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L'ABBAYE DE LANGONNET ET LE HARAS IMPERIAL ET ROYAL

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Les grands ancêtres, qui supprimaient les couvents, n'épargnaient point les haras. La cavalerie contrariait sans doute le principe d'égalité aux yeux des sans-culottes, qui étaient tous des fantassins.

« La fougue révolutionnaire, qui détruisait tout sans songer à créer, confondit avec la féodalité et le luxe, des établissements qui tiennent aux premiers besoins de la société », déclare la Société d'agriculture du Morbihan (24 ventôse an XII. - Arch. du Morbihan).

Un rapport fut présenté à l'Assemblée Constituante, concluant à la suppression des haras, et le député rapporteur s'écriait dans un mouvement d'éloquence :

« Supprimez les haras ; vendez les étalons ; ils seront achetés par des cultivateurs qui les emploieront à la reproduction avec beaucoup plus de succès et d'économie que le Gouvernement ».

La suppression fut votée le 29 janvier 1790, et promulguée par décret du 31 août suivant. Les résultats ne se firent pas attendre ; mais ils ne répondaient guère à ce bel optimisme. Bientôt les réquisitions amènent la ruine de l'élevage, la consommation des chevaux se trouve presque triplée, par suite des événements extérieurs ; on achète annuellement pour vingt millions de francs de chevaux à l'étranger. Un lustre ne s'était point écoulé, quand la Convention se vit contrainte de voter le rétablissement provisoire de sept dépôts nationaux d'étalons, le 22 mars 1795. Trois seulement furent établis : Rosières, Le Pin et Pompadour.

Les succès militaires de Napoléon, l'augmentation de ses armées, sa foi en la cavalerie, l'amenèrent vite à donner les directives nécessaires pour encourager l'élevage. Aussitôt Chaptal, ministre de l'intérieur, demande aux préfets de lui signaler, sans perdre de temps, les emplacements propres à l'établissement d'un haras. C'est ainsi que, le 21 juin 1803, le sous-préfet de Pontivy s'adressait au préfet du Morbihan, Jullien, pour attirer son attention sur l'abbaye de Langonnet, qui fut classée parmi les haras, fondés en 1806. L'ancien sous-préfet de Napoléonville, M. de Bare, a pris soin de déclarer en 1818, que « le bien public seul, l'espoir de meilleurs résultats, mobiles inséparables de toute administration, ont été les motifs puissants et impérieux, » qui ont dicté ce choix ; parce que Langonnet réunissait les divers avantages répondant aux instructions ministérielles : situation centrale, ensemble de vastes bâtiments et de dépendances non moins grandes, facilités de se procurer à bon compte le fourrage, les aliments et autres denrées.

« Le couvent de Langonnet, il est vrai, est isolé au milieu de contrées dont l'aspect est sauvage, dont l'industrie est faible. Raison de plus pour y fonder quelque établissement ; car ce n'est point où la civilisation existe, où les moyens industriels sont en exercice, en pratique, où tout est déjà en produit, que l'administration prévoyante fonde des établissements publics ; elle les place plutôt là où la stérilité peut se convertir en production, où le mouvement peut remplacer l'engourdissement, la langueur. Elle y fait naître ainsi une masse de ressources, de richesses, qui vont à leur tour favoriser l'heureuse industrie des pays voisins, plus avantageusement situés pour les spéculations commerciales etc... ».

Monsieur le sous-préfet, on le voit, avait le don de la réclame et savait admirablement prêcher pour sa paroisse, si l'on peut dire. Il était bien capable de faire des vers, comme celui de Daudet. Continuons de savourer sa prose : « Malgré son isolement, l'abbaye de Langonnet est cependant entourée, à peu de distance, de beaucoup de petites villes des trois Départements. Elle se trouve à deux lieues du Faouët, à une seule de la grande route qui conduit à cette ville et vient du chef-lieu de l'arrondissement; à trois lieues et demie de Guéméné, placée sur la même route, entre Plouray et Le Fauët ; à trois lieues de Gourin, à cinq lieues de Quimperlé et de Carhaix dans le Finistère ; à trois de Rostrenen (Côtes-du-Nord) ; enfin à sept de Pontivy, centre d'une infinité de grandes routes et d'embranchements qui aboutissent aux points principaux de la Bretagne [Note : En réalité, les distances sont : 11 kilomètres du Faouët ; 20 de Guéméné ; 17 de Gourin ; 32 de Quimperlé ; 38 de Carhaix ; 18 de Rostrenen et 40 kilomètres de Pontivy]. Une grande route venant de Lorient traverse Le Faouët, Gourin et se dirige sur Carhaix, l'une des plus importants anciennes villes de la Province et toujours, quoique déchue de son importance, centre de communication avec le Finistère. Cette route conduit également à Châtelaudren, centre du Département des Côtes-du-Nord. Ainsi, sous les rapports topographiques et de centre, articles essentiels, prescrits d'ailleurs par les ordres du Ministre, Langonnet était l'emplacement le plus favorable à un dépôt d'étalons ou haras. Outre ces avantages existants, on avait encore l'espoir d'en procurer de la même nature à l'établissement, en perfectionnant la route de traverse, qui mène de l'abbaye à Priziac, en rendant facile celle qui conduit à Gourin, en ouvrant une communication plus directe avec Rostrenen, etc... ».

Evidemment, M. le sous-préfet ne perdait pas la carte.., de vue, et, tout en développant son plan routier, il allait mettre Langonnet en communication avec les points les plus reculés du pays. Mais ce n'est pas tout.

« D'autres convenances venaient se réunir pour déterminer le choix de l'abbaye ; ses immenses bâtiments, parfaitement divisés entre eux, avaient été construits à neuf presqu'entièrement en 1778 ; leurs issues étaient vastes. Ces bâtiments avaient encore de superbes dépendances qui consistaient en un jardin de la plus grande étendue, que les eaux de la rivière l'Ellée séparent d'un beau parc, garni de vergers, de bois futaies, de pâtures, entouré de murailles de six mètres de hauteur.
Extérieurement, l'abbaye avait conservé vingt hectares de prairies et cent hectares de terrains vagues, incultes, autrefois couverts d'arbres, qui semblaient n'attendre qu'une main active et protectrice pour devenir de fertiles pâturages, puisqu'ils se trouvaient ou sur les bords de l'Ellée ou sur des ruisseaux. Les engrais des attelages du haras rendaient ces travaux d'une prompte et facile exécution.
Au pied des murailles du parc commence la forêt de Langonnet, d'une contenance de 150 hectares, qui a été achetée par le Département, le 1er mai 1802, pour être annexée au haras. Elle renferme, à la proximité de l'enclos beaucoup de places dégarnies, qu'on pourrait aisément séparer et mettre à la disposition de la Direction, soit pour être repeuplées en diverses essences, soit pour être replantées en futaies espacées et recevoir dans la belle saison les étalons et élèves, ainsi qu'on le pratique dans les autres pays, pour donner à ces animaux plus d'agilité, plus d'ardeur. Deux métairies, une jolie usine, presque sous les croisées du couvent, pouvaient en outre être rachetées et réunies à l'établissement pour s'accroitre et s'améliorer »
.

