Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

LES DERNIERS ABBES COMMENDATAIRES DE L'ABBAYE DE LANGONNET

  Retour page d'accueil      Retour page "L'abbaye de Langonnet"   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Les derniers abbés commendataires : de Lesquen, Conen de Saint-Luc et Chevreuil. (1754-1792).

Monsieur de Marbeuf eut pour successeur François-Pierre de Lesquen, licencié-ès-Lois, fils de François, sieur de la Ménardaye, paroisse de Créhen, qui fut Major des milices entre la Rance et l'Arguenon. Sa mère s'appelait Claude-Yvonne Le Bouétoux de Lambaudaye. Né en 1700, François-Pierre était le second de dix enfants [Note : L'abbé de Lesquen appartenait à la branche cadette et non à la branche aînée qui signait de l'Argentaye. Les Lesquen de la Menardaye portent « De gueules à l'épervier d'argent, la tête contournée, membré, becqué d'or, surmonté d'un croissant tourné aussi d'or, accompagné de trois molettes de même, 2 et 1 »]. Nous le trouvons curé de Guiscriff (1736-1746), puis de Crozon (1747-1764 ) et vicaire général de Quimper. A l'âge de 49 ans passés, il obtint des dispenses « pour subir, devant la Faculté de Droit de Rennes, les examens et soutenir les actes nécessaires pour les degrés de Bachelier et de Licencié en Droit civil et canonique, sans être obligé de s'assujettir au temps d'étude et de garder les interstices requis par les édits et déclarations ». — (Lettres Patentes enregistrées au Parlement de Bretagne. Reg. 38 bis, fol. 194. — 16 juillet 1749).

Le 2 août 1754, il signe sur le registre paroissial de Gourin : l'Abbé de Lesquen, vicaire général. Il venait, en effet, d'être pourvu de son abbaye et il avait dû payer pour l'expédition de ses Bulles 2.575 livres. En vertu du bail conclu avec les moines, ceux-ci lui versaient 4.000 livres par an ; plus une pension de 2.000 livres à un certain sieur de Champlain ; mais les décimes demeuraient à la charge de l'abbé. On lui a rendu ce témoignage que « l'intérêt ne troubla jamais la concorde et l'union qui a toujours régné entre lui et les religieux ». Le 27 mai 1765, il fut nommé chanoine de la cathédrale Saint-Pierre de Rennes et prit possession de sa prébende, le 2 octobre suivant. (Pouillé de Rennes. I. p. 211).

Le 1er septembre 1762, il figure à St-Etienne de Rennes comme parrain d'une petite nièce, Françoise-Hélène Gilette de Kernezne de Pennanech [Note : Ange de Lesquen (1732-1784), Directeur général des Postes et Tabacs de Bretagne. avait épousé, en 1732, Gilonne Seman ; d'où Jeanne, Dame de Kernezne de Pennanech].

L'abbé de Lesquen décédera à Rennes et sera inhumé, le 26 oct. 1765, dans le caveau de la cathédrale, Le Mercure de France, annonçant sa mort, dit qu'il était « Commissaire Provincial de la Chambre des Décimes ». Il avait fait partie, en effet, de la Commission intermédiaire nommée par les Etats de 1759. (Rennes, C. 3, 815. Registre — Archives du Parlement).

Sous l'administration bénévole de M. de Lesquen, le Prieur Dom Lucas déploya toute son activité à la continuation des travaux déjà entrepris. En 1755, du 16 au 20 octobre, eut lieu l'inspection des bois, par François de La Pierre, chevalier, baron de la Forest, Quoilibivet et Sebrevet, seigneur de Saint-Nouan, Kernivinen et autres lieux, Conseiller du Roy en ses Conseils, Grand-Maître enquêteur et Général Réformateur des Eaux-et-Forêts de France, au Département de Bretagne, et grand Veneur de la dite Province. Après avoir établi le quart de Réserve, le Grand-Maître divise les trois autres quarts en 25 parties ou coupes ordinaires, de chacune 30 arpents, 8 perches et 150 pieds carrés. La partie réservée, contenant 64 arpents, 69 perches et un quart, formait un canton de la Forêt de Conveau, appelé « Le Paradis » [Note : Arch. Finistère. Eaux-et-Forêts de la Maîtrise de Carhaix, Série B, 17.17]. Un arrêt du Conseil, du 18 mai 1756, ordonna la mise aux enchères de 200 arpents dans les bois de Conveau, pour que la valeur fût employée au remboursement de la somme de 12.000 livres que les dits religieux avaient été obligés d'emprunter ; au payement de celle de 9.955 livres due à l'entrepreneur des ouvrages, faits en la dite Abbaye, en vertu d'arrêt du Conseil du 22 février 1735 ; à la perfection de deux bâtiments commencés ; au rétablissement d'un pavillon incendié ; à la construction de deux ponts et au nétoyement d'une rivière qui traverse le jardin de la dite Abbaye ; à l'achat de deux ornements complets ; et le surplus du dit prix, autant qu'il pourra suffire, à payer le restant des ouvrages à faire à l'Eglise, aux bâtiments et dépendances de la dite Abbaye, mentionnés au devis estimatif du 25 mai 1750.

Le devis du 25 octobre 1756, qui confirme le précédent, ne compte pas moins de 107 articles et l'expert a vaqué, sur les lieux, depuis le vendredi 15 octobre jusqu'au lundi 25 du dit mois [Note : Etat et devis des ouvrages et réparations à l'Eglise et aux bâtiments réguliers, métairies et moulins de l'Abbaye de Langonuet, par J.-B. Robert, géomètre-expert, désigné par le baron de la Forest, Grand Maître des Eaux-et-Forêts de Bretagne, en exécution d'un Arrêt du Conseil du 18 mai 1756. — Parlement de Rennes, B, Eaux-et-Forêts].

« L'église, qui a été déjà réparée, est appuyée par onze contreforts ou piliers boutants. Après réfection de trois toises de la côtière sud et réparation du transept nord, on placera, à la façade, un Portique d'ordre composite, avec pilastres, corniche et fronton, en forme de chevron brisé au-dessus, qui aboutira dans la grande croisée du pignon ; devant la dite grande porte, un perron en octogone, de deux marches de pierre taillée. Au-dessus de la sacristie sera établie une salle des Archives, avec douze armoires à compartiments en bois de châtaigner. Outre les ornements énumérés, l'entrepreneur devra fournir un encensoir en argent, 400 livres, deux calices de 300 livres chacun, un ciboire de 300 livres de valeur. L'ancienne lampe d'argent, estimée 300 livres, sera remplacée par une autre dans le nouveau goût.

Le Cloître, bâti à l'Italienne en 1738, est voûté en tuffau, et pavé au-dessus de pierre de taille que les eaux traversent en pourrissant la voûte ; pour à quoi remédier, le dessus du dit cloître sera totalement couvert de plomb d'une épaisseur convenable, posé sur le dit pavé de pierre de taille, laquelle couverture de plomb joindra bien les murs qui font le quarré du dit Cloître. (Il avait 13 toises, 5 pieds sur une face et 2 toises 5 pieds sur l'autre). Au milieu de la Cour Régulière, une pompe de pierre de taille, avec un bassin transporté de la basse-cour ; on établira une conduite en pierre de taille — longue de 120 toises de 8 pieds chacune (320 m. environ) — pour amener l'eau de la Fontaine St-Antoine. La canalisation sera faite de pierres de 2 à 3 pieds de long et plus s'il se peut, creusées en demi-rond, de 6 pouces de profondeur sur 5 de large, emboîtées et recouvertes de pierres plates.

Au Pavillon du Bâtiment des Hôtes, sera fait un escalier à noyau, composé de deux rampes, chacune de 14 marches, avec un pallier, lequel sera placé dans le corridor de l'entrée du dit Pavillon, par la Cour. A la porte d'entrée du cloître sera fait un grillage de fer et de serrurerie à deux battants, avec un dormant au-dessus, surmonté de fleurons et feuilles de refend, avec les armes de l'Abbaye au milieu.

Le Pavillon, incendié en 1748, joignant le Pont-levis, sur le premier bras de la rivière, sera reconstruit. Réfection du Pont-levis en bois, sur piliers en pierre de taille. Au jardin, les ponts de pierre de taille, mentionnés dans le devis du 25 mai 1750, ont été faits en bois aux frais et dépens des Religieux, attendu le retardement de l'arrêt du Conseil, et que les anciens ponts de bois étaient entièrement ruinés et qu'on ne pouvait plus y passer sans risque. Reconstruction de colombier dans la même champ où était l'ancien, de forme ronde, de 24 pieds de hauteur et de 24 pieds de diamètre, de dehors en dehors, avec murs de moëllon de 3 pieds d'épaisseur.

On placera trois grandes portes à deux battants : la première à l'entrée de l'Abbaye, par le Pont-levis du côté de Vannes ; l'autre à l'entrée, du côté de Quimper, et la troisième à l'entrée de la Cour appelée des Noyers ».

Le devis énumère en détail divers autres travaux d'entretien et de réparation aux métairies de Quellenec, Larlay, Parc-Alix ; au Moulin à seigle (à un quart de lieue de l'Abbaye) ; puis aux dépendances du Bourg de Langonnet : moulin, four banal, Maison et Auditoire, qui se trouve dans la cour du susdit bâtiment. Un arrêt du Conseil, du 18 août 1756, autorisa la vente de 200 arpents dans les Bois de Conveau, qui produisit une somme de 150.000 livres. Après qu'on eut remboursé un emprunt de 12.000 livres et payé à l'entrepreneur un arriéré de 9.955 livres, le surplus fut destiné à la continuation des travaux estimés 84.000 livres. Adjudication en fut faite, le 15 octobre de la même année, au sieur Jacques Moreau de Maligny ; mais l'entrepreneur n'était point pressé et, deux ans plus tard, (11-19 avril 1758), il fallait procéder à la vérification des travaux, que les moines avaient exécutés par leurs propres moyens et poursuivre le dit entrepreneur pour malfaçons et manœuvres frauduleuses [Note : Estimation des ouvrages et réparations faites par Messieurs le Prieur et les Religieux... depuis le procès-verbal du 25 mai 1750 et celui du 15 octobre 1756. Adjudicataire, Jacques Moreau de Maligny, résident à sa terre de Hély du Moreau, près de Lorient, paroisse de Quéven. qui a pour caution le sieur René Arneau l'aîné, résident à la ville de Lorient, paroisse St-Louis]. Le procès traîna en longueur, puisqu'il était encore pendant, huit ans plus tard, lorsque Conen Saint-Luc prit possession de l'Abbaye (1766).

L'expert vérificateur, Clément Martinet, architecte à Lorient, déclare, en 1758, que l'adjudicataire sera tenu de rembourser aux dits Messieurs de Langonnet, la valeur des ouvrages et réparations par eux faites, depuis le dit procès-verbal de 1750 jusqu'au dit jour de la dite adjudication. Ces travaux sont estimés à 2.116 livres, 2 sols et 7 deniers. Il y est question de réparations faites aux deux chambres hautes du Pavillon des Dames ; au Pavillon du Pont-levis, au midy de la dite abbaye et donnant sur le dit jardin et rivière, lequel Pavillon avait été incendié ; le Pont-levis a été refait à neuf, ainsi que les deux ponts du jardin. On signale un talus et clôture du côté de la Tannerie ; quelques réparations à la Grande Maison du Bourg et à l'Auditoire, etc... Le 8 mai 1765, il fut dressé procès-verbal, sans-doute pour la réception des travaux récents exécutés à cette date. (Rennes — Arch. du Parlement. Eaux-et-Forests).

En 1760, M. de Lesquen rend aveu pour les possessions de la Baronnie de Rostrenen ; puis il se trouve entraîné dans toute une série de procédures, d'abord avec le sieur Moreau, puis avec les Augustins de Carhaix (1761) et avec le Prince de Guéméné ( 1763). La mort vint le soustraire à tous ces conflits, le 10 octobre 1765.

Dans une requête au Roi, du 26 août 1772, contre Conen de Saint-Luc, les Religieux exposent leurs griefs au sujet des malfaçons de l'entrepreneur :

« Malheureusement pour les suppliants, le sieur Moreau, adjudicataire des réparations, ne se conformait à son adjudication que dans la partie qui l'autorisait à toucher. En novembre 1761, il avait touché 42.170 livres, et il avait fait très peu d'ouvrages, et ceux qu'il avait faits étaient défectueux. Les suppliants requirent une descente de justice pour faire constater le peu d'ouvrage qu'il avait fait ; cette descente se fit au mois de janvier 1762 ; les plaintes des suppliants furent trouvées justes ; le Grand-Maître et les officiers de la Maîtrise particulière, établie à Carhaix. jugèrent que l'adjudicataire avait déjà touché une somme de 23.050 livres au-delà de l'appréciation qui lui fut faite, par les experts, des ouvrages faits ou commencés ; ils déclarèrent défectueux la majeure partie des ouvrages faits. En conséquence, ils ordonnèrent que le sieur Moreau donnerait un renfort de caution, qu'il referait partie des ouvrages et constaterait l'emploi des 23.050 livres, dont il était jugé en arrière, avant de toucher à aucun autre terme de l'adjudication.
Le sieur Moreau appela de ces jugements; son appel fut évoqué au Conseil du Roi par un Arrêt du 18 octobre 1763, et l'affaire fut renvoyée à la Grande Chambre du Parlement de Bretagne. La cause fut mise au rôle, mais elle ne put avoir son tour et fut appointée. Les suppliants se hâtèrent de la mettre en état de leur part.
En 1766, le procès fut distribué au sieur de la Bourdonnaye de la Bretêche, actuellement Président au Parlement de Paris ; les suppliants le firent conclure ; le sieur de la Bretêche vit le procès, mais il s'en déporta, ne voulant pas, dit-il opiner à mort contre le sieur Moreau, dont les faux avérés méritaient le dernier supplice. Depuis ce temps, les circonstances ont fait passer, suivant distribution, le procès en question à plusieurs Conseillers de la Grande Chambre ; le sieur Dupont Deschevilly en est maintenant le rapporteur (1772) ; ce magistrat, chargé de bien d'autres affaires, n'a pu encore examiner celle des suppliants »
.

Bref, nous ignorons comment se termina le procès, si toutefois il eut une fin.

***

L'abbaye de Langonnet prétendait que les Augustins de Carhaix étaient en quelques sorte ses vassaux, pour une maison à eux léguée par Amice Le Louarne, et qu'elle détenait cette mouvance de temps immémorial, c'est-à-dire du temps de sa fondation. Les Augustins répliquaient que l'aveu de 1683 ne parlait que de rentes annuelles simples et non féodales ; il n'y était nullement question de leur communauté. D'ailleurs, l'Abbaye de Langonnet ne pouvait détenir de fief dans la censive de Carhaix, qui relevait tout prochement du roi.

