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LES ABBES REGULIERS DE L'ABBAYE DE LANGONNET

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Il est impossible, par défaut de documents, de retrouver les noms des abbés de Langonnet antérieurement au XVème siècle. Les auteurs de la Gallia Christiana ont dû y renoncer, alors qu'ils établissaient une liste complète des 35 abbés de Carnoët : « Domesticam abbatum seriem præbet Albor. Mantell. Codex 45. » (Cfr. : Fonds des Blancs-Manteaux. — Bibl. Nat. — Manusc.).

Le fondateur de Langonnet nous est inconnu [Note : Si le premier abbé de Langonnet nous est inconnu, il ne faudrait pas cependant conclure de là qu'il y ait eu d'abord un prieur, car les priorats n'existaient point à l'origine. Le fait serait tout à fait contraire à la coutume de l'Ordre qui devint une règle par le statut de 1134] ; nous ne connaissons pas davantage les abbés qui succédèrent à saint Maurice. La Gallia Christiana dit que Hervé de Cabocel était abbé de Langonnet et de Carnoët vers 1220, quand il accepta la donation du reclus Gradlon qui offrait à l'abbaye son oratoire avec cellule et jardin. On a cru que cet abbé avait d'abord été promu à Langonnet, lors de la démission de saint Maurice (1176) [Note : Saint Maurice « ayant cédé sa dignité d'abbé de Langonnet, au profit de de Hervé de Cabonel ». ALBERT LE GRAND. Si on admet Hervé de Cabocel comme deuxième abbé de Langonnet, il se pourrait que le troisième ait été Herscomar, car on ne voit pas très bien comment ces deux noms désigneraient le même personnage. Il est possible que l'abbé Herscomar ait succédé à Hervé de Cabocel, transféré à Carnoët. Cependant, d'après les règles de l'Ordre. en principe, un abbé n'était point transféré d'une abbaye-mère à l'une de ses filles ; ce qui eût été considéré comme une déchéance. Sans doute, saint Maurice est bien passé de Langonnet à Carnoët, mais avec le titre de fondateur. Rien ne prouve que son successeur — qu'on l'appelle Herscomar ou Hervé de Cabocel — ait suivi le même processus], avant de lui succéder à Carnoët (1191) ; mais rien ne prouve qu'il ait régi simultanément, ni même successivement les deux monastères, ce qui n'eût pas été admis à cette époque par le Chapitre général de Cîteaux. Le même cas a dû se renouveler dans la suite. D'une manière habituelle, les deux abbayes étaient sûrement indépendantes l'une de l'autre ; certaines décisions du Chapitre général de Cîteaux visent tantôt l'abbaye de Langonnet, tantôt celle de Carnoët. D'autre part, les archives du Latran et du Vatican conservent des lettres pontificales adressées à l'abbé de Langonnet durant les XIIIème, XIVème et XVème siècles.

Les actes des Chapitres généraux de Cîteaux, publiés récemment, nous apprennent que le grand concours de pèlerins à Carnoët, et surtout l'affluence des pèlerines, ne fut pas sans attirer quelques désagréments aux bons moines, gardiens du tombeau de saint Maurice. Dès 1174, l'abbé de l'Aumône reçoit l'ordre de corriger les abus. Sans doute ne put-il y réussir, car l'année suivante, les moines furent contraints de chercher un refuge dans une de leurs granges afin de sauvegarder la régularité de la vie claustrale. En 1196, ils reçoivent un blâme du Chapitre général ; l'abbé lui-même est soumis à une pénitence — in levi culpâ — de six jours, dont l'un au pain et à l'eau [Note : 1194. — De ingressu mulierum in monasterio de Carnoz (Carnoët) committitur Abbati de Eleemosyna ut ipse corrigat secundum Ordinis formam ; — 1195. — De Abbatia de Carnot, a cujus ingressu mulieres ad prœsens non possunt arceri, permittitur ut monachi in grangia ad quam secesserunt ordinem suum tenentes usque ad sequens Capitulum demorentur ; — 1196. — Monachi de Carnoit qui... Abbas vero illius sit in levi culpa sex diebus, uno eorum in pane et aqua].

Sans doute, au début, les moines étaient assez peu nombreux dans l'un et l'autre monastère, et pour la plupart des laïcs. Conformément à la règle primitive, on ne plaçait que douze religieux par maison ; mais, aux membres profès, il convient d'ajouter les aspirants, novices, oblats ; car chaque communauté recrutait son personnel et devait se suffire à elle-même. Dès que le nombre des moines augmentait sensiblement, il était aussitôt question d'une fondation nouvelle, qui était fille de l'abbaye-mère et qui demeurait en quelque sorte sous la tutelle du Père immédiat, c'est-à-dire de l'abbé qui avait fourni les membres fondateurs.

C'est ainsi que nous verrons plus tard l'abbé de Langonnet intervenir dans les affaires de Lanvaux, ce qui porte à croire que notre abbaye avait eu quelque part à cette fondation, bien que Lanvaux soit considérée comme fille de Bégar.

En effet, au mois de juillet 1138, quatre moines de l'abbaye de Bégar allèrent, nous dit-on, fonder l'établissement de Lanvaux. Langonnet fournit aussi sans doute quelques sujets [Note : La Gallia christiana, tome 14, p. 905, a fait sienne la tradition qui attribue la fondation de Lanvaux à l'abbaye de Langonnet, au même titre que celle de Carnoët : « Ex eadem abbatiâ, ut aiunt, XII sœculo, sancti Mauritii Carnoëtensis, et anno 1138, Landevallis monachi deducti sunt »]. Peut-être l'abbé de Bégar avait-il fait abandon de sa paternité sur Lanvaux à l'abbé de Langonnet, ce qui n'a rien d'impossible. D'ailleurs l'abbaye de l'Aumône semble avoir agi de même — en raison de la trop grande distance qui les séparait — à l'égard de Langonnet, qui est placée tantôt sous la juridiction de Bégar tantôt sous celle du Relecq.

Les anciens Bernardins, comme les Trappistes d'aujourd'hui, partageaient, leur temps entre la prière et le travail manuel. Le Cistercien est avant tout un contemplatif et la prière est pour lui l’œuvre par excellence, opus divinum ; l'office liturgique, la méditation et les lectures pieuses occupent la majeure partie de son temps ; au total, sur 17 heures d'activité quotidienne, 10 heures sont prises par les exercices spirituels.

A la prière viennent s'adjoindre, dans une juste mesure, le travail intellectuel et le travail des mains. De fait, l'étude proprement dite, qui vise à l'enseignement ou à la composition, n'est pas œuvre, commune de la vie monastique ; il suffit aux religieux d'acquérir une science solide des choses sacrées par la sainte lecture, lectio divina.

On considère communément que l'œuvre sociale des moines de Cîteaux est une sorte d'apostolat agricole, par lequel ils donnent l'exemple d'un travail rationnel, en vue de promouvoir le défrichement et la mise en valeur des terres [Note : « Il n'est douteux pour personne que les maisons religieuses ont donné un concours malheureusement peu suivi à l'agriculture au Moyen-âge. La mise en valeur du sol et son exploitation furent longtemps la principale occupation des abbayes puissantes qui s'établirent en Bretagne, telles que celles de Beauport, de Bégar, de Langonnet. Cette dernière a été nouvellement réoccupée par un Ordre dont les travaux agricoles sont de nature à faire penser qu'il est parfois heureux que certaines propriétés puissent échapper à l'instabilité de la propriété privée. Plusieurs autres maisons donnent encore aujourd'hui l'exemple d'une culture raisonnée ». — Considérations sur l'économie rurate de la Bretagne, par M. DE LA MORVONNAIS, p. 39]. Ceci est une conséquence plutôt qu'une raison. Le travail n'est vraiment œuvre monastique que dans la mesure où il assure à la vie du cloître sa valeur intégrale. Sans doute, les religieux travaillent pour s'occuper utilement, pour donner à leurs membres un exercice salutaire, pour combattre l'oisiveté qui est ennemie de l'âme ; mais ils ont d'autres raisons. C'est d'abord de vivre comme les pauvres, qui n'ont point de revenus, « ils renoncent donc à toutes les redevances et ils seront pauvres avec le Christ pauvre ». (Exor. cisterc. cœnob. caput 13). On ne trouve point dans la règle de saint Benoît, disent les premiers Pères de Cîteaux, que « le législateur ait possédé ni églises (paroissiales), ni moulins, ni villas, ni serfs ». Toutefois, il faut vivre et par conséquent travailler pour assurer la subsistance matérielle. La communauté devra se suffire à elle-même, car la règle a stipulé que « le monastère doit être construit de telle sorte que tout le nécessaire soit exercé à l'intérieur et qu'il n'y ait pas d'obligation de circuler au dehors » (Regula, chap. LXVI). Et c'est pourquoi, au point de vue matériel, le monastère cistercien est organisé sur le plan d'une villa romaine : il possède une exploitation agricole dont les produits suffiront à l'alimentation;; il doit avoir tous les services nécessaires à l'entretien de la vie : de l'eau, un moulin, un potager, une boulangerie, des ateliers divers. Sans doute, les frères convers ou coadjuteurs seront particulièrement chargés de l'exploitation du domaine et occuperont les granges ou fermes éloignées du monastère ; ils seront les commissaires habituels de l'approvisionnement et de l'écoulement des produits, afin de faciliter aux moines l'observance de la clôture ; mais par ailleurs tous les religieux de chœur sans exception seront tenus au travail des mains à certaines heures déterminées [Note : Au cours de l'expédition d'Italie, on vint recommander à la bienveillance de Bonaparte les Trappistes errants de Dom Augustin de Lestrange : « Quels sont donc ces moines ? » demanda-t-il. — « Les Trappistes sont des hommes qui mangent peu et qui travaillent beaucoup »« Des hommes de cette trempe. dit le général, il n'y en aura jamais de trop en France ». Et, quand plus tard, Dom Augustin lui-même, lui déclara qu'il avait fondé aussi une communauté de femmes… qui ne parlent pas : « Pour le coup, mon bon Père. vous avez fait là un très grand miracle ! » repartit le premier Consul]. Outre les nécessités de la vie, un autre motif pousse les moines au travail : l'obligation d'exercer envers tous la plus large hospitalité, puisque la règle recommande de recevoir les hôtes comme Jésus-Christ lui-même. — (D. Anselme Le Bail — L'ordre de Cîteaux, La Trappe).