En vérité, M. le sous-préfet de Napoléonville avait toutes les capacités en germe d'un ingénieur agronome.

Tout était pour le mieux : situé dans une vallée verdoyante arrosé par les eaux de l'Ellé, aux confins des trois départements, à l'extrémité de l'ancienne Cornouaille, le domaine était entouré de hautes collines, premières assises des Montagnes-Noires, couvertes de landes et de bois, formant un cadre sévère mais grandiose, à un paysage qui charme par sa fraîcheur et son harmonie.

C'était parfait assurément ; mais de même qu'on avait oublié de prendre l'avis des religieux avant de les chasser de cet Eden, on ne pensa pas d'avantage à consulter les chevaux pour les y introduire, ni même les spécialistes du cheval.

Langonnet avait pu convenir à des moines, épris de solitude et de paix ; mais, sans aucun doute, il présentait moins de charmes pour les officiers damnati ad bestias. C'était assez l'avis du général baron de Wimpffen, qui disait (28 mai 1807) : « Quant à Langonnet, il est situé dans le plus affreux désert de Basse-Bretagne ; le local, masure en pierre de taille, sans toit, ni charpente, ruine d'abbaye avec quelques masures autour. On ne peut se ravitailler qu'à Pontivy ou Hennebont; je ne vois pas de directeur à y mettre ».

En 1821, le domaine comprenait : la prairie de la Pompe, le verger du Pont-Chambeau (Champeau), les prairies du Colombier, de la Fontaine, de l'Étang-Noir, de la Tannerie, du Parc, le bois de la Haute-Futaie, le coteau du Parc, la prairie de la Boulangerie, le jardin, la pâture du Moulin, la Rosière du Moulin, deux pièces au delà de la route de Plouray, la pièce de la partie brûlée (dite du Dréor), la pièce du couchant de la partie brûlée, le champ de Tourne-Bride, la grande prairie de la Forêt : en tout 50 hectares, 10 ares et 80 centiares.

Le sous-préfet de Napoléonville, M. Chabrol, avait dressé en 1806, un rapport extrêmement favorable.

L'administration de ce vaste domaine semble devoir entraîner un directeur, logé de manière à surveiller les écuries, un artiste vétérinaire logé, avec une pharmacie ; deux écuyers aidés par les plus adroits des palefreniers pour monter les chevaux et former les élèves ; un maréchal et son compagnon, deux piqueurs pour surveiller les palefreniers. Tous seront logés dans le bâtiment principal, et il restera sur les jardins un vaste magasin à fourrages. Maçonner les fenêtres sur la cour, crainte de feu... Tous les artistes vétérinaires consultés sont d'accord que nul haras en France, sans excepter celui de Pompandour, n'offre de bâtiments aussi spacieux et aussi convenables.

Avant même que parût le décret de St-Cloud, M. Ambroise de Croixmare, ancien colonel de cavalerie, délégué par le ministre Champagny, est chargé de l'organisation du nouveau haras par un arrêté du 10 juin 1806 :

« Art. III. Il parcourra ceux des départements de la Bretagne où se trouveront les meilleures espèces de chevaux et avisera au moyen de se procurer de beaux étalons, soit de selle, soit de trait, propres à l'établissement de Langonnet. Au fur et à mesure de ces acquisitions, il en informera le ministre et lui fera passer les signalements détaillés et la note du prix de chaque étalon. Vingt mille francs sont mis à sa disposition. Si la somme devient insuffisante, il pourra en obtenir une nouvelle, en la demandant au ministre, mais il ne devra pas procéder sans autorisation spéciale à des achats au-dessus de la somme allouée ».

Le ministre écrit immédiatement au préfet du Morbihan pour l'aviser de la mission du colonel ; il espère que l'établissement de Langonnet prendra par la suite plus d'extension, et qu'il contribuera à relever la race précieuse et autrefois si abondante et si utile des chevaux bretons. Au colonel de Croixmare il signifie l'ordre de sa mission : « Monsieur, les témoignages avantageux que j'ai recueillis sur votre compte m'ont déterminé à vous charger d'une mission relative à la prompte organisation du dépôt qui doit être établi à Langonnet. Il est essentiel que vous vous y rendiez le plus tôt possible. Je désire que cet établissement soit formé immédiatement après la monte, époque à laquelle je compte y faire passer dix étalons provenant du haras du Pin. Dans les acquisitions dont vous êtes chargé, vous vous attacherez à ne prendre que de très beaux étalons, je me repose à cet égard sur vos lumières et sur votre expérience ».

C'est le 10 juin que le ministre a écrit au colonel de Croixmare, qui se hâte vers la Bretagne, où le préfet Jullien lui recommande M. Gaudin comme architecte [Note : « Victor Jullien était préfet du Morbihan. Méridional goguenard et voltairien convaincu, il avait été général des armées de la République et Bonaparte l'avait nommé, à cause de sa poigne, dans ce département lointain où, durant si longtemps, les prêtres insermentés et les chouans avaient dominé en maîtres. Julien n'aimait pas les curés ; en vrai bleu, il n'approuvait que très peu le Concordat et disait que les soutanes n'étaient bonnes à rien qu'à jeter partout le désarroi. » (G. LENÔTRE : En suivant l'Empereur, p. 50). Julien, dit de Paris [pour le distinguer de son père Jullien de Bordeaux] (1775-1848), portait sous la Révolution les prénoms de Marc-Antoine, avant de s'appeler Victor. Membre du Comité de Salut Public et grand admirateur de Robespierre ; il servit successivement l'Empire et la Restauration, qui finit par le disgracier].

M. de Croixmare étant arrivé à Pontivy, le sous-préfet, au cours du dîner, prend ses dispositions pour organiser le départ, au lendemain 25 juin, dès 3 heures du matin, en compagnie du délégué et de l'architecte. Ce voyage ne dut pas s'accomplir sans incidents, car, dès le 10 juillet, le sous-préfet réclame instamment la réfection urgente des routes, « surtout la traversée de Guéméné, qu'on ne peut faire qu'à pied, en tenant le cheval par la bride ».

