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HISTOIRE DE L'ABBAYE de NOTRE-DAME DE BEAUPORT

(ordre des Prémontrés)

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Note : le sceau de Beauport dut être aussi le sceau de St-Rion. L’abbaye des Prémontrés en tira ses armoiries plus tard : « de gueules à la nef d’or, montée grayée de même, chargée d’un archevêque en poupe, chappé et mitre de sinople, orfrayé d’azur, à la croix d’argent, affronté d’un abbé, froqué de sable, mittré et crossé d’or, sis en proue, qui sont saint Rion et saint Maudez, patrons de l’abbaye » (Annales de Beauport).

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En 1202, Alain, ce comte de Goëllo que nous avons vu bâtir et doter richement une abbaye dans l’île St-Rion pour des chanoines de Saint-Victor, avait repris les biens donnés par lui et ses ancêtres ; et, cette même année, il en disposa en faveur d’une fondation nouvelle [Note : Nous avons établi, contre D. Morice et D. Taillandier, qu’il n’était pas possible de confondre les deux abbayes de St-Rion et de Beauport. M. l’abbé Tresvaux, qui avait particulièrement connu le dernier supérieur général des Prémontrés, est le seul historien moderne qui ait reconnu la différence entre les deux abbayes ; mais la cause qu’il attribue à la disparition des Victorins est originale : « Ne s'étant sans doute pas trouvés bien, ils se seront en allés ». D’après l’acte de fondation et la bulle de 1198, il fallait être difficile pour ne pas se trouver bien à l'île de C’haro-Enez. — Quant aux Annales des Prémontrés, elles gardent, comme tout le reste, le silence le plus complet sur la fin de St-Rion ; seulement, en parlant du comte Alain, elles disent : « Princeps ad pietatem à naturâ compositus, et fundatione monasterii insulœ Sancti Rioni jam clarus in Ecclesiâ, abbatiam Belli-Portûs erexit, septem à Briocensi civitatis horis ». Enfin, le Déal de Beauport suppose que, ou les chanoines de St-Victor ne prirent pas possession du monastère qui leur avait été préparé, hypothèse que les faits précédemment cités démentent, ou qu’ils l’abandonnèrent aussitôt ; nous avons démontré le contraire]. Il la plaça en terre ferme, avons-nous dit, presque en face de St-Rion, au fond d’une petite anse, à l’entrée de la forêt de Plouézec [Note : Il se voit encore des traces nombreuses de cette forêt, entre cette partie de la côte et la rivière du Leff, aux environs de Plourivo et de Frinaudour], dans un site délicieux [Note : « Que les moines du vieux temps comprenaient bien la poésie d’un beau site ! Voyez, quel panorama enchanteur !... Qui ne s’estimerait heureux de passer en paix ses jours au sein de cette demeure pieusement relevée et rendue à l’étude et à la prière », disait l’abbé de La Mennais à un de ses jeunes disciples, devant les ruines de Beauport. (M. de Courson, Anciennes forêts de la France. — Moniteur du 28 juin 1854)]. Il la mit sous l’invocation de la Vierge ; et, sans doute en souvenir du célèbre monastère irlandais où avait été recueilli et élevé saint Budoc, la gloire et le patron de la famille de Goëllo [Note : Nous résumerons ailleurs cette gracieuse légende de sainte Azénor et de saint Budoc], il la nomma Beauport.

La pensée du pieux fondateur, en appelant des Prémontrés [Note : Cet ordre, fondé près de Laon par saint Norbert, en 1120, fut d’abord tellement austère qu’il ne se permettait pas même les œufs, le lait et le fromage. Il apporta d’importantes réformes dans la vie religieuse, et s’étendit rapidement. Moins de deux siècles après sa fondation, il formait, tant en Europe qu’en Asie, vingt-neuf cercles ou provinces ; Beauport appartenait à celle de Normandie, circaria Normaniœ. — L’habit religieux était blanc, en l’honneur de la Sainte Vierge. L’abbaye mère gardait sur ses filles droit de visite et de patronage ; ce qui n’empêchait pas la surveillance exercée par le général de l’ordre ou ses délégués] de l’abbaye de la Luzerne en Normandie, paraît avoir été de créer pour les campagnes des pasteurs vertueux et instruits. Une telle pensée ne pouvait manquer d’être soutenue et encouragée par l’homme de génie qui gouvernait alors l’Eglise : aussi Innocent III expédia-t-il dans cette même année deux bulles en faveur du nouveau monastère.