Les anciens Cisterciens couchaient sur la dure ; ils observaient une abstinence rigoureuse tous les jours et jeûnaient la moitié de l'année. Cette vie mortifiée leur attirait les grâces de Dieu et, par surcroît, les libéralités des hommes. On aimait à se recommander à leurs prières ; de leur côté, les religieux admettaient volontiers les bienfaiteurs à la participation de leurs bonnes œuvres. Les seigneurs d'autrefois rivalisaient de générosité à leur égard par des actes de fondation, réclamant l'honneur d'être ensevelis dans le cloître ou dans l'église du monastère. C'est ainsi que de nouveaux domaines vinrent accroître, au cours des siècles, les vastes terrains concédés par les fondateurs aux abbayes primitives. L'abbaye cistercienne forme une véritable petite cité monastique : « Au nord, rempart contre l'aquilon, se dresse l'église grande comme une basilique ; sous ses murs s'abrite le carré des cloîtres, dont les gracieuses colonnettes sertissent d'une dentelle de pierre le préau ombreux de Notre-Dame ; tout à l'entour des cloîtres les lieux réguliers : la salle capitulaire adossée à l'église et à la sacristie, le réfectoire au midi, et parfois un second cloître derrière le Chapitre. A l'écart enfin, des cours, des ateliers, toute l'exploitation d'une ferme ; c'est un monde et certes, bien complet, car l'habitant du lieu veut se suffire à lui-même et n'avoir aucune nécessité de sortir de l'enceinte du monastère, " ce qui n'est nullement expédient pour son âme ", ainsi que le dit la règle, avec une discrétion suggestive ». (Regula : caput LXVII. D. Anselme Le Bail, op. cit.).

Un silence impressionnant jette comme un voile de mystère sur la cité des moines. Mais partout leur œuvre parle. Dans les cloîtres des formes muettes, blanches, passent lentement, absorbées dans la méditation ; d'autres apparaissent dans les dépendances de l'abbaye, courbées ici sous le rabot du menuisier, là appliquées au soin de l'étable, ailleurs la bêche en mains, préparant la terre pour la moisson.

Ce silence et cette ardeur au travail manuel ne sont interrompus que par les offices. Dès une heure de la nuit, les moines sont à leurs stalles pour chanter les matines. Aucun orgue n'accompagne ces offices. La journée est coupée par l'exécution des différentes Heures du bréviaire, et, quand le soir vient, avant d'aller prendre, tout habillé, sur un lit fait d'une couverture et d'un traversin disposés sur quelques planches, un repos de quelques heures, toute la communauté réunie chante à la Vierge, lentement, l'admirable Salve Regina. — (F. Cornou, op. cit.).

Le monastère primitif de Langonnet, tel que le connut saint Maurice, fut assurément très modeste ; il fut reconstruit plus tard, en même temps que celui de Carnoët, dans le style ogival et sur le même plan. La première église était sûrement conforme, par sa simplicité, aux principes réformateurs de saint Bernard. S'indignant devant les richesses des Clunisiens et l'abus des ornements de toutes sortes introduits au saint lieu, devant les monstres grouillants et fantastiques, qui venaient y arracher l'âme à ses méditations, le réformateur avait résolu d'imposer aux moines de son Ordre un respect absolu de la simplicité.

Dans les églises cisterciennes, toutes dédiées à Marie, il proscrit non seulement toute apparence de luxe, mais aussi toute manifestation d'art.

« Les sculptures et les peintures en sont exclues ; les vitraux uniquement de couleur blanche sans croix ni ornements. Il ne devra point être élevé de tour de pierre ni de bois, pour les cloches, d'une hauteur immodérée et par cela même en désaccord avec la simplicité de l'Ordre ».

Les monastères cisterciens du temps de saint Bernard gardèrent en effet la plus grande simplicité ; une seule flèche de médiocre aspect s'y élevait à la croisée du transept. Mais, le douzième siècle commençait à peine que les Cisterciens eux-mêmes, oubliant cette règle sévère, appelaient la peinture et la sculpture pour parer les édifices. — (Dictionnaire des connaissances religieuses ; au mot : Cisterciens).

C'est pendant la seconde moitié du XIIème siècle que les moines de Cîteaux adoptent la voûte d'ogive et s'en font les missionnaires.

« A cette époque, les frères convers qui étaient les ouvriers de l'art cistercien, les conversi barbati, voyageaient d'un royaume à l'autre. Les chapitres annuels qui amenaient à Cîteaux les abbés des monastères les plus éloignés, remettaient sous les yeux des étrangers qui portaient l'habit cistercien les modèles des maisons mères. Ainsi l'architecture participa dans toutes les provinces de l'Ordre, à l'uniformité de l'habit monastique. Chacune de ces grandes maisons, que l'Ordre des Cîteaux a fondées dans une moitié de l'Europe, apparaît comme un même corps de constructions, formé par une même règle, préparé pour une même vie et qui semble encore habité par une même âme » — (LUCIEN BÉGULE, L'Abbaye de Fontenay et l'architecture cistercienne, Lyon, 1912, pp. 85, 86, 113, 123).

Les deux abbayes de Langonnet et de Carnoët furent certainement reconstruites dans le courant du treizième siècle [Note : Rivallon de Posthec, qui décéda après 1276, fut enseveli dans la salle capitulaire de Carnoët. Le chœur de l'église fut construit en 1407, par Guillaume de Keresper] ; mais les dévastations successives n'ont laissé subsister en chaque endroit que la salle capitulaire. Le chanoine Guillotin de Corson décrit ainsi celle de Langonnet :

« Elle présente, sur le cloître, une porte ogivale, flanquée de chaque côté de deux baies jumelles, le tout à cintre brisé à lancettes à plusieurs retraites formées par des tores qui retombent sur les colonnettes à bases et chapiteaux feuillés, Chacune des doubles baies est en outre encadrée dans une arcade ogivale. A l'intérieur, la salle se compose de deux nefs à trois travées, dont les voûtes en pierre et croisées d'ogives reposent sur des colonnes à chapiteaux garnis de feuillages » [Note : Nous empruntons à Monsieur le Chan. Abgrall la description de la salle capitulaire de Carnoët : « La façade se compose de deux fenêtres ogivales géminées et d'une porte de même style, ayant leurs ébrasements extérieurs et intérieurs garnis de colonnettes cylindriques, couronnées de chapitaux feuillagés de la plus grande élégance. L'intérieur est voûté (en ogives) et les nervures déliées qui se croisent sur les voûtes prennent toutes naissance sur les chapiteaux de deux sveltes colonnes centrales et vont retomber le long des parois sur des corbelets richement moulurés. ». La restauration de cette salle a été exécutée sous la direction de Monsieur Bigot père, architecte de Quimper].

Cette salle renfermait les tombeaux des abbés et aussi celui de Raoul, évêque de Cornouaille, qui avait obtenu la faveur de reposer à l'Abbaye (1158). On y a retrouvé, en 1875, la pierre tombale de l'abbé de Bouteville.

C'est bien à ces deux constructions monastiques (Langonnet et Carnoët) qu'il faut demander les seules voûtes que la basse Bretagne ait incontestablement gardées de la première grande période gothique, a dit M. Henri Waquet.

« Leurs salles capitulaires, heureusement conservées, appartiennent au type le plus habituel : deux nefs de trois travées avec deux fines colonnes sur la ligne médiane. La plus ancienne, celle de Langonnet, ne semble pas de beaucoup inférieure à 1250 ; celle de saint Maurice de Carnoët, qui a des tailloirs arrondis, date probablement de la seconde moitié du siècle. Toutes deux constituent des œuvres fort remarquables, mais exceptionnelles ; elles font figure d'immigrées. Notre-Dame de Langonnet et Saint-Maurice étaient des abbayes cisterciennes. Ainsi les religieux bénédictins et cisterciens apparaissent-ils avec l'évêque Rainaud, comme les introducteurs de l'art gothique dans cette Bretagne occidentale, où il devait obtenir une incroyable vogue et si fidèle ». — (HENRI WAQUET : L'art breton, I, pp. 56-57).

Nous avons vu saint Maurice appelé comme arbitre par les Bénédictins de Sainte-Croix, qui demeurèrent en excellentes relations avec les Bernardins de Langonnet. Ceux-ci touchaient une redevance sur la coutume de Quimperlé, qui est mentionnée dans l'aveu de 1494 : « Item un debvoir de coustume, que nous avons et nous est debu sur les navires et denrées quy se deschergent au port et havffre de la ville de Kemperellé, lequel debvoir est communément affermé la somme de vingt livres monnoie par an ».

Ils jouissaient déjà de ce privilège dès avant 1238 Note : 1238. — Alain Le Geffroy, chevalier, « dit en outre que toutes les coutumes sont entièrement à l'abbé de Ste-Croix, excepté celles que les gentilshommes tiennent du seigneur comte de Bretagne et ce que le monastère de Langonnet reçoit, en la ville de Quimperlé, et excepté ce que le viguier du comte tient de luy ». (D. LE DUC : Histoire de Ste- Croix, p. 254)]. L'accord n'était pas aussi franc avec l'abbaye de Carnoët, si nous en croyons D. Leduc. Après avoir parlé de St-Maurice, en excellents termes, il ajoute :

« Cette affaire ne regarde pas notre maison, mais il ne faut pas oublier nos très honorés confrères et nos bons voisins, qui viennent nous disputer la pesche jusqu'à notre porte, dans la rivière Hellé, que notre fondateur Alain Caignart nous avait donnée en 1029, et que nous avons encore eue, par un échange d'un tout pour un rien, sous le Duc Jean Ier en l'an 1271 » (Histoire de l'Abbaye de Ste-Croix de Quimperlé, p. 235).

Le conflit n'était pas encore assoupi au début du XVIIIème siècle, ainsi que le prouve un « mémoire à l'amirauté, pour les religieux de Ste-Croix contre ceux de St-Maurice, pour le droit de pêche ».

Mais d'où viendrait aux religieux de St-Maurice le droit de pêche du ruisseau Frost en forest jusqu'au Goretz. an-dessus de Quimperlé, et de barrer la rivière pour empêcher les saumons de remonter aux Goretz appartenant à Ste-Croix, et de s'y livrer à la pêche du saumon pour en faire commerce et trafic ?
« Ils ne sauraient faire valoir quelqu'acte pour servir de fondement à leur prétention, car le plus ancien et le plus beau est une bulle du pape Honorius III, de 1225, laquelle ils ont employée pour prouver leur droit de pêche. On aura peine à croire que des Français aient eu recours à un pape pour se faire donner un bien dont le Prince seul peut disposer. Rien n'est si grand que la libéralité de ce pape : après leur avoir confirmé les usages et passages dans la forêt, il leur donne, de son propre mouvement de pêche : cum piscationibus in aquis fluvii et rivis ; il n'est point de borne au droit de pêche ; ils pourraient en vertu de cette bulle, venir pêcher dans les étangs des environs, dans les goretz de l'abbaye de Ste-Croix et jusqu'où leur génie leur plaira mettre des bornes que le saint Pape n'a pas voulu déterminer, crainte de s'y méprendre. Le pape Honorius n'a pas pu leur confirmer un droit qu'aucun prince ne leur a accordé et la fondation de Conan-le-Petit ne fait pas mention de droit da pêche ».

