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L'ANCIEN HOTEL DE LIMUR.

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L'hôtel des douves (aujourd'hui l'hôtel de Limur) fut construit au XVIIème siècle pour Raymond Le Doulx, chanoine de la cathédrale de Vannes. Au moment de la Révolution, il fut saisi à Armand de Gouvello qui était parti en émigration et en 1795, la commission militaire chargé de juger les prisonniers de Quiberon y siégea. L'hôtel devient par la suite la propriété du maire François Mahé de Villeneuve, puis du receveur général Joseph-François Danet. Il finit par devenir, entre 1820 et 1947, la propriété de la famille de Limur [Note : Charles Jean Marie Chanu de Limur (1780-1850), fils de Jean-François-Marie Chanu (1753-1813) et de Jeanne-Louise Agathe Very de St Romain (née vers 1746 et mariée le 26 juillet 1778 à Vannes), marié le 24 mars 1816 à Françoise Calvé de Soursac (1786-1857), achète en 1819 auprès de la famille Gouvello, l’hotel de Penhouët, rue Thiers à Vannes qu’il rebaptise, Hôtel de Limur], qui lui donna son nom actuel. Ceux-ci le revendent en 1947 à la municipalité de Vannes. De 1955 à 1968, l'hôtel de Limur accueille le musée des beaux-arts. Ce bâtiment fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques depuis le 9 septembre 1993.

L'hôtel de Limur à Vannes (Bretagne).

Par sa masse imposante et presque grandiose, l'hôtel de Limur dépasse les proportions habituelles d'un édifice privé. En fait, tous les étrangers le prennent pour un monument public. On ne sait, d'ailleurs, en général, que fort peu de chose au sujet de son origine et de son histoire, et ce peu de chose ne remonte pas au delà de l'époque de la Révolution. Il appartenait alors au marquis de Gouvello, et, comme bien d'émigré, il fut placé sous séquestre, puis aliéné nationalement en 1796. Racheté par son propriétaire, en 1820, il fut ensuite vendu à l'aïeul de notre aimable et sympathique confrère, M. de Limur, dans la famille duquel il est resté depuis lors. En l'absence de titres et de renseignements certains, on a cru généralement que cet hôtel avait été construit par un membre de la famille Le Gouvello. Toutefois, le mystère le plus complet subsistait sur la date et les circonstances de son érection ; il y avait là un petit problème que je me suis attaché à résoudre à l'aide de pièces et documents qui se trouvent dans nos archives.

II.

Mais avant de vous faire connaître le résultat de mes recherches, il me faut d'abord vous conter l'histoire d'une famille de chanoines qui pendant 150 années consécutives, ont occupé et se sont transmis les principales dignités du Chapitre de notre cathédrale.

Jacques Martin, nommé évêque de Vannes, en 1599, était fils d'un trésorier général des finances à Bordeaux. Il prit possession de son évêché en 1601. L'année suivante, la prébende préceptoriale dont jouissait un laïc, Gilles Havard, étant devenue vacante, il l'attribua à un sien cousin, Giron du Rancau, prêtre de Bordeaux et « maître ès arts ». Cette nomination donna lieu à un conflit avec la Communauté de ville qui, usant de ses droits, et de concert avec plusieurs membres du Chapitre, élut en remplacement de Gilles Havard décédé, un autre laïc, Félix Miggheur. L'évêque porta l'affaire devant le Parlement de Rennes qui lui donna tort. Alors, pour dédommager son cousin de cette déconvenue, il le pourvut de l'une des dignités du Chapitre, celle de trésorier.

Quelques années plus tard, en 1614, il fit venir encore de Bordeaux un frère du précédent, Pierre du Rancau, et le nomma chanoine. Giron résigna sa charge. De trésorier, en 1625, en faveur de son trère Pierre, mais resta cependant titulaire jusqu'à sa mort, en 1634. Pierre ne mourut qu'en 1665.

Peu de temps auparavant, était arrivé, toujours de Bordeaux, un neveu des deux abbés du Rancau, Raymond Le Doulx, fils de Jean et de Jeanne du Rancau. L'abbé Le Doulx était licencié in utroque jure, et docteur eh théologie. Il avait alors 45 ans. D'abord recteur de Plescop, puis de Brech, il fut nommé chanoine en 1663, et ensuite recteur de Saint-Patern. Il n'habita point le presbytère de cette paroisse ni la maison prébendale qui lui avait été attribuée, mais une autre maison qu'il avait achetée, rue des Trois-Maries, et dont je vous parlerai plus amplement tout à l'heure. Il fut pourvu, en 1674, de la charge de scholastique qu'il résigna en 1677. Il mourut, le 21 octobre 1693, recteur de Saint-Patern. J'ajoute qu'il cumulait avec cette dernière charge deux autres bénéfices : le prieuré de Locoal et celui des Saints en Grand-Champ.

Enfin, un dernier membre de la même famille, Antoine Verdoye, neveu de l'abbé Le Doulx, venu également de Gascogne, fut nommé chanoine en 1677, et scholastique en 1685. Ayant gardé son canonicat pendant 71 années, il fut doyen du Chapitre, de 1711 à 1748, date de son décès.

C'est de ces deux derniers chanoines que j'aurai à vous entretenir longuement au sujet de l'hôtel de Limur : l'un en fut le constructeur et l'autre le propriétaire durant plus de 50 ans.

III.

Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, le quartier de la ville où allait s'élever la construction qui nous occupe différait grandement de ce qu'il est aujourd'hui. Il faisait partie du fief du Chapitre, qui comprenait toute la paroisse de Saint-Salomon, dont l'église, entourée de son cimetière, se trouvait à peu près à l'endroit où l'on a commencé de bâtir une Bourse du travail, à l'extrémité de la rue des Tribunaux, alors appelée rue du Four du Chapitre.