L’archevêque de Tours, les évêques de St-Brieuc, de Tréguier, de Lincoln et leurs chapitres se prêtèrent avec empressement aux pieuses intentions du fondateur. L’évêque de Dol, seul, qui voyait à regret Beauport placé hors de son territoire, fit quelque résistance ; mais bientôt il céda, sous l’influence de l’archevêque : il abandonna aux nouveaux religieux, outre les églises de Bréhat et de St-Rion, les paroisses de Kérity et de Lannevez, et de plus le chef vénéré de saint Maudez.

Alain ne se borna pas à transporter à Beauport les biens et privilèges accordés à St-Rion [Note : Parmi les droits concédés à l’abbaye, nous citerons celui qui s’exerçait sur les moutons du littoral, pour rappeler que, du XIIème siècle jusqu’à nos jours, s’est conservée la réputation des gigots de Prés-Salés] : il en ajouta de nouveaux , et notamment les six églises du Goëllo dont il était le présentateur [Note : Ces six églises étaient Pordic, Etables, Plouvara, Plélo, Plouha et Yvias], celle de Plouagat avec ses dépendances, et celles dont il pouvait disposer au diocèse de Lincoln en Angleterre [Note : Ces églises, au nombre de neuf (voir la charte I), se groupaient autour de son manoir de Rovendal, sur lequel il donna aux moines une rente de dix livres sterling]. Il donna encore l’île St-Rion qui resta lieu de refuge, « ut sit minihy » [Note : « L’isle de St-Rion entourée de mer, peuplée de lapins, inhabitée de gens, avec droit exclusif de chasse, contenant 10 journaux de terre labourable, non compris les rochers, avec pêcherie de mer entre l’isle et l’abbaye, avec tout ce que la mer découvre aux environs de l’isle ; autres pescheries en la rivière de Pontrieux, au-dessous du Vieux-Chastel, dite pescherie de Lotron ». Ainsi s’expliquent les aveux de 1603 et de 1680, qui existent aux archives de l’Empire et des Côtes-du-Nord ; ce sont les plus complets que nous connaissions].

Ses libéralités furent imitées par la principale noblesse du pays : Conan et Geslin de Coëtmen, ses frères, firent plusieurs donations importantes, notamment les bois pour la construction du moutier ; Suhart, qui prenait le titre de fils du vicomte, Derrien de la Roche, Guy de Laval, Guillaume Le Borgne, sénéchal et seigneur de Creheren, les seigneurs de Plouha et de Plouézec, de Ploubazlanec et Kérity, du Grand-Pré, etc., s’empressèrent d’apporter leur tribut. C’est ainsi que Beauport reçut en don l’église de Plouézec, la moitié de celle de Goudelin [Note : L’autre moitié appartenait aux Augustins de Beaulieu : de là le recteur blanc et le recteur noir de cette paroisse. Ils alternèrent longtemps par semaine pour les fonctions curiales ; mais ils finirent par se partager la paroisse : le noir s’établit au bourg, et le blanc à N.-D. de Lisle], la foire de Paimpol, qui prit alors le nom de Foire aux Moines [Note : Cette foire se tenait les vendredi, samedi et dimanche de l’octave de la Pentecôte. Les moines y percevaient la moitié de la coutume et jouissaient du droit d’y faire, avant tous autres, leur provision de beurre et autres approvisionnements de ménage. Les jours de marché à Paimpol, ils percevaient le tiers de la coutume. Ils devaient ces avantages à Conan, frère de leur fondateur (Sommier de l’abbaye)], etc.

Des dons plus modestes prouvent combien était populaire la fondation des comtes de Goëllo : les petits propriétaires apportaient un journal ou un joug de terre ; moins encore, quelques sillons ou quelques raiz de froment ; ou bien ils se donnaient eux-mêmes, mais ce genre d’aumône était plus fréquent à St-Aubin et à Boquen.