Au bout d'un mois, M. de Croixmare, rentré à Paris, avise le sous-préfet que, si l'on a besoin de lui, son adresse est au Corps Législatif. Que s'était-il donc passé ?

Transplanté de Paris dans ce pays perdu, complètement isolé du reste du monde, l'infortuné colonel organisateur est désemparé, anéanti, Le 7 juillet, il achète à Bernard Aport, pour la somme de 243 f., un cheval entier bai-brun, crins noirs, de la taille de 1 m. 57, qui pourra faire les corvées et qui servira de boute-en-train. C'est tout ce qu'il est capable d'acheter. Au bout de quelques jours de marasme, le 29 juillet 1806, il écrit, du Faouët, au ministre de l'Intérieur, une lettre lamentable : « Monseigneur, — Lorsque j'offris mes respects et mes services à Votre Excellence, je consultai mon zèle bien plus que mes forces, et j'espérais qu'en me chargeant des premiers ordres de Votre Excellence, je mériterais, par la suite, une mission plus étendue, qui me mettrait à portée de témoigner une bonne volonté, mais ma santé, fort altérée par des maladies graves qui se sont succédées, me fait craindre de ne pouvoir seconder cet espoir et suivre un travail qui exige une activité très assidue.
D'ailleurs, Monseigneur, je suis père, et la position de Langonnet, m'isolant absolument de ma famille, me priverait des secours et des soins que mon âge et l'état de ma santé me rendent de plus en plus nécessaires. Langonnet, avec ma famille, ferait mon bonheur ; réussir dans mon travail, mériter votre approbation serait ma récompense la plus flatteuse ; mais que d'obstacles qui m'effraient. L'idiôme du pays, que j'ignore, contrarierait toujours mes succès et l'avantage pécuniaire que m'offre Langonnet remplacera-t-il ma famille qui me manquera ?
J'ose donc, Monseigneur, vous faire une prière qui peut-être sera un arrêt prononcé par ma bouche même et qui me privera à l'avenir de tout espoir à votre intérêt et à vos bontés ; mais étant absolument inutile ici, où il n'y a rien de prêt ; n'ayant aucune espérance d'acheter des chevaux ; y passant des journées dans l'inactivité la plus molle, et y consommant un argent, que je regrette d'autant plus qu'il n'est pas à moi ; j'ose vous prier de vouloir bien permettre que je retourne à Paris, pour y rendre compte des fonds qui m'ont été confiés pour l'acquisition des étalons, et pour y témoigner à Votre Excellence tout mon chagrin de n'avoir pas utilement rempli la mission dont elle a bien voulu me charger. Je suis, avec le plus profond respect, Monseigneur, Votre très honorable et très obéissant serviteur, A. DE CROIXMARE ».

Le ministre répond par l'autorisation de retour à Paris, puis il ajoute : « Et quant au cheval que vous avez acheté, n'étant, d'après vos lettres, susceptible que de servir de boute-en-train, je vous laisse la liberté de le garder à votre compte ou de le vendre pour celui du Gouvernement ».

Le colonel est rentré. Le 29 août 1806, le chef de la 2ème Division de l'Intérieur propose à son ministre de donner à M. de Croixmare décharge relativement aux comptes qu'il présente, et lui demande de faire connaître ses intensions pour une gratification que cet agent paraît mériter, pour raison de ses déplacements, ainsi que de son zèle et des soins qu'il a employés dans sa mission, qui a duré deux mois et deux jours, depuis le 14 juin jusqu'au 16 août inclusivement. En fixant cette gratification à raison de 12 f. par jour, il reviendrait à M. de Croixmare 750 f. à prendre sur les fonds qu'il a versés. Le ministre approuve, et c'est ainsi que finit joyeusement l'odyssée du pauvre colonel Ambroise de Croixmare. (Arch. Nationales. F. 10. 1.060 [Note : La Bretagne Hippique (1933). Une petite page de la petite histoire hippique bretonne, par le Colonel CHARPY].

Il fut remplacé, à Langonnet, par M. du Dresnay, ancien officier de cavalerie.

Le 8 mai 1807, M. du Dresnay reçoit du ministre de l'Intérieur une lettre de mission, le chargeant d'acheter des étalons dans les départements de l'Ouest, et, le 13 novembre suivant, il est également désigné, aux appointements de 2.700 f. par an, comme Inspecteur chargé en Chef de la direction du haras de Langonnet. Cet arrêté nommait, aux mêmes appointements, le régisseur, M. Duhamel, ancien officier de cavalerie.

Moins de six mois après son entrée en fonctions, 26 mars 1808, Duhamel dénonce son directeur au préfet du Morbihan :

« Les idées politiques de M. du Dresnay, ses sentiments religieux, le mauvais choix qu'il fait des palefreniers — qui sont tous originaires de St-Pol de Léon (son pays), qui sont ivrognes et ne donnent aux chevaux que mauvais soins et défectueux dressage, — l'abus que fait M. du Dresnay des étalons, qui lui servent de chevaux de poste (tel le Lourdaud, parti le 14 de St-Pol et arrivé le même jour fourbu, à 10 heures du soir, à Langonnet, porteur, outre le palefrenier, des couvertures et des bagages de M. le directeur) ; les licences qu'il prend avec le règlement, en se servant d'un palefrenier comme ordonnance, en faisant nourrir ses trois chevaux personnels sur le commun ; tout cela est passé au crible... Le directeur ne va-t-il pas jusqu'à dire qu'il voudrait voir le dépôt transféré à St-Pol ou à Craon ! ».

Aussitôt, le sous-préfet de Napoléonville, M. de Bare, est envoyé à fin d'enquête. Du Dresnay est en voyage. Le long rapport du fonctionnaire, daté du 17 avril, ne le charge presque pas. Cependant il examine avec soin les détails du service ; il veut voir usqu'au travail des chevaux qu'on signale comme défectueux. Mais voilà la revanche des palefreniers, compatriotes de M. du Dresnay... Ils font pénétrer le sous-préfet dans la petite carrière, et ce dernier avoue dans son rapport : « Quand on a voulu faire entrer avec moi le Terrible, vous comprenez que je n'ai pas voulu. J'ai remarqué qu'il y avait beaucoup de pierres sur le sol de la carrière et qu'on aurait pu les ramasser ».

Le 18 avril suivant, nouvelle dénonciation : « Six palefreniers sont partis à cheval pour le Faouët, auxquels M. Duhamel avait défendu d'aller à la messe, et sont restés six heures dehors, ayant attaché leurs chevaux dans les cours, durant les offices... et M. du Dresnay, à qui j'ai rendu compte de l'incident, veut en profiter pour demander l'affectation d'un aumônier au haras... Ce directeur prétend ne dépendre que du ministre seul et ne veut correspondre avec aucune autorité du Département ».