Les Bernardins se basaient sur un jugement de 1673, condamnant le sieur Dagorn à leur fournir aveu pour une maison sise rue Cras-Lochon, en la ville de Carhaix, et sur la soumission du sieur Daniel, 18 décembre 1758. Le procès tira en longueur, d'abord entre l'abbé Pierre de Lesquen et le Prieur des Augustins Gouéric de Maillefeu, puis entre leurs successeurs, de 1761 à 1777. Finalement les bons Cisterciens se virent déboutés de leurs prétentions et condamnés aux dépens.

Le Mémoire de leur avocat, Me Dagorne de la Vieuxville, expose en ces termes la cause du conflit :

« Du fief de Langonnet relève prochement un certain terrain situé aux censives de la Ville de Carhaix et sur la position, et l'étendue duquel on ne peut aucunement équivoquer, puisqu'il se trouve cerné par quatre chemins ou rues conduisant à la même ville.
Ce terrain formant un islot pour ainsi dire quadrangulaire, se trouve couvert de différents édifices, cours, jardins et vergers possédés, sçavoir : une partie par les Augustins de Carhaix et les héritiers de la Demoiselle Dubois, veuve du Dézert, à la charge de payer à l'Abbaye de Langonnet deux boisseaux de froment de rente féodale. Une autre partie par l'Hôtel-Dieu de Carhaix, à la charge de payer une pareille rente de deux boisseaux de froment. Une troisième portion par le sieur Périgot de Ker-Lucas, à la charge de payer une pareille rente féodale d'un boisseau de froment ; et enfin une quatrième portion, par le sieur Daniel, à la charge de payer 22 sols monnaie, aussi de de rente féodale »
.

Ce fut donc pour se faire rendre aveu des différentes parties de ce terrain, payer les rentes ci-devant mentionnées et les droits féodaux, que l'abbaye de Langonnet assigna, dans la juridiction de Carhaix, en 1758, les Augustins de cette ville, la Demoiselle Dubois, veuve du Dézert, l'Hôtel-Dieu de la même ville [Note : L'Hôtel-Dieu N.-D. de Grâce, fondé en 1663, était desservi par les Dames Augustines (Chanoinesses régulières hospitalières de la Miséricorde). Établies tout d'abord au Prieuré St-Antoine, à 1 kilomètre de la ville, elles prirent ensuite la direction de l'Hôpital Ste-Anne, gouverné par des administrateurs et des Dames Pieuses. Cfr. R. PIACENTINI : Les Chanoinesses Régulières de Vannes-Malestroit (1935)], également le sieur Daniel, et, en 1760, le sieur Périgot de Ker-Lucas.

Il s'agissait en fait de quelques boisseaux de froment, qui coûteront bien cher aux Bernardins. Le sieur Daniel s'était soumis, le 18 décembre 1758, s'obligeant à satisfaire également dans la suite, après avoir acquis les droits du sieur de Ker-Lucas. Déboutés à plusieurs reprises, dans leurs autres prétentions, les religieux de Langonnet interjetèrent appel à la Cour de Rennes, qui finit par les condamner à tous les dépens.

L'avocat des Augustins, Me Arthur de la Gautrais, est tout heureux d'annoncer cette bonne nouvelle à ses clients. Il écrit, le 2 mai 1777, au R. P. Louis, Prieur des Augustins : « Le 30 avril, à sept heures du soir, vous avès gagné votre procès contre vos bons amis de Langonnet, qui sont condamnés aux dépens de toutes les parties plaidantes. Je suis encore à deviner, ajoute-t-il, comment on a osé soutenir leur procès, aussy un des juges m'a-t-il dit qu'ils n'avaient pas eu une seule voix pour eux ».

Son collègue, Me Duparquet Louyer, se hâte de renchérir en félicitations : « En vous annonçant le jugement de votre procès, il m'est bien flatteur de vous déclarer votre triomphe. Vous ne fûtes jamais et vous ne serez point, Messieurs les Religieux de votre communauté, les humbles vassaux, ou, ce que l'on voulait plus, les très humbles serviteurs à titre onéreux des Doms et fastueux Abbé, Prieur et Religieux de l'Abbaye Royale de Langonnet ».

Il termine en ajoutant que les moines ont complètement perdu leur cause, « pour avoir voulu se rendre les émules de Sa Majesté même, et se rendre, par rapport à vous, d'autres petits rois, en usurpant ses droits peu chrétiennement ». L'arrêt définitif de la Cour de Rennes aurait dû faire comprendre aux Bernardins que le régime des privilèges touchait à sa fin et que les prérogatives féodales n'avaient plus cours en justice [Note : Archives de Finistère. 13, H, 29-30-31. Imprimés : Mémoire pour Langonnet, 1772. Addition. 1775. — Mémoire pour les Augustins, — Mémoire pour M. La Fontaine, 1776. — Archives de l’Ile-et-Vilaine — Imprimés : Mémoire pour les Augustins, appelants de la sentence rendue à Carhaix. 27 mars 1774. Secondes Observations pour l'Hôpital. Imp. Vve François Vatar, 1774. Arrêt du Parlement, 30 avril 1777. Arch. de l'Isle-et-Vilaine. Série L, 737].

Il ne semble point qu'ils l'aient compris. Toutefois, ce fut bien contre leur gré qu'ils se trouvèrent en conflit, durant une vingtaine d'années (1763-1783) avec les seigneurs de Guéméné, sur une question de mouvance. relativement à une tenue sise au village de Kerlan, paroisse de Plouray.

Son Altesse, Mgr Jules Hercules-Mériadec de Rohan, prince de Rohan-Guéméné, duc de Montbazon, etc... réclame l'aveu de Nicolas Perron et de Yves Prigent pour les droits qu'ils possèdent au dit village de Kerlan : qui, jusqu'ici, ont toujours rendu aveu aux Religieux de Langonnet comme tenus au cens féodal.

L'intendant du prince, noble Maître René-François Le Breton, sieur de Ransegat, avocat au Parlement, demeurant à Lorient, paroisse St-Louis, « par exploit du 1er février 1774, traduit en la juridiction de Guéméné pour fournissement d'aveu Nicolas Perron et Yves Prigent, du village de Kerlan, en la paroisse de Plouray ; et, par sentence évidemment surprise du juge de Guéméné, du 16 juin de la même année, les dits Perron et Prigent sont condamnés à rendre l'aveu demandé, quoiqu'ils maintiennent que le village de Kerlan relevait prochement de fief de l'abbaye de Langonnet, ce qui les a mis dans la nécessité de présenter leur requête au juge, le 28 juillet 1774, afin d'y appeler en avisagement Mgr le prince de Guéméné et les Abbés, Prieur et Religieux de Langonnet etc... ».

Les moines prétendaient ne devoir d'aveu qu'au roi :

« L'Abbaye est une fondation des ducs de Bretagne : tout ce qu'elle comprend relève du roi ; l'abbé et les religieux ne possèdent rien au-delà. Tel est le langage qu'on leur fait tenir et qui est appuyée du titre de leur fondation et de leurs aveux au domaine ».

C'est sur cette présupposition que, tout ce qu'ils possèdent aux paroisses de Plouray, Priziac, Ploërdut et Saint-Tugdual, ils l'ont par concession des ducs de Bretagne, leurs fondateurs...

« On convient avec eux qu'ils ont été fondés par les ducs de Bretagne et que tout ce qu'ils tiennent des fondateurs est passé dans la main du Roi qui les représente ; mais, ce qu'ils n'accordent pas avec la même bonne foi, est qu'ils se sont, par succession des temps, beaucoup étendus et que ce qu'ils ont acquis sous d'autres fiefs ne peut leur être entièrement dévolu, leurs aveux au Roi n'ont pu faire intervention de mouvevance : le vassal ne se donne pas, vassalus possidetur, non possidet. Que les religieux de Langonnet, faisant la foy et l'hommage à leur fondateur, ayent confondu, au dénombrement qu'ils ont fourny, la fondation et ses annexes, ne formeraient point obstacle au droit d'autruy, n'empêcheraient point de le revendiquer. Toujours il en faudra revenir au principe, toujours on distinguera ce qu'ils tiennent par concession du fondateur sous la domaine du Roy de ce qu'ils ont ultérieurement acquis sous d'autre fiefs, à quelque titre et par quelque voye que ce soit. Déjà il est certain que leurs possessions en Plouray relèvent de Guéméné ; les aveux qu'ils en ont rendus sont positifs, ils remontent à plus de deux siècles. Comment parviendrait-on à les effacer ? » (6 août 1778). — Archives de Morbihan, Série B, Liasse 2.920.

Les bons Bernardins pouvaient constater que la richesse ne fait pas toujours le bonheur, puisque la gérance de leur vaste domaine leur occasionnait tant de cuisants soucis. Mais, si leur cause était difficile à défendre depuis qu'ils avaient perdu leurs titres de fondation; d'autre part, la position de son Altesse Sérénissime devenait précaire et dut l'amener à conciliation.

Mgr Jules-Hercules-Mériadec de Rohan, prince de Guéméné, Duc du Montbazon, Pair de France, Lieutenant-Général des Armées du Roi, avait acheté, en 1777, la Baronnie de Rostrenen, pour 725.000 livres, dont 700.000 de principal et 25.000 de pot-de-vin ; mais, se trouvant dans l'impossibilité de payer au terme stipulé, il dut renoncer à cette acquisition, qui fit retour à la Duchesse d'Elbeuf, Innocente-Catherine de Rougé, marquise de Plessis-Bellière, baronne de Rostrenen et autres lieux, savoir : Glomel, Kergrist-Moëlou, Paule, Maël-Pestivien, Kerjean, etc...

N'ayant pas d'héritier, la duchesse d'Elbeuf vendit ses biens, le 28 avril 1785, à Messire Claude-François Gicquel, chevalier, compte du Nédo ; puis elle décéda à Paris, le 17 février 1794.

A cette époque, les Rohan-Guéméné se trouvaient en pleine déconfiture, par suite de faillite du prince Henri-Louis-Marie de Rohan, fils de Jules-Hercules-Mériadec. Ce fut une terrible banqueroute, qui suivit de près la démission de Necker, 19 mai 1781 : elle s'élevait à 38 millions, soit approximativement 500 millions de francs valeur actuelle (vers 1936). Parmi les déposants ruinés, il y avait nombre de petites gens qui avaient confié au Prince leurs modestes économies, laborieusement réalisées. Henri de Rohan était, à la Cour royale, Grand Chambellan et Capitaine des Gendarmes de la Garde ; sa femme, Gouvernante des Enfants de France.

***

S'il était trop souvent difficile aux Religieux d'avoir la paix avec leurs voisins du dehors, ils n'arrivaient pas non plus sans quelque peine à la maintenir dans le Cloître ; ainsi qu'on le verra par les trois épisodes suivants qui, au point de vue chronologique, se placent entre 1742 et 1770.

Les vocations se faisaient rares à cette époque, mais on voyait arriver parfois dans les Abbayes des fils de famille que leurs parents y envoyaient contre leur gré, avec l'unique souci de se débarrasser de leur entretien ou de les punir pour certaines incartades. C'est ce qui arriva, en 1742, à un garçon de Quimperlé, François Dargelos, qui exhale ses plaintes sur les pages de sa grammaire bretonne : [Note : Grammaire françoise-celtique, du P. GRÉGOIRE DE ROSTRENEN. Rennes, Julien Vater (1738). — Volume offert par Marie-Anne Durivaux au F. François Dargelos, quand il dut entrer à l'abbaye de Langonnet, le 21 mai 1742].

« Lacrymas fudi in Abbatia Nostræ Dominæ de Langonnet. Die XXII Maii 1742, hora 2a ».

Charles le Goffic [Note : CH. LE GOFFIC : L'âme Bretonne, 2e série. Paris, Champion (1908). — Une Idylle sur une grammaire Bretonne, pp. 79-86], qui nous raconte le fait, ajoute non sans raison : « Comment ne pas voir dans François Dargelos un de ces malheureux Kloer, que l'impertinence du siècle et l'inflexibilité de leurs parents poussaient à embrasser une profession qui exige le sacrifice entier de soi, et où c'est peu de toutes les vertus, des qualités les plus éminentes de l'esprit et du cœur, si l'on n'y est point appelé par la grâce et une vocation surnaturelle ? Dieu fait ses recrues lui-même ; il ne veut pour son service que des âmes libres, des dévouements spontanés. Ceux qu'il élit n'ont pas besoin qu'on les violente » [Note : En réalité, il ne s'agissait point, en cette affaire, d'une vocation forcée, mais d'une simple reclusion. Sous l'Ancien Régime, les couvents remplaçaient souvent la prison, par égard pour l'honneur des familles. Cfr. FUNCK-BRENTANO : Prisons d'autrefois. Flammarion, 1935].

C'est bien ce que pensait le Prieur de Langonnet, Dom Paul-François Perrin, docteur en Sorbonne. Il s'empressa d'ouvrir les portes à l'amoureux celtisant, qui put continuer ses colloques bretons avec Demoiselle Marie-Anne Durivaux.

Après cette idylle, un drame, ou presque... Ces fils de famille, égarés dans le cloître sans trop savoir pourquoi, étaient un fléau pour les Prieurs, qui n'avaient d'autre ressource que de s'en débarrasser par tous les moyens. Esprits turbulents, ils répandaient le trouble autour d'eux par leur propre inconstance, leur fatuité. Dom Lucas se trouva aux prises, en 1754, avec un de ces gyrovagues qui répondait au nom fastueux de Jean-Baptiste-Pélage de Labaret de Malzan. Religieux à l'abbaye de Prières et voulant se soustraire à la vie commune, ce moinillon avait prétendu que sa mère se trouvait dans le besoin et qu'elle l'appelait auprès d'elle, pour lui venir en aide ; on lui accorda 400 livres de secours pour la pauvre vieille. Mais cela ne faisait pas l'affaire de ce bon fils, qui franchit la clôture en 1743, fut arrêté par la Maréchaussée et mis en cage à St-Aubin-des-Bois. Dès qu'il eut purgé sa peine, les moines de Prières, avec l'agrément de l'Abbé Général de Cîteaux, résolurent de le faire passer à Langonnet.

Dom Lucas se souciait assez peu d'avoir en garde cet oiseau volage, que ses supérieurs qualifiaient d'apostat. Il préféra l'abandonner à son propre sort. Mais, en guise de remercîment, le sieur Malzan ne trouva rien de mieux que de le citer en appel comme d'abus devant les tribunaux de Rennes, 1755. On décida finalement qu'il serait hébergé chez les Carmes, qui n'avaient point la réputation d'être un Ordre trop sévère.

« Mais, Messieurs — plaide son avocat Me Guillard — pour empècher Dom Malzan de se présenter décemment dans le monde et de poursuivre ses affaires, le Prieur de Langonnet lui a fait remettre un paquet : c'est un choix de hardes usées, vrais rebuts de cellules, et qu'on daignerait à peine ramasser. Ce sont six chemises estimées, 7 livres et 10 sols ; deux culottes, dont chacune est estimée 20 sols, un mouchoir estimé 1 sol, une paire de bas de fil pour l'hyver, estimée 5 sols.
Il est vrai qu'au lieu de chemises, de mouchoirs et de bas, le Prieur lui envoye une paire de bottines, meuble bien inutile à Dom de Malzan, dans la maison des Carmes de Rennes, où vous avez daigné, Messieurs, lui marquer un asyle (1755) »
.