Bientôt Beauport arriva à avoir un revenu qu’on n’évaluait pas à moins de 60,000 liv., dont 20,000 mesures de froment de ce côté de la Manche seulement [Note : Mss. des Arch. des C.-du-N. — L’aveu de 1680 classe comme suit les biens de cette abbaye : « L’église, cloistre, dortoirs et autres lieux reguliers, maison abbatiale, couvent, jardins, vergers, deux colombiers et une fuie, estangs, prairies, moulin à moudre le blé, bois de haute futaie et généralement tout le pourpris de ladite abbaye, fermé de murailles, appelés le petit et le grand enclos, en la paroisse de Plouezec, sur le bord de la mer, contenant en fonds 11,234 cordes 1/2, à raison de 80 cordes au journal » ; plusieurs moulins à vent et à eau, dont un « à courre de mer », dans les paroisses de Plouézec, Yvias, Plouha, Perros, Cohignac ; le manoir de la Grange du Bois, avec ses jardins, chapelle, estangs, coulombier en Plouézec ; le lieu et manoir noble des Fontaines, chapelle, moulins, coulombier, jardins et bois, en Plouagat et Plélo, touchant la rivière de « Lem » (Leff) et la route de Chatelaudren à Lanvollon ; ce qui, joint aux landes de Plouézec (autrefois la forêt), leur donnait 50,250 cordes. A ces terres se joignaient les dîmes se percevant de la 12ème à la 36ème gerbe dans les paroisses de Plouézec, Kerity, Perros, Ploubalanec, Lannevez, Lanvignec, Plounez, Plourivo, Yvias, Plouha, Treveneuc, Etables, Pordic, Plélo, Plouvara, Bocqueho, Plouagat, Cohiniac, Goudelin, et aux îles de Bréhat et Bamique (pour Biniguet). Des piesbytères confortables, avec jardins, dans les paroisses de Plouézec, Plouha, Etables, Pordic, Plouvara, Yvias et Plélo, au diocèse de St-Brieuc ; de Plouagat, Goudelin et Bocqueho, en Tréguier ; de Brehat, Perros, Lannevez, Lanvignec et Kerity, en Dol. Puis venaient les rentes consortes, censives, mengières, cheffrantes, etc., dans les paroisses ci-dessus énumérées, et de plus dans celles de Plourhan, Lantic, Pludual, Plérin, St-Brieuc, Tressignaux, Lanvollon, Tremeven, Quintin, en nombre si considérable qu’il faut renoncer à les énumérer. — Les charges de l’abbaye se composaient de 6 raiz de froment dues à St-Croix de Guingamp ; 18 liv. au Sgr de Kergouanarvé ; 150 liv. pour portion d’un frère oblat ou d’un soldat estropié, payées au receveur du roy à Nantes ; 1,112 liv. à Sa Majesté ; 1,500 liv. pour le bureau des décimes ; 1,000 liv. aux recteurs ; 300 liv. pour l’entretien d’un religieux au collége de Prémontré. L’hospitalité et les aumônes absorbaient au moins 13 tonneaux de blé par an ; et les digues contre la mer étaient d’un entretien coûteux.

L’ensemble de ses vastes domaines était divisé en deux baillées ou bailliages : celui de Beauport contenait les biens situés au nord de Lanvollon ; celui de Plouagat, dont le siège était au prieuré de N.-D. des Fontaines, près Châtelaudren, embrassait le reste. Ces baillées furent gérées tantôt par des religieux, tantôt par des laïques [Note : Dans la suite , un fermier général prit la gestion de tous les biens de l’abbaye, et souvent des familles considérables du pays ne dédaignèrent pas de s’en charger : ainsi, par exemple, les Tanouarn, Sgrs de Kertanouarn] ; mais jamais les moines du Goëllo ne cultivèrent de leurs mains [Note : Il faut remarquer toutefois que les archives de l’abbaye contiennent une foule d’actes qui attestent que les religieux baillis ne cessaient de pousser les fermiers et colons à une meilleure culture. Comme nous le voyons par les comptes du bailliage des Fontaines dans les XVème et XVIème siècles, les moines qui résidaient à ce prieuré avaient des bœufs, des chevaux, des charrettes et des valets pour l’exploitation qu’ils dirigeaient eux-mêmes], comme le firent longtemps ceux du Penthièvre et du Porhoët. L’abbaye avait droit de minage et d’étalonnage à Paimpol ; toutes les mesures publiques devaient y être poinçonnées de la crosse. Par lettres ducales de 1370, renouvelées en 1429, elle était exempte de tous droits sur ses approvisionnements en blé et en vin [Note : Nous n’avons trouvé aucune trace de la culture de la vigne dans le Goëllo] ; et même sur les « blés vendus hors du duché pour subvenir à la soutenance du moutier ». Un autre droit auquel elle tenait beaucoup, c’était le seinage des poissons royaux [Note : Ce privilége leur valut beaucoup de procès].

