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DE SAINT TUDUAL AUX INVASIONS NORMANDE, ANGLAISE ET ESPAGNOLE

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DE SAINT TUDUAL A L'INVASION NORMANDE — INVASION NORMANDE — INVASION ANGLAISE, CLISSON A TRÉGUIER, VŒU DE JEAN V A SAINT YVES — LA LIGUE A TREGUIER, INVASION ESPAGNOLE.

§ 1er. — DE SAINT TUDUAL A L'INVASION NORMANDE.
Tréguier, depuis saint Tudual, son fondateur, jusqu'à la Révolution française et au Concordat qui supprima son évêché pour le rattacher à celui de Saint-Brieuc, a été, au point de vue historique, une ville exclusivement épiscopale et son histoire se trouve intimement liée à celle de ses évêques. Pour tout ce qui concerne l'histoire ecclésiastique, nous renvoyons le lecteur à une étude sur les villes de Bretagne, faite par M. l'abbé Onfroy-Kermoalquin et publiée en 1847, pour ne relater ici que les faits qui ont donné à Tréguier une certaine notoriété.

La ville de Tréguier fut toujours une ville de paix et non de guerre, car non seulement elle n'a jamais eu de remparts ni fortifications d'aucune sorte, à part la fortification provisone normande dont il sera ci-après parlé, mais au contraire, était entourée d'une enceinte de protection comportant un droit d'asile, connu en breton sous le nom de Minihy (menarc'h ti, maison des moines). Cette enceinte existait à l'entour de tous les monastères et le droit d'asile qui y était attaché était tel que lorsque l'auteur d'un délit quelconque s'y réfugiait, il ne relevait plus que de la justice épiscopale et échappait à toute autre juridiction. Cette enceinte même a survécu à toutes les modifications territoriales et forme encore aujourd'hui la commune dite Minihy-Tréguier et il est à remarquer, à ce sujet, que Tréguier justifie doublement son appellation de Trécor ou Tric'horn par ses 3 rivières et aussi par sa situation topographique, c'est un vrai triangle dont les côtés sont formés par le Jaudi, le Guindi et la commune de Minihy.

Saint Tudual fut le premier évêque du pays trécorrois et M. de la Borderie, dans son Histoire de Bretagne relate ainsi qu'il suit son élévation à l'épiscopat :

« En 540, Iona, fils de Deroch, roi de la Domnonée, mourut d'un accident de chasse, laissant comme héritier un jeune fils de 6 ans, nommé Judual, issu de son union avec une princesse de Cornouaille, fille de Budic. On accusa de cette mort, sans que le fait ait été démontré, Conomor, comte du pays de Carhaix, préfet de Childebert, roi des Francs. Quoiqu'il en fut, ce dernier épousa la veuve d'Iona et devint régent de la Domnonée.

Conomor voulant s'emparer du pouvoir et ayant menacé de mort son pupille, le jeune Judual, à l'instigation de sa mère, se réfugia à la cour du roi Childebert.

A partir de ce moment, les Domnonéens tinrent en suspicion Comodor, lequel sentant cette hostilité s'accroître de jour en jour voulut prendre l'offensive et intimider ses ennemis. Craignant l'influence et la popularité de saint Tudual, devenu chef de la famille royale de Riwal et le seul membre de la dynastie resté en Domnonée et ne voulant ou n'osant pas l'attaquer ouvertement, il chargea un de ses confidents nommé Ruz d'ameuter tout le pays de Trécor contre saint Tudual. Ruz réussit si bien dans sa mission que saint Tudual voyant l'état de trouble et de misères causé à ses églises et à ses religieux, crut devoir quitter le val Trécor pour apaiser la persécution dirigée contre lui, dont ses compagnons étaient les premières victimes et se rendit par la forêt de Brécilien, dans le pays de Vannes, où il rencontra Saint Aubin, autrement appelé Albinus, venetais d'origine et alors évêque d'Angers, qui lui offrit l'hospitalité dans sa ville épiscopale.

Pendant, son séjour à Angers, Tudual se décida à aller jusqu'à Paris demander la protection du roi Childebert, suzerain, comme nous l'avons dit plus haut, du pays armoricain et fut accompagné dans cette démarche par saint Aubin sur l'offre à lui faite par ce dernier, offre d'autant plus précieuse que saint Aubin était bien vu du roi.

Childebert reçut Tudual avec le plus grand respect et lui demanda ce qu'il désirait de lui.

« Je ne veux rien, lui répondit Tudual, qu'obtenir ton agrément pour conserver les paroisses que les comtes et nobles hommes m'ont données à moi et à mes moines venus avec moi ».

Alors le roi lui donna l'épiscopat et la prélature sur ses paroisses et le fit ordonner évêque ; il lui fit, en outre, présent d'un bloc de cristal, d'un calice d'or, de sa couronne d'or et de beaucoup de paroisses.

Tudual revint alors dans son grand monastère de Trécor et fonda dans le pays, pour ses disciples, plusieurs couvents ; il se trouvait, grâce à la faveur de Childebert, en dehors des atteintes de Conomor ».

Quand saint Tudual fut appelé à la dignité épiscopale, il fixa sa résidence dans la ville la plus rapprochée de son monastère, une vieille cité sise à l'embouchure de la rivière du Léguer (près de Lannion), nommée Coz-Ker Yaudet [Note : Le Yaudet, ainsi appelé aujourd'hui, est situé sur la rive gauche, à l'embouchure du Léguer, sur un promontoire où existent encore une ferme et une chapelle dépendant de la commune de Ploulerch (Ploulec'h)] (vieille cité Yaudet) ou Lexobie suivant quelques auteurs ; mais il n'abandonna pas pour cela son cher monastère de Trécor où il aimait, disent les actes, à se retirer de temps en temps pour se reposer de ses travaux apostoliques.

Les droits temporels que possédait saint Tudual et dans lesquels il fut confirmé, ainsi qu'on l'a vu, par le roi Childebert, furent conservés par ses successeurs et constituèrent pour ceux-ci un grand fief devenu comté par la suite.

Ces fiefs ou grandes seigneuries ecclésiastiques s'appelaient autrefois, en Bretagne, regaires, parce que les évêques qui en étaient nantis, avaient été, lors de la dotation primitive de leurs évêchés, affranchis de toutes charges féodales et avaient sur leurs seigneuries un droit franc de toute sujétion et quasi souverain, d'où cette expression fréquemment usitée dans nos actes : tenir en franc regaire.

Les évêques de Tréguier avaient la seigneurie universelle de leur ville épiscopale.

Ils avaient la haute justice dans toute l'étendue de leurs regaires et cette juridiction connue sous le nom de Cour des Regaires était de telle nature que les appels de ses sentences au civil comme au criminel se portaient directement et immédiatement au Parlement de Bretagne sans passer par aucun degré intermédiaire.

Saint Tudual voyant sa fin approcher, crut devoir désigner au choix de ses disciples comme successeur Ruellin ou Rivelin ; mais à son décès, arrivé le 30 novembre 564, des difficultés surgirent à l'occasion de la nomination de Rivelin causées par l'un des moines les plus influents du monastère de Trécor, l'archidiacre Pergat, qui briguait la succession de saint Tudual. Rivelin fut élu et devint ainsi le second évêque de Tréguier.

A l'occasion de l'élection de saint Rivelin, il est bon de faire remarquer que les évêques qui se succédèrent au pays de Trécor depuis saint Tudual jusqu'à Gorennan, c'est-à-dire jusqu'à l'invasion normande, ne furent que des abbés évêques ou des évêques régionnaires et depuis que le roi Judual eut attribué (vers l'an 555) aux évêques de Dol le gouvernement ecclésiastique de toute la Domnonée, les évêques Trécorrois ne purent être que des auxiliaires et des délégués de ceux de Dol sans avoir ni diocèse fixe ni siège en titre.