Tel est le ton humoristique du plaidoyer, qui s'efforce de rendre le fugitif intéressant par l'exagération de tout ce qu'il a dû souffrir dans les prisons de l'abbaye. (Voir le Dossier aux Archives du Finistère).

Les moines gyrovagues étaient sûrement indésirables, mais bien plus encore les politiciens, qui semaient le désordre partout, à cette époque où les idées nouvelles fermentaient dans le cloître aussi bien que dans le monde.

A l'abbaye de Langonnet nous trouvons, en 1770, deux fortes têtes de cabaleurs insubordonnés : Dom Martin et Dom Veller. Ce dernier est un fort curieux personnage, de qui la vie monacale fut assez peu édifiante.

Le sieur Pierre-Marie Veller, un Quimpérois, né en la paroisse St-Sauveur le 29 mai 1737, a été successivement clerc tonsuré, soldat, écrivain de marine, employé dans les Fermes de la Province de Bretagne et dans l'administration du contrôle. Après avoir dissipé tout son bien, en véritable enfant prodigue, il finit par se faire moine en 1765, à l'âge de 28 ans, pour trouver son pain cuit. Intelligent et dissimulé, il a su si bien cacher son jeu durant la période du noviciat, qu'il est admis à prononcer ses vœux le 2 février 1766. Mais, à peine a-t-il consommé son sacrifice qu'il lève l'étendard de l'indépendance et se révèle avec tout son caractère d'enfant terrible. L'abbé régulier de Prières [Note : C'était Dom Jean-Louis de Meaux, docteur en Sorbonne, nommé le 9 mars 1766, après le décès de Dom Abel Bolle, survenu le 4 février précédent, deux jours seulement après la profession de Veller], en écrivit à Dom Nicolas Fissier, Prieur de Langonnet, pour le supplier de le délivrer de cette recrue indésirable ; et, en le lui remettant, il ne put s'empêcher de lui dire, avec des larmes aux yeux : « Je suis bien touché de vous faire un si mauvais présent. Il nous a tous trompés ». A peine arrivé à Langonnet, le nouveau frère prétendit être le maître tout d'abord. Le bon Prieur procéda par voie de douceur et le choisit même comme sous-Prieur, mais il eut le chagrin de constater que son honnêteté ne pouvait réussir avec une caractère aussi dur que celui de Dom Veller. Ses remontrances fraternelles et ses corrections ne réussirent pas davantage à maintenir le fougueux personnage dans les devoirs de son état de vie. Sachant bien cependant qu'il lui était important de parvenir à la prêtrise, Veller demanda de faire ses études à l'abbaye de Bégard (1767), et, deux ans plus tard, il était ordonné à la Trinité, après avoir de nouveau trompé tout le monde, avec une très sincère hypocrisie. Aussitôt après, il reprit son ton arrogant et demande au Visiteur, à plusieurs reprises, son retour à Langonnet. Dans un accès de fureur, il sauta à la gorge du bonhomme, qui faisait quelques objections, et l'eût infailliblement étranglé, si les domestiques, accourant aux cris du Visiteur, ne le lui eussent arraché des mains (24 août 1769). Finalement, de retour à Langonnet et oubliant ce mot de saint Bernard : « Celui qui se proclame son propre maître est évidemment le disciple d'un sot », Dom Veller se regarde comme indépendant de la Règle : plus d'office, plus aucun acte de religion, nulle demande de permission pour les sorties. Les choses finirent par se gâter. Le 10 décembre 1770, Onfroy, brigadier de la Maréchaussée, en résidence au Faouët, se trouvait en tournée de service avec un de ses cavaliers. Le bon Prieur tout naturellement les pria à dîner, à la bonne franquette. Nos moines étaient hospitaliers et tenaient table ouverte [Note : Il leur arrivait même de recevoir par surprise des indésidérabies qui leur causaient des ennuis. — 1759-1760. — Procès-verbal d'ouverture, faite à l'abbaye de Langonnet, du cadavre d'un soldat du régiment de Berwick, mort pour avoir absorbé une trop grande quantité de liqueurs. — Arch. du Morbihan, B, 2.364]. Au cours du repas D. Veller et D. Martin, animés par un excellent vin de Bordeaux, se laissèrent aller à la chaleur communicative des banquets et lièrent conversation avec les agents de l'autorité, à tel point que leurs propres inconsidérés et quelque peu séditieux firent scandale. Les vertueux agents se virent dans l'obligation de les dénoncer :

« Après nous avoir fait quelques questions sur les différentes affaires dans lesquelles nous aurions pu nous trouver — écrit le brigadier — ils tinrent les propos les plus malsonnants, les plus déplacés et les plus hazardés, tant contre Sa Majesté que contre les Ministres et Généraux de l'armée. Tous furent traités avec les traits les plus envenimés, et, malgré les remontrances que je leur fis, ainsi que M. Le Prieur et ses autres Religieux, ils poussèrent leurs mauvais propos jusqu'à dire que si l'on voulait savoir et connoître le malheur de l'Etat, on n'avoit qu'à se transporter dans le Cabinet du Roi, et qu'on y trouveroyt bien clairement sa source. Ces deux religieux, qui ont caballé contre le Roi et l'Etat, ont dit encore en pleine table de leur communauté, en parlant du Roi : « Voilà un Néron ! Un Caligula ! ». Que les Ministres étoient, ainsi que tous les généraux de f... voleurs, et que, dans tous les Etats, il n'y avait que de f... voleurs ».

On était alors à la fin du règne de Louis XV et du ministère Choiseul ; il y avait bien sans doute quelques critiques à faire, mais pas en présence des gendarmes. Quelques jours plus tard, nos deux politiciens étaient arrêtés et faisaient connaissance avec la Bastille du Faouët. Martin fut enlevé de Langonnet, par ordre du Roi, le même jour que son compagnon : on ne sait où il fut envoyé. Quant au sieur Veller, après avoir joui de la paille humide dans les cachots de Sa Majesté, il se vit transféré à l'Abbaye de Villeneuve par Lettre de Cachet, en 1771, puis à celle de Bégard. Il est impossible de l'y garder : « ses révoltes continuelles, son inconduite, le mauvais exemple toujours plus dangereux dans une maison de Noviciat », le font transférer à Lanvaux. Il y montre un esprit de complète indiscipline ; il s'absente des semaines entières sans permission. « Sous le prétexte qu'il est sous un ordre du Roi, il refuse d'assister aux offices et ne dit pas la Messe. Il se prétend indépendant des Supérieurs, les invective grossièrement, les menace même de les assassiner. ». Finalement on dut l'enfermer chez les Frères des Ecoles Chrétiennes, au Sabot d'Angers, communauté particulièrement rigoureuse. Il y est envoyé par Ordre du Roi du 1er novembre 1778. Un autre ordre du 1er mars 1787 lui rend la liberté, mais à la condition de se rendre à Langonnet et de s'y tenir tranquille. Nous l'y retrouvons en effet, mais pas si tranquille que cela. En 1789, D. Veller est Procureur de l'Abbaye de St-Maurice à Carnoët ; sorti du cloître, l'année suivante, il se retire d'abord à Carhaix, où il prête serment, le 31 janvier 1791. Il est ministre du culte assermenté, à Poullaouen, en 1793 ; puis il se décide à abdiquer complètement le 7 juillet 1794 (19 Messidor, an II), déclarant « se démettre de toutes fonctions ecclésiastiques sans restrictions quelconques ».

Après une carrière passablement orageuse et tourmentée Pierre-Marie Veller achève son rôle de comédien, à l'âge de 59 ans, le 3 avril 1796 (13 Germinal an IV) en la bonne ville de Carhaix [Note : Archives d'Ile-et-Vilaine, C. 198 et 212. — Voir : DUPUY : La Bretagne au XVIIIème siècle (Bull. Société Académique de Brest, 1883-84, pp. 199, 201 et 202), et JEAN SAVINA, Le Clergé de Cornouaille à la fin de l'Ancien Régime, pp. 60 et 61. (Quimper, Jaouen-Bargain, 1926)].

***

Mgr CONEN DE SAINT-LUC (1766-1785).

Le triste régime de la Commende avait semé le trouble dans les communautés et accéléré la décadence des ordres religieux ; sous prétexte de réforme nécessaire, la Commission des Réguliers acheva de leur porter le coup mortel, et la Révolution ne fit que sévir sur des corps déjà réduits à l'agonie par les entreprises du Gallicanisme royal. On avait mis la cognée aux racines de l'arbre, qui croula de lui-même au premier souffle de la tempête. C'est l'Ancien Régime qui porte la responsabilité première et principale de la ruine monastique, en terre de France.

Le 23 mai 1766, le roi Louis XV, étant informé qu'il s'est introduit, dans les monastères des différents ordres Religieux établis dans son royaume, plusieurs abus également préjudiables à ces ordres mêmes, à l'édification des peuples et au bien de la Religion et de l'Etat, rendit en son Conseil un arrêt qui établissait une Commission, composée de Conseillers d'Etat et de membres de l'Episcopat, « pour conférer ensemble sur tous les abus qui se sont introduits dans les monastères... et sur les moyens les plus efficaces d'y remédier... et pour être par eux proposés à Sa Majesté tels règlements ou autres voies et moyens qu'ils aviseront bons à être pour le bien de la Religion, de l'Etat et des dits ordres ». C'est ce qu'on appelle la Commission des Réguliers.

Un autre arrêt du 3 juillet en détermine la composition. Son Président était Charles-Antoine de la Roche-Aymon, archevêque de Reims ; ses membres : MM. D'Aguesseau, Gilbert de Voisins, Lefèvre d'Ormesson, Joly de Fleury et Bourgeois de Boynes, Conseillers d'Etat ; de Jumilhac, archevêque d'Arles ; Phlypeaux d'Herbault, archevêque de Bourges ; De Dillon, archevêque de Narbonne ; de Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse ; ce dernier devait remplir les fonctions de rapporteur.

Ces illustres prélats, appelés à réformer la vie religieuse, n'étaient-ils pas eux-mêmes de gros Commendataires, qui avaient tout intérêt à vider les abbayes pour en acquérir la propriété définitive ? Le roi risquait de jeter les brebis dans la gueule du loup.

Outre le relâchement partiel de la discipline primitive et les abus dont parlait l'acte officiel, il y avait d'autres causes, d'ordre matériel, qui rendaient nécessaires une réforme des monastères : certains établissements étaient réduits à un trop petit nombre de religieux ; d'autres, par suite de l'abaissement de la valeur relative de l'argent, étaient dotés de revenus insuffisants pour faire vivre les religieux, que les Commendataires avaient pris soin de réduire à la portion congrue, sinon à la mendicité.

La Commission entra en fonction peu après sa constitution ; et, sans attendre même le résultat de ses travaux, le roi rendit, en mars 1768, un édit qui interdisait les vœux monastiques avant l'âge de 21 ans pour les hommes et de dix-huit pour les femmes ; défendait l'admission d'étrangers non naturalisés ; obligeait les monastères exempts de la juridiction des évêques à se soumettre à cette juridiction ; fixait la conventualité obligatoire à quinze religieux et un supérieur pour les Maisons réunies en Congrégations ; enfin interdisait dans les villes du royaume plus d'un monastère de chaque ordre, et plus de deux dans Paris.

Le nombre des établissements supprimés monta à 458, sur un ensemble de 2.966.

La Commission des Réguliers continua ses opérations jusqu'en 1780, et fut dissoute de la même manière qu'elle avait été créée, par un simple arrêt du Conseil, rendu le 19 mars. Animée d'un pur esprit gallican, cette Commission, destructive plus que réformatrice, tint le Saint-Siège complètement à l'écart des réformes entreprises et se heurta à l'opposition de l'Ordre monastique presque entier, quand elle voulut faire exécuter ses décisions. Des résultats généralement regrettables furent les conséquences de réformes mal conçues et rendues obligatoires par la seule puissance de l'autorité royale. — Voir LÉON LECESTRE, Abbayes, Prieurés et Couvents d'hommes en France, d'après les papiers de la Commission de Réguliers de 1768 (Paris, Picard, 1902).

Dans ce travail magistral de Léon Lecestre, les revenus sont marqués, après déduction faite des charges : décimes, rentes foncières, réparations d'immeubles, etc... Les chiffres ont été établis d'après les états remis aux Chapitres des ordres et d'après les indications fournies par les Evêques. Ils semblent plutôt être inférieurs aux chiffres réels.

Tableau comparatif des revenus pour les abbayes cisterciennes de Bretagne :

Langonnet, 8 religieux : 10.000 l.
St-Maurice, 7 religieux : 6.300 l.
St-Aubin-des-Bois, 6 religieux : 5.500 l.
Boquen. 3 religieux : 3.000 l.
Le Relecq, 12 religieux : 9.300 l.
Bégard, 10 religieux : 12.000 l.
Lanvaux, 3 religieux : 4.000 l.
Coëtmaloën, 6 religieux : 8.600 l.
La Meilleraie, 3 religieux : 6.500 l.
Bon-Repos, 8 religieux : 7.200 l.
Prières, 16 religieux : 8.520 l.

[Note : Papiers de La Commission. aux Arch. Nationales. G9 - 6 à 64. 59 liasses contenant notices historiques, états des Maisons et des Biens. — M. J. P. PICOT : Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique du XVIIIème siècle (1853-57), 7 vol. — Le P. PRAT : Essai historique sur la destruction des Ordres religieux en France, au XVIIIème siècle (1845). — CHARLES GÉRIN : Revue des questions historiques. Tomes XVIII-XIX et XXI. — PEIGNE-DELACOURT : Tableau des abbayes et monastères d'hommes, en France, à l'époque de l'édit de 1768 avec la liste des Abbayes Royales de Filles. Arras, Planque et Cie (1867), R. 52. Col. 2].

C'est Prières qui vint en tête, pour le chiffre du personnel avec 16 Religieux, contre 12 au Relecq, 10 à Bégard, 8 à Bon-Repos et à Langonnet, 7 à St-Maurice, 6 à St-Aubin-des-Bois et Coëtmaloën, 3 à Boquen, Lanvaux, La Meilleraie. Quant aux revenus, Langonnet vient au second rang après Bégard : 10.000 livres contre 12.000. A la même époque, Landevennec accusait 7.089 l. de revenu pour 7 religieux, et Quimperlé 4.523 livres pour 8 religieux.