La haute justice de Beauport fonctionnait dès 1239 ; le siège en fut transporté à Paimpol, disent les Annales du monastère, quand l’abbé se fit remplacer à la tête de ce tribunal par un sénéchal assisté des officiers ordinaires [Note : Tant qu’il y eut des abbés réguliers, il fut constamment pourvu aux charges de cette magistrature ; mais il n’en fut plus ainsi à partir de 1540 : les commendataires ne nommèrent plus de magistrats que de loin en loin, et ceux-ci le plus souvent se bornèrent à toucher leurs gages. Ces gages étaient de : un tonneau de froment pour le sénéchal, deux pour le procureur fiscal et deux pour le greffier].

Beauport ouvrit une banque analogue à celle de St-Aubin : ses chartes présentent tout un système d’hypothèques qui se développent pendant le cours du XIIIème siècle, pour aboutir, à très-peu de choses près, à l’institution qui fonctionne encore de nos jours. Ces prêts, à un taux modéré, lorsque la société était dévorée par l’usure, rendirent de grands services, notamment à l’occasion des Croisades : plus d’un chevalier partant pour la Terre-Sainte ou pour la Provence sauva ainsi son patrimoine, et le comte de Goëllo lui-même fut heureux de pouvoir recourir à la banque des Prémontrés.

Nulle autre abbaye n’eut plus de procès que Beauport ; mais ici ce fut moins contre les seigneurs du voisinage [Note : Toutefois, quelques actes qu’on trouvera ci-après, et notamment le bref du pape Alexandre IV (cart. 238), prouvent que, vers le milieu du XIIIème siècle, Beauport eut à subir diverses spoliations] que contre le clergé séculier et contre les paroissiens, qui, dans le Goëllo, n’aimaient guère à payer leurs redevances. Peut-être la réforme opérée par les Chanoines Réguliers dans le ministère paroissial n’était-elle pas absolument étrangère à ces querelles toujours renaissantes ; mais les questions de juridiction, de présentation et de dîmes étaient les motifs le plus souvent invoqués.

Les bulles d’Alexandre IV et de Clément V, le concordat de 1245, les efforts des délégués du St-Siége en 1306, ne purent terminer ces différends [Note : Parmi les bulles adressées à Beauport, il s’en trouve plusieurs datées d’Avignon, notamment celles du VII des ides de novembre 1390 et du VIII des ides d’octobre 1396. Plusieurs autres faits montrent que, dans la question du Grand Schisme, Beauport suivit le parti opposé à l’Université de Paris, et qu’il ne voulut pas de la neutralité proclamée par le duc de Bretagne. Au reste, le diocèse de St-Brieuc paraît avoir également pris parti pour Benoît XIII ; car nous avons trouvé, dans les papiers de l’abbaye, la preuve que le doyen du chapitre, Olivier Fromentin, percevait régulièrement « les décimes papales » pour la cour d’Avignon, de 1390 à 1397]. Au commencement du XVème siècle , ils prirent même un caractère particulier d’acrimonie, sous le pontificat de Jean de Châteaugiron. Comme l’abbé Jean Boschier refusait de se rendre au synode, l’official de l’évêque lança contre lui une sentence d’excommunication, qui fut cassée par l’official du métropolitain ; et le pape Jean XXIII somma l’évêque de St-Brieuc, sous peine d’interdit et d’une amende de cent marcs d’argent, de reconnaître les privilèges de Beauport et son exemption de l’ordinaire (Bulle de 1413). Une nouvelle sentence n’en fut pas moins nécessaire, l’année suivante, contre ce prélat, qui fut cette fois condamné à payer à l’abbé quarante florins d’or pour frais du procès [Note : Arch. des Côtes-du-Nord. — Le sceau en cire rouge porte l’empreinte d’un évêque, d’un abbé et d’uu moine agenouillés devant la St-Vierge, plus deux écussons effacés]. En passant au siège de Nantes et prenant la chancellerie de Bretagne, Jean de Châteaugiron fit nommer au siège de St-Brieuc Alain de la Rue , qui semble avoir cherché, dans les circonstances politiques, l’occasion de venger son bienfaiteur.

La dénonciation d’un page fit considérer Jean Boschier comme coupable d’avoir trempé dans la conspiration de la maison de Penthièvre, en 1419. L’évêque le fit enlever et le livra au chancelier, qui, pour le juger, nomma une commission composée des évêques de Dol, de Rennes et de St-Malo. Cette commission déclara qu’il n’y avait pas lieu à poursuite ; mais l’évêque de St-Brieuc n’en retint pas moins l’abbé dans ses prisons, et il se présenta pour faire la visite de l’abbaye, dont l’entrée lui fut refusée.
Le Pape, après avoir solennellement approuvé la résistance des Prémontrés, envoya à St-Brieuc, en 1423, le cardinal de Brancas, pour ouvrir à l’abbé les portes de la prison, et excommunier l’évêque si celui-ci prétendait s’y opposer.

Ce ne fut pas tout : en 1433, le pape Eugène IV publia, en les confirmant, trois bulles de Jean XXIII, dont l’une assurait aux abbés de Beauport le droit « de rappeler au cloistre les recteurs et prieurs, toutefois et quand leurs dérèglements ou l’utilité de la maison le demanderoient » ; ce qui était donner à l’abbé une part considérable de juridiction sur les paroisses relevant de Beauport. L’évêque Huguet de Boisrobin souleva de nouveau le conflit ; mais il fut condamné à tous les degrés, et, en 1435, une circulaire du cardinal de Breda à tous les prélats de Bretagne, avertit solennellement l’évêque de St-Brieuc qu’il allait être définitivement frappé d’excommunication, s’il ne reconnaissait sur le champ les privilèges des Prémontrés. Enfin, l’année suivante, des commissaires nommés par le St-Siége parvinrent à mettre les parties d’accord par des concessions mutuelles [Note : Nous saisirons cette occasion de rectifier une erreur que nous avons commise dans le T. I : sur la foi de la collection bénédictine des Blancs-Manteaux, nous avons placé la mort de l’évêque Huguet de Boisrobin en 1435, ce que dément la bulle d’Eugène IV, du 22 juin 1436]. Nous devons constater à l’honneur de Beauport que, dans les deux siècles durant lesquels ces querelles se prolongèrent, le St-Siége et les prélats qui eurent à intervenir se prononcèrent constamment en faveur de l’abbaye [Note : Nous ne mentionnerons que pour mémoire les luttes qu’elle soutint contre sa mère de la Luzerne ; et, quant aux discussions avec les prieurs qu’elle plaçait dans ses paroisses, nous nous bornerons à dire que, d’après des lettres patentes de Charles IX, le recteur de Bocqueho, par exemple, prélevait indûment la dime sur les toisons et sur les agneaux, un droit sur la viande en carême, le « coût de Noël » et une gerbe en plus sur la dîme des céréales « pour devoir de labourage ». Alors le désordre dans l’administration des paroisses était à son comble : les conflits entre les évêques et les abbés étaient souvent cause qu’il y avait deux recteurs dans une paroisse, ou que, pendant longtemps, il n’y en avait pas du tout. Malgré les visites de l’évêque et des archidiaeres, que le tribunal de l’officialité ne soutenait pas toujours, la simonie s’étalait avec une impudence telle que les coupables osaient même en appeler au St-Siége. — Le 26 mai 1646 (on voit que ces abus se prolongèrent longtemps), le recteur de Plouvara afferma, par devant deux notaires des Reguaires, les fonctions curiales de sa paroisse, « consistant à dire solennellement tous les dimanches la grand messe en l’église parocchiale et lieux requis, visiter les malades et administrer les saints sacrements à qui est deubs ». — En 1621 , le recteur de la même paroisse avait vendu son bénéfice à un Dominicain de Ste-Croix de Guingamp. L’archidiacre voulut arrêter ce scandaleux trafic ; le Dominicain en appela au Souverain-Pontife. Ste-Croix voulait garder la cure bien ou mal acquise : Beauport ne voulait pas la laisser aller, et les pauvres paroissiens restaient privés de « toute pasture spirituelle ». Enfin, une transaction eut lieu, et Beauport envoya son prieur, Fr. Jacques Geslin, prendre de nouveau possession de cette cure, rétablir l’ordre et réparer, autant que possible, le mal causé par ce long conflit].

 

HISTORIQUE.

