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TRÉGUIER PENDANT LA RÉVOLUTION. — SUPPRESSION DE LA PRÉVÔTÉ. — SUPPRESSION DE L'ÉVÊCHÉ. — MANDEMENT DE MGR LE MINTIER ET SON DÉPART. — AFFAIRE TAUPIN. — BATAILLON D'ETAMPES. — VENTE DES BIENS NATIONAUX.

Dès le 13 novembre 1788, la communauté de ville de Tréguier donnait mandat à son député de demander l'extension des pouvoirs du tiers et le droit pour le bas clergé de députer aux Etats. Les règlements des 24 janvier et 16 mars 1789 lui donnaient satisfaction sur ces deux points.

Dans leur réunion du 16 avril 1789, le haut clergé et la noblesse de Bretagne protestaient contre ce nouvel état de choses et se refusaient à élire des députés aux Etats généraux.

Dès cette époque, le conflit éclatait entre l'évêque de Tréguier, haut et puissant seigneur de sa ville épiscopale et la municipalité désireuse de s'affranchir de cette autorité, et ce conflit ne fit que s'accentuer par la suite.

Pour retracer l'histoire de Tréguier pendant la Révolution et vivre pour ainsi dire de la vie trécorroise à cette époque, nous avions à notre disposition les Archives départementales et municipales et les registres paroissiaux, et nous y avons largement puisé soit par nous-même, soit par l'intermédiaire de M. l'abbé Kerbrat, de Tréguier et de M. Léon Dubreuil, docteur ès-lettres.

Suppression de la Prévôté. — Par édit du roi Charles IX donné à Troyes, en Champagne, le 29 mars 1564, Tréguier avait été choisi comme siège d'une juridiction royale ; mais à la suite de sa ruine occasionnée par les guerres de la Ligue, les officiers royaux demandèrent et obtinrent le transfert de leur siège à Lannion et en compensation, une juridiction seigneuriale ou prévôté fut donnée à Tréguier ; mais cette juridiction de compensation était appelée elle-même à disparaître par le décret de l'Assemblée Nationale des 4 et 5 août 1789, qui supprimait les juridictions seigneuriales.

A cette occasion, la municipalité trécorroise prit, à la date du 20 octobre 1789, la délibération suivante que nous reproduisons en entier car elle intéresse Tréguier et son histoire :

« La suppression des juridictions seigneuriales arrêtée par l'Assemblée nationale, les 4 et 5 août, alarme l'Assemblée de la ville car la ville va subir un préjudice énorme par le fait de cette suppression si l'on n'établit à Tréguier un siège royal.

En conséquence, elle envoie une adresse à l’Assemblée nationale.

Si l'on crée un présidial ou une seule juridiction royale dans le diocèse, le siège doit être établi à Tréguier :

1. Parce que Tréguier est la première ville, la ville épiscopale ;

2. A cause de sa situation commode pour les justiciables ; la paroisse la plus reculée n'en est éloignée que de 11 lieues et les trois grandes routes qui y aboutissent en rendent l'accès très facile et très commode ;

3. On a prétendu que Lannion était plus central ; la différence est très peu sensible, et même de Lannion à Boqueho, il ya plus de 11 lieues ;

4. Autrefois la juridiction royale était originairement établie à Tréguier ; elle n'a été transférée à Lannion que parce que la ville épiscopale fut brûlée et pillée entièrement.

Deux enquêtes de 1594 et 1597 prouvent que Tréguier fut brûlé en 1589 par les gens du duc de Mercœur ; que l'évêque pour sa conservation avait été contraint d'abandonner la ville ; que les habitants se comportèrent si fidèlement que les rebelles firent descendre grand nombre d'étrangers et entre autres les galères espagnoles qui entrèrent à Tréguier le 17 août 1592 et la brûlèrent. D'après le procès-verbal du 2 septembre 1593, on brûla 140 maisons, la misère des habitants fut grande, l'Evêque et les gentilshommes se refugièrent à Guingamp.

Un arrêt de la cour, du 20 février 1593, prouve que devant la désertion des habitants, l'évêque demanda la translation de la juridiction du chapitre de Tréguier en la ville de Guingamp, et la Cour avait déjà autorisé cette tranlation : le chapitre des chanoines de Tréguier, propriétaire de cette juridiction, avec lequel l’Evêque n'avait point conféré, réclamèrent, voulant avoir la justice sur les lieux : le 20 février 1593 la Cour donna raison aux chanoines.

A cette époque, Lannion n'avait qu'une juridiction seigneuriale, les officiers royaux, à l'exemple de l'évêque, demandèrent la translation de leurs sièges : 1° parce que les guerres civiles désolèrent Tréguier ; 2° que Tréguier brûlé ne pouvait plus leur offrir logement. Ce sont les raisons qui occasionnèrent la translation du siège royal à Lannion, ville plus voisine, tandis que Guingamp est plus éloignée.

Mais cette translation fut faite à deux conditions :

1. La juridiction conserverait le nom de juridiction royale de Tréguier au siège de Lannion ;

2. Les officiers royaux viendraient deux fois par an tenir les plaids généraux de leur siège à Tréguier.

Donc, ce qui a valu à Lannion cette translation, c'est l'incendie de Tréguier ; cette cause n'existe plus, la ville est rebâtie.

II. Autres arguments :

1. La ville végète : autrefois, outre la juridiction royale (elle avait) la juridiction des traités, celle de l'amirauté, qui furent transférées à Morlaix ;

2. Il n'y a en cette ville ni industrie, ni émulation ;

3. Le fief actuel de Tréguier a cours dans 20 paroisses et 34 juridictions inférieures en relèvent féodalement.

Où trouver le local ? un auditoire, des prisons, une chapelle, une chambre particulière pour la sûreté des papiers du greffe ?