Au midi et au couchant de cette église, il n'y avait que de vastes jardins, qui s'étendaient des douves jusqu'au prateau de Poulho (rue de Bernus), et à travers lesquels on a ouvert, depuis un demi-siècle, les quartiers neufs, à l'ouest de la ville. A l'entrée de la rue du Pot d'Etain, prenait naissance la rue dite des Trois-Maries, qui descendait le long des douves, et se confondait vraisemblablement dans son parcours avec la chaussée qui conduisait du grand marché au port. Cette chaussée qui, régularisée et aplanie, est devenue la rue Thiers actuelle, n'était alors qu'un chemin raboteux et sinueux qui s'incurvait sensiblement dans le bas de la rue des Trois-Maries, laquelle aboutissait aux jardins mentionnés tout à l'heure, à l'endroit où a été bâti récemment l'immeuble occupé par la Société Générale. Une ruelle s'ouvrant un peu plus haut, entre le pignon de la maison qui porte aujourd'hui le n° 27 de la rue Thiers et l'angle de l'hôtel de Limur, menait directement à l'église de Saint-Salomon. Cette ruelle fut fermée un siècle plus tard, lors de la construction de l'hôtel de Penvern ; mais une partie en subsiste encore et forme une petite cour que dépend de ce dernier hôtel, habité aujourd'hui par notre confrère M. de la Martinière.

Tous ces détails topographiques, un peu arides, étaient nécessaires pour expliquer la disposition et les exigences du site sur lequel on allait ériger le grand bâtiment dont j'ai entrepris de vous esquisser l'histoire.

IV.

L'abbé Raymond Le Douix, qui habitait la maison à l'angle sud de la ruelle susdite, en fit l'acquisition en 1666. Cette maison est celle que l'on voit au n° 27 de la rue Thiers. Sa façade en pierre de tuffau, qui est restée intacte, porte le millésime 1662 inscrit au fronton de la lucarne. Un puits, mentionné dans les actes de l'époque, se trouve dans le petit jardinet en avant et a été masqué récemment par un massif de fleurs.

Devenu propriétaire de cette maison, Raymond Le Doulx s'occupa d'arrondir son domaine, et, par des acquisitions successives, poursuivies pendant 20 ans, jusqu'en 1686, il constitua, en arrière de son habitation, la magnifique suite de jardins en terrasses qui dépendent présentement de l'hôtel de Penvern. De l'autre côté de la ruelle, dans le triangle dont la rue des Trois-Maries et celle du Four du Chapitre constituent les deux autres côtés, il fit encore de nombreux achats d'immeubles. En fait, il devint propriétaire de la plupart des maisons et des jardins du côté sud de la rue du Four du Chapitre. En 1674, il acquit d'Octavien du Sers, sieur de la Malinière, maître apothicaire, rue des Chanoines, la maison avec jardin située au coin nord de la ruelle, en face de son propre logis. Gêné sans doute par ses achats précédents, il céda en 1676 à Pierre Janin, marchand, en remboursement d'une dette de 2.500 livres, deux maisons joignant celle du sieur de la Malinière : l'une dénommée la Croix-Blanche, l'autre dite des Trois-Maries. Mais en 1685, exerçant la faculté de réméré qu'il s'était réservée, il rentra en possession de ces deux immeubles.

Il put alors tailler dans les terrains qui lui appartenaient au nord de la ruelle le site où il allait faire bâtir le grand hotel que nous avons maintenant sous les yeux.

Et l'existence de cette ruelle nous explique une anomalie qui surprend tout le monde. Ce vaste édifice, resté sans dépendances et comme emboîté dans les constructions voisines, ne possède en effet qu'une cour d'entrée, agrandie récemment par une cession de la voie publique, et qui était originairement assez exiguë. Les beaux jardins de l'autre côté de la ruelle, qui eussent été le complément naturel d'une magnifique habitation, restèrent attachés à la petite maison de l'abbé Le Doulx, lequel s'en réserva la jouissance. Les faces arrière et nord de l'hôtel de Limur touchant aux cours et maisons de la rue du Four du Chapitre, il eût fallu exproprier et abattre tout le côté sud de cette rue pour créer les dépendances que semblait réclamer une pareille construction.

Nous n'en possédons ni le plan ni le devis, et j'ai vainement recherché le contrat ou le marché que l'abbé Le Doulx dut passer devant notaire avec un maître entrepreneur pour sa construction. Je n'ai trouvé que des traces de paiements faits en 1685 et 1686 à deux maîtres maçons, Pierre Leguen et Jean Guilloteau. Cependant diverses pièces d'archives nous renseignent sur la date de l'achèvement du bâtiment, et ne laissent aucun doute sur la personnalité de son véritable auteur.

C'est d'abord le procès-verbal de l'apposition des scellés faite à la demeure du sieur Le Doulx le 21 octobre 1693, jour de son décès : il y est question de deux bois de lits déposés dans le bâtiment neuf.

Puis, un autre procès-verbal nous apprend que la vente publique des meubles dépendant de la succession se fit le 28 février suivant « dans la cour de la maison neufve bastie par le sieur Le Doulx ». Cette vente comprenait un certain nombre de pierres de tuffau et de verres, reliquat probable des matériaux employés à la construction.

Enfin un autre document nous donne des renseignements plus détaillés et plus précis. Le 24 janvier 1694, eut lieu, à l'audience de la juridiction du Chapitre, l'adjudication publique, du bail pour 3 ans, des héritages dépendant de la succession bénéficiaire du sieur Le Doulx, lesquels consistaient — ici je copie textuellement — « en une petite maison couverte d'ardoize en laquelle est décédé le dit sieur Le Doulx, avec les jardins en dépendant, bornée par le jardin de la Demoiselle de Querampoul Sillart ; une grande maison aussy couverte d'ardoize construite en neuff par le dit sieur Le Doulx avecq sa cour, escurye en devant, proche la susdite petite maison, une venelle entre deux ; une autre maison avecq son apentiff aussy couvert d'ardoize, cy devant nommé la-Croix-Blanche, joignant la dite grande maison construite de neuff située proche la douve de cette ville, paroisse de Saint-Salomon ; une autre maison et pavillon avecq son jardin sittuée au derrière de la grande maison baty de neuf ; une autre maison partagée en deux, aussy couverte d'ardoize, joignant les escuries du sieur la Choux, sittuée au bas de la rue du Four du Chapitre ».

