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La Ligue au pays de Vannes et les d'Aradon.

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La Guerre de la Ligue (1588-1593) à la fin du XVIème siècle est un moment de tensions et de désordres où le pays de Vannes est aux prises avec les protagonistes de la Guerre civile entre les Ligueurs (dont le duc de Mercœur et les frères d'Aradon ou d'Arradon) et les Royalistes.

Duc de Mercoeur (oeuvre e Benjamin Foulon - 1575).

La guerre de la Ligue tient une place importante dans l'histoire de Bretagne et dans celle aussi de la ville de Vannes : dans l'Histoire de Bretagne, en raison des visées du duc de Mercœur et du roi d'Espagne Philippe II [Note : 1527-1598. Fils de Charles-Quint, succéda à son père après son abdication en 1556] à la couronne ducale, en dépit de l'acte d'union de la Bretagne à la France de 1532 ; dans l'histoire de Vannes, du fait de la présence, parmi les plus acharnés ligueurs, des frères d'Aradon, dont l'un, René, fut gouverneur de Vannes pendant la Ligue et même après (exactement de 1590 à 1625) et l'autre, Georges, évêque de Vannes du 6 Août 1593 au 31 Mai 1596, date de son décès [Note : Il avait été élu par le Chapitre, pour occuper le siège épiscopal, dès le 13 février 1590, alors qu'il n'était encore que diacre].

Les frères d'Aradon étaient au nombre de cinq, et leurs noms sont si souvent cités au cours de cette triste période de notre histoire qu'on arrive à les confondre les uns avec les autres dans leurs faits et gestes. Nous avons pensé qu'il était utile de dégager de l'histoire de la Ligue au pays de Vannes, dans les dernières années du XVIème siècle, le rôle joué par chacun d'eux.

Dès le début du XIVème siècle, on trouve une famille dite d'Aradon [Note : Un d'Aradon (Jean) est envoyé comme messager, en 1305, par le duc Jean II au pape Clément V pour lui demander audience — La Borderie, histoire de Bretagne, tome III, p. 372] au manoir de Kerdréan [Note : ou Cardréan. A partir du XVIIIème siècle, il est souvent désigné, dans les titres, sous le nom de château d'Aradon. Il appartient vers 1934 à M. Henry Laporte, ingénieur], aujourd'hui Keran, en la commune d'Arradon, canton de Vannes-ouest.

Ce nom est souvent cité par Dom Morice dans son ouvrage.

Le comte de Laigue dans son livre : La noblesse bretonne aux XVème et XVIème siècles — Réformations et montres [Note : Montres : sortes de revues d'effectif et d'armement où devait comparaître tout propriétaire de fief ou de terre noble afin que les commissaires du duc fussent à même de vérifier si, suivant l'importance de ses revenus, il avait l'équipement auquel il était astreint pour le service militaire] donne aussi de précieux renseignements sur cette famille. Dans la montre du 8 septembre 1464 notamment, Olivier d'Aradon, possesseur de 200 livres de rente, figure comme devant fournir, pour le service du duc, 3 chevaux harnais blanc, lance, archer en brigandinne et page. Trente-trois années plus tard, lors de la montre du 14 Avril 1477, on trouve son fils Jean possesseur de 400 livres de rente et qui doit se présenter avec 4 chevaux, archer en brigandinne, salade, épée, dague, arc, page et lance.

L'accroissement au double en 1477, pour Jean d'Aradon, de la rente de 200 livres possédée en 1464 par Olivier son père, s'explique par le mariage de Jean avec Perrine de Redoret, dame de Kerat (Arch. dép. Morbihan. Dictionnaire des terres nobles. Manuscrit Galles).

En effet, Louis de Redoret de Kerat qui figure, représenté par son fils, à la montre du 8 septembre 1464, comme possédant une rente de 200 livres, n'est plus mentionné de même que son fils aux réformations et montres de 1477 et suivantes.

La famille de Redoret de Kerat en Aradon [Note : Ce nom s'écrit maintenant Arradon] avait disparu et la fortune était allée toute aux d'Aradon du fait encore une fois du mariage de Perrine de Redoret avec Jean d'Aradon.

De cette union naît un nouvel Olivier d'Aradon qui épouse Louise Lamoureux, De ce mariage, un autre Olivier d'Aradon, mari de Catherine de Languevoëz.

De ce dernier mariage enfin, naît René d'Aradon qui épouse Claude de Guého et est père de Jérôme, de René, de, Georges, de Christophe et de Louis, décédés sans héritiers mâles à l'exception de Christophe qui, de son second mariage avec Julienne de Kerbervet, eut un fils du nom de Claude qui épousa Louise de Lantivy et mourut également sans héritiers.

Ce furent les derniers des d'Aradon.

Avant de disparaître les cinq frères jouèrent un rôle très actif au cours de la Ligue et si leurs noms sont restés dans l'histoire cela tient à la part qu'ils prirent dans cette guerre et aussi, il faut le reconnaître à la lumière des faits, à leurs relations avec la Cour d'Espagne dans l'espoir que la prétention de Philippe II se réaliserait parce qu'elle leur paraissait légitime et répondait mieux à leurs vœux d'ardents catholiques.

Mais avant d'entrer dans les détails de ce rôle, il convient de rappeler par suite de quelles circonstances les troubles qui, depuis des années, désolaient une grande partie de la France, s'étendirent à la Bretagne.

***

En 1582 (exactement le 5 septembre), Henri III, malgré les inconvénients que ses conseillers lui firent entrevoir, donna le gouvernement de la Province à Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, son beau-frère. La reine de France, Marie, était sœur de Mercœur. Ce fut une faute et une grave au point de vue politique, car Mercœur avait, de son côté, épousé Marie de Luxembourg, fille et héritière de Sébastien de Luxembourg, duc de Penthièvre du chef de sa mère Renée de Brosse qui portait aussi le beau nom de Bretagne comme descendante immédiate de Charles de Blois.

Les conséquences de cette faute devaient plus tard apparaître.

A la suite de l'assassinat des Guise à Blois en 1588 et de l'alliance contractée par Henri III avec le roi de Navarre, protestant, Mercœur fervent catholique et de la grande famille de Lorraine, comme les Guise, dans son indignation, se déclara ouvertement contre le roi et adhéra au parti de la Ligue, qui, aux yeux du peuple, en Bretagne surtout, était la confédération des catholiques contre les protestants.

Ceux-ci, jusqu'à la Saint-Barthélémy, avaient eu à Vannes un ministre du nom de Philippe Bergeay et, à la Roche-Bernard, un autre, le fameux Louveau. Malgré le coup terrible que le massacre leur avait porté, ils devaient être encore un certain nombre en 1589 au pays de Vannes.

L'introduction du protestantisme — mais presque exclusivement dans la noblesse — en notre région, s'explique par ces circontances qu'un membre de la grande et puissante famille des Rohan [Note : Rien que dans le pays de Vannes, les Rohan possédaient plusieurs Châteaux, tels ceux de Josselin, de Pontivy, de Rohan, de Guémené, avec de nombreux fiefs] avait épousé Isabeau d'Albret, calviniste, [Note : Devenue veuve en 1552, elle fit élever ses trois fils, Henri, Jean et René à la cour de Navarre et tous trois devinrent de zélés huguenots - La Borderie T. V, p. 60, 61] tante de la mère du roi de Navarre qui devait devenir Henri IV et que, d'autre part, François de Coligny, protestant fanatique, était devenu seigneur de la Roche-Bernard à la suite de son mariage avec Claude de Rieux, qui lui avait apporté des domaines très étendus aux rives de la Vilaine.

Il ne faut pas oublier — autre complication — que Mercœur, très ambitieux, entrevoyait, sans l'avouer, la possibilité de profiter des troubles pour atteindre à la couronne ducale, malgré l'acte d'union de 1532, en faisant valoir les droits de la duchesse sa femme, descendante, nous l'avons dit, de Charles de Blois, et ce, en même temps que Philippe II, roi d'Espagne, convoitait la même couronne pour l'infante Isabelle, petite-fille de Henri II, lequel était lui-même petit-fils d'Anne de Bretagne. Dès avant la mort de Henri III, beaucoup de catholiques bretons qui voyaient avec effroi le roi de Navarre, calviniste, aspirer au trône de France avec des chances d'y monter, et qui se méfiaient de Mercœur, dont ils avaient déjà eu à subir l'administration tortueuse et le caractère sans franchise, prirent parti pour l'infante Isabelle d'Espagne.

De cet état de choses, de cette rencontre, de ce choc de tant d'intérêts opposés naquit la guerre, avec comme champ clos la Bretagne, d'abord entre les ligueurs et les royaux, partisans du roi de Navarre, et ensuite leurs alliés : Espagnols avec les ligueurs ; Anglais avec les royaux.

La rivalité existant depuis longtemps déjà entre l'Espagne et l'Angleterre eut ainsi sa répercussion en Bretagne, les Espagnols et les Anglais convoitant Brest et sa rade, les Espagnols convoitant en outre Blavet, actuellement Port-Louis, et sa rade.

« Cette guerre, dit La Borderie, fut le fléau le plus effroyable, le plus ruineux, le plus dévastateur qui ait jamais désolé la Bretagne ».

Plus loin il s'exprime encore ainsi. « Des deux côtés il était admis que les gens de guerre devaient vivre sur le plat pays. Ils tuaient et pillaient sans pitié ; pour les campagnes leur - passage était un fléau, aussi le souvenir de cette longue lutte de dix ans resta dans la mémoire des Bretons comme celui d'une calamité sans exemple ». (La Borderie T. V, p. 184).

Ce ne fut pas en effet une guerre ordinaire dont le sort pouvait être, en ce temps-là, bientôt réglé par une bataille décisive, mais une guerre de ville à ville, de clocher à clocher, de château à château, entremêlée d'escarmouches en rase campagne, véritable guerre de partisans dans laquelle on volait, on massacrait, on cherchait à faire des prisonniers parfois même dans son propre parti — pour en tirer des rançons.

Cette guerre atroce ne se termina en Bretagne qu'en 1598 par la soumission de Mercœur, longtemps après qu'elle eut pris fin en France. Et pendant sa longue durée ce ne fut que brigandages de toutes sortes.