L'Assemblée indique la nouvelle maison des filles de Saint-Paul superbe vaisseau, on pourrait en faire en plus un hôtel de ville magnifique et le maire pourrait y être commodément logé ainsi que les juges.

On pourrait prendre cette maison facilement :

1. Cet ordre n'est connu que dans l'évêché de Tréguier, elle a déjà deux communautés dans Tréguier ;

2. Les religieuses ne sont pas cloîtrées, n'ont que des vœux simples ;

3. Leur nombre est petit, elles n'occupent leur maison que depuis 3 à 4 années, quoique leur nouvelle maison fut construite depuis plus de 50 ans ;

4. Leur ancienne maison était assez vaste pour les loger ;

5. Leurs institutions ne paraissent pas avoir été revêtues de lettres patentes enregistrées au parlement ;

6. Cet ordre avait paru si peu utile que Monseigneur de Lubersac avait conçu le projet de supprimer cette communauté et l'aurait effectué s'il n'avait pas été transféré à Chartres ;

7. Il y a d'ailleurs trop de communautés de filles à Tréguier, 3 (sans compter les 2 maisons des Paulines) et les 2 tiers de la ville sont possédés par la main-morte ».

La municipalité apprenant que Tréguier n'était pas du nombre des villes qui devaient avoir une juridiction royale, députa, le 9 février 1790, MM. Launay-Duportal et Labiche aîné, vers l'Assemblée nationale en les chargeant d'exposer de vive voix à ladite Assemblée les raisons qui militaient en faveur de Tréguier comme siège de cette juridiction. Ils ne réussirent pas dans leur mission et en rentrant à Tréguier, le 24 avril suivant, apprirent à leurs collègues que non seulement ils n'avaient pas obtenu une juridiction royale, mais pas même un arrondissement pour Tréguier.

Tréguier perdait donc sa prévôté et ne possédait plus que sa juridiction épiscopale qui, elle-même, devait disparaître à bref délai.

Suppression de l'Évêché. — A la date du 12 juillet 1790, parut le décret de l'Assemblée nationale sanctionné par le roi, le 24 août suivant, qui fixait la constitution du clergé. Cette constitution se divisait en 4 titres.

Le premier décidait qu'il n'y aurait qu'un diocèse par département et comme conséquence, la Bretagne ne comprenant que 5 départements, quatre de ses 9 diocèses furent supprimés : Dol, Léon, Saint-Malo et Tréguier.

Le deuxième avait trait à la nomination aux bénéfices : l'évêque ainsi que les curés devaient être choisis par les électeurs chargés d'élire les administrateurs départementaux.

Le troisième fixait le traitement des évêques, curés et vicaires.

Enfin, le titre quatrième qui traitait de la résidence, déclarait vacant tout siège épiscopal et cure dont le titulaire serait absent pendant 3 mois à compter de la notification faite aux titulaires du décret de la constitution civile par le Procureur général du Département.

Notification de ce décret fut faite le 16 novembre 1790 au chapitre de la Cathédrale de Tréguier, en présence des commissaires du district de Lannion et un chanoine lut devant ces commissaires la protestation du chapitre ; outre cette protestation, le clergé du diocèse remit une déclaration ainsi conçue :

« Nous, soussignés, Recteurs, curés et prêtres du diocèse de Tréguier, considérant que la puissance civile n'a pas le droit sans le concours de l'autorite ecclésiastique de fixer les bornes du territoire de chaque pasteur ; que, c'est à cette dernière seule qu'il appartient de donner la succession apostolique, la mission légitime et l'autorité spirituelle, nous déclarons que nous regarderons comme intrus tout ecclésiastique promu à l'épiscopat ou préposé au gouvernement spirituel d'une paroisse suivant la forme prescrite par le décret du 12 juillet dernier et que nous ne communiquerons point avec eux in divinis jusqu'à ce que cette forme n'ait été adoptée et approuvée par l'autorité de l'Eglise ».

Mandement de Mgr Le Mintier.Son départ. — Peu après l'arrêté de l'Assemblée nationale supprimant les juridictions seigneuriales, Louis XVI, à la date du 2 septembre 1789, adressa aux Évêques de France une lettre pour demander des prières publiques. A la suite de cette lettre, l'évêque de Tréguier publia, le 14 du même mois, un mandement dans lequel il crut devoir faire un tableau sinistre des maux qui menaçaient la France, tels que... les princes du sang royal en fuite... le soldat énervé... le citoyen furieux ou inquiet... le pouvoir égaré dans la multitude... la vengeance prête et appuyant déjà ses poignards sur la poitrine de ses victimes, etc.

Ce mandement jeta l'émoi dans le diocèse tout entier et particulièrement à Tréguier où plusieurs jeunes gens, poussés par quelques gentilshommes, songèrent à appuyer par une démonstration populaire la protestation du prélat.

D'autre part, les propagateurs et amis des idées nouvelles qui s'étaient groupés en association amicale sous le nom de Chambre littéraire [Note : Ce nom a survécu aux divers changements de gouvernement qui suivirent la Révolution, car je me rappelle encore qu'en 1864, le cercle installé au haut de la place du Martray sur l'emplacement de la maison actuelle de M. Kerbrat, pharmacien, s'appelait Chambre littéraire], avaient très mal accueilli ce mandement et résolurent de le déférer à l'Assemblée nationale.

Pour mieux faire connaître l'état des esprits à Tréguier, nous donnons ci-après copie des délibérations municipales prises à cette époque.

« Séance du 1er octobre 1789. M. du Goasmeur Duportail a mis sur le bureau un écrit intitulé « Déclaration de la jeunesse de la ville de Tréguier » et après avoir fait faire la lecture par le greffier, il dit :

Messieurs, depuis quelques jours la ville éprouve des rumeurs et un commencement de désordre qui s'annonce parmi les jeunes ouvriers et artisans, lesquels, au lieu de vaquer à leurs travaux, s'attroupent, s'ameutent, s'enivrent et se portent les uns et les autres à une espèce d'insurrection, sur laquelle nous ne pouvons fermer les yeux. Cet écrit tend à établir une compagnie de volontaires de jeunes gens et à détruire la milice bourgeoise. Non seulement ces jeunes ouvriers veulent méconnaître leurs officiers naturels, ils veulent encore se ranger sous l'obéissance et le commandement de certains gentilshommes qui sont évidemment les auteurs de cette fermentation populaire... de sorte que nous ne pouvons douter que la noblesse de cette ville qui n'avait eu jusqu'à présent qu'à se louer de notre modération envers elle, cherche cependant à souffler la discorde et à introduire l'anarchie parmi nous, sans avoir honte d'employer pour y parvenir, les manoeuvres les plus indignes et les plus odieuses.

Car, quoique le chevalier de Keralio ait déclaré sous son seing, ne vouloir accepter le commandement que cette jeunesse aveugle veut lui donner que moyennant l'agrément de la municipalité de Tréguier... il ne pourra jamais se disculper ni lui ni ceux de son ordre ni surtout le sieur Nouel (de Kergré) d'avoir de mauvaises intentions... il est donc question, M. M. de décider, non ce qu'il faut répondre à l'écrit de cette jeunesse désordonnée qui ne mérite point de réponse, mais à l'envy que témoigent le chevalier de Keralio, Noel de Kergré et autres d'exercer dans cette ville une autorité qui ne leur appartient point et qu'il leur sera bien inutile de tenter d'usurper ».

5 octobre 1789. Assemblée extraordinaire de M. M. les officiers municipaux avec les députés des corps et corporations des communes de cette ville. Attendu l'importance de la matière à laquelle se sont présentés M. M. les députés des villes de Morlaix, Lannion, Guingamp, Châtelaudren, Pontrieux, La Roche-Derrien, Paimpol et Guerlesquin, conformément à la prière et invitation faites aux citoyens des mêmes villes aux fins d'acte capitulaire du 1er de ce mois, et d'arrêté de la chambre de correspondance (chambre littéraire) du 2.

M. Duval de Lezandin, prévôt de Tréguier, lit son rapport concernant l'émotion des jeunes artisans de la ville, appelés à l'audience du 2 octobre, leur dessein de quitter la milice nationale pour s'enrôler sur les ordres de gentilshommes de la ville.

On appelle par le hérault Yves Le Goff, Jean Mével (Louis Mordellés absent) pour les interroger sur l'information faite contre eux.

M. de Chefdubois, l'un des membres de l'Assemblée, déclare que ledit seigneur Evêque demandait à avoir connaissance des charges et être confronté aux témoins. On arrête d'envoyer une députation vers l'Evêque, MM. Festou, Jouet (Lannion), de Chef du Bois, du Rivage Guillaume (Morlaix) se rendre au palais épiscopal...

Ces derniers ont trouvé l'Evêque dans sa chambre, assisté de de Trogoff, du Boisguesennec, de Kergré Noel, de Keralio Arthur, fils, de, l'abbé de St-Priest, de l'abbé du Portal ; ils ont invité l'Evêque à se rendre à l'hôtel de ville, l'évêque s'y refuse. L'assemblée refuse de se transporter à l'évêché, l'assemblée fait prévenir les sieurs de Trogoff, Kergré Nouel de se présenter devant elle demain pour répondre aux charges résultant des informations.

Séance du 6 octobre. — M. M. de Trogoff et Kergré (capitaine de dragons) refusent de soumettre leur conduite à la chambre littéraire, ils se soumettront seulement à leurs juges naturels. L'assemblée voulant épuiser toutes les voies de douceur avant d'employer la rigueur et regrettant l'illusion de Trogoff et de Kergré, leur enjoint encore de se rendre à l'hôtel de ville.

Ces messieurs avertis par le hérault demandent une 1/2 heure.

On interroge Trogoff, Kergré et Mordellès Yves.

Le secrétaire donne lecture des interrogatoires, informations et le tout lu et mûrement considéré.

L'assemblée a déclaré reconnaître dans le complot suggéré à quelques artisans de Tréguier de s'enrôler sur les ordres des nobles, un des pernicieux effets du mandement incendiaire de M. l'Evêque, déféré au roi et à la nation. En conséquence elle arrête qu'au soutien de ladite dénonciation, copies des charges et informations seront incessamment adressées tant à M. le Garde des sceaux qu'à l'Assemblée nationale.

Persuadée que l'absence seule du Prélat peut faire renaître la tranquilité qu'il a troublée et affaiblir la coalition suspecte qui règne entre les autres ci-devant privilégiés et lui, l'assemblée désire qu'il soit appelé devant les représentants de la nation pour rendre compte de sa conduite et y prendre l'esprit patriotique qui régénère l'empire français.

Déclare traître aux communes celui qui s'enrôlerait dans la milice nationale sous les rangs de tout gentilhomme breton et qui n'aurait pas déclaré se soumetre aux décrets de l'Assemblée nationale.

Déclare rendre responsables de tout trouble, de toute émotion populaire et de tout facheux événement qui pourrait être une suite de ceux qui ont occasionné cette assemblée, les personnes et biens de M. l'Evêque, du sieur de Kergré Nouël et de tout autre noble et ci-devant. privilégiés, exciteurs, fauteurs et complices de désordre et d'insubordination dans la ville de Tréguier.

Déclare priver Louis Mordellès, fils, Joseph, de l'honneur de porter la cocarde civique pendant trois mois. Invite tous les jeunes artisans de Tréguier à quitter la société et à se tenir en garde contre la séduction de la noblesse et du clergé.

Conformément à la décision prise dans cette dernière délibération, le dossier comprenant le mandement et toutes autres pièces à l'appui fut adressé à l'Assemblée nationale et sur le rapport du député Alquier, cette Assemblée en saisit le Tribunal chargé de juger les crimes de lèse-nation.

L'année suivante, Mgr Le Mintier fut assigné à comparaître devant le Tribunal du Châtelet ; le 7 août 1790, le Procureur du roi présenta son réquisitoire ; le 13 du même mois, l'Évêque de Tréguier était renvoyé à l'audience et le 14 septembre 1790, juste un an après la publication du mandement, les juges du Châtelet rendaient un jugement qui déchargeait Mgr Le Mintier d'accusation et le déclarait non coupable.

Dès sa rentrée à Tréguier, ce dernier essaya de résister à la poussée des évènements, mais ces évènements furent plus forts que lui et l'obligèrent à désarmer et à céder. Déféré de nouveau à l'Assemblée nationale, cette Assemblée, sur la proposition de Veillard, avocat à Saint-Lô et député, décida, le 14 février 1791, de le mander à sa barre ainsi que les évêques de Léon et de Vannes et nomma des commissaires chargés de se rendre en Bretagne et de faire arrêter les 3 prélats.

Il était trop tard. Dans la nuit même du 14 février 1791, Mgr Le Mintier, dont le diocèse n'existait plus et dont la situation était devenue impossible à Tréguier, sortait par la petite porte au bas du bois de l'Evêché, atteignait le pont Saint-François, allait sans encombre jusqu'au château de Boisriou, près de Trélévern, où il s'embarquait pour l'île de Jersey, emmenant avec lui un seul serviteur, son valet de chambre Taupin.

Affaire Taupin. — Nous arrivons à cette période sanglante et néfaste de la Révolution française, la Terreur que tout être humain doit réprouver, à quelque parti qu'il appartienne. Tréguier que son isolement et son peu d'importance auraient dû éloigner de ces grandes convulsions politiques fut cependant une des rares petites villes de Bretagne qui en subirent le contre-coup funeste et le 4 mai 1794 (15 floréal an II), marquera dans ses annales le jour le plus sinistre de son histoire, car la terreur y régna en souveraine maîtresse.

Dès le matin, l'échafaud révolutionnaire se dressait au bas de la place du Martrait ; à 9 heures, une femme, Mme Taupin, sortait de sa prison et était emmenée au supplice ; à 2 heures, la Cathédrale qui venait d'être désignée (ironie du sort) comme temple de la Raison, était mise à sac et ce superbe monument subissait des déprédations auxquelles celles des Anglais au XIVème siècle et des Espagnols au XVIème, ne sont pas à comparer ; les soldats du bataillon d'Etampes casernés à Tréguier et auteurs de cette dilapidation s'emparaient des ornements sacerdotaux et après s'en être revêtus, simulant un convoi funèbre, parcouraient les rues et s'arrêtaient sur cette place du Martrait, pour ainsi dire encore fumante du sang de MM. Taupin ; la municipalité était impuissante à arrêter toutes ces orgies et toutes ces fureurs : « la ville était dans la stupeur, les maisons fermées, les volets clos comme si chacun eut craint que pénétrât dans sa maison un reflet de ce jour maudit ».

Mais n'anticipons pas, des documents authentiques tels que les délibérations de la municipalité trécorroise, les archives du greffe du tribunal de Saint-Brieuc et les registres paroissiaux vont nous révéler les évènements tels qu'ils se sont passés.

Nous avons vu que Mgr Le Mintier avait emmené dans son exil son serviteur Taupin qui était tout à la fois son intendant, son maître d'hôtel et son valet de chambre. Pierre Taupin, normand d'origine, avait quitté, pour entrer au service de l'évêque, la maison du prince de Condé ; à son départ de Tréguier il y laissait sa femme et ses cinq enfants. Mme Taupin, d'abord employée comme femme de charge au palais épiscopal, s'était vue obligée à cause des soins à donner à ses enfants, d'abandonner son service à l'Evêché et avait établi chez elle un commerce de confiserie et de liqueurs. Grâce à son intelligence, à son ordre et à son activité, son commerce était des plus prospères, mais l'émigration de son mari la laissa sans appui et en but aux tracasseries des ennemis de l'Évêque, au nombre desquels se fit surtout remarquer Le Roux Cheffdubois, qui après avoir été Procureur fiscal de l'Évêché pour les biens dépendant de la Fabrique de la Cathédrale devint un des membres les plus influents de la Chambre littéraire. D'où venait cette animosité ? Le Roux Cheffdubois voulait sans doute se faire pardonner ses accointances passées avec l'Evêque et d'après la croyance populaire, en voulait à la femme Taupin qui, belle, mais vertueuse, avait dédaigné ses faveurs. Quoi qu'il en soit, Mme Taupin se vit harcelée de toutes façons, ses meubles sont bientôt vendus comme biens d'émigré, elle se voit dénuée de toutes ressources et ce n'est que par un travail des plus ardus qu'elle arrive à nourrir ses enfants. Malgré cette existence misérable, son être tout entier est ému de pitié en voyant les prêtres non assermentés pourchassés de toutes parts et sans en craindre les conséquences, peut-être même sans les prévoir, consent à donner refuge dans sa maison à deux prêtres du pays, l'abbé Lajeat, ancien vicaire de Coatréven et de Pleubian et l'abbé Le Gall, ancien vicaire de Penvénan et de Cavan, d'abord réfugiés à Jersey et rentrés en Bretagne pour offrir aux catholiques les secours de leur ministère.

Le 29 avril 1794 (10 floréal II), parvenait à l'adresse de l'agent national de Lannion, le billet suivant :

Dénonciation civique.
« Je soussigné, Guillaume Salaün, sans culautte de la commune de Brélevenez, ayant juré de maintenir les lois de la République et en bon Republiquain, de dennoncer les abus. Je dénonse au citoyen agent national du district de Lannion que contre les sages décrets de l'Assemblée nationale, il y a des exprêtres déportés dans une maison en la ville de Tréguier près celle de la Cne veuve Le Guillarm dont Lajat fils, en est un. Lannion, le 10 floreal, l’an 2 de la République. Signé Guillaume Salaün ».

L'agent national du district de Lannion chargea aussitôt le capitaine des canonniers, Joseph Marie Cadillan, de se rendre compte du bien fondé de cette dénonciation et de faire toutes arrestations utiles. Muni de la dénonciation de Salaün et de tous pouvoirs, il part aussitôt pour Tréguier, se présente à la mairie, s'adjoint à grand peine un officier municipal, réquisitionne 20 hommes du bataillon d'Etampes et vient à la tête de sa troupe mettre le siège devant le logis qu'une étroite ruelle sépare de celui occupé par la veuve Le Guillarme, en haut de la place du Martrait. C'est là qu'habite Mme Taupin.

Au nom de la loi, les portes sont ouvertes : après bien des recherches, les abbés Lajeat et Le Gall sont découverts, appréhendés et emmenés avec Mme Taupin à la mairie où les officiers municipaux sont immédiatement convoqués mais s'abstiennent de paraître à l'exception de deux d'entre eux seulement. Après un interrogatoire sommaire, tous les trois sont enfermés au corps de garde, et dès le lendemain 1er mai, Cadillan, à la tête de 25 hommes de troupe, les transférait à Lannion où siégeait momentanément le tribunal criminel présidé par Le Roux Cheffdubois [Note : Le Roux Cheffdubois, pendant 10 ans, procureur fiscal de l'évêché, adoptant les idées nouvelles, devint président de la Chambre littéraire de Tréguier, ensuite juge au tribunal du district de Lannion et bientôt appelé à St Brieuc par le directoire des Côtes-du-Nord en qualité de juge au tribunal criminel ; il fut élu président de ce tribunal le 16 décembre 1793] et l'affaire était remise aux mains du citoyen Besné [Note : Ci-devant de la Hauteville, ancien avocat au Parlement, puis à St-Brieuc, nommé accusateur public dès la formation du tribunal criminel (Hémon, p. 34, note)], accusateur public.

Besné, après avoir pris connaissance des interrogatoires et des procès-verbaux rédigés à Tréguier, considéra l'emprisonnement des prévenus comme illégal, car la municipalité de Tréguier, sans doute intentionnellement, n'avait décerné contre eux aucun mandat d'arrêt, contrairement à l'article 4 du décret relatif à la police de sûreté générale, mais la faute fut vite réparée et leur écrou consigné dans les formes.

Dès le lendemain 2 mai, l'accusateur public rédigeait et remettait son réquisitoire à Le Roux Cheffdubois qui, après lui en avoir donné acte, renvoya au lendemain l'audience de jugement.

Le 3 mai 1794, les débats s'ouvrirent dans la grande salle occupant le rez-de-chaussée de l'auditoire, sous la présidence de Le Roux Cheffdubois ayant, comme assesseurs, les citoyens Jacques Le Bihan, Louis Garnier et Julien Le Forestier. Besné était au siège de l'accusation, assisté de Gourlay, greffier.

Après un court interrogatoire des abbés Le Gall et Lajeat, dont le sort n'était pas douteux puisque le décret du 30 vendémiaire ordonnait la mise en jugement et l'exécution dans les 24 heures de tous les ecclésiastiques insermentés qui se seraient soustraits à la déportation, Mme Taupin est appelée.

Cet interrogatoire de Mme Taupin que nous tenons à rapporter rappelle (ainsi que l'écrivait Geslin de Bourgogne) une scène des premiers martyrs devant le tribunal de quelque proconsul, même simplicité, même force et même ardeur pour obtenir la palme du triomphe.

Le président Le Roux Cheffdubois qu'elle avait connu à la cour de l'Evêque et qu'elle voyait journellement quand il habitait la place du Martrait, lui demande son nom :

« Je m'appelle Ursule Thierrier, originaire de Montfort-l'Amaury ; mon père s'appelait Jean-Baptiste Thierrier, ma mère Catherine Binet je suis âgée de 38 ans ; j'avais épousé Pierre Taupin.
— Ton mari n'est-il pas émigré ?
— Oui, il est avec Monseigneur.
— Quel est ce seigneur dont tu parles ?
— L'évêque de Tréguier.
— N'as-tu pas recelé chez toi deux prêtres ?
— Oui, Monsieur.
— Depuis quand étaient-ils chez toi ?
— Je n'ai pas précisément remarqué l'époque. Il peut y avoir un mois.
— Les connaissais-tu auparavant et à quelle intention les récelais-tu ? -— Je n'avais pas l'honneur de les connaître et je les recelais pour le bien.
— Les connaissais-tu par leurs noms et prénoms ?
— Non, Monsieur.
— As-tu dit, depuis ton arrestation que tu étais contente de mourir pour ton roi et ta religion ? Où as-tu tenu ces propos et devant qui ?
— J'avoue avoir tenu ces propos et je crois que ce fut à la municipalité, après mon arrestation.
— Persistes-tu dans les mêmes sentiments ?
— Toujours, Monsieur.
— Tu aimais donc bien ton roi ? Désirerais-tu en avoir un autre ?
— Je l'aimais comme je devais le faire et je désire en avoir un autre.
— Tu abhorres donc le régime républicain ?
— Absolument.
— Est-ce le desir de revoir ton mari qui te fait parler de la sorte ?
— Ma religion est la première et la seule cause de mon opinion.
— Tu rétablirais donc la royauté si tu pouvais le faire ?
— Je le ferais si j'en avais le pouvoir ; mais une femme n'est capable de rien »
.