Les pêcheurs goretiers Julien Guellou, Jean-Claude Pignolet et Mathurin Jégat, qui avaient pris à bail la pêche dans les rivières d'Isole et d'Ellé, s'étaient vu interpeller par le prieur de St-Maurice, Dom Claude-Bernard Grantin, protonotaire apostolique : d'où leur recours aux bénédictins ; et, comme les religieux de saint Maurice paraissaient s'étonner « que les dits goretiers aient appelé tant de personnes pour soutenir les droits de pêche de l'Abbaye de Ste-Croix », le mémoire leur répond d'un ton ironique :

« Il est aisé de voir que c'est l'effet de la terreur panique qu'ils ont conçue à la vue de la magnifique croix pectorale que le Révérend Père Grantin, prieur de St-Maurice, leur montrait pour les intimider en leur demandant s'ils étaient capables pour disputer contre lui qui la portait. J'avoue qu'un protonotaire paré de la croix et de l'anneau est quelque chose de fort grand pour beaucoup de personnes ; mais cela n'a pas dû engager les goretiers à faire appeler les religieux de Ste-Croix en garantie du bail qu'ils ont passé ensemble ». — (Clohars-Carnoët, par les chanoines Peyron et Ahgrall, p. 33).

Le Cartulaire de Quimperlé nous apprend qu'un frère convers de notre abbaye, qui avait sûrement connu saint Maurice, puisqu'il figure parmi les anciens de la paroisse de Gourin, servit de témoin, en 1218, au règlement d'une contestation au sujet de la terre de Lan Juzon, dans la montagne de Callac, appartenant à l'abbaye de Ste-Croix. Ce bon frère avait nom Le Vert (Glaz) : « Viridis, filius Roberti, frater laïcus de Langonio ».

Ce témoignage d'anciens (haec antiquitas) fut rendu sous l'arbre proche l'église de Gourin, le 29 Aoust (IV, kal. aug.) l'an 1218. C'était du temps de l'abbé Daniel. — (D. LE DUC, Hist. de l'abbaye de Ste-Croix, p. 235).

L'année suivante, c'est l'abbé de Langonnet en personne qui sert de témoin à Quimper, avec l'évêque Renaud, dans une autre affaire litigieuse. Les fils d'un nommé Allain, Guido et Derrien, prêtèrent serment sur l'Evangile et sur le bras de saint Corentin qu'ils renonçaient à leurs prétentions sur la terre dite de Taërtruc, appartenant au Chapitre de la cathédrale :

« In cujus testimonium nos (Ranulphus ep.) et abbas de Langonio, cui præsens aderat, sigilla nostra præsentibus litteris duximus apponenda. Datum apud Kemper Corentin anno gratiæ MCC° nono decimo ». — (Peyron, Cartul. de Quimper, N° 28, pp. 61 et 62).

Au cours du XIIIème siècle, l'abbé de Langonnet est délégué, en plusieurs circonstances, par les Chapitres généraux. D'abord, en 1220, pour informer sur un conflit entre les abbés de Boquen et de Savigny au sujet de l'abbaye de Bon-Repos :

« Qui diligenter quœ audienda sant audiant et nisi potuerint inter cos componere causam ad sequens Capitulum, deferant sufficienter instructam ».

En 1225, on lui enjoint d'avoir à réprimander et à punir l'abbé de Lanvaux, qui a permis aux femmes d'entrer dans son abbaye pour l'assistance à la messe, et cela, sous peine d'être lui-même châtié de sa négligence :

« Committitur patri abbati de Langoneto, qui excessum hujusmodi investiget et puniat, ne ipse de remissione vel negligentia valeat castigari » [Note : « De abbate Lanvaret qui permisit mulieribus ingredi abbatiam et eis celebrari divina per multos dies... ». D. Joseph Canivez, d'après le texte de Martène, Thesauraus Anecdotorum a pensé qu'il s'agissait de Carnoët ; mais le ms. 926 de la Bibl, de l'Arsenal donne la leçon Lanval ou lieu de Lanvaret ; ce qui s'applique mieux à Lanvaux]

Parmi les bienfaiteurs de l'abbaye, il convient de signaler, à cette époque, Mathilde du Pordic (Mahaut) qui, parmi ses nombreux legs testamentaires, laisse aux moines de Langonnet, vingt sous d'or : « abbacie de Langonio XX solidos ». Le testament est daté de la vigile de la Nativité du Seigneur, 24 déc. 1247 [Note : Geslin de Bourgogne, IV. p. 128. — Charte de l'abbaye de N.-D. de Beauport, CLXXXV. — Arch. des Côtes-du-Nord. Copie donnée par André, évêque de St-Brieuc, le jour de St-Vincent 1252].

L'évêque de Quimper — Hervé de Landleau (1245-1261) — avait promis de recevoir la croix des mains de l'archevêque de Tours et de partir avant un an pour la Terre Sainte dans l'intention d'y passer une année entière, à moins que le légat-évêque de Tusculum ne le rappelât avant ce terme. L'abbé de Langonnet est chargé par le pape Innocent IV de relever l'évêque de son vœu si, comme il le dit, la débilité de l'âge l'en rend incapable. Anagni, 17 juin 1254. — (Reg. an XI, N° 775, fol. 108. Les registres d'Innocent IV, par E. Berger, Vol. III, p. 437, N° 640).

L'année suivante, 23 déc. 1255, l'abbé de Langonnet est autorisé par Alexandre IV à excommunier les clercs et laïques qui ont porté grave préjudice au monastère, s'ils n'ont pas satisfait dans les délais prescrits. — (Latran, Reg. 24, fol. 138, an II C. 102). Quelques années plus tard, le Chapitre général de Cîteaux, autorisait l'abbé de Langonnet à célébrer dans son monastère l'anniversaire des fondateurs, 1259. Conceditur abbati de Langonio quod liceat ei facere in domo propria anniversarium fundatorum suorum.

En 1262, entre Guy de Plounevez, évêque de Cornouaille et l'abbé Even, de Ste-Croix de Quimperlé, fut passée une transaction au sujet des droits épiscopaux adjugés à l'Ordinaire par le pape Innocent IV, en 1250. L'abbé de Langonnet était chargé de régler leur différend. Les deux prélats s'engagent à observer inviolablement les conventions :

« Voulant et consentant que religieuse personne l'abbé de Langonnet, de l'ordre de Cîteaux et diocèse de Cornouailles, estant député, juge entre les partis par nostre seigneur le pape, ayt d'autorité apostolicque la puissance que si quelqu'une des parties va à l'encontre des choses susdites ou partie d'icelles ou veuille y aller — ce qui à Dieu ne plaise — l'en empesche ; et quant à cela nous, des deux côtés, nous soumettons à sa défense, voulant et accordant que le dit abbé de Langonnet mette son sceau aux présentes... » — (D. LE DUC, op. cit., p. 270 et p. 614).

Peu après, Urbain IV charge l'abbé de Langonnet d'obtenir de l'évêque la réception comme chanoine, pourvu d'une prébende dans l'église de Quimper, de Maître Droco (magistrum Droconem) recteur de l'église de Medle (Mezle) au Diocèse de Cornouialles. — Orvieto, 16 mai 1264. — Reg. 29. fol. 172).

Vers cette époque, eut lieu à l'abbaye une élection passablement mouvementée ; quelques moines mécontents quittèrent par dépit la salle capitulaire. Leur conduite fit scandale et parvint au Chapitre général, qui délégua l'abbé de l'Aumône pour faire une enquête consciencieuse et punir les délinquants suivant la gravité de leur faute.

« Pervenit ad aures Capituli generalis quod monachi de Langonio, in electione monasterii sui, graviter excesserunt, de Capitulo contumaciter exeundo ; hinc est quod abbati de Eleemosyna duxit committendum Capitulum generale quod dictos monachos secundum discretionem sibi a Deo datam puniat prout exigunt merita monachorum ; illos vero qui in posterum excessum hujusmodi attentare præsumpserint magis culpabiles pœnæ conspiratorum decernit Capitulum generale subjacere » (Statuta Cap-Gén. Tom. III, N° 4, anno 1263).

A la date du 23 juillet 1272, Grégoire X s'adresse à l'abbé de Langonnet, Dilecto filio abbati de Langonio, pour un règlement au sujet de l'attribution des prébendes, à savoir « qu'un seul de plusieurs mandataires, le mieux fondé, aura distribution en concours d'iceux » — (Cart. de Quimper, pièce 112. — Litterœ apostolicœ quando pluribus receptis in canonicis, cui dabuntur distributiones prœbende vacantis).

Toute cette série de lettres pontificales démontrent évidemment que les abbés de Langonnet jouissaient d'une certaine notoriété en cours de Rome, durant le XIIIème siècle ; malheureusement elles ne nous donnent point les noms des abbés.

Un document authentique du 18 mai 1307 nous fait connaître un insigne bienfaiteur de l'abbaye, noble homme Hervé VI de Léon, chevalier, seigneur de Noyon sur Andelle et de Plouray. En témoignage de reconnaissance pour ses largesses, il est admis à la participation de toutes les prières et bonnes œuvres de la communauté. On lui attribue une chapelle avec messe quotidienne ; à son décès, on fera l'absoute en chapitre comme pour les religieux, et il participera à toutes les messes et oraisons prescrites pour les dits frères... Actum die lunae post Ascensionem Dominianno anno ejusdem millesimo tricentesimo, septimo. — (D. Lobineau, Preuves..., I, p. 1214).

Cette pièce a l'avantage de nous faire connaître l'abbé Guillaume, à qui l'on attribue la vita secunda de saint Maurice.

Selon toute probabilité c'est le même abbé Guillaume qui fut chargé par le pape Clément V (1313) de régler le différend soulevé par le cas de Richard de Ligavan. Ce bénédictin de Ste-Croix avait été détenu en prison, durant trois mois, sur l'ordre de l'abbé Alain à l'occasion d'un meurtre commis à Belle-Ile, qui dépendait alors de l'abbaye de Quimperlé ; mais aucun des témoins cités n'ayant comparu au terme fixé, il avait été absous et relaxé. Il arriva que l'évêque de Quimper, Alain Morel, sans vouloir tenir compte des immunités de Belle-Ile relevant immédiatement du Saint-Siège, voulut s'opposer à la mise en liberté du dit Richard de Ligavan et protesta contre l'absolution donnée par l'abbé, ce qui obligea les Bénédictins de recourir à Rome. L'abbé de Langonnet et Messire Guillaume de Rostrenen, chanoine de Tréguier, furent chargés de la solution du conflit. — (Clément V, reg. 60, cap. 777, fol. 247). — Cette affaire se rapporte sans aucun doute aux incidents qui se déroulèrent à Belle-Ile, l'an 1313, quand les Anglais y firent une incursion et retinrent en captivité plusieurs habitants, y compris les moines, après les avoir spoliés de leurs biens. Philippe-le-Bel protesta contre ces violences dans une lettre au Roi Edouard d'Angleterre, le 20 octobre 1313. Le Chronicon S. Crucis nous parle de la disette qui sévit dans la région durant les années 1314 et 1315. « Fuit æstas ita frigida quod omnia nascentia terræ fuerunt tarda, quod cerasa inveniebantur in festo Nativitatis B. Mariæ. Vindemiæ fuerunt circa festum Omnium Sanctorum. Vina fuerunt cruda. Maxima carestia in sequenti æstate ».