Avant de quitter le grand fondateur de Tréguier saint Tudual, il est intéressant de rappeler ici ce que devinrent quelques-uns de ses compagnons que l'on vénère dans le pays trécorrois comme des saints.

Sa mère, sainte Pompée, plus connue des Bretons sous le nom de Pompaïa ou plutôt Coupaïa, passa le reste de ses jours non loin de son fils, dans le lieu ou est aujourd'hui Langoat. Elle y fut enterrée dans l'église paroissiale dont elle est toujours la patronne et cette église, reconstruite depuis, possède encore une partie de ses reliques.

Sa sœur Sève, qui paraît avoir été la compagne fidèle de sa mère, ne reçoit pas de culte public si ce n'est à Langoat où elle est qualifiée de bienheureuse et dans la paroisse de Sainte-Sève, près de Morlaix, dont elle est la patronne. Dans l'église de cette commune, se trouvent les statues de saint Tudual et de sainte Sève et sur son territoire, une chapelle dédiée à sainte Pompée, nommée Trépompée.

Saint Ruellin ou Rivelin que saint Tudual désigna comme son successeur à l'épiscopat acquit par sa science, sa charité et ses vertus une telle réputation de sainteté que les Trécorrois reconnaissants de tout le bien qu'il leur avait fait, construisirent dans la Rue Neuve actuelle de Tréguier une chapelle sous son invocation, chapelle dont il ne reste plus trace. On se demande s'il ne fut pas le fondateur de Lan-Merin appelé en breton Lan-Vilin.

Saint Pergat, archidiacre de saint Tudual, qui aspirait à la succession de ce dernier, après s'être soumis à l'autorité de saint Rivelin, se retira dans une solitude aux environs du monastère de Trécor, où il mourut en odeur de sainteté. Le lieu où il se retira s'appelle Pouldouran, où il est vénéré comme patron de la paroisse.

Saint Kirec ou Guenvrock, chargé par saint Tudual de fonder un nouveau monastère pas loin de celui de Trécor, vint à la tête de 12 religieux s'établir sur une langue de terre s'avançant en mer près de Lanmeur, appelé alors Kerfeunten. Son nouvel établissement s'appela d'abord Lan-Guenvroch et depuis Loc-Kirec. Il ne reste plus trace depuis des siècles de ce monastère ; le nom seul a subsisté, Sur la plage de Ploumanac'h, près de Perros-Guirec, existe aussi un oratoire battu par les flots et bien connu des touristes, c'est même assez curieux ce rapprochement de noms, oratoire de saint Kirec, Perros-Kirec et Ploumanac'h (en breton, pays du moine), qui ferait supposer que saint Kirec séjourna dans ces parages.

Saint Briac, patron de Bourbriac près de Guingamp et de la paroisse qui porte son nom près Saint-Malo, fut également chargé par saint Tudual de bâtir, à la demande du roi Deroch et près de la demeure de ce dernier, c'est-à-dire au lieu même où est aujourd'hui Bourbriac, un monastère qu'il gouverna plusieurs années et où il mourut vers l'an 555. L'église de Bourbriac possède des reliques de ce saint.

Saint Loenan ou Loaven, disciple et historien de saint Tudual est honoré d'un culte public dans quelques paroisses de l'ancien diocèse de Tréguier ; il a une chapelle à Plounévez-Moëdec et à Ploulech avec une croix appelée la croix de saint Lavant devant laquelle s'arrêtent les pèlerins qui vont visiter le Yaudet. La petite île qui se trouve au bas et à l'embouchure de la rivière de Tréguier s'appelle du nom de ce saint, l'île Loaven.

Saint Goneri vécut d'abord solitaire dans la forêt de Brenguilly, auprès de Rohan, mais la renommée de ses vertus attira bientôt tant de monde à son ermitage qu'il préféra quitter le lieu de sa retraite, qui n'en était plus une, et vint se réfugier non loin de saint Tudual, à Plougrescant, où il retrouva sa mère, sainte Liboubane, menant elle aussi une vie sainte et solitaire dans une île voisine, l'île Loaven dont il est parlé plus haut. Saint Goneri mourut à Plougrescant et fut inhumé là même où se trouve édifiée une vieille et très intéressante chapelle en son nom [Note : Dans cette vieille chapelle dont une partie est très ancienne et parait remonter au VIIIème siècle on voit le beau mausolée où a été inhumé, en 1602, Monseigneur Guillaume du Hallegoët, de la maison de Kergresq, en Plougrescant, évêque de Tréguier. Devant la porte d'entrée principale se trouve aussi une vieille chaire à prêcher en granit qui doit remonter au XVème siècle]. Dans cette chapelle, on voit encore vers 1913 son sarcophage en granit qui, d'après une vieille légende, ne serait autre que le bateau dont il se servit pour traverser la Manche. Bien que le culte liturgique ait cessé depuis la Révolution, le culte populaire de saint Goneri subsiste toujours et le peuple de Plougrescant invoque non seulement le nom de saint Goneri mais aussi celui de sainte Liboubane, sa mère. Une cérémonie aussi touchante que pittoresque a lieu tous les ans à Plougrescant; ce sont les reliques de saint Goneri qu'on transporte processionnellement en bateaux à l'île Loaven où décéda sainte Liboubane, ce qui fait dire aux vieux du pays que saint Goneri va rendre visite à sa mère.

Saint Maudez ou Mandé, peu après son débarquement en Armorique, dans un port voisin de Dol, s'était rendu au monastère de Trécor ou saint Tudual l'accueillit avec bienveillance et l'admit au nombre de ses religieux. Après s'être livré avec un grand succès à la prédication, il se retira dans un ermitage situé à un endroit très isolé qu'on appelle de son nom Lan-Modez ; mais, connu de toute la contrée autant par ses prédications que par ses bienfaits, il vit bientôt accourir à lui toute la population environnante tant de Tréguier que du Goëlo. C'est alors que poussé par son attrait pour la vie solitaire et se dérobant à toutes ces marques de reconnaissance et de sympathie, il se décida à se retirer dans un lieu plus écarté et passant le bras de mer qui se trouve entre la terre ferme et l'île appelée vers 1913 l'île Maudez, bâtit dans cette île un petit oratoire [Note :  Ce petit oratoire existe toujours et est connu dans le pays sous le nom de Forn-Maudez, parce qu'il est de forme ronde comme un four] près d'une grotte qui lui servait de demeure et y termina sa sainte carrière. Dans le IXème ou le Xème siècle, des religieux bretons portèrent à Paris quelques-unes des reliques de ce saint et y bâtirent très près de Vincennes sous son invocation une chapelle qui devint dans la suite un prieuré et a donné naissance à l'importante commune actuelle de Saint-Mandé. La cathédrale de Tréguier possède des reliques de saint Maudez.

Nous voyons ainsi rayonner tout autour de Tréguier le souvenir de saint Tudual et de ceux de ses compagnons dont les noms sont parvenus jusqu'à nous, Lantreguer (saint Tudual), Lanmerin ou Lanvilin (saint Rivelin), Langoat (sainte Pompée ou Coupaïa), Lan-Guevroc, vers 1913 Loc-Kirec, Perros-Kirec et Ploumanac'h (saint Kirec ou Guenvroc), Lan-Modez et l'île Modez (saint Maudez), île Loaven (saint Loaven et sainte Liboubane), Plougrescant (saint Goneri). Pouldouran (saint Pergat) et un peu plus loin Bourbriac (saint Briac) et sainte Sève, près de Morlaix (sainte Sève).

Depuis St Tudual jusqu'à l'invasion normande dont il va être parlé, la petite ville de Tréguier s'aggrandissait peu à peu à l'ombre de son grand monastère et sans que rien ne vint la troubler, vivait tranquille et reposée sous l'autorité toute paternelle des évêques successeurs de St-Tudual.

 

§ 2. — INVASION NORMANDE.

