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LES PREMIERS IMPRIMEURS ET LIBRAIRES
** DE TREGUIER ET DE MORLAIX **

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Le tome IV de la Gallia Typographica, incomparable monument d'érudition et de patient labeur édifié par M. Georges Lepreux, est tout entier consacré à la Bretagne. Dès la page initiale de ce volume, paru en 1913, l'auteur rend à notre petite patrie un hommage auquel nous ne pouvons qu'être sensibles. « En dépit, dit-il, de la réputation injuste qu'on a pu lui faire d'être peu accessible au progrès, la Bretagne compte parmi les premières provinces françaises où l'imprimerie ait été exercée ». En 1486, trente-et-un ans après l'apparition de la fameuse Bible de Gutemberg, et quatorze ans seulement après la création de la première imprimerie parisienne, notre vieux duché comptait déjà quatre localités conquises à « l'art sublime », tandis que la Normandie, sa fière et opulente voisine, n'en pouvait encore montrer aucune.

Le plus ancien matériel typographique employé chez nous semble y être venu de Flandre, par mer. Débarqué probablement à Tréguier, il fut aussitôt réparti entre trois ateliers qui s'en partagèrent les caractères, une gothique bâtarde, anguleuse et pointue offrant un type flamand bien caractérisé. Le gros œil ou corps supérieur échut à Bréhand-Loudéac. Le petit corps fut transporté à Rennes. Quant au corps moyen, il demeura à Tréguier.

C'est en décembre 1484 que parut le premier livre imprimé en Bretagne, le Trespassement Nostre-Dame, in-1 de 7 feuilles, sorti des presses de Bréhand-Loudéac, où un riche gentilhomme du canton, Jean de Rohan, seigneur du Gué-de-l'Isle entretenait à ses frais deux typographes, le maître Robin Foucquet et son ouvrier Jehan Crez. On est heureux de songer que la première moisson issue de notre sol a été un hymne à la gloire de la Sainte Vierge, souveraine et protectrice des Bretons, dont le nom béni fut le cri de guerre d'Arthur et de Duguesclin, et à qui, selon nos vieux légendaires, Hoël-le-Grand avait jadis consacré son royaume, en lui choisissant comme emblème la symbolique hermine au manteau immaculé.

Los Bibliophiles bretons ont reproduit en fac-similé, d'après l'exemplaire unique de la Bibliothèque Nationale, le poème en 355 vers octosyllabiques du Trespassement Nostre-Dame, à la suite de l'étude de M. de la Borderie sur nos incunables. Un second ouvrage sortit à Rennes, en mars 1485, des mains de Pierre Bellesculée et de son associé ou ouvrier Josses. Ce sont les Coutumes de Bretagne, c'est-à-dire le recueil de la législation civile et politique du duché. Trois mois plus tard, un troisième, les Coutumes de Bretagne encore, naissait à Tréguier, œuvre d'un maître anonyme qui n'a signé que des trois lettres Ja P. son unique production. M. Lepreux le croit d'origine flamande, mais c'était peut-être un Trégorrois modeste. « En attendant, ajoute le savant chercheur, qu'on découvre un jour son véritable nom, il faut se contenter d'admirer l'œuvre qu'il a produite, et qui est assurément, au point de vue typographique, la plus belle des premières impressions faites en Bretagne ».

La Bibliothèque municipale de Morlaix possède un exemplaire de ce rarissime incunable, dont la Bibliothèque Nationale elle-même ne conserve qu'un spécimen incomplet, exposé dans la Galerie Mazarine. On ne connaît que ces deux exemplaires. Un troisième a été décrit par Brunet, Manuel du Libraire, 5ème édition, t. I, col. 361. C'est un petit in-8° gothique au texte compact, de 320 feuillets non chiffrés et de 25 lignes à la page. La première partie, comprenant la Coutume proprement dite, se termine au folio 197 par une souscription datée du 17 mai 1485. La deuxième partie contient les Etablissements et constitutions des Ducs, et elle est datée à la souscription du 4 juin 1485. Les Coutumes de la Mer occupent les 13 derniers feuilets.

L’exemple morlaisien de ce précieux recueil, relié au moyen d’ais de bois recouverts de cuir, a, comme celui de Paris, quelques regrettables lacunes. Un de ses anciens possesseurs en a rehaussé de vermillon les lettres initiales, probablement ce Guillaume Le Jeune qui l'utilisait au XVIème siècle et qui a griffonné sur les marges de l'austère Coutumier de très curieuses confidences sentimentales en prose et en vers. Je note seulemnt ici son ex-libris, plein de bonne humeur et de fautes de français.

C'est presentz livre apartient a Guillaume Le Jeune, qui le trovera la luy renge, et je poyera le vin à la mesure de Quintin qui est bien resonable.

A l'énigmatique Ja P. de Tréguier succéda, dix ans plus tard, un nouvel imprimeur, celui-là Breton sans conteste, dont le nom : Jehan Calvez, a un franc bouquet de terroir, tout comme celui de son compagnon Euzen ou Yvon Roperz. Leur labeur commun mit au jour, en 1499, après le petit Grécisme d'Evrard de Béthune, le célèbre Catholicon, sorte de dictionnaire breton-français-latin, publié par un Trégorrois, Maître Jehan Lagadec, prêtre, natif de Plougonven près Morlaix, qui en avait emprunté le titre et le plan à la vaste encyclopédie latine de Jehan de Janua, publiée à Strasbourg vers 1466.

On ne sait de Jehan Lagadec que ce qu'il en dit lui-même dans la courte préface latine d'un manuscrit incomplet du Catholicon, daté de 1464, et conservé à la Bibliothèque Nationale. Il se qualifie de bachelier aux arts et décrets, et nous apprend qu'il a composé ce recueil pour l'utilité des pauvres clercs de Basse-Bretagne qui désirent apprendre le français et le latin. L'édition primitive de son ouvrage est aujourd'hui de la plus insigne rareté. Il n'en existe que trois exemplaires, l'un à la Bibliothèque Nationale, un autre à celle de Rennes et un autre à celle de Quimper. Ce premier et vénérable monument typographié de la langue bretonne est un petit in-folio de 106 feuillets non chiffrés, impression gothique à deux colonnes. Son titre dit en quatre lignes : Cy est le Catholicon en troys langaiyes scavoir est breton, franezoys et latin selon tordre de la b. c. d. ec. Au-dessous s'étale la marque de l'imprimeur Jehan Calvez, un cartouche pendant à un arbre feuillu, et supporté par deux griffons. Ce cartouche offre l'initiale J accompagnée d'une équerre et d'une hachette, outils qui constituent le blason parlant d'un charpentier, en breton calvez. Plus bas est le nom de I : CALVEZ. Un ex-libris latin manuscrit apposé sur l'exemplaire de Quimper nous fait connaître qu'il a été donné en 1634 au collège des Jésuites de Quimper par le seigneur de Trévigné, dont le fils Charles de Trévigné avait fait profession dans l'Ordre. Il était procureur dudit collège en 1638.

En feuilletant le Catholicon, on constate que Jehan Lagadec a beaucoup vécu à la campagne et à Morlaix, car tous les termes des métiers agricoles et nautiques lui sont familiers. Il possède également à fond le jargon scolastique et judiciaire, et il est bien de son époque par la naïveté avec laquelle, quand le cas le requiert, il use sans vergogne aucun des mots les plus rabelaisiens. Parmi une prodigieuse quantité de substantifs et d'adjectifs empruntés au français, déguisés à peine par des désinences en aff, en ant, en abl, on peut glaner maints traits intéressants, tels que ce dicton : Bec pep tra lem evel contel dac, ainsi traduit : Bec de chacun, fer agu, courte leçon aux gens médisants : cette très libre traduction de Marteze : à l'aventure, qui doit être le vrai sens de la devise des seigneurs de Kerautret en Plougoulm, et quelques vers latins passablement contournés sur Saint-Michel-en-Grève, dont Lagadec fut peut-être recteur. Le bon lexicographe n'omet point son propre patronyme : Lagadec, oeilleux, ni son pays natal : Montrolaes, Montrelaix ou Morlaix, « ville d'où est originaire l'auteur de cet opuscule, ou plutôt des environs, c'est-à-dire de la paroisse de Ploegonven ».

Par une contradiction embarrassante, l'explicit du Catholicon en attribue la paternité à « noble et vénérable maistre Auffret Quoetqueveran, en son temps chanoine de Tréguier et recteur de Ploerin près Morlaix », qui aurait « construit, compilé et intitulé » ledit ouvrage. De plus, le Trégorrois Euzen Roperz, de Kerdu, en trois vers ciselés selon les règles de la plus savante métrique bretonne, revendique aussi l'honneur d'avoir mené le Catholicon à bonne fin, « sans défaillir d'aucune manière ». A chacun de ces trois prétendants, M. de la Borderie s'est efforcé de faire justice en lui assignant son dû. « Auffret de Quoetqueveran est, assure-t-il, le principal auteur du Dictionnaire ; c'est lui qui en a eu l'idée, qui en a tracé le plan, qui a dressé la liste des mots bretons. C'est Lagadec qui a mis, sous chaque mot breton, le français et le latin correspondants. L'incipit le dit formellement : « Gallicum et latinum superaddita a magistro J. Lagadec ». Mais Lagadec et Auffret (sic) n'allèrent pas jusqu'au bout : leur œuvre commune, rédigée dès 1464, s'arrêtait au mot Pres. C'était la plus grande partie, environ les quatre cinquièmes du livre. Quand Calvez songea à l'imprimer, il fallut le terminer. Euzen Roperz s'en chargea et le continua sur le même plan jusqu'au bout... C'est lui, très probablement, qui dirigea l'édition ».

La théorie du savant historien, adoptée par M. Loth dans sa Chrestomathie bretonne, est ingénieuse et vraisemblable, et trouve une confirmation dans la généalogie de la famille Lagadec produite à la réformation de la noblesse bretonne, en 1668-71. Cette famille habitait un peu au sud du bourg de Plougonven, si connu pour sa remarquable église gothique [Note : Cette église vient malheureusement d’être incendiée dans la nuit du 2 au 3 mai 1930] et surtout son magnifique calvaire, le manoir de Mezédern, qui existe encore, avec son portail extérieur de 1554, flanqué d'une grosse tour hexagonale. D'après les dates, il semble bien que Jehan Lagadec ait été le fils cadet d'Even Lagadec ou Le Lagadec, et de sa femme Jeanne de Goasvennou, vivants en 1442. Or, le frère de Jehan Lagadec, Tugdual Lagadec, sieur de Mezédern, fils aîné des précédents, avait épousé Marie de Coëtqueveran, nièce ou plutôt sieur d'Auffray de Coëtqueveran, chanoine de Tréguier, qu'un texte de 1453 nous montre assistant cette année-là aux derniers moments de l'évêque Jean de Ploeuc. Lagadec et Coëtqueveran étaient donc alliés et contemporains. Le premier a probablement survécu au second, mais il est à peu près certain qu'ils ont collaboré ensemble, dans les conditions indiquées par M. de la Borderie, à l'élaboration du Catholicon. Quant à Euzen Roperz, on peut croire, avec M. Victor Tourneur, qu'il n'était qu'un simple ouvrier imprimeur, d'ailleurs lettré, et que son rôle s'est presque uniquement borné à la composition typographique de l'ouvrage.

On connaît encore, comme productions de l'officine de Jehan Calvez, des mandements épiscopaux imprimés en 1496, 1497, 1498, pour l'évêque de Tréguier, le Morlaisien Jean Calloët de Lanidy, prélat docte et zélé, mort en 1505 à Saint-Michel-en-Grève. Il avait confié à son imprimeur ordinaire la charge de gardien du palais épiscopal, et, dans un petit livret paru en 1511, Calvez s'intitule fièrement « portier de Monseigneur de Tréguier ». Il faut aussi citer le traité de grammaire latine de Jean Sinthem, sorti de ses presses en 1501. Il n'y a pas mis sa marque, mais il l'a timbré de l'écu plein de Bretagne, soutenu de deux lions, et l'a signé discrètement au moyen d'une pièce de vers dont les lettres initiales des treize premiers vers forment l'acrostiche IOHANNES CALVI.

Le Catholicon breton a eu une seconde édition, imprimée à Paris avant 1520. D'après le titre de l'unique exemplaire incomplet que possède la Bibliothèque Nationale, Maître Jean Corre, Trégorrois, l'aurait corrigée et revisée. Un inventaire de 1520 n'estime qu'à 15 deniers, moins d'un sou et demi, le prix de cet ouvrage qui se paierait aujourd'hui bien au-delà du poids de l'or. Enfin, une troisième édition parut en 1521, à Paris, chez un libraire d'origine léonaise, Yvon Quillevéré, qui avait sa boutique dans la rue de la Bùcherie, à l'enseigne de la Croix Noire. Elle débute par un pompeux éloge de la Bretagne, probablement composé, sous une inspiration nostalgique, par Quillevéré lui-même. En 1867, M. Le Men, archiviste du Finistère, a réimprimé, chez Corfmat à Lorient, le Catholicon de 1499, mais sous prétexte d'éviter les longueurs, il a eu la déplorable idée de mutiler ce précieux ouvrage en supprimant une partie du commentaire latin.

L'imprimerie de Jehan Calvez ne survécut pas à son propriétaire, et « l'art sublime » cessa d'être exercé pendant plus de 60 ans dans la région occidentale de l'antique Domnonée. A défaut de typographes locaux, on eut des libraires, qui vendaient à leur clientèle armoricaine des livres fabriqués à Paris et à Rouen. En 1504, deux libraires normands, Michel Angier et Richard Rogerie, venaient s'établir à Morlaix, dans la commerçante et animée Grand'Rue. Le premier, en réalité Angevin d'origine, puisque né à Denezé, avait fait son apprentissage de 1500 à 1503 chez Robert Macé, libraire de l'Université de Caen. Le second était natif d'Hudimesnil, au diocèse de Coutances. Débiter les travaux d'autrui ne suffisant pas à leur activité, Angier et Rogerie publiaient des ouvrages à leurs frais et sous leur firme commune. C'est ainsi qu'ils firent imprimer à Rouen, en 1505, une édition du fameux Traité grammatical de Jean de Garlande, in-4° de 52 feuillets en caractères gothiques. Les deux associés avaient adopté pour marque un type très breton, l'image du bon saint Yves entre le riche et le pauvre, en chaperon et robe semée de mouchetures d'hermines. Ce groupe est surmonté d'un écusson soutenu par un aigle et chargé des initiales M. R. avec la devise : Spes nostra in Domino. Au-dessous se lisent les deux noms : Michel Anger — Richart Rogerie.

Il existe encore un autre livre non daté, édité par les mêmes. C'est un Manuel de l'église de Saint-Brieuc qui porte une marque assez différente de celle décrite ci-dessus. Saint Yves a disparu, et l'aigle est devenu l'attribut principal. L'adresse morlaisienne d'Angier et Rogerie est remplacée par l'indication suivante : « Qui en vouldra avoir on en trouvera à Saint Brieu, au portail de la grant église dudit lieu ». