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LA MAISON DES PENITENTES DE VANNES, 1683.

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CHAPITRE I.

Fondation de ce monastère en 1683. — M. de Kerlivio, le P. Huby, Mlle de Francheville. — Les premières Sœurs.

Vers la dernière partie du XVIIème siècle, trois saints personnages rivalisaient de zèle et de pieuses industries pour sanctifier la ville et le diocèse de Vannes, et réformer le clergé et le peuple de ce pays déjà si profondément chrétien. La fondation du séminaire et l'établissement des retraites et des missions sont leurs œuvres les plus importantes. C'est encore à eux que le monastère de Notre-Dame-de-Charité doit en grande partie son existence.

M. Louis Eudo de Kerlivio était né à Hennebont, le 14 novembre 1621. Après avoir étudié à Rennes et à Bordeaux, il se lança dans le monde et y brilla par son esprit et ses talents. Bientôt désabusé, il entra au séminaire des Bons-Enfants à Paris, se mit sous la direction de St Vincent de Paul et fit de grands progrès dans la vertu. A son retour à Hennebont, après son ordination sacerdotale vers 1649, le soin des pauvres de l'hôpital devint le principal objet de son zèle ; sa maison fut elle-même leur asile. Son père, qui l'avait pris comme confesseur, lui dit en mourant : « Mon fils, je ne fais point de testament dans les formes, parce que je suis assuré que tout ce que je vous laisse de biens, vous le donnerez aux pauvres et à l'Eglise ».

Jamais volonté d'un père ne fut mieux exécutée. M. de Kerlivio employa sa fortune à fonder l'hôpital d'Hennebont, et plus tard le séminaire de Vannes, lorsque Mgr de Rosmadec l'eut pris comme vicaire-général, en 1656 [Note : De 1644 à 1649, M. de Kerlivio habita Paris ; les voyages du V. P. Eudes furent fréquents pendant ces années, ses séjours dans la capitale prolongés, ses conférences aux ecclésiastiques et ses prédications fructueuses. Le pieux séminariste a pu les connaître, peut-être les suivre. Quoiqu'il en soit, s'il n'est pas possible de prouver que ce saint prêtre a eu des relations directes avec le V. P. Eudes, il est du moins certain que tous deux ont eu des amis communs, parmi lesquels figure en première ligne Mgr Pallu, évêque d'Héliopolis, que la première partie de cette histoire montre continuant et organisant définitivement à Rouen l'OEuvre du Refuge, fondée par le Vénérable avec le secours des Dames de la Miséricorde, après sa mission de 1642. Ce prélat disait à Mgr de Rosmadec que Dieu l'aimait plus que tous les autres évêques, puisqu'il lui donnait un tel grand-vicaire. Bien des fois, Mgr Pallu a dû entretenir M. de Kerlivio de l'utilité de l'OEuvre des Pénitentes].

Le P. Vincent Huby était également né à Hennebont, le 15 mai 1608. A la fin de ses humanités, il entra dans la Compagnie de Jésus, à Rennes. En 1642, pendant que le V. P. Eudes prêchait sa grande mission de Rouen, le P. Huby faisait dans cette ville son troisième an de noviciat. Ces deux grands serviteurs de Dieu ont donc pu s'y rencontrer et s'y connaître. Le Vénérable était déjà une personnalité très en évidence. Par respect pour ses premiers maîtres, le zélé missionnaire sera lui-même allé les voir, et la vue de ses succès était bien propre à allumer dans le cœur du P. Huby le feu sacré de l'apostolat. Ces rapprochements sont bons à noter, car l'auteur d'une notice sur ce saint religieux dit : « Il eut encore l'honneur de prévenir peut-être Monsieur Eudes et la Vénérable Mère Alacoque, ou du moins de concourir avec eux, sans savoir leur dessein, au projet de faire honorer les Sacrés-Coeurs de Jésus et de Marie... La pratique du P. Huby était de répandre et de distribuer partout gratuitement des médaillons qui représentaient les Cœurs de Jésus et de Marie ».

En ce qui concerne l'antériorité du culte des Sacrés Cœurs du P. Huby sur le V. P. Eudes, l'auteur de cette biographie commet une erreur historique évidente. Ce bon Père, après avoir rempli différentes fonctions dans les maisons de la Compagnie, ne commença ses prédications, sous la direction du P. Rigoleuc, qu'en 1651. Il ne se livra entièrement à ce ministère que quelques années plus tard, vers 1658. Depuis 1641, le V. P. Eudes prêchait la dévotion aux Sacrés Cœurs. Le lecteur qui voudra bien lire la suite de cette histoire et se rappeler ce qui a été dit des maisons de Rennes, d'Hennebont et même de Guingamp, arrivera certainement à penser qu'au contraire le P. Huby a reçu sa dévotion aux Sacrés-Cœurs du V. P. Eudes ou de ses enfants. Les Sœurs de Notre-Dame-de-Charité étaient à Hennebont, sa ville natale, dès 1675. Elles vinrent à Vannes même en 1683. Ce bon Père ne mourut qu'en 1693, et l'auteur de la notice ne dit rien de l'époque où il commença à répandre ses images. Quand même il l'eût fait dès 1651, l'apostolat du V. P. Eudes serait de dix ans antérieur au sien. Mais une lecture attentive de sa vie et la description que l'auteur donne de ses images font croire, avec beaucoup de probabilité, qu'il ne les a propagées qu'après la fondation des monastères, car elles représentent sur la même feuille les Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie. Elles sont donc semblables à celles du V. P. Eudes. Les pratiques, les prières recommandées par le missionnaire breton ont encore plus de ressemblance avec celles que le V. P. Eudes cherchait lui-même à populariser. On reconnaît presque dans son entier la principale formule du missionnaire normand, Ave, Cor Sanctissimum. Ce sont les mêmes actes d'humilité, d'adoration, d'amour, de désir, et l'énumération des mêmes vertus.

Nous ne connaissons point toute l'efficacité de l'apostolat du V. P. Eudes en faveur des Sacrés-Cœurs, et nous ne la connaîtrons jamais, car il faudrait, pour la mettre en complète lumière, savoir jusqu'où ses livres se sont répandus, sur quelles âmes ils ont agi. Mais l'induction historique autorise à croire que s'il était possible d'étudier partout, dès leur apparition, les germes de la dévotion aux Sacrés Cœurs qui se manifestèrent en différents lieux, de 1641 à 1680, souvent on trouverait, comme nous venons de le faire à Vannes, pour principe la semence répandue directement par le V. P. Eudes et ses écrits, ou indirectement par ses Enfants.

Mlle de Francheville, la fondatrice des Retraites et la coopératrice fidèle de M. de Kerlivio et du Père Huby dans toutes leurs bonnes œuvres, les aida aussi dans la création de la maison de Notre-Dame-de-Charité. Elle comprit parfaitement que cet établissement serait d'un grand secours pour son œuvre, qu'il donnerait à beaucoup d'âmes des moyens de se convertir et de persévérer dans le bien.

Au moment de la fondation d'Hennebont, M. de Kerlivio, loin de favoriser sa ville natale, avait déjà voulu obtenir que Vannes fût choisi de préférence ; il dit même que c'était la volonté de Dieu, prophétie dont nous avons vu la réalisation.

Aussi, jamais il ne renonça à appeler dans le chef-lieu du diocèse les Filles du V. P. Eudes. D'accord avec le Père Huby, il profita habilement d'un fait de peu d'importance pour réaliser ce dessein. L'Evêque de Vannes avait fait mettre au monastère de Rennes une pécheresse qui faisait le scandale de sa ville épiscopale. Ces deux bons prêtres lui représentèrent les grands biens qui résulteraient pour son diocèse d'un établissement semblable.

Mgr de Vautorte gouvernait le diocèse depuis 1671, et était peu porté à favoriser de nouvelles fondations ; il refusa d'abord. Mais peu après, Dieu permit qu'il fût atteint d'une grave maladie. Nos deux saints prêtres, divinement inspirés, lui dirent, dans une visite, que s'il voulait promettre de contribuer de ses biens et de son autorité à l'établissement de Notre-Dame-de-Charité, ils espéraient que Dieu lui rendrait la santé. La vertu bien connue de leurs auteurs donnait une grande autorité à ces paroles, aussi elles impressionnèrent vivement le prélat et il fit vœu à l'instant de donner trois mille francs pour commencer la maison. L'effet suivit de près la promesse, car quelques jours après, l'évêque était parfaitement rétabli et donnait régulièrement les autorisations nécessaires, le 5 décembre 1680.

Le même jour, le sénéchal de Vannes accorda aussi son consentement. Ce qui explique cette promptitude si peu ordinaire, c'est que, suivant les Annales, des négociations avaient été commencées longtemps auparavant, sous l'épiscopat de Mgr de Rosmadec, qui fut transféré à Tours en 1670. Nous n'avons point parlé de ce premier projet par crainte que l'Annaliste n'ait commis une erreur. Cependant, si le fait est vrai, il pourrait y avoir eu de vive voix, à Rennes, entre le V. P. Eudes et M. de Kerlivio ou le P. Huby des négociations dont il ne nous est resté aucune trace.

La maison fut achetée sept mille livres par M. de Francheville, avocat général, neveu de la Fondatrice de la Retraite, et plus tard évêque de Périgueux. M. de Kerlivio paya deux mille livres pour l'approprier à sa nouvelle destination. Dans l'histoire de la ville de Vannes, cette maison est appelée le Petit-Couvent. Aujourd'hui elle sert d'hôpital.

Deux pieuses personnes, dont les noms ont été conservés, Mlles Descluyères et Bunetier, après avoir beaucoup contribué aux succès de ces premières démarches, se chargèrent d'écrire à tous les monastères de l'Ordre pour avoir des religieuses. Mais on mit tant de lenteur à leur répondre, que M. de Kerlivio se décida à prendre trois Sœurs dans la maison d'Hennebont, dont il était Supérieur.

Les Sœurs Marie de Sainte-Thérèse Dubois, de la Résurrection Cousin et de la Passion Kerléro furent reçues avec toutes sortes d'honneur par Mgr de Vautorte et les bienfaiteurs de l'OEuvre. Mme de Lugné, sœur du prélat, leur témoigna aussi beaucoup de bienveillance. Le lendemain de leur arrivée, 29 janvier 1683, fète de St François de Sales, eut lieu la cérémonie solennelle de l'installation. Mgr de Vautorte la présida. Le R. P. Recteur du collège des Pères Jésuites y fit un magnifique sermon sur l'utilité de l'Institut et sur les avantages que le nouvel établissement allait procurer à la ville. Son appel à la générosité des bienfaiteurs fut si éloquent, que Mme d'Argouge, toujours si attachée à cette Œuvre, lui dit à la fin : « Mon Révérend Père, qu'avez-vous fait ? Vous avez coupé toutes nos bourses ». Les dames les portaient alors suspendues à la ceinture, elles pouvaient y puiser facilement pour leurs aumônes ; mais les couper, c'était les leur prendre dans leur entier. La bonne Présidente indiquait que le Père Recteur l'avait fait.

Le 8 février suivant, les Sœurs célébrèrent de leur mieux la fête du Saint-Cœur de Marie. M. de Kerlivio chanta la grand'-messe. Une bonne dame Hélo s'aperçut que la petite chapelle n'avait pas de statue de la Sainte Vierge, et fut fortement inspirée d'y faire apporter celle qu'elle destinait à la prison. M. de Kerlivio consulté y consentit. Cette image assura au monastère naissant la protection toute puissante de Marie. Mme Hélo ressentit elle-même si visiblement ses faveurs que, toute sa vie, elle vint dans le monastère célébrer la fête du Saint-Cœur de Marie.

Dès leur arrivée, les Sœurs reçurent quelques Pénitentes. Mais après huit mois de séjour à Vannes, le 16 octobre, sans que le motif en ait été conservé, elles retournèrent à Hennebont. On peut conjecturer que leur jeunesse et leur formation religieuse encore incomplète en furent la cause. Leur profession ne pouvait remonter à plus de deux ans.

La Sr Marie de la Passion Kerlero était morte quelque temps auparavant en odeur de sainteté. Souvent, à une fondation nouvelle, Dieu demande comme tribut et pierre fondamentale un sujet de choix pour peupler son paradis. La Sr Kerlero en est un exemple. Après la fondation, libre de se livrer à son attrait pour la mortification et pour le travail, elle le fit peut-être avec trop peu de modération. Mais les besoins d'une maison naissante sont une excuse bien suffisante à cet excès. Son corps fut inhumé dans le cimetière de la Visitation. Les Sœurs de cette pieuse communauté ont eu longtemps une grande vénération pour son tombeau et ont assuré y avoir reçu des faveurs signalées et en grand nombre.

Pour continuer l'œuvre, le monastère de Rennes envoya alors les Srs Marie du Saint-Cœur de Jésus Bedault, de l'Enfant Jésus le Vavasseur, de l'Incarnation Cadiou, converse. Elles arrivèrent à Vannes le 11 octobre au soir, et à cause de l'heure avancée descendirent à la maison de la Retraite. Mlle de Francheville, la pieuse fondatrice, les reçut avec une grande joie et leur témoigna la plus fraternelle cordialité.

Le lendemain, les Sœurs se présentèrent à Mgr de Vautorte pour recevoir sa bénédiction. Sa Grandeur les accueillit avec bonté et leur ordonna de faire visite à toutes les autres communautés de la ville, qui jamais n'avaient vu de religieuses de Notre-Dame-de-Charité. Elles allèrent également présenter leurs hommages à leur fidèle bienfaitrice, Mme d'Argouge. Mlle de Multeaux, économe de la retraite, les accompagna dans toutes ces visites, et trouva ainsi le germe de sa vocation religieuse, car bientôt elle fit profession dans le nouveau monastère sous le nom de Marie de Saint-Vincent Lorre.

Après ces utiles visites, les Sœurs entrèrent dans leur petite maison, heureuses de reprendre la vie monastique. M. de Kerlivio leur donna 50 francs pour leurs premiers besoins et le lendemain. 13 octobre, il confirma l'élection de la Mère Supérieure et, d'accord avec elle, convint de donner le voile noir à la Sr Marie de l'Incarnation Cadiou, qui n'était que converse. Elle le reçut de ses mains le 24 du même mois. Le cinquième monastère de Notre-Dame-de-Charité était fondé.

La Supérieure, la Mère Marie du Saint-Cœur de Jésus Bedault appartenait à une famille honorable, mais dépourvue des biens de la fortune. Elle avait dû se placer comme demoiselle de compagnie près de Mme Ferret, femme du trésorier des Etats de Bretagne, très connue par sa piété et ses bonnes œuvres. Mlle Bedault devint bientôt sa confidente et le canal le plus ordinaire de ses généreuses aumônes. Un jour se rendant à l'église, elle entendit une voix lui dire : « Répare mon image, » et regardant à l'extrémité du pont Saint-Michel ; elle y vit une statue de la Très Sainte Vierge toute dégradée, qu'elle fit pieusement réparer. Dieu lui donna bientôt une mission plus noble encore, en l'appelant à la vie religieuse dans l'Ordre de Notre-Dame-de-Charité ; c'est vraiment là qu'elle travailla à réparer l'image de Dieu, détruite dans beaucoup d'âmes par le péché.

La célèbre Mère Marie de la Trinité la reçut à Rennes vers 1669. Cette habile directrice multiplia les humiliations à la nouvelle postulante pour la dépouiller des manières hautaines qui lui étaient naturelles. Ame généreuse, Mlle Bedault comprit les avantages de cette forte médication spirituelle et n'en affectionna que plus sa Supérieure.

A sa vêture, elle reçut le beau nom de Marie du Saint-Cœur de Jésus. Comme il a été dit déjà, elle est la première qui ait porté ce nom. Sa profession fut retardée par l'arrivée des Sœurs venues de Caen pour prendre la direction de la maison. Cette dure et longue épreuve n'abattit point son courage, et il lui fut enfin donné d'offrir son sacrifice au Seigneur.

Sœur Marie du Saint-Cœur de Jésus avait une aptitude des plus marquées pour l'éducation de la jeunesse. Aussi, le soin du pensionnat lui fut souvent et longtemps confié. Elle avait le remarquable talent de s'attacher ses élèves, de discerner leurs caractères et de les diriger d'après cette connaissance. Sous sa direction, ces jeunes âmes s'élevèrent souvent à une très haute vertu. Notre-Seigneur en appela un grand nombre à se consacrer à son service, et elles devinrent l'ornement des maisons de Rennes et de Vannes.

Cette Sœur était quelquefois dans un état surnaturel bien en dehors des voies ordinaires de la perfection, si l'on en juge par ce trait. Un jour, elle vit en esprit une maison dont tous les détails lui furent indiqués. L'explication de cette représentation lui fut donnée immédiatement, car la sainte Vierge lui dit : « Je serai un jour honorée en cette maison-ci ». A son entrée au monastère de Vannes comme Supérieure, elle reconnut les lieux comme si elle les avait déjà habités. Aussi son opposition à cette fondation cessa, et elle se mit courageusement à y travailler, sûre de la volonté de Dieu.

La Sr Marie de l'Enfant-Jésus Levavasseur appartenait à une famille de saints. Tous ses frères, sauf un, entrèrent dans l'état ecclésiastique, ou se firent religieux. Sa sœur et elle se consacrèrent à Dieu dans le monastère de Rennes. Quand elle se présenta à la Mère Marie de Saint-Julien pour demander son admission, cette bonne Supérieure la refusa à cause de la délicatesse de son tempérament. La peine que lui causa ce refus fut si vive, qu'elle ne put s'en retourner dans sa famille, et resta longtemps tout éplorée dans le parloir. Cette persévérance lui mérita son admission. Les services que, malgré de continuelles infirmités, elle a rendus aux maisons de Rennes et de Vannes, montrent qu'il ne faut pas toujours exclure une postulante d'une santé faible, si par ailleurs elle possède l'énergie de caractère et l'esprit de sacrifice.

La Sr Marie de l'Incarnation Cadiou naquit à Saint-Malo. Son père était négociant ; il périt en mer avec toute sa fortune. Sa mère lui fut enlevée peu de temps après. Tous ces malheurs l'amenèrent à Rennes, chez un de ses oncles, marchand de soieries, avec lequel vivait déjà sa grand'mère. Dès ses jeunes années, sa répugnance pour le monde se manifesta par son refus d'en suivre les modes et par la simplicité de sa toilette. Dieu, pour l'appeler à un état plus parfait encore, se servit des prédications du V. P. Eudes. Voici comment elle le raconte elle-même :

« Vers l'âge de dix-huit ans, j'étais à Rennes, lorsque notre bon Père Eudes vint y faire la mission avec un zèle tout apostolique ; j'allai l'entendre. Ses paroles fort persuasives faisaient beaucoup d'impression sur les esprits. Un jour il fit un sermon sur le Jugement qui produisit un grand effet sur mon cœur, me rendant aussi compréhensibles toutes ces grandes vérités que si je les avais vues de mes propres yeux.