Nous avons vu que Tréguier ne fut jamais fortifié ; d'autre part, la rivière de Tréguier avec ses affluents du Jaudi et du Guindi en communication directe avec la mer, le mettait en but et sans défense à toute espèce d'attaques de ce côté. C'est cette grande facilité d'accès par la mer qui fut cause des invasions dont nous allons parler.

Au XIème siècle, dès 835, des flottes de pirates partant du fond de la Scandinavie venaient se jeter çà et là sur les côtes de la Gaule et de la Bretagne semant partout la terreur et la mort sans qu'aucune résistance sérieuse pût s'opposer à ces attaques imprévues et soudaines. Ces invasions se répétèrent pendant plus d'un siècle et atteignirent particulièrement le littoral armoricain en 835-843-844 et 847 pour se continuer sous le commandement d'un chef redoutable nommé Hastings, à partir de 866 jusqu'en 882, époque où par suite d'un traité avec le roi de France Louis III, Hastings quitta la Bretagne suivi de ses bandes et ne revint jamais dans l'Ouest.

L'une de ces hordes normandes, dans les fréquentes descentes qu'elles firent sur les côtes armoricaines, vint avec une flotte bloquer la ville de Coz Yaudet, située comme nous l'avons vu, à l'embouchure du Léguer (près de Lannion) et siège du successeur de St Tudual et, après s'en être rendue maîtresse, la pilla et brûla, la détruisant de fond en comble. Enivrés par leur facile succès, ces pirates se ruèrent ensuite sur la grande abbaye de Trécor et les maisons groupées autour de ce monastère, c'est-à-dire Tréguier. Avant l'arrivée des Barbares à ce monastère, l'évêque Gorennan put fuir, emportant les ornements sacrés, les livres de son Eglise et le corps du grand St Tudual qu'il transporta à Chartres, en Beauce.

Pour assurer leur victoire et se défendre d'un retour offensif de la part des Bretons, les Normands laissèrent une colonie à Trécor et y construisirent un fort. La tradition a conservé le souvenir de cette invasion en donnant à une vieille tour qui existe encore au nord de la cathédrale le nom de tour d'Hastings.

Les opinions sont bien partagées au sujet de cette vieille tour. D'après M. Durand, ancien curé de Tréguier, ce serait un reste du monastère construit par St Tudual.

D'après M. de Fremenville, ce serait un monument construit par Hastings et conservé dans la nouvelle construction de l'Eglise. D'après M. Pol de Courcy, cette tour serait un reste de la cathédrale romane qui existait avant la reconstruction, commencée en 1296 par St Yves de celle actuelle. Enfin, d'après M. Jourjon, cette tour serait romane et n'est certainement pas de construction normande.

Nous nous rangeons à l'opinion de ces deux derniers auteurs d'autant plus volontiers que la fortification élevée par les Normands ne pouvait être que provisoire, et que, d'autre part, ces pillards de passage songeaient bien à détruire mais non à construire.

Mais à quelle date eut lieu cette invasion ? Nous pensons avec Albert Legrand qu'elle eut lieu lors de la 1ère venue des Normands en Bretagne, c'est-à-dire en 835, mais Hastings n'était pas alors à leur tête, car il ne prit le commandement de ces bandes qu'en 866. D'ailleurs, tous les auteurs sont d'accord pour reconnaître que cette invasion eut lieu sous l'épiscopat de Gorennan, le dernier évêque régionnaire, successeur de St Tudual ; or, cet Evêque, d'après le même Albert Legrand et suivant toutes conjonctures mourut en 836, en tous cas, avant la prise de commandement de Hastings qui n'eut lieu qu'en 866, et certainement avant le décès du roi Nominoë, arrivé en juillet 851. Lors de son avènement en 846, en effet, Nominoë attribua à l'Évêque de Tréguier un diocèse à territoire continu et à limites fixes, et appela son aumônier Gratien à ce siège resté vacant depuis la mort de Gorennan. C'est même sur la demande de Gratien que Nominoë consentit à transférer le siège de Coz Yaudet, qui n'était plus qu'une ruine, à Trécor, avec tous les privilèges y attachés. Sous l'impulsion de Gratien et de ses successeurs, la ville de Tréguier, renaissant de ses cendres, ne tarda pas à se reconstituer et à prendre une certaine importance.

 

§ 3. — INVASION ANGLAISE, CLISSON A TREGUIER - VŒU DE JEAN V A SAINT YVES.

Invasion Anglaise. — Pour n'avoir pas eu les conséquences désastreuses des invasions normande et espagnole, l'invasion anglaise ne laissa pas que de jeter un trouble profond dans le pays de Tréguier et dans Tréguier même ; mais pour l'expliquer il est nécessaire de rappeler ici aussi succinctement que possible ce qui l'amena.

Artur II, duc de Bretagne qui s'était marié deux fois, la première avec Alix de Limoges, et la deuxième avec Yolande de Dreux, avait eu du premier mariage, Jean III, qui lui succéda au Duché, Gui comte de Penthièvre qui, en mourant en 1330 ne laissa qu'une fille, et Pierre de Bretagne qui mourut jeune par suite d'accident.

Et de son second mariage, Jean de Montfort et cinq filles.

Jeanne de Penthièvre, fille de Gui, comte de Penthièvre, épousa Charles de Blois, fils de Gui de Châtillon, comte de Blois, de l'illustre maison de Châtillon alliée tant de fois à la couronne de France.

Au décès de Jean III, Charles de Blois, grâce à son mariage avec Jeanne de Penthièvre, fut considéré comme héritier du Duché de Bretagne, mais Jean de Montfort lui en contesta la succession, et cette rivalité donna naissance à cette terrible guerre dite de la succession qui dura de 1341 à 1364, année où elle se termina par la mort de Charles de Blois à la bataille d'Auray.

Le 26 septembre 1345, Jean de Montfort mourut à Hennebont, laissant pour lui succéder Jean son fils, qui devint  duc de Bretagne sous le nom de Jean IV, et continua les hostilités commencées par son père.

Dans cette guerre de succession, les Penthièvre appelèrent à leur secours les rois de France et les Montfort, les rois d'Angleterre.

Les habitants de Tréguier partageant le sentiment du peuple breton en général, qui détestait l'Anglais, prirent parti pour Charles de Blois.

Cette fidélité de Tréguier à la maison de Penthièvre, dans le comté de laquelle se trouvait d'ailleurs enclavé son territoire, amena de dures représailles de la part de Jean de Montfort et de ses puissants alliés.

En 1345, les Anglais sous les ordres de Guillaume de Bohan, duc de Northampton après s'être rendus maîtres de la Roche-Derrien, s'emparèrent de Tréguier et démolirent la plupart des Eglises de la ville et des environs. La cathédrale que l'on reconstruisait à cette époque, échappa à la désolation commune, à cause du tombeau de St-Yves que les Anglais ne regardaient qu'avec une crainte religieuse ; ils y établirent cependant un fort et y installèrent une garnison qui traita cette pauvre cité en pays conquis y commettant toutes sortes d'exactions.

En 1347, les nobles du diocèse de Tréguier et les hommes du peuple, capables de porter les armes, exaspérés par les méfaits des Anglais et aidés par un secours que leur envoya le roi de France, sous la conduite du seigneur de Craon et d'Antoine Doria, chassèrent les Anglais de Tréguier et reprirent la Roche-Derrien deux mois après la bataille où Charles de Blois y avait perdu la liberté.

Clisson à Tréguier. — Olivier de Clisson qui devint plus tard connétable de France, avait été le compagnon d'enfance de Jean IV et combattit pour lui à la bataille d'Auray ; mais à la suite d'une perfidie de ce dernier, Clisson prit parti pour la maison de Penthièvre, ce que ne lui pardonna jamais Jean IV.