L'une des clauses du bail portait encore : « l'adjudicataire ne pourra mettre dans la maison neufve construite puis quelques années par le sieur Le Doulx aucuns grains, paille, foins, ny tenir ny faire tenir hotellerye ny cabaret ».

Le bail fut adjugé pour 555 livres par an à Pierre du Verger, hoste du Lyon d'Or, qui ne fut en cette occasion que le prête-nom de l'abbé Verdoye, héritier bénéficiaire. Cet aubergiste paraît avoir été un familier de la maison, car, lors de l'apposition des scellés, la gouvernante de l'abbé Le Doulx, Denise André, déclara qu'elle avait prêté audit du Verger « deux marmites de cuivre rouge avec leurs couverts, trois tourtières de pareil métal, trois casseroles de cuivre rouge ». Il était encore créancier de la succession en vertu d'un billet de 3.000 livres que l'abbé Le Doulx lui avait souscrit, en 1685, « pour les bons services qu'il lui avait rendus pendant son vivant dans sa maison, » où, vraisemblablement, il avait été maître d'hôtel avant de s'établir aubergiste.

Nos vieux papiers sont pleins de détails savoureux ou pittoresques touchant la vie intime de nos pères. Je craindrais d'alourdir encore cette communication — qui vous semblera peut-être longue — par une analyse de l'inventaire et des enchères faites lors de la vente publique des objets mobiliers de l'abbé Le Doulx. Je note seulement en passant que la cave de ce dignitaire du Chapitre, grand vicaire de l'évêque, ne justifiait pas la bonne réputation dont jouissent ordinairement les caves de chanoines. Elle ne contenait qu'un fût dans lequel était un reste de vieux cidre, un barrau de verjus, et le quart d'un tierçon de vin blanc. En revanche, il se trouvait au derrière de la maison six charretées de gros bois à feu et sept à huit cents fagots : l'abbé était frileux. Signalons encore, avec de jolis meubles, nombre de beaux et bons livres, quelques tableaux, et plusieurs pièces de tapisseries de hautelice et de point de Paris qui représenteraient de nos jours une véritable fortune. Le tout dénonçait les goûts et la culture d'un esprit distingué.

V.

C'est peut-être le moment de nous demander quels mobiles, quels sentiments incitèrent Raymond Le Doulx, déjà presque septuagénaire, à entreprendre l'édification d'un logis aussi grandiose et dans un tel site. La réponse n'est pas facile, et nous en sommes réduits à des conjectures.

Il ne pouvait avoir l'idée d'en faire sa demeure et il ne bâtissait pas pour une postérité dont il était privé. La maison modeste qu'il occupait depuis son arrivée à Vannes possédait un luxe rare et charmant : la jouissance de ces beaux jardins, hauts et bas, qui lui donnaient l'air, la lumière, la vue, les fleurs, — les fleurs surtout, qu'il aimait passionnément. Vous ai-je dit que le greffier qui fit le récolement de ses effets mobiliers avait enregistré 76 orangers, en caisses ou en pots de faïence, et quantité de jasmins d'Espagne ?

Voulut-il faire une maison de rapport, un placement immobilier ? Mais pour qui ? puisqu'il n'avait pas d'héritiers directs. Calcul détestable, d'ailleurs, car ce grand escalier, si majestueux, ces vastes appartements, encore vides, réclamaient un train de maison que peu de personnes à Vannes étaient alors en situation de tenir.

Notre abbé fut-il atteint par la fièvre de construction que sévissait dans notre ville ? Le transfert du Parlement de Rennes à Vannes avait amené un afflux de population pour lequel les logements manquaient. On se mit à bâtir de tous côtés. Précisément la détresse du Trésor forçait à ce moment l'Etat à aliéner le domaine royal, et toutes les terres libres ou vagues furent successivement afféagées.

Il existait à cette époque, autour de l'enceinte fortifiée, partout visible, une zone vide de constructions comme il en existe autour de nos places de guerre modernes. Ainsi, devant la porte Saint-Salomon, le terrain, entièrement nu, dévalait par une pente rapide jusqu'à la rue des Trois-Maries. C'était le Marché au Bled, dénommé plus tard « Place du Marché au Seigle », lorsqu'un terre-plein y fut formé par la construction de murs de soutènement sur les douves. Les emplacements sur la contrescarpe, à droite de la porte Saint-Salomon, furent afféagés en 1684, et les premières maisons, en sortant par cette porte, y furent édifiées de 1684 à 1690. C'est également la date de l'afféagement des terrains de la rue Saint-Vincent (à gauche) et de la place de la Poissonnerie. De tous côtés, intra et extra muros, on vit donc s'élever de grandes maisons de pierres à trois étages, dont il subsiste encore de nombreux spécimens.

Enfin une dernière hypothèse, la plus vraisemblable : Raymond Le Doulx avait été élevé à Bordeaux, ville déjà renommée pour ses beaux édifices. Il avait séjourné à Paris et à Versailles et avait dû être frappé par la magnificence des palais et des monuments élevés sous l'inspiration du Grand Roi, et que toute l'Europe copiait ou imitait. Il avait probablement visité l'Italie. La construction de son grand hôtel, qui fut l'occupation de sa vieillesse, ne fut-elle pas provoquée par le désir d'imiter ce qu'il avait vu et admiré dans ses voyages ? Ne serait-ce pas la réalisation d'un rêve non exempt de mégalomanie, entretenu et poursuivi pendant de nombreuses années ?


Quoi qu'il en soit, les habitants de notre petite ville, nos compatriotes de ce temps reculé, durent être saisis d'étonnement et d'émerveillement en voyant se dresser fièrement ; au-dessus de leurs chétives maisons à pans de bois et colombage, face à la masse imposante de leur cathédrale, cette grande maison, sans rivale alors dans la cité, qui dépassait par ses proportions et son élévation tous les édifices publics : églises, chapelles, maisons de ville, — même le manoir épiscopal que Mgr Ch. de Rosmadec venait de reconstruire. Des fenêtres du nouvel hôtel, la vue s'étendait sans obstacle sur les îles et les eaux bleues du golfe, et sur tout le cercle des collines qui ferment l'horizon autour de Vannes.