Un dossier est constitué par M. le Conseiller d'Etat Crétet, nouveau préfet du Morbihan, et adressé au ministre de l'Intérieur, en mai. Le mois suivant, troisième dénonciation, et le sous-préfet de Napoléonville demande à M. du Dresnay pour quelle raison il fait porter à ses palefreniers « un panache moitié vert, moitié blanc, monté sur un chapeau à la Henri IV ; ce qui est anti-réglementaire et souverainement dangereux dans un pays de chouannerie ? ».

Selon son habitude, le directeur en réfère au ministre, lui rendant compte que, « dans un but d'uniformité et de discipline, il a doté ses palefreniers d'un chapeau du genre de celui des soldats du train ».

Le 29 juillet, le ministre daigne approuver son initiative et il en profite pour lui recommander de prendre des boutons d'uniforme chez N... passementier à Paris.

La tenue de palefreniers ne tardera pas d'ailleurs à être réglementée en France : une instruction paraît, le 18 février 1809. Redingote droite, drap gris-fer, un rang de boutons, poches en long, collet droit de drap rouge, boutons des Haras. Les chefs, un galon en argent sur la manche. Le chapeau rond, les demi-bottes. Pour l'intérieur un bonnet de police gris-fer, la veste ronde, le pantalon : l'hiver, en drap ; l'été, en coutil ou treillis.

La redingote et les bottes se portent en grande tenue.

L'inspecteur général Dupont avait tenu à défendre son subordonné auprès du ministre : « M. du Dresnay est un ancien émigré, mais amnistié comme tant d'autres... Il n'y a plus de chouannerie dans la région de Langonnet... Le directeur ne fait que des déplacements de service » [Note : Le Directeur du Haras devait être un fils du marquis du Dresnay. maréchal de camp de l'armée royale. qui avait levé, sous son nom, un régiment d'émigrés, dont il était le colonel. Retenu à Londres par la jalousie de Puisaye, le marquis se fit remplacer en Bretagne par M. de Talhouët. Le du Dresnay formait brigade avec Hector. lin autre de ses fils, le chevalier du Dresnay fut mortellement blessé à Quiberon (Cfr. BITTARD DES PORTES : Les Emigrés à cocarde noire, Paris. Lib. Emile-Paul, Place Beauveau].

Une dernière plainte amène le désastre ; l'on y sent l'œuvre du régisseur. Des ouvriers et journaliers ont déclaré n'avoir point été payés. Le directeur aurait l'habitude de partir en tournée sans laisser les fonds et les instructions nécessaires. Le général de division, Félix de Wimpffen, inspecteur général des haras, écrit, le 23 mars 1810, au comte Jullien : « C'est le désordre ; le mécontentement, le dégoût sont au comble ». Et M. du Dresnay est envoyé comme... agent comptable à Cluny.

Ce directeur avait rendu, pendant ces trois années, des services importants à l'élevage breton. En 1808, le haras contenait 28 étalons, dont 15 furent proposés pour la réforme, dès l'année suivante, par le général de Beaufranchet d'Ayrat.

M. Davaux continua la mission de M. du Dresnay et conserva la fonction d'inspecteur sous les directions rapides et successives de M. de Langlade, qui préféra le haras des Deux-Ponts, et de M. Valentin. En même temps, le zélé régisseur Duhamel, nommé au Pin, se voyait remplacé par M. Duroc de Chabannes, qu'on a surnommé le Nestor des écuyers français.

Davaux venait de succéder comme directeur à Valentin, quand, peu de mois après, 15 mars 1812, un décret, daté du palais impérial de l'Elysée, contresigné Daru, ministre secrétaire d'État, et Montalivet, ministre de l'Intérieur, le révoquait sans mentionner les motifs. Le 15 juillet suivant, Montalivet informait le préfet Jullien de la nomination de M. de Charnacé, qui était depuis longtemps le candidat du général de Winmpffen.

Le nouveau directeur provisoire raconte sans enthousiasme son arrivée à Langonnet : il est fatigué, indisposé ; il a quitté sa bonne ville d'Angers sans avoir même le temps de saluer ses parents, ses amis. Il a évité de peu un pénible accident : en arrivant sur le premier des ponts de l'entrée, les poutres se sont écroulées juste au moment où la voiture venait de le franchir... Il a une lourde tâche à remplir ; l'état des bâtiments, celui des chemins d'accès, l'isolement, l'effrayent... Madame de Charnacé, qui avait promis de « venir le retirer de son veuvage, » ne vient pas.

« Les bâtiments sont en mauvais état, dit-il, je ne puis recevoir mon épouse, ni loger mes domestiques : tout est à l'abandon. Je me recommande à vous, Monsieur, et je vous prie de jeter un regard favorable sur ce vieux manoir, et de plaindre les officiers des haras forcés de l'habiter... Notre journée se passe dans les écuries et autour des bâtiments que nous rétablissons en parade, c'est-à-dire que nous faisons des châteaux en Espagne ».

Cet Angevin, séparé de sa femme, transplanté en cette sévère Bretagne, n'en comprend ni le ciel gris, ni la tristesse religieuse.

« Me voilà, Monsieur le Ministre, dans un pays triste et isolé, sans société et sans ressources ; n'ayant pas même la consolation de voir l'établissement confié à mes soins s'embellir, s'augmenter, prospérer, malgré mon plus grand désir et les promesses de Votre Excellence et celles de M. l'Inspecteur général. Il pleut, il faut réparer partout, les crédits manquent, et aussi les étalons ».

Si on a pu en réunir 29 en 1809, 39 en 1811, 36 en 1812, 41 en 1813, on se trouve encore bien loin du chiffre 80, effectif prévu par le décret impérial.

Des préoccupations d'un autre ordre viennent assiéger l'esprit du directeur. Les caisses du ministre des Finances sont vides : il faut cependant entretenir la guerre qui réclame chaque jour des chevaux et du matériel. Pour faire leur cour, MM. les inspecteurs généraux ont proposé d'offrir à l'Empereur six beaux chevaux de cuirassiers. Naturellement les dépenses engagées sont réparties entre les directeurs et fonctionnaires des différents haras. Et voilà M. de Charnacé qui se trouve imposé à Angers, où il a son domicile, pour les 45 chevaux, montés et équipés que la ville offre à Sa Majesté ; à Langonnet, pour ceux offerts par le canton du Faouët ; au haras, pour ceux promis par l'administration. C'est un tribut de plus de 250 f. auquel il ne croit point devoir se refuser surtout en ce qui concerne la quote-part à remettre au maire de Langonnet, afin de ne pas paraître dans ce pays et aux yeux du grand public « avoir été le seul de son administration à ne pas participer à l'offre générale que tout bon citoyen doit faire à Sa Majesté ».

Confiné en garçon dans une garnison plutôt sévère, M. de Charnacé avait demandé, depuis septembre 1813, un congé de trente jours, pour Angers. Ancien lieutenant-colonel de cavalerie, c'est depuis douze ans, le premier congé qu'il sollicite ; il met en avant ses intérêts en souffrance. Demande renouvelée les 20 et 26 octobre, sans réponse. Le 30 mars 1814, nouvelle sollicitation ; cette fois il se contenterait de trois semaines ; ses étalons sont partis en station ; ses papiers sont en ordre ; son absence ne peut nuire au service ; il n'a pas vu sa famille depuis deux ans ; il voudrait partir le 20 avril.

Mais, le 11 avril, l'Empereur a abdiqué, et Charnacé doit rester à son poste. D'autant plus que le 20 avril, le comte Jullien presse le directeur de donner son adhésion et celle des employés du haras aux délibérations du Sénat et du gouvernement provisoire, prises en faveur de la famille des Bourbons, pour le bonheur des Français.

Et voici l'adresse des fonctionnaires du haras de Langonnet : « Pénétrés des sentiments qui ont animé Nos Seigneurs composant le Gouvernement provisoire et le Sénat, nous avons l'honneur de leur exprimer notre profonde reconnaissance pour le décret légitime prononcé en faveur de la famille auguste des Bourbons. C'est avec la joie la plus vive que nous jurons amour, respect et fidélité à S. M. Louis XVIII, à M. le comte d'Artois, lieutenant-général du Royaume et à la famille royale des Bourbons. Fait au haras de Langonnet, le 21 avril 1814. Signé : G. de Charnacé, directeur ; Valentin Terrier, inspecteur ; Gavrel de Longchamp, régisseur ; Quéverdo, artiste vétérinaire ».

Le registre de la correspondance étant vide, du 2 mai au 4 juillet, il est à penser que celui qui signe maintenant Marquis de Charnacé a pu rejoinde enfin momentanément sa famille...

Le 1er septembre 1814 survient un événement des plus désagréables : une brave femme commissionnaire qui apportait au directeur 3.800 f. de la part d'un marchand de fourrages de Lorient, est attaquée, dévalisée, entre Plouray et Berné ; elle arrive, couverte de blessures. Longue enquête, qui démontre l'honnêteté de la correspondante et fait tomber les soupçons sur les frères Le Goff, de Priziac. L'enquête n'était pas encore terminée le 22 mars 1816, et le directeur demandait en vain l'autorisation de porter cette somme au chapitre des pertes.

Au début de 1815, les événements intérieurs avaient arrêté l'envoi en station des étalons destinés au service de la monte;  les routes n'étaient pas sûres. Puis, voilà que « l'aigle vole de clocher en clocher, jusqu'aux tours de Notre-Dame ». M. de Charnacé venait d'écrire le 18 mars au comte de Floirac, préfet du Morbihan : « J'ai l'honneur de vous prier de mettre sous les yeux du Roi l'expression de notre entier et respectueux dévouement. Dans cette circonstance où tout bon français se rallie auprès du trône, nous avons le regret de ne pouvoir suivre ce bon exemple. Mais nous nous empressons de renouveler nos serments les plus sincères de fidélité au meilleur des rois et à son auguste famille. Je vous prie aussi, Monsieur le Comte, de disposer de moi si je puis vous être utile. En faisant cette offre dans ce moment, je crois remplir un de mes premiers devoirs comme bon et loyal chevalier de Saint-Louis ».

Et, six jours plus tard, le 24 avril, M. le directeur, toujours avec le même empressement, prêtait serment de fidélité... à l'Empereur, entre les mains du maire de Langonnet.

Ce n'était pas encore son dernier mot; car la fortune trahit à nouveau les armes de Napoléon et, aussitôt, le 21 août 1815, M. le marquis de Charnacé a la joie de présenter à Louis XVIII une adresse nouvelle : « Sire, — Le directeur, et les officiers employés au haras royal de Langonnet, ont l'honneur d'offrir à Votre Majesté, pour la deuxième fois, l'assurance de leur respectueux et sincère dévouement. Ils n'ont cessé de faire des vœux pour votre bonheur, votre conservation et votre prompt retour, qui seul pouvait assurer le bonheur de vos fidèles sujets. Ordonnez, Sire, et nous sommes prêts à vous donner de nouvelles assurances de notre désintéressement, de notre obéissance, et de notre fidélité inviolable. Je suis avec respect, de Votre Majesté, le très humble, très obéissant et très fidèle sujet, marquis de Charnacé ».

En fait, le roi, qui savait à quoi s'en tenir, ne lui ordonna rien de tout. Mais, au mois de mai 1816, M. Dupont aîné, ancien colonel de cavalerie, vient passer l'inspection de l'établissement, et Charnacé se plaint que l'inspecteur général, qui l'a quitté avec mille marques d'amitié, l'ait par la suite desservi dans son rapport : « Ces événements. dit-il, m'ont causé un bien grand chagrin… ainsi qu'à mon épouse ».

Les notes furent-elles réellement désobligeantes ? En tout cas, le ministre n'en tint guère compte, puisqu'il l'arracha à son sévère exil en autorisant d'abord son remplacement par M. de Livène, nommé directeur intérimaire, puis le remplaçant définitivement, après une courte apparition de M. Ch. de Saint-Sauveur, dans cet indésirable Langonnet, par M. le marquis de Vaugirard, qui ne fît que passer, 22 décembre 1817. Excellent écuyer, très homme de cheval, sévère pour les autres et pour lui-même, Vaugirard exigeait le service avec une exactitude militaire. A cette date, le haras comptait 45 étalons de races très diverses, lot assez médiocre, dont beaucoup tarés et à réformer.

« Ce n'est plus un haras, dit le commandant de Saint-Gal, c'est un dépôt d'expérience, c'est le parc d'acclimatation de la faune hippique mondiale. Nos généraux ont aimé à sélectionner les belles espèces chevalines. On voit bien que le drapeau tricolore vient de faire le tour du monde ».

M. de Vaugirard reste à peine un an en Bretagne. Il est remplacé par le Comte de Livène, avec de Rocmont, inspecteur ; de Patris, régisseur ; Quéverdo, vétérinaire; Brouard, piqueur ; seize palefreniers titulaires, dont un maréchal et un sellier (1819). Le général de Bonneval, dans son rapport d'inspection du 24 décembre 1821, dit de M. de Livène, « Qu'il monte bien à cheval, qu'il est actif et prudent dans ses relations avec les inspecteurs départementaux ; mais qu'il ne s'occupe pas assez de sa comptabilité ».

Il note la nécessité d'un chapelain à Langonnet : « Une conduite irrégulière des palefreniers causerait, en ce pays très religieux, du scandale ».

M. Dupont, 1er septembre 1823, constate le mauvais état des bâtiments (le directeur est obligé de faire réparer ses appartements particuliers à ses frais) ; et la nécessité d'achever l'installation de l'hôtellerie, dite du Tourne-Bride, et celle de la métairie de Kermenguy, pour permettre le logement des étrangers hors de l'enceinte du haras. Cette mesure, qui demande un crédit de 6000 f., est nécessaire à la discipline générale.

L'ordonnance du 16 janvier 1825, créant le dépôt de Lamballe, enlevait à Langonnet son titre de haras, pour le classer dépôt d'étalons et de poulains. Quelques semaines après, M. de Livène décédait accidentellement, et sa veuve demandait, le 29 mars, au comte de Chazelle, préfet du Morbihan, qu'il lui fût « alloué une pension au même titre qu'une veuve d'officier », son mari étant mort à l'occasion du service, victime d'une chute de cheval [Note : On trouve, à la chapelle de St-Thépault, une pierre tombale venue du cimetière de Langonnet. avec cette inscription : « Ici repose ma pensée. — Ci-git M. le comte de Livène, directeur du haras de Langonnet. Décédé le 8 mars 1826 »].

M. de Livène avait dirigé le haras de Langonnet pendant près de dix ans, assurant une continuité de vues qui avait nécessairement fait défaut avant lui. Ancien page du roi, il avait été écuyer du roi Joseph d'Espagne.

« C'était un homme d'un mérite supérieur et un écrivain distingué et élégant. Il possédait les connaissances hippiques les plus étendues. Quelques notes conservées sur les registres des haras attestent ses profondes connaissances et le soin qu'il apportait aux moindres détails du service ». — (HOUEL : Souvenirs d'un homme de cheval).

M. Gravé de La Rive, qui avait été nommé sur le papier directeur du dépôt encore inexistant de Lamballe, est nommé, le 31 mars 1826, directeur de Langonnet. Son premier rapport roule sur la continuation des défrichements qui doivent donner les pacages nécessaires pour les poulains, sur les améliorations relatives aux voies de communication, les réparations urgentes ; il en profite pour réclamer le reclassement du dépôt.

La révolution de 1830 occasionna la retraite de M. le duc de Cars, directeur général des haras, et sa perte fut sensible à cette administraton. Le personnel fut gravement atteint ; on se livra à une véritable St-Barthélémy des fonctionnaires. On exigea de nouvelles prestations de serment. Le ministre réclame, par deux fois, le procès-verbal de celle qui a été rendue à Langonnet et la minute ayant été perdue, le sous-préfet de Pontivy exige une nouvelle prestation, fixée au 9 mai 1831 : « Les officiers du dépôt de Langonnet, soussignés, jurent fidélité au Roi des Français, obéissance à la Charte constitutionnelle et aux Lois du royaume ».

Entre-temps, le 12 juin 1831, une circulaire du ministre aux préfets réclamait l'établissement de fiches sur les fonctionnaires de leur département.

« Monsieur le Préfet, — J'ai besoin de renseignements confidentiels et bien certains sur les personnes employées au dépôt d'étalons de Langonnet : probité, capacité, opinions politiques, considération dont elles jouissent dans le département. La puissance de notre nationale Révolution est assez grande pour n'exiger aucunes réactions. Le Gouvernement veut les éviter ; mais il faut que les personnes, qui sont dépositaires d'une partie quelconque de sa confiance, ne froissent pas l'opinion publique par leur conduite, leurs discours ou même leurs sentiments bien connus pour être hostiles au Gouvernement du Roi... ».

Le 6 mai 1831, M. Gravé de La Rive est nommé directeur à Perpignan et remplacé par M. de Livron, à qui succédera M. de Nabat (1833), puis M. Mangeon (1834).

M. Broüard, qui fut régisseur de 1826 à 1847, était un travailleur infatigable qui nous a laissé, daté du 15 février 1831, en un long et touffu rapport, le bilan de seize années qu'il avait passées au haras, tant comme surveillant que comme agent spécial. Simon-Louis-Adolphe Broüard tient à codifier son expérience, longue et mûrie, en regard de l'instabilité qui n'était que trop souvent la règle dans les cadres supérieurs de l'administration des haras. Langonnet était son fief ; la propriété créée par ses soins ; la petite patrie, qu'il aimait à présenter sous son plus beau jour et à défendre au besoin.

« Le haras de Langonnet, créé par décret du 4 juillet 1806 et organisé en 1807, devait être composé de 80 étalons et d'un nombre de poulinières proportionné aux besoins de la localité. Il n'a jamais eu, dans sa plus grande prospérité, et lorsqu'il avait plusieurs départements à desservir, plus de 70 étalons. Il n'a pas eu une seule jument. Il conserve cependant son titre de haras jusqu'en 1825, où on le fait descendre au rang de simple dépôt. L'établissement ne compte aujourd'hui (1831) que 30 étalons et 12 poulains, tandis qu'il pourrait loger 90 étalons et 30 poulains.
Il fut d'abord peuplé de traits bretons, de bidets d'allure et de quelques chevaux de tête, qui n'ont pu produire et ne produisirent en effet aucune amélioration. Ce ne fut qu'en 1810, que l'on commença à y introduire quelques étalons normands et croisés d'anglais ; mais, dès 1815, des choix incohérents ne permirent plus de mettre de suite dans les croisements. La division, faite en 1826, de la circonscription du haras de Langonnet, par la création du dépôt de Lamballe, n'a point été avantageuse à l'établissement. M. du Dresnay, chargé d'organiser le haras, le remonta avec les éléments qu'il rencontra dans le pays, peut-être ne pouvait-on faire mieux alors ; il n'est pas moins vrai que son système ne pouvait conduire à aucun résultat heureux. Il prétendait améliorer la race bretonne par elle-même ; il ne lui a point fait faire un pas dans le perfectionnement, et n'en fut pas désabusé. M. Davaux, qui lui succéda, marcha, sur ses traces et fit encore plus mauvais choix.
M. de Charnacé, nommé directeur en 1812, avait des vues plus élevées ; il obtint que les remontes ne se fissent pas en Bretagne ; on lui fournit des éléments susceptibles d'acheminement rapide vers un avenir meilleur. Il en profita, et, jusqu'en 1815, ils avaient été mieux combinés et non pas laissés au plaisir des garde-étalons. M. de Vaugirard arriva en 1817, et je dois dire qu'il sut saisir le caractère breton ; il eût fait de bonnes choses, s'il fût resté plus longtemps, et si son penchant pour la Normandie n'eût entravé ses bonnes dispositions pour la Bretagne, dans la crainte d'établir une concurrence prépondérante pour cette province. M. de Livène, qui lui succéda, avait des connaissances étendues, mais il ne saisit pas le caractère local et fut en opposition fréquente avec les éleveurs, qu'il ne sut ni convaincre, ni séduire. Depuis cette époque, on n'a pas fait tout le bien qu'on aurait pu faire ; des combinaisons erronées furent souvent mises en place des convenances et il en est souvent résulté de francs abus et des accouplements monstrueux. Il eût cependant été facile de faire en Bretagne mieux que partout ailleurs, la race possédant des qualités supérieures »
.

M. de Coatdihuel, qui dirigea par intérim le dépôt, abonde dans le sens de M. Broüard, il en est de même de M. Richard, vétérinaire à Quimper, qui écrit au préfet du Finistère, Mercier, (1er août 1836) : « Le dépôt de Langonnet semble un peu oublié de l'administration supérieure des haras. J'ai la certitude que certains chevaux réformés d'autres haras ont été envoyés ici, comme si la Bretagne était un point à négliger ».

M. Ephrem Houël devint directeur de Langonnet en 1838. D'une intelligence supérieure et parfait homme de cheval, il conçut de bonne heure le projet d'organiser des courses. Son premier soin fut de créer la Société des Courses de Langonnet, et d'y instaurer les courses au trot, pour concurrencer les courses au train. Le train — allure rapide d'ailleurs et moins fatigante pour le cavalier — des bidets bretons sur route, était alors très populaire en Bretagne. Fondée en 1833, la société n'eut d'existence légale qu'à partir de 1840. Le président est le comte de Lantivy, ancien préfet ; les membres du comité : le comte de Fournas, M. de Lescouët, M. Houël, le Dr. Noyal ; le secrétaire, M. Broüard. Les courses de 1840 furent particulièrement brillantes. En 1844, le prix spécial fut doté avec le montant d'une loterie, dont le lot principal était un tableau d'Othon Quinchez, le sous-directeur du haras, représentant le champ de courses de Langonnet. On y voyait un jockey, sur un pur-sang, luttant avec un cheval breton, monté à poil par un paysan en costume national.

« Bien qu'en ait dit le poète qui les a plantées et fait naître, les courses de Langonnet sont mortes..., ce à quoi il ne s'attendait guère, lui qui, dès 1839, les comparait aux jeux olympiques, citant les origines lointaines des courses bretonnes, et l'opinion, dès 1770, de M. Le Boucher de Corscro, disant que les courses devaient servir de hase à la régénération de l'espèce chevaline... Mais Langonnet a voulu trop entreprendre avec des moyens trop restreints. On s'est mépris sur le but à atteindre ; aussi le conseil des haras a supprimé ses subventions de la société livrée à ses propres ressources n'a pas tardé à succomber. Il ne fallait distribuer à Langonnet que des primes de dressage ». — (M. GAYOT. Inspecteur général des haras, dans la France Chevaline, 1851).

M. Houël se renferma dans son labeur quotidien. Ses études fructueuses, la récolte de documents, lui permirent d'écrire ses nombreux et célèbres ouvrages [Note : Traité des Courses au Trot ; Histoire du Cheval chez tous les peuples ; Le Cheval pur sang, en France et en Angleterre ; Souvenirs d'un homme de cheval, etc...]. Que faire, sinon travailler, en ce Dépôt tant inhospitalier et si mai desservi, « dont le réseau routier a été abandonné depuis le début du siècle, au point qu'à part de rares amateurs, jamais un administrateur ou un député n'ose s'y aventurer de peur de s'y rompre les os... ».

Le 30 septembre 1847, M. Bertolacci remplace M. Houël, nommé à Paris. L'ordre de nomination de M. Bertolacci est accompagné, de la main même du ministre, de cette mention élogieuse, mais un peu alambiquée : « M. Bertolacci est un habile officier des haras et ses connaissances ne sont nullement au-dessous de ce qu'exigent les importantes fonctions qui lui sont confiées ».

Mais, peu après, ce brillant officier trouve ses fonctions au-dessous de sa valeur, démissionne, et est remplacé par M. Genestal, que Cunain-Gridaine présente en ces termes : « J'espère que ce choix donnera au haras de Langonnet un directeur digne de soutenir la réputation et le succès acquis à cet établissement par les travaux de M. Houël ».

Cette même année, l'agent spécial Broüard, admis à la retraite, est remplacé par M. Duplessis. M. Genestal cède, peu après, la place à M. Thélin, ex-directeur de Lamballe, qui reste, lui aussi, peu de temps au dépôt, puisque, le 7 novembre 1848, M. le ministre autorise sa permutation avec M. Drieu, directeur du dépôt de Strasbourg.

En 1851, la commission de Langonnet réclame la cession de la forêt pour y créer un élevage de poulains.

L'aumônier de l'établissement est particulièrement félicité par les inspecteurs en 1846, 47, 48 et 49.

« M. l'aumônier ne peut manquer d'être cité, car il est exemplaire en toute manière, et je ne puis que l'admirer, dit M. Montendre. Je le prie de recevoir mes remerciments pour ses efforts, tendant à répandre l'instruction parmi les enfants des palefreniers eux-mêmes durant les longues soirées d'hiver. L'inspecteur Dupont remercie l'aumônier, au nom de l'administration des haras, de la peine qu'il prend auprès des enfants : c'est bien comprendre la mission du prêtre que de l'exercer aussi dignement ».

Et, l'année suivante, M. Petiniaud déclare que « M. l'abbé Collin assure utilement l'instruction et la moralité des fils de palefreniers » [Note : MM. Collin, Le Guyader et Le Goff se succédèrent à l'aumônerie du haras].

Les rapports d'inspection renferment quelques détails intéressants : « M. de Thélin est un parfait directeur ; il est regrettable qu'il veuille quitter Langonnet. Quant à M. Drieu, c'est un homme de cheval qui a de l'intelligence et du goût ; M. Génestal est un chef capable, actif et dévoué ; M. Duplessis, un comptable modèle ; le vétérinaire a de l'ordre et du soin..., mais il manque de surveillance au point de vue de la ferrure ».

Cependant tout n'est pas parfait à Langonnet : « Les bâtiments sont négligés, dit M. Houël ; les étalons mal tenus, bas de condition, mal nourris ; leur poil est piqué. L'entrée du dépôt, une fois les deux ponts franchis, n'est pas gracieuse. L'allée, encadrée entre deux murs est triste et humide ; il faut jeter un mur par terre et égaliser le terrain. Ne pas laisser l'allée arriver en ligne droite devant la porte principale du logement. Masquer un certain petit bâtiment….., et le cacher derrière un massif d’arbustes d’agrément ».

Voilà les préoccupations d'un paysagiste. Chez M. Dupont, c'est le moraliste qui se rélève : « J'engage M. le Le directeur à surveiller la conduite de quelques-uns de ses palefreniers. Le malheureux défaut de l’ivrognerie est commun en Bretagne. Nos hommes doivent donner le bon exemple. On doit être plus sévère pour le palefrenier-chef encore que pour les autres ».

M. Eugène Gayot traverse Langonnet en courant, 1851 ; il ne consigne par écrit que quelques promesses : « Je suis bien décidé à donner à la Bretagne plus qu'elle n'a reçu jusqu'ici ; je projette d'élever dans la forêt des étalons améliorateurs ».

Très beaux projets en effet ; mais de graves événements se préparent. En 1850, le dépôt de Langonnet touche à sa fin ; le changement ordonné par le ministre est sur le point de s’effectuer : on construit à Hennebont. En 1857, l’organisation d’Hennebont se fait méthodiquement, et le tranfert des étalons n’est plus qu’une question de semaines.

Cette grosse affaire était en préparation depuis près de dix ans. L'année 1849 dut être, pour le directeur de Langonnet, M. Drieu, une année très mouvementée. En délicatesse avec le conseil-général du Finistère, les sociétés d'agriculture, peut-être aussi la succursale de remonte de Morlaix, il était de plus assailli par de graves préoccupations intérieures : la question s'agitait déjà du déplacement du siège du haras.

Si le dépôt de Langonnet donnait parfis des résultats médiocres et s’il prêtait si facilement le flanc à la critique, la cause première n'en était-elle pas au choix même de son emplacement situé en dehors de toute vie, de toute communication directe ? Tout le trafic, toutes les voies naturelles n'avaient-elles pas tendance à éviter le centre désertique et pauvre, pour suivre les côtes de Bretagne, plus riantes et plus riches ? De Langonnet, le directeur ne peut entrer en relations rapides ni fréquentes avec ses administrés ; ceux-ci hésitent à aller voir ses étalons. Le tableau tracé par Ephrem Houël, dans ses Souvenirs d'un homme de cheval, a conservé ses plus rudes couleurs : « Notre bel établissement est peu facile à joindre. Les amateurs n'en connaissent pas les chevaux, tellement le contact est difficile à prendre. De rares sentiers sont tracés dans les roches et à travers les marais. Il n'y vient jamais un administrateur, ni un général, ni un député, et tout cela, pour la seule raison qu'en ne veut pas risquer sa vie sur des routes antédiluviennes ».

L'idée du déplacement ayant fait son chemin, le préfet du Morbihan, au début de 1849, envoie des dépêches en tous sens, demandant des lieux propices pour l'établissement d'un haras : celui de Langonnet ayant besoin d'être agrandi et ne répondant plus aux besoins actuels. Dès la fin de mois de janvier, plusieurs domaines lui étaient proposés ; entre autres l'Abbaye de la Joye, à Hennebont.

En déplaçant le haras, le préfet avait en vue de créer, à sa place, une ferme-école régionale. Dès le 2 novembre 1850, M. Achille du Clézieux, en sa qualité de protecteur de la colonie agricole pénitentiaire de Saint-Ilan près d'Yffiniac, demande s'il est vrai qu'on a transporté à Hennebont le dépôt de Langonnet. Dans l'affirmative, il se proposerait de louer la ferme de Ker Lorois, dépendant du dépôt, pour y fonder une colonie agricole, apte à recueillir les jeunes indésirables du département. Mais, il faudra laisser passer six années encore, avant de voir se réaliser les vues du préfet, du directeur du haras et de M. du Clésieux.

Le « Haras Impérial, » puis « Dépôt Royal » de Langonnet avait fonctionné durant cinquante ans, à la plus grande gloire du cheval et au détriment des finances [Note : D'après l'Annuaire du Morbihan, on dépensait 60 à 70 mille francs, chaque année, pour les besoins de cet établissement].

Un centre d'action mal choisi, et mal desservi, des moyens toujours au-dessous du but à atteindre, un inévitable manque de suite dans la direction, et conséquemment dans les idées maîtresses, un éparpillement des forces limitèrent les rendements qu'on était en droit d'en attendre. Cependant, quand on parle haras en Bretagne, un nom se présente sur les lèvres : Langonnet... Une mission turque est venue acheter des chevaux bretons, en 1927. Parmi ses membres, un professeur vétérinaire avait de très sérieuses notions d'hippiatrie générale. Et, ce pendant qu'il ignorait les emplacements actuels des dépôts d'étalons, il avait entendu parler de l'œuvre de Napoléon et du haras de Langonnet. Voilà un nom qui fait époque, qui est représentatif d'une création magistrale ; un nom qui a traversé les continents et les mers. C'est le haras de Langonnet qui, pour beaucoup, a orienté l'amélioration de la race chevaline en Bretagne [Note : Ce chapitre est emprunté dans son ensemble au volume très documenté du regretté commandant ST-GAL DE PONS : Les Origines du Cheval Breton, St-Brieuc, 1931. A Prud'homme, éditeur].

La création du haras de Langonnet avait eu un autre avantage qu'il convient de signaler. Sans le haras que serait devenue notre chère abbaye ? Sinon un monceau de ruines informe, une carrière de matériaux pour les constructions environnantes. C'est avec peine assurément qu'on voit les étalons occuper la chapelle, qui retentit de leurs hennissements et des jurons des palefreniers ; mais pour les installer, on dut faire aux bâtiments les réparations nécessaires et en assurer l'entretien. Livrée à l'abandon et aux déprédations de tout genre, l'abbaye n'avait déjà plus, en 1806, ni toitures, ni portes, ni fenêtres ; il n'en restait que les murailles et, malgré leur épaisseur, elles n'auraient pas manqué de se désagréger à la longue.

La Providence sait tirer du mal le bien ; et c'est ainsi que l'œuvre des moines fut sauvée par des chevaux.

(Albert David).

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