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ARCHÉOLOGIE DE L'ABBAYE NOTRE-DAME DE BEAUPORT

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Les ruines de Beauport sont les plus belles de Bretagne, et peuvent compter dans les plus remarquables de la France entière, tant pour la pureté du style que pour le grandiose du paysage : le lecteur nous pardonnera de nous y arrêter quelques moments. Au fond d’une anse doucement arrondie, entourée de coteaux couverts de bois, en face d’une vaste rade, semée d’îles, d’îlots et de rochers aux formes les plus étranges, c’est là que, studieuse et recueillie, était venue s’asseoir la Bienheureuse Marie de Beauport. Tantôt les pieds caressés par le flot de la plage, tantôt menacée par les coups précipités des vagues de la haute mer, elle étudiait et priait au doux murmure de la brise du soir, ou mêlait les chants de sa liturgie aux clameurs de la tempête et à la voix des grandes eaux [Note : La dernière fois que nous l’avons visitée, c’était un soir d’été, après une journée d’orage. La nature semblait affaissée dans cette humide langueur qui suit ses colères : pas un souffle ne ridait la surface grise de la mer ; les barques de pêcheurs, sans voiles, semblaient endormies ; les îles en s’éloignant s’enfonçaient dans la brume. Le calme sied aux tombeaux, et les ruines ne s’éclairent jamais mieux qu’à une lumière demi-voilée : tout cet ensemble formait un tableau si harmonieux, si mélancolique, d’une touche si fine et si douce, que la plus merveilleuse gravure anglaise n’en eût pu approcher].

Du fond de son vallon si frais, dont l’étang paisible et le moulin babillard contrastaient avec le fracas des falaises, les moines virent plus d’une fois les hommes se poursuivre et s’entre-tuer sur la mer [Note : Une après midi de dimanche, entre autres, au commencement de la guerre d’Amérique, la corvette l'Oiseau fut, après une lutte acharnée et inégale, amarinée par une frégate anglaise, en vue de Beauport] ; et, plus souvent encore, celle-ci se redresser furieuse pour broyer amis et ennemis sur ses implacables roches [Note : Pour arriver là, la mer a rompu une chaîne de collines dont les principaux sommets lui résistent encore. Le plus élevé forme les Mâts de Goëllo, inébranlable comme certains caractères quand tout s’abaisse autour d’eux. Cette montagne dénudée n’est habitée que par des moutons à l’état sauvage, qui se montrent et disparaissent dans des falaises inaccessibles. Le héron et le cormoran y restent des journées entières, immobiles sur le sommet d’une roche, comme fascinés par le mouvement du flot ; et la mouette passe en jetant son cri précurseur des tempêtes. Cette solitude au milieu d’une mer toujours agitée ne manque ni de poésie ni de grandeur]. Des bâtiments claustraux, les uns, comme la salle capitulaire, la salle au Duc et les caves, qui ressemblent à des basiliques souterraines, sont intactes ; d’autres, comme l’église, le réfectoire, le cloître, sont dans un état de ruine plus ou moins avancé ; d’autres , comme les logements de l’abbé, ont été rebâtis au XVIIème siècle ; enfin, les dépendances et le bâtiment des hôtes, ou, comme on disait ici, des Dames, ont complètement disparu [Note : Ce dernier groupe était situé à gauche en entrant, entre le grand portail et les bâtiments formant le côté ouest du cloître]. Mettant de côté les constructions des deux derniers siècles, nous partagerons les parties du monument en cinq groupes : celui où le granit est seul employé ; celui dont la décoration est taillée dans la siénite ou tuffeau vert ; celui où la siénite et le granit sont employés simultanément ; celui où le calcaire de Caen prend la place de l’un et de l’autre ; enfin, celui qui se caractérise par le retour au granit. Ces cinq systèmes ne sont pas antérieurs au XIIIème siècle, sauf peut-être le premier, la salle au Duc, qui pourrait se rattacher au XIIème s, par ses lancettes à ogives romanes, par ses contre forts plats [Note : Le plus léger examen ne permet pas de confondre les contreforts refaits contre la façade méridionale avec ceux qui, dès l’origine, ont soutenu le pignon est et la longère nord], par ses petites arcatures, par l’étrange forme de sa cheminée dont la cuve extérieure devient un motif d’ornement pour la façade : la tradition dit en effet que ce bâtiment existait avant tous les autres, et que la messe s’y célébrait, pendant qu’on construisait l’église [Note : Ce bâtiment, qui ne semble pas rentrer dans le plan de l’abbaye, pouvait être une grange ou un rendez-vous de chasse du comte Alain dans la forêt ; on peut aussi supposer qu’il avait été bâti par les moines, à leur arrivée, avant l’adoption du plan général]. Parcourons maintenant ces divers édifices, dont M. de Caumont a fait ressortir le premier les frappantes analogies avec l’abbaye de la Luzerne [Note : On a cherché à tirer des données architectoniques de Beauport plusieurs conséquences plus ou moins rationnelles sur l’état de l’architecture bretonne au XIIIème siècle. Nous croyons que les constructeurs des abbayes, qui étaient des moines, se préoccupaient moins de copier ce qui les entourait que de se conformer aux dispositions de l’abbaye-mère, calculées pour l’observation de la règle].