Les Cisterciens avaient conservé leur faveur religieuse pendant les XIIème et XIIIème siècles ; mais déjà quelques signes de décadence commençaient à se manifester, ainsi que l'avoue Pierre de Vaux-Cernay, moine cistercien.

Les Cisterciens qui prêchaient contre les Albigeois, en 1205, échouèrent totalement. Ils avaient déjà oublié le sévère idéal de Saint Bernard. Placés dans l'alternative « de changer complètement leur manière d'être ou de renoncer à leurs missions » ils étaient à la veille de prendre ce dernier parti, lorsqu'ils convoquèrent à leur réunion de Castelnau, l'évêque d'Osma, Diégo, et St-Dominique.

« L'évêque d'Osma opposa à leurs perplexités des conseils salutaires ; il les engagea à se consacrer uniquement à la prédication et à y dépenser toutes leurs sueurs. Il fallait fermer la bouche aux médisants et pour cela marcher dans l'humilité, aller à pied, sans or ni argent, et, imiter en toutes choses l'exemple des Apôtres » — (PIERRE DE VAUX-CERNAY, Historia Albigensium ; cité par Jean Guiraud : Questions d'histoire et d'archéologie, pp. 156-157).

Cette décadence générale qui envahit, au siècle suivant, toutes les familles monastiques, n'épargna point les enfants de saint Bernard, malgré les efforts de quelques Chapitres généraux et la tentative de réforme de Benoît XII. Etant lui-même cistercien, ancien abbé de Fontfroide (Aude), le premier Ordre qui attira sa sollicitude fut celui de Cîteaux.

Déjà, en 1317-1318, Jean XXII avait envisagé la nécessité d'y introduire des réformes. L'éloquence de Jacques de Thérines détourna le pape de ses desseins. Cependant, à lire son habile plaidoyer en faveur de son Ordre, on retire l'impression fâcheuse que le travail, recommandé par la règle primitive, est quasi inconnu, la pauvreté délaissée, l'austérité monacale à peine un souvenir.

La constitution Fulgens sicut scella régla la question du temporel, réfréna le luxe, prescrivit la tenue régulière des Chapitres et de la visite ; elle obligea tous les couvents cisterciens à entretenir dans les maisons d'études désignées un certain nombre d'étudiants en Théologie ; elle interdit sous les peines les plus graves aux jeunes religieux l'étude du Droit canon qui conduisait aux Bénéfices. Malgré les objections formulées par l'Ordre dans un long réquisitoire encore inédit (Bib. Nat., ms. lat. 4, 191, fol. 48r, 63r.), Benoît assura lui-même l'exécution de son décret, en chargeant des commissaires de veiller à sa stricte application. Il poursuivit les moines prévaricateurs, déjoua les résistances, déposa les abbés, ramena de force les vagabonds dans leurs monastères et donna des pouvoirs judiciaires extraordinaires à l'abbé de Cîteaux.

Il s'agissait surtout de réprimer les moines gyrovagues qui, chassés de leurs couvents et n'ayant aucun désir d'y revenir, couraient le monde en quête d'aventures et ne vivaient qu'aux dépens de la charité publique. (Constitution Pastor Bonus, 13 juin 1335 (G. MOLLAT : Les Papes d'Avignon, pp. 70-71).

La tenue annuelle régulière des Chapitres généraux maintenait quand même une certaine unité dans l'Ordre. Les fréquentes interruptions qu'ils subirent au XVème siècle, jointes au trouble profond qui alors agitait la France et presque toute l'Europe occidentale, compromirent d'une manière irréparable cette unité et, avec elle, la régularité.

« Toutes les institutions humaines, même les plus saintes, ont leur déclin. Des abus issus parfois de leurs propres qualités s'y insinuent et sourdement préparent la décadence. La richesse et le luxe furent le danger qui guettait les abbayes. Pourvus de riches dotations par la piété des fidèles et la générosité des seigneurs du temps ; enrichis encore par le travail collectif de leurs habitants, les monastères devenaient bientôt un objet de convoitise. Rois et ducs furent tentés d'en disposer, pour en transférer les bénéfices à des favoris ou à des solliciteurs qui, en prenant le titre et les avantages de l'abbé, se gardèrent bien d'en assumer les devoirs et les charges. Ces abbés, dits commendataires, ne résidèrent même pas à leur abbaye. Ils s'y faisaient remplacer par un procureur plus occupé d'y exploiter le domaine que d'y entretenir l'esprit de la Règle. La vie intérieure des moines ne pouvait manquer de se ressentir de cet état de choses. Peu à peu se glissait dans les âmes le relâchement et l'oubli des mortifications du début ». — L'ABBÉ F. CORNOU, N.-D. du Relecq, p. 31).

L'abbaye de Langonnet ne résista pas plus que les autres à la décadence générale. Dès le XVème siècle, ses abbés au lieu d'être nommés par le chapitre, étaient désignés et recommandés par le duc aux suffrages des moines. Le Prélat ainsi pourvu résidait rarement à la communauté ; il avait parfois sous sa dépendance plusieurs monastères, dont il se contentait de percevoir les revenus.

Au XIVème siècle, 197 abbayes cisterciennes payaient la dîme au roi. [ « Ex libro Camerae Compotorum signato, Noster, fol. 381 »].

Quelques-unes versent jusqu'à 100 et 200 livres ; d'autres descendent à cent sols et même au-dessous.

A la date du 21 décembre 1333, nous voyons figurer l'abbé de Langonnet (Langouiran) pour 15 livres. Saint Maurice est taxé à 10 seulement, tandis que Bégar paye 30 livres, et Le Relecq 32 livres et dix sols. (Jules Viard - Etat des abbayes cisterciennes au commencement du XIVème siècle).

Dans un compte-rendu des bénéfices diocésains de 1330 environ, extrait des archives du Vatican, l'abbé de Langonnet (abbas de Langono ou Langorio) paye à l'évêque de Quimper 150 livres de taxes. Mais c'est là peu de chose, en comparaison de la taxe pontificale, qui s'élevait à 400 livres pour Langonnet et à 120 pour St-Maurice : elle était la plus forte du diocèse, avec celle de Loc-Maria. On peut évaluer la livre à 40 francs de notre monnaie actuelle.

Cette taxe fut cependant réduite de moitié par le pape Urbain V : « Ista taxatio reducta fuit ad medietatem per Urbanum papam V (1362-1370) ». La taxe pontificale comprenait le vingtième du Bénéfice, et par conséquent le revenu total, d'abord estimé à 8000 livres, fut dans la suite abaissé à 4000. — (Pouillés de l'ancienne province de Tours, par A. Longnon, p. 303-304).

Les procurations du légat (Cartulaire de Quimper, p. 20) sont portées à 8 livres pour Langonnet et à la moitié seulement pour St-Maurice, tandis que Ste-Croix de Quimperlé est taxée à 10 livres. [Note : Taxe de tous les bénéfices ecclésiastiques de la ville et du diocèse de Quimper, relevée par Jeoffroy le Marec'h jeune, archidiacre de Poher, à la fête de St-Luc, 1368, 18 octobre].

Malgré ses nombreuses charges, notre abbaye jouissait donc encore d'une aisance relative, à la veille de la guerre de Succession de Bretagne, qui fut pour elle, comme pour tout le pays, un lamentable désastre. Cette guerre qu'on a appelée guerre des deux Jeannes, dura 23 ans, depuis la mort du duc Jean III (1341) jusqu en 1364. Jean III, mort sans enfants, laissait pour héritiers sa nièce, Jeanne de Penthièvre, mariée à Charles de Blois, et un demi-frère, Jean de Montfort, qui avait épousé Jeanne de Flandre, surnommée Jeanne la-Flamme. Elle avait « courage d'homme et cœur de lion ». Comme Charles de Blois était neveu du roi de France, les Français soutiennent sa cause, tandis que Montfort appelle les Anglais. Ceux-ci s'installent à Vannes, et Charles de Blois s'empare de Quimper dont l'évêque lui est favorable (1341). Après la bataille d'Auray (1364) et la mort de son compétiteur, Jean de Montfort se vit reconnu duc de Bretagne, sous le nom de Jean V (traité de Guérande, 1366), mais la guerre ne continua pas moins, avec le concours des Anglais, qui furent pourchassés par Duguesclin. Jean IV dut chercher un refuge en Angleterre (1373), d'où il revint six ans plus tard pour se réconcilier avec la veuve de Charles de Blois (1379), toutefois, il ne put obtenir la paix définitive que par un accord avec Ollivier de Clisson (1399). De sorte que la période des troubles avait duré un demi-siècle.

Il semblerait, de prime abord, que l'isolement de Langonnet, loin de tous les grands centres, aurait dû préserver l'abbaye du tumulte des armes ; il n'en fut rien. Sa situation même à la limite de la Cornouaille, aux confins des deux provinces bretonnes et précisément sur le passage des troupes, qui suivaient la route de Vannes à Quimper, ne pouvait qu'attirer les bandes pillardes qui vivaient de leurs déprédations. Qui donc aurait pu protéger les malheureux moines, alors que les petits seigneurs du voisinage s'enfuyaient vers les villes fortifiées, abandonnant à la ruine leurs domaines et leurs vassaux ? Quel que fût le parti triomphant, l'abbaye eut beaucoup à souffrir des uns et des autres, car les mœurs de la soldatesque ne variaient point avec la couleur du drapeau.

Dom Louis d'Espagne — Louis de la Cerda, petit-fils d'Alphonse-le-Sage — était passé au service de Charles de Blois, avec son frère le connétable d'Espagne et toute une flotte hispano-génoise. Après les avoir battus à Quimperlé, Gauthier de Mauny s'en fut rejoindre la comtesse de Montfort à Hennebont. C'est alors qu'il passa près de la Roche-Périou (au confluent de l'Aër avec l'Ellé).

« Avant que nous chevauchions plus avant, dit-il, je veux que nous assaillions ce castel pour voir si nous ne pourrions rien conquérir ».

Le château était défendu par Gérard de Malin, frère de René, qui commandait au Faouët. Ce dernier accourut aussitôt avec 40 hommes ; il captura deux chevaliers anglais : Jean le Bouteiller et Mathieu du Fresnoi, ainsi que leurs valets d'armes, et Mauny, furieux, abandonne le siège de la Roche pour suivre son nouvel adversaire. Il attaque le Faouët, défendu par Portebœuf. Sans perdre de temps, Gérard de Malin court alerter la garnison de Guéméné. Le vicomte de Rohan, le Sire d'Amboise, d'autres encore du parti de Blois, s'estiment heureux d'avoir si bonne occasion de batailler : « Ces gens d'armes, dit Froissart dans sa chronique, ne furent oncques si réjouis... et s'ordonnèrent toute la nuit à partir au poinct du jour ».