VI.

Après cette longue digression, je reprends mon récit. Nous venons d'assister à la naissance de l'œuvre de Raymond Le Doulx : il nous reste à connaître ses destinées futures.

L'abbé Verdoye, son légataire, abandonna la maison prébendale qu'il avait occupée jusqu'alors au n° 20 de la rue des Chanoines (c'est celle qui joint le presbytère actuel) et vint habiter le petit logis de son oncle.

Son héritage était grevé de lourdes charges, et il dut songer à tirer un revenu du grand hôtel neuf resté jusqu'alors inhabité. Mais la location en était difficile. La noblesse bretonne était très pauvre. Ceux de ses membres qui résidaient à Vannes d'une façon permanente se contentaient de loger en appartements, ou, quand ils en étaient propriétaires, dans des maisons très modestes que l'on qualifiait du nom d'hôtels.

Il n'y avait que quelques familles riches, habitant leurs châteaux voisins, et passant à Vannes les mois d'hiver, qui pouvaient s'offrir le luxe d'une demeure aussi importante. Et, en fait, les premiers locataires que nous y trouvons en 1696, sont la comtesse de Lannion et la marquise du Plessis. Dans les années suivantes, on relève encore quelques noms de la noblesse titrée de l'époque : les du Cambout, les de Montigny, etc...

Suivant toute vraisemblance, ces locations étaient de peu de durée et assez précaires. Il devait y avoir des périodes parfois assez longues, pendant lesquelles ces grands appartements restaient vides et improductifs. C'était précisément le cas, lorsque, en 1746, nous retrouvons l'hôtel Verdoye mentionné dans un assez grand nombre de pièces d'archives. L'épisode est trop pittoresque et trop intéressant pour que je ne vous en rapporte pas les détails les plus piquants. J'abrégerai autant que possible.

Le débarquement des Anglais près de Lorient amena, à cette époque, de grands mouvements de troupes dans notre région. Le 24 octobre 1746, la Communauté, assemblée en corps politique à la Maison commune, fut informée qu'un bataillon d'infanterie et 4 compagnies de cavalerie seraient casernés à Vannes pendant l'hiver. En même temps, le marquis de Contades, lieutenant-général des armées du roy, donnait l'ordre de tenir, pour lui et Madame la marquise de Contades, un hôtel garni et meublé en cette ville « où il compte faire l'honneur de passer l'hiver ». Il ordonnait, en outre, de lui préparer une écurie pour 40 chevaux. Le marquis de Saint-Pern, l'un de ses principaux officiers, demandait aussi qu'on lui tienne prêt un appartement meublé. Sur quoi la Communauté délibérant, on arrêta qu'on prendrait la maison de M. l'abbé Verdoye, située près les douves, pour servir d'hôtel à M. le marquis de Contades, et que, s'il est besoin, on y aménagerait un appartement pour M. le marquis de Saint-Pern. Et pour le meubler, fournir généralement bois, fourrages, charbon et autres choses nécessaires, on chargea de cette entreprise les sieurs Tiret et Rio, marchands, avec mandat d'aller à Lorient prendre les ordres de M. le marquis de Contades.

Quelques jours plus tard, on reconnut la nécessité de faire à l'hôtel les réparations convenables. L'abbé Verdoye ne voulant pas en prendre le soin, on en chargea le sieur Jean Plaudren, entrepreneur, qui aurait à y faire travailler sans discontinuité, après procès-verbal d'un état des lieux établi par des commissaires désignés à cet effet.

La séance du 30 novembre suivant fut assez agitée. Un envoyé de Madame la marquise de Contades apporta un mémoire de plusieurs fournitures et d'appartements qu'elle demandait pour divers « particuliers » de sa suite. Elle réclamait, en outre, deux remises près de son hôtel, l'une pour ses carosses, l'autre pour cieux chaises de poste. Des commissaires furent désignés pour faire à Madame la marquise de Contades les représentations nécessaires au sujet « de ce grand articulement de nouvelles lournitures ». A leur retour, les commissaires rapportèrent la réponse de la marquise qui, après s'être fait donner lecture du susdit mémoire, avait seulement déclaré qu'elle ne pouvait pas s'opposer à ce que la Communauté se fit autoriser, comme elle le doit, par l'Intendant ; qu'au surplus, quand M. de Contades sera ici, il s'entendra avec la Communauté pour tout ce qui lui est nécessaire ; que, cependant, il lui semblait qu'on ne pouvait se dispenser de fournir des lits pour ceux de ses domestiques qui n'en ont pas encore, ni, « au lieu de couettes de balle qu'on a mis dans les autres lits, dans les en-haut de l'hôtel, qu'on mette des matelas, en reprenant les couettes qui y sont ».

Les séances suivantes furent encore occupées par de nouvelles exigences : le 2 décembre, le major du régiment de Berry demande un corps de garde près de l'hôtel de Contactes. On prendra un logis le plus voisin et le plus commode, et on autorise le syndic à faire vider d'un moment à l'autre les locataires qui pourraient y être logés. Le 7 décembre, la marquise de Contades demande à faire paver à l'entrée de la cour et du vestibule, à faire faire un pont avis de l'écurie pour passer les bagages, un apentiff pour faire une forge pour le maréchal à costé de l'écurie, et quelques autres réparations au grand logis et ailleurs pour ses gens et les séparations de chevaux. Le 29 décembre, demande par le marquis de Contades d'un nouveau corps de garde. Quelques jours plus tard, il exige deux remises dans la cour de l'hôtel pour ses équipages logés provisoirement dans les remises de l'évêque, lequel, revenant des Etats, en a besoin. Le marquis de Contades partit en février, après un séjour de 3 mois environ. On s'empressa aussitôt de résilier le bail, de vendre les meubles achetés, et de rendre aux fournisseurs ceux prêtés. Voici le texte du procès verbal du 27 février relatif à cette liquidation :

« Sur rapport des commissaires, on arrête que sera payé 2.500 livres aux sieurs Ryo et Tiret chargés de l'ameublement faite de la maison de l'abbé Verdoyes, tant pour le déchet, frais d'ameublement et de démeublement, peines et soins, que pour le loyer ; qu'à l'égard des fournitures faites par Plaudren, propres à être revendues, on suspendra la vente jusqu'à ce que le duc de Penthièvre ait prononcé au sujet de l'état des réparations faites à la maison de l'abbé Verdoye, et d'un autre état des prétentions dudit abbé, tant pour le loyer que pour les augmentations qui ont été faites.