L’église était orientée et se composait d’une nef, de deux bas-côtés, de deux transepts, de quatre chapelles et d’un chevet carré [Note : Le bas-côté et le transept au midi ont disparu, ainsi que le chevet; mais des personnes qui ont travaillé à sa démolition nous en ont montré l’emplacement. La voûte de l’église ne s’est écroulée que depuis le commencement de ce XIXème siècle ; deux charmantes chapelles du transept nord ont seules résisté ; la commune allait les démolir, en 1859, quand M. le comte Rivaud de la Raffinière, préfet des Côtes-du-Nord, s’y opposa, à la demande de l’un de nous, inspecteur des monuments historiques]. Elle fut commencée à une époque très-voisine de la fondation, c’est-à-dire au commencement du XIIIème siècle ; mais elle ne fut terminée que vers la fin de ce siècle, et M. Ramé croit reconnaître quatre reprises successives des travaux [Note : Cet archéologue a publié une description détaillée de Beauport qui nous a été utile, bien que nous nous en écartions quelquefois]. La dernière fournit la façade occidentale et la travée la plus voisine, dont la largeur était double des autres [Note : Le caractère saillant de cette façade est d’opposer d’immenses fenêtres à des portes assez basses, mais qui ne manquent pas pour cela d’élégance, comme une de nos planches le prouve].

Nous ne décrirons ni les fenêtres ogivales de la nef et du collatéral sud, ni les baies demi-circulaires s’ouvrant dans l’autre collatéral ; ni les colonnettes qui s’élancent de chaque pilier carré, ni les nervures hardies dont elles enveloppent une magnifique voûte ; il n’en reste malheureusement plus que quelques spécimens qui disparaîtront eux-mêmes bientôt. Nous dirons seulement que, au XVIIème siècle, une flèche à deux étages, de 37 mètres de haut, avait été élevée ou relevée à la croisée de l’édifice. Au pignon du transept nord s’adossait une sacristie carrée, dont les retombées de voûte venaient s’appuyer sur une jolie colonne centrale [Note : Cette disposition est commune à tous les premiers édifices de Beauport] ; deux portes donnaient accès du collatéral nord dans le cloître [Note : On a pris pour une troisième porte bouchée une labe ouverte au milieu de la côtale].

De ce cloître, il ne reste plus que quelques travées du côté méridional, élégantes arcatures du XVème siècle, qui s’enchâssent bien dans les vigoureux et hardis contreforts de l’église. Dans le côté aspecté au levant, un banc étrangement orné, était, dit la tradition, destiné à l’abbé quand il assistait à la récréation des moines : peut-être était-ce une sorte de tribunal où il rendait primitivement la justice, soit aux vassaux, soit aux prieurs-recteurs des cures relevant de l’abbaye [Note : Nous l’avons reproduit avec un charmant petit escalier. — M. Ramé pense que cette place était d’abord occupée par un lavabo : cette hypothèse se trouve appuyée par un jet d’eau, placé plus tard au centre du cloître, où il ne pouvait être quand on y inhumait, dans tout le cours du moyen-âge. Le même archéologue croit avoir retrouvé les chapiteaux de l’ancien cloître, bâti réellement au XIIIème siècle, comme l’indiquent assez les fenêtres du collatéral nord de l’église, où la lumière est prise dans le sens de la largeur au-dessus du toit du cloître].