Missire François Merlandez, sous-curé de la paroisse de Melrand, ne peut s'empêcher, à la première page du registre des baptêmes pour l'année 1593, de déplorer, dans un latin des plus fantaisistes, l'état lamentable de la Bretagne :

« Multi mali homines erant et regnabant in tota Britania, et justi erant turbati die ac nocte tantum quantum non poterant jacere nec manere in suorum domorum, propter horribilem et tiranidem ipsorum mallefatorum qui erant tunc per totam Britaniam ». [Note : Rosenzweig — Inventaire sommaire — Morbihan — Archives civiles, Série E, supplément — Commune de Melrand. « La Bretagne entière était la proie de beaucoup d'hommes pervers. Les braves gens se voyaient molestés jour et nuit au point de ne pouvoir se reposer ni même demeurer chez eux, par crainte de l'horrible tyrannie de ces malfaiteurs qui étaient alors par toute la Bretagne »].

Oui les neutres, les gens paisibles ne pouvaient même rester chez eux. Il fallait fuir. A la fin d'un acte de baptême du 5 août 1592 : « Fuit baptisatus in ecclesia de Quistinit (Quistinic) propter metum et timorem armatorum qui tunc erant hospitati in burgo de Melrant ». [Note : « Il fut baptisé dans l'église paroisssiale de Quistinic par crainte des soldats qui étaient alors cantonnés au bourg de Melrand »].

Elven — 1595, 30 Mai — « Baptême de Jean Le Naz, fils de Julien Le Naz et de Françoise de Noyal, seigneur et dame de Kergolher (en Plaudren) et de Kersapé ; parrains haut et puissant Jean de Rosmadec, sieur du Plessis-Josso et noble homme Jean de la Chapelle, sieur de Vausalmon et de Kercointe ; marraine demoiselle Perronelle Philippot, dame douairière de Kergolher. Le baptême faict dans la chapelle de Nostre-Dame au château d'Elven à raison des troubles à présent régnant ». [Note : Paroisse d'Elven].

En un mot, ligueurs d'un côté et royaux de l'autre, avec leurs alliés, dévastaient le plat pays, pillant et molestant les gens de toutes façons. La population rurale en avait une telle frayeur qu'elle fuyait à leur approche pour se cacher dans les bois ou les taillis plus nombreux à cette époque qu'aujourd'hui. [Note : Voir le Parlement de Rennes]. Nobles et bourgeois, habitant loin des villes closes, se retiraient dans les châteaux et même les manoirs. Un certain nombre de manoirs étaient, en effet, à cette époque, précédés d'une cour garantie par des murs épais à travers lesquels il était possible de ménager quelques meurtrières permettant à des arquebusiers d'empêcher les assaillants d'approcher et de briser les portes. Dans nos campagnes on voit encore, de ci de là, quelques-uns de ces manoirs. En raison du manque presque complet d'artillerie dans les armées, même à la fin du XVIème siècle — artillerie si difficile d'ailleurs à traîner par les chemins creux et rocailleux de la campagne bretonne — châteaux et même manoirs constituaient des sortes de places fortes, difficiles à prendre en passant et, tout au moins, à l'abri d'un coup de main. C'est à ces temps malheureux que remonte également l'établissement, au-devant des fenêtres des rez-de-chaussée, de forts grillages en fer que l'on voit à certains vieux manoirs aujourd'hui transformés en maisons de ferme.

***

Le rôle des d'Aradon au cours de la Ligue n'a été bien connu que depuis une quarantaine d'années, depuis 1899, époque à laquelle M. Gaston de Carné a fait paraître, dans les publications de la Société des Bibliophiles bretons, la correspondance du duc de Mercœur et des ligueurs bretons avec la cour d'Espagne, correspondance extraite des archives de Simancas. [Note : « En 1808, sous Napoléon Ier, les Français s'emparèrent du château de Simancas en la Province de Valladolid et une partie des documents qui y étaient déposés et qui intéressaient notre histoire fut transportée à Paris. A la paix, ces pièces furent rendues à l'Espagne ; mais tout ne fut pas restitué et nous possédons encore actuellement un très beau fonds espagnol, aux archives nationales ». Gaston de Carné dans la préface du tome XI de la collection des publications de la Société des Bibliophiles bretons].

C'est grâce à cette correspondance que le caractère ambitieux et sans droiture de Mercœur est apparu sous son véritable jour et, en ce qui concerne deux des d'Aradon, René et Georges, que leurs relations avec la Cour d'Espagne ont été dévoilées, relations qui jusque-là avaient été pour ainsi dire ignorées des historiens. Bien que dévoués à Mercœur, dont ils ne soupçonnèrent pas pendant longtemps les visées ambitieuses, tous leurs vœux allaient à l'infante Isabelle pour la couronne ducale, hantés de cette idée que la pire des calamités pour la France et la Bretagne serait de voir le roi de Navarre, protestant, parvenir au trône.

D'après une note envoyée par Georges d'Aradon [Note : Georges d'Arradon, né en 1562 à Baud, mort en 1596 à Vannes, fut évêque de Vannes de 1590 jusqu'au 31 mai 1596. Il est frère de Jérôme d'Arradon, seigneur de Quinipily et Gouverneur d'Hennebont, et de René d'Arradon, Gouverneur de Vannes, Christophe d'Arradon seigneur de Camors et Louis d'Arradon seigneur de La Grandville] à Philippe II sur lui et les siens et datée de janvier 1591, (Société des bibliophiles bretons. — Documents sur la Ligue en Bretagne, T. XI, pièce 41, pages 28, 29) la famille se composait comme suit :

« Père et mère : René d'Aradon, sieur de Querdréant d'Aradon, chevalier de l'ordre du Roy, et dame Claude Guyho sa compaigne.

Monsieur de Quenepilly (Hierosme d'Aradon) capitaine de cinquante hommes d'armes et gouverneur d'Hennebond.

René d'Aradon, sieur dudit lieu, capitaine de cinquante hommes d'armes, gouverneur des ville et chasteau de Vennes.

Georges d'Aradon, sieur du Plessix, conseiller du Roy en sa court de Parlement de Bretaigne et conseiller du Conseil d'Estat de Bretaigne, esleu pour estre évesque de Vennes et nommé abbé de Melleray...

Christophle d'Aradon, sieur de Camortz, capitaine de cinquante hommes d'armes.

Louys d'Aradon, sieur de Querhervé (ou de la Grandville),  âgé de dix-huit à dix-neuf ans ».

Les deux plus jeunes des cinq frères, Christophe et Louis, ayant eu une part moins importante dans l'intrigue espagnole, il ne sera parlé d'eux que plus tard et après que le rôle de leurs aînés aura été rappelé et mis en lumière.

Ce fut probablement dans le courant de 1589, à la suite de la demande de secours en hommes, en munitions et en argent que lui fit parvenir Mercœur pour soutenir la cause catholique en Bretagne, que Philippe II, à son tour, songea à la couronne ducale de Bretagne pour sa fille aînée, l'infante Isabelle.

Toujours est-il que, saisi de cette demande, il accrédita immédiatement, auprès de son auteur, Diego Maldonado avec mission toute particulière de pénétrer jusqu'aux plus intimes pensées de Mercœur, de se rendre compte en même temps de l'opinion générale de la Province et d'étudier les moyens d'arriver à la réalisation de son rêve.

Il n'est pas douteux que l'envoyé du roi d'Espagne ait eu à ce sujet des entrevues secrètes avec Georges d'Aradon puisque, peu de temps après l'arrivée de Diego Maldonado, Georges se décida à composer pour la Cour d'Espagne un mémoire en latin tendant à démontrer que certains agissements avaient entaché de non-validité l'acte d'union de la Bretagne à la France de 1532 ; (Bibl. Bret. Tome XI, pièce 40, page 28) et bientôt il se déclarait franchement partisan de l'infante Isabelle, cette solution étant la seule à ses yeux qui pût sauver la cause catholique. Il amena sans peine ses frères à partager sa conviction.

Il essaya même de faire entrer dans ses vues Mercœur qui fit semblant d'être gagné et accepta que la duchesse, sa femme, descendante de Charles de Blois, en écrivit à l'infante le 10 janvier 1591 (Bibl. Bret. Tome XI, pièce 38, page 26). Mais, au fond de l'âme, Mercœur n'avait pas renoncé à ses prétentions sur le duché.

Entre temps, dès le 10 avril 1589, Henri III avait dépouillé Mercœur — son beau-frère — de toutes ses charges et dignités et l'avait remplacé, comme gouverneur de Bretagne, d'abord par le comte de Soissons, puis par Henri de Bourbon, prince de Dombes, fils du duc de Montpensier.

Après divers combats sans importance et nombreuses escarmouches entre Dombes et Mercœur en révolte contre le roi, prises et reprises de bourgades et de villes, en différents points de la Bretagne, - « il semblait, dit dom Taillandier, que le sort du prince et du duc fut d'être souvent en présence sans qu'aucun d'eux osât engager la bataille » (Histoire ecclésiastique et civile de Bretagne. Tome second. Avertissement p. III). — Dombes, au commencement d'avril 1590, met le siège devant Hennebont. C'était Jérôme d'Aradon qui commandait la place pour la Ligue.

Voici le portrait de Jérôme d'après Dom Taillandier, religieux bénédictin, de la congrégation de Saint-Maur. « Ce gentilhomme très brave et de très bonne maison... a laissé un journal [Note : Voir dans l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne par Dom Taillandier, tome second, page CCLVIII : Extrait d'un journal de Messire Jérôme d'Aradon seigneur de Quinipily, gouverneur d'Hennebont. Cet extrait va du 18 juin 1589 au 25 août 1593] … où il apparaît comme une façon de dévot, un ligueur fanatique séduit par de faux principes de religion ; nous n'en citerons qu'un seul trait qui suffira pour faire connaître le génie et le caractère de Quinipili : — Le même jour, dit-il dans son journal, j'entendis, comme de certain, le roi de Navarre était mort... dont je loue le bon Dieu de tout mon cœur etc. ».

Au cours du siège, assiégés et assiégeants se comportèrent vaillamment. La brèche faite, un premier assaut fut repoussé, mais la ville dut capituler quelques jours après.

Un notaire royal d'Hennebont, du nom de Tourboul, relate l'événement dans les termes suivants insérés dans le registre des baptêmes de la paroisse de Saint-Gilles pour l'année 1590 (Rosenzweig — Inventaire sommaire etc... Arch. civiles. Morb. Série E supplément — Ière partie p. 36). « Le samedi avant les Rameaux, 14 avril 1590, fut la ville de Hennebont bloquée par l'armée de M. le prince de Dombes — et fut batue de 12 pièces de canon, le mercredi de Pasques ensuivant, jour de Saint Marc ; et la brèche faite vis-à-vis du jeu de Paulme, en la porte d'Embas, sur l'encoignure de la muraille qui donne sur la mer, et l'assaut donné sur les 3 heures de l'après-midi audit jour, lequel fut repoussé, où fut blessé le marquis d'Assérac ; et commandait dedans le sieur de Quinipili ; et fut rendue par composition 3 ou 4 jours après ».