Par acte du 6 janvier 1385, Jean de Penthièvre, fils aîné de Charles de Blois, alors prisonnier en Angleterre, confia à Clisson le gouvernement de tous ses biens, et en retour, Clisson offrit à Jean de Penthièvre tout à la fois le paiement de sa rançon et la main de sa fille Marguerite, double offre que le prince accepta sans hésiter.

Dans ce mariage projeté, Jean IV vit un complot à bref délai contre son trône, et tous ses soupçons et ses haines mal éteintes contre Clisson se ravivèrent.

Sur ces entrefaites, en 1386, le roi de France Charles VI, pour délivrer la Guienne et les provinces du Midi, courbées sous le joug anglais, résolut de tenter une puissante invasion en Angleterre et choisit comme chefs de cette expédition le duc de Bourgogne, son oncle, et le connétable de Clisson.

Celui-ci, en vue de cette expédition fit construire à Tréguier un grand nombre de navires et une ville en bois de 3000 pas de diamètre, qui pouvait être en peu de temps montée, dressée et reconstruite sur le sol Anglais au lieu du débarquement, formant ainsi pour l'armée française une base d'opération, et au besoin une place de refuge ; le tout avait coûté plus de 3 millions. Après avoir fait placer cette ville en bois sur des barques, Olivier de Clisson partit de Tréguier avec les sires de Rohan, de Laval, de Beaumanoir, de Dinan, de Malestroit et d'Ancenis, 500 lances et une flotte de 72 voiles, mais on était en décembre, une tempête se déchaîna pendant la traversée, et la flotte et le château firent naufrage sur les côtes de Hollande.

L'année suivante (1387), dès le printemps, Clisson songea à rassembler une nouvelle flotte, et sur la côte de Tréguier, enrôlait des hommes d'armes, frétait des navires et reparaît sa ville en bois grandement endommagée par la tempête de décembre précédent.

Jean IV, désireux d'être agréable aux Anglais et poussé par sa haine contre Clisson et la crainte que lui causaient les projets d'alliance du Connétable avec les Penthièvre, résolut de faire avorter cette nouvelle expédition. Voici ce que dit Froissart sur cet événement :

« S'avisa le duc de Bretagne d'un merveilleux avis et jeta son imagination sur ce que il feroit, dont les Anglois lui en sauroient gré, car il savoit bien que l'homme au monde que les Anglois doubtoient et hayoient le plus, c'étoit messire Olivier de Cliçon, connestable de France. Car, au voir dire, Cliçon ne faisoit jour et nuit que soutiller pour porter contraire et dommage aux Anglois, et l'armée de l'Ecluse vainement l'avoit-il jetée, avisée et commencée ; et si étoit conduiser de celle qui se fesoit à Harfleur et par Lantriguer (Tréguier). Il dit en soi-mesme que, pour complaire aux Anglois et retourner en leur grâce et à eux montrer qu'il ne faisoit pas trop grand compte de l'amour et la grâce des François, il romproit et briseroit le voyage (l'expédition de 1887), non que il dût à ses gens defendre que nul n'allât en Angleterre. Nennie, il vouloit ouvrir plus couvertement... il prendroit le connestable de France et l'occiroit ou feroit noyer. Et les Anglois lui en sauroient gré, car ils le hayoient fort ».

Comme on le voit, Jean IV voulait se défaire de Clisson et pour mettre son projet à exécution, sous prétexte de lui faire visiter le château de l'Hermine, près Vannes qu'il faisait construire, attira le connétable dans un véritable guet-apens, le retint prisonnier, et pour le remettre en liberté, l'obligea à signer le 27 juin 1387 un traité par lequel il renonçait entre autres conditions à poursuivre la délivrance du comte de Penthièvre, à administrer son apanage comme lieutenant général et à lui faire épouser sa fille Marguerite.

Ce traité mit fin aux projets de descente de Clisson en Angleterre et aux travaux qu'il faisait exécuter à cet effet à Tréguier, mais amena une nouvelle semence de guerre civile en Bretagne.

Comme conséquence, le duc Jean IV envoya à nouveau une garnison anglaise à Tréguier.

Vœu de Jean V à Saint-Yves. — Jean IV mourut au château de Nantes le 1er novembre 1399, laissant pour lui succéder son fils aîné, Pierre, nommé Jean à sa confirmation, né le 24 décembre 1389 de son 3ème mariage avec Jeanne de Navarre, lequel fut le duc Jean V.

Jean IV n'avait pas eu d'enfants de son 1er mariage avec Marguerite d'Angleterre, fille d'Edouard III, ni de son 2ème mariage avec Jeanne Holand.

Malgré les clauses du traité du 27 juin 1387 qui lui avaient été extorquées par force, Clisson, à peine en liberté, demanda et obtint l'élargissement de Jean de Penthièvre, fils de Charles de Blois, lequel, au mois de janvier 1388, épousa la fille du connétable, Marguerite de Clisson.

Cette dernière, très ambitieuse, violente et impitoyable, avait toujours rêvé le duché de Bretagne pour son mari d'abord, et après le décès de ce dernier arrivé en 1404 pour son fils aîné Olivier, comte de Penthièvre. Ses enfants et Jean V vivaient en paix et entretenaient les meilleures relations depuis le traité signé entre eux le 8 août 1410, mais cette mère tenace dans ses ambitions, déplorait cette amitié et reprochait à ses enfants de ne pas ressembler à leur père et aïeul et de ne rien faire pour recouvrer ce qui injustement leur avait été ôté (c'est-à-dire le duché de Bretagne).

En l'an 1419, ayant eu connaissance d'un différend survenu entre Jean V et le Dauphin de France (le futur Charles VII) et du grand mécontentement de ce dernier, Marguerite de Clisson crut le moment venu pour arriver à ses fins, s'offrit au prince pour le venger du duc de Bretagne, lui exposa son plan et le fit approuver par le Dauphin qui lui promit son appui. Elle s'en ouvrit à ses enfants sur lesquels elle exerçait un grand ascendant et qui, s'ils eurent des scrupules, n'en exécutèrent pas moins les ordres de leur mère. A l'instigation de celle-ci, le comte Olivier de Penthièvre vint prier le Duc de la part de sa mère et de ses frères de venir prendre quelque esbatement au château de Châteauceaux, sur la Loire, résidence habituelle de la comtesse de Penthièvre. Jean V qui, depuis 1410, n'avait avec les Penthièvre que des relations empreintes de la plus franche cordialité, se rendit sans aucune méfiance à cette invitation. En passant sur la Rivière la Divatte, petit affluent de la Loire à 2 lieues de Châteauceaux, il fut brusquement séparé d'une grande partie de sa suite et fait prisonnier. Ceci se passait le 15 février 1420 ; dès le lendemain Jeanne de France, épouse de Jean V, apprenant l'attentat commis contre son mari, convoqua son conseil et rendit une ordonnance appelant aux armes tous les Bretons. Ceux-ci, sous le commandement du comte de Porhouët, après un siège de 2 mois, se rendirent maîtres du château de Châteauceaux et délivrèrent Jean V.

Pendant sa captivité, Jean V, constamment en but aux insolences de Marguerite de Clisson et craignant non seulement pour son duché, mais pour sa vie, avait fait plusieurs vœux pour obtenir de Dieu qu'il eût la vie sauve, notamment celui de donner son pesant d'argent à St Yves pour lui élever un tombeau et une chapelle à côté dans la cathédrale de Tréguier.

Aussitôt en liberté, Jean V voulut exécuter royalement le vœu fait à St Yves. Ayant revêtu de pied en cap son armure, il se trouva peser 190 livres 7 onces, soit 380 marcs et donna un pareil poids d'argent au chapitre de Tréguier. C'est avec cette somme que fut élevé le magnifique tombeau de ce saint détruit pendant la Révolution et rétabli en 1890 sous l'heureuse inspiration de Monseigneur Bouché, évêque de Saint-Brieuc et Tréguier, ainsi qu'on le verra plus loin. Plus tard Jean V donna 200 marcs d'argent pour en couvrir tout le tombeau et faire dorer le pourtour.

 

§ 4. — TREGUIER ET LA LIGUE, INVASION ESPAGNOLE.

Avant de raconter les scènes de sang et de pillage dont fut victime Tréguier en 1589, 1590 et 1592 et pour les expliquer, remontons aux origines de la Ligue en France et en Bretagne.

La maison de Lorraine aspirait à enlever à son profit le sceptre de France aux mains débiles des Valois. D'autre part, le dernier des Valois, Henri III, alors roi de France, sans postérité, prévoyant les troubles qui pourraient naître à son décès, se préoccupait du choix et de la désignation de son successeur et songeait, à cet effet, à Henri de Bourbon, roi de Navarre, son plus proche parent ; mais il n'ignorait pas combien l'exécution de son dessein rencontrerait de difficultés. Henri de Bourbon était calviniste, le peuple français, au contraire, très attaché à la religion catholique ; il fallait s'attendre à une grande opposition de la part des grands seigneurs du royaume et particulièrement des princes de Lorraine qui s'étaient toujours fait remarquer par leur haine contre les hérétiques et occupaient alors les grandes charges du royaume, entr'autres :

Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, était gouverneur de la Bretagne.

Henri de Lorraine, duc de Guise, était gouverneur de Champagne et Brie.

Louis de Lorraine, cardinal de Guise, était archevêque de Reims.

Le duc de Guise, voulant tirer parti des craintes que les progrès du calvinisme inspiraient au monde catholique et des mécontentements que faisaient naître les projets de Henri III, fonda une ligue dont les membres, tout en semblant respecter l'autorité royale, devaient jurer obéissance à celui qui serait le chef de cette union. Cet acte ne réunit pas beaucoup de signatures et cette tentative de ligue eut peut-être échoué, mais le roi, par édit de mai 1576, eut la malencontreuse idée de donner le gouvernement de Péronne à un prince huguenot, le prince de Condé, en en dépouillant le sieur de Humières. Ce dernier, pour essayer de se maintenir à son poste contrairement aux volontés du roi, fit accroire aux habitants de sa région que la présence d'un prince hérétique à la tête d'un pays entièrement catholique aurait pour eux les conséquences les plus graves et les plus désastreuses et parvint à les effrayer si bien qu'il rédigea le 13 février 1577 et leur fit signer ou accepter un pacte appelé Sainte Ligue par lequel ils s'engageaient par serment entr'autres prescriptions, à défendre envers et contre tous l'honneur de Dieu et de la religion catholique.

Ce pacte devint par la suite un mot d'ordre pour tous ceux qui, par esprit de religion ou par haine contre la maison de France, travaillaient à faire passer l'autorité royale dans la maison de Lorraine.

Henri III, affecté et peiné d'abord de la défection des princes de Lorraine qu'il avait comblés de ses faveurs, leur voua ensuite une haine profonde, résolut de se venger et de s'en défaire et pour cela ne recula pas devant le crime.

Le vendredi 23 décembre 1588, il fit poignarder le duc de Guise au château de Blois où il résidait alors et le lendemain 24 fit également massacrer le cardinal de Guise, son frère. Non content de ces 2 meurtres, il songea aussi à se défaire du duc de Mercœur et le fit mander aux Etats généraux. Ce dernier était déjà parti pour se rendre à cette convocation quand en chemin il reçut de sa sœur, épouse de Henri III, une lettre lui disant de s'en retourner et lui donnant avis de ce qui venait de se passer pour ses cousins de Guise.

Jusqu'à ce moment, la Ligue n'avait pas pénétré en Bretagne où, d'ailleurs, l'absence de dissidence religieuse semblait enlever toute cause et tout prétexte à son intrusion, mais l'assassinat des princes de Lorraine à Blois et la tentative d'assassinat du duc de Mercœur l'y emmenèrent et elle s'y forma en 1589. Le duc de Mercœur en devint le chef et attira à sa cause la majeure partie du peuple breton qu'il gouvernait déjà depuis plusieurs années et ce, avec d'autant plus de facilité qu'à ce peuple attaché à la religion catholique et à ses traditions, on montrait d'une part le calvinisme renversant les autels et d'autre part le duc de Mercœur comme le représentant de ses anciens souverains. Le duc de Mercœur avait, en effet, épousé Marie de Luxembourg, fille et héritière de Sébastien de Luxembourg, duc de Penthièvre, du chef de sa mère, Renée de Brosse, qui portait le beau nom de Bretagne comme descendante directe de Charles de Blois.

L'assassinat de Henri III, perpétré le 1er août 1589, en appelant au trône de France un roi huguenot, jeta dans le parti de la Ligue presque tous les catholiques indécis.

Le nouveau roi n'eut bientôt plus pour soutiens en Bretagne que quelques places fortes et peu de villes lui restèrent fidèles. Au nombre de ces dernières se fit remarquer Tréguier et cette fidélité fut cause de sa ruine.

Comment expliquer cet attachement à la cause royale et aussi les agressions dont les habitants de cette ville furent l'objet de la part des paysans d'alentour, leurs coreligionnaires ? En voici l'explication.

Tréguier, à cette époque de son histoire, était considéré comme l'une des villes les plus remarquables et les plus riches de Bretagne. Son commerce était des plus florissants et son trafic s'étendait jusqu'en Angleterre, en Espagne et en Portugal.

C'était en outre un véritable centre intellectuel ; ses peintres-verriers faisaient école et les belles verrières qui décoraient les Eglises bretonnes sortaient toutes de leurs ateliers ; son imprimerie, l'une des premières établies en France depuis la découverte de Guttenberg, était renommée et en pleine prospérité : sa Psallette, fondée en 1443 dans le but de relever l'éclat des cérémonies religieuses, donnait à la jeunesse trécorroise une instruction sérieuse tout en l'initiant à la science musicale : par édit du roi Charles IX en date du 29 mars 1546, le siège royal de Lannion avait été transféré à Tréguier qui possédait déjà la cour des regaires attachée à son évêché.

Tous ces éléments réunis mettaient Tréguier en rapports constants avec Rennes et son Parlement. Or, le Parlement de Bretagne, pendant la Ligue, ne se départit pas d'un dévouement absolu au parti du Roi et de la stricte observation aux lois du royaume et au maintien de tous les privilèges attachés à la religion catholique. Plusieurs de ses membres avaient des liens de parenté à Tréguier et de grands intérêts aux environs, notamment les deux députés dont il va être parlé, le conseiller du Hallegoët, frère de l'évêque de Tréguier dont la famille possédait en Plougrescant la seigneurie de Kergresk et une grande partie du Roudour avec son moulin, et le conseiller de Kercabin, les manoirs de Kermarquer et de Kerberzon. L'évêque de Tréguier, Mgr du Hallegoët, son chapitre et tout son clergé à l'exception de 3 de ses membres prirent parti pour le Roi.

A leur imitation et à celle du Parlement de Bretagne, les habitants de Tréguier restèrent fidèles à leur foi ainsi qu'à leur Roi.

Furieux de cette opposition qui pouvait avoir une répercussion fâcheuse dans tout le pays soumis à son autorité, le duc de Mercœur, n'osant dévoiler ni son dépit ni ses secrètes ambitions, mais spéculant sur l'attachement des populations rurales à la religion catholique, fit, par ses partisans, courir le bruit que l'hérésie avait envahi la ville de Tréguier et que son gouverneur M. de Châteauneuf faisait lever des contributions sur le peuple pour entretenir la garnison de ces hérétiques.

Ces calomnies accueillies par les paysans avec un empressement où dominait plus la perspective du pillage d'une ville riche que le zèle religieux, furent la cause des affreux désordres que vont nous raconter ci-après des témoins oculaires.