L'abbé prétend qu'on ne peut lui refuser une année de loyer sur le pied de 100 pistoles par an ; que, sur cette somme, on ne peut déduire que les réparations de nécessité, comme le vitrage ; qu'à l'égard des réparations de bienséance et de convenance, comme les fours, fourneaux et potagers qui sont aujourd'hui des pièces d'ataches, on ne peut répéter sur luy cette dépense. Encore moins faire démolir et enlever les dits ouvrages. Il veut même faire entendre (quoique le procès-verbal fait par les commissaires qui l'avaient prié de se charger luy-même des réparations, et auquel il n'a pas voulu assister, soit directement opposé à ses prétentions) que la somme que l'on porte pour le vitrage est excédé en ce que les anciens vitrages étaient suffisants, et que, pour façon de les placer, il avait fait marché avec un vitrier de Vannes pour la somme de 88 livres; mais il ajoute, avec toute la politesse et l'esprit que vous lui connaissés, qu'il pense trop favorablement de la Communauté dont il a l'honneur d'être membre pour ne pas la laisser maîtresse de son sort ».

Comme on le voit, le bonhomme, bien que nonagénaire alors, avait conservé toute sa tête. Il avait gardé, avec la plénitude de ses facultés, le souci et l'entente de ses intérêts temporels.

Son hôtel devait encore abriter de hauts personnages. Mais il ne jouit pas de cette nouvelle aubaine. Il mourut le 14 janvier 1748, et fut enterré le lendemain à la cathédrale, dans la chapelle Saint-Vincent.

En mai suivant, le duc et la duchesse de Penthièvre vinrent faire un séjour à Vannes. Il fallut pourvoir à leur logement, à celui des officiers de leur maison et des gens, domestiques et équipages de la suite. Cette suite était considérable. Le marquis de Saint-Pern, qui vint encore comme fourrier preparer ce logement, fit connaître que tous devraient y concourir, exempts et non exempts, clergé, nobles et bourgeois. C'était, dit-il, le seul moyen d'éviter « un logement à la craye ». Leurs Altesses Sérénissimes paraissent être descendues à l'évêché ou à l'hôtel de Lannion. Mais l'hôtel Verdoye dut bien certainement être occupé par quelques-uns des principaux officiers du duc, et, selon toute vraisemblance, par le marquis de Saint-Pern.

En fin, en septembre de cette même année 1748, c'est le comte de Coëtlogon ; maréchal de camp, commandant en Bretagne, qui écrit de son château de Loyat qu'il va rassembler à Vannes quatre bataillons du régiment Dauphin, et demande qu'on lui prépare une maison meublée de tout ce qui sera nécessaire pour un séjour de 10 à 12 jours, et pour pouvoir y loger et coucher 15 à 16 domestiques, dont partie arrivera, le 21, avec les équipages qu'il envoie. Il lui faudra, en outre, des écuries pour 18 ou 26 chevaux.

Le comte et la comtesse de Goyon, alors à leur château de Kercado, offrirent de prêter leurs deux hôtels garnis de la Cour Bazvalan, mais les commissaires délégués par la Communauté furent d'avis, après visite, « qu'on ne pouvait mettre à profit la bonne volonté de ces seigneurs sans exposer leurs hôtels à bien des divertissements inséparables des cortèges nombreux que le séjour de M. le comte de Coëtlogon y occasionnera ». On arrêta donc de préparer un appartement meublé à l'hôtel cy-devant occupé par le marquis de Contades, et de mettre un écusson à la porte de cet hôtel.

VII.

Après le décès de l'abbé Verdoye commencèrent, devant la juridiction compétente, les longues procédures que nécessitait toute succession et qui occupaient de nombreuses audiences, dans lesquelles les héritiers, créanciers, et autres ayants-droit, avaient à produire leurs titres ou leurs prétentions. C'était de ces procédures que vivait, plutôt maigrement, la troupe si nombreuse des gens de loi de l'époque : sergents, huissiers, notaires, procureurs, avocats, greffiers et juges, qui, tous, avaient acheté leurs charges, et ne tiraient, sous forme de vacations ou d'épices, qu'un revenu très médiocre du prix payé par eux.

La sentence de bénéfice d'inventaire n'intervint que le 7 juillet 1752. Les héritiers de l'abbé Verdoye étaient deux dames du Vergier (l'une mariée à Bertrand de Barville, commandant pour le roi au château vieux de Bayonne, l'autre à Hériome Duchesne), et un mineur, Joseph Verdier, sous la tutelle de son père Verdier Mathiaque, échevin de Bayonne.

Entre temps, les effets mobiliers de l'abbé avaient été vendus aux enchères publiques le 12 juillet 1748 et jours suivants, et avaient produit une somme de 8.842 l. 18 s. 9d.