***

L'Abbaye de Langonnet avait été déclarée vacante le 26 octobre 1765, quinze jours après le décès de M. de Lesquen. Un autre chanoine de Rennes, Messire Conen de Saint-Luc, fut nommé par Brevet de Sa Majesté Louis XV, à la date du 2 février 1766 ; nomination ratifiée par une Bulle de Clément XIII, donnée à Sainte-Marie-Majeure, le 6 mars de la même année. Le 10 avril suivant, le nouvel abbé prenait possession par procurateur [Note : Ont signé en la Minute : F. Nicolas Fissier, Prieur et porteur de la procuration ; F. Joseph-Th, Lucas ; F. Ollivier, procureur ; F. Félix Gautier ; F. L. Ragot ; F. Louis Humphrey, procureur de St-Maurice et religieux profès de Langonnet ; F. M. Le Floch, sous-Prieur de Prières ; R. Lediberder, recteur de Priziac ; Cozic, curé de Plouray ; Carel, notaire royal et apostolique, et Rustel, autre notaire royal et apostolique] ; mais, avant de solliciter ce bénéfice, le prudent chanoine était déjà venu, une année à l'avance, en mai 1764, inspecter le domaine et en faire l'estimation. Il reçut des Religieux 2.400 livres de denier d'entrée ; mais il lui fallut débourser, pour la délivrance des Bulles, 2.574 livres (66 florins 2/3) plus 108 livres de frais de fulmination et 120 pour le Brevet de Pension de M. l'abbé Boursoul, un autre Rennais, d'ailleurs très méritant. En outre, le nouveau Prélat était taxé à 1800 livres par an pour le tiers des Nouveaux Convertis, et il eut encore à payer, de ce chef, 340 livres pour les deux mois et huit jours compris entre sa nomination et sa prise de possession : au total la bagatelle de 3142 livres. La mense abbatiale était estimée à 5400 livres, soit 4000 nettes de tous frais : ce qui porte le revenu global de l'abbaye à 16.200 livres, puisqu'elle était taxée au Rôle des Décimes pour 1.057 livres. M. l'Abbé Boursoul jouissait d'une pension annuelle de 600 livres — réduite à 420 par les revenus — en vertu d'un Brevet du 2 février 1766. Une autre Pension de 2.000 livres allait à un sieur de Champlain, qui nous est inconnu.

***

Le bon abbé Boursoul (Joseph-Augustin) fut gardien de l'Hospice Saint-Yves de Rennes et prédicateur de renom. Il était né à Quimperlé, rue Ellé, le 22 juillet 1904. Après avoir étudié chez les Jésuites de Rennes, il entra au Séminaire, fut d'abord précepteur de Louis-René-François Porée du Parc (futur avocat général au Parlement de Bretagne, 1770) et enfin ordonné prêtre en 1730. Il avait favorisé la vocation de M. Mongondin, devenu dans la suite curé de St-Aubin de Rennes et syndic du Clergé [Note : Abbé CARRON : Modèles du Clergé, 2 vol. in-12. (Paris, 1787), — chez Morin, rue St-Jacques, à la Vérité, vol. I, pages 147-319. — Promenades à Quimperlé, (Clairet, 1893)].

Boursoul se rendit bientôt célèbre par ses prédications et mérita le surnom d'Apôtre de Rennes. Il se fit entendre avec le plus grand succès au Mans, à Vannes, à Lorient et dans plusieurs autres villes. Successivement aumônier, économe, puis Gardien de l'Hôpital St-Yves et Directeur des Maisons de Retraite ; il fonda, en faveur de l'Hospice, une place d'infirmier, moyennent 2.000 £, en 1761, et laissa une rente annuelle de 150 £ pour l'entretien d'un chapelain supplémentaire, 1772.

En 1774, âgé de 70 ans, il prêchait le Carême dans l'église de Toussaints. Il monta en chaire le lundi de Pâques, pour parler de la gloire et du bonheur des élus. Jamais il n'avait montré plus de vigueur dans son débit, quand il expira subitement, après avoir prononcé ces dernières paroles : « Non, mes Frères, jamais il ne sera donné aux faibles yeux de l'homme de soutenir ici-bas l'éclat de la Majesté Divine : ce ne sera que dans le ciel que nous le verrons face à face et sans voile... ».

Un enfant s'écria : « Il parlait du paradis et il y va ! ». Le surlendemain, 6 avril, le bon abbé Boursoul fut inhumé, suivant le désir qu'il en avait formulé, dans le cimetière de la Paillette, situé près du Mail et réservé aux pauvres de l'Hôtel-Dieu. Son corps fut rapporté plus tard dans la chapelle St-Yves, où son coeur est conservé.

L'abbé Boursoul fut un bénéficiaire méritant et désintéressé qui laissait un bel exemple.

***

L'abbé de Saint-Luc, à l'instar de ses prédécesseurs, s'empressa de consentir un bail à ses Religieux, qui s'engagaient à lui verser, chaque année, 4.200 £ ; mais bientôt il trouvera que ce n'est pas assez et leur cherchera chicane. Il reconnait que les Religieux furent toujours « les fermiers de leurs abbés, depuis que l'Abbaye est en Commende », mais il se plaint de leur négligence à faire les réparations nécessaires, oubliant toutefois que lui-même doit prendre part aux frais d'entretien des immeubles.

M. de St-Luc résidait à Rennes, en son Hôtel, Place du Palais, sur la paroisse Saint-Germain. Issu d'une famille noble, fils de Messire Toussaint-Jacques Conen, chevalier, sieur de Saint-Luc, qui avait épousé Jeanne-Marie Péan, Toussaint-François-Jacques était né le 16 juillet 1724 et fut baptisé le lendemain. Tonsuré à l'âge de sept ans — suivant la pratique abusive de l'époque — il entra chez les Jésuites, puis à Saint-Sulpice et fut ordonné prêtre. Il prit possession de sa prébende de chanoine le 16 mars 1750, à l'âge de 26 ans. Après sa résignation, il fut fait chanoine honoraire, en 1677, puis Abbé de Langonnet, l'année suivante. Sept ans plus tard, 2 mai 1773, il deviendra évêque de Quimper, tout en conservant son bénéfice. Les armes de la famille de Saint-Luc sont : coupé d'or et d'argent, au lion de l'un à l'autre, armé, lampassé et couronné de gueules, en enquerre. — Devise : Qui est sot, à son dam ! S'il y eut jamais quelque sot dans la famille, ce ne fut certes point celui-là.

Dans ses Mémoires, La Châlotais le met au rang de ceux qui ont travaillé à sa disgrâce, avec les Jésuites et l'abbé Boursoul. En 1770, à la date du 9 octobre, Conen de Saint-Luc fait partie de la commission des affaires contentieuses au Parlement de Bretagne. (Reg. C. 3. 176). La Châlotais se trouvait alors interné au Château du Taureau, près de Morlaix, depuis le 6 nov. 1765. [Note : La vie de Mgr de Saint-Luc a été écrite par son secrétaire, l'abbé Boissière. et publiée par Téphany, dans son Histoire de la Persécution Religieuse. Cfr. : Le Manuscrit de M. Boissière, publié par M. M. Peyron, Pondaven et Pereynès. — Brest, Presse Libérale, 1927].

Monsieur de Saint-Luc fut promu au siège de Quimper, le 2 mai 1773, et sacré à Conflans par Mgr de la Royère, évêque de Tréguier, le 29 août suivant. Le diocèse de Cornouaille avait de lourdes charges à supporter et, pour y faire face, le nouveau Prélat, non content de son revenu de Langonnet qu'il conserva une douzaine d'années, sollicita encore la mense abbatiale de Landévennec, en 1781.

Mgr Grossoles de Flamarens, transféré à Périgueux, n'avait fait que passer sur le siège de St-Corentin, de sorte que Messire de Saint-Luc succédait, de fait, dans l'administration du Diocèse à Mgr Farcy de Cuillé, mort en 1772, après 33 ans d'épiscopat. L'évêque-abbé fut, comme Mgr de La Marche, un protégé du duc d'Aiguillon. L'intervention du Commandant en chef en Bretagne était justifiée par les difficultés particulières auxquelles se heurtèrent, en ce pays, les agents du pouvoir central, en lutte incessante avec la noblesse Bretonne qui, en défendant les droits, privilèges et libertés de la Province, et, par suite, son autonomie, ne songeait guère qu'à sauvegarder ses propres privilèges de classe. La famille de Saint-Luc, il est vrai, n'était guère disposée à s'associer à ces manifestations pointilleuses d'une noblesse plus turbulente que désintéressée.

Le Président Gilles de Saint-Luc, l'un des Ifs du Parlement, avait subi à Rennes de telles vexations qu'il dut se résigner à une retraite prématurée. De son côté, et vraisemblablement pour les mêmes motifs, Mgr de Saint-Luc rencontrera, aux Etats de 1786, quelques désagréments [Note : Son historien nous apprend qu'à l'époque de l'affaire La Châlotais, l'abbé de Saint-Luc avait essuyé un coup de feu dans la rue].

C'est donc par la faveur du duc d'Aiguillon que M. de la Marche, d'abord abbé de St-Aubin-des-Bois (1764), fut promu à l'évêché de St-Pol, 27 juin 1772, et que M. de Saint-Luc, abbé de Langonnet, en 1766, passa à l'évêché de Quimper, 1er mai 1773. Nos vieilles abbayes étaient devenues des pépinières d'Evêques.

Une partie de la noblesse et des Parlementaires ne manqua point d'attribuer ces nominations à l'intrigue et à la faveur : « Une calomnie contre lui (Saint-Luc) disait qu'il aspirait à l'épiscopat et que c'était pour mieux y parvenir qu'il engageait son frère (Gilles) à tenir la conduite qu'il a tenue pendant les premiers troubles du Parlement de Bretagne ». Lettre adressée à M. Boissière par une religieuse de Rennes, le 11 février 1791. (Arch. Nat., W. 423). On oubliait sans doute volontairement le texte (le saint Paul : Qui episcopatum desiderat, bonum opus desiderat.

De fait, la nomination ne fut pas tout d'abord trop bien accueillie en Cornouaille, parce que la famille de Saint-Luc avait d'anciennes et fortes attaches avec les Jésuites, auxquels le nouveau Prélat lui-même témoigna toujours une bienveillance particulière.

Mais, à la longue, ces préventions tombèrent et la confiance naquit. Le trait dominant du caractère de l'évêque était la bonté, sentiment qu'il portait jusqu'à l'oubli total des injures. Cette bonté eut raison de toutes les hostilités et bientôt lui gagna tous les cœurs. A l'exception d'un conflit passager avec la franc-maçonnerie, Mgr de Saint-Luc ne s'occupa guère de politique. On sait qu'en ce temps-là, le roi Louis XVI lui-même et ses frères avaient donné leur adhésion à la Maçonnerie, qui avait de nombreux adeptes dans l'un et l'autre clergé. En 1776, il existait à Quimper deux loges, dont la plus prospère avait pour Vénérable l'abbé de Raymond, chanoine conseiller du Présidial.

L'évêque s'efforçait d'éviter toute querelle, même s'il devait en coûter à son amour-propre ; il avait horreur des conflits : « Je n'aime point les procès, disait-il, et la Providence permet qu'il m'en arrive tous les jours pour ainsi dire » [Note : Lettre du 3 février 1788. (Archives Nationales, W. 423)].

Il aurait pu ajouter, lui-aussi : Tous mes procès allaient être finis ; il ne m'en restait plus que quatre ou cinq petits !

Esprit conciliant, traditionaliste sans raideur, loyaliste sans ambition, ni ostentation, il ne fut guidé dans l'administration de son diocèse que par le souci des intérêts religieux, affirme M. Jean Savina. Il s'est peint tout entier dans ce vœu qu'il exprimait quelques mois avant sa mort : « Qu'on rende à Dieu son culte, au Roi son autorité ; je donnerais ma chemise ! » [Note : Lettre du 23 janvier 1790. (Même dossier.) Cfr. JEAN SAVINA : Le Clergé de Cornouaille, à la fin de l'Ancien Régime, pages 17-27].

Les Jansénistes, dont on connaît la particularité outrancière, lui reprochaient avec aigreur de favoriser les Jésuites et de propager la dévotion au Sacré-Cœur :

« Il est, disaient-ils, un des chefs des Cordicoles ; il en fait ouvertement, profession. L'on voit dans sa chambre une estampe du Sacré-Cœur, au bas de laquelle il a écrit, de sa propre main, l'acte votif, par lequel il s'est dédié et consacré à ce culte nestorien, aussitôt après sa promotion subreptice à l'Episcopat. On lit aussi dans l'Ordo ou Bref du Diocèse qu'il prie, désire, exhorte que chaque vendredi libre de l'année, tous les Ecclésiastiques, Chanoines et autres, fassent l'Office du Sacré-Cœur de Jésus, avec Mémoire de celui de Marie. Son confesseur lui représente cette dévotion comme l'une des plus essentielles à la Religion ; et le Prélat, qui ne sait pas même l'alphabet de la Théologie, n'a garde de penser autrement. Comme M. de Saint-Luc n'a point d'autres principes de Théologie, de Morale et de Piété que ceux de la Société à laquelle il est affilié, et qu'il les tient avec d'autant plus de confiance que, confessé par un ex-Jésuite, nommé le P. de La Tour, il n'en sait et n'en veut pas savoir davantage ».

La dévotion au Sacré-Coeur était traditionnelle dans la famille de Saint-Luc, et la propre nièce du Prélat, Victoire Conen de Saint-Luc, religieuse de la Retraite à Quimper, posera sa tête sur l'échafaud, pour en avoir été l'ardente propagatrice [Note : Voir : A. CROSNIERS : Vie de Victoire Conen de Saint-Luc, Paris, Beauchesne, 1919. — NOVA-FRANCIA : Victoire Conen de Saint-Luc].

Messieurs les Jansénistes étaient fort émus de ce que l'Évêque de Quimper, en 1780, avait fait donner une Retraite ou Mission aux officiers et soldats du Régiment de Neustrie, en garnison dans cette ville, et cela par des ex-Jésuites, les Pères Bouriquin, (plus connu sous le nom de Kerillis qu'il s'était donné), Pérès, Guilloux, etc.

« Ce Prélat était aux Etats de la Province, au mois de novembre, d'où il a dû se rendre à Paris en qualité de Député des Etats, parce que c'est son tour. Le séjour qu'il fera dans cette Capitale, et qui sera de deux ans selon l'usage, lui donnera tous les moyens, qu'il désire depuis longtemps, d'être utile de plus près à ses chers ex-Jésuites. Après avoir si bien réussi pour ses propres affaires, pourrait-il ne pas se flatter d'obtenir des succès avantageux pour les autres ? Au reste, comme il a seize grands-vicaires — pour un Diocèse d'environ deux-cent-cinquante tant paroisses qu'annexes — on a sujet d'être tranquille sur les inconvénients d'une si longue absence... ».