Ces témoins sont :

Les conseillers au Parlement de Bretagne, Jean de Kercabin et Philippe du Hallegoët ; Claude de Kerguézay, seigneur de Kergomar, gouverneur de Guingamp ; et François de Kerguézec.

Par arrêt de la cour du Parlement de Bretagne du 12 octobre 1589, les Conseillers de Kercabin et du Hellegoët furent délégués pour visiter les populations bretonnes et les bien disposer en faveur du nouveau roi de France, Henri IV.

La relation de leur mission se trouve dans un cahier conservé aux Archives des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) et a été publiée par M. de Barthélemy dans ses Documents inédits sur la Ligue en Bretagne et dans ses Mélanges d'histoire et d'archéologie et par M. Berger de Xivrey dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes (IVème série, t. III, p. 346).

Cette relation se divise en 3 rapports.

Le 1er signé des 2 Conseillers consigne les faits du 12 8e au 13 9e 1589.
Le 2e signé de Kercabin seul relate le sac de Tréguier en 9e 1589, auquel il assista.
Et le 3e signé du Hallegoët seul, rend compte de sa mission du 13 9e 1589, jour de son départ de Tréguier au 5 avril suivant, jour de sa rentrée à Rennes.

Les dépositions faites par Claude de Kerguézay les 9-11 mai 1594 sur les pertes subies par l'évêque et les chanoines de Tréguier, et par François de Kerguézec le 7 septembre 1594 sur les préjudices éprouvés par les habitants de Tréguier par suite des guerres de la Ligue, lors des enquêtes ordonnées par le Parlement de Bretagne, se trouvent également aux Archives des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) et ont aussi été publiées par M. de Barthélemy dans ses Documents inédits sur la Ligue en Bretagne.

Nous extrayons littéralement de ces rapports et dépositions les passages suivants qui feront connaître d'une façon plus précise que tout commentaire les faits qui amenèrent la ruine et la désolation dans la cité trécorroise alors si riche et si florissante.

1° Premier rapport signé des Conseillers de Kercabin et du Hallegoet :

« L'an mil cinq centz quatre vingtz et neuf, le 12e jour d'octobre, Jan de Kercabin et Phelippes du Halegoet, conseillers du Roy en sa court de Parlement de Bretaigne establye à Rennes, scavoir faisons que suivant l'arrest donné en ladicte court ledict jour, par lequel nous aurions esté commis pour nous transporter ès villes et aultres endroictz de la province où besoign seroit, pour informer le peuple de la volunté et intention du Roy, lever les deffiances que auchuns ennemys et rebelles à sa Majesté auroinct, scubz fauses impressions et prétextes, imbu et seduict le peuple, et le reduire si faire se peuvoit par la douceur à son debvoir et obeissance, etc. Nous serions le mesme jour parlys de la ville de Rennes, en la compagnie du seigneur de Chateauneuf, lieutenant general pour le Roy en son armée de Bretaigne en l'absence de Monseigneur le prince de Dombes, accompaignés de quelques troupes de gens de guerre et acheminés à la ville de Montfort.

Et le lendemain 13e dudict moys à Ploermel, etc.

Et le 18e jour dudict moys, nous nous rendismes en la ville de Lantreguier où la garnison desdits gens de guerre dudict sr de Chateauneuf et du seigneur comte de Chemillé estoit assignés, pour laquelle entretenir, attendant que par le seneschal et aultres officiers royaulx d'icelle jurisdiction et de celle de Saint-Brieuc, la subdivision des deniers, ordonne pour ladicte garnison, sur les parrouesses desdictes jurisdictions, fust faicte et levée, etc., a quoy et aultres choses concernantes nostre commission nous aurions sejourné en ladicte ville de Lantreguier six jours, etc.

EL le 21e dudict moys, en l'audiance dudit Lantreguier, nous fismes lire et publier l'arrest portant nostre commission et par l'advis du sr de Chateauneuf, nous avons faict publier, à son de trompe, inhibicions et deffances à touttes personnes d'aller aux maisons des gentizhommes, ne aultres particuliers pour prendre prisonniers, ravager, ne faire aultre desordre, affin que touttes personnes puissent librement venir par devers nous et se remettre en l'obéissance du Roy, etc.

Et le lundi 23e jour dudict moys d'octobre, nous fismes assembler la maison de ville de Lantreguier, où, en la présence dudit sr de Chateauneuf, nous avons faict lire et publier ledict arrest portant nostre commission avec les lettres missives que mondict seigneur le Prince escrivoit ausdictz habitans, et leur avons faict entendre l'effet de teneur de la déclaration faict par nostre roy Henry quattriesme, roy de France et de Navare, à present régnant, de conserver et mainctenir tous ses subjectz en l'union de l'église catholicque, appostolicque et romaine ; de ne permettre qu'il y ayt rien innové en la discipline et police de ladicte église catholicque ; et que par l'arrest de ladicte court de l'onziesme jour de septembre dernier, à la publicquacion de ladicte declaration, inhibicions sont faites à touttes personnes de quelque qualilté et condiction quelles soint, de faire en toutte ceste province en public ni en particulier aultre exercice que de ladicte religion catholicque, appostolicque et romaine, qui doibt lever touttes les mauvaises impressions que les ennemys et rebelles auroinct, soubz le pretxte de ladicte religion, taché par leurs artifices, praticques, d'imprimer à auchuns mal informés de l'intention de sadicte Majesté, pour troubler l'estat et repos de ceste province ; et que lesdicts habitans de Lantreguier, s'estans jusques à presant maintenus en leur debvoir et fidellité, et continuans, sadicte Majesté en recognoistra et gratifiera à touttes les occasions qui se presenteront propres pour leur bien, advancement et augmentation de leur ville. A quoy lesdictz habitans unanimement nous auroinct dit qu'ils estoient très humbles et très obéissans subjectz et serviteurs du Roy, et qu'ilz employront leurs vies et moiens pour luy rendre la fidellité, services et obéissance qu'ilz doibvent à leur souverain et naturel prince : ce qu'ilz auroient juré et promis en général et particulier ; s'asseurans que sa Majesté, suilvant sa déclaration, les conservera en leur dicte religion catholicque, appostolicque et romaine, sans permettre qu'il soit auchunenient contrevenu, altéré ne change aux statuts ny pollice d'icelle ; et ont tous cryé et souvant repetté à haulte voix, avecq applaudissement et allegresse : Vive le Roy.

Et le mardy 24e jour dudict moys, etc.

Voeiants que tant les habitants de Morlaix que des eveschés de Léon et Cornouaille et ville de Guingamp et les communes desdictz eveschés et jurisdictions se levaient en armes pour se joindre aux forces que, après la prise de Chateauneuf, ledict duc de Mercure faisoit acheminer devers Lantreguier ; et que n'avions forces bastantes pour les empescher et réduire à leur debvoir : aussy que par douceur nous n'y pouvions rien gaigner, voullant éviter la ruine dudict Lantreguier, et de tout le pays bas de ceste province, séparer et divertir les forces dudict duc de Merceur, et empescher la révolte desdictes communes, ledict sr de Chateauneuf auroit accordé une sourséance d'armes et de tous actes d'hostilité, jusques au premier jour de mars, etc.

Et pensans qu'au moyen d'icelle (sourséance), les rebelles eussent esté retenus d'attenter auchune chose et de courir sur les bons serviteurs du Roy et que n'avions ailleurs auchune retraicte, nous serions retournés au dict Lantreguier où nous aurions dressé ung brief discours de l'estat de ceste province, pour le représenter au Roy et le supplier d'y envoyer des forces pour la conserver, réduire les rebelles et mainctenir les bons et fidelles subjectz, nous dict du Halegoët, aurions esté avec le sr du Liscouet depputés pour aller trouver sa Majesté. Et pour cest effect, aians eu advis qu'elle estoit en la ville de Dieppe en Normandye ou aux envyrons, et que par terre les passaiges estoint occupés par les rebelles, nous nous serions embarqués au havre dudict Lantreguier le lundy treiziesme jour dudict mois de novembre, et nous J. de Kercabin serions demeurés audict Lantreguier avec lesdictz sr de Chateauneuf et comte de Chemillé et gens de guerres de leurs compagnies. Ainsi signé : DE KERCABIN et DU HALGOUET ».