Sur le côté oriental du cloître ouvraient le chapitre, la sacristie et le chauffoir aujourd’hui ruiné ; une double armoire en plein cintre, placée près de l’entrée du chœur, recevait, dit M. Ramé, les livres dont les moines se servaient à l’office. Les baies ont leurs archivoltes décorées de molettes ou dents de scie, dernier souvenir de la décoration romane.

La salle capitulaire, qui est un rectangle à abside octogonale, est ornée dans son grand axe de trois colonnes supportant les retombées des voûtes. La porte donnant sur le cloître est elle-même divisée en deux par quatre colonnettes juxtaposées et soutenant deux jolies arcades. On y voyait jadis un tombeau avec l’effigie d’une femme : les moines disaient que c’était la sépulture de la duchesse Jeanne de Bretagne, femme de Charles de Blois.

Le réfectoire, occupant le côté nord du cloître, offre un caractère particulier de noblesse et d’élégance : ses baies, ouvrant en ogives sur l’intérieur du monastère et en plein cintre sur la mer, et sa grande fenêtre au couchant, sont en calcaire de Caen. Cette vaste pièce est aujourd’hui à ciel ouvert ; mais sous la voûte du firmament, avec le panorama qui s’encadre dans ses arceaux, avec le lierre qui en décore les murs et le tapis de verdure qui en couvre le sol, elle est d’un aspect si saisissant que c’est à peine si on peut s’arrêter aux ravissants détails qu’elle renferme.

Au-dessous de cette salle et dans l’aile occidentale du cloître se prolongent les cuisines et celliers, avec leurs voûtes et leurs colonnes se perdant au loin dans une demi-obscurité pleine de grandeur et de mystère : tout était imposant et monumental chez ces vieux chanoines réguliers ; c'était évidemment le reflet de leur vie [Note : Il n’était pas jusqu’aux latrines qui, adossées à la salle au Duc, formaient un monument orné de belles voûtes et d’amples arcades]. Certains esprits veulent y trouver le souvenir du confortable développé à l’excès ; mais un examen attentif montre que si, dans leurs édifices du XIIIème siècle, tout était fait pour honorer la règle et l’abbaye, rien n’était disposé pour les jouissances du corps : rien ne rampe à terre, tout s’élève, tout s’élance, et la pensée suit ces arceaux vers le ciel. La meilleure preuve de notre assertion, c’est que les moines dégénérés rebâtirent, à Beauport comme partout, dans un style tout différent, où l’individu trouvait beaucoup mieux ses aises.

Ces grands caractères des XIIème et XIIIème siècles ne se retrouvent plus dans la grange, formant l’entrée de l’abbaye; elle est toute semblable à celle de Notre-Dame des Fontaines, et ne paraît pas remonter plus haut que les dernières années du XIVème, ou les premières années du XVème siècle.

En finissant, jetons un coup-d’œil sur l’ornementation de l’église ou du moins sur ce qui en est parvenu jusqu’à nous. Quelques briques émaillées, reste d’un beau carrelage du
XIIIème siècle, et plusieurs fragments de tombeaux à personnages en ronde bosse et en plein relief, à qui on peut attribuer des noms, mais sans aucune certitude [Note : Un de ces tombeaux laisse cependant encore apercevoir des armes : le chevalier porte une croix brisée d’une bande : la femme porte les armes de son mari brisées des siennes, qui sont celles des Beaumanoir du Bois de la Motte. Cet écusson peut être attribné aux Kergozon, ayant fief en Yvias. — La science et l’art doivent beaucoup à M. le comte et à Mme la comtesse Ponenski, propriétaires de la principale partie de l’abbaye. Au lieu d’exploiter ces belles ruines, comme tant d’autres l'eussent fait, ils consacrent noblement une partie de leurs revenus à les conserver. Les visiteurs sérieux sont sûrs de trouver là l’accueil le plus affable et le plus empressé] ; on chercherait vainement quelque chose de plus dans les ruines de Beauport.