Si ces Messieurs du Parti ne s'inquiétaient pas trop de la fidélité à la résidence, ils se montraient plus chatouilleux sur le fait de la nomination de Mgr l'évêque de Quimper, qu'ils n'hésitaient point à qualifier de subreptice :
« On appelle subreptice l'élévation de M. de Saint-Luc à l'Episcopat, et cette expression demande à être expliquée. Tout le monde en Bretagne, s'accorde à dire que M. le Duc (d'Aiguillon) très reconnaissant des services que l'abbé de Saint-Luc et son frère, l'un des Présidents intrus au Parlement de Bretagne, lui avaient rendus dans l'affaire de M. de La Chalotais, sollicita pour le premier l'évêché de Quimper ; et que, après bien des difficultés de la part du Cardinal de la Roche-Aymon, qui n'avait jamais entendu parler de lui, il réussit enfin, en le faisant passer pour un ancien Grand-Vicaire de Rennes. Or, il est certain que l'abbé de Saint-Luc n'a jamais été Grand-Vicaire de Rennes, ni en cas de l'être ; et, cette qualité exprimée dans son Brevet et des Bulles, passa, aux sentiments de bien des personnes, pour une vraie subreption ». — (Nouvelles Ecclésiastiques, 13 février 1781).

***

Si le diocèse de Cornouaille avait de lourdes charges à supporter, qui contraignirent le Prélat à cumuler les bénéfices, suivant l'usage du temps, l'abbaye de Langonnet avait, de son côté, toujours besoin d'urgentes réparations. Comme Evêque, Mgr de Saint-Luc en convenait volontiers ; mais, comme Abbé, il laissait aux moines le soin d'y remédier à leurs propres dépens. Ils avaient dû effectuer par eux-mêmes les travaux les plus urgents.

Après la démolition du Cloître à l'italienne, — qui manquait sûrement de solidité, malgré sa belle apparence, — il fallut enlever toute la charpente de la chapelle, dont la voûte venait de s'écrouler, et fermer la nef par une cloison. On se décida, vers 1780, à reconstruire l'église, avec la sacristie et la tour, telles que nous les voyons aujourd'hui. Grâce à une sage administration, la situation financière était assez bonne, en 1783, pour permettre de prêter aux moines du Relecq une somme de 4.000 livres (Arch. du Morbihan, I, H. 4). Les dépenses énormes de la nouvelle entreprise occasionnèrent toutefois une autre vente de bois (1785). Malgré l'opposition de Mgr de Quimper, l'adjudication des coupes eut lieu à 129.700 livres et les travaux furent confiés au sieur Thalouarn, qui avait soumissionné à 112.000 livres, avec charge d'exécuter le devis dans le délai de huit ans. Les travaux seront à peine terminés avant l'expulsion des Moines.

Mais il était écrit que les Bernardins de Langonnet n'auraient pas de sitôt la paix avec leur seigneur Abbé. Adjudication faite des travaux, il restait, sur la vente des bois, une somme rondelette de 51.321 livres, entre les mains du Receveur Général des Finances. Les Religieux revendiquaient ce reliquat, dont ils avaient besoin pour les entreprises déjà prévues, tandis que Mgr de Saint-Luc le réclamait « pour l'employer, disait-il, à secourir le sieur de Saint-Luc, son frère, Président à mortier du Parlement de Bretagne, chargé d'une nombreuse famille ». Il se vit débouté de ses prétentions par un arrêt du Conseil du Roi, 14 septembre 1773. Cet échec ne le rendit pas plus conciliant. Certes, Mgr Conen de Saint-Luc fut un saint évêque ; mais il savait aussi se montrer un oncle très paternel, s'intéressant de tout cœur à l'honneur de sa famille. Sans pour cela le taxer de népotisme, on pourrait trouver qu'il exagérait quelque peu [Note : Gilles-René Conen de Saint-Luc, Président à mortier du Parlement de Bretagne, s'était retiré au Château du Bot, en Quimerc'h, près de Le Faou, en 1775, Marié à Marie-Françoise du Bot, il en avait eu six enfants : Victoire, religieuse de la Retraite à Quimper ; Angélique, qui épousa Toussaint de Silguy ; Félicité, mariée à Jean-Louis de Lantivy ; Euphrasie, née en 1765 ; Ange, né à Rennes, le 23 juillet 1767, et Athanase, né en 1769. Le père, la mère et sœur Victoire furent décapités ensemble à Paris, le 19 juillet 1794 ; Ange. fusillé après le désastre de Quiberon, au début d'août 1795 ; Euphrasie épousera plus tard Guénolé Le Saulx de Toulcancart. Athanase, qui avait suivi l'armée des Princes. revint en France à la Restauration. Plusieurs fois Préfet, puis député de Châtaulin. il décéda, à Quimper, le 30 mai 1844].

La famille de Saint-Luc possédait une réelle aisance ; en 1788, le Président figure au rôle de la capitation noble pour 150 livres, et il n'y a guère dans toute la Province que douze cotes seulement supérieures à ce chiffre. En 1790, madame de Saint-Luc écrivait à l'abbé Boissière, précisant le chiffre de ses revenus : « Il n'y a pas plus de 33.000 livres de rentes dans la Maison, avec les charges ». Il y avait des charges sans doute, mais cependant Jean Savina a raison de dire : « La famille de Saint-Luc était loin d'atteindre l'opulence du comte de Rochefeuille, du marquis du Gage, du marquis de Tinténiac, ou même la richesse des marquis de Cheffontaines et de Ploeuc ; mais, dans la hiérarchie des fortunes, les Saint-Luc voisinaient, en rang très enviable, avec les Saisy de Kérampuil, de Rosily, Euzénou de Kersalaün, de Keratry, du Couëdic, et de Moëllien ». — (Bull. Archéol. du Finistère, 1924, page 58).

Les démêlés de M. de Saint-Luc avec ses moines nous contraignent à revenir quelque peu en arrière sur les événements déjà racontés. Les Archives de L'Abbaye renferment sur ce point quelques pièces très explicites.

En 1766, le sieur abbé de Saint-Luc avait été nommé à Langonnet ; après bien des difficultés sur le prix du bail, les suppliants (c.-à-d. les Religieux) devinrent ses fermiers. Les conditions du bail passé avec le feu sieur abbé de Lesquen ne suffisant pas à son successeur, il fallut en augmenter le prix. Les suppliants payèrent un denier d'entrée considérable : ils furent chargés d'acquitter 2.600 £ de pensions créées par Sa Majesté sur la mense abbatiale et ils s'obligèrent à payer annuellement à l'abbé la somme de 4.200 livres quitte de toutes charges. Celles de l'abbaye ont considérablement augmenté ; les décimes ont depuis été portées bien plus haut ; l'oblat seul est, depuis 1768, augmenté de 160 livres ; ces accroissements de charges ne regardent pas la seule mense conventuelle, cependant les suppliants les payent seuls et sans dédommagement de la part de leur abbé, qui s'était réservé la part du lion.

Tous comptes réglés, une somme de 51.321 livres est demeurée en caisse, sur la vente des bois, et c'est précisément ce reliquat qui est la cause du procès. Le prélat déclare qu'il est l'usufruitier et le conservateur de la mense. M. de Lesquen n'avait pas le droit, dit-il, d'aliéner les biens de l'abbaye, car ce fonds « appartenait non à l'abbé, mais à la mense abbatiale, dont l'abbé est le conservateur et, par conséquent, absolument inaliénable ». D'ailleurs, « il ne réclame rien pour lui-même, l'intérêt de son abbaye est le seul mobile de sa requête ». En conséquence, il ne conteste point l'arrêt du Conseil, mais il réclame simplement ce qui lui est dû sur la coupe des bois du Conveau, c'est-à-dire, les deux tiers, puisque, d'après le bail, les religieux étaient tenus à toutes les réparations à leurs frais. D'autre part, les dits religieux ont continué constamment de faire des coupes considérables de futaies à son détriment, de sorte que la somme en litige ne serait pour lui qu'une très minime compensation. Il ne saurait faire assaut de procès avec ses religieux et se borne à demander à Sa Majesté de lui octroyer cette somme à titre de grâce pour venir en aide à la famille de son frère, le Président Gilles de Saint-Luc « dont le zèle, les services, la fidélité et les principes pour l'autorité méritent un traitement qui le mette en état de soutenir la dignité de sa charge ».

Rien de plus naturel, aussi Mgr de Saint-Luc continue :

« Messieurs le Prieur et Religieux, sous prétexte de baux qui leur ont été passés, ont fait des abbatis considérables de futayes, dont il ne leur était pas permis de disposer... du moins au-delà du tiers.
Il soutient que les Religieux sont tenus à toutes les réparations ; elles ne regardent en rien l'abbé. Si elles sont si considérables, ce n'a été que par la négligence des Religieux, qui se chargeaient de toutes les réparations et n'en faisaient aucune »
.

Mgr de Saint-Luc va même jusqu'à prétendre que les religieux, par une certaine somme d'argent de 4 à 5.000 livres, avaient acheté le consentement que M. de Lesquen ne pouvait donner ; et cet aveu, c'est d'eux mêmes qu'il le tient.

En définitive, M. de Saint-Luc ne pouvait rien contre une affaire réglée par son prédécesseur et approuvée par un arrêt du Conseil, dix ans avant sa nomination.

« D'autre part, si les réparations avaient été régulièrement exécutées selon le devis, il ne resterait rien de la somme provenant de la vente des bois. L'abbé ne peut pousser la prétention jusqu'à profiter de l'infidélité de l'adjudicataire pour assurer la ruine des suppliants.
Enfin, l'abbé affirme que les Religieux étaient seuls chargés des réparations, en vertu du, bail consenti et qu'ils auraient dû les exécuter à leurs frais. Cela est vrai ; mais le bail du 2 août 1754, avec M. de Lesquen, stipule qu'ils étaient autorisés à prendre dans la forêt le bois nécessaire à cet usage. Autrement, jamais ils n'auraient pu y suffire avec le tiers du revenu. Somme toute, il ne s'agit pas tant de réparations que de constructions nouvelles, dont la charge incombe aussi bien à l'Abbé qu'aux religieux »
.

Il est évident que si le devis primordial avait pu être exécuté intégralement, il ne resterait rien du tout ; et alors, que pourrait réclamer le sieur de Saint-Luc ? Là, où il n'y a rien, l'abbé, tout comme le Roi, perd ses droits.

Il ne se tient point battu pour cela.

« Tout compte fait, rétorque-t-il, son bail n'a été augmenté que de 92 livres; cependant la très grande partie des revenus de l'Abbaye de Langonnet est en grains et en dîmes, et personne n'ignore que, depuis 1760, les blés ont doublé et même triplé. Sans doute, les Religieux ont versé 2.400 livres de denier d'entrée ; mais tout le monde sait bien que c'est l'usage, et il ne doit pas paraître considérable, étant donné la modicité du prix de la ferme et la valeur des grains ».

Ainsi parle le Révérendissime Père ; mais les moines ne sont point de son avis. Les religieux, disent-ils, ne jouissent que d'un seul tiers du revenu, qui forme la mense conventuelle, et c'est encore sur ce tiers qu'il faut prendre leur subsistance, le paiement des Décimes et les autres charges, alors qu'ils donnent, bon an, mal an, 4.500 livres à leur Abbé. Mais alors, comment, sur un revenu aussi médiocre, auraient-ils pu acquitter les frais d'aussi fortes réparations ? Ce serait les réduire à l'impossible. Alors même qu'on détruirait la Conventualité et qu'on emploierait aux réparations la totalité des revenus de la Mense conventuelle, vingt années de revenus ne suffiraient point à acquitter de telles réparations ; et, comme, dans l'intervalle, il en surviendrait d'autres, on se trouverait dans une insuffisance manifeste pour y faire face.

Les fonds réclamés par le sieur Abbé de Saint-Luc ont une destination déterminée, indiquée par l'arrêt du Conseil du 18 mai 1756 ; ils font partie du prix de l'adjudication des ouvrages commencés, demeurés imparfaits, qui ne pourront être achevés, si l'on change la destination des fonds qui y sont affectés ; fonds qui même ne peuvent actuellement suffire, les réparations ayant augmenté par la cessation des ouvrages et par les dégradations immenses survenues aux parties commencées et non achevées. Partie des ouvrages qu'on avait commencés à neuf, tels que la sacristie ; d'autres bâtiments qui étaient à réparer, tels que le cloître, menacent ruine et ne peuvent désormais subsister longtemps. Il n'y a déjà que trop peu de sûreté dans bien des parties des bâtiments et des logements conventuels. Les Religieux ont été obligés d'en abandonner plusieurs, crainte d'être ensevelis sous leur ruine.

Comme on le voit, l'abbaye ressemblait alors à un vaste chantier de constructions à l'abandon. Aussi les moines ont beau jeu contre leur Abbé et ils ne se privent pas de le faire valoir.

Poussé par l'aveugle désir de s'appproprier, sans retour comme sans partage, des fonds auxquels il n'a aucun droit ; que la destination faite par l'arrêt du Conseil de 1756, ne permet de regarder comme pouvant faire partie des menses, soit abbatiale, soit conventuelle, M. de Saint-Luc ne craint pas de dénoncer les religieux, dont il est l'abbé commendataire, comme coupables de graves délits. Il les taxe d'avoir contrevenu aux Ordonnances, d'avoir abattu en fraude de la loi, des bois de haute futaie, même depuis sa prise de possession ; et il fait des réserves de former contre eux, à ce sujet, de nouvelles demandes.

« Cette accusation est sans doute grave et, si les faits avancés par le Sieur Abbé de Saint-Luc étaient constants, les suppliants mériteraient les peines prononcées par les Ordonnances ; mais aussi, si l'accusation est calomnieuse, celui qui l'a hasardée mérite l'animadversion de la Justice. Les suppliants se réservent d'en demander la réparation la plus authentique, et la suppression de l'injurieuse requête qui contient les termes dont on s'est servi pour les noircir auprès de Sa Majesté. Faute de preuve de la part du plaignant, son allégation doit être rejetée et on en doit détruire jusqu'aux moindres traces. Dès lors, les suppliants sont donc en droit de demander la suppression de sa Requête.
D'ailleurs, chaque année, le Grand-Maître des Eaux-et-Forêts vient leur délivrer le bois de chauffage et visiter leurs futayes : lui seul peut faire connaître leur bonne ou leur mauvaise administration dans leurs bois ; son intégrité les rassure ; il éloignera jusqu'au soupçon de l'accusation que l’on s’est permis contre eux. Depuis cinq ans, ils ont dû acheter pour 2.000 livres de bois de charpente qu'ils ont employé en partie à réparer et soutenir quelque partie des bâtiments qui, depuis la discontinuation des travaux, menaçaient ruine...
Tout autre que le Sieur Abbé de Saint-Luc se contenterait, surtout étant dans une opulence telle que la sienne, du revenu clair qu'il tire de l'Abbaye de Langonnet ; et il n'en resterait sûrement pas autant aux suppliants. Même sur la partie qui leur reste, n'ont-ils jamais manqué de faire des aumônes considérables. Le Sieur Abbé de Saint-Luc n'a participé à ces aumônes que pour une somme de deux cents livres, une fois payées, depuis six ans qu'il est titulaire de l'abbaye.
Indépendamment des aumônes journalières en argent et en provisions de la maison, que l'humanité des suppliants leur fait un devoir de ne pas refuser aux pauvres et aux malades, ils donnent chaque année, le Jeudi-Saint, plus de 2.000 livres de pain ; ils en distribuent en outre, chaque mercredi de l'année, 450 livres.
Si le Sieur Abbé de Saint-Luc voulait faire le calcul de leurs charges et de leurs dépenses utiles et nécessaires, il ne les trouverait rien moins que riches et, loin de réserver vers eux d'imaginaires restitutions, l'équité pourrait lui indiquer des moyens de leur fournir du secours »
. — (Requête au Roi, 26 août 1772).

Monseigneur l'évêque de Quimper exagérait sûrement ses prétentions. Il étayait une mauvaise cause par de pitoyables arguments, mas il y avait encore des juges à Versailles. On le lui fit bien voir : par un arrêt du 14 septembre 1773, le Conseil d'Etat déclare son opposition non recevable et mal fondée.

Pour le consoler, on lui accorda, en 1781, l'Abbaye de Landévennec dont le revenu fut annexé pour toujours à la mense épiscopale de Quimper. Il finit par résilier son bénéfice de Langonnet en faveur de M. l'Abbé Chevreuil, qui ne sera guère plus accommodant (1785). Déjà la bourrasque soufflait en tempête, qui emporterait comme feuilles d'automne, moines et prélats, seigneurs et manants, juges et plaideurs, dans la plus vertigineuse valse macabre !

***

Alors que les Prélats fermaient l'oreille obstinément aux bruits précurseurs de l'orage, le Bas-Clergé, issu du peuple et de la bourgeoise, se tenait en éveil. Les cahiers de Doléances, qui seront rédigés surtout par les curés, nous prouvent qu'ils percevaient clairement tous les symptômes du bouleversement social, qui allait supprimer les anciens abus. Ils ne prévoyaient point que cette Révolution, qu'ils appelaient de leurs voeux, aux abus qu'elle détruirait en substituerait de pires, démontrant une fois de plus que les Révolutions ne sont d'ordinaire que le renversement des injustices. Le régime des Bénéfices était devenu intolérable aux prêtres qui n'étaient ni évêques, ni abbés, et, c'est ainsi que nous allons voir le recteur de Langonnet aux prises avec les moines et leur seigneur Commendataire.

« Les ecclésiastiques régulièrement attachés au service paroissial en Cornouaille, étaient presque tous d'origine roturière. Ils se recrutaient dans la petite et la moyenne bourgeoisie et surtout dans la partie la plus aisée de la classe paysanne. Il semble bien, mais on ne saurait être très affirmatif sur ce point, que le plus souvent les recteurs des bonnes paroisses fussent d'origine bourgeoise. Du moins, ceux qui exerçaient une influence prépondérante au moment de la convocation des Etats-Généraux, les électeurs du deuxième degré et les députés appartenaient en majorité à cette catégorie. Le Clergé paroissial n'avait que peu de part aux richesses de l'Eglise de France. Si les bénéfices majeurs : évêchés, canonicats, abbayes, prieurés étaient d'ordinaire largement dotés, les recteurs et les vicaires n'avaient pas toujours la jouissance des dîmes instituées, en principe, pour l'entretien du culte. Souvent, ces dîmes avaient été détournées de leur destination primitive et constituées en bénéfices sans charge d'âmes, en faveur de certains dignitaires ecclésiastiques. Aussi les évêchés, les abbayes, les canonicats, prieurés et cures lucratives furent-ils presque exclusivement réservés à des cadets de la noblesse.
Les revenus du recteur, très variables d'une paroisse à l'autre, comprennent la dîme, ou, à son défaut, la portion congrue de 500 livres, le casuel ou honoraires perçus pour les baptêmes, mariages, enterrements ou cérémonies particulières. Il perçoit en outre une partie, généralement le tiers, des oblations ou offrandes faites à l'église. La paroisse lui fournit un logement convenable et lui donne, le plus souvent, la jouissance d'un jardin et de quelques parcelles de terre. Quand le recteur est le seul décimateur, il possède une large aisance. Par contre, sa situation devient assez misérable, s'il est privé des gros fruits. La moyenne des revenus paraît être, en Cornouaille, de 1.553 livres. La valeur des dîmes, variable selon l'abondance des récoltes et la cherté des grains, dépend surtout de la nature des céréales, de sorte que les paroisses les plus étendues ne sont point nécessairement les plus fructueuses. Quant aux vicaires, leur sort était généralement à plaindre. Une portion congrue de 250 livres, un casuel aléatoire et le produit de quelques petites quêtes faites en dépit des défenses du Parlement, constituaient de maigres revenus. Leur pauvreté contrastait violemment avec l'opulence du Haut Clergé.
Le prêtre breton d'ancien régime, tel qu'il nous apparaît à travers les documents contemporains, est un peu rude et fruste comme la race celtique elle-même. Issu de vieille souche paysanne, il est la vivante antithèse de cet abbé de Cour, léger et sceptique, type si caractéristique du XVIIIème siècle qui, au déclin de la monarchie, donne le ton à une partie du clergé français. Des paysans, ses ancêtres, il tient de solides qualités et aussi quelques défauts. S'il est un peu âpre au gain, c'est sans doute plus par atavisme que par calcul égoïste. Il n'est pas l'homme d'un parti, il se donne à tous »
. [Note : JEAN SAVINA : Le Clergé de Cornouaille..., p. 61 et passim. Au début de la Révolution, la plupart des vicaires n'eurent pas à se plaindre ; le traitement de 7 à 800 livres, augmenté d'un petit casuel, leur permettait de vivre décemment. Il n'en était pas de même des recteurs : la plupart d'entre eux perdaient au changement de régime. Ils recevaient 1.200 livres, au-dessous de 1.000 habitants et augmentaient progressivement jusqu'à 2.400 livres, au-dessus de 3.000 habitants].

A la veille de la Révolution, le Clergé paroissial, tout entier à sa mission sacerdotale, n'a point de détracteurs, pas même dans la bourgeoisie voltairienne. En Basse-Bretagne, le recteur est le pasteur, au sens le meilleur et le plus large. Il est le conseiller intègre des humbles, qu'il défend contre l'avidité d'innombrables agents seigneuriaux et de praticiens véreux. Souvent, il exerce bénévolement le rôle ingrat de pacificateur ou de Juge de Paix entre ses paroissiens. Le clergé paroissial jouissait donc d'une haute valeur morale. La foi simple et robuste sans intolérance, la pureté des mœurs sans pharisaïsme, le zèle apostolique sans orgueil ni esprit de parti, tout cela commandait le respect et la sympathie.

Titulaires de leurs bénéfices, les recteurs d'ancien régime étaient en fait, à peu près inamovibles ; ils jouissaient notamment d'une large indépendance à l'égard des évêques. Pourvu qu'il fût inattaquable sur le dogme et les mœurs, le recteur pouvait, en toute circonstance, affirmer librement sa personnalité. Seul, le Parlement, qui lui était souvent hostile, apportait des entraves à son action. Le Parlement exerçait sur les paroisses une tutelle gênante et parfois tracassière. A l'égard des recteurs, la jurisprudence du Parlement fut généralement peu favorable, souvent sévère.

Les rois de France s'étaient attachés à maintenir aux curés une indépendance relative. Aux évêques qui lui demandaient l'amovibilité des desservants, Louis XIV répondait : « Je vous
accorderai de rendre vos desservants amovibles quand vous accepterez de l'être vous-mêmes »
.

Sous l'ancien régime, il n'était pas rare de voir des recteurs engager de longs procès contre leur évêque. C'est en effet ce qui arrivera à Langonnet.

Vers 1767, le recteur, fatigué de sa dépendance, menaçait les Bernardins de leur intenter un procès au sujet de la dixme rectoriale dont l'abbaye se prétendait exempte [Note : Le 28 avril 1767, à Rennes, un accord était conclu, entre Messire Conen de Saint-Luc et Dom Nicolas Fissier. Prieur et Procureur de l'Abbaye en vue de soutenir ce procès à frais communs. Il fut renouvelé en 1776, le 6 février, alors que le procès était pendant au Présidial de Quimper].

Messire Valentin-Thomas Quéméner réclamait son « droit de dixme dans les terres dépendantes de la dite abbaye, qui se trouve enclavée dans la paroisse de Langonnet et de la Trinité, sa trève ». Le procès débuta, le 12 octobre 1771, par une assignation du recteur et la sentence du 6 août 1779 condamna les vassaux de l'abbaye à payer la dîme paroissiale à raison de la 33ème gerbe ; et elle leur accorda la libération qu'ils demandaient. Mais les moines ne se tinrent point pour battus ; ils en appelèrent au Parlement avec la prétention de maintenir intact leur privilège.

L'abbé vint leur prêter son appui, par une Requête à N. N. S. S. du Parlement, en date du 16 mai 1781. Il déclare tout d'abord que « L'Evêque de Quimper, en cédant au devoir que lui impose sa dignité d'abbé de Langonnet, regrette amèrement d'avoir à combattre l'un de ses coopérateurs dans les travaux apostoliques de son diocèse ».

Puis il attaque avec une certaine vivacité.

« Si le Recteur de Langonnet avait à se plaindre qu'attaché à l'autel auquel Dieu l'a voué, il n'y reçût pas une subsistance abondante, on croirait que le besoin le force de donner un scandale à l'Eglise, par la nécessité de vivre conformément à son état et d'entreprendre à cette fin un procès devant les tribunaux séculiers. Mais, quand on considère la fertilité de la moisson temporelle que la Providence du Seigneur luy donne chaque année en faveur de son Etole, il paraît véritablement inouï que jusqu'aux pieds de la Cour, il s'oublie au point de fronder les lois de l’Eglise et de l'Etat réunis contre la nouveauté de sa prétention. En effet, par un égal concours des deux puissances, l'Ordre de Cîteaux, et en particulier l'Abbaye de Langonnet, jouit de l'immunité et de l'exemption de la dixme rectorialle sur tous les fruits qui croissent ou peuvent croître sur les terrains leur appartenant. Les Papes et les Rois se sont expliqués à cet égard d'une manière si positive qu'il est peu judicieux, s'il n'est pas téméraire, au Recteur de Langonnet d'être le premier de ses prédécesseurs qui veuille troubler la possession immémoriale où l'on est à cet égard. Il doit la soumission à la double autorité qui a prononcé, en s'écartant du droit commun des Curés, pour des raisons sans doute importantes, dont elle ne doit aucun compte qu'à Dieu seul. Si l'exemption dont il s'agit ici est une grâce spéciale et extraordinaire, pourquoi l'humble pasteur de Langonnet en est-il jaloux ? C'est un droit fondé sur les titres les plus solennels et une possession immémoriale. Les magistrats n'ont garde d'y porter atteinte pour grossir les revenus d'un curé déjà très considérables. En vain cherche-t-il à subtiliser par des distinctions captieuses pour induire que l'exemption de la Dixme rectoriale ne s'entend pour l'Ordre de Cîteaux, que des terres cultivées par les propres mains des Religieux et à leurs frais, ou de celles affermées par simple bail de louage, mais qu'elle ne peut avoir lieu pour les terres données à domaine congéable, même dans le pays d'usement où l'on ne connaît pas d'autre bail à ferme, et, qu'au reste, les privilèges ne peuvent s'étendre indéfiniment à l'avenir pour les terres non cultivées. Enfin que la Dixme rectoriale ne touche qu'aux fruits, et par conséquent les Religieux n'ont aucun intérêt à se plaindre de ce qui en est pris pour la subsistance du Recteur de la paroisse. Quand la loy ne distingue pas et s'explique clairement, il faut s'en tenir à la lettre et ne pas se croire plus sage qu'elle. Distinguer serait détruire... ».

On sent, à la vigueur du ton, que le seigneur Evêque défend les intérêts de la mense abbatiale non moins que ceux des Cisterciens. Mais le sieur Quéméner ne se laisse point déconcerter par la fine ironie du Prélat. Sa réplique ne laisse rien à désirer comme argument ad hominem ; en termes calculés, elle frise l'irrévérence et laisse percevoir les idées nouvelles qui se font jour à l'égard des privilèges du passé. Il répond, en effet, le 15 février 1 782 :

« On veut bien, par déférence pour la dignité du Prélat, ne pas entrer dans l'examen des observations pour le moins inutiles qui remplissent sa courte requête du 16 mai 1781. Le Révérend Evêque de Quimper, abbé de Langonnet et de Landévennec, décide que le Recteur est assez riche pour laisser la meilleure partie des dixmes, dans sa paroisse, aux Pauvres Religieux, dont on connaît les besoins, les travaux et les talents, si utiles à l'Eglise de Dieu. Quand ce Prélat considère la fertilité de la moisson temporelle que la Provindence du Seigneur luy donne chaque année en faveur de son Etole, il trouve véritablement inouï que, jusqu'aux pieds de la Cour, le pasteur s'oublie jusqu'à fronder un privilège monastique, qui n'est cependant fondé sur les loix, ni de l'Eglise ni de l'Etat, mais qui est contraire tant aux Droit Canonique qu'au Droit Commun ; il paraît scandalisé que l'humble pasteur de Langonnet soit jaloux des grâces spéciales et extraordinaires accordées à l'Abbaye de Langonnet ; mais qu'il soit permis de représenter humblement que, sans offenser personne et sans mériter le reproche d'une jalousie répréhensible, le plus humble pasteur doit cependant veiller à la conservation de ses droits légitimes. Ceux qui se montrent si jaloux des grâces spéciales et extraordinaires, témoignent-ils plus d'humilité, ou y sont-ils moins obligés ?
Qui, des Religieux de Langonnet ou du Recteur, sont mieux fondés à s'attribuer ces dixmes, que les paroissien payent pour l'entretien des ministres chargés de leur administrer les secours spirituels qu'ils doivent recevoir de leur Pasteur et qu'ils ne reçoivent pas des moines...
Le Révérend Evêque soutient qu'en s'écartant du droit commun la double autorité (ecclésiastique et civile) a eu des raisons, sans doute importantes, dont elle ne doit aucun compte qu'à Dieu seul. Prétend-t-il aussi ne devoir aucun compte à la Cour, et ne peut-on pas du moins exiger la preuve du concours légal de cette double autorité, à laquelle le Recteur de Langonnet est du moins aussi soumis que ses adversaires ?
« Le Prélat témoigne qu'en déférant aux devoirs que lui impose sa dignité, il regrette amèrement d'avoir à combattre l'un de ses coopérateurs dans les travaux apostoliques de son Diocèse. Et qui le force, qui l'appelle au combat ? Le Recteur ne saurait croire que rien n'oblige L’Evêque de soutenir une entreprise qui lui cause des regrets amers. Ce sont les appellants qui, par leur appel, ont forcé l'intimé de les suivre à la Cour. Si, comme paraît le penser le Révérend Evêque, c'est un scandale donné à l'Église que de porter un procès devant les tribunaux séculiers, rien encore n'empêche de le faire cesser. En se désistant de leurs appels, ils ne feront que prévenir et alléger leur condamnation. Le scandale vient surtout des contestations injustes ; mais, en réclamant l'autorité des Loix pour la défense de la Justice, le suppliant ne craint pas de scandaliser personne... »
.