Aucun ordre ne réagit plus énergiquement que les Prémontrés contre le système des commendes ; aucun monastère ne supporta plus difficilement que celui-ci ses abbés commendataires. Quand éclatèrent en Bretagne les guerres de la Ligue, une autre cause de désunion existait encore entre les religieux et l’abbé, M. de La Rochepozay. Celui-ci, aumônier du roi, se rapprocha des défenseurs de la cause royale [Note : Il avait eu, en 1583, son temporel saisi par Mercœur, parce qu’il prétendait tout tenir du roi en fief amorti et ne relever en rien du Penthièvre], et notamment du fameux La Tremblaye, qui commandait à Paimpol ; comme tout le clergé de ce pays, les moines prirent au contraire parti pour la Ste-Union. La Tremblaye et l’abbé enlevèrent les titres de Beauport, qu’ils emportèrent à Paimpol : le prieur claustral porta plainte au Parlement, qui, en 1596, fit arrêter La Rochepozay et commença des poursuites contre son complice lui-même, malgré sa haute position. Mais ce dernier ayant été tué au siège du Plessis-Bertrand, les archives furent réintégrées à l’abbaye, le commendataire fut relâché, et un accord passé entre lui et ses religieux [Note : En ce moment, les revenus de l’abbaye no s’élevaient plus qu’à 9,932 liv. , supportant 3,390 liv. de charges. Un acte de 1584 montre l’abbé de La Rochepozay affermant tous les biens de l’abbaye à Alain Le Siet, marchand, demeurant en sa maison noble de Couvran, paroisse de Plérin. (Arch. des Côtes-du-Nord)].

Divers actes [Note : Le sous-prieur se croyait obligé de se faire délivrer par le chapitre un certificat de bonne vie et mœurs. Le frère Nicolas Botterel, ayant fait profession d’hérésie et porté les armes parmi les huguenots, fut envoyé au supérieur général pour faire pénitence et placé dans un couvent à deux cents lieues de là. (Arch. des Côtes-du-Nord)], les dégâts constatés dans les édifices [Note : Un procès-verbal du sénéchal de St-Brieuc constate que, en 1606, les toits étaient encore défoncés, les vitres brisées , l’orgue hors do service, et la plupart des autels renversés. Ces autels étaient sous le vocable de Notre-Dame du Rosaire, de saint Yves, de saint Louis et de saint Fiacre] et surtout les efforts faits pour rétablir la vie religieuse après les troubles, disent assez que les désordres de ces tristes temps n’épargnèrent pas plus ce monastère que les autres. L’abbé de la Luzerne fut chargé de le réformer, comme toutes les maisons de sa filiation, en 1606 ; mais, depuis cinq ans, un homme intelligent, Fr. Jacques Geslin, travaillait à relever Beauport, qu’il gouvernait comme prieur. Les moines, contents de son gouvernement, refusèrent l’intervention de l’abbé réformé , et ils en référèrent à l’abbé général [Note : C’était François de Longpré : son sceau, timbré de la crosse et de la mitre, portait parti semé de fleurs de lys , parti à la corne d’abondance renversée et sommée d’une rose]. L’affaire prit de grosses proportions ; elle alla successivement au Parlement, au Conseil du roi, au Chapitre général de l’Ordre, et ce fut seulement le 1er mars 1630 que les anciens religieux consentirent à laisser les réformés entrer dans Beauport, après avoir stipulé pour eux-mêmes des exemptions de tout ce qui leur semblait trop dur dans la nouvelle règle [Note : Ils furent exemptés des Matines de minuit, de Prime, de Nonc et de Complics ; mais ils devaient assister aux Vèpres et dire au moins trois messes par semaine. Ils ne devaient pas entrer aux lieux réguliers pendant que les réformés étaient astreints à garder le silence ; ils ne devaient recevoir dans leur logis d’autres femmes que leurs parentes ; dans la réception de leurs parents et amis, ils devaient garder une modestie honnête et religieuse, etc. Tout cela n’annonce pas une vie très-monacale].

Vingt ans après l’introduction de la Réforme, l’état de l’abbaye ne s’était guère amélioré, du moins au point de vue matériel : l’abbé général constatait , en 1651 , que la pluie pénétrait dans le dortoir et le réfectoire ; il n’y avait ni chauffoir ni infirmerie ; pendant le service divin, la foule se répandait dans le chœur et y jetait le trouble par son irrévérence [Note : Cette irruption de la foule tenait à ce que le sanctuaire ouvrait sur la nef par une simple porte, qu’on franchissait pour apercevoir l’autel ; cette clôture fut alors remplacée par une balustrade] ; l’enceinte conventuelle n’était même pas close. La sage administration des prieurs nommés par l’abbé général ou, à son défaut, par l’abbé de la Luzerne, fit disparaître cet état de choses : l’église fut restaurée, des bâtiments nouveaux s’élevèrent, et la règle fut strictement observée [Note : Chaque religieux s’engageait par écrit « à réformer ses mœurs, faire pénitence jusqu’à sa mort, observer strictement les lois de l’Evangile et la règle de saint Augustin, en toute obéissance et humilité ». Le prieur, agissant comme vicaire-général de l’abbé, pourvoyait aux cures vacantes. (Arch. de l’abbaye)] pendant la seconde moitié du XVIIème siècle et le commencement du XVIIIème s.