Mais ce qui acheva en moi l'effet de cette grâce, c'est qu'étant allée le soir, avec ma bonne grand'mère, chez une veuve pour lui faire le récit du sermon que j'avais entendu, je me trouvai, dans un instant, comme hors de moi : tout ce grand univers me fut présenté dans un bouleversement total : toute la nature semblait prête à être complètement détruite. En même temps, on me fit connaître l'instabilité de toutes les choses de la terre et le néant de tout ce qui n'était pas Dieu. Je ne sais combien dura cet état, mais je me trouvai toute changée, et mon esprit resta fortement impressionné d'un grand mépris pour toutes les choses du monde.

En sortant de ce lieu, Dieu me fit voir l'état de mon âme et la grandeur de mes péchés, et je ne pouvais dire autre chose que : « Il est vrai, mon Dieu, il est vrai, me sentant pénétrée de douleur et d'amour, et animée d'un vif désir de me consacrer toute à Dieu ».

Ce sermon sur le Jugement détermina au moins une autre vocation à l'Ordre de Notre-Dame-de-Charité. Par ces faits qui nous sont connus, on peut se faire une idée de l'efficacité de la prédication du zélé missionnaire.

Mlle Cadiou eut le bonheur de se confesser au Vénérable Père et de conférer avec lui de ses dispositions. Ce directeur si éclairé n'eut pas de peine à voir en elle une de ces âmes de choix dont le monde n'est pas digne, et il lui conseilla de suivre l'attrait qui l'appelait à la vie religieuse.

Ce ne fut cependant que trois ans plus tard qu'il lui fut possible de répondre à l'appel de Dieu. La situation de sa famille ne lui permettait pas de fournir une dot. Elle s'avisa alors d'écrire à ses parents de Saint-Malo pour les prier de lui venir en aide.

« Je portai, dit-elle, ma lettre à Saint-Sauveur [Note : Le choix de cette église semble indiqué par ce fait que le Vénérable y avait érigé une Confrérie en l'honneur du Saint-Cœur de Marie, qui a continué fervente et nombreuse jusqu'à nos jours], j'y priai la Sainte Vierge de m'être favorable, et je remis le succès de cette affaire entre ses mains. En même temps je fus demandée à la Visitation ; j'y allai, mais je ressentis une extrême répugnance pour ce monastère. Je priai ma bonne grand'mère de me mener à Notre-Dame-de-Charité, ou le Père Jourdan, missionnaire et mon confesseur [Note : Il était Directeur au Séminaire fondé par le Vénérable Eudes], avait déjà parlé pour moi. Nous y vimes nos très-honorées Mères Marie de Saint-Julien et Marie de la Trinité, et tout d'abord mon cœur s'épanouit de joie. Elles me promirent que je serais religieuse, quand même mes lettres n'auraient aucun succès ».

Elle entra, en effet, dans la Communauté, mais, faute de dot, en qualité de Sœur converse. Cette humble condition était ce qui l'embarrassait le moins. « Car, dit-elle, depuis que j'avais été touchée de la grâce, je me sentais portée à la pratique de toutes les vertus, et spécialement de celles qui étaient les plus opposées à mon tempérament. Bien que je ne fusse qu'une pauvre orpheline, dépendante de mes parents et n'ayant aucun bien, j'avais le cœur gros, bouffi d'orgueil, aimant l'indépendance, fuyant l'humiliation et cherchant l'honneur et l'estime des créatures. ».

Telles étaient les Sœurs qui devaient être les vraies fondatrices de Vannes. La Mère de Dieu ne tarda pas à leur faire savoir combien cette nouvelle maison lui était agréable. Mme Lucas, femme d'une haute piété et d'une charmante simplicité dans ses rapports avec Dieu, écrivit à la Mère Bedault : « Je vous dirai qu'une sainte fille de la campagne, âme prévenue de grâces spéciales et qui ne vous connaît point du tout, étant en oraison, a vu la Sainte Vierge qui lui a dit : "La Supérieure de Notre-Dame-de-Charité de Vannes me prie tous les jours de prendre sa Communauté sous ma protection, mais je l'ai déjà fait" ». En effet, tous les soirs, après les Matines et la sortie de la Communauté, la Mère Bedault faisait une prière devant l'image de Marie. Cette révélation venait donc comme une réponse à ses demandes.

Cette protection était bien nécessaire au nouveau couvent, car en ce même temps le démon tentait un suprême effort pour le détruire. La conversion fort édifiante de plusieurs pénitentes excitait sa rage. Il remplit l'esprit de Mgr l'évêque de Vannes de craintes sur l'avenir de l'OEuvre, et lui suggéra que la maison n'étant pas fondée, serait un jour à sa charge. Mme Lucas, par une voie surnaturelle, eut encore connaissance de cette disposition d'esprit du prélat et en donna avis à la Mère Heurtaut qui venait d'arriver à Vannes.

Le lendemain devait avoir lieu une prise d'habit ; la cérémonie allait commencer, lorsqu'on vint dire à la Mère Marie de la Trinité que Mgr de Vautorte montait en voiture avec l'intention de venir à la Charité enlever le Saint-Sacrement et fermer la maison. Pleine de confiance et de ferveur, la Mère se jeta à genoux et supplia Notre Seigneur et la Sainte Vierge de ne pas permettre ce malheur. Le secours fut immédiat. Arrivée déjà sur la place du marché, Sa Grandeur changea d'avis et se fit reconduire à l'évêché. Depuis ce temps, sa bienveillance pour le Petit-Couvent ne se démentit plus. Sa sœur, du reste, Mme de Lugné, en était une des principales bienfaitrices dans ces premières années où, sans aucune fondation, le monastère ne vivait que des aumônes qui lui étaient faites.

Une nouvelle tempête éclata bientôt. Les Sœurs étaient établies sur un fief dépendant du Chapitre de la cathédrale. Les chanoines firent représenter à Mgr de Vautorte qu'ils ne pouvaient le souffrir ; ce privilège ayant été déjà accordé à trois communautés, c'était amortir et détruire peu à peu tous leurs droits. Ce prélat en avertit les religieuses et leur proposa en même temps toutes les facilités pour s'établir sur ses propres terres. Celles-ci, avant de répondre à ces offres généreuses, voulurent consulter M. de Kerlivio. Ce saint prêtre ne voulut point donner de décision avant d'avoir prié Dieu de faire connaître sa volonté. Les Sœurs, pressées par les procédures des chanoines, demandèrent néanmoins à quelques personnes amies de leur chercher une maison. M. de Kerlivio l'ayant appris, vint alors au monastère, reprit sévèrement la Supérieure et l'Assistante de leur précipitation, et leur dit : « Notre-Seigneur veut que sa sainte Mère soit honorée en ce lieu ; éloignez la pensée d'en sortir jamais et ne vous inquiétez de rien, car les chanoines consentiront à votre établissement ». Ils le firent en effet quelque temps après contre toute prévision humaine.

Toutes ces preuves de la tendresse de Marie envers sa communauté engagèrent plus que jamais la Mère Marie du Saint-Cœur de Jésus à mettre toute sa confiance dans le Cœur maternel de cette céleste Vierge. Elle lui exposait les intérêts temporels et spirituels de ses Sœurs avec la simplicité d'un enfant envers la plus tendre des mères ; elle la suppliait surtout de suppléer à ses incapacités et de maintenir dans la maison la plus parfaite régularité.

Sa vigilance n'épargnait rien pour qu'il en fût ainsi. Malgré la violence qu'il lui fallait se faire pour reprendre les fautes commises, elle n'en laissait passer aucune, si une fâcheuse conséquence pouvait en résulter. C'est ainsi qu'elle menaça Mme Lucas de ne pas lui faire ouvrir la porte, si elle rentrait après l'heure fixée par la Règle. Cette bonne dame, que de graves affaires avaient retenue, fut d'abord très mortifiée de cette fermeté ; mais bientôt éclairée surnaturellement, elle reconnut les bonnes raisons de la Supérieure et alla lui faire le récit de cette grâce avec son ordinaire simplicité. Dans la suite, elle eut encore plus d'estime pour la Mère Marie du Saint-Cœur de Jésus. Du reste, la persuasion générale était que la conduite régulière de cette Mère attirait les plus abondantes bénédictions de Dieu sur le monastère.

Malgré toutes ces faveurs, le poids de la supériorité lui paraissait bien accablant, et elle cherchait partout du secours. Quand le retour de la Mère Heurtaut à Guingamp lui fut connu, elle mit tout en œuvre pour obtenir qu'une obédience lui fût donnée pour Vannes. Elle y réussit et aussitôt après l'arrivée de sa bonne maîtresse de noviciat, elle voulut se démettre de sa charge entre ses mains, mais M. de Kerlivio ne voulut point y consentir. Il lui fallut achever son triennat.

Après sa déposition, cette respectable Sœur vécut avec bonheur dans l'humilité et l'obéissance. Elle eut pour supérieures plusieurs de ses anciennes novices. Celles-ci n'en avaient pas moins la liberté de l'avertir comme si elle n'eut été qu'une jeune professe. La moindre parole de leur part, le moindre signe de leur volonté étaient pour elle une loi inviolable. Cette parfaite obéissance, surtout dans sa vieillesse, était un objet continuel d'édification pour les jeunes Sœurs. Souvent assistante ou conseillère, la Mère Bedault ne se servait de l'autorité de ces charges que pour réprimer jusqu'à l'apparence du murmure.

« Dieu, disait-elle dans ces occasions, remplit si abondamment les Supérieures de son esprit et attache si fort notre perfection à leur conduite, que nous ne pouvons recevoir les grâces et les lumières dont nous avons besoin que par ce canal. Aussi, quand nous manquons de respect, d'obéissance et de soumission à leur égard, ce n'est point à la créature que nous refusons ces justes devoirs, mais à Dieu lui-même, et il ne manque pas de retirer les grâces que sa bonté nous avait préparées, ce qui est le plus grand châtiment qu'il puisse infliger en ce monde à une âme désobéissante ».

Elle pratiquait elle-même ces conseils.

On lui donna, pour l'assister dans ses infirmités, une Sœur converse ; elle la regarda toujours comme sa supérieure, ne faisant que ce que cette Sœur lui indiquait, sans jamais manifester le moindre désir. Cette complète indifférence portait la R. M. Supérieure à lui demander quelquefois : « Ma Sœur, n'y aurait-il point quelque chose qui vous fit plaisir ? Vous m'en feriez un sensible de me le dire ». « Moi, ma chère Mère, répondait cette âme vraiment détachée de tout, avoir envie de quelque chose ! Seigneur Dieu ! il ferait beau le voir ! Ah ! je suis si bien ; que pourrais-je désirer davantage ? ». Le moindre service qui lui était rendu, excitait sa reconnaissance, et elle la témoignait de la manière la plus aimable. Ne pouvant presque plus agir, elle promettait aux Sœurs de leur rendre la pareille auprès de Dieu par les prières qu'elle offrirait à leur intention. Contre sa pensée, c'était le meilleur moyen d'exciter l'ardeur des Sœurs à la servir, car toutes, pleines de confiance dans l'efficacité des prières d'une âme aussi parfaite, voulaient y avoir part.

Depuis sa déposition, la Mère Bedault fut souvent employée au soin des Sœurs Pénitentes, et elle eut ainsi l'occasion d'exercer son zèle pour le salut des âmes. Lorsque la vieillesse ne le lui permit plus, elle offrit pour leur sanctification ses prières et ses souffrances. Son temps était presque exclusivement employé à réciter pour elles et pour les âmes du Purgatoire le Psautier et d'autres prières.

Quelques années avant sa mort, elle fut frappée d'une attaque de paralysie qui la priva presque de l'usage de la parole. Craignant de ne pas jouir de son intelligence dans ses derniers moments, elle s'appliqua à produire avant chaque confession les actes de préparation à la mort. Bientôt même, elle tomba à peu près en enfance. Dans les moments lucides qui lui étaient accordés de temps en temps, sa seule occupation intérieure consistait à accepter par amour pour Dieu cet état de complète abjection. Pour lui rendre la lucidité, il suffisait souvent de lui parler de Dieu et de la sainte Communion. Aussi le confesseur qui connaissait la pureté de son âme continua à la lui porter tous les quinze jours. Elle s'éteignit doucement dans le Seigneur, le 20 mai 1713, âgée de quatre-vingt-quatre ans, après quarante ans de fidélité aux vœux de sa profession.

 

CHAPITRE II.

La Mère Marie de la Trinité Heurtaut à Vannes. — Faveurs de la Sainte Vierge. — Propagation du culte des Sacrés-Cœurs. — Dernières années et mort de la Mère Marie de la Trinité Heurtaut. — Mort de plusieurs Sœurs et en particulier de la Sr Ménard.

La Mère Marie du Saint-Cœur de Jésus avait obtenu, comme il a été dit déjà, l'envoi à Vannes de la Mère Marie de la Trinité Heurtaut. Celle-ci fut élue Supérieure à l'Ascension 1686.

Les dons et les qualités qui lui avaient si admirablement servi dans les fondations de Rennes et de Guingamp, produisirent les mêmes succès dans cette maison. Si cette grande religieuse n'en est pas la fondatrice, c'est elle, du moins, qui l'a fortement et définitivement organisée. Sa réputation de sainteté l'avait précédée à Vannes. Depuis 1675, le Roi y avait transporté le parlement de Bretagne pour punir Rennes d'une légère désobéissance à ses ordres. La Mère Heurtaut retrouva donc à Vannes la plupart des grandes dames qui, dans la capitale de la province, s'étaient mises sous sa direction.

Aussi, bientôt les ressources arrivèrent en abondance et toutes les œuvres fonctionnèrent comme dans les autres maisons. On y trouve en effet le grand et le petit pensionnat joints à l'œuvre des Pénitentes. Les jeunes personnes des meilleures familles sollicitent leur admission au noviciat et deviennent des religieuses pleines de vertus, de distinction et de zèle.

Parmi les faveurs temporelles que reçut la Mère Marie de la Trinité se placent en première ligne les bienfaits de Mme la marquise du Plessix Josso de Goullayne. Vers la fin de la supériorité de la Mère Bedault, cette puissante dame avait demandé s'il lui serait possible d'avoir au monastère des appartements où elle pût se retirer pendant les absences de son mari. Le conseil de la maison hésita un instant, car cette dame voulait garder sa liberté d'entrer et de sortir. M. de Kerlivio fut consulté. Suivant son ordinaire, il demanda, avant tout, le temps de recommander l'affaire à Dieu. Dès le lendemain, il revint et dit : « Donnez-vous bien garde de refuser Mme la Marquise, c'est Dieu qui vous l'envoie pour être le soutien de votre maison, j'en ai eu une pleine connaissance en disant la sainte Messe ».

Mme du Plessix fut ainsi reçue vers l'année 1686. Quelques mois après, son mari mourait à Paris ; dès lors elle prit la résolution de s'attacher à la maison. Sur ces entrefaites, Mme de Lugné, qui depuis l'établissement du monastère n'avait cessé de le faire subsister, étant venue à mourir, Mme la marquise du Plessix voulut prendre sa place, et fournit non seulement la viande, le poisson et les œufs, mais encore le blé et le pain. Bientôt elle se déclara fondatrice en titre et donna au couvent la propriété noble du Pont avec le moulin à eau et toutes ses dépendances dans les paroisses du Thé et de Noyallo.

La vie de cette signalée bienfaitrice a été écrite par une Sœur. Elle nous la montre pleine de bonté et de sollicitude pour tous ses vassaux. C'est un modèle parfait du propriétaire chrétien. Ces cas n'étaient point si rares que le veulent faire croire les historiens de la Révolution. L'attachement des paysans bretons à leurs maîtres et seigneurs pendant ces mauvais jours, ne permet pas de contester cette assertion.

Parmi les dons de cette bonne Dame, les Sœurs apprécièrent surtout une relique fort belle de la vraie Croix qu'un marquis de Goullayne, ambassadeur près le Saint-Siège, avait reçue du Pape Boniface IX. Ce précieux cadeau fut porté processionnellement à la classe des Pénitentes, et immédiatement quatre ou cinq d'entre elles, touchées de la grâce, firent une sincère conversion.

Dans l'histoire, d'Hennebont, l'union des Sœurs de cette maison à celles de Vannes a été racontée ainsi que l'obtention presque miraculeuse des lettres-patentes du Roi.

Le monastère de Vannes, bien que jouissant des bienfaits de Mme de Brie, ne se crut pas néanmoins obligé d'en acquitter les charges ; les lettres d'union n'en disaient rien. Dieu permit à cette respectable bienfaitrice de venir elle-même, dans une apparition, réclamer les suffrages des Sœurs. Les circonstances de ce fait n'ont pas été conservées, mais la décision suivante que prit le Chapitre, en est la conséquence :

« A été consulté et arrêté que, jouissant de la susdite fondation de Mme de Brie, nous sommes obligées à faire les prières et services portés dans le contrat. Ce qui a été décidé le 10 octobre 1695 ».

Les Annales rapportent aussi de nombreuses faveurs obtenues de la très sainte Vierge.

Une novice éprouvait une si violente tentation contre sa vocation, que sa sortie était décidée et devait avoir lieu le jour même. Une Sœur qui voyait avec peine s'évanouir les grandes espérances qu'on fondait sur cette demoiselle, fit vœu à la bonne Mère de réciter pendant neuf jours l'office de son Immaculée Conception et de prendre autant de fois la discipline si la postulante persévérait. L'effet de cette promesse fut immédiat. On récitait au chœur l'Ave, maris stella, des Vêpres ; à la fin de l'office, la novice faisait connaître sa volonté bien arrêtée de vivre et mourir dans le monastère.

Une demoiselle le Mintier, entrée d'abord comme pensionnaire, se sentit peu après appelée à la vie religieuse. Ses parents s'y opposèrent et voulurent la contraindre à sortir, sans pouvoir y réussir. Mme Lucas la recommanda à la Sainte Vierge, devant la statue miraculeuse ; elle entendit une voix sortant de l'image bénie qui disait : « Qu'on la fasse sortir, elle reviendra. Je l'ai prise sous ma protection ». Cette promesse se réalisa quelques temps après. Mme le Mintier devint une excellente religieuse sous le nom de Marie de la Conception. Elle mourut chargée de mérites le 1er juillet 1743.

Mme Lucas ressentit elle-même les puissants effets de la protection de la Sainte Vierge. Menacée de perdre un procès, faute d'une pièce importante, elle s'adressait à cette bonne Mère pour la retrouver, lorsque la même voix se fit entendre à elle et lui dit : « Prends et lis. — Eh ! bonne Sainte Vierge, répliqua-t-elle, comment pourrai-je le faire, tous mes papiers sont au barreau, et il ne m'est pas possible de les ravoir. — Allez, répondit la même voix, je vous faciliterai les moyens ». Ce qui s'exécuta. Contre tous les usages de la procédure, le rapporteur lui remit ses titres et elle trouva sans peine celui dont elle avait besoin.