Les moines ne sont pas plus ménagés que leur abbé, dans ce piquant réquisitoire :

« Les Religieux de Langonnet devraient donc être satisfaits de l'indulgence du Recteur, s'il persiste à vouloir bien remettre ou suspendre l'exercice de ses droits sur les terres qu'ils occupent ou font valoir eux-mêmes. L'exemption des dixmes n'avait pas dans l'origine une plus grande étendue, et il serait à souhaiter qu'on ne se fût jamais écarté de cette modération primitive. Si les Moines avaient sceu mettre des bornes à leurs prétentions et les Papes à leurs cessions, comme l'observe du Rousseau de la Combe, elles auraient été moins abusives et moins préjudiciables aux Décimateurs.
On vante les travaux fructueux de l'Ordre de Cîteaux et les progrès que lui doit l'agriculture. N'aurait-il pas été suffisamment récompensé par l'exemption de la Dixme sur les terres défrichées par ses soins et à ses frais ? Lorsqu'on ajoute que les Religieux de Cîteaux ont voulu se rendre encore plus utiles à l'Eglise par leurs études et par leur science, parle-t-on sérieusement ? Et qui voudra croire que l'Ordre de Cîteaux contribue si avantageusement au progrès des lumières ! Plusieurs autres Ordres, non moins recommandables sont mérité, par leurs occupations laborieuses, la reconnaissance publique et l'on ne s'est pas cru obligé de payer leurs services en leur sacrifiant les droits des pasteurs, dont les travaux ne sont certainement pas moins précieux, ni moins favorables que ceux des Moines de Cîteaux »
[Note : Archives du Finistère, 3. H. 3. — Requête des Religieux. 4 juillet 1780 : — requête du seigneur Evêque, 16 mai 1781 : — requête du Recteur, 14 février 1782. — correspondance entre l'Evêché et M. Quéméner].

A travers ces considérations sarcastiques, passent déjà les souffles précurseurs de la tornade, qui va bientôt renverser le vieil édifice vermoulu et abolir pour toujours le régime odieux des privilèges.

Il ne faudrait pas croire cependant que les anciens Bernardins se soient tenus à l'écart du mouvement intellectuel. L'Ordre de Citeaux avait, auprès des Universités, ses Monastères-collèges, où l'élite des jeunes religieux recevait un enseignement supérieur : à Oxford, à Toulouse, à Metz, à Wurzbourg. Le plus célèbre est le Collège St-Bernard de Paris, dont la fondation paraît remonter au XIIIème siècle, et qui recevait du Chapitre de Notre-Dame une rente de 12 £ et 10 s. ? (Arch. Nationales, L. 747).

Plusieurs prieurs de Langonnet furent Docteurs en Sorbonne. L'ordre a formé nombre de Théologiens, de Canonistes et d'Historiens. Il a donné à l'Eglise deux papes, Eugène III et Benoît XII d'Avignon ; une quarantaine de cardinaux parmi lesquels cinq abbés de Cîteaux ; et un grand nombre d'évêques. Le Ménologe énumère plus de 200 Bienheureux, dont quarante furent canonisés ou jouissent d'un culte reconnu.

L'ordre se distingua toujours par son hospitalité et l'abondance de ses aumônes ; on a pu dire que ses biens étaient à tout le monde.

L'unité fut maintenue par les chapitres Généraux qui devaient se réunir en septembre, vers la fête de l'Exaltation de la Sainte-Croix. Le premier eut lieu en 1116. On ne remarque aucune interruption avant 1411. Puis, les guerres empêchèrent les abbés de se rendre régulièrement à Cîteaux ; le chapitre se tenait tous les deux ou trois ans. Il y eut même une interruption de vingt années. A partir de 1666, il devint triennal. — (Cfr. D. Joseph Canivez : Statuta Capitulorum Generalium Ordinis Cisterciensis).

En résumé, Monseigneur de Saint-Luc veut :

« que l'Abbaye soit maintenue dans l'exemption et la possession d'exemption de la Dixme rectorialle par toutes les terres à elle appartenant de quelque manière qu'elles soient cultivées et à quelque titre qu'elles soient possédées » ; tandis que le Recteur exige que l'Abbaye renonce au privilège d'exemption et lui reconnaisse ses droits de Dixme. Il déclare que les Religieux devraient se contenter de jouir de l'exemption sur les terres qu'ils cultivent eux-mêmes ou qui sont affermées par simple bail ; et, dans ce cas, il est disposé à remettre et suspendre l'exercice de ses droits ; mais qu'il les revendique sur les terres qui sont données à domaine congéable, aussi bien que sur les terres qui sont afféagées. La seule question à discuter est de sçavoir si les domaines congéables dépendant de l'abbaye sont exempts de la Dixme du Recteur ; les Religieux reconnaissent formellement le Droit Commun, et ils n'entendent point s'élever contre la faveur justement acquise aux Pasteurs, mais ils prétendent y déroger par les Privilèges accordés à l'Ordre de Cîteaux » [Note : Extrait de l'Histoire manuscrite de Marchenoir, par Péan et Rousseau].

De fait, la plupart des Papes ont donné diverses bulles et plusieurs brefs, tant généraux que particuliers, contenant l'exemption des dîmes, tant pour les biens que les religieux faisaient valoir par eux-mêmes et leurs gens, que pour leurs terres et métairies affermées par baux qui n'excédaient point neuf ans. Plusieurs de ces bulles et brefs ont été enregistrés tant au Parlement qu'au Grand-Conseil.

Louis XIII confirma les privilèges de l'ordre de Cîteaux, notamment l'exemption de payer les dîmes de leurs biens de fondation, dotation et aumône, par les lettres-patents, qui furent enregistrées au Grand-Conseil le 16 mai 1620.

Par arrêt du Parlement de Paris, du 2 juin 1674, l'abbaye de Clairvaux et tous les religieux Bernardins furent déclarés exempts de dîmes pour toutes les terres qui leur appartenaient.

Louis XV a confirmé, approuvé et autorisé les bulles des Papes et autres lettres-patentes concernant les privilèges et exemptions accordés à l'Ordre de Cîtaux, 24 mars 1719.

C'est précisément ces privilèges qu'attaquait, avec une vigueur toute bretonne, messire Quéméner. Les choses durent finalement se terminer par une sorte de compromis ; car, le 8 janvier 1784, Monseigneur de Saint-Luc fait savoir, par M. de Latour son aumônier, à M. de Launay, procureur de la Cour, à Rennes, que le recteur « ne paraît pas éloigné de se prêter à s'accommoder à l'amiable pour que le jugement du procès soit différé ». On eût bien fait sans doute de commencer par là.

Monseigneur de Quimper était venu faire sa visite épiscopale, à cette époque, 9 mai 1777. Ont signé le procès-verbal de la visite : Valentin-Thomas Quéméner, recteur ; Pierre Le Corre, curé ; Dulaurent, vicaire-général ; Louis Bernetz, recteur de Querrien ; Nicolas le Breton, prêtre, Yves Lorans, prêtre, Jérome Yvenat, prêtre, de la dite paroisse ; Pierre Jourdren, curé de la Trinité ; Boissière, secrétaire de Monseigneur.

Au Rôle des Décimes (11 octobre 1774), l'abbaye se trouve taxée à 1.217 £, 15 sols et 5 deniers ; la communauté à 307 £, 8 sols et 9 deniers [Note : L'abbaye de Langonnet vient donc en 4ème ligne, après Daoulas : 1.485 £ 5 s. 1 d. ; Quimperlé : 1.367 £ 14 s. 1 d. ; et Bon-Repos : 1.339 £ 12 s. 4 d. ; Landévennec était taxée : 936 £ 6 s. 3 d. ; et St-Maurice : 760 £ 7 s. 9 d.].

Le 21 août 1776, F. Pasquier, faisant tant pour le Seigneur Abbé que pour la communauté, proteste contre les exigences et les poursuites du Receveur des Domaines de Gourin, qui sont injustes : « C'est une tentative, qui ne frappe pas sur nous seulement ; si elle réussissait, elle s'étendrait sur tous les membres du Clergé ». Le Placet doit être présenté à Monseigneur le Contrôleur Général (Arch. Nat., G. 635).

Par arrêt du Conseil d'Etat, en date du 10 juin 1777, l'abbaye est autorisée à prélever 51.321 £ sur la vente des Bois de Conveau, (selon l'arrêt du 18 août 1756), pour être employée aux réparations. En outre, on avait coutume de leur octroyer, chaque année, pour leur chauffage, 80 pieds d'arbres ; mais il fallait chaque fois recourir à la Maîtrise qui, par ses agents, marquait les pieds bons pour abattre ; ainsi qu'en font foi les procès-verbaux censervés à Quimper, 6 et 7 janvier 1779 ; 13 février 1780 ; 20-21-22 janvier 1782. En 1779, les 80 pieds d'arbres sont à prendre sur les fossés et douves du Bois appelé des Châtaigniers.

Le 17 avril 1783, Dom Laurent Derrien, procureur-cellérier, reçoit assignation pour assister, le 21 courant, à l'estimation des ouvrages exécutés en vertu de l'arrêt du 10 juin 1777. L'estimation fut faite, du 20 au 30 août, et portée à la somme de 66.241 £, 9 sols, par le Sieur Friché, architecque-expert (sic) désigné par le Grand-Maître, M. de la Pierre de Nouän.

Parmi les travaux achevés ou en cours d'exécution, on trouve le nouveau portail de l'église, la sacristie reconstruite à neuf avec une chambre au-dessus pour servir d'Archives ; « cette construction, qui est en pierre de taille, sera un objet de 6.000 £, mais elle n'a pas été achevée » ; la reconstruction des ponts et établissement d'une chaussée, large de 25 pieds, pavée et revêtue de talus des deux côtés. Ils ont fait construire un colombier, sur une éminence qui domine la basse-cour de la maison abbatiale ; il ne restait pas même les vestiges de l'ancien colombier. Il a été aussi construit un moulin à vent, dans un emplacement où il n'y en a jamais eu. L'objet de cette construction a été de suppléer au moulin d'eau, dépendant de l'abbaye, lequel manque d'eau quatre à cinq mois de l'année. A cela, viennent s'ajouter les améliorations faites à l'abbatiale. On a fait construire, à l'entrée, un mur en pierre de taille avec quatre grands piliers ; le chemin d'entrée, qui auparavant n'était qu'un boyau, a été aplani, élargi et planté ; un mur de sept pieds de haut et de plus de 100 pieds de long a été élevé entre le jardin et la cour de l'abbatiale ; dans la bassecour de l'abbatiale, on a construit un bâtiment de 64 pieds de long, pour remises et écuries et, pour cela, on a dû déblayer, faire disparaître une éminence qui occupait toute la surface du terrain, construire un mur de 25 pieds de long, sur 18 pieds de haut et 3 pieds d'épaisseur à la base, etc... [Note : Archives du Finistère, Vérification, réception et estimation des réparation, reconstructions et ouvrages faits à l'Abbaye de Langonnet. — Fonds de la Maitrise des Eaux-et-Forêts].

Le 20 mars 1784, les Religieux font une vaine démarche auprès du Conseil Royal pour rentrer en possession des deux tenues de Lizerin et de Cozic et pour évincer les détenteurs, en les remboursant à dire d'experts : attendu, que les personnes qui habitent, coupent sans ménagement les bois de la forêt voisine et dépendante de l'Abbaye, détruisent les murs de l'enclos de cette maison et pillent les jardins. La forêt contient de très beaux bois, qui sont très propres pour la Marine ; elle n'est pas éloignée d'un quart de lieue des clôtures des Religieux ; et c'est dans cet espace que sont comprises les terres des tenues de Lizerin et de Cozic, lesquelles s'étendent jusqu'aux murs des jardins. Les Religieux étaient propriétaires fonciers de ces deux tenues, lequelles étaient possédées à domaine congéable par différents particuliers, qui y avaient formé leur habitation. Ces deux tenues sont peuplées d'une foule de malheureux qui, ne recevant du propriétaire aucun bois de chauffage et n'ayant aucune terre à cultiver, fournissent à leurs premiers besoins en mendiant et tirant de la forêt leur bois de toute espèce. Réduites en fermes ordinaires, ces deux tenues ne peuvent produire tout au plus qu'un revenu de 300 livres, et le prix des édifices remboursables montera au moins à 30.000 £., de sorte que les Religieux sont très éloignés d'augmenter leur revenu dans la proposition des sommes qu'ils sont tenus de débourser pour le congément. — On répond simplement de Versailles : « Ne regarde pas le Conseil » [Note : Arch. Nationales, S, 3.252 et 3.253. — Rapport fait au Conseil et décisions, etc. — Pièces annexes : Copies collationées de la Cour des Comptes de Bretagne, de deux déclarations du temporel de l'abbaye de Langonnet sous la juridiction de Quimperlé ; l'une du 26 décembre 1404, et l'autre du 2 décembre 1507, au nom de F. Vincent (de kergoët). Ces deux pièces donnent l'énumération des biens de l'abbaye, dans la juridiction de Quimperlé, à la fin du XVème siècle].

Déja nanti de l'abbaye de Landévennec, depuis 1781, Monseigneur l'évêque de Quimper résigna son bénéfice de Langonnet, 1785, en faveur de Messire François-Charles Chevreuil, « Chanoine, Vicaire-Général, Official diocésain et Chancelier de l'église de Paris, y résidant, 44, Cloître Notre-Dame ». Né, le 26 novembre 1725, en la paroisse Saint-Mathieu de Quimper, il avait pour père un marchand de la ville, qui est qualifié de « noble homme Jacques Chevreil » (sic) ; sa mère, Demoiselle Jeanne Bernetz, était la soeur du vénéré recteur de Querrien, Messire Louis Bernetz, qui fut doyen d'âge du Clergé du Cornouaille, en 1789. Nous ignorons ce qui concerne la première partie de la vie de M. Chevreuil, sauf qu'il se maria, et fut père de deux enfants. Devenu veuf, il entra dans les Ordres. Nous le trouverons à Paris, où il est reçu Docteur de la Maison et Société de Sorbonne, le 16 février 1762, à l'âge de 37 ans, puis chanoine de Notre-Dame ; choisi comme vicaire-général par Mgr Christophe de Beaumont, le 20 décembre 1778, et promu Chancelier le 3 février suivant ; à ce titre, il était de droit Chancelier de l'Université de Paris. Personnage fort en vue, il prenait rang parmi les huit dignités du Chapitre, après le Doyen, le Grand-Chantre, les trois archidiacres de Paris, de Brie, de Josas. Il avait en outre quelque part à l'administration de l'Hôtel-Dieu, sous le titre de Visiteur, avec MM. de Montagu et des Fieux. A la mort de Mgr de Beaumont, il fut l'un des six Vicaires Capitulaires. Une contestation ayant surgi, en 1783, entre le Chancelier et la Faculté de Théologie, au sujet de la nomination des Licenciés, M. Chevreuil déploya toute sa ténacité de breton dans la défense de ses droits ; on dut faire appel au Roi. (Arch. Nat. L. L. 238.38).