L'attaque de Mauny échoua. Craignant pour ses derrières, il se replia en toute hâte sur Hennebont.

« Ainsi demeura pour ces jours Faouët en paix, et s'entr'aidèrent deux frères l'un l'autre, et les deux chevaliers restèrent prisonniers ».

Ceci se passa en 1342.

La même année, les troupes du parti de Montfort, sous la direction de Robert d'Artois, ravagent le littoral vannetais et font des incursions jusqu'à la Roche-Périou et le Faouët. En vain essayèrent-elles de s'en emparer, mais, en novembre 1342, Edouard d'Angleterre se met lui-même à la tête d'une expédition. Il prend Carhaix le 11 novembre, partage son armée en deux corps, en confie un au comte de Northampton et prend le commandement de l'autre. Il attaque successivement les forteresses du Faouët et de la Roche-Périou qui tombent entre ses mains. « Reddita sunt regi duo castella firmissima, Franc (Faouët) et Richeperione » dit le chroniqueur anglais Knighton. On les considérait par conséquent comme deux points stratégiques de grande importance.

L'événement dut prendre place entre la prise de Carhaix, 2 novembre 1342, et celle de Pont-scorff, le 19 novembre de la même année. Le château du Faouët fut laissé en si pitoyable état, que désormais ses seigneurs résideront de préférence au manoir du Saint. — (Abbé Moren. Au pays du Faouët, p. 13-16) Sur ces entrefaites, Northampton s'emparait de Pontivy et investissait Rohan que ses habitants abandonnèrent ; la place fut saccagée et brûlée. En 1354, les Anglais prennent aussi le château de Guéméné, qui appartenait à Thomas de Beaumer, partisan de Charles de Blois, et le donne au Capitaine Roger Davy, marié à Jeanne de Rostrenen, veuve d'Alain VII, vicomte de Rohan. Toute notre région eut donc beaucoup à souffrir durant cette invasion et l'abbaye ne fut pas épargnée. Peut-être aussi fut-elle pillée de nouveau, quand les bandes de Jean Devereux infestèrent les environs de Quimperlé.

« A deux lieues de cette ville, Devereux trouva un vieux castel, dit La Motte-Marciot, dont, relevant les remparts et les armant d'artillerie, il lit une forteresse redoutable qu'on appela le nouveau fort. De là, il pilla et tyrannisa le pays de telle sorte qu'on n'osait plus aller d'une ville à l'autre, et l'oppression devint si lourde que le peuple en fit sa complainte, et l'enfant de Bretagne, dit Froissart, et les jeunes fillettes la chantaient tout communément ».

Gardez-vous du nouveau fort, - Vous qui traversez ces lieux, - Car ici prend ses ébats Messire Jean Devereux (LABORDERIE, IV, 36).

Il fallut les efforts combinés des cinq barons : Rohan, Clisson, Laval, Beaumanoir et Rochefort, avec deux cents lances, pour mettre ce vieux reître à la raison.

A la guerre se joignirent d'autres fléaux qui l'accompagnent d'ordinaire : la famine et la peste.

« Le comté de Cornouailles estant affligé de la guerre entre les deux partis de Blois et de Montfort, en 1344 souffrit une cruelle famine et, en 1349, la peste fit un si grand ravage qu'à peine les vivants pouvaient ensevelir les morts », nous dit D. LEDUC : (Histoire de l'abbaye de Ste-Croix, p. 297. — Voir également ALBERT LEGRAND : Vie du Bienheureux Jean Discalceat, p. 708, et Catalogue des évêques de Cornouaille, p. 140).

Il s'agit évidemment de la grande pestilence noire qui ravagea l'Italie, la France, les Flandres, décimant villes et campagnes dans un pourcentage effroyable : au dire de Froissart, « la tierce partie du monde » mourut de cette peste bubonique. — [MAURICE VOLBERG, La Vierge et l'enfant dans l'art Français, II, p. 7]. C'était bien le cas de dire comme la Complainte de la Peste d'Elliant :

« Le cimetière est plein jusqu'aux murs ; l'église pleine jusqu'aux degrés ; il faut bénir les champs pour enterrer les cadavres. Je vois un chêne dans le cimetière avec un drap blanc à sa cîme ; la peste a emporté tout le monde ».

Durant toute cette période de troubles incessants, les abbayes bretonnes eurent beaucoup à souffrir comme le remarque l'abbé Mollat : « Navrante est la liste des fondations pieuses ravagées en Bretagne pendant la guerre de cent ans, tant par les bandes anglaises et les Grandes Compagnies que par les partisans de Charles de Blois et ceux de Montfort ».

Nos bons cisterciens durent plus d'une fois invoquer la protection de la Vierge : Nam a gente dirissima, - lux lucis splendidissima.- de sublimi ad infima - deducimur ; - Cunctis bonis exuimur, - ab impiis persequimur - per quos jugo subjicimur - servitutis [Note : Prière à la Vierge contre les Grandes Compagnies. Citée par LEBEUF : Histoire de Charles V. — Dissertations sur l'histoire de Paris, III. p. 147].

Le Chapitre général de Cîteaux, tenu l'an 1389, déplora la lugubre désolation des moines de Langonnet et de Coetmaloën. En conséquence, ordre est donné aux abbés du Relecq et de Boquen d'avoir à se rendre sur place au plus vite et de prendre tous les moyens en leur pouvoir, en vue d'opérer une réforme radicale, alors même qu'il faudrait invoquer l'appui du bras séculier : « et vocatis illis qui interesse poterunt et quos rationis judicium, prœcipit evocari, auditisque hinc inde propositis, corrigant, ordinent, statuant et reforment, tam in capite quam in membris„ tam in spiritualibus quam in temporalibus, quœcumque ibi corrigenda, ordinanda, statuenda seu reformanda senserint, in Capituli Generalis potestate, invocato, si opus fuerit, ad executionem omnium prœmissorum, tangentium et dependentium ab eisdem, auxilio brachii sœcularis » (Statuta Cap. Gén., Tome III, N. 9).

Cinquante ans plus tard l'abbaye n'était pas encore sortie de sa misérable condition et dut solliciter de Cîteaux la condonation de ses dettes.

« Propter diversa infortunia, paupertates et desolationes quas patitur monasterium de Langonio a longo tempore, Genle Capum, pietatis intuitu, præteriti temporis ucncta contributionum arreragia per abbatem et conventum ipsius Monrii debita quittat penitus et benigne omnino remittit » [Note : Act. cap. général ord. cist. — Arch. stat. Luzernen. — Le Codex 544 de Lucerne contient en 8 volumes les Définitiones et Capitula generalia Ordinis cisterciensis, de 1147 à 1738. Il provient de l'abbaye de St-Urbain supprimée en 1830. Cfr. D. JOSEPH CANIVEZ : Statuta Cap. Gen. Tome III, n° 9, et HENRI DENIFLE, O. P. : La Guerre de Cent ans et la Désolation des églises, monastères et hôpitaux de France, Tome I, 2ème partie, p. 746].

Urbain VI avait été élu pape, le 8 avril 1378, mais les cardinaux mécontents se réunirent à Anagni, le 29 septembre suivant, et nommèrent le cardinal Robert de Genève, qui fut Clément VII et qui s'établit en Avignon, ouvrant ainsi le grand schisme d'Occident. Il Mourut en 1394, laissant comme successeur Benoit XIII, Pierre de Lune (1394-1422). Pour forcer le pape d'Avignon à consentir à l'union et à la cessation du schisme, le clergé de France, en 1398 vota la soustraction à son obédience et dès lors cessa de payer les taxes dues au St-Siège pour la nomination aux bénéfices. Cette soustraction d'obédience dura de 1398 à 1404, et, lorsqu'à cette époque furent reprises les relations entre Avignon et la France, le Pape réclama les arrérages des taxes dues pour le temps écoulé, tout en étant prêt à entrer en arrangement avec les titulaires des bénéfices, en vue du règlement des comptes. Des commissaires furent nommés pour entrer en composition avec les bénéficiers. Les commissaires pour les provinces de Tours, Bourges et Bordeaux étaient Jacques Manse-Guichard et Michel Falconi ; le subcollecteur de Quimper s'appelait Guillaume le Marhec (Chevalier) (1405). L'abbaye de Langonnet restait débitrice de 17 livres 10 sols, somme qui fut réduite à cent sous.

« Monasterium de Langonet. Restant ratione decimarum et subsidii de annis octuagesimo secundo, tertio, quarto et quinto, pro media decima XVII l, X s. Certis ex causis, dicta arreragia remisimus ad centum solidos quos frater Gulielmus Joannis religiosus dicti monasterii de Langonet, nomine abbatis et conventus ejusdum, solvit, in mea præsentia, magistro Gulielmo Militis sub-collectori Corisopitensis. Actum Corisopiti. anno M° IIII° quinto, die XXIII aprilis, præsentibus M° Allano Bengarii in utroque jure licentiato, domino Gulielmo Livinec presbytero. Corisopiten et me J. Carpen » [Note : G. DE LESQUEN et MOLLAT : Mesures fiscales en Bretagne par les Papes d'Avignon, à l'époque du Grand Schisme d'Occident. Paris. Picard. 1903].

Ainsi le monastère acquitte son arriéré au trésor apostolique par les mains de F. Guillaume Jouan (Joannis) au nom de l'abbé.

Les archives d'Avignon nous signalent quelques abbés de Langonnet durant la période troublée qui vient de s'écouler.

En 1391, l'abbé Mérian offre sa démission en raison de son grand âge et de ses infirmités. Le pape Clément VII (13 nov.) donne mandat à l'évêque de Quimper de pourvoir au remplacement par Guillaume, moine de Bon-Repos. Mais cet abbé ne fait que passer à Langonnet et deux ans plus tard, par une bulle datée du 15 oct. 1393, le pape nomme à la place du défunt, un autre Guillaume dit Kermen (Hermem), qui était déjà prieur claustral de l'abbaye. Il notifie cette nomination au nouvel abbé, aux religieux et à tous leurs vassaux, ainsi qu'à l'abbé du Relecq, Père immédiat et au roi Charles VI devenu fou l'année précédente. (Reg. Vat., vol. 302, fol. 98 et vol. 306, fol. 32v).

Un autre bref, du 27 nov. 1393, autorise Guillaume à recevoir la bénédiction abbatiale. (Reg. Vat., vol. 307, fol. 481). C'est lui qui fut chargé par Benoit XIII, le 12 sept. 1396, de conduire l'enquête concernant Yves Lavanant, en collaboration avec les abbés de Landévennec et de Ste-Croix de Quimperlé. L'évêque de Quimper refusait de pourvoir Yves Lavanant, alors qu'il était nommé par le Chapitre comme vicaire de la prébende de Névez. Le pape charge les abbés d'enquêter sur les motifs du refus et, dans les cas où ils ne paraîtraient point justifiés, de procéder à l'installation du dit Lavanant à Névez. (Benoit XIII, Tome CCCXXI, fol. 374).