Toutefois, divers documents écrits nous fournissent des renseignements sur les principales sépultures de cette église. Ainsi, un procès-verbal, dressé en 1486, par le sénéchal de Goëllo, Fouques de Rosmar, et le prévôt de Guingamp, Guillaume Taillard, décrit le tombeau du fondateur, le comte Alain, et de sa femme [Note : « Nous ont lesdits abé et religieux déclairé ledit fondateur et sa compaigne avoir esté inhumés et enterrés au cueur de l’esglise de ladite abaye, en ung enfeu manifique qui y est et tombe eslerée audit cueur, entre le grant aultier et les chaeres dudit cueur .... ; sur lequel enfeu y a la pourtreture du seigneur d’Avaulgour et de Gouellou et sa compaigne, tout de plastre en grant manifiscence, sur la pourtreture duquel seigneur apiert un grant escu armoyé des armes d’Avaulgour, qui sont d’argent à ung chef de gueules ; ouquel ... apiert y estre paintes trois rancs d’armes en escuz, et en chascun ranc y a sept peres d’armes, et sont les armes de Tonquedec les tierces du premier rang, qui sont de gueules à annelez d’argent, et ou quart y apiert macles que l’on dit estre les armes de Rohan, combien que pour la vetusté d’elles, icelles ne les aultres armes qui y sont ne puent estre anqueries pour en faire blason de mettaux et coulours aultrement que lesdites armes de Tonquedec qui y appièrent clerement du blason susdits, mesmes en armes les armes de Tonquedec et ledit escu ou sont les macles appiert ou secont ranc ou l’un desdits escuz ..... Ile de sable que l’on dit estre les armes de Montfort, aussy en aultre escu apiert une croix de sable que l’on dit estre les armes du baron de Raes, et en l’un des escuz du tiers ranc y appiert des fussées que l’on dit estre les armes de Montafillant. Mesmes sur la poetrine de la pourtreture dudit seigneur d’Avaulgour y avoit paintes plussieurs armes, escuz, et y apparaissent evidemment en anticques painturcs les armes de Tonquedec du blason susdit »].

Prigent de Coetmen et Alain de Laval étaient ensevelis dans la chapelle dite du Vicomte [Note : Le document que nous venons de citer dit encore : « Et nous ont monstré a dextre du cueur de ladite esglise deux belles chapelles voultées que l’on nome les chapelles du vicomte de Quoitmen, entre lesquelles deux chapelles y a ungn arc en voulte, ouquel arc y a ungn enfeu et sepulture eslevée sur lequel sont pourtraitz savoir, la pourtreture du vicomte de Quoitmen, aiant sous sa teste un oreillier à deux ymages d’anges d’un costé et d’aultre de sa teste, et un lyon, le tout de plastre fort magnifique et d’ancien temps comme apiert par la veue d’iceulx, sur la pourtreture duquel viconte y a ungn grant escu de ses armes du blason susdit, qui est de gueulles à annelez d’argent, et tout à l’entour de celle tombe y a escuz d’armes que l’on ne puet blasonner par l’antiquité d’elles ; et à costé de lui y a la pourtreture d’une dame de Quoitmen, et est la voix commune en celles parties que elle estoit fille du conte de Laval, et avoit esté inhumée oudit enfeu junxte son seigneur et mari espoux. » — Cette enquête mentionne en outre une tombe aux armes de Tonquédec : c’était probablement celle de Coetmen, fils de Gelin et petit-fils du comte Henri de Goëllo] ; et nous allons voir, en 1245, Mahaud de Plouha faire un legs à l’abbaye en y marquant sa sépulture. Au XIVème siècle, Pierre Poulart et Constance de Kerraoul, sa femme, déclarèrent par leur testament vouloir être enterrés dans l’église abbatiale [Note : « Que nous voulons et ordonnons que nostre sépulture soit en l’esglise N.-D. de Beauport, en la chapelle où gist Jehan nostre fils, et que entre la tombe de nostredict fils et la masiere d’entre le cueur soit faict une couche de pierre de taille pour nostre sepulture, quant il plaira à Dieu que le cas adviegne, et qu’il ait six torches de cire entour le corps de chascun de nous, et que ledict Pierre veult qu’il soit enseveli et enterré en l’habit d’un des chanoines de ladicte abbaye. »]. Leur tombe était une grande pierre plate et verte sur la quelle les défunts étaient représentés gravés sur une plaque de cuivre : nous avons trouvé ce renseignement dans une enquête faite en 1587 pour constater les prééminences des descendants de Pierre Poulart [Note : Olivier du Fresne, au commencement du XVIIIème siècle, représentait Pierre Poulart, comme seigneur de Gouasfrement et de Kerpinson en Plouha : or, le 5 mars 1715, il s’était présenté à l’abbaye, apportant le corps de sa mère, Jeanne du Breil de Raiz, veuve en premières noces de François Geslin, Sr de Bourgogne, et en secondes de Guillaume du Fresne, Sr de Kerpinson et de Kergolleau : les moines se refusèrent à voir en lui le représentant de Pierre Poulart, et déclarèrent que le corps de la dame de Kerpinson ne serait enterré dans l’église abbatiale qu’à la condition que cet acte de tolérance ne serait pas considéré comme une reconnaissance du droit auquel prétendait Olivier du Fresne. Celui-ci ne crut pas devoir accepter, et emporta le corps de sa mère qu’il fit ensevelir dans l’église paroissiale de Plouézec. Le procès qui s’ensuivit durait encore en 1720 : à cette date, on trouve une transaction par laquelle l’abbaye reconnaissait au Sr de Kerpinson le droit de se faire ensevelir dans le tombeau de Pierre Poulart, et de mettre sur la pierre tumulaire telles armoiries qu’il lui plairait].