Dans son journal, Jérôme écrit à la date du 2 mai : « Je fus contraint de capituler avec le prince de Dombes, à cause de l'épouvante que les habitants de Hennebont eurent, lesquels se voulaient rendre, en dépit de moi, de quoi je crevai de dépit et en pensai enrager. La capitulation me fut favorable… et en sortis le dit jour, comme aussi firent M. de Cardréan, ma mère et ma femme [Note : La femme de Jérôme était Louise de Quélen, dame du Vieux-Châtel]. Le jeudi 3, nous étions à Vannes ».

Jérôme ainsi privé de son gouvernement d'Hennebont demeure à Vannes pour y commander en remplacement de son frère René, qui tantôt était envoyé en mission par Mercœur et tantôt l'accompagnait dans ses déplacements.

Après la prise d'Hennebont, Dombes se dirige vers Josselin sachant que Mercœur se trouvait aux environs. Il le rejoint et se dispose à livrer bataille, mais c'est en vain qu'il le harcèle et, comme Mercœur ne bouge pas de la position extrêmement avantageuse où le gros de son armée était établi, Dombes se décide à prendre la direction de Malestroit pour faire reposer ses troupes qu'il échelonne depuis Ploërmel jusqu'à Rochefort.

Mercœur profite de son inaction pour aller attaquer Blavet (actuellement Port-Louis). Blavet était destiné par lui à recevoir les Espagnols de préférence à Nantes et à Vannes qu'il avait également désignés au choix de Philippe II comme pouvant servir de base d'opérations pour l'armée qui allait débarquer. Cette localité maritime dont la population était favorable aux royaux comptait aussi, parmi ses occupants, plusieurs Rochelais et Anglais qui couraient la mer et gênaient fort le commerce des ligueurs.

Mercœur, aidé de son frère le marquis de Chaussin, de René et de Christophe d'Aradon, attaque par terre et par mer la place, s'en empare de vive force, le 11 juin 1590, et y met le feu après avoir fait un horrible massacre de ses habitants et de ses défenseurs. [Note : Vannes avait largement participé, entre parenthèse, aux frais de ce siège. Elle envoya notamment à l'armée assiégeante, à la réquisition de Mercœur, 242 pairées 2 boisseaux de froment, 17 pairées 11 boisseaux de seigle et 30 pipes de vin, le tout évalué à 1468 écus 10 sols qui furent plus tard, suivant ordonnance ducale du 16 décembre 1590, levés sur les contributifs aux fouages et tailles. Ce ne fut pas, à cette lamentable époque, la seule contribution extraordinaire imposée aux habitants de Vannes. — Voir la Ville de Vannes et ses murs, par Guyot-Jomard. — La Ligue en Bretagne — documents inédits par Barthélémy (1880), page 83. Pièce communiquée par l'abbé Chauffier].

Dombes, à la nouvelle de la prise de Blavet, court sus à Mercœur qui se retirait alors vers Vannes et l'atteint aux environs d'Auray. Mais le duc, à son approche, ne risque pas encore une fois sa fortune au sort d'une bataille et continue sa retraite en désordre, poursuivi par son adversaire jusqu'aux faubourgs de la ville, où, le samedi 23 juin 1590, eut lieu un vif combat entre la Madeleine et Nazareth au cours duquel fut tué notamment, du côté des royaux, Gilles de Loré, sieur de Joué, maître de camp. [Note : Il descendait de la race de ce brave chevalier Messire Ambroise de Loré, prévost de Paris. — Dom Taillandier — supplément aux preuves, page CCLXXXV].

L'armée de Dombes, sans artillerie ou presque, à bout de souffle et sous un soleil brûlant, ne tenta rien contre l'enceinte gallo-romaine et moyennageuse de Vannes et ne tarda pas à se retirer.

L'alerte passée — elle avait été sérieuse — on ne songea plus ici qu'à se réjouir. Voici, à ce sujet, ce que dit Jérôme dans son journal :

« Le mercredi 27 juin, Mgr de Mercœur vint voir Mme de Cardréan, ma mère, en son logis à la Motte ».

La Motte était le palais épiscopal, habité par Georges, élu évêque par le Chapitre, quelques mois auparavant, le 13 février 1590. La résidence du gouverneur, René, était le château de l'Hermine, déjà bien délabré.

« Le samedi 30, continue Jérôme, le marquis de Chaussin, frère de Mgr de Mercœur, courut la bague [Note : Dict. Dupiney — Bague — Enc. Le jeu de bague est un exercice d'adresse qui consiste à enlever en courant, au bout d'une lance, un anneau suspendu à une potence. Les vainqueurs recevaient des prix et des couronnes. Au moyen-âge, les courses de bague à cheval étaient en grand honneur et constituaient l'un des divertissements usités dans les tournois] et plusieurs gentilshommes en présence de mon dit Sgr de Mercœur, entre lesquels mon frère d'Aradon (René) et moi emportâmes la bague et étions 35 coureurs.

Le dimanche 1er juillet, Mme de Cardréan, ma mère, fit un bal en son logis, par le commandement de Mgr de Mercœur, là où toutes les damoiselles de la ville assistèrent et tous les gentilshommes de la suite de Mgr de Mercœur; il tarda bien une heure à les voir danser ; et puis s'en alla discourir avec ma mère,… et se retira en son logis, à l'archidiaconé et était environ 11 heures du soir ».

Ainsi, Mercœur logeait à Vannes, évidemment chaque fois qu'il y séjournait, à l'archidiaconé, rue des Chanoines.

Fait à relever, la même demeure allait abriter cinquante-quatre ans plus tard, Henriette de France, reine d'Angleterre, fuyant la révolution anglaise — et Henriette de France était la fille d'Henri IV, l'ennemi de Mercœur au temps de la Ligue.

***

On se souvient que, dès la fin de 1589, Mercœur dans une situation difficile avait imploré le secours de Philippe II, roi d'Espagne, pour soutenir la cause catholique en Bretagne. Telle était du moins la raison invoquée. Ce secours se faisant trop attendre, Mercœur, sans doute inquiet à la suite de sa retraite précipitée et en désordre, depuis Auray jusqu'aux faubourgs de Vannes, sous l'ardente pression de Dombes, se décide à se plaindre, par lettre adressée le 8 juillet du camp de Vannes à Diego Maldonado, de la lenteur apportée à l'envoi des secours sollicités et insiste pour que les troupes, notamment, soient expédiées le plus tôt possible.

De son côté, la duchesse de Mercœur, par une missive datée de Nantes, le 12 juillet, intercède dans le même sens auprès de sa Majesté catholique.

Philippe II, pour faire patienter Mercœur, annonce le 27 juillet à Diego Maldonado le départ prochain de 3.000 hommes pour la Bretagne. Il ajoute, en parlant d'eux et de leur général, don Juan d'Aguila : « bonne armée et bon chef ».

Les préparatifs prirent, il faut le croire, un certain temps. En réalité la flotte qui transportait le premier corps expéditionnaire n'apparut sous Belle-Ile que le 7 ou 8 octobre, plus de deux mois après l'annonce de son arrivée prochaine. Du matériel toutefois avait été débarqué à Blavet dès le 28 août (Abbé J. Blarez. Bull. Soc. polym. année 1925. La citadelle de Port-Louis, p. 86), mais ce fut seulement le 12 octobre que les troupes débarquèrent à Saint-Nazaire. Et, comme décidément leur base d'opérations devait être Blavet, elles s'y acheminèrent par La Roche-Bernard et Vannes. René d'Aradon alla au-devant d'elles jusqu'au passage de La Roche-Bernard (Journal de Jérôme). Elles étaient le 26 à Theix et arrivaient le lendemain, samedi 27, à une heure de l'après-midi, au faubourg de Saint-Patern où elles logèrent. Le gouverneur de Vannes fit de son mieux pour, à la demande de Mercœur, leur procurer des vivres au meilleur marché possible (Journal de Jérôme).

L'armée espagnole séjourna dans notre ville jusqu'au matin du vendredi 9 novembre [Note : Registres paroissiaux de Saint-Patern — année 1590 — en marge d'un acte de baptême du 3 novembre. « En même temps les Espaignoz estoinct à Saint-Pater, le nombre de trois mille pour la Sainte-Unynion »] ; puis, accompagnée de Mercœur, se dirigea vers Auray pour y passer la nuit.

Comme il importait de reprendre au plus tôt la ville d'Hennebont, au pouvoir des royaux depuis le 2 mai, afin de permettre à l'armée espagnole de s'installer en toute sécurité à Blavet situé à faible distance, « René d'Aradon, dès le 5 novembre, avait quitté Vannes avec sa compagnie de gens d'armes et trois cents harquebuziers pour aller bloquer Hennebont de vers la vieille ville en même temps que Saint-Laurent la bloquait devers la rue neuve avec un nombre égal de troupes et la cavalerie légère » (Journal de Jérôme).

Mais l'artillerie manquait aux assiégeants. Aussi René d'Aradon et Saint-Laurent, laissant à d'autres le soin du blocus, se rendent quelques jours après, pour y chercher le canon nécessaire, à Josselin qui, depuis juillet 1589, était au pouvoir des ligueurs et dont le château « constituait une des principales places d'armes de Mercœur dans sa lutte contre la royauté et dans sa tentative de se tailler en Bretagne une principauté indépendante » (Bibliot. Arch. dép. Morbihan. Roger Grand. Le château de Josselin, p. 14).

Mercœur, de son côté, invitait Jérôme à lui envoyer d'urgence les soldats espagnols restés en arrière tandis que d'Aguila, par une lettre écrite à Vannes et datée du 7 novembre 1590, suppliait Maldonado de faire rejoindre rapidement les soldats espagnols dirigés à leur débarquement sur Nantes, parce que malades, et qui, guéris, y faisaient mille bassesses et y demandaient l'aumône. (Bibl. bret. — Tome XI, pièce 22, p. 10).

« Ce début, dit de Carné dans sa préface, est une indication de ce que les Espagnols firent tout le temps de leur séjour en Bretagne ; ils y souffrirent faute de ressources et après avoir commencé par implorer ce qu'il leur fallait pour vivre, en vinrent facilement à l'exiger et s'habituèrent bien vite à commettre toutes sortes d'exactions ».