Les immeubles furent adjugés en mars et avril 1749, à savoir : la petite maison avec les jardins au sieur Guiter, docteur-médecin, pour 11.500 livres, et le grand hôtel aux sieurs J.-B. Guihur et Patern Rio, pour 10.530 livres. Mais ces nouveaux vassaux ne convenant pas au Chapitre, celui-ci exerça son droit de retrait féodal et attribua, comme suit, les immeubles dépendants de la succession Verdoye : le jardin potager à M. Lépinay pour 4.800 livres ; le logis de l'abbé, avec ses jardins à fleurs, à M. du Perenno de Penvern pour 6.700 livres ; et le grand hôtel à M. Blévin de Penhoët pour 10.500 livres. Ces nouveaux acquéreurs consignèrent, le 9 janvier 1750, le principal de l'adjudication avec les intérêts. M. de Penhoët occupa immédiatement sa nouvelle acquisition, comme nous l'apprend une pièce conservée aux archives départementales. Un nouvel impôt sur le revenu — le vingtième — venait d'être créé, et l'on exigeait rigoureusement de tous les propriétaires une déclaration exacte de tous leurs biens. La fiscalité moderne n'a rien inventé ni innové, et ne fait le plus souvent que copier ou imiter des procédés de taxation pratiqués dans les temps reculés. Voici la déclaration que souscrivit M. de Penhoët, le 1er avril 1751 :

« Paroisse de Saint-Salomon, sur les douves de la ville. Je soussigné déclare, pour satisfaire à l'édit du roy du mois de may 1739 et à l'ordonnance de M. l'Intendant du 1er mars 1750, que je possède dans la paroisse de Saint-Salomon une maison que j'occupe et que j'ai acquise pour le prix de 10.530 l., par sentence de la juridiction de MM du Chapitre de Vannes en date du mois de may 1749. La dite maison ne serait pas affermée plus de 400 livres, parce qu'elle est située hors la ville. Je l'évalue donc à la somme de 400 l. par an, ce que je certifie véritable. Fait à Vannes, le 1er avril 1750. (Signé) : Penhoët ».

Par une autre déclaration de même date, M. de Penhoët disait posséder, dans la paroisse de Saint-Patern, une maison qu'il habite seulement pendant l'été et d'où dépendent 20 journaux de prés qu'il fait valoir et estime produire 300 livres. Cette maison était le château de Limoges qu'il avait acquis autérieurement de la famille de Trévégat, et qui fut revendu par ses héritiers aux frères Charpentier de Lenvos et de Keronic, lesquels y sont décédés, sans enfants, en 1795 et 1802.

Ayant fixé sa résidence dans l'hôtel des douves, M. de Penhoët y apporta sans doute d'importantes améliorations. En particulier, il dut meubler magnifiquement les grands appartements, si l'on en juge par l'inventaire fait après son décès, et dont l'estimation monte à 45.900 l., 16 s., 8 d., Somme considérable pour l'époque.

M. de Penhoët habitait cet hôtel avec sa fille (morte en 1770) et son gendre, M. Jegou du Laz. Plusieurs de ses petits-enfants y sont nés et furent baptisés dans l'église de Saint-Salomon. Il y vécut 30 ans, et y mourut, le 30 décembre 1779, âgé de 84 ans et sept mois. Il fut inhumé dans cette même église de Saint-Salomon.

VIII.

A  partir de cette époque les documents abondent ; et l'on peut suivre, pour ainsi dire, année par année, le sort, fort mouvementé, de l'hôtel des douves, qui va voir désormais dans ses murs des propriétaires ou des occupants de conditions variées et assez étranges. Il allait d'abord passer en la possession de la famille Le Gouvello, mais pour peu de temps, contrairement à l'opinion commune.

Un acte du 27 juillet 1780, devant Le Ridant, notaire à Vannes, porte que « l'hôtel Penhoët, cour, écurie et toutes ses dépendances, situé en la ville de Vannes, vis à vis le marché au Seigle, paroisse de Saint-Salomon, à héritage roturier du fief du Chapitre de Vannes, a été vendu par Messire Michel-Marie Jégou, comte du Laz, père et garde naturel de ses enfants, et faisant et garantisant tant pour eux que pour Messire Alexandre de Blévin, seigneur marquis de Penhoët, demeurant à Vannes, « paroisse de Saint-Patern », pour la somme de 19.000 livres ».

M. de Gouvello était alors colonel au régiment de grenadiers royaux de Bretagne. Il venait d'épouser Catherine-Charlotte de Peybrac, ainsi que nous l'apprend le consentement donné devant Le Ridant, notaire, le 26 février 1780, par son père retenu par la maladie à son château de Kerlevenant.

On trouve encore un autre acte de la même époque que semble être un préliminaire du mariage ou de l'achat de l'hôtel : c'est une procuration donnée à paris par M. Armand de Gouvello à son frère le chevalier de Keriaval, pour emprunter, de telle personne qui voudra, une somme de 15.000 livres au denier 20. Ce prêt fut consenti le 2 mars 1780 par Messire François-Claude de Lantivy, demeurant à Vannes, rue Saint- Jean, suivant acte passé chez Le Ridant, notaire.

M. de Gouvello paraît n'avoir habité son nouvel hôtel que très passagèrement. Retenu par son service à Paris ou à l'armée (on le trouve encore, en 1789 et 1790, en garnison à Nancy et à Épinal), dans ses voyages en Bretagne il séjournait plus volontiers à Kerlevenant, où il s'occupait de bâtir un nouveau château qui était en construction au moment de la Révolution et ne fut achevé qu'après son retour de l'émigration.

Après sa rentrée en France, il habita Versailles où, aussitôt après la loi du 6 floréal an 10, il fit sa déclaration de résidence et prêta le serment de fidélité au gouvernement établi. Il obtint ensuite, le 5 brumaire an XI (26 octobre 1802), un arrêté du Grand Juge, ministre de la Justice, lui accordant amnistie pour fait d'émigration, et le réintégrant dans la jouissance de ceux de ses biens qui n'avaient pas encore été aliénés. La demande de levée du séquestre fut faite par Jollivet, jurisconsulte à Vannes, le 28 frimaire suivant.

Le château de Kerlevenant et l'hôtel de Vannes avaient été vendus nationalement. Mais le premier avait été acheté par un sieur Jouanne qui était l'architecte chargé en 1789 de conduire les travaux de construction du nouveau château, et qui était venu l'habiter après son acquisition. Il le restitua alors à son ancien propriétaire, qui l'avait constitué fermier général de ses biens avant son départ pour l'étranger.

Quant à l'hôtel des Douves, il était passé en d'autres mains. Mis sous séquestre, comme tous les biens des émigrés, en exécution de la loi du 28 mars 1793, il était occupé par deux locataires, lorsque, le 3 pluviôse an III ( 22 juin 1795), il fut réquisitionné pour y établir un tribunal militaire. Voici le texte de la lettre écrite à cette date par le commissaire des guerres Michel aux citoyens administrateurs du district de Vannes :

« Le représentant du peuple ayant déterminé l'établissement d'un tribunal militaire dans ce chef-lieu, et la maison de l'émigré Gouvello ayant paru être le local le plus convenable, comme étant propriété nationale, je vous prie, citoyens, de faire vider par les locataire actuels le rez-de-chaussée et le 1er étage de cette maison à fin que le tribunal puisse s'y établir de suite. La chambre des audiences doit être garnie d'un banc pour trois juges, un banc pour l'accusateur militaire, un banc pour le greffier, et une table pour les jurés, et douze chaises.

Dans la salle d'instruction, il faudra six chaises et une table, chenets, pelles et pinces. Dans celle des jurés, douze chaises ou des bancs, une table, chenets, pelles et pinces. Dans la chambre du greffier, une armoire, une table et quatre chaises.

Il doit être disposé dans le rez-de-chaussée un local pour y placer le poste qui sera établi près le tribunal.

Veuillez bien, citoyens administrateurs, donner les ordres nécessaires pour cette évacuation, et que les objets demandés conformément au détail ci-dessus soient fournis au tribunal au plus tôt possible, et participer la municipalité à fin qu'elle concoure à cette mesure dans les objets qui sont de sa compétence. — Salut et fraternité ».

Le 1er étage était à ce moment occupé par le sieur Pichot, ingénieur en chef du département ; et le 2ème par le sieur Jouanne dont il vient d'être parlé. Quelques mois plus tard, l'hôtel devient le siège de l'une des commissions militaires qui furent instituées, et qui fonctionnèrent à Vannes du 9 thermidor an III, jusqu'au 9 germinal an IV (29 mars 1796), pour juger les émigrés débarqués à Quiberon.

Enfin, le 21 prairial suivant (10 juin 1796), l'hôtel était vendu nationalement pour un prix de 16.362 francs. L'acquéreur, qui était un sieur Le Lagadec, commis-greffier de la municipalité, mourut quelques mois plus tard sans avoir pu acquitter la partie du prix d'adjudication exigible en numéraire. Ses héritiers revendirent alors l'hôtel le 10 janvier 1797 au citoyen Mahé-Villeneuve pour la somme de 8.000 livres, à la charge de payer en outre ce qui restait dû à la République (2 725 l., 6 s., 8 d.) La somme versée par Lagadec avait été fournie en partie par un sieur Danet aîné qui est une figure curieuse de notre histoire locale, et dont la biographie détaillée serait intéressante à connaître. Grand acheteur de biens nationaux, il ajouta encore à ceux que nous connaissons par les adjudications publiques, quantité d'autres propriétés d'église ou d'émigrés rachetées par lui aux adjudicataires, tant à Vannes que dans le reste du département.

Il appartenait à une famille de riches négociants que l'on trouve dans la seconde moitié du XVIIIème siècle à la tête du haut commerce vannetais. Lui et son frère cadet avaient été plusieurs fois juges-consuls avant la Révolution, et quand les consulats eurent été abolis et remplacés par des tribunaux de commerce, ils furent encore presque constamment choisis comme présidents de la nouvelle juridiction commerciale.

Danet aîné fut, pendant la période révolutionnaire, president du directoire du département, puis, élu en l'an VIII, député au Conseil des Anciens ; il fut ensuite admis par le Sénat au Corps législatif. Nommé receveur général du Morbihan lors de la réorganisation de 1800 qui créa nos administrations financières actuelles, il résigna ses fonctions en 1810, et son fils Joseph-François fut nommé par l'empereur en son remplacement [Note : Danet aîné avait un autre fils, Julien, qui était receveur général du Jura]. Ce fils, alors âgé de 26 ans, prêta serment comme receveur général le 16 juillet 1810 devant le préfet du Morbihan. Le 6 août 1811, il acheta de Mahé-Villeneuve l'hôtel Gouvello pour 25.000 francs, mais établit son domicile et ses bureaux au N° 15 de la rue Saint-Vincent, appellee alors rue du Morbihan.

IX.

Il me reste à vous dire les péripéties, assez compliquées, et les circonstances, peu connues, qui allaient mettre ce bel hôtel en la possession de la famille de Limur.

Les receveurs généraux des finances étaient encore — et le sont restés jusqu'à une époque récente, — de véritables banquiers qui faisaient des avances considérables au Trésor à l'aide de fonds qu'ils empruntaient au public, ou qu'ils se procuraient par des opérations ou des spéculations plus ou moins hasardeuses. Danet fils fut révoqué lors du retour des Bourbons, et l'on constata alors un déficit énorme dans ses caisses. Deux arrêts de 1816 de la Cour des Comptes le constituèrent en débet pour les exercices 1811 et 1812 d'une somme globale de 126.883 fr. 62. Puis, le 24 juin 1817, le ministre des finances établissait le dit Danet débiteur de 1.263.553 fr. 52, dans son compte courant avec le Trésor arrêté, en capitaux et intérêts, au 31 décembre 1816.

Contrainte fut décernée contre lui, et, à la requête de l'agent judiciaire du Trésor, on procède en juillet et août 1818 à la saisie immobilière de ses immeubles. Antérieurement, un arrêt de la cour d'assises du 15 juillet 1818 l'avait déclaré contumax et condamné à une peine afflictive et infamante. Il ne purgea pas cette contumace, et le directeur des Domaines fut chargé de le représenter en qualité d'administrateur légal de ses biens.

Ici je dois ouvrir une parenthèse pour vous signaler un fait piquant, et malheureusement lamentable. Le successeur de Danet fils, nommé en 1815, était Avrouin-Foulon, qui fut, lui aussi, un grand acheteur de biens, et devait, comme son prédécesseur, faire en 1858, une banqueroute retentissante qui ruina un grand nombre de nos compatriotes.