On la condamna à mort ainsi que les 2 prêtres. L'exécution de ces derniers eut lieu le même jour à Lannion, sur la place de la Liberté (le Marc'hallach), ainsi que le constate un acte de leur décès dressé le 14 floréal an II de la République française, se trouvant aux archives de la mairie de Lannion.

Le jugement de condamnation ordonnait que l'exécution de la femme Taupin aurait lieu à Tréguier.

Aussitôt après l'exécution des abbés Lajeat et Le Gall, on entasse les bois de justice sur une charrette, on fait sortir de prison Mme Taupin, elle est attachée sur un cheval dont la longe est bouclée sur la charrette et pendant les 3 mortelles heures que dura le trajet de Lannion à Tréguier, elle eut devant les yeux l'instrument qui le lendemain devait lui trancher la tête. C'est horrible et il n'est pas d'expression assez forte pour stigmatiser un tel acte de barbarie.

En arrivant à Tréguier, Mme Taupin fut conduite à l'ancien couvent des soeurs Paulines (ruelle du Collège), qui servait alors de prison et après une nuit d'atroces souffrances morales faisant suite à cette affreuse journée de la veille, elle était conduite au bas de la place du Martrait où se dressait l'échafaud et y subissait le dernier supplice. Cette exécution eut lieu, comme nous l'avons vu, le dimanche 4 mai 1794, à 10 heures du matin, ainsi d'ailleurs que le constate un acte de décès dressé le 15 floréal an II, se trouvant aux archives de la mairie de Tréguier.

Comme épilogue de ce drame dont Tréguier fut le malheureux théâtre :

Les 5 enfants de M. et Mme Taupin furent recueillis par Lemoign, Pierre Leveau, Louise Gaubert, Toussaint Cassel et la veuve Faudet, remplacée plus tard par Antoine André, de Rennes, parrain de l'aînée des fillettes.

Le Roux Cheffdubois dont le nom lui venait d'une métairie achetée par ses parents, le petit Chef du Bois, située commune de Pommerit-Jaudi et détachée de la grande terre du même nom (en breton Pen-an-Coat), se rendit acquéreur à vil prix le 10 octobre 1794, de ce superbe domaine qui appartenait à l'époque de la Révolution à Guillaume Bonaventure du Breil de Rays et devint bien national par suite de l'émigration de ce dernier, et en décembre 1794, après s'être démis de ses fonctions de Président du Tribunal criminel, venait prendre possession de sa nouvelle acquisition et s'y installer.

Dans la nuit du lundi au mardi 30 et 31 mai 1796, Le Roux Cheffdubois était assassiné dans sa chambre. Le juge de paix de La Roche-Derrien, Claude Guiomar, avisé de ce meurtre par Stéphan et Le Corre, beaux-frères de Le Roux et sa servante Marguerite Le Chevanton, se rendit assisté de 2 témoins et du médecin Villeneufve, de Tréguier, à Chef du Bois et trouva, en effet, le cadavre de l'ancien Président du Tribunal criminel, étendu sur son lit et percé de 3 balles ; Le Roux avait été fusillé à bout portant et les meurtriers n'avaient commis ni vol ni dégât.

Chose singulière, le procès-verbal du magistrat constate seulement le décès avec le permis d'inhumer sans qu'aucune enquête l'ait précédé ou suivi.

Mais la rumeur publique attribua cet assassinat à Pierre Taupin et n'y vit qu'une terrible vengeance de ce dernier, avec d'autant plus de raison, que le 27 juillet suivant, Taupin paraissait à Tréguier même et se faisait délivrer sous menace, par le notaire Laveant, un acte constatant qu'il n'avait jamais émigré [Note : Voir, pour plus de détails, le récit très étudié et très impressionnant de ce terrible drame qui a paru dans le Correspondant sous la signature de M. G. Lenotre].

Bataillon d'Etampes. — Le mandement de Mgr Le Mintier, le soulèvement de la jeunesse trécorroise, le commencement d'émeute qui en fut la conséquence ainsi que la modération et la tolérance dont l'administration municipale fit preuve envers les familles d'émigrés et les prêtres non assermentés avaient attiré l'attention de l'Assemblée nationale sur Tréguier que l'on considérait en haut lieu comme un centre de réaction.

Déjà le 24 août 1792, les scellés étaient apposés chez le maire Louis-Pierre Duportal, absent, et le 29 octobre suivant on procédait à l'inventaire de ce qu'il possédait. Le 30 du même mois d'octobre, il donnait sa démission de maire datée de Paris et déposée le 7 novembre suivant à la mairie par Yves Le Bozec, son secrétaire. Le 17 janvier 1793, ses meubles étaient vendus et nous relaterons plus loin la vente de ses immeubles en 1794.

Le 18 janvier 1794 (24 nivôse II), la municipalité est avisée de l'arrivée pour le 5 pluviôse (26 janvier), du bataillon d'Etampes, fort de 842 hommes. Ce bataillon était détaché du régiment du Temple formé en l'an Ier de la République par des démocrates parisiens. Il est décidé que les soldats composant ce bataillon seront logés à l'Évêché, au Collège et en cas d'insuffisance aux Ursulines.

Avant même de pénétrer dans Tréguier, en arrivant au haut et au carrefour de la côte Saint-Michel, ils renversèrent le calvaire qui s'y trouvait et dont nous avons encore vu les débris dans notre jeunesse. Mais les extraits suivants tirés des archives municipales mettront pleinement en lumière et de façon authentique le rôle néfaste joué par cette triste soldatesque à Tréguier pendant son occupation.

« 23 pluviôse 11 (11 février 1794). Bataillon d'Etampes.
L'Assemblée se plaint des soldats qui dégradent les édifices et surtout les Ursulines.