Le rédacteur janséniste des Nouvelles Ecclésiastiques reproche au Chancelier d'avoir approuvé l'Histoire de l'Eglise, de l'Abbé Bérault-Bercastel, ex-Jésuite, aussi bien que les Questions de Théologie pour servir aux conférences et aux examens dans l'Ordre de Prémontré.

« Mais, qui ne sait, déclare-t-il, que ce Docteur est l'approbateur banal de tous les mauvais livres en matière ecclésiastique » (Nouvelles ecclésiastiques, 30 janvier 1785).

Par bulles du 2 mars 1784, M. Chevreuil avait été promu à l'abbaye de Lanvaux, dont il prit possession le 27 avril. Le nouvel abbé, estimant le revenu global à 12.548 £, en réclamait 5.000 pour sa part, tandis que ses prédécesseurs se contenaient de 1.800, et il menaçait les religieux de graves mesures, s'ils ne se pliaient point à ses exigences. (Histoire de l'Abbaye de Lanvaux, par l'abbé GUILLOUX. p. 131). Aussi les bons moines poussèrent un soupir de soulagement lorsque, deux ans plus tard, Chevreuil opta pour l'abbaye de Langonnet, située en Cornouaille, dans son pays d'origine.

Il prit possession par procureur, le 7 juin 1786, puis il vint lui-même au mois de septembre suivant, et séjourna à la maison presbytérale de Querrien, chez son oncle M. Bernetz, à qui il avait confié la tutelle de sa seconde fille, Geneviève ; l'aînée, Marie-Marguerite-Jeanne, était devenue religieuse chez les Hospitalières de Saint-Thomas de Villeneuve, à Paris.

Dès le début, Messire Chevreuil fut en conflit avec ses religieux, ou, pour mieux dire, il s'y trouva jeté par suite de l'attitude intransigeante de son vénéré prédécesseur, Mgr Conen de Saint-Luc, qui réclamait de moitié la valeur des coupes de bois, opérées en vue des constructions et réparations de l'abbaye. L'autorisation nécessaire pour ces coupes avait été accordée par le Conseil d'Etat, le 6 décembre 1785, sur le rapport favorable du Sieur du Couëdic, Grand-Maître des Eaux-et-Forêts de la Province de Bretagne, et du Sieur de Calonne, Contrôleur Général des Finances. Naturellement, l'évêque de Quimper avait fait oposition à l'adjudication, 14 et 15 mars 1786, par l'entremise de son procureur Me Claude-Marie Paulou. Le prix de ces coupes, arguait-il, devait tomber dans les deux menses, parce que les religieux étaient personnellement tenus aux réparations de leur Abbaye, en vertu de différents traités avec le dit Abbé, notamment celui du 5 février 1776, passé devant Notaire royal et contrôlé à Quimper. On procède quand même à la mise aux enchères, au Greffe de la Maîtrise de Carhaix ; les bois de la Maison-Blanche [Note : Parmi lesquels 843 arbre,, des avenues sur la métairie. dont 501 chênes. 316 hêtres et 26 châteigniers, la plupart yélifs, (gélifs ?), estimés 3.000 livres] sont achetés par Julien Blanchard, pour 14.400 £. Le sieur Bréban Pierre, demeurant en Glomel, près le Château de Trégarantec, fait l'acquisition des 150 arpents de Coat-Quistrinic contre la somme de 115.300 £.

Le devis des travaux à entreprendre est aussitôt dressé par Maître-Architecte Cornet, arpenteur des Eaux-et-Forêts, résidant à Hennebont. (5 février-2 avril 1786). Les travaux passent à l'adjudication, le 10 avril, pour être exécutés dans le délai de huit années et sont adjugés au sieur Thalouarn, sur l'offre de 112.200 £.

Sur ces entrefaites, le nouvel abbé ayant pris possession, son premier soin fut de se pourvoir devant le Grand-Conseil, qui l'autorise, le 28 juin, à assigner son prédécesseur devant le juge de Carhaix pour procéder à la nomination d'experts ecclésiastiques et laïques, chargés de faire l'estimation des biens de l'abbaye, dans l'état où ils sont laissés. M. Chevreuil maintient les oppositions faites au sujet des coupes de bois, mais il déclare en même temps, 26 avril 1786, qu'il n'a nullement affaire à MM. les Religieux de l'Abbaye de Langonnet ; qu'il ne leur demande rien et qu'il ne leur a rien demandé ; que toutes ses poursuites se dirigent vers Monseigneur l'Evêque de Quimper, son prédécesseur dans la dite abbaye de Langonnet.

Mis en demeure de rendre ses comptes, le digne Prélat se rejette sur les moines en recours de garantie, 24 avril 1786, déclarant que « Messieurs les Religieux sont seuls tenus aux réparations et comptes que demande le dit Sieur Abbé Chevreuil, en vertu d'une convention qu'il a passée avec eux pour les charges de tiers lot. Le 26 mit, au Siège royal de Carhaix, par devant le Sénéchal Jean-François Le Guillou de Stangalen, Me Emmanuel Revault, procureur de Messire Chevreuil, propose pour expert ecclésiatique le Sieur Flohic, recteur de Plévin, et pour expert laïc le Sieur David, ingénieur des Ponts-et-Chaussées de Quimper, qui sont agréés par Me Claude-Marie Paulou, procureur de l'Evêque. Les Religieux étaient représentés par Me Mathieu-Joseph Guerno, sieur de Kérangal, assisté du procureur de la Communauté, Dom Le Quinou, qui proteste de nullité contre les suites du sieur Abbé et du seigneur Evêque ; en conséquence, il met opposition à l'arrêt du 28 juin dernier et, sur ce, le Sénéchal de Carhaix ordonne aux parties de se pourvoir au Conseil d'Etat ».

En réalité, le jugement de 28 juin, suspendant l'arrêt du 26 août 1785, allait conduire l'affaire très loin, puisque le Juge, en se prononçant sur le fond, avait outrepassé ses droits. Les parties jugèrent plus prudent de s'entendre à l'amiable, afin, est-il dit, « d'éviter les frais énormes et les résultats incertains de la procédure, qui n'auraient pu que grever les deux Manses ».

On convint donc, de part et d'autre, de s'arrêter à une transaction équitable, par acte du 20 septembre 1787 [Note : Transaction ratifiée par l'Abbé Général de Citeaux. 2 décembre 1787 ; homologuée au Grand-Conseil, 16 février 1788, et enfin notariée, le 19 mai 1789, à Carhaix].

L'abbé Chevreuil se désistait de toute poursuite d'opposition relative aux coupes de bois ; de plus, il cédait aux moines le Logis abbatial avec ses dépendances, à l'exception du Colombier.

Les Religieux, de leur côté, s'engageaient à lui bâtir une résidence, à l'entrée de bourg de Langonnet — qui est devenue le presbytère actuel — et à lui verser 5.000 l. pour la cession de son Abbatiale, plus 25.000 sur le revenu des coupes de bois. Cet arrangement ne se fit point sans quelques difficultés, et M. Chevreuil, quand il se rendit à l'Abbaye, le 27 septembre, eut à subir les plus vives récriminations de la part de certains capitulants, qui trouvaient ses conditions trop onéreuses pour la communauté ; l'accord fut pourtant ratifié par le Prieur Dom Derrien, mais, en l'absence du Procureur et de l'un ou l'autre opposant. C'est sans doute la raison qui amena la démission du Prieur et son remplacement par Dom Jean-François de Frémont, qui dira plus tard, en parlant de cette affaire : « Tel est le chef-d'œuvre de Dom Derrien, qui nous aurait infailliblement ruinés ! ».

Il ajoute : « Tous les biens, dépendant de l'abbaye, ont été divisés en trois lots. M. l'Abbé a choisi le premier, et la communauté le second ; et le troisième lot, M. l'Abbé s'en empare, à la condition qu'il serait chargé de toutes les réparations et charges quelconques. Le 6 septembre 1787, entre l'abbé Chevreuil et les Religieux de Langonnet a été convenu ce qui suit : pour terminer toute difficulté entre M. l'abbé et les Religieux touchant les charges claustrales, les Religieux sont chargés de tout, moyennant la somme de 2400 francs au premier janvier de chaque année que M. l'abbé est obligé de payer sur son tiers lot » [Note : Déclaration de D. de Frémont aux administrateurs du District du Faouët, le 8 octobre 1790].

Les charges claustrales dont il est question sont :
1° Fournitures de vin, pain à chant, encens pour les Messes ; luminaire, huile pour les lampes du Dortoir et de l'Eglise, chandelles pour les offices du matin et du soir et Messes Abbatiales ;
2° Pension et entretien des choristes ; blanchissage du linge de la sacristie ; cordes des cloches et de l'horloge et réparation de la dite horloge ;
3° Appointements d'un barbier, d'un médecin, d'un chirurgien et fourniture des remèdes ;
4° Frais de l'hospitalité en général ; gages et pension d'un domestique pour le service des Hôtes et de l'Infirmerie ;
5° Pour aumônes journalières en pain, pour les pauvres qui se présentent à la porte ; en pain, vin, viande, bouillon et soupe pour les malades ;
6° Pour aumônes annuelles consistant en deux minots par semaine de seigle, mis en pain, depuis le premier mercredi de janvier inclusivement jusqu'au dernier mercredi de juillet aussi inclusivement ;
7° Pour l'aumône du Jeudi-Saint, le repas du Seigneur et sa suite ; pour le dîner et la rétribution des pauvres qui viennent à la cérémonie du Mandatum ;
8° Pour la pension Doctorale, l'entretien et augmentation de la Bibliothèque, droit de Visites, frais de réception de MM. les Visiteurs et contribution aux charges de l'Ordre et, en général, pour acquit de toutes charges réputées claustrales et qui affectent le tiers lot [Note : Cette convention, ratifiée par M. Chevreuil, Paris, le 30 octobre 1787, avait été faite en son nom, le 10 septembre, par son procureur, M. Théodore Le Gogal de Toulgoat].

Les événements allaient d'ailleurs se charger de mettre tout le monde d'accord, d'une manière irrévocable, en supprimant toute cause de conflit.

***

Cependant que les moines défendaient leurs intérêts et qu'ils hâtaient l'achèvement de leur église, un incendie, attribué à la malveillance, vint encore compliquer la situation.

Le lundi, 4 février 1788, environ les quatre heures de l'après-midi, plusieurs religieux étaient sortis de la maison, ainsi que la plupart des domestiques, lorsqu'on entendit crier : « Au feu ! ». L'enquête judiciaire devait établir que l'incendie commença dans un coin du grenier, loin de toute cheminée et parmi des faisceaux de lattes et beaucoup de paille étendue. Cette circonstance frappante ne peut permettre de douter que le feu n'eut été porté dans le grenier, de dessein prémédité, par quelqu'un qui connaissait les entrées de la maison et qui choisit, pour exécuter son projet, le moment où elle était presque déserte...

La partie incendiée du bâtiment du midi, depuis l'intérieur du pavillon en allant vers le devant, a 60 pieds de longueur et 30 pieds de large et comprend le salon de compagnie, la cuisine, le petit vestibule venant du jardin au Cloître. La partie donnant sur le couchant (façade) a été brûlée de 48 pieds de long sur 30 de large, sans y comprendre le dit pavillon ; elle comprend la salle à manger et le grand vestibule, où est le grand escalier qui conduit au dortoir. Dans le haut, le feu a dévoré la Procure, au-dessus de la salle à manger, plusieurs chambres des religieux, (à prendre de la porte de la chambre du Prieur jusqu'à la chambre occupée par Dom Grolleau,) et tous les greniers et couvertures de ces deux bâtiments ; la charpente au-dessus a été entièrement brûlée, une autre partie a été coupée et ruinée pour arrêter les progrès de l'incendie. Beaucoup de meubles ont été la proie des flammes.

Ainsi, le feu avait été mis dans le grenier du pavillon au couchant, (sud-ouest de la façade) ; il dévasta huit appartements, y compris le vestibule, avec leurs meubles, effets, ustensiles, boiseries, parquets, lambris et autres objets. La Procure disparut entièrement avec une partie des archives qui s'y trouvait ; de nombreux documents furent détruits ou perdus, tandis qu'on les transportait en désordre à l'abbatiale, dans l'obscurité et sous une pluie battante ; car le feu continua durant la nuit. Il paraît que les voleurs se mirent aussi de la partie et que certains objets disparurent, à la faveur des ténèbres, en particulier « une douzaine de cuillères d'argent à café, avec un grand couvert et une fourchette cassée par la moitié, le tout armorié d'hermines sans nombre ». Les pertes occasionnées par l'incendie et le pillage furent estimées à 30.000 livres, et les frais de descente de justice montèrent à 444 £ 14 sols et 5 deniers [Note : Procès-verbal des expertises. 9-12-13-14 février 1788. (Arch. de Morbihan). On avait reçu les dépositions de Pierre Bréban, adjudicataire des bois ; de Pierre Herpe, marchand boisier ; de Joseph Boyer, charron. Avaient également comparu, à titre de témoins, avec Dom Le Denmat, procureur ; Pierre Le Dantec, domestique de M. Le Prieur ; Jean Congreté, jardinier ; Julien Paulo. cuisinier ; Jean Miguoch, maçon ; Anne Guégan, soigneuse de vaches ; Jacquette Nicole, domestique ; Mathurin Le Camic, menuisier ; Louis Ollivier, couvreur ; François Cloarec, menuisier ; Eréné, portier appareilleur].

Malgré la malveillance de leurs ennemis et les menaces de l'avenir, les moines se remirent courageusement à l'œuvre pour refaire la charpente et les planchers, et garnir à nouveau de meubles, les appartements délabrés. Il leur faudra, pour mener à bien ces travaux, une somme de 42.000 livres.

Deux ans plus tard, Mgr Conen de Saint-Luc décédait à Quimper, âgé de 56 ans, dans les plus grands sentiments de piété, après avoir noblement protesté contre la Constitution Civile du clergé (30 septembre 1790).

On voit son épitaphe à la cathédrale de Quimper, dans la chapelle de la victoire [Note : L'Evêché de Quimper possède un portrait de Mgr de Saint-Luc. — Une gravure sur bois, par Pannemaker : in-12, à claire-voie, dans Une martyre des derniers jours de la Terreur, par le R. P. XAVIER POULARD, S. J. p. 106 (Lille, 1882).

(Albert David).

© Copyright - Tous droits réservés.