dut payer 5,500 l., Spézet 5,000 l., Guiscriff 3.000 l. et Scaër 2.000. — (FR. MENEZ : Aux jardins enchantés de Cornouaille, pp. 192-200).

L'Abbaye de Langonnet eut la chance d'échapper au pillage ; mais les mutins, après avoir commis quelques déprédations sur les terres du domaine abbatial, contraignirent les religieux d'accepter leurs revendications, par un acte du 14 juillet 1675.

Les paroissiens de Tréaugan et de Plévin obtiennent ainsi des moines, qu'ils s'engagent à modérer, suivant des conditions nettement déterminées, les rentes et redevances qu'ils perçoivent. La pièce qui est « rapportée sur papier commun, sauf à la rédiger sur papier timbré quand on pourra en recouvrer », et que les religieux s'engagent à faire ratifier dans la quinzaine par le seigneur Abbé, mérite d'attirer l'attention. On ne saurait, en effet, ne pas être frappé de la modération des revendications des paysans qui, en somme, ne protestent que contre les charges arbitraires et excessives qu'on leur impose, demandant par exemple, que les religieux rétablissent « l'ancienne mesure censive de l'Abbaye, celle qui y estoit il y a présentement cent ans », et ne prétendent les droits de lodz et vente « qu'en cas qu'ilz ne soient deubz antiennement de droit et de coutume » [Note : L'acte est signé : P. Jean-Guillaume. Prieur ; F. Louis Bourgeois, sous-Prieur ; G. Jauréguy, Julien et Laurent Gambert ; Berné, Alphonse Bureau ; contresigné : G. de Migre ; présents : Y. Le Guern et C. Loizon, tous deux notaires]. — (JEAN LEMOINE : La Révolte du Papier Timbré, p. 53).

Un certain Jean Harscouët, convaincu d'avoir joué un rôle important dans l'affaire et « d'avoir voulu émouvoir le peuple à sédition, fut condamné aux galères à perpétuité, par la Cour royale de Quimperlé, le 31 août 1675 ; ses biens meubles déclarés acquis et confisqués au Roi ». La procédure avait été entreprise « sur le denoncy de discret F. Paterne Pitouais, l'un des religieux de l'Abbaye de Langonnet ». On fit arrêter à la même occasion, Michel Le Floch, Pierre Foulon et Jean Landay ; Julien Lavisy, Mathieu Pezron, Martin Le Hioudec, maistre Gilles Amoton, Antoine Lavisy et Louis Gisquel.

La sentence déclare « le dit Jean Harscouët suffisamment atteint et convaincu de sédition et d'avoir battu le tambour, depuis un mois, au bourg de Langonnet, pour y rassembler les peuples et mutins, pour aller piller en l'abbaye dudit Langonnet » [Note : Fraiz de justice du domaine de Quimperlé. — A h.h. Helye Friquet, subrogé de Jean Le Toulpec, concierge des prisons royaux de Quimperlé la somme de 31 l. 5 s., pour la nourriture et géolage du pain du Roy, du nommé Jean Harscouët, depuis le XXIX° Aoust jusques au dernier Décembre, faisant cent-vingt-cinq jours... XXX L. Vs. — Jean Ascouet, condamné au gallère, par sentence de Quimperlé et conduit dans cette conciergerie le 22 Février 1676, et party avec la chesne, le 31 Juillet 1676. — Etats des Prisonniers détenus en la Conciergerie du Parlement de Bretagne, en 1676]. — (Arch. de la Loire Inférieure, B. 2818-2820).

Messire Claude de Marbeuf avait assisté aux Etats de Dinan (1675) ; il rendit aveu au roi en 1684 [Note : Déclaration pour le domaine de Carhaix, 1682 : Hennebont et Rhuis, le 26 Décembre 1681 ; Gourin, 3 Novembre 1680. — (Archives de la Loire-Inf., B. 1436). — Inspection des Bois de Conveaux, du 14 août au 24 septembre 1685, par Louis Gérard Delahaye, sieur du Bellon, faisant fonction de Maistre particulier des Eaux et Forêts. — Archives du Finistère, B. 17. 17].

L'appréciation émise par Mme la comtesse du Laz s'applique tout particulièrement à D. Claude :

« Les trois de Marbeuf peuvent être considérés comme les vrais restaurateurs de cette abbaye. Les réparations avaient déjà, il est vrai, été commencées par Paul de Bonacourcy ; mais la gloire des Marbeuf a été de les avoir poursuivies avec une activité qui n'a d'égale que leur générosité. On a même raconté que l'un d'eux — on ne saurait dire lequel — se serait condamné au régime des Religieux pour assurer les ressources que réclamait une restauration aussi onéreuse ».

Il ne peut être question évidemment de Messire Isaac, de qui nous avons vu les agissements. Le Mémoire N° 1341 dit, en parlant de D. Claude :

« Cet abbé commendataire a justement soutenu les droits de son abbaye, avec toute la capacité et le zèle possible ; il serait à souhaiter que tous les abbés Réguliers le prissent pour leur modèle ».

Sans rien préjuger de sa générosité personnelle, Claude de Marbeuf fut un excellent administrateur ; il entreprit de reconstruire l'abbaye et travailla à se procurer les ressources pour cette vaste entreprise. Nous ne croyons pas toutefois qu'il ait renouvelé le geste de D. Paul de Bonacourcy, qui s'était astreint de plein gré à mener la vie monacale. On doit à Messire Claude la construction de l'aile du sud, où se trouvaient la cuisine et le réfectoire, avec l'Infirmerie à l'étage supérieur. Cette partie de l'édifice, commencée le 17 juillet 1688, fut achevée l'année suivante, ainsi que l'attestent les dates apparentes : « Felicibus ausp. fund. haec domus. die Julii XVII, an. 1688 ». « Aeternitati positum, 1688. — P. P. anno 1689 ».

Un soin tout particulier fut donné, dans la suite, à l'érection de la façade principale (1714-1721-1723). Mais tout ce travail ne se fit pas sans de nombreuses difficultés et nécessita de multiples démarches dont nous retrouvons les traces aux Archives Nationales [G. 7, 1344].

En juin 1706, M. de Marbeuf demande l'autorisation de procéder à des coupes de bois, pour le prix être employé en rentes sur l'Hôtel-de-Ville, en vue de subvenir aux frais généraux des nouvelles constructions. « Ces bois ne sont guère que de la futaye : ils sont entièrement sur le retour, en sorte que, depuis quarante ans, il en a dépéry pour plus de 50,000 l. ». On propose deux coupes : l'une dans la forêt de Conveaux qui, avec le petit canton de Guernancrahos (13 arpents), forme un ensemble de 419 arpents ; l'autre dans la forêt de Coëtquistinic ou Bois de l'Abbaye, contenant 365 arpents : soit au total 784 arpents. La première coupe est estimée 83,800 l. à 200 l. l'arpent, et la deuxième à 400 l. l'arpent : en tout 229,800 l.

Sur l'avis du sieur de La Pierre, Grand-Maître des Eaux-etForêts, la coupe des deux pièces de bois de Conveaux et de Guernancrahos fut autorisée par arrêt et Lettres Patentes du 28 septembre 1700 et du 7 janvier 1707 ; tandis que les 365 arpents de Coëquistinic demeureront en réserve.

Les adjudicataires particuliers offrent 107,000 l. pour 14 parcelles, avec un délai de douze ans pour l'exploitation et un autre de cinq ans pour les payements. Un gros marchand de bois de St-Malo donne 100.000 l. du tout. Le sieur Valentin, de Brest, fournisseur des bois de la Marine, demande la préférence : il offre lui aussi 100,000 l., avec quinze ans pour l'exploitation et dix ans pour le payement, à raison de 10,000 l. par an. Le 14 juin, le Ministre fait répondre qu'il faut préférer le marchand de St-Malo, M. Fermel de La Maisonneuve ; mais celui-ci retire ses offres, à cause de la difficulté du paiement, si le Trésor ne veut accepter les effets délivrés par la Marine de Brest.

M. de La Pierre présente une autre soumission, au nom des honorables marchands de Carhaix : Nicolas Lemoine, Jean Poulicquen, Jean Vimières, Louis Robin, Yves Guillon, qui sont écartés par M. de Marbeuf comme paysans et sabotiers insolvables.

« La sûreté des payements, dit-il, ne sçaurait se trouver n'y dans les adjudicataires, ni dans leurs cauptions. Quoyque je sois dans un pays ou (je) ne cognois presque personne, faisant ma résidence dans une maison près de Rennes [Note : Manoir du Gay-Lieu en Guichen] et esloignée de trente ou quarante lieues de mon abbaye et de cette ville de Carhaix, j'ay sçu d'abord que ces prétendus marchands, tous adjudicataires de très grosses parcelles, à condition de ne payer qu'en cinq années, sont de pauvres paysans qui n'ont que leur hache, et que les cauptions qu'ils prétendent donner sont d'autres paysans, dont les uns ont la valeur de quatre ou cinq cents, et, les plus riches, de mille francs de bien en fonds de terre... Il serait très périlleux que ces prétendus adjudicataires eussent, pendant cinq ans, la liberté d'enlever ou le tout ou la plus belle partie des bois, sans avoir une sûreté suffisante de payement, et sans pouvoir les y contraindre, et c'est ce qui mettrait et l'Abbé et les Religieux dans une obligation de requérir tous les jours la descente des officiers qui consommeroient tout ce qu'on pourrait retirer de cette vente » (Lettre au Ministre, 14 avril 1707).

M. de Marbeuf avait en vue un autre marchand de bois ; il daigna même faire une visite à son abbaye, sur ces entrefaites, et il dut en repartir le 15 avril, puisqu'il rencontre, le lendemain, M. de La Pierre, à Hennebont.

Il s'agissait surtout d'obtenir des fonds pour reconstruire l'abbatiale ; le revenu étant fort modique, à son avis. En conséquence, l'abbé et les religieux demandent qu'il plaise à Sa Majesté de leur accorder la coupe des bois qui dépendent de l'abbaye, pour les deniers provenant être portés au Trésor Royal, à l'exception seulement d'un dixième qu'ils supplient Sa Majesté de leur laisser pour rétablir la maison abbatiale, qui est entièrement ruinée de vétusté... Le prix de vente sera déposé à l'Hôtel-deVille de Paris, pour être passé contrat de Constitution de rente au denier vingt, au profit de la dite abbaye, à l'exception seulement de deux sols par livre qu'ils supplient humblement Sa Majesté de leur laisser pour leurs pressantes nécessités et pour bâtir une Abbatiale, attendu que l'ancienne est entièrement ruinée.

Ils demandaient pour cela 12,000 ou tout au moins 10.000 l. M. de La Pierre estime qu'on pourrait leur en accorder 6,000 pour l'abbatiale.

Le 15 octobre 1706, l'abbé de Marbeuf écrivait à l'évêque de St-Malo [Note : Vincent-François des Maretz, fils d'une soeur de Colbert, d'abord vicaire général de Pontoise, puis évêque de Saint-Malo, le 17 septembre 1702 ; décédé le 25 septembre 1739], sollicitant son appui auprès du Ministre, ainsi qu'en fait foi la lettre du Prélat à son frère, M. des Maretz :

« Le dimanche, 31 octobre 1706. — Hyer, Madame de Guébriac, soeur de l'Abbé de Marbeuf vint me voir l'après-midi, me donna la lettre cy-jointe et me dit que sur la demande de 10,000 l. qu'avoit faite son frère pour bâtir une Maison Abbatiale, qu'il faut bâtir de fond en comble, le Grand-Maitre avait conclu à 6,000 l. La distraction de 6,000 l. pour bâtir une Abbatiale, qui ne peut en coûter moins de 12,000 à l'Abbé, est peut-être une chose gratiable sur une somme de 60,000 l. qui entrera dans le Trésor Royal. Comme l'arrest n'est point encore signé, la question est de savoir si la grâce peut être accordée ; j'ay promis que je vous en parlerais, voyant bien d'une part les difficultés que le Conseil peut faire et de l'autre côté que l'affaire est néanmoins favorable. Je vous souhaite le bonjour et suis, Monsieur mon très cher frère de tout mon coeur, votre très humble et très obéissant serviteur : + V. F. EVÊQUE DE SAINT-MALO ».

L'année suivante, 20 août 1707, le digne Prélat recommande de nouveau l'abbé de Langonnet à la faveur ministérielle. « Monsieur de Saint-Malo peut ajouter à M. Desmaretz que M. l'abbé de Marbeuf est un parfaitement honnête homme, très capable d'affaires, et aux paroles duquel on a lieu d'adjouter une entière foi ; il est sur ce pied-là en Bretagne ». Enfin, le 26 décembre de la même année, le prieur de Langonnet adresse encore une supplique à M. Ponchartrain, « Monseigneur, l'Abbaye de Langonnet étant très malsaine, à cause de sa grande humidité, particulièrement l'église, qui cause des maladies presque continuelles aux Religieux, et des morts très fréquentes, et ne pouvant en faire les réparations, à cause des malheurs des temps, je me suis adressé à M. de La Pierre, Grand-Maître des Eaux-et-Forêts de Bretagne, pour le prier de nous accorder un faible secours, qu'il peut ménager par dessus les cent mille livres qu'on offre de nos bois. Il a eu la dûreté de nous refuser, disant qu'il a des ordres présix de la Cour. C'est ce qui m'oblige, Monseigneur, à recourir à votre piété et justice, et de prier Votre Grandeur de nous accorder notre demande, qui pourra se monter à cent pistoles, cela nous engagera à continuer nos vœux et nos prières auprès du Très-Haut pour votre conservation, estant d'un très profond respect, Monseigneur, de Voire Grandeur, le très humble et très obéissant serviteur. F. CLAUDE FLEURY, Prieur de Langonnet. A l'Abbaye de Langonnet. ce 26 Xbre 1707 ».

M. de Marbeuf réussit évidemment dans son entreprise, puisqu'il eut la satisfaction, avant de mourir, de voir son œuvre complétée par l'achèvement de la façade. Cette dernière partie de l'édifice renfermait, au rez-de-chaussée, les salles de Compagnie, avec une vestibule voûté et un large escalier à double rampe, conduisant aux appartements des Hôtes. Le Prieur occupait le pavillon du midi. Il ne faut pas oublier que tous ces édifices reposent sur pilotis, ce qui donne assez peu de consistance aux fondations, bien que le sous-sol ait été affermi et drainé par des canalisations voûtées, qui ont subsisté. On s'étonnera d'autant moins qu'il y eut lieu souvent de procéder à des reconstructions successives dans cet ensemble monumental qui avait la prétention de défier les siècles.

« Quand on approchait d'une abbaye — écrit M. de La Gorce — l'oeil était presque toujours attiré par l'ampleur et la surabondance des constructions. Epaisses étaient les murailles et au loin s'étendaient les enclos... Le portique, par ses proportions, annonçait une seigneuriale demeure. Si l'on franchissait le seuil, tout révélait un fondateur qui n'avait épargné ni l'espace, ni la matière, ni le travail de l'homme et avait créé pour durer. Le bâtiment des étrangers était spacieux, largement ouvert et, si les deux mots peuvent s'associer, d'une confortable austérité. Les cloîtres s'alignaient dans une harmonie sévère, encadrant les grands préaux. Dans l'église, dans les chapelles s'étalait la somptuosité, bannie partout ailleurs, à moins que le relâchement des Règles ne l'eût introduite dans la maison de l'abbé. Les cellules elles-mêmes, frustes mais larges et couvrant beaucoup d'espace, offraient l'aspect d'une pauvreté dispendieuse ».

C'est bien la note qui convient à notre Abbaye vaste et grandiose plus que suffisamment pour une dizaine de moines, mais dont toute apparence de luxe était soigneusement écartée, aussi bien dans l'église que dans le logis abbatial, qui était d'une extrême simplicité.

C'est vers la fin de la prélature de Messire Claude qu'une descente de police eut lieu à l'Abbaye, à l'occasion de la conspiration de Pontcallec.

On est convenu de donner ce nom à la folle équipée qui se rattache par des fils assez mystérieux, au complot de Cellamare, ourdi contre le Régent par la Duchesse du Maine. La sédition des gentilhommes Bretons n'a rien d'une épopée : Pontcallec et ses compagnons furent des victimes plus que des héros ; ils demeurent beaucoup plus grands dans la légende qu'ils ne le furent en réalité. L'imagination populaire, surexcitée par la cruauté du supplice qui leur fut infligé, en dépit de toute justice, a magnifié leur trépas comme celui des martyrs et des saints : Vel ar Verzerien hag ar Zent.

Chaque année, durant le régne de Louis XIV, les Etats de Bretagne avaient voté le don gratuit par acclamation, le mot d'ordre étant de s'incliner toujours devant le bon plaisir du grand monarque. Une réaction était inévitable. Exaspérés par les exigences du Régent et par les maladresses du nouveau Gouverneur, M. De Montesquiou [Note : Le duc de Saint Simon dit que Montesquiou « se blousa et mit tout en révolte et en confusion ». Chateauneuf ajoute : « On ne devait attribuer les troubles de la province qu'à son mauvais gouvernement, à ses hauteurs, à son avarice. La haine qu'il s'y était justement attirée y avait beaucoup plus de part qu'un dessein prémédité de brouiller l'Etat »], le Parlement de Rennes bouda le pouvoir. Après de grandes difficultés pour octroyer le don gratuit de deux millions, réclamé par Philippe d'Orléans, il refusa catégoriquement de voter l'impôt du droit d'entrée sur les boissons. La plupart des Conseillers se contentaient d'une résistance légale, mais certains esprits turbulents résolurent de porter à l'extrême leurs revendications. En réalité, leurs manœuvres n'avaient rien d'une conspiration ; on a pu dire, avec raison, qu'elles n'étaient qu'illusions et enfantillages périlleux.

L'âme du complot fut un magistrat brouillon, Pierre de Lambilly, conseiller au Parlement, homme ardent, fécond en projets et trop prompt à prendre ses désirs pour des réalités. Il n'en réussit pas moins à gagner bon nombre d'adhérents, parmi la petite noblesse, et à leur faire signer un Acte d'Union pour la défense des Libertés de la Bretagne. Ils juraient en outre de garder rigoureusement le secret et de soutenir, tous, celui des conjurés qui serait attaqué. Ceux qui refuseraient de signer le pacte seraient déclarés sans foi, sans honneur, dégradés de la noblesse et bannis de tout commerce avec les seigneurs bretons. En tout ceci, on déclarait néanmoins sauf le respect dû au Roi et au Régent. La plupart des signataires ignoraient que Lambilly avait fait appel à l'Espagne ; car, « ceux qui étaient les principaux auteurs de cette malheureuse affaire ne rendaient aucun compte de leurs desseins et de leurs pratiques aux autres gentilhommes, qui ont eu la simplicité de se livrer à leurs fantaisies » ; ainsi que l'a déclaré plus tard Le Moyne de Talhouët.

Le marquis de Pontcallec fut reconnu leur chef, moins pour ses qualités personnelles que pour le prestige attaché à son nom. De fait, il ne possédait qu'une arrogance prétentieuse ; il se montra en toute occasion d'une incapacité et d'une couardise qui lui attirèrent le mépris de tous.

Demeuré célibataire et âgé de quarante ans, Clément-Chrysogone du Guer habitait, avec sa sœur Françoise, le château de Pontcallec [Note : L'ancien château fut confisqué par l'Etat, en 1791. Pendant la Révolution, les gardes nationaux du Faouët et de Guéméné y mirent le feu, Celui qui le remplace a été construit, à la fin du siècle dernier, par le Comte de Cossé-Brissac. Il appartient aujourd'hui ainsi que les terres qui l'entourent, au Duc de Lorges. — (Abbé MOREN : Au pays du Faouët, page 27)], où il se montrait le véritable type du gentilhomme chasseur, paillard et fraudeur, très dur à l'égard de ses vassaux qui le considéraient comme un tyran ; assez peu estimé de ses voisins, qui s'en tenaient avec lui aux relations de stricte politesse. Quand M. de Montlouis voudra entraîner les paysans de Priziac à la défense des gentilhommes poursuivis, ces braves gens assureront que pour lui ils feraient tout, mais « que si c'était pour M. de Pontcallec, ils ne branleraient seulement pas, et qu'ils voudraient le voir pendu, car c'était un tyran ». Ceux qui vinrent monter la garde à son château le lui devaient par obéissance ou ne firent que céder devant les menaces. « Leur poltronnerie, disait le marquis, ne permettait même pas de se défendre ». Il est vrai que les paysans n'avaient aucun intérêt à se faire casser la figure pour ces Messieurs, à raison de huit sols par jour.

Pontcallec, à l'instar de Lambilly, considérait Philippe V d'Espagne, petit-fils de Louis XIV, comme l'héritier légitime du trône, ou du moins comme le Régent naturel du jeune Louis XV ; et c'est au nom du roi d'Espagne qu'il distribua les grades à ses compagnons, dans une réunion tenue à Klerlein près de Plaskaër en Priziac, dans un lieu écarté, sauvage et pittoresque, qui est appelé aujourd'hui le Trou du Biniou. Il nommait du Couëdic et Le Moyne de Talhouët, lieutenants-colonels, « sans dire de quelles troupes » ; Montlouis, Keraly, les deux Fontaineper, de Kerberec, de Keraguen, furent promus capitaines. Le cadre des officiers était ainsi au complet : lui-même étant colonel, sous les ordres d'un général espagnol, le Duc d'Ormont ; mais la difficulté était de lever des troupes. Si Montlouis put réussir à grouper autour de lui trois cents hommes, grâce à l'énergie de sa femme, Pontcallec n'en trouva pas une dizaine. Le mouvement fut avant tout une affaire de gentilshommes, la bourgeoise y demeura étrangère ; quant au peuple, il l'ignora complètement.

Le maréchal de Montesquiou, fort bien renseigné sur les menées des conjurés, ordonna une perquisition, qui fut opérée, le vendredi 26 septembre 1719, au château du Pontcallec, par le colonel de Mianne avec soixante-dix hommes ; mais le marquis, prévenu à temps, avait pris la fuite, déguisé en paysan, et commença dès lors une vie errante, traqué par la meute qui était à ses trousses. Du Dréhors, il se refugia à Kerleizec en Gourin, chez les du Couëdic ; de là, à l'abbaye de Langonnet, puis au manoir de Pratulo en Cléden-Poher, chez Madame de Muzillac ; chez son cousin Lollivier de Tronjoly, et ailleurs suivant les circonstances. Il fut finalement trahi par un homme qui avait toute sa confiance. C'était le sénéchal du Faouët, Chemendy, qui dirigeait tout, et que les autres appelaient à cause de cela, le Ministre. Sa fille était la dame de compagnie et l'amie intime de Mademoiselle de Pontcallec. Chemendy, dans l'espoir de sauver sa vie, s'offrit non-seulement à trahir le marquis, mais encore à dénoncer à la police ceux des membres de la conjuration qu'il connaissait. A la vérité, il n'alla pas jusqu'à conduire lui-même les soldats chargés de l'arrestation ; il laissa cette triste besogne à un valet de Pontcallec, nommé la Batterie, qui habitait le Faouët, au domicile de sa femme.

Traitour, ha !
Malloz d'it !
Malloz d'it, ta !
Traitour, ha !
Malloz d'it, ah !

(Barzaz-Breiz).

Arrêté par surprise, au presbytère de Lignol, le 28 décembre 1719, Pontcallec est conduit à Nantes, où il ne tarde pas à être rejoint par ses compagnons qu'il avait eu la faiblesse de dénoncer à son tour. MM. de Montlouis et de Kervleizec s'étaient déjà rendus à M. de Mianne le 30 décembre, et Talhoua fit sa soumission le 10 janvier suivant ; tandis que les principaux instigateurs, avec Lambilly, Bonamour (Louis Germain de Talhouët) avaient réussi à passer à l'étranger.

Condamnés à mort, Pontcallec, Montlouis, Talhouët et du Couëdic eurent la tête tranchée, à Nantes, sur la place du Bouffaye, le 26 mars 1720 [Note : Tous les quatre étaient de notre région : Pontcallec, de Berné ; Montlouis, de Plaskaër en Priziac ; Le Moyne de Talhouët, de Barac'h en Ploërdut ; et du Couëdic, de Kerbleizec en Gourin. Ils comptaient au nombre de leurs compagnons : Hugonier, de Langonnet, beau-frère de Montlouis ; Guiller de Fontaineper et son frère, de Ploërdut ; le chevalier Le Doulec de Caororgan, de Saint-Tugdual ; Jouan de Kerbérec, de Kerflénic en Meslan ; Hiré de Kéranguen, de Scaër....].

Ainsi périrent ces malheureux, plus écervelés que coupables, et qui n'avaient point mérité un si fatal destin. Réduits à une existence très précaire, avec des rentes insuffisantes, ils s'étaient vus contraints à vivre d'expédients, par le commerce du sel et du tabac, en véritables fraudeurs, et n'avaient considéré, dans le mouvement d'agitation, qu'un moyen possible de rétablir quelque peu leurs affaires, par l'appoint des doublons venus d'Espagne. Le Moyne de Talhouët déclara aux juges qu'il ne s'en servit que pour ses affaires domestiques, tandis que cet ivrogne de Keranguen les employait à boire, avec ses amis, à la santé du Roy.

L'unique personnage, qui ait vraiment fait figure de chef, fut une femme, Madame de Montlouis. Après avoir engagé son mari et son propre frère Hugonier, à se mettre en campagne dans l'intérêt commun, elle déploya toute son activité à enrôler des paysans, leur déclarant qu'elle saurait les forcer à marcher, et que, s'il y avait parmi eux des mutins, elle ferait mettre le feu à leurs maisons. Elle menaça même l'un d'eux de lui donner sur les oreilles, et dit à un autre qu'il prît garde de servir d'exemple du haut d'une potence. Ce qui a fait dire au magistrat, durant son interrogatoire : « Madame, par les voies de cette sorte, vous auriez eu bientôt fait de lever une armée contre le Roy ». C'est Madame de Montlouis qui se rendit à cheval au bourg de Saint-Caradec-Trégomel pour y rencontrer M. de Kerantrec'h, qui apportait l'argent d'Espagne. Alors que tous les affidés avaient perdu la tête, elle conserva assez d'esprit pour enlever les armes compromettantes, sottement dissimulées dans le jubé de l'église de Priziac, et les faire disparaître dans une perrière, au milieu de la lande, où personne n'eut l'idée d'aller les chercher. M. de Mianne n'hésita point à la signaler comme la plus coupable, disant : « c'est une diablesse, qui porte les culottes ».

Mère de deux jeunes enfants, Marie-Thérèse de Montlouis n'avait que trente-quatre ans. Elle était fille du Sénéchal de Langonnet, noble homme Isaac Hugonier, avocat à la Cour. Détenue durant une année au Château de Caen, où les Etats de Bretagne lui firent parvenir un secours de 600 l., elle fut enfin mise en liberté et revint à Priziac ; elle y vivait encore en 1744.

Plusieurs membres du clergé se trouvèrent compromis dans cette malheureuse affaire : MM. de la Botinière, prévôt de l'église de Guérande ; du Brandonnier, recteur de Berné ; l'abbé de Groësquer, qui passa en Hollande ; Bourguillot, desservant de Kernascléden, ardent agitateur ; le pauvre recteur de Lignol, Jean de Couëssin de Kergal, qui fut condamné à trois livres d'aumônes pour avoir donné asile au marquis ; et finalement le Prieur de Langonnet, Dom Caoursin.

Quel était donc le crime du Prieur ?

C'est à l'Abbaye que Montlouis était venu, au début de novembre, rencontrer Le Gouvello de Kerantrec'h, pour recevoir 4.000 livres, sur la somme de 40.000 venue d'Espagne, que le Trésorier-payeur général devait distribuer aux conjurés ; de plus, c'est encore à l'Abbaye que Pontcallec fugitif avait trouvé un asile momentané. Or, un arrêt du 29 nov. 1719, défendait « à tous, gentilhommes et autres, nommément aux communautés et maisons religieuses, de donner asile et retraite au Marquis de Pontcallec et à ses associés, et de se rendre dépositaires d'aucuns de leurs papiers et effets, avec injonction de les dénoncer au plus tôt et de donner avis des lieux où ils sauraient qu'ils se seraient retirés, sous peine d'être réputés complices et punis comme criminels de lèse-majesté ».

Chacun eut donc à demeurer sur le qui-vive ; les avis n'arrivèrent plus à temps. C'est ainsi que l'abbaye de Langonnet se trouva bloquée un beau matin. On ne sait qui avait soupçonné le Prieur Dom Caoursin d'être affilié à la conspiration et qu'une grosse somme d'or avait été confiée par le marquis aux religieux. Le lieutenant du Prévôt, M. de Quillio en personne, s'était donc mis en route avec le régiment des Landes, de la cavalerie et de la maréchaussée. Comme les moines n'avaient pas la moindre raison de s'attendre à pareille attaque, ils furent surpris. Le pont-levis, qui défendait l'entrée du monastère sur l'Ellé, fut enlevé sans coup férir. Le monastère envahi, on le fouilla partout. Rien de suspect. C'était donc une déception nouvelle, quand on finit par saisir deux petits billets. Dans le premier on lut : « Ayant dessein de passer quelques temps à l'étranger, donnez à M. du Couëdic les deux sacs cachetés du rouge ; quant aux trois cachetés de noir, ne les remettez jamais qu'à moi seul ». Le second billet était ainsi conçu : « Vous pouvez remettre à M. du Couëdic les trois sacs cachetés de noir ; la présente servira de décharge ». Chaque billet portait la signature du marquis de Pontcallec. Sur ces indices, on déclara le Prieur complice, réceleur et criminel au premier chef ; il fut envoyé au château de Nantes. — [La Conspiration de Pontcallec, par l'abbé J. LE DIGABEL. — Revue Morbihannaise, 1892].

Remis en liberté, au mois d'avril 1721, Dom Caoursin continua ses fonctions de Prieur ; on l'y retrouve encore en 1739. Docteur de la faculté de Paris, il jouissait d'une certaine considération dans l'Ordre ; il avait accompagné deux fois à l'abbaye du Relecq (8 octobre 1711 et 2 avril 1713) l'abbé de Prières, Joseph-Melchior de Sérent, restaurateur de la discipline religieuse en Bretagne [Note : Dom Joseph-Melchior n'hésitait pas à employer la manière forte. Il le fit bien voir à un jeune écervelé qui jetait le trouble dans son abbaye. Convaincu de vol et de péculat, le F. Maurice Nicol, diacre profès de Langonnet, fut jugé, le 9 décembre 1702, et condamné à trois ans de reclusion. « deschu des fonctions de diacre, déclaré indigne d’estre jamais élevé au sacerdoce ». Après avoir reconnu ses écarts de conduite et reçu la discipline, le coupable fit « amende honorable teste nue, en demandant pardon à Dieu, à l'Ordre et à cette communauté de Prières ». Il fut ensuite renvoyé à Langonnet pour y subir sa détention, avec jeûne au pain et à l'eau, chaque Vendredi ; discipline au Chapitre, une fois par semaine, durant la première année. (Arch. Marb. Série H. Prières)].

Quant à Messire Claude de Marbeuf, qui avait fait l'acquisition de la métairie de Quellénec, 10 février 1693, il mourut au Gay-Lieu, à l'âge de 75 ans, et fut inhumé le 3 avril 1724 dans l'église de Guichen.

***

René-Auguste de Marbeuf, qui succède à son oncle, avait commencé de fort bonne heure sa carrière ecclésiastique. Il n'était encore que clerc-tonsuré et déjà prieur de Massérac, lorsqu'il fut nommé abbé de St-Jacques de Montfort, le 8 janvier 1721, à l'âge de dix-sept ans. Il était né à Rennes et avait été baptisé à St-Georges, le 16 avril 1704 ; fils de Jeanne-Jacquette de Musillac et de Messire Charles-François de Marbeuf, seigneur du Gué, de Servon et de Châteaugal. René-Auguste résigna son abbaye de Montfort, dont il avait pris possession le 30 juillet 1721, pour succéder à son oncle, en 1725. Il n'était pas encore prêtre, mais diacre seulement, quand il obtint, à Rennes, une prébende de chanoine, le 29 juillet 1729 ; il la résigna en 1732, après avoir été promu vicaire général de Rouen, par Mgr Louis de la Vergue de Tressan, 11 juillet 1731. L'abbé de Marbeuf ne paraît pas avoir mis d'empressement à résider à Rouen, bien qu'il eût un appartement réservé à l'Evêché, au Pavillon du Cerf, du côté de la rue des Bonnetiers ; ses meubles n'étaient pas encore mis en place, le 18 avril 1733. Il fut cependant maintenu en titre par Mgr de Saulx-Tavannes, 4 février 1734.

Messire de Marbeuf était, avant tout, un abbé de Cour : aumônier de la reine Marie Leczinska, il fut l'un des préposés à l'éducation de Monseigneur le Dauphin.

Nommé à Langonnet par arrêt du mois de mars 1725, le jeune abbé s'empresse de procéder au partage des revenus de l'abbaye, le 18 octobre, avec le concours de son frère, M. le Président de Marbeuf ; et, le 26, il signait avec les religieux un traité, en forme de bail, pour la gérence des deux lots qu'il se réservait : les moines ayant toujours été les fermiers de l'abbé. M. de Marbeuf se réserva les droits honorifiques et l'Abbatiale avec ses dépendances ; mais il consentit à céder aux religieux la jouissance de plusieurs biens compris dans ses lots, pour l'acquit des charges claustrales.

A la suite de l'incendie de 1735 qui détruisit un pavillon au corps du logis de l'Abbatiale, M. de Marbeuf sollicita l'autorisation de continuer les travaux entrepris par son prédécesseur, et, le 22 juillet de la même année, un arrêt du Conseil autorisa une coupe dans les bois de Conveaux, afin de faire face aux dépenses [Note : Parlement de Rennes, 37ème Reg., f. 84. — Arrest du Conseil d'Etat portant permission aux Religieux de Langonnet de faire couper la moitié de leur forêt de Conveaux, 22 février 1732 ; aussi, Lettres Patentes sur le dit arrest, du 11 septembre 1735] : « Les Abbé, Prieur et Religieux de l'Abbaye de Langonnet, diocèse de Quimper, possèdent par indivis une forest assez considérable contenant environ cinq à six cents arpents, appelée la Forest de Conveaux : ils ont toujours conservé cette forest avec beaucoup d'attention ».

Des arbres y ont été marqués dès 1714, comme pouvant servir à la Marine. D'après l'estimation de la Maîtrise des Eaux-et-Forêts de Bretagne, les Bois de Conveaux comprennent « 545 arpents, 62 perches, en fûtaye, composée de chesnes et hestres et quelques boulos ». Elle est estimée environ 80,000 livres. On demande la coupe de la moitié de ces bois, 272 arpents 81 perches, parce que les Religieux ont besoin d'argent pour faire les réparations tant à l'église qu'aux bâtiments claustraux, dont une partie est totalement détruite. Il s'agissait évidemment de reconstruire le cloître et de faire à l'église des réparations urgentes. La supplique exagère quelque peu afin d'apitoyer le Conseil Royal, puisque les édifices principaux venaient d'être reconstruits à neuf. Le devis du 20 avril 1734 estime ces travaux à 38.837 l. La vente des bois avait donner 75.000 l.

Le Conseil du Roi ayant autorisé les devis jusqu'à la concurrence d'une somme de 50.000 l. (23 février 1736) ; 20.000 l. furent consacrées à la restauration de l'église, qui fut recrépie à la chaux et reçut une toiture nouvelle en ardoises [Note : Etat du toisage de la couverture de l'église par Rousseau. architecte et entrepreneur, (7 novembre 1736) : 239 toises et demie ; la toiture principale mesure 160 pieds de logueur, et les toits des transepts 88 pieds ; il y a dans cette partie du transept trois chapelles latérales]. Le faîtage fut recouvert de plomb, ainsi que les quatre gouttières du clocher ; on y replaça la croix qui avait été abattue par l'impétuosité des vents.

Le chœur reçut de nouvelles boiseries et des stalles, exécutées sur les dessins de Bousseau [Note : Le dit chœur aura 24 pieds de long, sur 20 pieds de large et 13 pieds de haut ; avec 20 pilastres, panneaux de boiseries, et passage libre de quatre pieds 2 pouces de large autour du dit chœur]. La construction du nouveau cloître « à l'italienne, avec balustrade de pierres taillées et percée à jour » coûta plus de 40.000 l. Il était voûté en pierres de tuffeau, tirées d'Angers, et revêtu, à l'extérieur, de pierres taillées rondes [Note : Archives du Finistère, Maîtrise des Eaux-et-Forêts, — Liasse : Réparations des Abbayes, et Cartons des Plans de Bonsseau, 1736].

« Il faut — dit le devis de Bousseau — que le dit cloître ait cent-huit pieds de longueur sur quatre-vingt-dix pieds de largeur ; et le dedans du dit cloître sera de onze pieds de largeur — entre la banquette et le mur — et de dix entre le pilier et le mur ; tout le dit cloître sera composé de vingt-six arcades, qui seront de douze pieds de hauteur et, depuis le parvis jusqu'à la clef de voûte en-dessous, de quatorze pieds ; dont il y aura quatorze arcades de neuf pieds de largeur et douze de sept pieds ».

La cour centrale mesure 82 pieds de long sur 60 de large, du côté de la chapelle. L'architecte estimait la dépense à 25.000 l.

Les devis envisageaient également la construction d'un pavillon pour recevoir les dames, 40.000 l ; la clôture de l'enclos des jardins sur une demi-lieue de circuit par un mur de deux pieds d'épaisseur sur 14 pieds de haut ; l'agrandissement des écuries pour les chevaux, les bœufs et autres animaux.

« La maison manquait de grenier et on était obligé d'enfermer les grains dans les appartements de la maison abbatiale. On construisit un bâtiment de 204 pieds de longueur, 14 à 15 pieds de largeur, avec portes cochères aux deux bouts ». Le haut du bâtiment devait servir de grenier : 30.000 l. pour ces deux derniers articles.

En 1748, le feu détruisit un autre pavillon qui joignait le pont-levis ; on profita de ce sinistre pour solliciter l'autorisation de nouvelles constructions et un devis fut établi le 25 mai 1750 ; mais il ne semble pas qu'il ait été mis à exécution, car il se trouve reporté dans le devis de 1756. Le 17 août 1751, un arrêt du Conseil avait ordonné l'arpentage des bois, qui commença le 1er juillet 1754.

L'abbé de Marbeuf, décédé en cette même année, ne vit point la fin de ses entreprises, car les travaux prévus par le devis de 1736 n'étaient pas encore terminés en 1756.

Les registres de la paroisse signalent, à la date du 18 juin 1742, la « bénédiction dans l'église Notre-Dame de Langonnet — de la cloche destinée à la chapelle St-Brandan, située dans la paroisse de Langonnet ; elle est nommée Paule-Françoise : parrain, Rév. Père Paul-François Perrin, docteur en Sorbonne, Prieur de l'Abbaye de Langonnet ; marraine, Demoiselle Françoise Abevin, femme du sieur Guihur ».

La notice N° 1341, qui fut rédigée vers 1748 ou 1754 au plus tard, nous donne quelques indications précises sur l'état de l'abbaye au XVIIIème siècle.

« Elle est située à deux lieues de la baronnie du Faouët, trois de Rostrenen, trois de Guéméné, capitale de la principauté de ce nom, cinq de Quimperlé et sept de Hennebont... [Note : Ces données sont tout-à-fait approximatives : il y a de fait 11 kilomètres du Faouët, 18 de Rostrenen, 20 de Guéméné, 32 de Quimperlé et 40 d'Hennebont] ; dans un marais environné de montagnes en tout son partour, qui ne sont cependant pas trop escarpées. Les sources qui sortent de l'une des montagnes passent sous l'église, le cloître et les bâtiments réguliers... La rivière Délé (sic), qui prend sa source deux lieues au-dessus de Langonnet, passe par l'enclos du monastère et en met une partye dans le Diocèse de Quimper, où l'abbaye est située, et l'autre dans le Diocèse de Vannes, où est située la forêt de l'Abbaye. Elle contient dans son enceinte un moulin prohibitif ou non banal. Il n'y a rien de distingué des autres abbayes de la filiation de Cîteaux, dans la construction de ses bâtiments. L'église au nord ; le cloître au midy, et les trois corps de logis qui font le pourtour de cloître ; le dortoir à l'est ; les deux autres, l'un au midy [Note : L'étage du Midi était réservé à l'Infirmerie et comprenait quatre pièces St-Jean, St-Bernard (au-dessus de l'ancienne cuisine), St-Benoit et St-Thomas, servant de chauffoir au Religieux] et l'autre à l'Ouest. Ces bâtiments sont construits depuis soixante ans. L'église est en forme de Croix, comme ailleurs, et n'a rien de remarquable. Le Maître-Autel est de marbre ; le sanctuaire et le chœur fort propres... Elle a été plus longue autrefois, ce que l'on a reconnu en faisant les fondations du bâtiment neuf ; et, en fondant l'abbatiale nouvelle, on a trouvé quantité de vestiges d'autres bâtiments, sans pouvoir deviner leur destination. Il reste encore des vestiges des sous-ailes, en fouissant la terre ; il paraît évident que l'abbaye a été plus vaste qu'elle n'est... Les anciens seigneurs de Rostrenen ont leurs armes au vitrail du maître-autel, du côté de l'évangile. Ce sont les seules qui paraissent dans l'église, excepté celles de France et de Bretagne, qui sont postérieures à l'union de cette province au royaume de France ».

Le fonds des Blancs-Manteaux signale une pierre tombale, avec cette inscription : Hic jacet Wll. Collober Miles. « Au milieu de la tombe il y a une espéé représentée avec un corps ; la dite tombe placée auprès du marchepied du grand autel de l'église de Langonnet, du côté de l'évangile ».

Cette sépulture du chevalier Guillaume Collober se trouvait sûrement à l'église de l'abbaye plutôt qu'à l'église paroissiale, puisque le manoir de Collober joignait celui de Kermen.

Le Mémoire continue :
« La bibliothèque n'est composée que de livres nouveaux, mais bien choisis ; et tous les bâtiments réguliers sont construits depuis quatre-vingts ans... Le plus grand nombre des Religieux, dont la communauté ait été composée depuis cinquante ans, est le nombre de dix ; elle a encore sept profès et trois Novices.
Elle possède deux étangs : l'un baigne les murs du bourg de Langonnet, dont l'abbaye est le Seigneur, distant d'une lieue de l'abbaye. C'est un lac très vaste qu'on ne peut écouler. L'autre étang, nommé de Kérantour, est à pareille distance, mais beaucoup moins grand »
.

Dès lors, l'abbaye se présente, dans les grandes lignes, telle à peu près que nous la voyons aujourd'hui, sauf l'église qui ne fut terminée qu'en 1788. Elle comprenait la maison conventuelle avec ses trois corps de logis, l'ancienne église et le cloître autour d'une cour intérieure pourvue d'un bassin central pour l'écoulement des eaux. Il y avait en outre, dans l'enclos, une « chapelle dédiée à l'honneur de St Anthoine, abbé ». L'abbatiale se trouvait au nord, entre le portail de l'église et le dortoir des Convers. Les communs comprenaient les magasins, les écuries, le colombier, le pressoir, la forge, la Maison du Four et la Maison à Buée, avec son réservoir ; les moulins à tan, froment et seigle ; et, comme ils manquaient d'eau durant quatre à cinq mois de l'année, on leur ajouta, vers 1736, un moulin à vent bâti sur une éminence.

Bientôt un cloître à l'italienne sera construit avec terrasse et balustres ; puis les murailles du parc, remplaçant l'ancien talus ; l'Hôtellerie des Dames, la nouvelle abbatiale, les ponts de pierre sur l'Ellé et, sans doute aussi la gracieuse balustrade qui longe la rivière au fond des jardin.

L'avenue principale, venant du Pont-Champeau, dite l'allée des Moines, sera élargie, aplanie et plantée d'arbres pour aboutir à une nouvelle entrée de grand style, avec ses quatres piliers en pierre de taille. Une vaste cour d'honneur précédait la porte à deux vantaux ; elle était ornée d'une statue de la Vierge dressée sur un socle monumental.

***

Durant une quinzaine d'années, de 1740 à 1755, toute la région, qui va de Vannes à Guingamp et à Châteaulin, fut troublée par une bande d'audacieux malandrins, au nombre d'une quarantaine, redoutés des colporteurs et des petits marchands qui fréquentaient foires et marchés.

Leur chef était une femme, Marion du Faouët, demeurée légendaire parmi le peuple.

Entre le Bourg de Priziac et Langonnet,
Prenez garde de rencontrer,
De rencontrer avec ses gens
Marionnic du Faouët

[Note : Tré bourc'h Priziac ha Langonnet
Diwallet d'och, mar hé c' havet,
Mar he c' havet gad hi fotret
Marionnic ag er Faouët !].

Bien qu'elle opérât souvent sur les terres de l'abbaye, on ne voit pas que Marion ait cherché noise aux moines. Elle avait d'ailleurs la prudence de respecter les personnages influents, qui pouvaient circuler en paix, avec son sauf-conduit ; mais, à l'occasion, elle savait leur inspirer une crainte salutaire.

Un soir d'été, Maître Bargain, notaire au Faouët, se trouvait à table avec son frère, Procureur du Roi, et un ami, avocat à Pontivy. On parlait des exploits de Marion et l'avocat s'indignait de l'attitude de la justice à l'égard de cette gourgandine. Le Procureur gardait « de Conrart le silence prudent », tandis que le Notaire — muni pour sa part d'un sauf conduit de la belle — essayait d'excuser ses concitoyens qui avaient à craindre les représailles de la bande, en cas d'arrestation de leur chef en jupon. L'avocat, de plus en plus animé, finit par s'écrier : « Je voudrais bien la voir, cette fameuse Finefond, et je me fais fort de l'arrêter de mes propres mains ». A l'instant même, les volets de la fenêtre, poussés par une main ferme, claquent contre le mur ; et une femme aux cheveux roux, calme et rieuse, s'accoude familièrement sur le rebord : « Messieurs, veuillez m'excuser, dit Marion, en passant dans la rue, j'ai entendu mon nom, et me voici ! M. le Procureur, j'estime les gens du Roi ; si je fais mal, qu'ils me poursuivent ; ils ne font que leur devoir ; mais vous, M. l'avocat, que je connais depuis longtemps, pourquoi donc parlez-vous d'arrêter les gens, alors que vous êtes fait pour les défendre ?... Quand vous ai-je fait le moindre tort ? ».
« Oh ! ma mie, jamais... jamais !... » bafouille péniblement l'infortuné robin, dont le visage congestionné était rendu vert par la surprise et l'émotion.
— « Assez causé comme ça ! » coupe Marion d'un ton sec. « Une autre fois, M. l'avocat, parlez moins et parlez mieux, ou, sur ma part de Paradis, je saurai vous mander de mes nouvelles ! ». On faisait bonne chère chez Me Bargain et le dîner, ce soir-là, était cuit à point ; mais l'avocat de Pontivy avait perdu l'appétit. Il dormit plutôt mal, la nuit suivante, comme si une lourdeur lui pesait sur l'estomac.

Enfant de pauvres gueux, qui avaient leur tanière au Véhut en Priziac, presque en face de Ste-Barbe, et qui circulaient comme romanichels dans les foires et marchés de la région, Marie Tromel, dite Marionik Finefon (Fine à fond, la rusée) était née le 6 mai 1717 à Porz-en-Haie, à 500 mètres de la ville du Faouët. L'existence vagabonde de sa famille et la promiscuité du milieu firent d'elle une petite personne de mœurs légères dès la puberté. A 25 ans, elle était voleuse de profession, et bientôt chef de bande. Elle finit par être pendue, à Quimper, le 2 avril 1755.

Ainsi prit fin sa carrière mouvementée, « sur la Place du Chastel, face à la Rue Obscure, tandis que tintait à la chapelle toute proche du Guéodet, le glas des agonisants et que le soleil des soirs d'août, se haussant pour voir le gibet, incendiait de ses rayons d'or la façade de la Cathédrale » [Note : Aux Jardins Enchantés de Cornouaille, pp. 191 et 12. L'auteur, François Menez dit que la vie de Marion fut une belle carrière d'aventurière et d'amoureuse ; c'est là évidemment une opinion d'esthète qui se place en marge de tout sens moral].

Il semble bien cependant que l'heure du supplice fut pour l'infortunée celle de la rédemption. Sur la charrette qui l'avait conduite, avait-elle su reconnaître dans le cordelier qui l'exhortait, l'envoyé du Dieu de miséricorde ? Durant son existence vagabonde, le souci religieux avait-il hanté suffisamment sa pensée pour qu'elle songeât, à deux pas du gibet d'infamie, à l'humble aveu qui rachèterait ses fautes ? Son repentir a semblé s'exprimer dans la harangue qu'à cette minute suprême elle aurait adressée à la foule assemblée : « Pères et Mères qui m'entendez, gardez et enseignez bien vos enfants. J'ai été, dès mon jeune âge, menteuse et fainéante. J'ai commencé par voler un petit couteau de six liards... ; après j'ai dépouillé des colporteurs, des marchands de bœufs ; puis, j'ai réuni une bande de voleurs. Voilà pourquoi je suis ici. Redites cela à vos enfants et qu'au moins mon exemple serve de leçon aux autres ! » (Mlle Marie Le Berre).

Parmi les contemporains de la trop fameuse Marion [Note : La tradition a conservé les noms de quelques fils de la famille qui, d'après les prédictions de Philippe le Normand, devaient subir l'emprise de Marie Finefond et faire partie de sa bande. — Chanoine MARTIN : Echo des Montagnes Noires], il convient de signaler un personnage assez énigmatique demeuré populaire, avec la réputation d'un devin, dont la science provenait à la fois de son esprit de sagesse et de sa longue expérience ; peut-être aussi de l'étude des astres. On l'appelle Philippe le Normand et ce surnom indique assez qu'il était d'origine étrangère à la Bretagne. Il habitait d'ordinaire le Faouët où il possédait une petite maison, Rue des Cendres. Philippe n'était pas un vulgaire mendiant, mais un sympathique rétameur, un Pilligour, qui passait à intervalles assez réguliers dans les différents villages, pour offrir ses services à la clientèle, et qui avait le don d'égayer les bonnes gens de la campagne par ses pittoresques prédictions. On dit encore aujourd'hui :

« La prédiction de Philippe s'est réalisée »
« Afe, ma Doué, deit ê Konchenn Filip da wir! »
[« Konchenn : histoire, légende, sornette »].

On lui attribue, à tort ou à raison, une foule d'allusions à certains événements futurs, en particulier à la Révolution et à la fin du monde. Nous en citerons une seulement, qui se rapporte quelque peu à notre histoire : « Avant la fin du monde, l'étang du bourg de Langonnet deviendra trois fois prairie, et la ville du Faouët trois fois forêt ».

De fait, une vaste prairie occupe depuis 1830, le fond de l'étang de Langonnet ; mais le Faouët tient bon et rien ne fait présager la forêt qui le doit remplacer, sur le site de l'antique hêtraie qui lui donna son nom. Il ne faudrait point cependant, dédaigner par trop les prédictions du bonhomme, puisqu'il a dit : « La colline de Kermainguy deviendra une petite ville, et l'abbaye verra revenir d'autres moines plus nombreux que les anciens, qui transformeront le pays ». Et c'est ce que nous voyons réalisé.

La veille de sa mort, Philippe emprunta la clochette du sacristain et fit le tour de la ville, invitant les bourgeois à ses propres funérailles pour le lendemain ; puis, après avoir accompli pour la dernière fois le pèlerinage de Ste-Barbe qui lui était coutumier, il reçut les Sacrements et rendit son âme à Dieu. Une foule nombreuse l'accompagnait à sa dernière demeure. Philippe le Normand repose à l'ombre de la vieille tour du Faouët et, suivant son désir, une simple tige d'aubépine indiqua l'endroit où reposait sa dépouille mortelle : « lorsque ce jeune plant, disait-il, aura atteint la grosseur de mon poignet le grand événement sera proche ». Ce grand événement, ce fut la Révolution.

On ne saurait quitter Philippe, sans mentionner un autre mystérieux personnage, qui fut son contemporain et qui lui ressemble comme un frère : er Roué Stevan. Les chroniques disent qu'il naquît en Baden, au village de Langario, ou de Plumergat, ou de Plougoumelen... On pense qu'il vivait entre 1 700 et 1750. [Note : Cfr. Revue Morbihannaise (1891) « Le Roi Stévan », par l'abbé Guilloux].

***

Au cours du XVIIIème siècle, le Vannetais tout entier fut ravagé, à plusieurs reprises, par des maladies pestilentielles, dont le souvenir hante toujours l'imagination populaire. On leur doit sûrement, sans pouvoir préciser davantage, l'origine de la chanson sur La Peste de Langonnet.

Le meilleur moyen de lutter contre une épidémie, disait-on en ce temps-là, c'est de la chanter. En Bretagne, comme en France, tout se terminait par des chansons. Le recteur de Langonnet en a su quelque chose.

LA PESTE DE LANGONNET.

[Note : Publié, en 1886, dans les Annales Bretonnes, par l'Abbé LE GOFF, et, en septembre 1906, par l'Abbé CADIC, dans La Paroisse Bretonne de Paris, ce gwerz local est, comme celui de Plouescat, une adaptation du célèbre BOSSEN ELLIANT. La peste qui désola le Léon et la Cournouaille, à la lin du XVIème siècle et au début du XVIIème, avait vivement frappé les imaginations. « Après la famine, dit le Chanoine Moreau, s'ensuivit la peste. qui fut l'année 1598, un an après la paix, et ce en punition des péchés des hommes qui y étoient si débordez que l'on n'y sçavoit plus prier Dieu que par manière d'acquit. Cette peste commença par les pauvres. mais enfin elle s'attaqua, sans acception de personnes, aussi bien aux riches, obstant que c'estoit, disoient-ils, la maladie des gueux, et en moururent des plus huppés »].

A Langonnet il y a une douleur,
S'il en est dans un pays du monde ;

S'il en est dans un lieu sur la terre,
A voir une fille conduire une charrette,

A voir une fille conduire une charrette,
Pour emmener son père, sa mère au cimetière.

A Langonnet, on ne trouve plus personne :
Ni bergers de vaches, ni bergers de moutons :

Ni bergers de vaches, ni bergers de moutons ;
Car ils sont tous morts de la peste.

Le Recteur de Langonnet a fait
Ce que personne n'a jamais fait,

Ce que personne n'a jamais fait :
Une perche de dix-huit pieds,

Une perche de dix-huit pieds,
Pour donner l'Extrême-Onction.

« Gens de Langonnet, levez la tête,
Et je vous donnerai l'absolution.

Je vous donnerai l'absolution,
Par la fenêtre, avec la perche »
.

A Langonnet, sur les murs,
Les pies viennent par couples,

Et les pies et les corbeaux,
Parce que les hommes ont péri.

A Langonnet, sur le marché,
L'herbe est longue pour être fauchée,

L'herbe est longue pour être fauchée,
Et l'or jaune pour être ramassé.

(Albert David).

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