Au siècle suivant, apparaît un autre abbé Guillaume qui se trouvait à Florence en 1435, et qui assista comme témoin, le 24 juillet, à la bénédiction abbatiale de Noël, abbé de St-Vigor de Cerisy (de Cerasio) diocèse de Bayeux, qui lui fut conférée, à l'église de l'hôpital Ste-Marie-la-Neuve, par André, évêque de Mégare. L'autre témoin était Nicolas Néri, abbé de St-Barthélemy. Nous savons d'ailleurs que le pape Eugène IV (1431-1437) s'était refugié à Florence, quand les Etats de l'église furent envahis par le duc de Milan, Philippe-Marie Visconti. C'est très probablement ce même abbé Guillaume qui obtint du chapitre général de Cîteaux en 1442, la remise de toutes les dettes de l'abbaye. [Note : Le dict. d'Ogée signale que le manoir de Kerminguy (Kermenguen) en Priziac (1430) et de Kerandrenic (ville-Ker-Endent) en Langonnet (1420) relevaient de l'Abbaye].

Un certain Alain de Lespervez, profès des frères mineurs, avait emprunté aux bénédictins de Ste-Croix diverses sommes d'argent et ne montrait aucun empressement à les rendre : il fallut l'intervention du pape Nicolas V, ainsi que des abbés de Langonnet et de Daoulas, pour le forcer à restitution (15 nov. 1451). Il s'agit peut-être de frère Alain de Lespervez, religieux de l'ordre de St-François, nommé évêque de Dol, puis de Cornouailles en 1448, et qui, devenu muet, démissionne en faveur de son neveu Jean, qui n'avait pas encore trente ans (1451). Promu archevêque de Césarée, il décéda le 17 mars 1455. L'abbé de Ste-Croix de Quimperlé était lui aussi un Henri de Lespervez, mort en 1453.

Ces Lespervez, originaires de la paroisse de Ploaré et qui portaient « de sable à trois jumelles d'or », formaient alors toute une dynastie écclésiastique. On trouve encore Guillaume Lespervier (de Lespervez, abbé de Bégar, puis du Relecq) (1487). Le chapitre général de Cîteaux le nomma, en 1511, commissaire pour réformer les abbayes cisterciennes en Bretagne. Il mourut en 1515 et fut inhumé dans l'église du Relecq. L'évêque de Quimper, Jean de Lespervez, était décédé en 1472.

Le fonds Laborderie (Arch. d'Ille-et-Vilaine, f. 471) conserve une pièce du 27 janvier 1462. C'est un Exécutoire pour les abbés et couvent de Langonnet, à l'encontre de Raoul Dronon et des fermiers des Sècheries de Conq [Note : Conq (Concarneau), de Conq, angle, coin, et Kerné, Cornouaille : Pays des pointes et des caps].

« Pour raison d'un milier de merluz, sec que les ditz abbés et couvent ont accoutumé de prandre sur les dicts seicheries, pour le prix que les dits merluz coustent tout vert... (signé) JA. ROBOCEAU ». (Reg. chanc. 1462, fol. 7).

Nous trouvons, vers la fin du XVème siècle, deux abbés de Kergoët, Henri et Vincent, originaires de Tronjoly près de Gourin (ou de Mengeonet) ; ils étaient fils de Pierre de Kergoët qui fut fait prisonnier à St-Aubin du Cormier (1488) et de Marguerite de Coëthual. (D'après une généalogie imprimée à Quimper en 1715). Les armes de la famille figurent aux vitraux de la chapelle St-Hervé en Gourin : « D'argent à cinq fusées accolées de gueules, accompagnées en chef de quatre roses rangées et même avec la devise " En Kristen mad, me bev an Doué ! ". En bon chrétien, je vis en Dieu ».

Les Seigneurs de Mengeonet et de Tronjoly étaient déjà représentés dans l'église par Yves de Kergoët, évêque de Tréguier, mort en 1403. Ils avaient en outre à Rome, en qualité de familier et perpétuel commensal du pape Paul II (1464-1471 ), un de leurs parents, Alain de Kergoët (Kaerguet), Clericus corisopitensis, qui fut pourvu de la paroisse de Pestivien (Quimper), le 15 nov. 1476, et de celle de St-Sulpice (Rennes), le 6 oct. 1468. Il y a tout lieu de croire que la faveur dont il jouissait en cour de Rome s'étendit à ses proches et qu'il ne fut pas étranger à la nomination des abbés de Langonnet.

Henri de Kergoët était déjà pourvu de cette abbaye en 1470, quand il fut mandé à Lanvaux, le 28 décembre, par le réformateur de l'Ordre dans la province de Tours, Vincent de Kerleau, pour justifier sa conduite. Il était, en effet, considéré comme Père immédiat de Lanvaux, et ne paraissait pas très empressé à remplir les obligations que ce titre lui imposait. (Histoire de l'abbaye de Lanvaux, par l'abbé J. M. Guilloux, p. 18. — Voir aussi D. Morice, Preuves, I, p. 1214, pour l'année 1477).

« En 1480, le dimanche 15e octobre, Guy du Bouchet, conseiller du due François II et vice-chancelier de Bretagne, élu évêque l'an précédent, fit son entrée solennelle à Quimper. Henri de Kergoët était présent. ainsi que l'abbé de Landevennec, Jacques de Villeblanche, et celui de Ste-Croix, Guillaume de Villeblanche. ». Le fonds des Blancs Manteaux signale un accord entre « Frère Henri de Kergoët, abbé de N. D. de Langonnet, et noble homme Pierre de Pontquellec seigneur des Ylles » en 1482 » (Bibl. Nat., Fonds fr., 22.329, fol. 287).

Le 2 juillet 1492, il résigne son abbaye entre les mains d'Alexandre VI, par l'entremise de son procureur en cour de Rome, Yves Locronan, chanoine de Quimper, afin que le pape puisse en disposer en faveur de Vincent de Kergoët, son frère, moine du même monastère ; le 7 juillet suivant, une nouvelle bulle accorde faculté de regrès au cédant : c'est-à-dire la faculté de recouvrer son bénéfice, si le nouvel abbé le résigne ou vient lui-même à décéder (LATRAN : Alexandre VI. An VIIIème. — Tome XI, fol. 132 et XII, fol. 253).

Vincent de Kergoët régit son abbaye pendant près d'un quart de siècle (1492-1514). Nous le voyons fournir aveu devant la sénéchaussée d'Hennebont, le 14 septembre 1493, pour les domaines situés dans les paroisses de Priziac et de Plouray ; devant celle de Quimperlé, le 20 décembre 1414, pour les biens sis en Querrien et Moëlan ; puis de nouveau à Hennebont, le 2 mai 1502 et, le 2 décembre 1507, à Quimperlé (Arch. Loire-Inférieure, B. 780. — Paris, Arch. Nat., S. 3.252 et 3.253).

« Nous, frère Vincent, humble abbé du benoît moustier de Nostre-Dame de Langonnet, et le couvent du dit lieu, de l'ordre de Cisteaux, on l'évesché de Cornouailles, assemblés et congrégés à son de campanne, chapitreaux et chapitre faisants ès lieux et heure à ce dûs et accoustumés pour les négociamens et affaires du dit moustier, savoir : nous dit sieur abbé et le conseil avec assentement rie nostre dit couvent, et nous couvent susdit sous l'autorité de nostre abbé, cognessons et confessons tenir et de fait tenons prochement, ligement et en fief amorty du roy et royne nos souverains seigneur et dame, à cause d'elle, en la barre, teneur et juridicion de Keremperlé, en ce païs et duché de Bretaigne, les terres rentes et héritage, dont la déclaration en suylt, etc... ».

On remarquera la clause « à cause d'elle », l'aveu étant fait au roi de France, Charles VIII, qui avait épousé Anne de Bretagne, le 6 décembre 1411.

C'est à Vincent de Kergoët, très probablement, que l'on doit la construction de l'église de La Trinité. Une inscription gothique, gravée en relief, énumère les indulgences concédées par le pape Alexandre VI, en l'an 1500.

« A toutz et chacun vroi catholique sont octroyé, à chacun jour et feste de Monseigneur Saint Jean l'évangéliste, à chacun mardi de Pasques, les jours de la Trinité, les jours de la Toutzsaints, le jour de la dédicacion de ceste chapelle céans, V centz jours de vroy pardon par une bulle dabtée du XXVème jour de septembre, l'an mil V centz, par le pape Alexandre, et aussi les jours de la Toutzsaints ; plus sont concédés et octroyés par le dit pape et par une autre bulle, à chacun des ditz jours et feste de la Toussaint le jour de Saint Jean l'évangéliste, le jour de la Trinité, à la Nativité de Saint Jean le Baptiste, à l'exaltation de la sainte croes, à la dédicacion de ceste chapelle de la Trinité de Bézuer, en la paroesse de Langonet, aux bienfaiteurs de céans, M. V. centz jours de vroy pardon et indulgence, donnantz leur dévocion pour la soutenance de ceste chapelle ».

Il résulte clairement de ce texte qu'on travaillait à la construction de l'église en 1500, et que les indulgences furent concédées en vue de provoquer les dons des fidèles pour l'achèvement des travaux. Ils se prolongèrent d'ailleurs bien avant dans le XVIème siècle, puisque la sablière du transept sud ne fut posée qu'en 1568. — (Le Mené, Histoire des paroisses du Diocèse de Vannes, I, pp. 104 et 105). — La Trinité était alors une simple trève de Langonnet, placée sous le patronage de saint Béver ou Péver (Bézuer), que l'on nomme communément San Ber.

L'église de La Trinité, bien que défigurée par de malheureuses tentatives de restauration, attire l'attention par la pureté de son style. Entièrement construite en pierres de granit, de grand et de moyen appareil, elle forme une croix latine de trente mètres sur six. Le chœur polygonal est percé de quatre fenêtres à menaux flamboyants, surmontés de pignons aigus, dont les rampants, ornés de feuilles de choux et de crosses, reposent sur des animaux sculptés. Ces pignons sont reliés entre eux par des contreforts adhérents, sans pinacle, percés de niches à dés et culs-de-lampe finement travaillés. D'élégantes gargouilles en pierre, représentant divers animaux, se détachent hardiment de ces contreforts. Six fenêtres semblables éclairent la nef. A côté du transept méridional s'ouvre un grand portail à deux baies en anse de panier, séparées par un trumeau à colonne striée et encadrées d'une porte ogivale à plusieurs retraits chargés de rinceaux de feuilles de vigne, de feuilles de chêne et de feuilles de chou. Les deux baies sont décorées du même genre d'ornementation. Dans le pignon occidental s'ouvre un second portail assez semblable au premier. A l'intérieur, les fines sculptures, multipliées dans le granit avec une prodigalité merveilleuse, ont subi l'injure d'un épais badigeon. Une fausse voûte en planches, d'aspect lugubre, masque les curieux lambris sur arceaux à clefs pendantes, les entraits décorés d'anges et de crocodiles, les sablières littéralement couvertes de personnages parmi des rinceaux bien fouillés... Dans son état actuel de délabrement, ce curieux édifice prend place au rang des églises martyres, dont Maurice Barrès déplorait la grande misère.