Le 22 novembre, Jérôme, gouverneur de Vannes par intérim, envoie 66 traînards espagnols à Mercœur sous la conduite de Montigny et le lundi 10 décembre 1590 il part lui-même avec son frère de Camors pour se rendre au siège d'Hennebont. Il constate à son arrivée que les Espagnols, en grand nombre, contribuent à l'attaque. [Note : Ils étaient exactement 2.500 bien armés — Journal de Jérôme, 10 déc. 1590].

Dix jours plus tard, le sieur d'Yvernay, lieutenant du capitaine du Pré qui commandait la place, en sortit pour parlementer avec Mercœur en vue de la reddition.

Le samedi 22 décembre la place capitule avant tout assaut aux conditions suivantes :

« Le capitaine du Pré et ses gens de guerre sortiront avec leurs armes, mèches allumées, drapeaux pliés, et conduits en sûreté jusqu'à Ploërmel...

Les gentilshommes réfugiés et les habitants de la ville, officiers de justice et autres réfugiés payeront la somme de vingt mille écus pour être exempts de tous pillages et rançons qu'autrement on leur pourrait demander.

Le capitaine du Pré aura huit jours pour avertir le prince de Dombes de le venir secourir et donner bataille ; faute de quoi il remettra la place audit seigneur de Mercœur.

Et pour assurance du Pré donnera pour otages à Monseigneur de Mercœur les capitaines Gascon, Poulimont ou l'Espare pour les gens de guerre ; Tevinier et Kermoguer pour les gentilshommes du pays ; et, pour les habitants, le Procureur du roi Jean Huby sieur du Cosquer et Jean l'Archer Procureur des Bourgeois.

La place souffrit six cent quarante-quatre coups de canon ; brèche faite et la sape de cinquante pieds » (Journal de Jérôme).

Le dimanche, dernier jour de décembre (1590), Dombes ayant fait défaut, le capitaine du Pré sortit de la ville, aux conditions ci-dessus, avec tous ses gens de guerre et se dirigea vers Pluvigner sous la sauvegarde de deux officiers ligueurs. Mercœur lui-même quitta Hennebont le samedi 12 janvier 1591.

Jérôme d'Aradon reprend alors ses fonctions de gouverneur et s'occupe immédiatement de la réparation des brèches faites au cours du dernier siège et de la remise en état des murailles.

En même temps d'Aguila s'installait à Blavet, s'y fortifiait en construisant la citadelle qui, au cours des huit années de l'occupation espagnole, porta son nom : citadelle ou fort de l'Aigle. A son arrivée dans la place, il n'y avait trouvé que des ruines.

Peu après, il faisait aussi édifier le fort Sainte-Marie, en Crach, qui commandait non seulement la rivière d'Auray, mais encore, sur cette rivière, le passage d'une rive à l'autre entre Crach et Baden. Les restes de cet ouvrage portent aujourd'hui le nom de fort espagnol.

Le titre de cette petite étude indique bien qu'elle se bornera à relater les événements survenus dans la région vannetaise et à exposer les faits et gestes des cinq frères d'Aradon dont le rôle, encore une fois, est difficile à suivre dans les ouvrages traitant de la Ligue en Bretagne.

Il n'y sera donc pas question des actions de guerre qui se sont déroulées dans le reste de la Province, ni des intrigues prolongées et de toutes sortes de Mercœur pour arriver au but qu'il se proposait, non plus que de ses démêlés avec d'Aguila qui ont eu comme conséquence de faire cesser tout effort commun et de rendre pour ainsi dire inefficace, au bout de moins d'un an, le concours des troupes espagnoles.

***

De même que pour Jérôme, on ignore pour René les dates exactes de naissance et de décès. Il est certain toutefois qu'il naquit avant 1562, puisqu'il était l'aîné de Georges né en cette année, et il est également sûr qu'il décéda avant 1631 puisque, dans un aveu du 2 mai 1631, Renée sa fille, dame de Lannion, est ainsi qualifiée : seule héritière principale et noble de feu messire René d'Aradon, etc. ( Arch. dép. Morbihan — L. E. 1735).

Il avait épousé Gillette de Montigny, sœur du gouverneur de Suscinio et de Rhuys.

Quand il devint gouverneur de Vannes en 1590 [Note : Il succédait à Jean de Kermeno, Seigneur de Keralio, chassé d'ordre de Mercœur — Ogée, dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne. T. II, page 953] l'enceinte de la ville, il faut le répéter, ne se composait que de fortifications remontant à l'époque gallo-romaine et de tours et de murailles datant du moyen âge. Sur son initiative, non seulement des réparations importantes sont exécutées pour les mettre mieux en état de défense, mais des ouvrages d'un genre tout nouveau vont s'y ajouter. C'est ainsi que des bastions sont édifiés — plus d'un quart de siècle avant la naissance de Vauban — entre autres, celui de Kaer ou de Brozillay, achevé dès 1593, là où s'élève de nos jours l'Hôtel des Postes, et celui en avant de la Porte-Neuve [Note : On voit encore les restes de cette porte, rue Emile Burgault] commencé en 1596, dont l'angle saillant s'avançait presque jusqu'au milieu de la place actuelle de l'Hôtel de Ville.

A noter aussi combien l'artillerie était ici plutôt rare. En 1576, lors de la révolte dite des Malcontents, pour armer les murailles de la ville, il fallut emprunter quatre canons au château de Cardelan, sur la baie du même nom, en la paroisse de Baden, et on a vu que plus tard, lors du siège d'Hennebont par Mercœur, on dut aller chercher des canons à Josselin. Pour armer le nouveau bastion de Kaer, un canon fut fabriqué à Vannes et voici de quelle façon : la communauté acheta à un marchand poëlier, Jacques Le Douarin, un millier pesant de métal, puis Christophe et René Le Papinec, fondeurs [Note : Fondeurs de cloches évidemment] furent chargés de la fabrication.

Chose curieuse également, alors que René était gouverneur de Vannes, les Etats de la Ligue se réunirent plusieurs fois dans notre ville et ce fut au cours de la session ouverte le 21 mars 1592 que, le 1er avril, les Etats ordonnèrent la publication dans la Province des décisions du concile de Trente qui remontaient à 29 ans. Les articles concernant le mariage avaient été en effet décrétés le 11 novembre 1563. Mais, comme en Bretagne, surtout en ce temps-là, on était en retard pour tout, le 4 novembre 1595 se célébrait encore à Château-Gaillard, c'est-à-dire à domicile, un mariage par paroles de présent et contrat, en présence de missire François Préau, prêtre et vicaire de Saint-Pierre. [Note : Voir communication de M. de la Martinière — Séance Soc. Polym. du 11 février 1926. Un mariage par paroles de présent à Château Gaillard en 1595].

Ce fut aussi sous le gouvernement de René d'Aradon que s'agita la grosse question du transfert en Espagne de l'ensemble d'abord, puis d'une partie des reliques de Saint-Vincent-Ferrier. Voici, d'après les archives de Simancas, si bien étudiées et présentées par M. Gaston de Carné, le résumé des correspondances qui furent échangées à ce sujet.

Par lettre du 6 janvier 1592, datée de Nantes, Mercœur demande au Chapitre de Vannes de vouloir bien donner le corps entier de Saint-Vincent-Ferrier à Philippe II, roi d'Espagne.

Le saint, chacun le sait, était né à Valence en Espagne.

Le 24 du même mois, le Chapitre répond à Mercœur que la chose est impossible, mais que « s'il plaît à sa Majesté catholique se contenter d'avoir quelque notable partie des reliques de ce saint, il se mettra en tel devoir qu'il lui sera possible de le satisfaire et d'obéir à ses commandements » (Bibl. Bret. Tome XI, pièce 130, page 110).

Par lettre de Nantes du 26 février 1592, Mercœur transmet cette réponse au roi. (Bibl. Bret. Tome XI, pièce 134, page 112).

Philippe II remercie le Chapitre, le 20 juillet 1592, par lettre datée de Valladolid : « Le roi a appris l'intention du Chapitre de lui envoyer des reliques du saint corps de Saint-Vincent-Ferrier et il en témoigne toute sa satisfaction à cause de la grande dévotion qu'il éprouve pour ce saint » (Bibl. Bret. Tome XI, pièce 157, p. 155).

Par lettre du même jour, le roi d'Espagne remercie également Mercœur de son intervention : « Il lui sait gré du soin qu'il a apporté à cette affaire ; et si les reliques ne peuvent venir ici tout entières, qu'il en vienne le plus possible — vengan las mas que sea possible » (Bibl. Bret. Tome XI, pièce 158, p. 156).

Les propositions du Chapitre n'étaient sans doute pas très sincères, car l'affaire traîna en longueur. (Bibl. Bret. Tome XI, Note 3 de M. de Carné, p. 155, in fine).

En effet, d'après M. le chanoine Le Mené, Philippe II avait été trompé sur les dispositions du Chapitre. La réponse que lui fit cette compagnie, le 31 mai 1593, allait le désabuser. (Chan. Le Mené. Hist. du dioc. Tome II, p. 38, 41, 42).

Cette lettre n'a pas été trouvée par M. de Carné dans les archives de Simancas. En voici un extrait : « .... ayant meurement pensé à cette affaire, avons trouvé qu'il ne nous est aucunement licite de toucher à tels sacrez trésors tant à cause de l'absence de Monsieur nostre Evesque, qui est, y a un an et demy, à Paris, pour les affaires de l'Estat [Note : Georges d'Aradon assistait aux Etats généraux convoqués par le duc de Mayenne], que d'autant qu'en nos chartes nous avons trouvé bulles de nostre Saint-Père, par lesquelles est faicte très expresse deffense à touttes personnes, de quelque qualité qu'elles soient, de transférer hors notre église les dites relicques, sous peine d'excommunication et d'encourir l'indignation de Dieu » (Chan. Le Mené. Hist. du dioc. Tome II, p. 38, 41, 42).

Il s'agit évidemment ici, dit M. de Carné, du corps entier et non pas d'une partie des reliques.

Quoi qu'il en soit, d'après M. le chanoine Le Mené, le roi dut s'incliner devant ce refus catégorique, mais, ajoute-t-il, ses soldats reprirent pour leur compte sa revendication (Chan. Le Mené. Hist. du dioc. Tome II, p. 38, 41, 42) et résolurent de s'emparer par ruse des reliques, en profitant d'un spectacle qu'ils se proposaient de donner pour amuser le peuple. (Chan. Le Mené. Hist. du dioc. Tome II, p. 38, 41, 42).