Des désordres de la nature la plus grave ayant été signalés à l’abbaye de Blanchelande, ce fut le prieur de Beauport qui fut envoyé, avec un de ses religieux, par l’abbé général, pour réformer cette maison dégénérée, et en déposer l’abbé. Alors aussi, Notre-Dame de Beauport recevait souvent, des autres abbayes de l’ordre, des moines qui avaient besoin de se retremper à une source pure : certes, la grandeur de cette solitude, où la voix de Dieu et de l’océan devaient seules se faire entendre, était bien propre à calmer et à relever une pauvre âme bouleversée par la tempête des passions.

Vers cette époque, le célèbre Fouquet, ministre d’Etat, surintendant des finances, procureur général au Parlement de Paris, Fouquet, comblé de fortune et d’honneurs, réclama, comme seigneur de Correc, le droit de chauffage et de pâturage (quel pâturage et quel chauffage !) dans la lande qui fut autrefois la forêt de Plouézec. Les religieux répondirent que les anciens comtes de Goëllo s’étaient réservé ce droit dans la forêt ; mais que la forêt ayant disparu par vétusté, la servitude avait pris fin par cela même. Après une série de procès, les moines, pour se débarrasser de ce dangereux adversaire, lui abandonnèrent trente journaux de lande en toute propriété. Lorsque cet homme si dur dans la prospérité fut tombé du faîte des grandeurs, peut-être regretta-t-il dans la prison solitaire de Ste-Marguerite, les quelques mottes de bruyère qu’il avait disputées aux religieux de Beauport.

L’abbaye de Daoulas, fondée au XIIème siècle, par les vicomtes de Léon, en expiation d’un grand crime, s’était séparée de l’ordre des Prémontrés, et vivait « indépendante » sous la règle de saint Augustin. Les trois moines qui l’habitaient à la fin du XVIIème siècle, ne voulant plus demeurer ensemble, convinrent de céder à Beauport, moyennant une pension viagère pour chacun d’eux, leur abbaye avec ses douze prieurés-cures et ses deux prieurés simples ; ils traitèrent en ce sens avec l’abbé général des Prémontrés, le 18 octobre 1683. Le roi ne sanctionna pas ce traité, et un édit du 5 avril 1692 réunit Daoulas au séminaire des Aumôniers de la Marine, tenu à Brest par les Jésuites. Le duc de Rohan, comme représentant des fondateurs, l’évêque et le chapitre de Quimper protestèrent avec Beauport : de là une longue procédure qui n’était pas terminée trente ans après.

La seconde ère de prospérité de Beauport ne fut pas de longue durée : le relâchement de la règle, l’esprit de contention et de dispute, la hauteur à l’égard de l’autorité diocésaine l’emportèrent peu à peu, dans le cours du XVIIIème siècle. C’est ce qu’attestent à la fois le registre capitulaire de discipline, les archives de l’abbaye et quelques faits qui, sans pouvoir être imputés à la maison entière, ne laissèrent pas que d’y jeter une certaine déconsidération [Note : Nous ne citerons que deux de ces faits : Le prieur-recteur de Plouagat eut à subir des voies de fait dans des circonstances odieuses : un procès s’ensuivint, et l’évêque de Tréguier lanca un monitoire pour obliger les témoins à faire connaître toute la vérité. – En 1713, le prieur de Beauport chercha à s’emparer de la seigneurie de Kérity, en employat successivement la flatterie et la menace à l'égard du propriétaire, et de plus la corruption à l’égard du régisseur. (Arch. des Côtes-du-Nord)]. Au reste, l’établissement des séminaires diocésains avait enlevé à cette abbaye sa principale raison d’être, et la Révolution trouva celle-ci, comme les autres, en pleine décadence.

(J. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy).

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