Il lui restait pour dernière parure de splendides verrières du XVIème siècle, qui représentaient l'arbre de Jessé, la Passion, le Jugement dernier, la légende de saint Jean-Baptiste, la Visitation, la Nativité de N.-S., la Transfiguration ; des mains crochues vinrent l'en dépouiller [Note : Les vitraux de La Trinité n'ont pas été détruits ; ils se trouvent actuellement au château de Rulliac en Saint-Avé. Cfr. Abbé KERDAFFRET : Bull. Soc. Polymatique (1857), p. 70. — Abbé GUILLOTIN DE CORSON : Les Pardons et Pèlerinages de Basse Bretagne. Rennes, Plihon (1898). - ROSENZWEIG : Répertoire archéologique du Morbihan, 1863].

Le Pardon annuel a lieu en la fête de la T. S. Trinité, avec grande procession à la fontaine voisine du sanctuaire, qui porte cette inscription :

MIRE GILLES DERVAL, CURÉ,
PI. EVEILLARD, PIQUEUR.
I H S
1782
MIRE HIAN SUAR, RECTEUR.

A cette époque, l'abbaye de Langonnet comptait seulement sept religieux profès. D'après une pièce originale sur parchemin conservée aux archives du Finistère, le Révérend Père en Dieu frère Vincent, abbé du benoît moustier de N.-D. de Langonnet, assisté de son procureur, frère Henri Bernard, approuve un accord et contrat avec Jean le Gentil, au sujet d'une terre sise en St-Tugdual. La pièce est datée du 18 janvier 1501 (1502 nouveau style). Cet accord fut ratifié, le 6 février suivant, par le même abbé en présence des religieux réunis à la salle capitulaire. — (Voir, à Quimper, le dossier des Augustins de Carhaix. 13, H. 29).

Le 3 octobre 1512, Vincent de Kergoët, en qualité de Père immédiat, se voit contraint d'intervenir dans les affaires de Lanvaux. L'abbé Thomas de Kervernier (1474-1488) avait eu le tort de consentir quelques aliénations en faveur de Jean Tribara, agissant pour Julienne de Kerbervet, sa femme. L'abbé révoque le contrat avec l'assentiment de la communauté, représentée par quatre de ces membres. — Histoire de l'abbaye de Lanvaux, par l'abbé J. M. Guilloux, p. 15).

Vincent de Kergoët était encore abbé de Langonnet en 1514 ; il dut avoir pour successeur immédiat Pierre Corre, bachelier en théologie. Il est vrai, qu'il règne une certaine confusion, à cette époque, dans les listes abbatiales, aussi bien pour Langonnet que pour Carnoët, au point qu'il est difficile de concilier les documents pontificaux avec les indications de source bretonne recueillies par la Gallia christiana.

On nous dit que Pierre Corre fut abbé de St-Maurice de 1509 à 1520. La bulle de Clément VII (1523) rappelle qu'il décéda sur la fin du pontificat de Léon X, étant abbé de Langonnet ; mais il semble bien qu'il y ait là une erreur de scribe. De sorte que ce pontife crut pouvoir disposer de notre abbaye en faveur d'un de ses familiers, Balthasar Turinus de Piscia, prélat de la chambre apostolique [Note : Il est dit : « Clericus nullius dioecesis notarius ; datarius et familiaris suus, continuus comensalis » et désigné plus tard, par Paul III comme : « camerae apostolicae clericus, capellanus et familiaris noster »].

Mais, déjà, Yves de Bouteville avait pris possession de Langonnet que lui disputait un certain Yves de Vaucouleurs (1518-1521). Balthazar, qui arrivait bon troisième, dut entrer en composition avec Bouteville et lui céda le titre d'abbé, avec réserve de tous ses droits pour l'avenir, contre une rente annuelle de deux cents ducats d'or. Cette rente, exempte de toute taxe, serait prélevée sur le revenu de l'abbaye et remise à son procureur, Alain de Lestang, clerc de Quimper, en deux versements, à Noël et la Nativité de saint Jean-Baptiste, sous peine d'excommunication et de privation du bénéfice. A cette époque, l'abbaye de Langonnet était taxée à 120 florins par la chambre apostolique. Non seulement Balthazar conservait cette rente, sa vie durant, mais il avait encore le droit d'en disposer en faveur d'autres personnes, suivant son bon plaisir. En cas de décès ou de cession par Bouteville ou par l'un de ses successeurs, Balthazar recouvrait tous ses droits de commendataire avec charge d'assurer l'entretien de son abbaye et d'y consacrer le quart de ses revenus, si les menses abbatiale et conventuelle étaient distinctes, ou le tiers, dans le cas où elles demeureraient unies ; sans pouvoir toutefois consentir aucune aliénation [Note : La chapelle de St-Maurice de Loudéac possède une concession d'indulgences à perpétuité (600 jours), accordées par le sacré collège des cardinaux, au nom de Notre Saint-Père le Pape Sixte IV, l'an 1521, le 27 novembre. Si la date de ce document est exacte, il ne peut être question de Sixte IV (1471), mais plutôt d'Adrien VI (1522) qui succéda à Léon X. La pancarte paraît être du commencement du 17ème siècle. « A Vannes, de l'imprimerie de Vincent et Nicolas Galles, imprimeur sur le Pont-Notre-Dame »].

Léon X étant mort le 1er décembre 1521 avant l'expédition des pièces officielles, son successeur Clément VII ratifia toutes les précédentes dispositions, à la date du 30 novembre 1523. Elles seront ratifiées également par Paul III, le 15 décembre 1537, après le décès de Bouteville ; et Balthazar se verra maintenu en possession de son titre jusqu'à la nomination, faite par le roi, de Laurent de Bonacourcy.

Ces faits n'étaient point parvenus à la connaissance des Bénédictins, car, d'après la Gallia christiana, Pierre Corre aurait eu pour successeur, à Carnoët, Louis Dupont, qui se trouve en conflit avec Bouteville (1521-1526).

« Ludovicus Dupont, alias Du Pou, litigavit anno 1521, cum Yvone de Bouteville, abbatialem baculum sibi vindicante. Utriusque abbatis nomina tabulæ simul præbent. Opinatur Moricius Yvonem in ea causa cecidisse. Ludovici nempe meminit cataloqus abbatiæ, non autem Yvonis ».

Une bulle du pape Adrien VI, du 31 août 1522, nous fournit quelques éclaircissements sur cet imbroglio. Yves de Bouteville, religieux profès de Langonnet « de nobili genere ex utroque parente generatus », et déjà abbé de Langonnet, est pourvu également de Carnoët par Léon X, le 17 septembre 1520, sur la présentation de François Ier, roi de France et duc de Bretagne. Déjà, Louis Du Pou jouissait de cette abbaye depuis plusieurs mois, après le décès de Pierre Corre, mais sans aucun droit « Nullo titulo, nullove juris adminiculo sibi desuper suffragante, sed temeritate propria ». La chambre apostolique estime le revenu de l'abbaye de St-Maurice à cinquante ducats d'or.

Adrien VI ratifia la nomination faite par Léon X, dont les lettres de provision n'avaient point été expédiées. Que Bouteville ait joui durant quelques années des deux abbayes, le fait n'a rien qui nous doive surprendre, en ce temps où le cumul des bénéfices était un usage courant.

En tout cas, d'après les pièces authentiques, Bouteville est maintenu à Langonnet, le 15 avril 1518, contre Yves de Vaucouleurs ; de même, en 1521, par un arrangement avec Balthazar Turinus de Piscia.

Cette même année, il dispute Carnoët à Louis Du Pou et figure en 1522, aux Etats de Vannes, en qualité d'abbé de St-Maurize. Il paraît donc avoir joui des deux abbayes simultanément de 1520 à 1526 ; mais, le 7 juillet de cette même année, Du Pou obtient un relèvement. En 1527„ il donne procuration, au titre de Carnoët, pour hommage au Seigneur de Quimerc'h ; tandis que Bouteville passe un accord, pour Langonnet, avec plusieurs particuliers (1526) et fournit aveu devant la sénéchaussée de Quimperlé pour les biens sis en Querrien et Moëlan, le 25 novembre 1535 [Note : Le sceau de cette pièce est conservé. C'est un cachet en cire verte, de la grandeur d'une ancienne pièce de deux francs. Il représente, sous un baldaquin et entre deux tiges de lis au naturel, la Vierge tenant le divin Enfant. L'avers, qui est effacé, portait sans doute les armes de Bouteville. — Arch. Loire-Inf., B. 780].

En 1526, « les abbés de St-Morize et de Langonnet font défaut à la réunion des Etats ».

Originaires de Normandie, les Bouteville étaient une famille de gens d'église. Le 3 août 1488, décédait au monastère de Ste-Croix de Quimperlé F. Olivier de Bouteville, qui remplissait les fonctions de chambrier et jouissait à ce titre du prieuré de St-Michel-des-Montagnes en Ploemeur. Deux autres membres figurent au nombre des familiers d'Alain de Coëtivy, évêque d'Avignon, cardinal du titre de Ste-Praxède et légat du pape Callixte III en Bretagne (1455-1456) : Charles de Bouteville, recteur de Cas, et Yves de Bouteville, clerc de Quimper (Reg. Vat. 500 f., 18v et Reg. Lat. 576, f. 92). Ils se succèdent comme recteur à La Feuillée, en 1461 et 1462.

Yves de Bouteville, abbé de N.-D. de Langonnet, était l'un des onze enfants de Jean de Bouteville [Note : Les Bouteville sont venus de Normandie. On trouve Hervé de Bouteville, Sénéchal de Ploërmel, 1270. En 1340, ils sont déjà au Faouët. C'est sous leur patronage que furent construites les chapelles de St-Fiacre, vers 1440 et de Ste-Barbe, en 1489. — Le Faouët passa par alliance à Claude de Goulaine (1559). Vendu à René du Fresnay (1644), il devint successivement propriété de la famille d'Ernothon, puis des D'Argouges (1704) et des barons de Montreuil (1788), qui résidaient au château de Rasnes (Orne)], chevalier, baron du Faouët, seigneur du Saint, de Kerjean, de Kerriou, vicomte de Barrégan et de Coëtquenan, chambellan du duc de Bretagne et capitaine de Conq, qui avait épousé le 28 novembre 1463, Marie de Kimerc'h.