Avertis et effrayés les chanoines firent reporter secrètement la châsse de Saint-Vincent à la sacristie et la cachèrent si bien au fond d'une armoire qu'elle ne fut découverte que près de quarante ans après. (Chan. Le Mené. Hist. du dioc. Tome II, p. 38, 41, 42).

Reprenons maintenant, d'après les archives de Simancas, la suite de l'affaire des reliques.

L'ambassadeur de Philippe II, à l'époque Mendo de Ledesma, écrit de Nantes au roi d'Espagne, le 3 mars 1597, c'est-à-dire trois ans plus tard :

« Sire. Je n'ai pas voulu importuner V. M. des détails de ce qui a été fait au sujet de la relique du bienheureux Saint-Vincent-Ferrier jusqu'à ce que j'ai obtenu un résultat. Ces gens m'ont apporté tant de difficultés que, malgré toutes mes diligences, il ne m'a pas été possible de faire plus. Avec toutes mes démarches, j'ai cependant réussi à en tirer une grande relique, qui est un tibia entier d'une des jambes depuis l'articulation jusqu'en bas, avec une partie du suaire dans lequel le saint a été enterré. C'est la plus grande partie qui enveloppait le corps qui est resté plusieurs années en terre. Ces reliques ont été apportées ici par l'abbé de Meilleraye qui fait office de vicaire en cette église de Vannes [Note : Jean Juhel, un des vicaires capitulaires désignés à la suite de la mort de Mgr. Georges d'Aradon, décédé le 31 mai 1596] … ; qu'il plaise à votre Majesté d'ordonner par quelles mains les reliques lui seront envoyées, si on les expédiera par les navires qui partent d'ici ou d'une autre manière, s'il lui plaît. C'est une chose si importante, que je n'ai pas pris sur moi d'en disposer sans ordre de V. M. » (Bibl. Bret. Tome XII, pièce 305, pages 118 et 119).

Plusieurs mois s'écoulent, comme de coutume, sans réponse du roi.

Enfin, le 14 août 1597, l'ambassadeur écrit de Nantes au roi :

Extrait - « J'ai vu ce que V. M. m'ordonne pour l'envoi de la sainte relique de Saint-Vincent-Ferrier. S'il plaisait à V. M. je voudrais bien être désigné pour la porter. J'espère que V. M. me le permettra, pour que je puisse donner un coup d'œil à ma maison, chercher un moyen de sortir de la série où je suis, et pouvoir servir V. M. d'une façon plus utile » (Bibl. Bret. Tome XII, pièce 333, p. 134).

D'après Gaston de Carné, le roi ne donna pas satisfaction au désir de son ambassadeur qui fait connaître, par une autre lettre du 21 novembre de la même année, que la relique de Saint-Vincent-Ferrier fut portée à Philippe II par un religieux de l'ordre de Saint-François qui avait une mission en Espagne. (Note de M. Gaston de Carné — Tome XII, p. 134).

Il résulte donc de la correspondance et des notes qui précèdent qu'une « grande relique, un tibia entier d'une des jambes, depuis l'articulation jusqu'en bas, avec une partie du suaire dans lequel le saint a été enterré » a été envoyé à Philippe II, roi d'Espagne. M. le chanoine Le Mené, dans son histoire du diocèse de Vannes, et le père Fages, des Frères prêcheurs, dans son histoire de Saint-Vincent-Ferrier, ne semblent pas avoir eu connaissance de cet envoi.

L'étude des archives de Simancas par M. Gaston de Carné revèle encore d'autres faits intéressants survenus au cours du gouvernement de René d'Aradon à Vannes. Ainsi : la reconnaissance formelle et écrite par lui et ses frères des droits de l'infante Isabelle sur le duché de Bretagne, la soumission absolue des mêmes à la volonté de Philippe II et, comme conséquence, l'introduction dans notre ville d'une garnison espagnole.

Si les d'Aradon étaient à la tête des partisans de la cause de l'infante dans ses prétentions à la couronne ducale, nombre de gentilshommes bretons partageaient leur manière de voir, entre autres, les Goulaine, les La Motte-Jacquelot, les Carné de Rosampoul etc. qui estimaient alors aussi que, même au prix de la rupture de l'Union de 1532, c'était là le moyen de conserver dans la province la religion catholique.

Voici, d'après M. de Carné, quelques documents, parmi bien d'autres, qui prouvent l'enthousiasme des d'Aradon pour leur idée et ce, au dépit de Mercœur qui se voyait ainsi contrarié dans ses ambitions secrètes.

Georges d'Aradon à l'infante d'Espagne :

Nantes, 11 janvier 1591.

Extrait — « Madame, — L'injure du temps et la grandeur des affaires que le révérend père Mathieu doit dire et déclarer à Votre Altesse et à sa Catholique Majesté ne permettent pas que je tarde et diffère plus longtemps de vous acertiorer de la très grande et très afectionnée volonté que mes frères et moy avons à votre très humble servisse. Fasse Dieu, que les ennemis estant chassés et leur puissance du tout abolie, nous puissions plus aisément vacquer à son sainct et divin servisse et à son honneur et gloire, le supplient, comme il vous a réservée pour les nécessités de ce temps, qu'il vous conserve à jamais. » (Bibl. bret. Tome XI, pièce 42, p. 29).

Autre lettre de Georges d'Aradon au roi catholique du 21 septembre 1591, qui se termine ainsi : « De ma part je suppliray en toute humilité V. M. croire que plustost la mort ignominieuse me saisira que je ne soye à jamais votre très humble, très obéissant et très fidel serviteur ». (Bibl. bret.  Tome XI, pièce III, p. 92).

De leur côté, René d'Aradon et Gillette de Montigny, sa femme, écrivent à don Juan de l'Aguila :

Vannes, 5 novembre 1594.

« Monsieur - Suivant les propos que m'a tenus de vostre part, Monsieur de la Otiera [Note : Autrement dit Julien de Montigny, sieur de la Hautière, frère de Louis de Montigny, gouverneur de Suscinio, et de Gillette de Montigny, femme de René d'Aradon] je vous fais se mot pour vous asseurer que vous pouver rrespondre pour moy au Roy d'espagne et à Madame l'infante, sa fille, que moy et ce qui est an ma puissance est du tout dispossé à leur servisse et que je n'auray rrien sy cher que sa venue an cette ville (de Vannes) rrecougnoissant estre chosse qui de droit luy apartient, oultre que l'honneur de Dieu et ma rreligion, joint à cela my obligent de telle façon que jaimerais mieux mourir que di manquer. Tenez dont cet escrit pour gage attandant que Dieu me façe la grâce de venir aux effais et vous œsieures pour vostre particulier que je serais tant que vive, Vostre fidelle et afectionné amy pour vous faire serviss ». René d'Aradon. (La signature est en chiffres). (Bibl. Bret. Tome XII, pièce 230, p. 54, 55).

Et madame René d'Aradon ajoute en post-scriptum :

« Monsieur — Monsieur Daradon ma permis de vous baiser bien humblement les mains en ce lieu et d'asseurer les personnes desquelles il vous fait mantion en sa lettre que je leur suis très humble et très fidelle servante. Croies de moy, je vous suplie, ce que vous en dira mi hermano (mon frère) ». de Montigny. (La signature est en chiffres). (Montigny de la Hautière).

Don Juan de l'Aguila au Roi :

Vannes, 11 Janvier 1595.
« Extrait - Ces jours passés j'ai écrit à V. M. le grand désir que M. d'Aradon, gouverneur de Vannes, éprouve de se déclarer pour V. M. Ce désir s'est aceru en lui dans de telles proportions, d'après ce qu'il me dit, qu'il envoie M. de la Hautière, son beau-frère, en porter l'impression à V. M. et l'assurer qu'il acceptera toujours ce que V. M. ordonnera et procurera l'adhésion de son frère, le gouverneur d'Hennebont ». (Bibl. Bret. Tome XII, pièce 245, p. 72, 73).

René d'Aradon au roi d'Espagne :

Vannes, 26 Janvier 1595.
« Extrait — Sire, le sieur de la Hautière, mon beau-frère, alant trouver V. M. pour les raisons qu'il fera antandre, j'ai prins la hardiesse de le charger de créance de ma part ... Je jure à V. M. que mes frères, amis et moy et tout ce qui est en notre puissance, quand tout le reste de cette province voudrait laisser à faire son debvoir, ne manquerons jamais à rendre à V. M. le fidele servisse à quoi nous obligent et la juste prétantion de V. M. et de la cérénissime Infante, vostre fille, et l'obligation du sermant qu'avons promis au baptesme de vivre et mourir an la religion catholique, apostolique et romaine... Vostre très humble, fidelle et très afectionné vasal et serviteur ». (Ibidem Tome XII, pièce 246, p. 73). René d'Aradon.

Mémoire de M. de la Hautière pour le roi d'Espagne.

Février 1595.
« Extraits et analyse — .... Avant le départ de don Juan pour aller secourir Corlay, M. d'Aradon, beau-frère de l'auteur de ce mémoire, l'évêque de Vannes et autres gens de bien supplièrent don Juan de laisser des Espagnols en garnison à Vannes [Note : Voilà l'origine de l'histoire de l'introduction à Vannes d'une garnison espagnole] et d'envoyer M. de la Hautière à la cour d'Espagne avec ses lettres et celles de M. d'Aradon pour faire connaître à S. M. ce qui avait été fait.

M. de la Hautière apporte une carte de Bretagne et y renvoie S. M. — Il croit utile de fortifier la ville de Vannes et d'y mettre une garnison plus nombreuse — (de Carné note que, le 30 juillet 1595, la garnison espagnole à Vannes n'était encore que de 95 hommes). — Il serait bien aussi que S. M. envoyât 300 chevaux pour renforcer cette garnison ainsi que celles d'Hennebont, de l'île de Rhuys et des châteaux de Suscinio et Elven qui sont tenus par les Aradon et les Montigny, pour le service de S. M. » (Bibl. Bret. Tome XII, pièce 247, p. 74).

Georges d'Aradon ne vit pas la fin de l'intrigue espagnole. Elu évêque par le Chapitre le 13 janvier 1590, il fut préconisé par le pape Clément VIII le 10 mars 1593 et, comme il n'était alors que diacre, il se fit ordonner prêtre puis sacrer évêque. Il prit possession de son siège le 6 août 1593 et mourut à Vannes le dernier jour de mai 1596, âgé d'environ 34 ans.

Il fut inhumé dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste située auprès de la cathédrale et démolie en 1856.