2° Deuxième rapport, signé de Kercabin seul :

Ce Conseiller rapporteur, après avoir relaté les accusations que l'on faisait répandre d'introduction de l'hérésie et de levée d'impôts à Tréguier, ajoute :

« Et combien que lesd. faits estoient tréfaux et calomnieux, que la messe et service divin se continuoit en lad. ville et aux envyrons comme de coustume et que ontiques il n'a esté faict aultre exercice que de la religion catholicque, appostolicque et romaine, et que il n'a esté levé sur le peuple ung seul denier pour lad. garnison, ce néantmoins les artifices des ennemys et ses agents eurent telle force, que led. sr de Chateauneuf et ceux qui l'avoient accompagné et suivy en lad. ville de Lantreguier furent rendus sy odieux que de sept à huict lieues des envyrons le peuple fut esmeu et les parouesses assemblées à son de toquesain, pour courir sus à lad. ville de Lantreguier, laquelle fust led. jour de mardy 14e de novembre, envyron midy, investie par le peuple estant en armes du costé vers le ponant (Plouguiel).

Nous estans avec led. sr de Chateauneuf, comte de Chemillé et aultres, sur la grève ud. Lantreguier, vismes vers le levant grant nombre d'hommes que l'on disoit estre de l'isle de Brehat et des parouesses de Trédarzou, Ploermur, Pleudaniel, Pleubihan, Lanmodez et autres parouesses d'entre les deux passaiges de Gouellon et de Tréguier ; et d'arrivée lesd. assiègeans tirèrent plusieurs harquebusades et mousquects vers la ville, ce qui donna courage auxd, parouessiens de Plouegniel, Plougrescant et autres dud. costé du ponant, de retourner encores à leurs cloches et a battre le toquesain toutte la nuict ; et le lendemain 15e dud moys, avant les 8 heures, lad. ville estoit investye de tous costez de plus de 12,000 paisans soubztenus et conduilz par auchuns gentilzhommes et capitaines des parouesses de dessus le pays tenans le party des rebelles ; et des la mesme heure n'eust moien d'entrer ni sortir de lad. ville sans se mettre en grand danger d'estre massacré...

Lesd. rebelles, agents de l'ennemy, se voeians fors desd. paisans, envoyerent querir des gens de guerre à Guingamp, et ce pendant firent rompre par lesd. paisans les moulins de monsieur l'evesque de Lantreguier et tirer les bateaux à terre pour empescher que personne se retirast de lad. ville ».

Mais l'auteur du récit nous apprend que le gouverneur put profiter d'un brouillard pour se retirer par mer, en s'embarquant avec les principaux gentilshommes de sa suite :

« Et demeurasmes, ajoute-t-il, aud. Lantreguier avecques quelque nombre de gentilzhommes des compagnies desd. seigneur de Chasteauneuf et comte de Chemillé ».

Ce témoin oculaire raconte ensuite comment le lendemain, 17 novembre, le nombre des assaillants augmentant sans cesse, un assaut général par mer et par terre est donné à la ville vers les 2 heures de l'après-midi :

« Et si tost on void, continue-t-il, que l'ennemy avoit gagné la ville par plusieurs endroicts, par le derrière des maisons de manière que les nostres n'ayans moyen de combattre ne sur les barricades, ne sur les advenues, furent contrains de se retirer dans la grande église, qu'ilz avoient baricquadée, et furent au moins jusques sur les six heures du soir, que les jardins de la maison episcopales, en laquelle nous estions retirés avec plusieurs notables personnages, tant le l'église que la noblesse, officiers du Roy et les damoiselles et honnestes femmes de la ville, furent par le derrière gaignés par les paisans, lesquels s'efforcèrent de rompre lad. maison episcopalle pour entrer sur nous.

Ce que voeians, et qu'il n'y avoit plus moyen de resister a si grand nombre d'hommes, que nous n'eussions este forcés d'un cousté ou d'aultre, lesd. gens de guerre entrèrent en capitulation, par laquelle lad. ville fust rendue auxd. rebelles, à la charge que l'église dud. Lantreguier et l'honneur des femmes seroient conservées, et que les gens de guerre qui estoient en lad. ville pour le Roy se retireroient avecq l'espée et chascun unq courtault. Ce que ne fust entretenue ; car lad. eglise fust ravagée jusques à rompre et forcer l'armoire du sainct sacrement du precieulx corps de nostre Seigneur Jesus-Christ, qui fust trouvé sur l’haustel, la custode vollée et emportée ; et une tombe enlevée, qui estoit dans la chapelle de sainct Yves ; tourné et enlevé le vestiaire ou estoient les ournements et, tresors de l'église et relicques des saincts, lesd. ournements, plusieurs coffres appartenans tant à l'église que à plusieurs particulliers gentilshommes du pays, qui estoient réfugiés aud. Lantreguier et qui y avoient apporté les lectres, tiltres et enseignements de leurs maisons et leurs plus precieulx meubles et joiaux, comme avoient aussy faict plusieurs particulliers de lad. ville, tous lesquels biens, lectres et tiltres furent vollés et ravaigés, et les coffres ou ilz estoient rompus et brisés ».

« Et continua led. sac et ravage de lad. ville jusque au mercredy 22e jour dudict moys de novembre, de manière que l'église mesme, contre la capitulation, fut polluée, pillée et ravaigée, jusques aux robes el manteaux des pauvres prebstres, et fut le service divin discontinué quelques jours en ladicte église, laquelle estoit auparavant la mieux entretenue et servie de tout le pays. La plus part des gentilshommes réfugiés et habitans de ladicte ville furent pris, les uns mys a rançon et aultres menés prisonniers ; mons. l'évesque dud. Lantreguier, qui estoit aux champs lorsque lad. ville fust investie, se sauva par la mer. Ladicte ville estoit l'une des propres et riches villes de tout le pays ; et pour la seurté que on y pensoit estre, la plus part des gentilshommes et femmes de maison qui tenoient le party du Roy y avoient retirez tous leurs moyens, qui ont estez perdus et ravagés, à l'estimation de 300,000 escus ».

3. Troisième rapport signé de du Hallegoet seul :

Dans ce 3ème rapport le Conseiller du Hallegoet raconte les péripéties de son voyage et les démarches faites par lui pour envoyer des secours et des forces à la garnison de Tréguier, que, raconte-t-il :

« Prevoyons n'estre à la longue bastantes pour resister à celles que le duc de Mercur avoit aux champs et communes qui de crainte au desir de piller ladicte ville et aultres de l'obéissance du Roy, commencèrent deslors ue notre parlement à s'esbranler, s'assembler, etc. ».

Il parle ensuite de sa vaine tentative de retour à Tréguier, de son arrivée à Granville où il trouva, dit-il :

« Mons. l'evesque de Lantregguier, nostre frère, le sr de Kerbeulven, le prieur de Kermaria, chanouene dudict Lantreguier, noz cousins, qui se y estoinct, sauvés du sac et ravage dudict Lantreguier, et (fut) par eulx particulièrement informé de la perte faicte de leurs biens et des notres audict Lantreguier, prinse (prise) du sr du Bourblanc, nostre gendre et aultres informés de nostre famille ».