On dit que l'abbé de Bouteville canalisa les sources de Notre-Dame et de Saint-Antoine. C'est lui qui fit construire ou restaurer la chapelle St-Hervé en Gourin. Certains prétendent trouver son portrait sur un vitrail ; du moins ses armes y figurent, avec celles des Kergoët et des Kimerc'h [Note : La chapelle St-Yves est en forme de croix latine à chevet plat (en forme de Tau), avec contreforts adhérents à la muraille ; fenêtres à cintre brisé et meneaux flamboyants. La porte occidentale est en plein cintre, surmontée d'une accolade avec chous, crochets et colonnettes ; et flanquée de deux contreforts présentant une niche vide, avec dais festonnés en trilobes et culs-de-lampe formés par une figure grotesque. Au-dessus de cette porte, une tour carrée en pierre, à baie divisée par des meneaux flamboyants ; surmontée d'une flèche également à jour, avec crochets aux rampants. A l'intérieur, la charpente présente des entraits à têtes de crocodile ; des sablières sculptées en partie d'enroulements, fruits et figures grimaçantes. Les armes de Bouteville décorent les vitraux, les sablières, ainsi qu'un autel en pierre. Un vitrail porte la date de 1530. Le Pardon de St-Hervé, qui a lieu le dernier dimanche de septembre. présente un aspect tout particulièrement original : les hommes s'y rendent à cheval et font ainsi trois fois le tour de la chapelle, tête nue et le chapelet en main. Cf. Abbé GUILLOTIN DE CORSON : Les Pardons et Pèlerinages de Basse-Bretagne, 1ère partie, pp. 259-262. — ROSENZWEIG : Répertoire archéologique du Département du Morbihan]. On les voit également à la fontaine St-Antoine. Bouteville mourut dans son abbaye en 1536, et fut enseveli à la salle du Chapitre. Au cours des travaux de restauration, le 30 novembre 1875, on retrouva sa pierre tombale, qui a été sottement mise en pièces pour faire des marches d'escalier. Elle portait une croix pattée et trois écussons semblables : d'argent à cinq fusées, de gueules en fasce, qui est de Bouteville. — (L'abbé Guillotin de Corson — Visite à Langonnet, juillet 1890. Extrait de L'Echo de Bretagne, et l'Eclaireur, journal de Rennes, N° 163, du 22 août 1890).

L'établissement de la Régale aura pour conséquence de hâter la décadence des institutions monastiques au cours des siècles qui vont suivre, mais il faut bien reconnaitre que la désorganisation avait commencé son œuvre depuis longtemps déjà, même sous le régime des abbés réguliers. Le mal était dû à deux causes principales : la collation des bénéfices, qui était devenue un véritable abus, et les guerres continuelles qui désolaient la Bretagne et la France entière. Le pillage, par les bandes armées, causa la désolation des abbayes, et la misère engendra le relâchement. A ce sujet, laissons parler un auteur cistercien demeuré anonyme :

« L'ordre de Cisteaux, si célèbre par toute la Chrétienté, s'est maintenu dans l'étroite observance de la Règle pendant plusieurs siècles, jusqu'au temps qu'il a fallu cesser de tenir les Chapitres Généraux, a cause du malheur des temps et des guerres qui ont chassé les religieux de leurs monastères, établis dans les vallées écartées et inhabitées et dans des marais, rendus enfin praticables par le travail opiniâtre des religieux. Sans voisins, sans secours et sans défense, il furent obligés de se disperser et de chercher des asiles, après avoir vu leurs maisons pillées, brûlées et en ruines, par le soldat qui était alors sans discipline.
Les religieux qui survécurent à ces désastres, reprirent-ils, de retour dans leurs monastères, leur première ferveur ? Ceux qui voulurent s'y remettre eurent-ils beaucoup d'imitateurs ? Le nombre des religieux était diminué par les maladies, occasionnées par les fatigues qui accompagnent les fuites forcées et toujours prolongées.
Il a donc fallu user d'adoucissements et de mitigations, à cause de ceux qui étaient épuisés, exténués, et de là est provenu la différence des observances, ce qui au reste ne doit pas surprendre dans un si grand Ordre.
Les monastères retablis, il survint en France d'autres guerres encore plus déplorables : c'étaient des guerres de religions et des guerres civiles, et, par surcroît de malheur, les abbayes tombèrent en Commende. Les abbés commendataires voulaient tous avoir celles qui estoient proches de chez eux, pour, en jouissant de tout le revenu, faire bourse commune avec leurs parents qui les obtenaient pour leurs enfants.
Ces guerres finies ou ralenties, les abbés réguliers auraient rappelé les religieux et rebâti leurs maisons, mais l'intérêt des commendataires était de laisser dehors ceux qu'ils auraient été obligés de nourrir et d'entretenir, s'ils les avaient rappelés... »
— (« Petit abrégé d'un mémoire latin concernant le régime de l'Ordre des Chartreux » — Arch. Nat., L. 747).

Cette dernière observation nous donne la raison du petit nombre de religieux dans les vieilles abbayes de France. L'abbé commendataire les réduisait au strict minimum, en vue de diminuer les charges et d'augmenter sa part de revenu. Quelques-uns même avaient en vue d'éliminer finalement les pauvres moines, pour se faire adjuger par le roi leurs propriétés devenues biens vacants.

Il ne faut pas oublier que, durant tout le XIVème siècle, outre les guerres incessantes qui désolaient le pays, l'Eglise et les institutions religieuses eurent encore à souffrir des cruelles dissensions causées par le grand schisme d'Occident. La lutte entre papes et antipapes, la politique des princes, qui passaient au gré de leurs intérêts d'une obédience à l'autre, ne pouvaient que jeter la perturbation dans les esprits et la dissolution dans les monastères, puisqu'on ne savait plus à qui obéir.

Le Nomasticum cisterciense, qui est un document officiel, nous expose en ces termes ce qu'il appelle : Causœ collapsus Ordinis Cisterciencis. (Pars IV. P. 561).

« Quot et quanta clades omnisque generis calamitates durante quarto decimo sœculo, populum christianum universamque ecclesiam profligarunt, omnibus notum est. Sœculum plane ferreum quo bello, peste, fame simul sœvientibus, in monasteriis dirutis vix guident supererant monachi sub claustris fatiscentibus errantes, pauciores numero nimiaque rerum inopia afflicti, ut divino servitio observantiœ Regulœ et disciplinœ legibus possent vacare. Adde quod superioribus, monasteria visitandi aut si visitarent malis obstruentibus providendi, vel durante prœsertim schismate, congruentia offerendi remedia, facultas erat adempta.
Inter multiplices autem ex hujus lugendi schismatis ortos abusus, prœcipuus sane fuit luctuosisimus utpote desperatus, hœc status monastici lepra, Commendœ nomen quasi per antifrasim sortita, quœ, faventibus ecclesiœ perturbationibus, ulceris instar serpsit et quamplurima ordinis cisterciensis, usque dum, ab illa peste immunis, monasteria ita infecit... »
.

Une situation aussi désastreuse n'était point sans préoccuper les pontifes romains, ainsi que nous le voyons dans la Bulle : Cura Nobis du pape Sixte IV, donnée le IV des Ides de mars 1475 ; mais il était plus facile de constater le mal que d'y apporter remède, et les moyens employés par Léon X ne firent que l'aggraver.

« ...Tamen ab aliquibus temporibus citra (sicut veridica relatione accepimus) monasteria et loca ejusdem ordinis, quæ nonnullæ personnæ ecclesiasticæ seculares et regulares, ex concessione et dispensatione Sedis apostolice in commendam obtinent, in eorum ædificiis et structuris ruunt ; illorumque bona mobilia et immobilia, necnon fructus reditus et proventus dissipantur.
Regularis observantia in illis, sicut deceret, non observatur, officium divinum non solvitur, monachi instituti numero non sunt sufficientes et existentes victum et vestitum non habentes ut deceret, (proh dolor !) ab obedientia superiorum suorum retrahuntur ; ordo, monasteria et loca hujusmodi confunduntur et non modica patiuntur detrimenta ; in ipsius ordinis illusionem, divinæ Majestatis offensam ac perniciosum exemplum et scandalum plurimorum »
. — (SEJALON HUGO, Nomasticon cisterciense, Solesmes, 1892, p. 502).

Il faut bien avouer que les causes de la décadence n'étaient pas toutes extérieures, et que le régime monastique lui-même subissait les conséquences de désordres plus intimes. Les bénéficiers avaient tracé la voie et, quand la Régale fut établie, les monastères étaient déjà bien déchus de leur régularité primitive et fort démunis de personnel.

Quelques considérations empruntées à Dom Besse nous feront mieux comprendre leur situation à cette époque.

Dans le principe, les abbés étaient élus par les membres de leur communauté, sauf le cas de fondation ; le choix du 1er abbé appartenait alors au fondateur. Telle était la règle générale. Mais les possessions monastiques, les prérogatives seigneuriales attachées à ces biens et la situation des monastères dans la société, engendrèrent peu à peu des confusions qui compromirent gravement la liberté des élections. Les abbayes partageaient en cela le sort des évêchés. Les princes, les rois et les empereurs s'attribuaient le droit de les confirmer comme des seigneuries laïques. Les libertés de l'Eglise se trouvaient ainsi sacrifiées : le temporel s'imposait au spirituel.

Cédant au besoin de se créer des ressources indispensables, les souverains pontifes usèrent du droit de Réserve, qui leur permettait de conférer directement une supériorité, sans se préoccuper du choix des moines. Cet usage se développa surtout pendant le séjour des papes en Avignon.

Ainsi, dès le XVème siècle, les abbés étaient parfois nommés par le pape directement, ou désignés, recommandés aux suffrages des moines par les puissances temporelles. Souvent les nominations se faisaient sans l'assentiment, au moins apparent, des moines que l'abbé était appelé à diriger.

Les communautés elles-mêmes subirent des influences extérieures et injustifiables. On les vit porter leur choix sur des indignes et des incapables. Les préoccupations surnaturelles et élevées s'effaçaient devant les soucis administratifs et le désir de se concilier la bienveillance des Grands. Les abbés devenaient de plus en plus des seigneurs monastiques, beaucoup moins monastiques que seigneurs [Note : Introduction à la France monastique de Dom Beaunier (1905) et Dictionnaire de Théologie catholique, Tome II, col. 2532].

Lorsque l'usage des réserves apostoliques se fut répandu, le souverain pontife nomma directement aux abbayes et aux prieurés. Il choisit parfois des religieux d'autres ordres ou même des membres du clergé séculier ; les réguliers obtenaient la permission de passer dans l'Ordre auquel appartenait leur monastère ; les séculiers faisaient leur profession religieuse avant de recevoir la bénédiction abbatiale. Ces abbés prenaient en mains le gouvernement de leur communauté. On ne peut les confondre avec les commendataires. Tels furent, à Langonnet, les derniers abbés réguliers : Henri et Vincent de Kergoët, Yves de Bouteville. Balthazar Turinus de Piscia est un Bénéficier nommé par le pape, et Laurent de Bonacourcy, le premier commendataire, choisi par le roi de France.

(Albert David).

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