L'hôtel de Danet, occupé alors par M. de Marsilly, directeur des contributions indirectes, devant être vendu à la barre du tribunal, ainsi que ses autres immeubles, le maire de Vannes, M. Duplessis de Grénédan, avec l'approbation du préfet, le comte de Chazelles, réunit le conseil municipal en séance extraordinaire le 3 décembre 1818. Il lui exposa que la Maison de ville, fort délabrée, nécessitait des réparations urgentes et considérables ; que les sommes qui seraient employées à réparer ces vieux bâtiments pourraient l'être d'une manière plus utile aux intérêts de la ville par l'acquisition d'une autre maison, et qu'il demandait au conseil l'autorisation de devenir acquéreur, au nom de la commune, de l'hôtel Danet qui allait être mis en vente. Il ajouta que l'administration municipale y serait placée d'une manière d'autant plus avantageuse à la ville, que cet hôtel est situé sur l'une des places affectées au marché des grains et à très peu de distance de la place Louis XVIII, la principale de la cité, à laquelle aboutissent directement cinq grandes routes.

Le conseil adopta avec enthousiasme la proposition du maire et l'autorisa à se rendre adjudicataire, pour et au nom de la ville, de cet hôtel dans lequel, dit l'un des considérants, il sera possible d'établir la bibliothèque publique et une école d'enseignement mutuel dont on désire l'établissement depuis longtemps, et pour laquelle il n'existe à Vannes aucun local convenable.

L'adjudication publique n'eut lieu cependant que le 15 février 1820 sur une mise à prix de 10.000 francs. Après de nombreuses enchères (42) qui portèrent ce prix à 14.500 francs, il fut adjugé à Me Montfort, avoué, qui déclara avoir enchéri pour M. René-Jean Duplessis de Grénédan, demeurant rue du Morbihan, agissant en qualité de maire de la ville et commune de Vannes, pour le compte et dans les intérêts de la commune, aux fins de délibération et autorisation du conseil municipal en date du 3 décembre 1816, approuvée par le préfet, le 5 janvier suivant.

C’est maintenant qu'allaient commencer les tribulations du pauvre maire. On s'aperçut tout de suite que l'acquisition ne pouvait être définitivement valable qu'en vertu d'une loi. Préfet, maire et conseil avaient agi avec une légèreté et une étourderie inqualifiables. Dès le 22 février, le maire écrit au préfet pour qu'il fasse les démarches propres à faire régulariser cet achat. Le procès-verbal de vente étant du 15, il n'a que 20 jours pour faire enregistrer cette pièce, et, ce délai étant trop court pour obtenir l'autorisation nécessaire, il prie ce magistrat de lui prescrire la marche qu'il doit suivre en cette circonstance.

Le 3 mai suivant, il réunit son conseil pour lui exposer la situation. Après une longue discussion, la question à résoudre fut, sur la demande d'un membre, posée de la manière suivante : « Le conseil municipal pense-t-il que les moyens de la commune lui permettent de conserver l'acquisition de l'hôtel Gouvello faite par M. le maire au nom de la commune ? ». Cette question fut résolue négativement à la majorité de 19 voix sur 21.

Après ce vote, le conseil autorisa M. le maire à revendre l'hôtel aussitôt qu'il le pourra, et au prix qu'il pourra en trouver.

Mais ministre et préfet intervinrent alors. L'acte du maire ne pouvait lier la ville, puisqu'elle ne pouvait légalement acquérir qu'en vertu d'une ordonnance royale qui ne pouvait être rendue qu'après l'accomplissement de diverses formalités : justification des ressources dont la commune disposait pour payer son acquisition, expertise de la valeur des immeubles à acheter, etc... Il est impossible que le conseil puisse s'immiscer dans la rétrocession de l'édifice, puisqu'il n'en a jamais été le propriétaire, et qu'il n'aurait aucune autorité légale pour passer un acte de vente. L'édifice n'appartenant pas à la commune, le maire doit rester libre de disposer en son privé nom de la propriété qu'il a acquise.

M. Duplessis de Grénédan n'eut donc alors d'autre souci que de se débarrasser au plus vite et à tout prix de l'hôtel que lui était ainsi laissé sur les bras. Il lui fallait un acquéreur. Il le trouva dans M. Chanu de Limur, ancien officier de marine. Il y eut cependant une personne interposée, et, (Ô surprise !) cette personne fut M. Armand de Gouvello, l'ancien propriétaire de l'hôtel. Les motifs de l'intervention si inattendue de M. de Gouvello n'ont pas été expliqués, mais ils se laissent deviner aisément.

L'hôtel de Limur à Vannes (Bretagne).

XI.

Je viens de vous raconter les fastes et les revers de l'hôtel construit vers 1690 par l'abbé Le Doulx. L'aspect extérieur n'en a pas changé depuis plus de deux siècles. Cette architecture sage et froide, sans grand sentiment d'artiste, sans ornementation, est caractéristique du style Louis XIV, qui visait principalement à donner une impression de grandeur et de majesté. Ce sont, avec des façades étendues et percées de nombreuses fenêtres, des lignes horizontales et claires, que précisent sobrement les proportions et que relèvent seulement une corniche de pierre ou un bandeau courant entre deux étages. A l'intérieur de l'hôtel Le Doulx, les salles basses, avec leurs voûtes d'un tracé habile et variable ; le bel escalier dont les piliers et les arcades légères montent hardiment jusqu'au faîte de l'édifice ; l'heureuse disposition des appartements ; leurs proportions amples et harmonieuses ; et beaucoup d'autres détails de construction attestent la science de l'architecte qui établit les plans, aussi bien que de l'entrepreneur qui en assura l'exécution. Ce furent sûrement des hommes experts dans leur art.

Leurs noms nous sont inconnus. Toutefois, certains indices m'ont amené à penser qu'un maître-architecte nommé Olivier Delourme, jeune alors, pourrait avoir participé — je ne sais trop avec quel rôle — aux travaux de construction de l'hôtel Le Doulx. Cet Olivier Delourme est une figure très remarquable de notre histoire locale. Il jouit au début du XVIIIème siècle d'une réputation considérable, dont témoignent les nombreux édifices : églises, châteaux, ou maisons particulières, qui furent construits alors sous sa direction, ou d'après ses plans, tant à Vannes que dans tout le département.

(Hervé du Halgouët).

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