4. Déposition de Claude de Kerguésay :

De cette déposition qui a surtout trait aux pertes subies par l'évêque et les chanoines de Tréguier par suite des guerres de la Ligue nous ne retenons que les passages suivants :

« Deppose cognoistre led. sieur evesque et la pluspart des chanoynes suppots et ecclesiastiques de Lantreguier, lesquels dès le commancement des presants troubles se sont tous continuellement montrés fort bien zellés et affectionnés au service du Roy, autrement que le scholastique, de Tréguier, l'archidiacre de Plouegastel et le docteur theologal dudict Lantreguier, ayant continué et faict leur debvoir en la célébration du divin office en leur esglise cathedralle, où la pluspart d'eulx ont demeuré et residé, quelques enuys, ravaiges et pertes qu'ilz ayent souffertz par les ennemys et rebelles à sa Majesté, qui les auroinct quatre ou cinq foys ravaigés et ruinés tant par l'emport qu'ilz ont faict de leurs meubles, les acoutrementz, provisions, que mesme des relicques, ornementz d'esglise et brullementz de la pluspart de lad. ville de Lantreguier, laquelle est tellement à présent ruinée qu'à peine lesd. ecclésiastiques y peuvent demeurer, ayantz par mesme et par les incursions des gens de guerre d'un party et d'aultre, en grande diminution en leur revenu, ainsin que ce parlant à nottoirement entendu, de sorte que lesd. ecclesiastiques à peine se peuvent nourir et entretenir les maisons leur restées apprès ledict brulement, etc.

Aussy deppose le parlant que led. sieur esvecque et missire Philippe du Hallegoet, son cousin, l'un desd. chanoynes, pour avoir esté bien affectionnés au service de sad. Majesté et menacés particulièrement par lesd. ennemys, furent contrainctz, lors du premier et grand ravaige dud. Lantreguier, au moys de novembre mil cincq cents quatre vingtz neuff, se mettre sur mer, abandonnans et laissans ausd. ennemys toutz leurs biens, lettres et meubles et se randre à Granville, pays de Normandie où ilz se tindrent refugiez par le temps de saize moys, et depuis au chasteau de Tonquedec, et en ceste ville de Guingamp depuis qu'elle est rendu en l'obéissance de sad. Majesté où ilz sont encorres ».

5. Déposition de François de Kerguézec, au sujet des préjudices éprouvés par les habitants de Tréguier pendant la Ligue.

Nous donnons cette déposition in extenso, car outre qu'elle revêt un caractère tout à fait local, elle résume de façon claire et succincte les désastres dont Tréguier eut tant à souffrir pendant la Ligue, notamment celui du 17 août 1592.

« 1594. 9 septembre. Nobles homes François de Kerguezec, sieur de Kerguezec-Kadern, etc., demeurant en son manoir du Kerguezec, demy quart de lieue près la ville de Lantreguier [Note : Ce manoir existe encore dans la commune de Trédarzec et est occupé par un fermier], aagé de quarente et deux ans ou environ, tesmoign jure dire véritté, purge de conseil, sollicitation et advertissement, et enquis : deppose cognoistre la ville de Lantreguier et habitants dicelle plus de vingt et cincq ans, soit pour estre, demeurant à ladicte distance près dudict Lantreguier et que en l'an mil cincq cents quatre vingt et neuff, environ Pasques, les ennemys du feu roy et du roy apresant regnant se disant de la Ligue, prendrent les armes contre leurs auctorite en ce pays et duché de Bretaigne, ausquels les habitants dudict Lantreguier s'opposerent de prime face et firent tel debvoir, qu'ilz repoussèrent par plusieurs foys lesd. ennemys comme à la Rochederien, Pontrieu, Runan, plusieurs aultres lieux et empescherent qu'ils n'eurent aucun avantaige en l'estendue du plat pais en l'évesché de Tréguier... au moys de novembre audict an auquel temps le duc de, Mercœur ayant faict pratiquer sous main les paysants pour les mennées de quelques prescheurs, fist entrer forces gents de guerre en l'évesché dudit Tréguier, affin de faire prandre ladicte ville de Lantreguier, voire en sy grand nombre que le seigneur de Chasteauneuff l'un des lieutenants generaulx pour le Roy en ce pays, estant en ladicte ville avecq ses trouppes, fut contraint de se sauver par mer et aller à l'isle de Grenessay, laissant ladicte ville desgarnye de gens de guerre, fors quelques uns conduicts par le capitaine Sacbrouette lesquels et ensemble lesdicts habitants furents assailliz en leur ville, le dix septième jour du moys de novembre audict an, par plus de quinze mil hommes, tant gents de guerre que paysans et en fin forcés, pillés, ravaigez et ranconnez tellement que, appres un long combat, ils furent contraints se retirer en ladicte eglise cathédralle dudict Lantreguier où s'estants retirez, lesd. habittants furent par composition contraints se rendre à la discretion des gens de guerre, le dix huictiesme jour dudict moys de novembre, lesquels les ranczonnèrent de recheff, en emmenerent plusieurs prisonniers particulliers au chasteau de Nantes, dont y a encorres un nomé le sieur de Kerson, auquel on demande unne grande et excessive ranson ; et depuis lesdicts habitants, au prochain printemps appres, ayant ttrouvé moyen de recourir aux armes se misrent aux champs pour le service du Roy à la suilte du sieur de Kergomar, où ils se trouvèrent en plusieurs combats comme des paroesses de Langoat, Ploueguiel, Plestin et pres des villes de Penpoul, Benic, où il en mourut plusieurs diceulx, la victoire touttefoys demeurante aux serviteurs du Roy, tellement qu'en hayne de ce, ledict duc de Mercœur fist par le capitaine Kerousy de recheff piller et ravaiger ladicte ville le huictiesme jour d'aoust an mil cinq cents quatre vingt dix ; et depuis ledict duc de Mercœur voyant que lesd. habitants ne voulloint aucumment se soubzmettre à sa vollonté et qu'il estoict frustré de son oppinion de plus jouir dudict pays à cause de la prinse de Guingamp où ils s'estoint employez de tout leur pouvoir, led. duc conczeut telle inimistié contre lesd. habitants dudict Lantreguier que pour rasasier son cœur de vindicte il fist, le dix septiesme jour d'aoust an mil cinq cents quatre vingt douze, approcher dudict Lantreguier deux gallères et dix huict grands vaisseaulx remplis de gens de guerre, tant françois que espagnols, lesquels ayant mis pied à terre viollèrent ce qu'ils trouvèrent de femmes et filles, vollèrent et ravaigerent ce qu'ils trouvèrent de biens, tuèrent et ranczonnèrent plusieurs et en fin appres y avoir sejourné troys jours, misrent le feu en la plus part et aux plus belles maisons de lad. ville et en plusieurs maisons de gentilshommes aux environs dudict Lantreguier et entre aultres en sadicte maison du Kerguezec ; neamoins toutte dilligence que lesd. habitants firent de faire esteindre le feu que lesd. ennemys se fussent retirez, on brusla environ sept vingts maisons ou plus de fondz en comble, ce que se peult encorre voir à l'œil tellement que ladicte ville a esté un fort longtemps inhabitée et est encorre aujourd'huy, tant à cause dudict bruslement qu'à cause que la plus part desdicts habitants sont morts à la guerre au service du Roy, ce que ce tesmoign dit scavoir pour y avoir esté tousjours demeurant près ladicte ville et y avoir participé en la plus part du contenu en sa deposition ; et est son record de luy signé, ainsin signé : François de Kerguezec ».

Tréguier mit de longues années à renaître de ses cendres et à réparer ses meurtrissures sans jamais revenir à sa splendeur passée et quand Sully, ministre de Henri IV, demanda en 1606 le compte des perceptions d'octroi depuis 1599, la malheureuse cité répondit en montrant ses blessures non encore fermées, contractées au service du Roy et en produisant un état de pertes tel qu'on la laissa en paix.

Si nous nous sommes étendus sur le récit des désastres qui firent un monceau de ruines d'une des villes les plus remarquables de la Bretagne, c'est que ce récit relate un des points les plus intéressants de l'histoire de Tréguier et donne une idée de son importance à cette époque.

(Adolphe Guillou - 1913).

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