En même temps que licencié en droit civil et canonique, il était docteur en théologie. Comme il avait siégé au Parlement ligueur qu'il avait contribué à organiser à Nantes, le président Saulnier, dans son savant et très curieux ouvrage Le Parlement de Bretagne, lui a consacré une notice (Tome 1, page 35) dont voici un extrait :

« Très attaché à la Ligue dès le début de ce mouvement politique, par l'horreur que lui inspirait l'hérésie, il a été de ces ligueurs de bonne foi qui n'y ont vu que les intérêts de la religion intimement unis dans leur pensée à ceux du pays ; aussi, a-t-il grandement contribué à provoquer et à maintenir l'occupation espagnole en Bretagne avec la perspective, la seule admissible pour lui, de l'infante Isabelle d'Espagne devenant duchesse et souveraine légitime. Evidemment peu perspicace, il est resté fidèlement lié au duc de Mercœur dont il ne démêlait pas les menées personnelles et ambitieuses, tout en soutenant la cause de l'infante, espérant l'amener à s'y rallier résolument ».

***

Voilà esquissé en quelques traits le rôle des trois aînés des frères d'Aradon au cours des troubles de la Ligue au pays de Vannes ; il reste à parler des deux plus jeunes, Christophe, sieur de Camors et Louis, sieur de la Grandville.

Christophe est l'enfant terrible de la famille. Son curriculum vitæ est tellement désordonné qu'il est difficile de le suivre. Ce n'est que grâce au journal de Jérôme et à quelques renseignements recueillis çà et là que sont connues les principales péripéties de sa vie mouvementée.

Il entre en scène en septembre 1589, au retour d'un voyage à Rome où il était allé on ne sait pourquoi. De Paris il écrit à son frère aîné de lui envoyer de l'argent, sous le prétexte qu'il avait été volé en route. Arrivé à Hennebont le 9 octobre, il se met immédiatement en campagne contre les royaux, mais surtout, semble-t-il, dans le but de faire des prisonniers pour en tirer des rançons. C'est ainsi notamment que, le 26 février 1590, il s'empare du sieur de Kerampuil qu'il oblige à payer, pour obtenir sa liberté, la somme de 2.200 écus sols.

Sa conduite privée ne tarde pas aussi à inquiéter le pieux Jérôme qui, pour y mettre bon ordre, entreprend de le marier ; il fait même intervenir Mercœur pour obtenir la main de l'héritière de Pontsal et écrit dans son journal « je prie Dieu de tout mon cœur qu'il lui plaise que mon frère de Camors et elle puissent être mariés ensemble et que ce soit au salut de leurs âmes et à la gloire de Dieu ».

Hélas, le projet n'aboutit pas. La riche héritière de Pontsal - Béatrix de Launay à l'époque — se montra rebelle à la demande et épousa peu après Nicolas de Talhouët de Kerservant qui, en 1594, devint capitaine de Pont-l'Abbé pour les royaux. [Note : Nobiliaire de Courcy. Verbo Launay (de)].

Christophe se consola vite de cet échec matrimonial.

Après la prise d'Hennebont par le prince de Dombes, Jérôme, dépossédé du commandement de cette place, vint à Vannes, cela a été dit, remplacer comme gouverneur son frère René qui, avec Christophe, suivait Mercœur dans la plupart de ses déplacements.

Ici commence un roman à incidents imprévus et curieux.

« Le lundi 16 juillet 1590, — relate le journal de Jérôme - arriva à Vannes, environ les 7 heures du soir, Mme de Kermeno : sa maison avait été prise par escale. Elle se vint rendre à nous, nous connaissant gens de bien et de réputation, afin que l'eussions assistée : ce que ferons en tout honneur et fidélité et jusqu'à la dernière goutte de notre sang ».

Madame de Kermeno, Suzanne du Fou, était la fille du baron de Noyan, originaire de l'Anjou.

Elle séjourna près d'un mois et demi dans notre ville d'où elle partit le 4 septembre, accompagnée de Christophe et sous la protection de 18 cuirasses et 8 arquebusiers — les routes n'étaient guère sûres alors — , pour regagner, près d'Angers, le château de son père.

Sans doute qu'au cours du voyage se continua l'intrigue ébauchée à Vannes entre la gracieuse dame et son galant chevalier puisque, à la date du 20 novembre, Jérôme parlant de Mme de Kermeno l'appelle déjà « sa bonne sœur ».

L'intrigue dura longtemps car, près d'un an après, à la date du 3 octobre 1591, Jérôme mentionnant le retour à Hennebont de Christophe fait connaître qu'il venait de la « Roche-Guéhennec [Note : Paroisse de Mûr] où était alors le baron de Noyan à la fille duquel son frère faisait l'amour ».

Enfin, le dénouement approchait.

A la suite d'une lettre de Mme de Kermeno, du 12 janvier 1592, dont dit Jérôme — « je fus très aise et en louai Dieu de tout mon cœur » rendez-vous est pris à Ancenis. Mme de Kermeno, Jérôme, Christophe et Louis s'y rencontrent et, après un court séjour, se dirigent à petites journées d'Ancenis à Nantes et de Nantes à Vannes où s'arrête quelques jours Mme de Kermeno tandis que Jérôme rejoint son poste à Hennebont.

Le 23 février, Jérôme sort d'Hennebont en grande pompe à la tête de sa compagnie de gens d'armes et de la noblesse du pays pour aller au-devant de Mme de Kermeno qu'amène son fiancé Christophe. Elle est l'objet de beaucoup d'égards. Tous les hommages possibles lui sont rendus. En son honneur encore, le 28, fête à Blavet, quartier général de l'armée espagnole, donnée par don Juan d'Aguila et grand dîner sur les galères commandées par don Diego Brochero.

Enfin, le lendemain 29, écrit Jérôme « le contrat de mariage fut fait entre mon frère de Camors et Mme de Kermeno par devant Me Raymond Caryo et Me Guillaume Geffray, notaires à Hennebon. M. de Kerdréan, mon père, et moi signâmes le contrat ; et doit avoir la terre de la Grandville [Note : La Grandville, en Grand-Champ, avait été apportée en dot au père des d'Aradon par sa femme, Claude de Guého] après la mort de Madame de Kerdréan ».

Il n'est pas question d'autres cérémonies dans le journal de Jérôme. Il est vrai que — il faut le rappeler — les dispositions du Concile de Trente n'avaient pas encore été publiées en Bretagne à la date du 29 février. Elles ne le furent qu'un mois plus tard, le 1er avril 1592, au cours de la session des Etats ouverte à Vannes le 21 mars.

Christophe conduit sa femme à Kerguéhennec, en Mur-de-Bretagne, près de son père et, quelques jours seulement après, au grand étonnement de Jérôme, il est fait prisonnier par les royaux ; mais il recouvre bientôt sa liberté, on ignore à quelles conditions.

La bataille de Craon, perdue par Dombes contre Mercœur, se livre le 23 mai 1592, trois mois environ après le mariage de Christophe.

Le jeune prince, au lieu d'essayer de réparer son échec, se retire à Rennes où, au grand scandale du Parlement resté fidèle à la royauté et aussi de bien des Rennais, il mène joyeuse vie, et voilà que parmi les femmes qui l'entourent se fait remarquer Mme de Kermeno, que venait d'épouser Christophe. D'après le journal du grave notaire de Rennes, Jean Pichard, dont un extrait a été publié par dom Morice, « la dame belle et gaillarde et autant de bonne humeur que l'on saurait souhaiter, était souvent visitée par le prince en sa demeure, au Champ Jacquet ». (Tome III, p. 1729) En fait, elle avait des adorateurs dans les deux partis. La Borderie ajoute qu'aux joyeux devis « se mêlaient sans doute les entretiens politiques, car Mme de Kermeno, qui était fort coquette, connut toutes les intrigues du temps. Elle détacha même son mari du parti de la Ligue à la grande indignation de son frère Quinipily ». (La Borderie, Tome V, pages 220 et 221).

Jérôme signale ainsi le fait dans son journal :

« Le mardi 24 novembre 1592, mon frère de Camors arriva en cette ville de Hennebont et se vint déclarer qu'il était du parti contraire, de quoi je suis très marry. Je prie le bon Dieu de tout mon cœur l'en vouloir retirer et amender ou bien lui donner la bonne mort, ainsi-soit-il ».

Voilà donc maintenant Christophe dans les rangs des royaux qu'il a combattus comme ligueur depuis près de deux ans et ce, sans le moindre souci de ses frères Jérôme, René, Georges et Louis restés de plus en plus attachés au parti de la Ligue. Madame de Kermeno ou plus exactement Madame Christophe d'Aradon exerçait décidément sur tous ceux qui l'approchaient un ascendant peu ordinaire !

Que va maintenant devenir Christophe ?

A force de recherches, il a été possible de découvrir quelques faits qui vont être exposés.

Le 23 janvier 1593, il est fait prisonnier à une lieue de Vannes par les ligueurs (Journal de Pichard dans dom Morice - T. III, p. 173).

En revanche, en 1594, au mois d'avril, il s'empare près de Pontivy des trois députés que la ville de Quimper envoyait aux Etats de la Ligue à Lamballe.

En septembre de la même année, Chistophe, changeant de camp, revient au parti de la Ligue [Note : Revue de Bretagne et de Vendée — Année 1860, 2ème semestre, p. 200, note 1 — Choix de documents inédits sur l'histoire de la Ligue en Bretagne — Mission du Sr Aubert de Roziers par R. F. Le Men]. Mais, sous l'influence encore de sa femme, à laquelle il ne savait rien refuser, trahissant à nouveau la Ligue, il accepte de Duplessis-Mornay [Note : Mornay (Philippe de) seigneur du Plessis-Marly dit communément du Plessis-Mornay, né à Buhy (Eure) en 1549, mort à la Forêt sur Sèvre en 1623. Calviniste.... Appelé en 1576 par le roi de Navarre dont il devint le compagnon et le conseiller le plus écouté. Sectateur ardent de la Réforme ; opposé à la conversion du roi. Surnommé le Pape des Huguenots.... Sous le titre de Mémoires de Mornay a été publiée une collection de lettres de ce personnage et surtout des lettres à lui adressées .... — Nouveau Larousse illustré] la mission d'enlever le duc de Mercœur et de l'amener prisonnier à Rennes. Il se met en route dans ce but avec dix soldats. Le hasard veut qu'il soit rencontré par le maréchal d'Aumont [Note : Il avait remplacé le prince de Dombes comme Gouverneur de Bretagne] qui, n'étant pas au courant du projet, défait la petite troupe. A la suite de cette équipée Christophe ne voulut pas recommencer (Dom Taillandier, Histoire de Bretagne, T. II, p. 452).