Les Annales racontent plusieurs guérisons miraculeuses arrivées dans les seize premières années de la fondation. Aussi la chapelle du couvent, bien que très petite, était très fréquentée ; il s'y disait plusieurs messes que la dévotion des fidèles y avait fondées.

Dans une circulaire, les Sœurs disent : « Quatre lampes brûlent jour et nuit devant l'image de notre incomparable Mère, et une grande quantité de cierges se consument sur son autel. La foi du peuple est si vive, que plusieurs personnes ne pouvant voir l'image qui est dans notre chœur, baisent le mur proche de l'endroit où elle est posée ».

Aujourd'hui, dans la chapelle de l'hôpital, se trouve encore une statue de la Vierge qui a appartenu au Petit-Couvent. Elle correspond très bien à la description que les Annales font de cette image miraculeuse. Puissent ces lignes renouveler la vénération dont, si longtemps et à tant de titres, elle a été entourée par les Religieuses du monastère et les habitants de Vannes. Si cette statue qui, tant de fois a parlé et a été l'instrument de tant de grâces et de miracles, eut été en Italie par exemple, la foi vive de ce peuple lui eut élevé une splendide basilique, car il n'existe aucun motif de mettre en doute les nombreux faits conservés par les Annales.

C'est à cette époque aussi, et sans doute par l'apostolat de la Mère Marie de la Trinité, que se répandit dans le diocèse la dévotion aux Sacrés-Cœurs. La Société des Enfants du Cœur de la Mère Admirable devint très nombreuse. D'après un vieux manuel de la Règle, Mgr d'Argouges qui, en 1688 [Note : Mgr d'Argouges ne fut préconisé qu'en 1692, mais, par suite d'un abus fréquent alors à Vannes, il fut nommé, dès le mois de janvier 1688, vicaire capitulaire par le Chapitre et gouverna le diocèse en cette qualité. C'est sur des précédents semblables que s'appuyait Napoléon Ier dans sa lutte contre le Saint-Siège], avait succédé à Mgr de Vautorte, en faisait lui-même partie, ainsi qu'un grand nombre d'ecclésiastiques distingués. Les Annales parlent d'un prêtre, mort en odeur de sainteté, M. Dorso, membre de cette Société, qui, pour bien prouver son union avec le monastère, sollicita avec instance la faveur d'y être inhumé. Elles citent également un évêque de Beritte qui s'y était enrôlé.

Sur la fin de la vie de Mgr d'Argouges, ce prélat étranger remplissait à Vannes les fonctions épiscopales.

Mme d'Argouges, mère de l'Evêque, et plusieurs autres grandes dames de la société se firent inscrire des premières dans cette pieuse association et en remplirent les obligations avec ferveur. Aussi les fêtes des Sacrés-Cœurs étaient très solennelles à la Charité de Vannes.

Le P. Costil, pour prouver que la dévotion aux Sacrés-Cœurs a commencé avec la Congrégation de Jésus et Marie, s'appuie sur une lettre du P. Blouet de Camilly à Mgr de Vannes. S'il nous eut conservé cette lettre ainsi que celle de l'Evêque, nous aurions la certitude de l'efficacité de l'apostolat des Sacrés-Cœurs par les enfants du V. P. Eudes.

Mais si on veut étudier attentivement les offices composés sous l'épiscopat de Mgr de Bertin, en 1757, on verra que ce prélat a fait de nombreux emprunts au V. P. Eudes, on acquerra la certitude que la dévotion aux Sacrés-Cœurs est dans le diocèse de Vannes d'origine eudistique. Le Vénérable, dans ses écrits, dans ses offices, enseigne l'étroite union qui existe entre le Cœur de Jésus et celui de sa Mère ; Mgr de Bertin a pris cette doctrine et en a peut-être forcé les conséquences. En effet, allant plus loin que le V. P. Eudes, il n'a établi qu'une seule et unique fête, celle du Divin Cœur de Jésus et du Cœur très-aimant de Marie : Festum Divinissimi Cordis Jesus et Amantissimi Cordis Mariœ.

La vie sainte de la Mère Heurtaut méritait bien toutes ces bénédictions. Plus que jamais son union à Dieu était continuelle et plus que jamais aussi elle donnait à ses Sœurs l'exemple de toutes les vertus. On cite, en ce temps, des actes de mortification tellement héroïques que nous n'osons les rapporter tous pour ne pas choquer la délicatesse des lecteurs. Hélas ! c'est faire l'aveu de notre relâchement, puisque nous ne pouvons même plus lire ce que les saints ont eu le courage de pratiquer.

Un jour, allant au jardin, cette Mère remarqua qu'on avait jeté des fèves corrompues au fumier ; elle les porta à la cuisine, fit une sévère réprimande aux Sœurs, leur reprochant d'avoir manqué à la pauvreté, en laissant perdre ce qui aurait pu être mangé ou donné aux pauvres, et ordonna qu'on les lui servît à tous ses repas. En effet, elle mangea tous ces légumes qui avaient séjourné deux jours sur un fumier. Son abstinence de tout aliment fut si grande qu'on assure l'avoir vue vivre pendant six mois d'un peu de cerfeuil à chaque repas. Dans d'autres temps, elle ne prenait que des têtes de poissons sans aucun assaisonnement. S'il lui fallait absolument, pour réparer ses forces, accepter une nourriture plus fortifiante, elle mêlait toujours à ses aliments des drogues qui leur enlevaient toute saveur et leur donnaient un goût désagréable.

Quelquefois, Dieu récompensait visiblement la Mère Heurtaut de tous ces sacrifices. Dans une retraite qu'elle fit avec une Sœur converse, comme elle entretenait cette Sœur des abaissements prodigieux de Notre-Seigneur au Saint-Sacrement, elle en fut si vivement pénétrée que son visage parut tout en feu ; et ne pouvant plus contenir les flammes de l'amour divin qui la consumait, elle prit la Sœur par le bras et s'appuyant sur elle, lui dit : « Allons, ma chère Enfant, allons au chœur ». A peine y fut-elle entrée, qu'elle tomba dans une extase si extraordinaire que la Sœur converse qui n'avait rien vu de semblable, demeura toute épouvantée. Ne doutant pas que cet état ne donnât la mort à la Mère Marie de la Trinité, elle pria avec ferveur la sainte Vierge de venir à son secours. Heureusement, des religieuses arrivèrent presque aussitôt et la rassurèrent. Toutes ensembles furent témoins de ce prodige qui dura fort longtemps.

Un soir, après matines, l'assistante lui portant les clefs de la maison suivant la coutume, la trouva dans sa cellule à genoux devant son crucifix, le visage enflammé et d'une beauté si grande qu'elle ne la reconnaissait plus. Dans une autre circonstance on vit le Saint-Esprit en forme de colombe sur son cœur.

Pendant la supériorité de la Mère Marie de la Trinité, les épreuves ne lui manquèrent point cependant. Dans une grave maladie, elle n'échappa à la mort que par les prières de ses Sœurs et du P. Huby. Lorsque ce bon Père vint la voir après sa guérison, il en attribua tout le mérite à M. de Kerlivio, mort saintement entre ses bras, le 21 mars 1685 : « Vous voilà ressuscitée, lui dit-il, mais vous en avez, après Dieu, l'obligation à M. de Kerlivio. Comme vous l'avez pendant douze jours empêché de mourir et retardé d'autant son entrée dans la gloire, il a aussi obtenu à son tour que la porte vous en fût fermée pour quelque temps encore ». A cette aimable plaisanterie, la bonne Mère répondit sur le même ton : « Vraiment, mon Père, je ne croyais pas que les saints conservassent du ressentiment dans la gloire. Vous me l'apprenez aujourd'hui ». Ce trait nous peint bien l'intimité des relations qui existaient entre ces saintes âmes, et la charmante amabilité de leurs rapports.

La Mère Heurtaut eut aussi la douleur de perdre la Sr Marie de Saint-Jean Ménard, la fidèle compagne de tous ses travaux, l'auxiliaire aussi intelligente que dévouée de toutes ses entreprises à Rennes, à Paris, à Guingamp et à Vannes. Bien peu de religieuses ont rendu plus de services à l'institut; bien peu surtout l'ont surpassée en abnégation. En effet, comme nous l'avons déjà dit, dès l'arrivée de la Mère Marie de la Trinité à Rennes, la Sr Ménard qui, depuis longtemps, gouvernait la maison, s'effaça complètement devant la nouvelle venue. Au moment où les Sœurs prirent possession du monastère, elle se contenta du rôle de simple tourière, pour se rendre plus utile au couvent. Elle resta dans cette humble condition jusqu'à son arrivée à Vannes ; alors, seulement, elle prononça ses vœux et garda exactement la clôture.

La charité pour le prochain avait toujours été la vertu caractéristique de cette bonne religieuse. On peut dire que la Sr Ménard en mourut victime. En effet, déjà souffrante, elle ne voulut point laisser à d'autres la peine de soigner sa bien aimée Supérieure dans la grave maladie dont il vient d'être parlé. Ses infirmités s'aggravèrent, une fluxion de poitrine se déclara, et elle mourut après cinq jours de maladie, en 1688. Elle avait vécu cinquante-six années, toutes employées au service de Dieu et du prochain.

C'est la Mère Marie de la Trinité elle même qui composa la notice envoyée aux maisons. On sent que c'est une sainte amitié qui l'a dictée.

La mort enleva encore au monastère deux pieuses veuves. La viduité est sainte, lorsque, suivant St Paul, elle est accompagnée des œuvres de charité. Plus qu'aucune autre situation, elle permet de s'y livrer avec liberté. Dans les origines de l'Ordre, nous voyons que plusieurs personnes, une fois leurs liens rompus, y ont embrassé la vie religieuse et y sont arrivées à une haute vertu. C'est le cas des Srs Marie de Saint-Louis de la Chesnaye Descluyères et Marie du Saint-Esprit Le Car.

La première avait été avec Mlle Bunetier, devenue elle-même religieuse sous le nom de Marie du Saint-Sauveur, un des instruments de la fondation du monastère. Lorsque les soins de sa famille le lui permirent, elle s'y retira en qualité de pensionnaire, se promettant bien, après que ses affaires temporelles seraient réglées, d'embrasser la vie religieuse dans toute sa perfection. Les Sœurs éprouvèrent une grande édification à s'entretenir avec elle des matières les plus relevées de la perfection. Au milieu d'une foule d'injustes procès, sa patience et sa charité ne se démentirent jamais. A l'âge de soixante-six ans, elle fut prise d'une fièvre violente qui l'emporta en quelques jours. Avant sa mort, elle eut le bonheur de prononcer ses vœux. Le confesseur lui proposa de ne les faire que sous condition, mais sa ferveur lui fit répondre que si Notre-Seigneur lui rendait la santé, elle était bien décidée à ne s'occuper plus qu'à remercier son divin Sauveur de la faveur qu'il lui accordait en la rendant fille du Sacré-Cœur de sa sainte Mère. Elle expira, disent les Fleurs, le dimanche 7 mars 1688, ayant recouvré l'innocence baptismale, par le mérite de sa profession. Après son décès, la beauté de son visage semblait refléter la béatitude de son âme, et excitait intérieurement toutes les personnes qui la voyaient à l'invoquer avec dévotion.

La Sr Marie du Saint-Esprit Le Car était veuve de M. Morel, procureur au Parlement. Ses parents, malgré son désir de se consacrer au Seigneur, l'avaient forcée à ce mariage lorsqu'elle n'avait que treize ans. Le soin de l'éducation chrétienne de ses enfants remplit sa vie jusqu'au moment où elle vit ses deux fils honorablement établis dans le monde et sa fille religieuse dans le monastère de Rennes. A la mort de son mari, les œuvres de piété et de charité l'occupèrent entièrement. C'est pour rendre service aux Sœurs de Rennes qu'elle se rendit à Vannes vers 1684 au moment où ce nouveau monastère ne faisait que commencer.

Les exemples de vertus qu'elle put admirer dans les Mères Bedault et Heurtaut, réveillèrent en elle ses premiers désirs de vie religieuse, et elle commença généreusement son noviciat. Il fallait un vrai courage pour entrer dans une maison alors exposée à se voir renversée d'un moment à l'autre par le manque de ressources et de lettres-patentes. Mme Morel fut la première postulante de ce couvent admise à prendre l'habit. Sa piété servit à affermir son existence, car la Mère Marie de la Trinité, pour lors assistante et directrice, connaissant sa dévotion aux âmes du Purgatoire, lui ordonna de leur adresser plusieurs prières pour obtenir, par leur intercession, la fin des épreuves et des oppositions. Plus tard, lorsque cette grâce fut obtenue, la Mère Heurtaut qui y avait eu tant de part, l'attribuait aux prières de la Sr Marie du Saint-Esprit. En effet, l'auteur de sa biographie assure que ces âmes souffrantes lui obtenaient toujours ce qu'elle demandait par leur intercession. Aussi, après sa profession, elle fit le vœu héroïque, alors à peu près inconnu, et offrit à Dieu pour leur soulagement tous les mérites de ses prières, communions. mortifications et travaux.

La Communauté l'estimait beaucoup et fondait sur elle de grandes espérances, lorsqu'il plut à Dieu de mettre le comble à sa perfection par une longue et cruelle maladie de quatorze mois. Un cancer lui rongeait les entrailles et ne lui permettait de reposer ni jour ni nuit. Les médecins, ne comprenant rien à son mal, essayèrent différents remèdes, et toujours sans succès. La pauvre patiente se contentait de dire alors : « J'espérais que ce traitement me donnerait quelque soulagement ; Dieu ne l'a pas voulu, que son saint nom soit béni ». Malgré la violence de ses souffrances, elle se traînait au chœur pour assister à la sainte Messe et communier. C'est dans cet adorable Sacrement qu'elle puisait toute sa force, aussi on lui permettait de s'en approcher tous les jours. Rien ne fait peut-être mieux comprendre la grandeur de sa vertu que la contrainte qu'il lui fallait alors se faire pour retenir les plaintes que l'excès de la douleur lui faisait pousser lorsqu'elle était à l'infirmerie. Sa vertu s'alarmait de ces cris involontaires, et si, pendant la nuit, il lui en échappait de plus forts que de coutume, elle en demandait pardon avec une grande humilité.

Au commencement de janvier 1691, sa mort parut prochaine ; aussi elle reçut le Saint Viatique. Le 8 au matin, se sentant très-faible, elle demanda l'Extrême-Onction, mais l'infirmière lui ayant dit de rester en paix, obéissante jusqu'à la mort, elle n'en parla plus. Sur les neuf heures seulement, elle se contenta de dire : Pensez à moi, je vous en prie ». Son désir fut compris et on lui administra le sacrement des mourants, qu'elle reçut en pleine connaissance. La mort lui avait toujours causé une extrême frayeur, elle la vit alors venir sans crainte. Elle était âgée de cinquante-neuf ans et professe depuis cinq.

Un an auparavant, le monastère avait également perdu la Sr Marie de Sainte-Thérèse de Jésus Bigarré, après une longue.

Maladie, chrétiennement supportée pendant trois ans. Le V. P. Eudes appelle les malades la bénédiction des maisons ; celle de Vannes a eu abondamment cette bénédiction dans les premières années de son existence, En effet, outre ces deux malades, il y eut constamment à l'infirmerie pendant huit ans la Sr Marie de la Conception le Lieupaul, déposée d'Hennebont. Purifiée ainsi par de longues épreuves, elle mourut dans la trente-sixième année de sa profession, le 17 mars 1693. A l'Ascension 1692, quelques mois auparavant, avait été régulièrement déposée la Mère Marie de la Trinité Heurtaut. Ici se place un fait qu'il n'est pas possible de mettre en doute. Ces deux saintes religieuses, unies par les liens de la plus chrétienne amitié depuis leur noviciat à Caen, s'étaient promis que la première qui mourrait, viendrait avec la permission de Dieu, donner de ses nouvelles à l'autre. Or, après la mort de la Sr le Lieupaul, la Mère Heurtaut entendit, un peu avant le réveil, frapper à la porte de sa cellule. Ayant répondu selon la coutume : Au nom de Dieu, elle vit entrer la Sr le Lieupaul, revêtue d'un splendide vêtement blanc, et entièrement transfigurée, si bien qu'elle dut lui demander : « Est-ce vous, ma chère Sœur Marie de la Conception ? » «Oui, lui fut-il répondu, c'est moi ; je viens comme je vous l'avais promis. ». « Mais, ma chère Sœur, reprit la Mère de la Trinité, qu'est devenu ce corps maigre et exténué ? » « Il n'existe plus, reprit l'apparition, tout est réparé par la grâce divine. Pendant que le corps est dans la terre où il fait ses fonctions, c'est-à-dire se détruit et se consume, l'âme est dans la gloire où elle jouit de Dieu ».

L'entretien fut long ; la défunte prédit à la Mère Heurtaut beaucoup d'épreuves qui devaient lui arriver, et ne se retira qu'après lui avoir donné des preuves de la plus tendre affection. Cette visite fit sur la Mère Marie de la Trinité, habituée cependant à ces miraculeuses manifestations, une profonde impression et lui laissa une si grande consolation qu'elle ne trouvait point de termes pour l'exprimer.

Rien de positif ne nous indique la nature des épreuves qui lui furent ainsi prédites. L'Annaliste nous fait seulement comprendre qu'elles furent les plus sensibles de sa vie. Peut-être vinrent-elles de l'intérieur de la communauté, car au dehors sa réputation de sainteté et son influence ne firent que grandir. Ce qui le ferait croire, c'est que pendant les dix-sept ans qu'elle vécut encore, elle ne fut point réélue supérieure, et la notice rappelle que pour la tenir dans l'humilité, Dieu lui avait laissé comme défaut une vivacité naturelle dont elle ne pouvait pas toujours réprimer les premiers mouvements, et une trop grande complaisance pour les bienfaiteurs du monastère.

Nous signalons ces taches dans cette grande religieuse. Dieu en voit jusque dans les esprits bienheureux. Ces imperfections des plus saintes âmes sont propres à nous faire éviter à nous-mêmes les tentations de découragement. Un spirituel évêque critiquait finement la vie d'un prélat nouvellement publiée en disant : « Cette histoire a un grave, très grave défaut, Mgr J... y paraît sans défaut ». Nous ne voulons pas encourir ce reproche, et nous croyons que, sous tous les rapports, la Mère Marie de la Trinité, malgré son éminente sainteté, n'arriva pas à la perfection absolue, et qu'autour d'elle les passions humaines s'agitèrent plus ou moins fortement. Dieu tirant le bien du mal, s'en servit pour la tenir dans l'humilité. C'est la conduite qu'il a gardée à l'égard de St Paul et de tous les saints. Il voulut aussi de plus en plus purifier cette âme dans le creuset de la tribulation.