2 ventôse II (20 février 1794). Ursulines.
La municipalité se plaint encore du bataillon d'Etampes qui a brisé les autels de la chapelle, boiseries, pierres, marbres, statues.

Evêché.
Le bataillon d'Etampes dégrade également l'Evêché, le commandant a pris la chapelle pour servir de chambre de discipline. Dans cette chambre, les commissaires ont trouvé l'autel brisé ainsi que les vitres, etc.

Le cloître, lieu du détail des armes, également dégradé, les vitraux des bas-côtés de la cathédrale brisés à coup de pierre. Après avoir forcé les barres de fer servant d'appui aux vitraux, les soldats font irruption dans l'Eglise que nous tenons fermée pour éviter les dégradations.

4 ventôse 11 (22 février 1794). Arrestation des personnes suspectes.
Le citoyen Le Maire, commandant du bataillon d'Etampes, s'étant présenté à l'Assemblée, lui a fait part d'un ordre du représentant du peuple, Lassamps, daté du port de Saint-Malo, le 2 ventôse, qui l'autorise à se concerter avec les autorités constituées, à l'effet d'arrester toutes les personnes étrangères et suspectes qui pourraient vaguer sur notre commune, requiert en conséquence que la commune pour le mettre à même de prendre toutes les mesures de sûreté, lui désigne 3 corps de garde, dont un près le port, l'autre en la rive de St-François et le 3ème à l'embranchement des 2 banlieues. L'Assemblée prend la cuisine de l'Evêché pour atelier du salpêtre.

13 ventôse II (3 mars 1794). Evêché.
La municipalité s'est transportée à l'Evêché et elle se plaint d'avoir trouvé la maison grande ouverte, remplie d'ordures provenant des volontaires d'Etampes.

17 ventôse 11 (7 mars).
La municipalité, sur l'avis de Yves Goubert, chargé de l'horloge, et de Bosec, chargé de l'Eglise, s'est encore transporté dans la chapelle de l'Evêché, (salle du chapitre), transformée en salle de discipline, la municipalité a trouvé des portes défoncées, des fenêtres déplacées et jetées dans le préau du cloître, et l'escalier conduisant à l'Eglise, dans un état déplorable, rempli d'ordures.

15 floréal II (4 mai 1794).
Nous, maire, off. m., notables, commissaires nommés tant par la société populaire
[Note : Vingt habitants de Tréguier auxquels vinrent s'adjoindre le nouveau maire Le Boniec et trois autres citoyens, se disant républicains sans-culottes de Tréguier, avaient fondé une société populaire conformément au décret du 18 juillet 1791 et avaient été autorisés à prendre comme lieu de réunion l'église des Lazaristes (chapelle du séminaire)] que par la municipalité de Tréguier, certifions nous être rendus à la c. d. cathédrale à 2 heures de relevé pour assister à l'enlèvement des statues suivant l'arrêté du représentant du peuple, Le Carpentier, et l'invitation de la S. P., ou étant pour obvier à la dilapidation, nous n'avons pu arrêter le cours des dégradations commises par le bataillon d'Etampes.

Notamment dans le brisement des armoires, boiseries, stalles, balustrades, chaises, ce que voyant et ne pouvant suffire à réprimer cette dilapidation et craignant pour nos personnes, n. n. sommes retirés, après que l'un de nous a reçu des coups et rebufades.

Nonobstant nos réclamations, ils ont enlevé des ornements et promenés sur notre commune, revêtus de ces ornements, ont enfoncé la porte de la tour, ont dérangé notre horloge.

Tous ces faits ont été commis en présence du commandant et d'une grande partie des officiers ».

Enfin, les plaintes réitérées de la municipalité de Tréguier furent écoutées, car le 5 prairial (24 mai suivant), le général de division Chabot adressait au commandant de la place de Tréguier, la lettre suivante datée de Port-Saint-Malo :

« Gouvernement révolutionnaire. Vive la Montagne. Armée des Côtes-du-Nord. Liberté, égalité. Tu voudras bien, citoyen, faire passer l'ordre ci-joint au commandant du B. d'Etampes. — Tu feras sur le champ relever tous les postes qu'il occupe et prendras toutes les précautions pour accélérer son départ.
Je te préviens que je l’ai envoyé en remplacement, 300 h. des Grenadiers de Rhône et Loire.
Salut et fraternité. Signé : Chabot »
.

Et ce fut pour la population toute entière un soulagement profond que le départ de ces vandales, qui avaient mis la Cathédrale dans un tel état, que le 5 messidor (23 juin), après leur départ, l'Assemblée municipale demandait au District de l'autoriser à vendre de suite les effets qui se trouvaient dans cette église " attendu que nous ne pouvons pas, disaient-ils, y établir notre temple de la Raison, vu que les meubles et effets qu'elle renferme y sont brisés et épars ".

Vente des biens nationaux. — La nationalisation des biens de 1ère origine (biens ecclésiastiques) au profit de l'Etat et la vente de ces biens devaient forcément amener de grands changements quant à la propriété foncière dans une ville comme Tréguier qui, depuis son origine jusqu'à la Révolution n'avait, pour ainsi dire, vécu que par son Evêché et son clergé et dont la majeure partie du territoire appartenait aux établissements religieux.

La vente des biens de 2ème origine (biens d'émigrés et de déportés) fut moins importante et, d'ailleurs, une grande partie de ces immeubles ou fut rachetée par des copropriétaires ou des parents non émigrés ou fut rétrocédée peu après aux anciens propriétaires.

Il m'a paru très intéressant de faire connaître le nombre, l'emplacement et la désignation tout au moins sommaire des immeubles possédés par ces établissements religieux et lesdits émigrés dans la ville de Tréguier ainsi que leur valeur d'après les estimations des experts, la date et le prix de la vente de ces mêmes biens. Pour présenter au lecteur de façon claire et peu fatigante ces relevés toujours arides, je les ai résumés dans les deux tableaux synoptiques suivants qui donneront les renseignements essentiels sauf au lecteur, s'il le désire, à les compléter en compulsant les liasses déposées sous la série Q aux archives départementales des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) d'où ces renseignements ont été tirés.

On remarquera la grande disproportion qui existe parfois entre le montant de l'estimation et le prix d'adjudication ; je ne peux que répéter ici ce que je disais dans un précédent travail [Note : Vente des biens nationaux à Rennes (Annales de Bretagne, t. XXVI)] ; cette disproportion tenait uniquement au mode de paiement du prix stipulé au cahier des charges. En effet, suivant les modes ordonnés par les lois en vigueur, les prix étaient payables tantôt exclusivement en numéraire, tantôt partie en numéraire et le surplus en assignats ou toute autre valeur d'Etat, et enfin exclusivement en assignats, mandats territoriaux ou valeurs mortes dépréciées à l'excès [Note : Ordonnances des ministres pour fournitures faites à l'Etat, bordereaux de liquidation de la dette publique, bons de réquisitions, bons de loterie, bons des deux tiers, etc.].

Si le prix était stipulé payable en numéraire, le chiffre de vente se rapprochait généralement des chiffres d'estimation. Si, au contraire, le paiement se faisait en assignats, les prix s'élevaient à des chiffres fantastiques ; ces chiffes le deviennent encore davantage, lorsque la loi du 27 brumaire an VII (17 novembre 1898), édictée en vue de réaliser le stock considérable de biens nationaux non encore vendus et d'épuiser la masse encombrante des papiers dépréciés, n'admit en paiement des prix des maisons, moulins et usines que des bons des deux tiers et autres effets équivalents.

Prenons comme exemple les nos 50, 51, 76 du 1er tableau.

Le n° 50 (maison de la vieille mission), rue Colvestre, fut vendu moyennant un prix de 126,000 fr. qui ne représentait en numéraire que 2,394 francs.

Le n° 51 (le séminaire et ses dépendances) fut vendu 415,000 francs, qui se trouva réduit à 343,000 francs, par suite de la distraction faite d'une partie (l'aile droite) de la propriété pour le casernement de la gendarmerie. L'acquéreur ne paya réellement pour son prix d'acquisition, y compris tous intérêts dus, que 5,064 fr. 65.

Le n° 76 (la communauté des Ursulines, près de la Croix de la Mission), ainsi que nous l'avons vu, vendue 445,000 francs, ne coûta réellement comme prix à son acquéreur, que 8,455 francs.

D'autre part, les chiffres d'estimation fixés par les experts, paraissent souvent bien inférieurs à leur valeur actuelle, mais à ce moment, les experts étaient tenus de se conformer aux instructions qui leur étaient données, les estimations étaient basées sur les prix de location et à défaut de baux sur l'évaluation en revenu, et ces revenus ou prix de location étaient ensuite multipliés à des deniers imposés par la loi et variant de 8, 12, 18, 20 à 22 et même à 40 fois le revenu suivant les époques de vente. D'ailleurs, la valeur des biens à cette époque, surtout en raison de la grande quantité d'immeubles à vendre, était loin d'égaler celle qu'ils peuvent avoir vers 1913. Il n'en résulte pas moins que pour beaucoup d'entre eux, l'estimation donnée était absolument dérisoire et je n'en veux citer qu'un exemple.

Le Parc Kerac, situé sur le quai de Tréguier, contenant 23 ares 71 (n° 2 du 1er tableau), fut estimé 518 francs, vendu 550 francs. Il est évident que vers 1913 le même terrain a une valeur qui n'est pas à comparer avec ce chiffre d'estimation et, s'il était mis en vente, pourrait atteindre un prix quarante fois plus élevé et peut-être davantage.

Pour plusieurs établissements ecclésiastiques et quelques émigrés, on ne voit, dans les tableaux synoptiques, à la fin du relevé les concernant, que la désignation de l'immeuble et le chiffre d'estimation, c'est que ces immeubles n'ont pas été vendus ou que les procès-verbaux de vente ne se retrouvent pas aux archives départementales.
Dans certains procès-verbaux de vente et d'expertise, on donne aux rues et places où se trouvaient situés les biens, la dénomination qu'elles avaient pendant la Révolution. Le tableau ci-après, en mettant en regard les uns des autres les noms des rues sous la Révolution et ceux des rues actuelles, permettra au lecteur d'en établir la concordance.

Rues indiquées dans les tableaux synoptiques.

NOMS SOUS LA RÉVOLUTION — NOMS ACTUELS.
Place de la Liberté. — Place du Martrait.
Rue de la Mission. — Rue du Collège.
Rue de la Fraternité ou du Collège. — Rue Charles Le Gac.
Rue de la Révolution. — Rue Renan (de la rue Stanco au port).
Rue de l'Union. — Rue Renan (de la place du Martrait à la rue Stanco).
Rue de la République. — Rue Neuve.
Rue de la Convention. — Rue Saint-Guillaume.
Rue des Subsistances ou des Bouchers — Rue Saint-André.
Rue du Finistère ou Pavé-Neuf. — Rue Poul-Raoul.
Rue des Côtes-du-Nord. — Rue Clos-Houarn.
Rue des Ursulines. — Rue de la Croix-de-la-Mission.
Rue Kersco. — Venelle du Collège.
Rue Clos-Houarn. — Rue Clos-Houarn.
Rue Colvestre. — Rue Colvestre.
Rue Stanco. — Rue Stanco.
Rue Treuz. — Rue Treuz.
Grande rue. — Rue Renan,

Tableau des biens du Clergé et des Maisons religieuses :

 

 

 


 

(Adolphe Guillou).

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