Il ne reste plus rien de l’orgue ni des vitraux qu’il avait fallu renouveler après la Ligue [Note : Les vitres furent « rhabillées par Pierre Geoffroy, peintre, vitrier et marchand à St-Brieuc » ; 160 pieds de « verre faizonné » coûtaient 64 fr. — Les orgues furent construites au milieu du XVIIème siècle, ainsi qu’il résulte d’un marché passé le 18 février 1648, entre le prieur et Olivier Kerveziou, maître menuisier, demeurant à Plounez : le buffet devait être fait sur le modèle de celui de Guingamp, et le devis fixait la dépense à 272 livres : « Scavoir est un buffet capable de mettre un orgue de huict piedz, avec un autre buffet capable de mettre un orgue de cinq piedz »]. Une enquête de 1485 nous apprend que le pourtour du chœur était décoré des armes de Prigent de Coetmen, vicomte de Tonquédec, et de celles de sa femme, Annette de Laval [Note : « Mesmes tout à l’entour dudit cueur, au dessus des chacres d’iceluy, sont les armes de Tonqucdec et de Laval, my parties, et sont les armes de Tonquedec du blason précédent (de gueules à annelets d’argent), et les armes de Laval ajointes à celles de Tonqucdec sont d’or à saeze esglettes d’azur et une eroix de gueules à cinq croisilles d’argent »].

Le trésor de cette église abbatiale avait dû être très riche, comme l’indiquent les legs de plusieurs abbés ; mais toutes ces richesses semblent avoir disparu dans les troubles du XVIème siècle. Un inventaire de la fin du XVIIème le plus ancien que nous ayons pu retrouver, ne signale plus rien d’intéressant : alors, tous les efforts des moines se bornaient à rhabiller leur église à la mode du jour [Note : Un procès-verbal, dressé le 25 avril 1792, nous apprend ce que fut la dernière église de Beauport : « Le grand autel, le retable, tout en tuffeau, était orné de six colonnes de marbre, trois à chaque côté du tabernacle, quatre de marbre blanc, deux de brun rouge veiné de blanc. » — Les statues de saint Jean et de saint Norbert décoraient ce colossal retable que surmontait une statue de la Vierge, de 10 pieds de haut, en terre cuite ; tout cet autel avait été exécuté, moyennant 4,000 fr., en 1672, par maîtres Martinet et de La Barre. Nous sautons les autres autels, les statues et tableaux ; le principal parmi ces derniers, une scène de nombreux martyrs, se voit, avec son beau cadre sculpté par Corlay, dans la cathédrale de St-Brieuc. Quarante-huit panneaux peints représentaient, dans le chœur des religieux, la vie de saint Augustin du côté de l’Epître, et celle de saint Norbert du côté de l’Evangile ; cette œuvre avait été exécutée par le St Duval, en 1694, moyennant 450 fr. Une chaire, décorée de statues, de figures en bosse et de cariatides, avait été construite et sculptée par les frères Corlay, alors à Tréguier et à Lannion ; ce pays a dû à ces artistes habiles une bonne école de sculpture sur bois au XVIIIème siècle] ; à la meubler d’autels parés de frontons grecs, de petits amours bouffis simulant des anges, de lourdes guirlandes de fleurs en bois ou en plâtre, en un mot, de cette décoration pesante, matérielle, qui jurait avec les formes sveltes, élancées et aériennes du vaisseau. Hélas ! la différence entre ces deux arts ne caractérise que trop bien la différence entre l’état moral des moines au XIIIème et au XVIIIème siècle.

(J. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy).

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