Ces nouvelles croix durent être bien pesantes, si l'on en juge par l'apparition symbolique qu'elle en eut. Un jour, après la communion, ses vêtements, sa figure et ses mains lui parurent tout couverts de sang. Surprise, elle demanda peu après l'explication de cette vision au P. Du Parc, recteur des jésuites. Ce Père lui répondit que ce fait était arrivé à des membres de la Compagnie qui devaient être martyrisés ou souffrir de grandes persécutions, et qu'ainsi elle devait se disposer aux tribulations. Cet avis n'effraya point la générosité de cette Mère. Elle dit simplement: « Qu'il arrive ce qu'il plaira à Dieu, mon Père, je ne m'en soucie point et ne crains rien. Je suis au pouvoir de l'amour, je le servirai nuit et jour. Pourvu que Dieu ne soit point offensé, je ne me mets en peine de rien ».

Après sa déposition, la Mère Marie de la Trinité reprit la vie commune. L'œil le plus exercé n'eût pu s'apercevoir que dans l'Ordre elle avait été chargée d'emplois si importants, tant elle était exacte à se soumettre aux plus petites observances. Les âmes ferventes comme la sienne ne se prévalent jamais du privilège de l'ancienneté et s'efforcent toujours de faire de nouveaux progrès dans la vertu.

Les emplois de la Mère Marie de la Trinité furent, tant que sa santé le lui permit, les charges d'Assistante et de Directrice du noviciat. Elle avait un talent remarquable pour former à la vie religieuse les nouveaux sujets. Sa conduite ferme n'avait cependant rien de gênant et d'étroit. Entre les vertus qu'elle recommandait à ses novices comme les plus essentielles à leur vocation, la simplicité, l'obéissance et la mortification tenaient le premier rang. Aussi ne négligeait-elle point de reprendre avec sévérité celles qui y manquaient. Mais dans ses corrections elle mettait tant de tendresse, que la confiance que les novices avaient en elle n'en était point diminuée.

Pour les établir dans ces vertus, la Mère Heurtaut leur apprenait à se défaire de bonne heure des réflexions inutiles sur les fautes commises, que trop souvent l'amour-propre inspire aux personnes qui commencent à se donner à Dieu. « Un esprit sujet à ce défaut ne fera rien qui vaille ; c'est un temps perdu qui met un grand obstacle à la perfection. Quand on a reconnu sa faute, qu'on s'en est humilié intérieurement devant Dieu et extérieurement devant ses sœurs, il faut travailler avec un nouveau courage à s'en corriger et regagner par la ferveur la perte faite par la négligence. Faire le contraire et s'amuser à se panser et à pleurer sur soi-même au lieu de s'affliger sincèrement de l'offense de la divine Majesté, c'est montrer qu'on n'a point de cœur et qu'on n'est pas bien convaincu de sa faiblesse. Dieu demande des âmes généreuses, qui entreprennent l'ouvrage de leur perfection avec une énergique détermination, sans penser à ce qu'il leur en doit coûter. Ce n'est que le manque de cette ferme résolution qui entretient un si grand nombre d'âmes dans la crainte et la timidité, et qui fait qu'elles restent toujours les mêmes, parce qu'elles ont peur de tout. ».

Dieu continuait aussi à assister la Mère Heurtaut, en lui découvrant souvent les peines et les fautes de ses novices avant qu'elles ne lui en parlassent. L'une d'elles était allée la trouver plus pour se consoler et se distraire que pour recevoir d'utiles avis. Sans lui laisser ouvrir la bouche, la Mère la prévint en lui disant : « Allez, ma Sœur, puisque vous avez résolu de ne rien faire de ce que je pourrais vous conseiller, il est inutile de me parler ». Une autre s'inquiétait beaucoup d'une faute commise dans le monde ; la Mère lui dit un jour : « Mon enfant, ne vous inquiétez donc point de ce que vous avez fait avant votre entrée. Dieu vous l'a pardonné, car vous ne saviez ce que vous faisiez ». Elle prouva ainsi à cette novice que l'état de son âme lui était connu, et lui rendit la paix.

La vie de la Mère Marie de l'Ascension La Valette, sa nièce, fondatrice de la Rochelle, nous apprend que, dans les dernières années de sa vie, la Mère Heurtaut devint sourde et perdit en grande partie la mémoire. Elle se retira alors, autant qu'il lui fut possible, de la fréquentation du monde, pour ne s'occuper plus que de Dieu. Son unique crainte était de ne pas correspondre aux desseins qu'il avait sur sa personne. Dans un sentiment d'humilité sincère, elle disait quelquefois : « Je frémis quand je pense au compte qu'il me faudra rendre à Dieu. Ce ne sont pas mes péchés qui m'épouvantent, j'en espère le pardon par les mérites du sang et de la passion de Notre-Seigneur, dont je sais le prix infini ; mais ce qui me fait trembler, c'est l'abus que j'ai fait de tant de grâces. Quelle confusion lorsqu'il me mettra devant les yeux toutes les lumières et les autres moyens de salut que j'ai eus par les lectures, les instructions et les bons exemples, surtout par la grâce inestimable de ma vocation, de préférence à tant d'autres qu'il a laissées dans le monde et qui en auraient mieux profité que moi ! Que cette vue sera difficile à soutenir, et que le jugement qu'il faudra subir sur tout cela sera redoutable ! ».

Les six derniers mois de sa vie furent un temps de souffrances sans interruption, mais elle n'en continua pas moins de se refuser les satisfactions les plus permises. Dès que le mal lui donnait un peu de trève, on la voyait, après le réveil, la première au chœur et à tous les autres exercices. Il lui arrivait souvent des accidents qui la mettaient en danger de mort. Cependant le lendemain elle se levait pour entendre la messe et communier ; depuis trente ans elle était dans l'habitude de le faire tous les jours. Si une Sœur lui représentait qu'elle se traitait avec trop de dureté, elle répondait avec son ordinaire simplicité : « Je ne dois chercher le repos que dans le ciel. Je suis si lâche et si paresseuse que je dois redouter les reproches que Notre-Seigneur me fera sur ce sujet. Le démon serait ravi de se moquer de moi. Souffrez, je vous prie, que je fasse tout ce que je pourrai. Prenez garde que votre affection ne donne à notre Mère la pensée de me priver de la sainte Communion. Ah ! ce serait la plus grande peine que je pourrais avoir. L'état de misère et de pauvreté où je me vois réduite est déjà assez grand. Je vous en prie, ne l'augmentez pas ».

La crainte de s'opposer aux desseins de la divine Providence sur une âme aussi évidemment privilégiée faisait, qu'en effet, toutes les permissions lui étaient données. Le 22 février 1709, la Mère Marie de la Trinité se leva encore malgré un fort rhume ; mais après avoir communié, elle fut prise d'une forte fièvre.

Appelé aussitôt, le médecin reconnut une fluxion de poitrine et déclara l'état très-grave. Les deux jours suivants, malgré la rigueur de la saison, elle voulut encore assister à la messe et recevoir la sainte Eucharistie. Sa faiblesse fut si grande le second jour que le prêtre crut qu'elle allait expirer.

Lorsqu'elle fut rentrée à l'infirmerie, la Mère Supérieure qui avait aidé à la conduire au chœur, se reprocha alors l'excès de sa complaisance et ne put s'empêcher de lui en témoigner sa peine. La pauvre malade lui répondit avec sa bonhomie habituelle : « Eh bien ! ma Mère, ne vous tourmentez pas ; c'est fait, et c'est pour la dernière fois ». En effet, son état devenant toujours plus grave, on jugea le moment venu de lui apporter le saint Viatique. Avant de le recevoir, elle voulut demander pardon à la Communauté. Les paroles qu'elle lui adressa alors furent si touchantes que toutes les Sœurs versaient des larmes et que la Mère Supérieure se trouva dans l'impossibilité de lui répondre. Ce fut le confesseur qui lui dit : « Ma Mère, toutes les Sœurs de la Congrégation vous demandent aussi pardon des peines qu'elles ont pu vous causer et vous assurent de leur reconnaissance pour tous les services que vous leur avez rendus. Elles vous prient aussi de vous souvenir d'elles devant Dieu ». La mourante reprit : « Oui, mon Père, je n'y manquerai pas ». Promesse pleine d'espérance et qu'elle doit encore tenir.

Quelque temps après, une sœur lui dit : « L'accablement où vous êtes empêche de vous parler, mais votre esprit n'est-il pas attentif à s'unir à Dieu ? »« Oui, répondit la malade. »« Vous faites, reprit la Sœur, tous les actes que vous savez qu'il faut produire ? ». Mais l'humilité de la mourante l'animant en quelque sorte, elle repartit : « Je ne dis et ne fais rien, car que peut dire et faire le rien ».

Quelques Sœurs s'étant mises à genoux près d'elle, la supplièrent instamment de leur donner quelques bons conseils pour leur avancement spirituel, lui promettant de s'en souvenir toute leur vie. Elle se contenta de leur dire : « Je n'ai rien autre chose à vous recommander que la fidélité à vos règles et à vos observances ». Ce furent ses dernières paroles. Elles résument parfaitement sa longue et laborieuse vie religieuse. Elle exhortait donc ses Sœurs à imiter ce qu'elle avait toujours si bien pratiqué elle-même. Elle expira ainsi doucement le 25 février 1709. Elle avait soixante-quinze ans, et habitait le monastère de Vannes depuis vingt-cinq ans. Pour satisfaire la dévotion du peuple, son corps ne fut inhumé que le troisième jour. La marquise du Plessis le fit renfermer dans un cercueil de plomb ; son cœur fut déposé dans le mur qui sépare l'avant-chœur du chœur des religieuses. Sa mémoire fut longtemps en grande vénération à Vannes. Les Annales de cette maison en fournissent de nombreux témoignages. Ses vertus, ses fondations, ses dons surnaturels en feront toujours une des plus grandes religieuses de l'Institut.

 

CHAPITRE III.

Supériorités des Mères Marie de l'Enfant-Jésus Feger et Marie de Saint-Vincent Lores.

Jamais Sœur ne parut mieux préparée pour remplir la charge de supérieure que la Mère Marie de l'Enfant-Jésus Feger. Elue au moment de la déposition de la Mère Heurtaut, aucune, peut-être, n'a eu à supporter d'aussi pesantes croix, et d'après les Annales, n'a plus complètement échoué. Nièce de Mme de Kervégan, la fondatrice de Guingamp, elle suivit à Rennes cette vénérable parente, lorsqu'elle y vint se consoler auprès de la Mère Marie de la Trinité de la mort de sa fille. C'est-là qu'elle-même fit connaissance de cette grande religieuse et conçut le projet de se consacrer à Dieu sous sa direction.

Par son habileté dans le maniement des affaires, malgré son extrême jeunesse, Mlle Feger aplanit beaucoup de difficultés que rencontrait la fondation du monastère de Guingamp. Ce fut elle encore qui accompagna les Sœurs dans leur voyage pour commencer cette maison. Ses rapports intimes avec ces âmes généreuses la remplirent de tant d'édification, qu'aussitôt après la fondation elle sollicita son entrée au noviciat, et fut ainsi la première novice de ce couvent.

Bientôt après, la Mère Marie de la Trinité faisant un voyage à Caen l'emmena dans le premier monastère ; elle l'y laissa pour y achever son noviciat et prendre ainsi à sa source l'esprit de l'Institut. Le V. P. Eudes vivait encore ; la Sr Marie de l'Enfant Jésus put donc entendre ses derniers enseignements. Elle fut initiée par les premières Mères à la tenue des livres exigés par la règle, et au secrétariat il n'y eut rien de secret pour elle.

Plus tard, nous la retrouvons rendant de très grands services à Paris, pendant l'essai de fondation à Sainte-Pélagie. Elle était rentrée à Guingamp avant le départ des Sœurs de Paris, et après la mort de l'assistante la Sr Marie du Saint-Esprit de Parcou, elle gouverna ce monastère en qualité de Commise pendant trois mois. A cette époque elle n'avait que vingt-quatre ans. C'est sous son administration provisoire, et en grande partie par son habileté que se conclut l'achat du terrain appartenant aux Jacobins, achat qui donnait au monastère la possibilité de s'étendre en toute liberté et lui procurait un magnifique enclos.

Les Supérieurs l'envoyèrent avec la Mère Heurtaut aider à la fondation de Vannes. Elle avait donc vécu dans toutes les maisons de l'Institut alors existantes. Aussi malgré sa jeunesse, elle était toute désignée au choix de ses Sœurs.

A l'intérieur, son gouvernement fut paisible et agréable aux Sœurs, mais à l'extérieur, il n'en fut pas de même. Le renvoi d'une Novice que protégeait la marquise du Plessis, devint pour la Mère de l'Enfant Jésus l'occasion de violentes contradictions. Une domestique qui avait su prendre un grand empire sur l'esprit de la fondatrice, se servit de cet incident pour l'indisposer contre le monastère, et cette bonne dame se retira quelque temps dans une de ses propriétés. Les amis de la Communauté et la Mère Heurtaut elle-même conseillèrent de céder à l'orage, et après sa déposition, la Mère Feger se retira à son monastère de profession.

A Guingamp, de nouvelles et plus dures épreuves l'attendaient, car elles vinrent de l'intérieur de la Communauté. La Sr Feger ayant pris parti pour Mme des Arcis, sa parente, les Supérieures la traitèrent fort sévèrement. Ces croix achevèrent de la détacher de la terre. Pendant le long séjour qu'elle fit à l'infirmerie avant de mourir, elle se signala par sa charité à soulager les Sœurs encore plus souffrantes qu'elle-même. Son plus vif désir eut été de pouvoir faire sa retraite avec la Mère Marie de Saint-Isidore Hellouin, alors Supérieure, mais ses infirmités l'en empêchèrent. Elle venait de finir une confession générale, lorsqu'une inflammation à la gorge la priva de l'usage de la parole. Elle mourut le 19 novembre 1699, n'étant encore âgée que de quarante-deux ans, mais elle pouvait dire comme Ruth, que le Tout-Puissant l'avait remplie de beaucoup d'amertume.

A Vannes, la Mère Marie de Saint-Vincent Lores avait été élue à sa place. C'était une conquête de la Mère Marie de la Trinité. La vie de cette Sœur nous montre encore le grand ascendant que cette sainte religieuse exerçait.

Mlle Lores de Multeau était d'une famille distinguée de Malestroit. Toute jeune enfant, Dieu lui fit connaître par révélation la mort prochaine de sa mère. Après la réalisation de cette vision prophétique, elle fut soumise dans la maison de son tuteur à des traitements très durs et très humiliants. Sa vertu, déjà affermie, les supporta fort patiemment. Libre de ses biens et de sa personne, elle résolut de se donner entièrement à l'exercice de la piété et des bonnes œuvres et vint à Vannes, où la direction des Pères Jésuites et en particulier du Père Huby lui fit faire de grands progrès dans les voies de la perfection.

C'était le temps où Mlle de Francheville fondait l'OEuvre et la Congrégation des dames de la Retraite. Mme Lores fut la compagne et l'auxiliaire de tous ses travaux. Aussi, après la mort de cette zélée servante de Dieu, put-elle fournir les plus intimes et les plus précieux renseignements sur ses héroïques vertus. Dans la maison, Mme Lores occupait la place d'économe ; c'est en cette qualité qu'elle reçut, en 1675, les Sœurs des fondations d'Hennebont et de Guingamp. Elle s'ouvrit dès lors à la Mère Heurtaut de ses désirs de vie religieuse plus complète. Par une intuition prophétique, cette Mère lui dit qu'un jour elle verrait ses généreuses aspirations se réaliser, mais que le moment n'était pas encore venu.

Cette hospitalité reçue à la retraite ne suppose-t-elle pas des relations déjà existantes entre le Monastère de Notre-Dame-de-Charité de Rennes et les fondatrices de cet établissement ? Nous le pensons. Mlle de Francheville dans ses voyages à Rennes avait dû voir la Mère Marie de la Trinité. C'était une personnalité trop importante dans le monde de la piété pour qu'elle lui fût inconnue. Le P. Huby ne dut pas être aussi sans visiter des religieuses se rendant dans sa ville natale pour y faire une fondation si utile. C'est une probabilité de plus qu'il a connu la dévotion aux Sacrés Cœurs par les filles du V. P. Eudes dès cette époque.

Au moment de l'arrivée définitive de la Mère Heurtaut à Vannes, Mme Lores lui ouvrit de nouveau son cœur. Cette Directrice inspirée lui déclara de nouveau que la volonté de Dieu était qu'elle fût religieuse de Notre-Dame-de-Charité. Mlle de Francheville fit les objections les plus sérieuses, fondées sur les emplois tout de charité et de zèle de sa fidèle compagne, sur la peine que cette séparation lui causerait, mais devant la formelle affirmation que c'était la volonté de Dieu, donnée par la Mère Marie de la Trinité, elle s'inclina, ainsi que M. de Kerlivio et le Père Huby. Il fallait que l'inspiration divine fût bien reconnue par ces habiles et expérimentés directeurs, pour les faire consentir à ce changement de vocation. Quelle autorité ne devait donc pas avoir sur eux la Mère Heurtaut lorsqu'elle leur parlait des avantages et des douceurs de la dévotion aux Sacrés Cœurs !

Mlle Lores avait quarante-cinq ans au moment de sa prise d'habit, le 1er juillet 1685. Le jour de la cérémonie, Mlle de Francheville donna 2,000 livres au monastère et y joignit plusieurs autres dons, pour bien prouver son attachement à sa fidèle amie. La novice s'appliqua avec une nouvelle ardeur à l'acquisition de la perfection. Elle se soumit avec la simplicité d'une jeune postulante de quinze ans à toutes les petites observances imposées par sa Règle nouvelle.

Sa supériorité fut remarquable par les bénédictions que Dieu répandit sur le monastère. Les agents du fisc lui imposèrent une contribution ruineuse de plus de 8,000 livres. A la suite d'une neuvaine, un inconnu offrit de faire les démarches nécessaires pour obtenir une remise considérable et fut assez heureux pour y réussir. Cet incident de l'impôt a plus d'une ressemblance avec les lois injustes et peu égalitaires que nous voyons appliquer en France. Il nous fait aussi connaître que, quinze ans après sa fondation, la maison de Vannes comptait une quarantaine de Religieuses et autant de Pénitentes. L'admission de celles-ci était presque toujours entièrement gratuite et constituait une pesante charge.

Les circulaires de l'époque nous donnent des exemples consolants de leur ferveur et de leur mortification, et nous disent que huit firent une sainte mort. Souvent aussi la sainte Vierge se plut à récompenser leur confiance par de véritables miracles. L'une d'elles avait des plaies horribles et profondes. A la fin d'une neuvaine, elles disparurent entièrement. L'assistance divine n'était pas moins sensible dans la direction des indisciplinées. Plusieurs projets d'évasion très habilement complotés furent découverts au moment de leur exécution et ne firent que couvrir les coupables de ridicule et de confusion. La Sœur Marie de l'Incarnation Cadiou, une des fondatrices du monastère était l'instrument de tout ce bien, et par son zèle et sa sainteté attirait toutes ces faveurs du ciel.