Au mois d'avril 1596, on le retrouve avec les ligueurs dans le Finistère où « il se saisit des hâvres d'Audierne et de Pont-Croix, pille les magasins et chasse les habitants. Le baron de Molac, à la tête des royaux, l'en ayant chassé à son tour, il va s'établir à Bénodet et rançonne les marchands de Pont-l'Abbé et de l'île Tudy ». (Inv. Arch. Du Finistère — B. Amirauté — Introduction, p. CCXXIV).

Enfin, en décembre 1597, il tient pour la Ligue le château du Bois-de-la-Roche [Note : Revue de Bretagne et de Vendée — Année 1860, 2e semestre, p. 200. — Mission du Sr Aubert de Roziers].

Evidemment ce n'est pas tout. La vie de Christophe contient d'autres aventures qui nous ont échappé ou qui sont resté inconnues.

Quel dommage qu'il n'ait pas songé, comme son frère aîné le pieux Jérôme, à noter les principaux faits auxquels il a été mêlé et ses impressions! Son journal nous eût également intéressés mais sans doute d'une façon bien différente.

***

Le cinquième des frères d'Aradon, Louis, sieur de la Grandville, quoique bien plus jeune, était un autre homme que Christophe. Ligueur convaincu, il commença dès 17 ans à guerroyer et se fit remarquer dans maintes rencontres.

Envoyé par son frère Jérôme, en septembre 1597, au secours de Douarnenez assiégé, il fut rejoint par le baron de Molac près le château de Quimerc'h, entre Bannalec et Quimperlé. L'action fut des plus vives et après six heures d'un combat opiniâtre la victoire restait encore indécise, lorsqu'au cours d'une dernière charge du bataillon suisse (troupe mercenaire au service des royaux) enlevé par Molac, Louis fut atteint à l'aine d'un coup de pique qui le désarçonna. Les Suisses le tuèrent sur place.

« Ce jeune gentilhomme, dit dom Taillandier, n'avait que 22 ans. Outre une valeur éprouvée et des services à la guerre, il réunissait les qualités qui forment l'honnête homme. Sa perte causa des larmes à ceux de son parti et ses ennemis mêmes ne lui refusèrent pas les justes éloges qu'il méritait » (Histoire de Bretagne, T. II, p. 466).

Le chanoine Moreau [Note : Moreau (Jean), chanoine de Quimper — Son « histoire des guerres de la Ligue en Bretagne » était demeurée à l'état de manuscrit à la bibliothèque publique de Rennes, jusqu'à ce que M. Le Bastard de Mesmeur l'eut publiée en 1836], de son côté, dans son Histoire de ce qui s'est passé en Bretagne durant les guerres de la Ligue et particulièrement dans le diocèse de Cornouaille, fait aussi à différentes reprises son éloge. « Ce jeune gentilhomme, presque encore écolier, n'ayant pas plus de 20 ans, plein de belles qualités, doux, humble, vaillant et courageux » (Ibidem, page 173) et plus loin : « Le cinquième des d'Aradon était le sieur de la Grandville fort jeune seigneur et qui avait aussi belles qualités de valeur que d'étude, de modestie, de diligence » (Ibidem, page 326) et à l'occasion de sa mort au combat de Quimerc'h le chanoine Moreau ajoute : « Il fut fort regretté, même des ennemis, et de tous ceux qui le connaissaient pour l'avoir vu ou de réputation. Aussi était-il beaucoup recommandable et avait-il de belles qualités et plus que son âge ne portait. Ceux de la ville de Quimper plaignirent sa mort et avec raison » (Ibidem, page 327).

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Avant d'en finir avec La Ligue au pays de Vannes et l'histoire des d'Aradon, il n'est pas hors de propos de relever ici certains faits qui n'ont pu trouver place dans le récit.

En 1597, sous le gouvernement encore de René d'Aradon, exerçait à Vannes la profession d'imprimeur un sieur Jean Bourrelier. Il fut même, croit-on, le premier imprimeur vannetais. Un conseiller au Présidial, Régnault Dorléans, sieur de Since (en Theix) fit paraître chez lui un ouvrage ayant pour titre : Observations de diverses choses remarquées sur l'Estat, couronne et peuple de France.

« Son but, dit M. Roger Grand, en traitant des questions de droit public appliquées à notre pays, semble avoir été de prouver surtout la légitimité du pouvoir d'Henri IV et de détourner le duc de Mercœur, à qui ce livre est pourtant dédié, de ses projets séparatistes ».

C'était de la hardiesse de la part de l'auteur de traiter pareille question surtout dans une ville comme Vannes si attachée au parti de la Ligue ; mais, il faut reconnaître qu'à l'époque où le livre parut l'étoile de Mercœur commençait à pâlir.

Dans toutes les villes, les anciennes rues et places, les vieilles maisons ont de l'attrait par les souvenirs qu'elles évoquent. A Vannes, par exemple, la place Cabello (en espagnol : Caballo, cheval ; caballero, chevalier) ou de la Croix Cabello [Note : Il existe aux Archives départementales (G-222) un acte relatif à la vente d'une portion de jardin « avis La Croix-Cabello » et qui en tête porte une date erronée. C'est 1599 et non 1590 qu'il faut lire attendu que dans le texte sont indiquées les dates de 1597 et 1598] rappelle, d'après le chanoine Le Mené, le passage en octobre 1590 du corps de débarquement espagnol se rendant de Saint-Nazaire à Blavet ; la tour Trompette, dont la toiture brûla le 4 septembre 1597 [Note : Le Mené — Histoire du diocèse, tome II, page 42] du fait des soldats espagnols qui l'occupaient, fait souvenir que Vannes eut à demeure, pendant près de quatre ans, une garnison espagnole.

Que de vieux édifices encore ont été les témoins des faits rapportés dans cette étude, par exemple : le Château-Gaillard, siège aujourd'hui de la Société Polymathique ; le logis d'Yves Le Kerme et de Perrine Le Bart sa compagne, à l'angle de la rue du Drézen et de la rue du Port, etc, etc, presque dans leur ensemble les rues Saint-Guenhaël, des Halles et de Saint-Salomon !

Il paraît nécessaire de mentionner aussi les faits qui se sont déroulés au cours de la Ligue à Malestroit, ville qu'on doit considérer comme faisant partie, à l'époque, de la région vannetaise, au même titre qu'Hennebont et Blavet.

Alors que Vannes était toute dévouée à la Ligue, Malestroit, au contraire, tenait obstinément pour les royaux, ce qui contrariait d'autant plus Mercœur que cette place, située sur l'Oust et sur le chemin de Nantes à Brest, interceptait les communications tant par terre que par eau [Note : Déjà au IXème siècle la navigation était très pratiquée sur l'Oust. — La Borderie, T. II, pages 156 et 239] entre Redon et Josselin au pouvoir des Ligueurs.

Au cours des différents sièges dont il va être parlé, les habitants de Malestroit, venant à l'aide de la garnison, montrèrent un courage mémorable et bon nombre de ces soldats improvisés moururent en combattant.

A la suite de la reprise d'Hennebont, Mercœur, en février 1591, renforcé des troupes espagnoles, veut aussi s'emparer de Malestroit. Il charge Saint-Laurent, son lieutenant, de l'assiéger. La place avait comme gouverneur un sieur de La Ville-Voisin. La brêche faite, Saint-Laurent ordonne l'assaut; mais La Ville-Voisin, bien secondé de ses troupes et des habitants, repousse vigoureusement l'ennemi lui faisant subir une perte de plus de deux cents hommes. Au nombre des défenseurs qui se distinguèrent en la circonstance on peut citer noble homme Julien de Quistinic, sieur de Boverel, qui fut tué sur la brèche au premier assaut, et aussi le sieur de Saint-Malo. Il se trouva parmi les plus ardents à la défense un prêtre du nom de dom Gilles, toujours le premier sur la brêche. Il roulait de grosses pierres et lançait des feux d'artifice [Note : Etude manuscrite sur Malestroit, d'après les archives communales. — Par M. Valframbert].

Saint-Laurent qui ne s'attendait pas à une telle résistance et qui se figurait que Malestroit ne tiendrait pas un seul jour dut se retirer piteusement.

Au mois de novembre de la même année (1591), deuxième siège ; Saint-Laurent attaque la ville, fait brèche mais est encore contraint, par la vaillance des assiégés, de se retirer.

Le 14 février 1592, les ligueurs menacent le faubourg Saint-Michel ; soldats et bourgeois font une sortie au cours de laquelle sont tués plusieurs habitants et soldats de la garnison.

Enfin, le 3 juillet de la même année, Mercœur en personne est devant Malestroit pour en presser le siège, car il faut qu'il s'en empare coûte que coûte. Dombes, averti, charge Montmorin et d'autres officiers de l'armée des royaux de marcher au secours de la place. Ils se mettent en devoir d'accourir, mais arrivés à Ploërmel ils apprennent que les assiégés, après avoir vaillamment soutenu un premier assaut, ont obtenu une capitulation honorable.

Au cours de ce troisième siège un certain nombre d'habitants payèrent encore de la vie leur ardeur à défendre la ville. Des capitaines et de nombreux soldats de la garnison furent également tués.

Mercœur n'eut pas à se féliciter longtemps de son succès. Deux mois après, le 10 septembre 1592, Malestroit retombait au pouvoir des royaux. Ce fait d'armes fut dû à Trévecar qui, trompant la vigilance de la nouvelle garnison ligueuse, arriva à l'improviste devant la place et s'en empara par escalade. Trévecar était lieutenant dans une compagnie de chevau-légers de Saint-Luc.

Le 4 septembre Jérôme d'Aradon avait quitté Malestroit où il avait passé 15 jours à guerroyer aux environs et, avant de se retirer, avait laissé le capitaine Boileau pour y commander. Aussi fut-il extrêmement marry, dit-il dans son journal, quand il apprit, à Vannes, le 10 septembre au soir, la surprise de Malestroit (Manuscrit Valframbert). A partir de cette date jusqu'à la fin de la Ligue la place demeura au pouvoir des royaux.

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La Ligue amena en Bretagne une foule de soldats et de mercenaires étrangers.

En outre des Espagnols venus en grand nombre, à différentes reprises, au secours des ligueurs, il y avait avec les royaux des Anglais, ceux par exemple descendus à Paimpol dès le 12 mars 1591, au nombre de 2.400 hommes, sous la conduite du général Norris, sans compter des mercenaires suisses et des lansquenets allemands, etc.

Tous traitèrent en pays conquis la Bretagne qui jamais, encore une fois, au cours de son histoire, ne vit une période aussi désastreuse.

Pour ne parler que des troupes espagnoles — troupes réglées pourtant — alliées des ligueurs, qui pendant près de huit années séjournèrent principalement au pays de Vannes et n'étaient que peu ou pas payées, elles se débandaient, couraient en tous sens la région, pillaient pour vivre, dévastant le plus possible et exerçant des exactions et des violences de toutes sortes.

Pour s'en convaincre, il suffit de citer quelques passages des récits consignés par les recteurs dans les registres paroissiaux.

Missire Jehan Bocher, recteur de Plaudren, relate ce fait dans le papier baptistoire de sa paroisse :

« En la dicte année mil cinq centz quatre vingtz quinze, jeudy et vigile des roys, cinquième jour de janvier, furent brullez, par les espaignolz (en dehors de toute action de guerre), la fourge de Guillaume Le Goffz, les maisons de Jehan Le Chapperom, du Marthellot, d'Ezéquel et de Alain Le Hen ; en laquelle maison dudit Le Hen fut brullé et consummé l'autre papier baptistouer commencé de l'année mil cinq centz quatre vingtz unze ; et les papiers tant nuptial que funérail furent emportez ou brulé par les dits espaignolz au même voyage, le tout avesques grande perte d'aultres livres apartenant tant à moy que à Missire Jehan Le Hen ».

Pleucadeuc — A la fin d'un acte de baptême du 6 décembre 1595 : « Et les espaignos estouinct à Mezuillac et le monde estoict en crainte celui jour, car il fut ravagé jusqu'à Pléhellin (Pluherlin). Signé Nycollas Dréan, l'un des sous-curés de Pleucadeuc ».

Melrand — « Les espainols furent troys semen (semaines) à Gémené (Guémené) sans bouger qui dérobaient et pillaient toutes les paroisses de entour ».

C'est toujours dans un latin incorrect que missire François Merlandez, sous-curé de cette paroisse, fait part de ses impressions sur ce temps néfaste.

A la fin d'un acte de baptême du 8 août 1592, il écrit :

« Et tunc hyspanorum gentem erant in Britania qui faciebant mala et spoliabant omnia que poterant et faciebant mala innumerabilia que nemo poterat inarare et declarare » [Note : Et les Espagnols étaient alors en Bretagne faisant le mal et volant tout ce qu'ils pouvaient. Leurs violences étaient innombrables et telles qu'on ne peut les écrire ou en parler].

Enfin, le 12 avril 1594, un gentilhomme, de Beauvoir la Nocle, écrivait aux députés des Etats : « Si je me mêle jamais d'ajouter à la litanie, j'y mettrai : A tyrannide ispanorum, libera nos Domine.... [Note : De la tyrannie des espagnols, délivrez-nous Seigneur]. C'est une race de gens plus composée de maures et de juifs que de vrais chrétiens » (Dom Morice, T. III, page 1589).

Les troupes espagnoles, il faut le reconnaître, ne recevaient pas de subsides de leur pays. Leur solde, en outre, se faisait toujours attendre et parfois très longtemps, quand elle ne restait pas impayée. De là leur insubordination et leurs pillages. Bien commandées et régulièrement payées, c'étaient des troupes de réelle valeur allant jusqu'à l'héroïsme. Elles l'avaient prouvé à la bataille de Craon en 1592 et surtout par leur merveilleuse bravoure lors de la défense du fort de Crozon.

A la fin de l'année 1591, pour la même raison - défaut de solde — des actes graves d'indiscipline se manifestèrent une première fois dans leurs rangs, mais durèrent peu.

En juin 1597, ce fut à Blavet une véritable révolte. Les mutins, poussés par la misère, firent prisonniers leur général don Juan d'Aguila ainsi qu'un certain nombre d'officiers et les tinrent enfermés dans la citadelle. Ils prévinrent Philippe II par l'entremise de son ambassadeur de ce qui venait de se passer. Philippe II, pour une fois empressé, se décida à remplacer d'Aguila dans son commandement par Vincent Hernandez qui arriva le 27 septembre avec 60.000 livres et la révolte prit fin. (Bibl. bret. T. XII, p. 132. Note).

Le rôle de ces troupes allait d'ailleurs sous peu devenir sans objet.

Les d'Aradon qui, malgré leur dévouement souvent témoigné à la cause de l'infante, n'avaient jamais reçu la moindre faveur, pas même une marque de reconnaissance de la Cour d'Espagne, qui étaient découragés par les intolérables lenteurs de Philippe II, qui pouvaient constater les progrès d'Henri IV converti à la Religion catholique et absous par le pape, qui avaient fini par voir clair dans le double jeu de Mercœur et qui enfin, à la suite des derniers événenements — notamment ceux de Blavet — estimaient la cause de l'infante sans chance d'aboutir désormais, entrèrent, sur les instances d'Henri IV lui-même, en pourparlers avec le sieur Aubert de Roziers, envoyé vers eux par la Cour en vue d'obtenir leur soumission.

La relation de la mission d'Aubert de Roziers pour la réduction des villes de Vannes, Auray, etc., est des plus curieuses. En voici quelques extraits : [Note : Revue de Bretagne et de Vendée. Tome VIII. Année 1860. 2ème semestre pages 199, 200, 201, 202. Mission du Sr Aubert de Roziers]

Le traité de réduction des villes et châteaux de Vannes et Auray sous le commandement de René d'Aradon, du château du Bois-de-la-Roche sous le sieur baron de Camors (Christophe d'Aradon), du château de Suscinio, île de Rhuys, hâvres et côtes du Morbihan sous le sieur de Montigny (Beau-frère de René d'Aradon) « fut conclu et signé par le roy à Bloys, le 24 febvrier 1598, et toutefois tenu fort secret pour plusieurs raisons, et outre qu'il estait à craindre que les Espagnols, qui estoint en garnison à Vannes, appelassent à leur secours ceux d'Auray et de Blavet qui estoint encore plus de dix-huit cents ».

« Ce traité fut celé jusqu'à ce que le roy arriva à Angers, d'où il commanda au dit sieur de Roziers de partir pour faire crier : Vive le Roy ! à Vannes et licentier les Espagnols avec tout l'ordre et l'honneur auquel se pourroit aviser le sieur d'Aradon. Ledit sieur de Roziers arriva à Vannes le 12e de mars 1598 et exposa sa créance ; et aussitost ledit sieur d'Aradon envoya quérir l'alferez (porte-enseigne) don Lopez, qui commandait, en l'absence du capitaine, à la compagnie des Espagnols qui estoit audit Vannes, auquel il fist entendre et à quelques officiers de la compagnie qu'il amena avec luy, les commandements qu'il recevoit du roy et qu'il se tint prest dès demain, avec sa compagnie pour sortir de la ville. Don Lopez dépescha, en toute diligence, à Vincette Fernandez (Vincent Hernandez) de Accola, qui estoit chef dans Blavet, lequel lui commanda aussi d'en sortir : et escrivant sur ce sujet une fort courtoise lettre au sieur d'Aradon. Le lendemain, ils s'en vinrent au logis du gouverneur qui leur haut loua son roy parlant de ses généreux faits d'armes et surtout de sa clémence, au nom duquel il donna aux chefs de compagnie, deux payes, et aux soldats une. Il leur fournit les charriots pour mener leur bagage et les fist escorter jusques à Auray. Ils sortirent le 13 Mars plorants et détestant ceux qui leurs avoient faits employer leurs armes contre un si victorieux et glorieux roy. Ils partirent avec les bonnes grâces de tous les habitants auxquels le sieur d'Aradon paya tout ce que lesdits Espagnols devoient. Le lendemain qui estoit le 14e jour (14 mars 1598) on chanta le Te Deum, et fut fait feus de joie pour la réjouissance publique qui fut grande, tant par terre que par mer ».

En rejoignant Blavet, les Espagnols de la garnison de Vannes s'accrurent en route des troupes cantonnées au fort Sainte-Marie et de celles de la place d'Auray.

Une fois concentrées, elles s'embarquèrent pour leur pays sur des navires frétés par le maréchal de Brissac à Julien de Montigny, sieur de la Hautière, suivant contrat du 15 juillet 1598 au rapport de M. Pierre Thomas, notaire royal à Vannes.

***

Des cinq frères d'Aradon il ne restait plus, on le sait, que Jérôme, René et Christophe.

Les deux derniers firent leur soumission dès le 24 février 1598. Quant à Jérôme il attendit jusqu'au 7 avril suivant. René conserva le gouvernement de Vannes et Jérôme celui d'Hennebont. Ils prirent part en outre aux largesses du roi qui distribuait l'argent sans compter. René resta gouverneur de Vannes jusqu'en 1625, époque à laquelle il démissionna, avec l'agrément du roi Louis XIII, en faveur de Pierre de Lannion, son gendre.

Quant à Christophe, baron de Camors, il remplaça son frère Jérôme, sans doute à sa mort, vers 1605 ou 1606, comme gouverneur d'Hennebont. Il avait épousé, en secondes noces, Julienne de Kerbervet, dont il eut un fils du nom de Claude. Claude épousa Delle Louise de Lantivy, fille de Louis de Lantivy et d'Andrée de Callac et mourut sans héritiers. Ce fut le dernier des d'Aradon.

L'édit de réduction pour le duc de Mercœur fut accordé par Henri IV à Angers le 18 Mars 1598.

Ainsi s'écroulèrent les visées ambitieuses tant de Philippe II que de Mercœur à la couronne ducale et prit fin la Ligue en Bretagne.

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Une étude de l'éminent critique Sainte-Beuve parue il y a plus d'un demi-siècle et consacrée aux Mémoires de Malouët, porte en conclusion cette remarque .... « Rien ne nous montre mieux combien l'histoire a de doubles fonds et tout ce que la postérité a à faire avant d'arriver sur bien des points à savoir le dernier mot : il y aura auparavant à lever bien des scellés et à ouvrir bien des serrures. » (Sainte-Beuve. — Nouveaux lundis, tome XI, Mémoires de Malouët, page 307).

La justesse de cette remarque apparaît ici une fois de plus.

Avant la découverte, en 1860, par M. Le Men, de documents inédits sur la Ligue, dans les anciens papiers de la famille Aubert de Roziers ; avant la publication relativement récente, en 1899, par M. de Carné, de la « Correspondance du duc de Mercœur et des ligueurs bretons avec la cour d'Espagne », trouvée dans les archives de Simancas, que de faits intéressant le pays de Vannes à la fin du XVIème siècle étaient demeurés dans l'ombre, on peut même dire complètement ignorés.

(Etienne RAUT et Léon LALLEMENT).

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