Mme la marquise du Plessis n'avait pas tardé à reconnaître la méchanceté de cette femme qui l'avait indisposée contre le couvent. Après l'avoir renvoyée, elle y revint prendre ses appartements. Atteinte d'une hydropisie, sa vie était dans un sérieux danger, lorsque le jour de la fête du Saint-Cœur de Marie, elle commença une neuvaine avec la Communauté. Le dernier jour elle avait recouvré la santé. Ce n'est pas la seule faveur obtenue par cette dame, aussi avait-elle enrichi l'autel de l'Image miraculeuse de nombreux ex-voto. Ce fait et plusieurs autres racontés par les Annales donnent à croire que cette statue miraculeuse symbolisait pour la Communauté et pour les fidèles, le culte au Saint Cœur de Marie.

Sous l'épiscopat de Mgr d'Argouge, les visites canoniques, si utiles pour conserver la régularité des communautés, se firent assez périodiquement. Ce Prélat en fit une en personne et dans cette circonstance donna aux Sœurs de nombreuses preuves d'estime et d'affection. Sous la supériorité de la Mère Marie de Saint-Vincent, M. de Châlons, vicaire général et supérieur du monastère, voulut aussi deux fois s'acquitter de ce devoir. Ses recommandations portèrent sur l'importance de l'office divin ; il loua beaucoup la vigilance de la Supérieure, qui avait su maintenir l'observance dans toute son intégrité.

Pendant tout son gouvernement, la Mère Marie de Saint-Vincent avait eu à combattre son excessive timidité ; aussi ce fut avec bonheur qu'elle se vit déposée en 1701 et soumise de nouveau à l'obéissance. Elle chercha à s'y rendre utile par son exactitude à s'acquitter des emplois qui lui furent confiés. Son activité et son expérience des travaux furent très avantageusement mises à profit pendant les constructions qui se firent dans les années 1703 et 1704.

Sur la fin de sa vie, malgré ses persévérants efforts pour atteindre à la perfection, la crainte des jugements de Dieu s'empara vivement de son âme. Le Seigneur voulait ainsi l'obliger à se tenir toujours prête à répondre à son appel. En effet, sa mort fut subite, mais non imprévue. Le P. Berger, recteur du collège des Pères Jésuites, lui rendit ce beau témoignage, dans la visite qu'il fit à la Mère Supérieure à cette occasion : « Vous avez fait une grande perte ! la Mère Marie de Saint-Vincent était l'âme la plus pure, la plus droite et la plus humble que j'aie jamais connue. C'était une sainte. Quand je m'aperçus, dans sa dernière retraite, qu'elle était vivement frappée de la crainte des jugements divins, je lui fis la prophétie que Dieu prendrait soin de lui cacher l'heure de sa mort, comme il est arrivé ». Cette mort si précieuse devant Dieu et devant les hommes, est du 12 décembre 1710. La Mère Lores avait soixante-dix ans, et travaillait à sa sanctification dans l'Ordre depuis vingt-cinq ans.

 

CHAPITRE IV.

Supériorités des Mères Marie de la Trinité et Marie de l'Annonciation le Rebours de Vaumadeuc. — Conversion d'une protestante. — Agrandissements du monastère. — Mort de la Sr Marie de l'Incarnation Cadiou.

A l'Ascension 1701, la jeune Sr Marie de la Trinité le Rebours de Vaumadeuc fut élue supérieure. Pendant de longues années elle gouverna la maison alternativement avec sa sœur Marie de l'Annonciation. C'est sous leur gouvernement que le monastère prit tout son développement.

La famille de Vaumadeuc était de Saint-Brieuc et occupait un rang distingué dans cette ville. La mère de ces demoiselles, restée veuve jeune encore, s'occupa exclusivement de l'éducation de ses enfants et s'efforça avant tout de leur donner l'exemple des plus belles vertus chrétiennes. Ses soins furent couronnés d'un si heureux succès que quatre de ses filles se firent religieuses à Vannes. C'est en écoutant les sermons d'un célèbre missionnaire de ce temps-là, M. de Ludugé, que l'aînée commença à se sentir appelée à la vie religieuse. Son désir alors fut d'entrer chez les Clarisses de Dinan où elle avait une parente. Mais, refusée à cause de la délicatesse de sa santé, sur les conseils de son directeur, elle porta ses vues sur l'ordre de Notre-Dame-de-Charité. M. de Ludugé avait une très grande vénération pour la Mère Heurtaut et lui fit connaître les intentions de Mlle le Rebours. Avec ses ordinaires intuitions surnaturelles, la Mère Heurtaut comprit aussitôt qu'il s'agissait d'un sujet de choix et ne négligea rien pour faire réussir cette vocation. Sur ces entrefaites, Mme le Rebours fut amenée à Vannes pour soutenir un procès au Parlement de Bretagne. Les éloges qu'elle entendit donner à la Mère Heurtaut lui inspirèrent le désir de la visiter et, peu à peu, elle lui avoua que sa fille aînée pensait à la vie religieuse. La Mère Marie de la Trinité la pressa vivement de n'y point mettre obstacle, puisque c'était la volonté de Dieu, mais la tendresse maternelle ne se laissa pas vaincre si facilement. Informé de tout, M. de Ludugé fit aussitôt partir pour Vannes Mme le Rebours. Elle-même joignit alors ses prières à celles de la Mère Heurtaut, et la foi de Mme le Rebours la porta enfin à donner son consentement.

Peu de temps après l'entrée de Mlle le Rebours au noviciat, le démon faillit vaincre son courage en frappant vivement son esprit des inconvénients de l'extrême pauvreté du monastère et du peu d'espérance qu'il y avait de voir dans la suite cet état s'améliorer. Pendant que ces pensées l'accablaient d'une grande tristesse au milieu de son oraison, la Mère Marie de la Trinité lui fit signe de la suivre et, tout en l'entretenant de l'amour de Notre-Seigneur pour la pauvreté, la conduisit à une fenêtre qui avait vue sur une maison et des jardins voisins de l'enclos du couvent et les lui montrant l'assura que là s'élèverait un beau monastère.

La réalisation de cette prophétie paraissait impossible, même dans un avenir lointain ; la novice surmonta cependant cette tentation et fit généreusement son sacrifice à Dieu. Comme Supérieure, elle ne devait pas beaucoup tarder à exécuter la vision de la Mère Heurtaut. En effet, nommée très jeune directrice du noviciat, elle gagna l'estime et l'affection de ses Sœurs qui la placèrent à leur tête dès qu'elle eut atteint l'âge canonique. Le ciel, du reste, semble s'être prononcé en sa faveur, si l'on en croit les merveilleux récits que rapportent les Annales. Il est certain que son gouvernement fut accompagné de nombreuses bénédictions.

Signalons d'abord la sincère et miraculeuse conversion d'une protestante célèbre. Les détails de ce fait suffiraient à eux seuls à prouver la divinité du catholicisme. Jeanne Cousson était de Saint-Mexsant, dans le Poitou. Louis XIV, poursuivant toujours ses vues politiques sur l'unité religieuse de son royaume, elle chercha à passer en Angleterre avec plusieurs de ses coreligionnaires. Arrêtée à Saint-Malo avec ses compagnes, elles furent toutes amenées à Rennes. Dans cette ville si profondément catholique, elles excitèrent la curiosité de beaucoup de gens et la charité du plus grand nombre. Mgr de Lavardin envoya les plus savants religieux travailler à les convaincre de leur erreur. Ce fut sans succès. M. le premier Président du Parlement ordonna alors leur dispersion dans les communautés de Rennes et de Vannes. Cet arrêt fut exécuté, malgré les légitimes répugnances des différentes communautés. Il ne faudrait pas croire cependant que le sort de ces personnes fût bien à plaindre. D'après le récit des Annales de Vannes, elles jouissaient de grands privilèges dans les monastères et y avaient à l'intérieur une liberté très étendue.

Jeanne Cousson, la plus obstinée et la plus instruite, fut amenée à la Charité de Vannes par deux huissiers pendant l'octave de la fête du Sacré-Cœur. Sa grande taille, son air presque viril et dur épouvanta les Sœurs. A son entrée, elle refusa toute marque de respect à la Supérieure elle-même. Une Sœur portière, bien naïve, ne put s'empêcher de lui en faire des reproches et de lui dire que, suivant l'usage de la Communauté, on parle à la Supérieure à genoux, par respect pour Dieu qu'elle représente. Jeanne lui répliqua sèchement qu'elle ne se mettait à genoux que devant Dieu. La Mère le Rebours lui répondit doucement: « Vous faites bien, nous n'exigeons point cela de vous ; bien plus, on ne vous parlera jamais de votre religion, vous serez en liberté de vivre comme vous voudrez, à la condition que, de votre côté, vous ne traiterez de religion avec aucune personne de la maison ». Heureuse de la promesse d'être laissée en repos, Jeanne s'engagea volontiers à y laisser les autres.

La Sœur Marie de Saint-Charles le Rebours fut chargée de l'occuper à la lingerie et de l'amener aux lectures qui se faisaient à la Communauté. C'est dans l'audition de la Vie des Saints, que cette protestante obstinée trouva le germe de sa conversion. Bientôt en effet un tel trouble s'empara de son âme, qu'elle demanda à la Mère Supérieure la dispense de ces exercices, et même la permission de manger dans sa chambre pour ne plus entendre ces lectures. La Mère lui répondit : « Je ne puis vous dispenser de la vie commune et vous devez être contente d'être laissée en repos ».

La Communauté ne cessait, de son côté, de multiplier ses prières, ses mortifications, ses vœux, pour lui obtenir du ciel la grâce de la conversion. Aussi, bientôt son trouble continuant toujours, Jeanne accepta des entretiens avec le Père Andrie, Jésuite. Après trois mois d'efforts, ce bon Père, entièrement découragé, ne voulait plus la voir ; de son côté, Jeanne refusait de l'écouter. Ce ne fut qu'après de difficiles négociations, que la Mère Marie de la Trinité le Rebours put les mettre tous les deux une dernière fois en présence. Pendant leur conversation, elle envoya plusieurs Sœurs devant le Saint-Sacrement prier Notre-Seigneur de toucher ce cœur endurci. Cette grande grâce fut enfin obtenue, car à partir de ce jour, ébranlée dans ses convictions, Jeanne elle-même fit souvent cette prière : « Mon Dieu, ne permettez pas que je sois dans l'erreur, mais faites-moi connaître et suivre la vraie religion ».

Il appartenait à la Sainte Vierge d'achever cette conversion. Pendant la messe de la fête de l'Assomption, Jeanne se trouvait dans l'avant-chœur, lorsque tout à coup il se fit une si grande lumière dans son esprit que, vaincue comme St Paul sur le chemin de Damas, elle sortit toute hors d'elle-même pour trouver quelqu'un à qui elle pût communiquer ses sentiments. Ayant rencontré une pauvre infirme qui avait dû sortir pour prendre l'air, elle lui dit vivement : « C'est pour le coup, ma Sœur, que je suis des vôtres, je veux être Fille de l'Eglise catholique, apostolique et romaine ; je me soumets à elle de tout mon cœur ». L'excès de son émotion la fit tomber à genoux. Lorsqu'elle se fut un peu calmée, la Sœur la mena à une fenêtre d'où l'on voyait l'image miraculeuse de la Vierge ; c'est-là que toutes deux entendirent le reste de la messe. Lorsque la Mère Supérieure sortit, Jeanne, toute heureuse, lui renouvela sa déclaration, et cette nouvelle, répandue immédiatement dans la maison, y causa la plus vive joie.

Depuis ce moment, Dieu, pour affermir la foi de la nouvelle convertie, ne cessa de lui communiquer ses lumières et ses grâces. Quelques jours avant son abjuration, Jeanne assistait à une messe de communion générale et regardait avec la plus grande attention les Sœurs se rendre à la Sainte Table, lorsque tout à coup on la vit tomber sans connaissance. On la porta au réfectoire : son visage était d'une pâleur de mort. Quelque temps après ayant recouvré ses sens, elle ne put prononcer que quelques paroles entrecoupées : « Oh ! ma Mère, je n'en douterai jamais ! » ou « Ah ! ce que j'ai vu ! ». Lorsque le calme lui fut revenu, elle raconta enfin ce qui lui était arrivé : « Quelle grâce Dieu m'a faite ! Je regardais les Sœurs communier. Lorsqu'elles se rendaient à la sainte Table, je les connaissais toutes ; lorsqu'elles en revenaient, je ne les connaissais plus, car elles avaient une si grande lumière autour de la tête et sur leur visage, qu'il m'était impossible de les discerner les unes des autres. Quand la communion a cessé, j'ai jeté les yeux sur le ciboire, et j'ai aperçu deux anges inclinés de chaque côté, les ailes déployées, et une grande lumière qui environnait la tête du prêtre. C'est alors que, saisie de frayeur, je suis tombée en faiblesse. Ah ! je n'avais pas besoin que Dieu me fit une si grande grâce pour croire à sa présence réelle dans le Saint-Sacrement. Mais, ma chère Mère, j'ai une grande faveur à vous demander, ainsi qu'à toute la communauté, je ne sais si vous voudrez me l'accorder ». A quoi la Mère répondit aussitôt : « Vous pouvez compter que si elle est en notre pouvoir, nous vous l'accorderons ». « C'est, dit-elle alors, de me garder dans votre communauté le reste de mes jours ». « Volontiers, repartit la Mère Supérieure. Dieu vous a accordé cette grâce avant même que vous ne l'eussiez demandée, car, pour obtenir votre conversion, nous en avons fait le vœu ». Touchée d'une vive reconnaissance, cette pauvre fille tombant à genoux s'écria : « Mon Dieu, comment faites-vous tant de grâces à une misérable créature comme moi ! ».

Jeanne Cousson fit son abjuration le jour de la Nativité de la Sainte Vierge, et, à partir de ce moment, s'appliqua avec une ferveur toujours croissante à la pratique de toutes les vertus. Elle devint l'édification du monastère, et, cinq ans plus tard, sa persévérance fut couronnée d'une sainte mort.

Après sa conversion, l'endurcissement de deux de ses anciennes compagnes, retenues à l'hôpital de Vannes, lui faisait d'autant plus de peine qu'elle se reprochait de les avoir affermies dans leurs erreurs. Elle leur écrivit une lettre touchante et pleine d'esprit et de science pour leur faire connaître les motifs de son changement :

« MES TRÈS-CHÈRES SŒURS,

« Après avoir été longtemps privée du plaisir de vous écrire, je profite de la liberté que j'ai de le faire pour vous témoigner la joie et la consolation que j'ai des grâces que Dieu m'a faites. Peut-être, comme vous n'êtes pas dans mes sentiments, ma lettre vous causera-t-elle du chagrin ? Mais je me sens pressée par ma conscience et par la charité que j'ai pour des personnes que j'aime comme mes propres sœurs, de vous prier d'ouvrir les yeux et le cœur à la vérité. Ne vous opposez pas, je vous en supplie, au Saint-Esprit, quand il vous parlera, comme j'ai fait longtemps par respect humain, de peur qu'après avoir refusé les grâces de Dieu, il ne jure en sa colère que vous n'entrerez jamais en son repos.

« Vous me direz que ce langage vous surprend, après les belles choses que je vous ai dites pour fortifier celles qui se sentaient portées vers l'Eglise catholique. C'est ce qui m'a retenu si longtemps : je ne voulais pas dire extérieurement par respect humain ce que j'avais dans le cœur...

Je vous avouerai que les réflexions que j'ai faites sur les sermons des ministres protestants, m'ont beaucoup servi pour me faire quitter leur religion. M. du Moulin, dans le sermon sur le deuxième chapitre de St Luc, reconnaît St Augustin comme un grand docteur de la primitive Eglise, pourquoi alors ne fait-on pas comme St Augustin, qui disait la messe, priait Dieu pour les âmes du purgatoire, reconnaissait le Pape pour le chef universel de l'Eglise, le successeur de St Pierre, le vicaire de Jésus-Christ ? Ce saint père dit encore que, quand il quitta l'hérésie et se fit catholique Romain, il sortit de Babylone, tandis que les ministres nous disent que Rome est Babylone.

M. du Moulin dit aussi dans le même sermon que les chrétiens de la primitive Eglise portaient la cène aux malades, non de la maison du PRETRE et à toute heure du jour, mais de la Sainte Table et à l'heure même de l'action commune... Ils reconnaissaient donc qu'il y avait des prêtres dans l'Eglise et qu'on donnait la communion aux malades. Pourquoi avoir aboli une si sainte coutume ?

M. Daillé dit, dans son apologie, que ceux qui ne peuvent point boire de vin, ne doivent pas pour cela se priver de la communion, mais qu'ils peuvent communier sous la seule espèce du pain. Pourquoi donc tant crier sur le retranchement de la coupe, puisque eux-mêmes donnent la communion sous une seule espèce ?

Je remarque encore, dans le sermon sur le premier chapitre de l'épître de St Paul aux Romains, qu'il dit que le bâton d'Élisée n'avait pas la même vertu en la main de Giési qu'en celle d'Élisée ; il reconnaissait donc que Dieu faisait des miracles par la main d'Élisée ; ceux donc qui font des miracles doivent avoir le bâton d'Élisée, c'est-à-dire la foi vive et la ferme confiance en la parole de Jésus-Christ, disant à ses disciples : Guérissez les malades, ressuscitez les morts, donnez la vue aux aveugles, chassez les démons. Je ne vois pas que les ministres aient jamais fait de miracles, le bâton d'Élisée n'a point de vertu en leur main...

M. du Moulin dit encore dans un sermon que les premiers chrétiens appelaient le jour de la célébration de la mort des martyrs le jour de leur nativité, ce qui me fit connaître que c'étaient les fêtes que l'on fait des saints et des martyrs. La primitive Eglise avait donc le culte des saints ».

Jeanne raconte ensuite elle-même brièvement sa conversion. Aujourd'hui catholiques et protestants sont loin de la science religieuse que nous trouvons dans cette lettre. Malheureusement, l'impression ne fut pas assez profonde pour amener la conversion de celles qui la reçurent. Se soutenant l'une l'autre, elles n'eurent pas le courage d'abjurer.

Des faits de ce genre attiraient l'attention sur le monastère et excitaient la générosité des âmes pieuses. Aussi, à cette époque, il se fit quelques fondations pour l'entretien des Pénitentes, et la Mère le Rebours trouve des ressources considérables pour bâtir une grande et vaste maison. Le besoin en était des plus urgents. Pendant l'été 1702 une violente tempête faillit ensevelir toute la communauté sous les ruines des masures qu'elle habitait. Les appartements étaient si peu nombreux que la Mère le Rebours se vit dans la triste nécessité de refuser d'excellents sujets qui demandaient leur entrée au noviciat.

La première pierre du nouveau bâtiment, bénie le 23 mars 1703, fut posée par un petit enfant pauvre au nom du divin Enfant Jésus, et par Jeanne Cousson, la nouvelle convertie, au nom de la Sainte Vierge. Ces augustes fondateurs firent sentir leur protection sur les ouvriers pendant toute la durée des travaux. Plusieurs auraient dû périr si une intervention divine très évidente n'était venue les faire échapper au danger.

Les Sœurs commencèrent à habiter la nouvelle maison en 1706. La Mère le Rebours eut alors la pensée de transporter la chapelle dans l'appartement préparé pour être plus tard le chœur des Religieuses. Son conseil s'y opposa par le motif louable en soi qu'il fallait d'abord édifier des temples spirituels et remettre à plus tard la construction du temple matériel. Ce beau local fut préparé pour le pensionnat. Quelques jours après, Notre-Seigneur fit à la Mère Supérieure, pendant son oraison, de vifs reproches sur son excessive condescendance : « Quoi, lui dit-il intérieurement, après tous les moyens que ma paternelle providence vous a fournis pour construire cette maison, vous ne vous inquiétez plus de m'en donner une qui soit moins indigne de ma grandeur ! Vous me laissez sous les pieds des Pénitentes ? » (l'église était alors sous leurs classes). Accablée de ces reproches et toute baignée de larmes, la Mère Marie de la Trinité le Rebours ne put que répondre : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? ». Lorsqu'elle fut plus calme, elle se permit de dire à son divin Maître qu'elle n'avait pas été libre d'agir selon ses désirs et que maintenant le temps qui lui restait avant sa déposition, était bien court pour finir ce travail. Cette justification ne fut point acceptée par la voix mystérieuse qui lui parlait. Les reproches devinrent si véhéments qu'incapable d'y résister plus longtemps, la Mère le Rebours se rendit dans l'appartement, et là, prenant des mesures, trouva une facilité inespérée à l'approprier aux usages du culte divin. Aussitôt elle fit venir le charpentier, lui expliqua son dessein et lui dit de chercher dans les bois restés de la construction ce qui était nécessaire pour l'exécuter. Cet homme reconnut bientôt qu'il n'était pas nécessaire d'acheter d'autres matériaux.

De plus en plus étonnée et ravie, la Mère Supérieure appela ses conseillères et leur raconta ce qui venait de lui arriver. La vénérable Mère Heurtaut en ressentit une grande consolation, et, embrassant sa chère fille spirituelle, l'encouragea à poursuivre son entreprise. Ces plans furent donc exécutés avec tant de célérité que le 28 mai 1707, samedi d'avant l'Ascension, moins de quarante jours après le fait que nous venons de raconter, ce nouveau sanctuaire fut en état d'être béni par M. l'abbé de la Chateigneraie de Marzan, vicaire général de Mgr d'Argouge.

La ferveur des Sœurs, la sainteté éminente de quelques-unes d'entre elles méritaient bien ces faveurs du ciel. Les Annales de cette époque contiennent encore plusieurs récits intéressants de révélations et celui de l'apparition d'une Sœur converse venant demander des prières. On y trouve enfin la narration de quelques guérisons obtenues par l'intercession du V. P. Eudes. Avant de commencer, l'Annaliste dit que ce bon Père a dû demander à Dieu cette fondation comme récompense de ses travaux et rappelle que les permissions nécessaires furent accordées quatre mois seulement après sa mort contre toute prévision humaine. Voici son récit :

Une jeune professe avait reçu les derniers Sacrements ; tous les symptômes d'une mort prochaine se montraient en elle, c'est pourquoi on avait allumé près d'elle le cierge béni, lorsque la Mère Supérieure qui regrettait beaucoup ce bon sujet, fut inspirée de faire un vœu à St Mathurin, ou au B. Régis, ou au V. P. Eudes. On voulut savoir si la malade, malgré son délire, pourrait s'y associer, et on lui demanda à qui elle voulait qu'on la vouât. Elle répondit vivement et sans paraître s'en rendre compte : « Au bon Père Eudes ». La Mère Supérieure fit commencer une neuvaine ; immédiatement la fièvre cessa et en très peu de temps le rétablissement de la malade fut complet.

Une novice avait au nez une infirmité naturelle fort incommode pour les personnes qui devaient vivre avec elle. Pleine de confiance, elle fit vœu d'orner le portrait du V. P. Eudes d'un cadre doré si elle guérissait avant sa profession. Le secours du bon Père se fit aussitôt sentir, et l'infirmité disparut entièrement.

La divine Providence se plut encore à récompenser la confiance des Sœurs en sa bonté par de miraculeuses multiplications de leurs provisions. Un jour que la Communauté devait nourrir les meuniers de sa fondatrice, la Sœur cuisinière oublia, non-seulement d'augmenter les provisions, mais même, par une fâcheuse méprise, fit cuire beaucoup moins de viande que de coutume. Après avoir fait connaître son embarras à la Supérieure, elle fut surprise de pouvoir fournir avec abondance à tous les besoins de la maison et des étrangers qu'elle recevait.

Dans deux autres circonstances, la Sœur tourière ne trouva au marché que quelques huîtres, en quantité à peine suffisante pour donner à manger à dix personnes, et à la maison il y en avait alors cent trente. La cuisinière, sainte religieuse, fit une étuvée de ces huîtres et servit facilement ce nombreux personnel.

Bien d'autres faits plus ou moins surnaturels montrent combien ce monastère devait alors être agréable à Dieu.

A la fin des deux triennats de la Mère Marie de la Trinité le Rebours de Vaumadeuc, sa sœur cadette, Marie de l'Annonciation, fut élue. Le fardeau de la supériorité lui parut si au-dessus de ses forces que bientôt elle tomba dans une maladie de langueur. Les prières que les Sœurs firent à St Joseph obtinrent sa guérison, mais jamais sa santé ne se remit complètement, aussi à la fin de son premier triennat supplia-t-elle les Sœurs de ne pas penser à elle.

C'est pendant sa supériorité que mourut comme une sainte une toute jeune pensionnaire, Madeleine Gardin. Cette pieuse enfant avait des tantes religieuses dans les monastères de Rennes et de Vannes. Sa mère la confia à ce dernier lorsqu'elle n'avait que huit ou neuf ans. Elle se fit dès lors remarquer par un grand fond de piété et de crainte de Dieu. C'est avec une grande ferveur qu'elle se prépara à la première communion, et depuis elle ne s'approcha jamais de son Dieu sans s'y être disposée par d'ardentes prières et les pratiques de mortifications que son âge lui permettait.

A la vue de ces saintes dispositions, la Mère Heurtaut répétait à sa tante que Dieu devait avoir des desseins particuliers de grâce sur cette enfant. Il voulait en effet avancer l'œuvre de sa sanctification pour l'appeler bientôt à lui. Mlle Gardin fut attaquée un an avant sa mort d'une maladie qui exerça sa patience, mais fut impuissante à la vaincre. Cette vertu faisait l'admiration de toutes les personnes qui l'approchaient. Cependant cette âme innocente se croyait fort coupable et était dans de continuelles inquiétudes sur les peines qu'elle s'imaginait avoir causées aux Sœurs, et souvent priait l'infirmière de leur porter ses excuses.

Voyant son mal s'aggraver toujours davantage, elle sollicita avec instance la faveur de prononcer les vœux de religion. Cette grâce lui fut accordée aux conditions ordinaires du Coutumier. Au moment de choisir son nom, elle hésita à prendre celui de Madeleine, qu'elle portait déjà, disant : « Il faut garder ce nom pour ma sœur, qui sera religieuse et le portera ». L'avenir réalisa cette prophétie ; sa sœur, qui paraissait avoir des goûts fort opposés à la vie religieuse, l'embrassa cependant et demanda le nom de Madeleine, sans avoir connaissance des dernières paroles de son aînée.

Après avoir prononcé ses vœux, la petite Sœur se tournant vers sa tante lui dit, en rappelant les paroles de la Mère Heurtaut : « Voilà les grands desseins de Dieu accomplis en moi ». Elle voulut alors qu'on mit sur son lit les habits religieux et fit remarquer qu'on avait oublié le scapulaire ; elle pria la St Directrice d'être sa maîtresse pour qu'elle ne fit rien sans permission, et les novices de lui donner le baiser de paix comme à une de leurs compagnes. Toutes ces actions faites au milieu des plus cruelles souffrances, étonnaient et ravissaient. Voyant le chagrin de sa tante, la bonne petite malade poussa la délicatesse jusqu'à demander à mourir quand celle-ci ne serait pas près de son lit. Dieu exauça ses désirs de le contempler et l'appela à lui le jour de la fête de Ste Madeleine de Pazzi, sa patronne.

Les Annales racontent encore plusieurs conversions éclatantes parmi les Pénitentes. L'une d'elles avait caché un énorme péché dans sa confession. Malgré ce sacrilège, son intention était de s'approcher de la communion, mais, le moment venu, il lui fut complètement impossible de sortir de sa place. Une main invisible l'y retenait. Epouvantée de ce fait, elle rentra en elle-même, avoua sa faute et vécut pieusement.

La protection divine empêcha aussi plusieurs évasions fort habilement concertées. Elle s'étendit tout particulièrement sur les Sœurs qui consacraient aux Pénitentes leur dévouement et leur zèle. Plusieurs remarquèrent, qu'aussitôt entrées dans cet emploi, elles furent délivrées des tentations contre la belle vertu.

En 1710, la Mère Marie de la Trinité reprit les rênes du gouvernement. Elle eut, peu après, à fermer les yeux à Mme du Vaumadeuc, sa mère. Cette dame, après avoir vu quatre de ses filles se consacrer à Dieu dans le monastère, s'y était retirée elle-même depuis deux mois seulement. Sa piété éclairée lui faisait parfaitement comprendre les obligations de ses filles plutôt que de les voir manquer aux exercices de la communauté, elle préférait se priver, pendant plusieurs jours, du plaisir de les voir. Les fatigues d'une retraite dont elle suivit les exercices avec la plus grande ferveur, hâtèrent sa précieuse mort.

Pendant cette seconde supériorité, la Mère Marie de la Trinité eut encore la douleur de perdre les respectables Mères Marie de Saint-Vincent Lores et Marie du divin Cœur de Jésus Bedault mais elle eut aussi la consolation de voir commencer le monastère de La Rochelle en 1714.

Mgr d'Argouge, par un sentiment d'attachement à la communauté, avait retardé cette fondation. Il conserva cette affection jusqu'à sa mort, arrivée le 16 mars 1716. L'Evêque de Bérite, qui le suppléait dans les fonctions épiscopales, se montrait encore plus prévenant pour les Sœurs. Il avait une particulière dévotion à dire la messe dans leur chapelle, à cause de la confrérie du Sacré-Cœur dont il faisait partie. Sa complaisance pour les Sœurs alla jusqu'à leur accorder d'y faire une ordination et la consécration des pierres sacrées. C'est lui encore qui fit insérer dans le livre intitulé : Les Instituts de l'Église, ce qui concerne l'Ordre de Notre-Dame-de-Charité, avec le portrait de la Sr Marie de l'Enfant-Jésus de Soulebieu. La notice rédigée par ce prélat commence ainsi : « L'Ordre de Notre-Dame-de-Charité est dédié aux Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie. C'est leur charité qui inspire le quatrième vœu des religieuses » [Note : Nous n'avons pu trouver le nom de famille de cet évêque. Il s'appelait Timothée. Ce ne peut être celui qui fut envoyé en Chine].

Ce quatrième vœu était alors pratiqué avec un grand zèle dans le monastère. Vers l'arrivée de Mgr de Bérite, on y reçut une pauvre misérable qui faisait partie d'une bande de voleurs. A son entrée, la grâce avait pu un instant toucher cette malheureuse : mais bientôt elle retomba dans son endurcissement, et pendant deux ans sa conversion parut impossible. Après ce long séjour, elle fut atteinte d'une dangereuse maladie. Jour et nuit, les Sœurs demandèrent à Dieu sa conversion. Elle avait refusé les derniers Sacrements ; au moment où l'on désespérait de son salut, elle les demanda d'elle-même et manifesta les plus vifs sentiments de Pénitence. Ce fut un spectacle bien consolant pour les Sœurs. Cette pauvre fille ne cessait de leur témoigner sa reconnaissance et de leur dire qu'elle leur devait son salut. Quand le Saint-Sacrement entra dans sa cellule, elle voulut absolument faire une confession publique de ses crimes, et en faire une amende honorable à ce Dieu de miséricorde, à genoux et la corde au cou. Elle ne mourut pas de cette maladie ; à peine guérie, malgré sa faiblesse, elle sollicita la permission de se livrer aux austérités de la pénitence la plus rigoureuse. Pour bien prouver à ses compagnes la sincérité et la parfaite liberté de son changement, elle tint absolument à faire devant elles la réparation de ses fautes telle qu'elle l'avait déjà faite sur son lit ; ce touchant spectacle les émut vivement. Ses sentiments d'humilité et de componction ne se démentirent point jusqu'à sa mort qui eut lieu le 8 décembre 1713. La Vierge Immaculée voulut sans doute lui donner elle-même l'assurance de son pardon.

La Mère Marie de l'Annonciation avait succédé à sa sœur, à l'Ascension 1716. C'est elle qui reçut au couvent Mgr de Tressan, qui ne fit que passer sur le siège de Vannes pour aller occuper celui de Nantes. La bienveillance de ce prélat avait rempli les Sœurs d'espérance ; les Annales disent naïvement que le bien qu'il accomplit à Nantes ne pouvait se voir sans une espèce de jalousie. Mgr de Caumartin qui lui succéda se montra très édifié de la régularité de la maison, mais lui aussi ne fut que bien peu de temps à Vannes. En 1719, il était déjà évêque de Blois.

Sous Mgr Fagon qui gouverna le diocèse de 1720 à 1742, le monastère fut moins heureux. Cet évêque avait évidemment des tendances jansénistes, et peut-être des préventions contre le V. P. Eudes. Sa première visite au couvent fut l'occasion d'un vrai désordre, car il laissa pénétrer avec lui la foule du peuple. Heureusement, la Mère le Rebours, avertie de ce qui s'était déjà passé dans d'autres communautés, avait pris ses précautions pour que rien ne fût dérobé et pour que les Pénitentes restassent en sûreté. Le récit de cette visite fait parfaitement comprendre tout ce que le caractère de ce prélat avait de cassant et d'autoritaire. Les rapports qu'il eut avec le couvent continuèrent à porter cette empreinte et occasionnèrent de grandes peines et de nombreuses souffrances.

Le 21 mai 1722, la Mère Marie de la Trinité le Rebours fut réélue pour la cinquième fois. Quelques semaines après, elle eut la douleur de perdre la généreuse fondatrice du monastère. Depuis plus de trente ans, cette pieuse dame y menait la vie la plus édifiante. La notice qui lui est consacrée fait bien voir ce qu'étaient les femmes chrétiennes de cette époque. Il y aurait là aussi une étude fort intéressante à faire sur les rapports des seigneurs avec leurs vassaux. Ceux-ci ne sont qu'une extension de la famille pour ces grands propriétaires, pénétrés de leurs devoirs. Il y a de part et d'autre une confiance et une affection mutuelles, pleines de respect du côté des paysans et de bonté du côté des maîtres. Ceci nous explique le mauvais accueil fait dans les campagnes bretonnes aux réformes révolutionnaires.

Voici l'inscription mise sur la tombe de la fondatrice, dans la chapelle des Sœurs :

« Ci-gît haute et puissante dame, Anne de Goulaine, marquise du dit lieu, du Plessis Josso, de Rosmadec et autres, fondatrice de ce monastère, y décédée et inhumée le 8 juillet 1722, âgée de 82 ans, qu'elle a remplis de vertus et de mérites, s'étant signalée par sa piété, sa charité envers les pauvres, et son affection et tendresse pour cette maison qu'elle a comblée de ses bienfaits ».

Le monastère eut dans la suite beaucoup de difficulté à obtenir l'exécution des legs que cette dame lui avait faits. Tous les efforts auraient été infructueux sans le zèle et la persévérance de la Sr Marie de la Trinité de Rosmadec, petite-fille de la défunte. Ce nom nous suggère une observation. Ordinairement deux religieuses du même monastère ne portent pas le même nom. Mais la réputation de sainteté laissée par la Mère Marie de la Trinité Heurtaut était telle qu'il fut fait à Vannes pendant longtemps une dérogation à cet usage ; nous y trouvons au moins trois religieuses s'appelant Marie de la Trinité.

Mgr Fagon prit, cette année 1722, une mesure qui affligea beaucoup la communauté : il interdit aux Pères Jésuites tout ministère dans les maisons religieuses de son diocèse. Or, depuis la fondation de la maison, ces Pères lui avaient rendu de constants services et en avaient été les confesseurs extraordinaires. Le Prélat poussa la chose si loin que les Sœurs ayant une fondation qui les obligeait à faire donner tous les quinze jours une exhortation aux Pénitentes par un Père Jésuite, Sa Grandeur ordonna qu'il n'y aurait que deux religieuses à y assister et que toutes les autres sortiraient de la chapelle pendant cet exercice. Cet interdit ne fut levé qu'après la mort de cet évêque en 1742.

La communauté avait depuis longtemps comme confesseur M. Vincent, saint prêtre, qui lui prodigua ses services. Sa mort, arrivée en 1727, donna lieu à de grandes difficultés. Son successeur ne sut pas gagner la confiance générale, et s'imposa trop à la Mère Marie de l'Annonciation qui venait d'être réélue. Il dispensait de l'oraison et de l'office les religieuses qui avaient des emplois fatigants. La Mère déposée, Marie de la Trinité, crut devoir faire des représentations à Mgr Fagon, qui changea le confesseur. Le calme revint immédiatement dans la communauté.

La Mère Marie de l'Annonciation ne vécut que quelques mois après ces faits. Le Vendredi-Saint elle voulut encore faire un acte public de mortification au réfectoire. Mais en remontant à sa chambre, elle ne put s'empêcher de dire à sa Sœur Marie de la Trinité : « Je vous jetterai bientôt ma haire », voulant parler de la supériorité. En effet, il lui fut impossible de descendre au chœur le dimanche de Pâques, et huit jours après elle mourut en produisant de continuels actes d'abandon à la divine miséricorde.

La vie de cette Mère ne nous a point été conservée par les Annales ; on peut cependant juger qu'elle a été avec sa sœur une des plus grandes Supérieures de l'Institut.

Un retard de quelques semaines permit la réélection de la Mère Marie de la Trinité, déposée depuis un an. Elle eut la consolation de recevoir au noviciat, dans l'année 1730, dix postulantes, pleines de talents et de vertus. Ce fut un grand secours pour les emplois, et en même temps le temporel de la maison se trouva amélioré par leurs dots. Ces faveurs furent attribuées à St Joseph, auquel la communauté adressait de ferventes prières.

Ce fut avec grande joie que la Mère le Rebours reçut les lettres de convocation pour l'assemblée générale de 1734. Elle s'y rendit avec la Sr Marie de Jésus-Mourant Dubois, et fut heureuse de voir la plus parfaite uniformité établie dans l'Institut. Les Annales de Caen disent que la présence de ces deux Sœurs dans ce monastère, y excita encore davantage l'amour des Sacrés-Cœurs. Le lecteur n'en sera pas surpris, car il a pu voir que le monastère de Vannes avait exercé un apostolat très actif et très fructueux pour répandre cette dévotion autour de lui.

Dans la notice sur la Sr Marie de la Trinité Peseron, morte en 1732, on la voit s'appliquer à composer le chant des offices des Sacrés-Cœurs. Il y a bien des raisons de croire que c'est là que le célèbre Père Beurrier trouva les germes de sa vocation à la Congrégation de Jésus et Marie. A peine prêtre, il prêcha dans le monastère la profession de son unique sœur, Marie de Sainte-Anne Beurrier. C'est par erreur que l'auteur des Modèles du Clergé, a fait entrer cette religieuse aux hospitalières de Vannes. Elle fut professe de Notre-Dame-de-Charité et mourut le 28 septembre 1754, jeune encore, mais déjà mûre pour le ciel. Elle avait été en partie élevée dans le couvent et avait bientôt manifesté le désir de s'y consacrer à Dieu. Son frère, dans le discours de sa profession, commenta ces paroles adressées autrefois à Abraham : « Egredere de... cognatione tuâ, et veni in terrain quam monstravero tibi. Eloignez-vous de votre famille, et venez dans la terre que je vous montrerai. (Genèse, 12) ». Il en fit une application si habile que déjà on put juger du degré d'éloquence auquel il s'élèverait plus tard.

Il prêcha ensuite aux Sœurs les grandeurs du divin Cœur de Jésus, et le fit avec une onction si touchante, qu'il émut vivement son auditoire. Dans cette circonstance cependant, il montra le peu de cas qu'il faisait des vains applaudissements. Au lieu de complimenter les religieuses sur leurs vertus et leurs bonnes œuvres, il leur donna une leçon d'humilité. Expliquant ces paroles : « Videbam Satanam sicut fulgur de cœlo descendentem. Je voyais Satan qui tombait du ciel comme un éclair. (St Luc, 18) ». Il montra que le Sauveur voulait faire entendre cet avis à ses disciples : Apprenez que ces démons que vous chassez en mon nom de ces possédés, n'ont perdu leur place au ciel que par leur orgueil et que vous ne pouvez les y remplacer qu'en imitant l'humilité de St Michel et de ses Anges.

L'auteur de sa vie dit qu'il prêcha pareillement la fête du Saint-Cœur de Marie et gagna bien des âmes à cette pieuse dévotion.

Il n'est pas douteux non plus que c'est à la prière de sa sœur qu'il composa ses pieuses méditations pour les octaves de ces deux fêtes.

Tous ces faits postérieurs de plusieurs années à la date de 1734, prouvent parfaitement que toujours l'ardeur du prosélytisme se maintint dans ce monastère. Le culte des Sacrés-Cœurs y avait été fortement implanté par les Sœurs fondatrices. La vie de la Sr Marie de l'Incarnation Cadiou, dont la mort n'arriva que cette année, en fournit de nouveaux témoignages. Ses rapports avec le V. P. Eudes ont été précédemment racontés. La longue existence de cette fervente Religieuse contribua efficacement à maintenir dans le monastère l'esprit du Fondateur.

Devenue Sœur de chœur, elle occupa à peu près toutes les charges de la maison, excepté celle de supérieure. Quand on lui parlait de cet emploi, elle répondait avec une assurance qui semblait lui venir d'en haut que jamais elle n'y serait nommée, qu'il y avait impossibilité puisque son noviciat ne l'avait préparée qu'à faire la cuisine. Elle ne le fut pas, en effet, au grand étonnement des Pères Jésuites qui reconnaissaient combien elle en était digne.

Pendant près de trente ans, ses succès au milieu des Pénitentes furent si consolants, que les Supérieures l'y laissèrent presque toujours. La Sr Marie de l'Incarnation savait parler à ces pauvres filles avec tant de force et de douceur qu'il leur était impossible de lui résister. La plupart des conversions et des morts précieuses racontées précédemment arrivèrent sous sa direction. Elle avait donc autorité pour parler des grâces que Dieu accorde aux Sœurs qui s'occupent du salut des âmes.

« Je puis assurer, dit-elle, qu'il les en comble. Que de fois, revenant de faire le catéchisme à nos Sœurs pénitentes, Dieu ne m'a-t-il pas fait goûter l'effet de son infinie bonté en répandant dans mon âme une paix et une consolation intérieures qu'il m'est impossible d'exprimer ? Je n'ai cependant rien fait pour mériter ces faveurs, je vivais fort naturellement, en bête, perdant intérieurement beaucoup de temps. Un jour, j'étais dans le chœur de nos Sœurs pénitentes, lorsque je me sentis fortement inspirée de réciter l'Office de l'Immaculée Conception. Sa longueur m'y donnait bien de la répugnance. Sentant cependant qu'une grande grâce devait être la récompense de cette prière, je la fis et reçus l'anéantissement de toute impression contraire à la pureté ».

Rien n'indique de quelle nature fut cet insigne privilège, mais cette vénérable Sœur insinue qu'il est dû plus ou moins à cette fonction. Son témoignage est bien précieux pour toutes celles qui continuent cette œuvre de suprême charité.

Il ne faudrait pas cependant penser que souvent cette directrice si expérimentée ne ressentit pas les épines et les difficultés de cet emploi. De l'ensemble des Annales, il ressort que le plus souvent les personnes qui se réfugiaient dans les monastères étaient moins bien élevées encore que de nos jours, avaient des formes plus grossières, une opiniâtreté plus difficile à vaincre. Souvent elles étaient enfermées contre leur volonté et elles n'avaient pas l'espérance de voir jamais s'ouvrir les portes du monastère. D'un autre côté, une autorité supérieure imposait aux Sœurs l'obligation de les supporter et de les garder malgré leur méchanceté. Une de ces pauvres âmes avait conçu une telle aversion pour sa charitable maîtresse que son visage devenait hideux à sa seule vue. Elle ne pouvait cependant s'empêcher d'avouer que c'était une sainte, qui lui avait dévoilé des choses connues de Dieu seul et que c'était même cela qui l'empêchait de soutenir ses regards. A force de prières et de persévérance, la Sr Marie de l'Incarnation finit par gagner ce cœur qui paraissait si indomptable et par le faire se réconcilier avec Dieu.

Il serait difficile de préciser quelle vertu brilla davantage dans cette vénérable Sœur. L'auteur de sa biographie dit :

« Nos Sœurs les plus anciennes, qui ont le plus vécu avec elle, sont obligée de lui rendre un témoignage bien glorieux, capable, à lui seul, selon la pensée de plusieurs, de la faire canoniser : Jamais elle n'a été vue manquer à un iota de la règle ; toujours sa régularité a été exacte et scrupuleuse. On voyait avec admiration cette vénérée fondatrice pratiquer tous les assujettissements enseignés dans le noviciat, demander ses congés pour les plus petites choses, aller et venir par le monastère avec le recueillement usité dans le grand silence. Persuadée, comme elle le répétait souvent, qu'un seul cheveu de l'épouse ravit le cœur de l'époux, elle était affectionnée aux plus petites pratiques de vertu. On peut dire que sans faire aucune action d'éclat, elle a brillé elle-même comme un soleil dans le temple de Dieu. ».

De l'ensemble de sa vie il résulte que la Sr Marie de l'Incarnation avait une idée très haute du mérite de l'obéissance. Elle avait pour ses Supérieures un respect qui allait jusqu'à la vénération. Cette disposition était d'autant plus admirable que, sauf les deux premières, elle avait vu entrer toutes les autres dans le monastère et avait contribué à leur formation religieuse. Mais sa foi vive ne lui laissait voir que Dieu seul dans les personnes revêtues de son autorité. A la première élection de la Mère Marie de la Trinité le Rebours, qui n'avait que trente-quatre ans, elle lui fit naïvement part de ses impressions : « Je faisais réflexion ce matin, ma chère Mère, dans mon oraison, sur la conduite de Dieu à l'égard des personnes qu'il choisit pour partager avec lui le gouvernement de ses créatures, et je me disais : Voilà donc, mon Dieu, celle désormais par qui vous nous parlerez ; voilà notre Moïse, notre Josué, celle enfin à qui vous communiquerez votre esprit et qui nous annoncera tous vos oracles ». Cette communication de l'esprit de Dieu aux supérieurs légitimes faisait souvent l'objet de ses méditations. Aussi, sa conduite était une copie fidèle des exemples d'obéissance et de simplicité qui se lisent dans les Pères du désert.

Elle montra une grande patience dans les infirmités de la vieillesse. Rien ne fut capable de ralentir sa ferveur, de diminuer sa régularité. Pleine d'amour pour le Dieu de l'Eucharistie, que depuis de longues années, elle recevait tous les jours, elle se traînait au chœur avec une énergie surhumaine pour avoir le bonheur de communier. A l'infirmerie, sa charité, son affabilité excitaient l'admiration des autres malades. Sa vertu n'avait rien d'austère et de chagrin, elle prenait simplement ce qui lui était présenté pour son soulagement.

Quelques mois avant sa mort, elle voulut encore faire les exercices de la solitude annuelle. Mais que pouvait-elle ajouter à son union ordinaire avec Dieu ? Depuis longtemps il était l'unique objet de toutes ses pensées et de tous ses entretiens. Plusieurs fois le jour cependant, elle se faisait lire quelques pages d'un livre de piété ou les exercices de préparation à la mort. Par un acte particulier, elle s'était dépouillée en faveur des âmes du Purgatoire, de tous ses mérites, de tout ce qu'elle avait souffert et de tout ce qu'elle aurait à souffrir ; elle avait même fait l'abandon, pour leur soulagement, des prières que l'on ferait pour elle après sa mort. Depuis cette complète cession, Dieu ne paraissait conserver la vie de cette sainte Religieuse que pour prolonger ses souffrances ; elles étaient si vives qu'il ne lui était pas possible de les faire comprendre. Rien n'égalait cependant l'état d'abandon intérieur où elle était réduite. Mais jamais sa fermeté à se conformer au bon vouloir divin n'en fut ébranlée. Son seul désir était de souffrir et de mourir dans l'acte du plus pur amour. Cette grâce lui fut accordée le jour de l'octave de la fête du Saint Cœur de Marie, auquel elle avait une si grande dévotion. Deux Pères Jésuites rendirent, après sa mort, un éclatant témoignage à sa sainteté.

Le dernier jour de sa vie, la Sr Marie de l'Annonciation eut la consolation de signer un accord conclu avec les fondateurs de la maison, héritiers de la marquise de Goulaine. Les débats avaient été longs et pénibles. Mgr Fagon indiqua les bases d'un arrangement, et les Sœurs furent heureuses de terminer cette délicate affaire.

 

CHAPITRE V.

Supériorité de la Mère Marie de l'Assomption Dubois. — Mort de la Mère Marie de la Trinité le Rebours de Vaumadeuc. — Elections des Mères Marie de l'Enfant-Jésus de Vaumadeuc, Marie de Saint-Avoye du Bouëttier de Kerorguen et Marie de Sainte-Agathe Buat de la Croix. — Expulsion des Sœurs. — Infructueux essai de reconstitution du monastère après la Révolution.

Le 26 mai 1735 eut lieu l'élection de la Mère Marie de l'Assomption Dubois. Cette nouvelle Supérieure appartenait à une famille honorable d'Hennebont, où la piété était héréditaire. Trois de ses frères se consacrèrent à Dieu dans le sacerdoce et la vie religieuse. La réputation de la Mère Heurtaut engagea ses parents à lui confier l'éducation de leurs trois filles, et les deux plus jeunes furent les Srs Marie de l'Assomption Dubois et Marie de Jésus Mourant ; toutes deux ont laissé dans le monastère de profondes traces de vertus.

Dès l'arrivée au couvent de la jeune Dubois, la Mère Marie de la Trinité Heurtaut reconnut qu'elle deviendrait une parfaite religieuse, et bien qu'elle ne fût encore qu'une petite pensionnaire, elle la faisait chanter au chœur. L'enfant trouva un grand attrait à ce pieux exercice et toute sa vie elle aima la sainte psalmodie. De son noviciat, un trait de mortification nous a été conservé. On servit au réfectoire un plat de poisson tout corrompu. La jeune novice, malgré sa délicatesse bien connue, mangea toute sa portion. La directrice, qui examinait secrètement la conduite des jeunes Sœurs en cette occasion, fut si contente de la générosité de la Sr Marie de l'Assomption, qu'elle lui accorda trois communions de plus.

Quand elle eut fait profession, après avoir exercé quelques fonctions dans l'intérieur de la communauté, elle se vit bientôt chargée elle-même de la direction du noviciat. Son humilité s'alarma de la responsabilité de cet important emploi ; il fallut toute la force de l'obéissance pour le lui faire accepter. Mais pendant les trois ans qu'elle occupa cette fonction, souvent on la vit toute en larmes, si bien que, par crainte de voir s'altérer sa santé, les Supérieures la remplacèrent et lui donnèrent l'économat. Dans cette nouvelle charge ses prières obtinrent souvent des secours tout providentiels à la communauté.

Sa constante sollicitude fut d'alléger de tout son pouvoir le poids du gouvernement à ses Supérieures. Si leurs vues étaient opposées aux siennes, elle ne laissait pas d'en soutenir la mise en pratique avec une complète abnégation. La confiance que les Supérieures lui témoignaient de leur côté lui occasionna quelques peines. Des caractères plus ou moins chagrins et jaloux la voyant toujours grave et sérieuse, s'imaginaient que c'était une fierté venant de ce qu'elle avait l'oreille de la Mère Supérieure. Du reste, la Sr Marie de l'Assomption ne s'excusait point, et prenait volontiers l'odieux des ordres dont elle n'avait que l'exécution.

Une prophétie de la Mère Heurtaut mal comprise faisait croire qu'elle ne serait jamais Supérieure. Un jour, la Sr Marie de Sainte-Cécile le Gouvello, que l'abord sérieux de la Sr Marie de l'Assomption glaçait, dit naïvement à cette vénérable religieuse :

« Ah ! mon Dieu, ma Mère, que j'aurais de peur si ma Sr Marie de l'Assomption devenait Supérieure ». « Soyez tranquille, avait répondu la bonne Mère, vous ne le verrez jamais ». En effet, cette Sœur mourut en 1733, deux ans avant l'élection de celle qui faisait son effroi.

Pendant l'absence de la Mère le Rebours pour l'Assemblée de 1734, la Mère Dubois gouverna la communauté en qualité d'Assistante ; les Sœurs virent alors combien leur appréhension était peu fondée, et ainsi son élection de l'année suivante causa une joie universelle. En effet, la communauté goûta sous sa direction une parfaite tranquillité. Les fondations diverses et les dons reçus vers cette époque sont la meilleure preuve que le public continuait à avoir une haute estime de la ferveur des Sœurs et de l'utilité de leur œuvre.

En 1737, la petite vérole ravagea le couvent ; une Sœur en mourut. Elle fut suivie de près par une pauvre petite négresse que des circonstances tout à fait extraordinaires y avaient amenée. Le caractère sauvage de cette enfant, son ignorance de la langue française avaient d'abord donné beaucoup de peine aux Sœurs. La bonté finit cependant par agir sur son cœur. Au moment où l'on s'y attendait le moins, elle montra un vif désir de s'instruire et de recevoir le baptême. Jusqu'alors, elle n'avait manifesté que de la crainte à la vue des prêtres ; le jour de l'enterrement de la Sr Marie de Sainte-Rosalie Limèche, elle les suivait, demandant avec instance la grâce du saint baptême.

Quelques jours après, cette pauvre négresse fut elle-même atteinte de la maladie et avec tant de violence que sa mort parut aussitôt inévitable. Avec les progrès du mal, le désir du baptême augmentait dans cette âme. Il lui fut administré, et les effets en devinrent sensibles. Si, par hasard, les personnes qui la soignaient, s'oubliaient à l'appeler de son ancien nom, elle reprenait aussitôt : « Moi, chrétienne ; moi, m'appeler Marie-Ursule ». Chaque jour, le confesseur était obligé de la visiter et elle lui accusait, avec de vifs sentiments de regrêt, les légères fautes qu'elle croyait avoir commises. Elle mourut ainsi avec la blanche robe de son innocence baptismale, et fut enterrée dans le cimetière du couvent.

Avant sa déposition, la Mère Marie de l'Assomption commença un nouveau corps de bâtiment. Les vues de Mgr Fagon différant de celles de la communauté, furent cause que ce corps de logis fut moins commode qu'il n'eût été désirable. Malgré la déférence des Sœurs aux idées de ce prélat, celui-ci se brouilla avec elles et cessa de les visiter. Ces constructions étaient nécessaires, car la maison parait être arrivée à cette époque à son plus complet développement. La communauté devait se composer d'une cinquantaine de religieuses. Parmi les dames pensionnaires, on trouve plusieurs noms appartenant aux meilleures familles de Bretagne. Les petites pensionnaires variaient entre vingt-cinq et trente. Il devait y avoir deux classes de Pénitentes ; leur occupation était la fabrique du basin, étoffe croisée de fil et de coton. Malgré les dons assez nombreux et le produit de ce travail, la pauvreté fut toujours très grande. La cause principale en fut les constructions fréquentes. La première pierre de celle dont nous parlons fut posée, au nom de Jésus, Marie, Joseph, par trois petits enfants pauvres.

A l'Ascension de 1741, la Mère le Rebours fut placée de nouveau à la tête de la communauté. Le 16 février 1742 mourait Mgr Fagon. Les vicaires capitulaires, nommés par le chapitre, levèrent immédiatement l'interdit porté contre les Pères Jésuites et plusieurs autres saints prêtres, et aussitôt la Mère Marie de la Trinité se hâta de faire prêcher une retraite â la communauté par le R. P. Yven, missionnaire renommé.

En 1745, le monastère obtint du Chapitre l'autorisation de construire un four et de boulanger son pain. Les Sœurs sollicitaient cette permission depuis longtemps et n'avaient jamais pu l'obtenir. Le monastère, nous l'avons vu, était bâti sur un fief dépendant du Chapitre ; il devait se servir du four et du moulin de la seigneurie. Ces droits paraissent étranges de nos jours ; ils étaient alors l'équivalent d'une location, d'un fermage, et étaient bien moins onéreux pour les preneurs ; ceux-ci, ces droits réservés, étaient vraiment propriétaires.

Mgr de Jumilhac, évêque de Vannes de 1742 à 1746, n'eut que bien peu de rapports avec la communauté.

Mgr de Bertin présida en 1750 la réélection de la Mère Dubois. Elle avait déjà repris la charge en 1747. Cette Mère était alors fort malade et à côté d'elle mourait sa sœur, Marie de Jésus-Mourant Dubois, religieuse fort remarquable qui avait rendu de grands services à la Communauté. Pour ne pas augmenter le mal de la Mère Supérieure, il fallut lui cacher cette mort. Les ferventes prières des Sœurs obtinrent la prolongation de ses jours, et elle put faire célébrer très solennellement le centenaire de la fondation de l'Ordre, par Mgr Molé, en 1751. Le concours du peuple fut considérable pendant ces trois jours de fête. Les hommages d'actions de grâces y furent rendus aux Sacrés-Cœurs.

Le 22 décembre de l'année suivante mourait saintement, à l'âge de quatre-vingt-sept ans et après soixante-sept ans de vie religieuse, la Mère Marie de la Trinité le Rebours du Vaumadeuc. Nulle religieuse n'avait contribué autant qu'elle au développement de la maison de Vannes. La confiance de ses Sœurs la plaça constamment à la tête de la Communauté quand la Règle le permit. Elle apparaît dans sa trop courte biographie comme une des plus remarquables Supérieures de l'Institut.

Moins d'un an après mourait aussi la Mère Marie de l'Assomption Dubois, dans l'octave de la fête du divin Cœur de Jésus, le 27 octobre 1753. Une Sœur en a laissé le portrait suivant dans ses mémoires :

« Que j'aime à me rappeler les exemples de vertus qu'elle nous donnait, et en particulier, la foi vive qui l'animait dans les trois exercices principaux de piété qui nous sont prescrits : la communion, l'office divin et l'oraison. Son amour pour Notre-Seigneur ne la laissait manquer aucune communion, malgré ses nombreuses occupations. Jusqu'où n'a-t-elle pas porté son zèle pour animer les âmes à chercher dans ce banquet sacré leur force et leur consolation ? Combien ne craignait-elle pas pour les jeunes Religieuses ce poison subtil mais funeste d'un scrupule mal fondé qui, éloignant de la source de vie, laisse l'âme dans sa langueur ? Dans l'oraison, sa disposition ordinaire était une foi pure et une profonde humilité. Elle se regardait comme une bête de charge, incapable d'avoir une bonne pensée, mais enrichie du sang de Jésus-Christ. Comment rendre son ardeur pour le saint office, surtout la ferveur qui l'animait aux fêtes des divins Cœurs de Jésus et de Marie.

C'est dans cette solide piété que se nourrissaient ses autres vertus. Son espérance en Dieu était si ferme qu'elle ne lui a jamais permis de se livrer volontairement à la moindre pensée de découragement ; son amour pour Dieu si parfait que, sans lui faire goûter aucune consolation, il la soutenait dans la privation des satisfactions les plus permises. Elle préférait toujours le moindre de ses devoirs à toutes les jouissances. Aussi cette chère Mère nous recommandait sans cesse de n'agir qu'en vue de Dieu, de n'espérer de secours que de Dieu, de ne nous attacher qu'à Dieu et de fuir les applaudissements des créatures, car agir par ce motif, c'est déplaire infiniment à Dieu ».

Comme c'était une pulmonie qui causait sa mort, la Mère Dubois la voyait venir lentement et s'y préparait avec le plus grand calme. Avec une énergie surhumaine, elle faisait mettre dans un ordre parfait toutes les affaires de la communauté : la Sœur secrétaire venait écrire près de son lit ; les Chapitres se tenaient dans sa chambre, et autant que ses forces le lui permettaient, elle y faisait les entretiens à la communauté. Une des dernières fois qu'elle parut au chœur, ce fut pour assister à l'élection de la Mère Marie de l'Enfant-Jésus du Vaumadeuc qui lui succéda.

Nous n'avons pu retrouver la vie de cette nouvelle Supérieure. Elle était nièce des Mères le Rebours du Vaumadeuc et avait certainement hérité de leur esprit et de leur vertu. La Communauté avait alors pour supérieur un ecclésiastique plein de zèle, sans doute, mais très autoritaire et voulant tout réformer. Il trouva dans la jeune Mère une opposition calme et mesurée à laquelle il était loin de s'attendre.

L'activité de la Mère Marie de l'Enfant Jésus s'employa dans les poursuites nécessaires à l'acquisition d'un terrain qui devait donner au monastère un fort bel enclos. Le récit de ces démarches remplit près de vingt grandes pages. Il fallut des placets au Roi et à presque tous les dignitaires des Etats de Bretagne. Il est inutile d'entrer ici dans ces détails. Leur lecture procure cependant une consolation, elle montre la divine habileté avec laquelle Dieu sait tirer le bien du mal. La révolution a détruit cette législation qui, dans le dix-huitième siècle, était le grand obstacle à l'expansion du bien. Cette lecture nous apprend encore que les difficultés modernes suscitées aux ordres religieux ne sont qu'un retour à ces usages surannés et que les gouvernants de nos jours ne sont que de vulgaires copistes.

La Mère Marie de Saint-Avoye du Bouëttier eut la consolation de conclure l'achat si patiemment préparé par la Mère Marie de l'Enfant-Jésus. L'enclos du monastère fut ainsi fort agréable et très vaste, tel à peu près qu'il se voit à l'hôpital aujourd'hui. Cette Supérieure y fit des arrangements qui lui permirent de fournir de l'eau à la cuisine, à la buanderie et au jardin, mais l'écoulement de ces eaux donna lieu à un procès fort long et fort dispendieux.

Pour sanctifier ce nouvel agrandissement, la Mère de l'Enfant-Jésus, après sa déposition, y fit élever un magnifique calvaire. Dans une crypte au-dessous se trouvait une chapelle dédiée à la Sainte-Famille. Un groupe y représentait Jésus, Marie et Joseph. L'érection du Christ se fit avec beaucoup de solennité et cette cérémonie excita la ferveur dans tous les cœurs.

La suppression de la compagnie de Jésus, ordonnée par le parlement de Bretagne, le 27 mai 1762, sur les fameux Comptes-rendus de Caradeuc de la Chalotais, causa une vive peine à la Charité de Vannes. Les rapports entre le monastère et ces saints religieux avaient été continuels. Il est évident qu'ils avaient contribué à le garder de tout envahissement du jansénisme. Leur saine doctrine sur la communion y était en honneur ; les vies des Sœurs nous font connaître que beaucoup d'entre elles faisaient la communion quotidienne.

Peu après ce déplorable événement, la communauté se vit elle-même sérieusement menacée par le sage refus que fit la Mère Supérieure de recevoir parmi les pensionnaires une personne que sa conduite devait faire mettre aux Pénitentes. L'Intendant de Rennes, son subdélégué à Vannes, le parlement lui-même, s'occupèrent de cette bagatelle. La Supérieure dut fournir les lettres-patentes, faire des rapports sur le but de l'Ordre, mettre en mouvement tous les amis du couvent ; ce ne fut qu'à ce prix qu'il échappa à un sérieux danger de suppression.

La Mère Marie de l'Enfant-Jésus le Rebours, réélue en 1768, sollicita de nouvelles indulgences pour tout l'Institut. Le bref nouveau accorde quatre indulgences plénières : 1° le dimanche du Bon-Pasteur, 2° à la fête de sainte Madeleine, 3° le 2 août, jour de la Portioncule, et 4° le jour de la fête de sainte Françoise Chantal. Le mème sentiment de dévotion la porta à demander aux Pères Capucins, Dominicains et Lazaristes, l'affiliation de sa Communauté aux mérites de chacun de ces Ordres.

A partir de ce moment, les Annales deviennent très incomplètes. Elles nous donnent plusieurs petits faits sans grande liaison entre eux. L'examen de ces documents apprend que la ferveur continuait à être très grande dans la maison, le zèle pour le quatrième vœu très ardent, et les bénédictions divines sur le temporel et le spirituel très abondantes. Enfin, nous trouvons des détails minutieux sur des dons et des fondations pour l'entretien des Pénitentes, sur l'entrée toute providentielle de quelques-unes d'entre elles, sur leurs saintes morts. Une de ces Pénitentes promit à ses derniers moments que si Dieu lui faisait miséricorde, elle lui adresserait de si ferventes prières que la communauté s'en apercevrait. Peu de temps après son décès, deux jeunes personnes ardemment désirées par la communauté, demandèrent leur entrée au noviciat. Les circonstances de cette admission firent penser aux Sœurs que cette sainte âme avait sollicité et obtenu de Dieu des continuatrices de l'œuvre, cause de son salut.

Les Mères Marie de l'Enfant-Jésus le Rebours du Vaumadeuc et de Sainte-Avoye du Bouëttier de Kerorguen gouvernèrent alternativement la communauté jusqu'au 30 mai 1789 : alors fut élue la Mère Marie de Sainte-Agathe Buat de la Croix.

C'est sous le gouvernement de cette Mère qu'eut lieu la dissolution de la communauté, dans la première quinzaine d'octobre 1792. Toutes les Sœurs sortirent revêtues de leur saint habit et se retirèrent ensemble dans une maison particulière. Leur intention était d'y pratiquer la Règle autant que les circonstances le permettraient. Le bonheur de vivre réunies était un grand adoucissement à leurs peines. Toutes les religieuses des autres communautés de Vannes gardèrent la même ligne de conduite, et au milieu de ces persécutions, donnèrent le beau spectacle d'une invincible fermeté et d'un courageux attachement à leur sainte vocation. Bientôt, le 24 octobre, un nouvel arrêté de la commune de Vannes les obligea à la plus cruelle des séparations. Voici un extrait de cet arrêté :

« Le Conseil général étant réuni, un membre de la Commune a exposé que, depuis l'évacuation des maisons religieuses, les Filles qui y vivaient en communauté s'obstinent à conserver le vêtement monastique, qu'elles sont rassemblées en grand nombre dans quelques maisons particulières contre le dispositions du règlement qui leur défend de demeurer plus de deux dans la même maison ; qu'elles sont toujours soumises aux ordres de leurs ci-devant Supérieures, dont elles reçoivent les ordres qui leur sont portés par les anciennes Sœurs converses ou domestiques des ci-devant monastères ; qu'enfin ces Supérieures s'arrogent une autorité désormais réprouvée par la loi, s'en servent pour captiver leurs ci-devant Sœurs sous le joug de l'obéissance à leur ancienne Règle ; que, sous prétexte qu'elles n'ont pas d'autres habits, elles portent et font porter à leurs subordonnées le voile, la guimpe, le scapulaire qui ne leur sont d'aucune utilité comme vêtement, mais que ce ne sont que de simples attributs de costume soit-disant religieux, qu'elles démontront par là l'opiniâtreté avec laquelle elles suivent le plan de conduite qui a nécessité leur dispersion ; qu'il devient, par conséquent, de plus en plus pressant de prendre un parti à l'égard des ci-devant Supérieures...

Le Conseil général enjoint donc aux Supérieures des monastères du Père-Eternel, de Nazareth, des Ursulines, de la Visitation, du Petit-Couvent (Notre-Dame-de-Charité), et à toutes les Religieuses de ces différents monastères, de se rendre dans leur domicile respectif dans le délai de vingt-quatre heures, et de déposer, dans le même délai, l'habit monastique et tout insigne religieux ».

La Révolution était impérieuse dans ses commandements. Sans s'inquiéter de l'évidente contradiction de ses ordres avec la réalité, elle oblige des personnes chassées de leur maison à se retirer dans leur domicile respectif. Bien entendu, c'est au nom de la liberté de conscience que tous ces attentats sont commis.

Sur la pièce précédente, on trouve encore en ces termes l'attestation de son exécution :

« Moi, Pierre le Corps, huissier au tribunal criminel du Morbihan, j'ai signifié à Mme Buat, ci-devant Supérieure du monastère de Notre-Dame-de-Charité, dit le Petit-Couvent, en parlant à sa personne, en son verger, d'avoir à obéir au désir de la commune de Vannes, sous vingt-quatre heures. Ce 30 octobre 1792, l'an I de la République française, à huit heures et demie du matin. Signé : P. LE CORPS ».

C'est donc ce jour que les Sœurs durent quitter leur saint habit et se séparer. La Mère Marie de Sainte-Agathe Buat de la Croix dut mourir pendant les mauvais jours de la Révolution, sans que nous sachions ni où ni comment. Cette mort a été sans doute une des principales causes pour lesquelles le monastère de Vannes n'a pu se rétablir. Les Sœurs qui le composaient ont donné de touchantes preuves de leur fidélité à leur vocation. Nous les trouvons s'unissant à leurs Sœurs de Saint-Brieuc, de Caen, de Tours et de Paris pour aider à la reconstitution de ces couvents. La Mère Marie de Saint-Hippolyte de Botmilliau devient la première supérieure et la fondatrice du monastère de Versailles. La Sr Marie de Saint-Joseph Glain l'aide dans sa généreuse entreprise. Mgr de Mayneaud de Pancemont, nommé évêque de Vannes après le Concordat, donna à ces deux Sœurs une obédience régulière.

Presque en même temps, la Mère Marie de Saint-François-d'Assise Sauvé était élue supérieure de la maison de Tours.

En 1809, Mgr de Beausset rappela quelques Sœurs dans son diocèse de Vannes. Il voulait les reconstituer non point à Vannes, mais dans l'ancien monastère de la Chartreuse près d'Auray, lieu sanctifié par la mort et la sépulture de tant de nobles et illustres victimes de la mauvaise foi révolutionnaire après le désastre de Quiberon. Le 2 septembre 1809, la Mère Marie de Saint-François d'Assise fut élue supérieure de la nouvelle maison. Les négociations relatives à cette installation avaient été faites pendant la vacance du siège épiscopal par MM. les Vicaires capitulaires. Ces messieurs connaissaient les services rendus autrefois par les religieuses du Petit-Couvent, et, dans l'impossibilité de leur faire rendre l'ancienne maison que l'Etat et la ville gardaient pour les services hospitaliers, ils voulaient au moins conserver au diocèse cet utile établissement.

Par malheur, les Sœurs furent trop confiantes dans les promesses orales qui leur étaient données par le bienfaiteur de l’œuvre. Nous n'avons pas voulu rechercher son nom, nous nous contentons de rapporter ce qu'en a écrit la Mère Sauvé :

« Pendant la vacance du siège de Vannes, les Vicaires généraux nous proposèrent, de la part d'un bienfaiteur qui ne s'est jamais fait connaître à nous, de nous établir à la Chartreuse, près d'Auray. Nous répondimes que ce lieu désert ne convenait nullement à notre Institut. Mais les instances pressantes de ces messieurs, les libéralités du fondateur et les promesse qu'il donnait pour l'avenir, nous firent croire que Dieu manifestait sa volonté. N'ayant rien de plus à cœur que de rentrer dans notre saint état, nous acceptâmes l'offre avec joie et reconnaissance ; mais, par délicatesse pour Messieurs les Vicaires généraux qui n'agissaient en cette circonstance que par procuration, nous ne demandâmes point de contrat nous assurant la donation des biens de la Chartreuse. Aussi, lorsque nous sollicitâmes notre autorisation, le fondateur n'ayant pas voulu nous donner la maison, le ministre refusa ».

Cette confiance absolue entraîna de graves inconvénients, et cette maison établie avec beaucoup d'apparat et avec des ressources abondantes s'écroula avec une plus grande promptitude encore. La Mère Sauvé continue :

« Quelques mois après notre installation à la Chartreuse, le fondateur nous fit proposer d'admettre des sourdes-muettes dans une aile des bâtiments et de nous charger de leur donner la pension. Nous y consentîmes à la condition que nous ne serions pas chargées d'autre chose. Nous crûmes que les pensions de ces jeunes personnes suppléeraient au pensionnat que nous ne pouvions établir dans un lieu aussi désert. On nous dit ensuite que si nous voulions donner quelques novices pour instruire les sourdes-muettes, on proposait un traitement de six cents francs. C'était une bien faible compensation pour des fonctions qui exigeaient au moins quatre personnes. Malgré notre répugnance et la disette de sujets, nous y consentîmes, pour nous conformer au désir de notre Evêque. Mais la novice que nous y mîmes s'en dégoûta tellement qu'il fallut interrompre cette fonction.

Quelque temps après, Mgr de Beausset nous fit engager à la reprendre, ajoutant que cette œuvre était préférable à celle de nos Pénitentes, qu'on dispenserait les sujets qui y seraient employés des observances régulières.

Nos vues étaient bien différentes. Nous ne crûmes pas qu'il fût dans l'ordre de renoncer à un vœu qui constitue l'essence même de notre Institut, pour nous charger d'une entreprise que nous étions dans l'impossibilité de soutenir avec huit Religieuses de chœur sexagénaires et septuagénaires, dont trois étaient absolument infirmes. Il nous fallut donc soutenir une lutte longue et pénible sur laquelle la charité nous oblige à passer rapidement.

On commença par resserrer notre clôture au point qu'elle devint presque impossible à garder. On nous reprit des bois fort étendus, deux prairies et beaucoup d'autres champs. Etonnées et surprises d'une telle conduite, nous demandâmes pourquoi on nous dépouillait de ces propriétés que tant de fois on nous avait dit nous appartenir. Il nous fut répondu que la donation régulière, d'après les conventions, ne devait être faite qu'après deux ans de fondation, que, par conséquent, rien n'était à nous.

Nous avions ignoré cette condition, que rien n'eût pu nous faire accepter. Notre trop grande simplicité nous avait fait croire que notre brillante installation nous mettait en possession de tous les biens acquis par le fondateur. Celui-ci ayant toujours refusé de se faire connaître, nous n'avions traité qu'avec Messieurs les Vicaires capitulaires que la mort nous enleva trop tôt. Ils ne purent ainsi soutenir les promesses qu'ils nous avaient faites. Nous apprîmes qu'en affaires importantes, les écrits bien en règle sont indispensables ».

Les Sœurs vécurent avec beaucoup de peine jusqu'à la mort de l'une d'elles qui possédait un revenu de trois mille francs. Après ce décès, elles durent exposer leurs graves difficultés à Mgr de Beausset. Ce prélat, mal renseigné, leur témoigna un vif mécontentement. Il demanda cependant l'autorisation au gouvernement. Mais le fondateur n'ayant pas voulu se dessaisir de sa propriété, le Ministre des Cultes refusa. Les Sœurs durent se disperser dans les différentes maisons de l'Institut alors reconstituées. Quatre allèrent aider à la fondation de Saint-Brieuc. Elles y arrivèrent, le 25 octobre 1811.

Les Sœurs avaient certainement raison de ne point vouloir changer la fin de leur Institut. Espérons que, tôt ou tard, une Œuvre que les temps modernes et surtout le militarisme qui a envahi Vannes, rendent si utile, sera reprise avec plus de succès. Les victimes de l'immoralité s'y multiplient chaque jour, et elles sont d'autant plus à plaindre que leur foi est plus vive. Leur première éducation ayant été chrétienne, leur conversion serait plus facile et offrirait de plus grandes chances de persévérance.

(Joseph-Marie Ory).

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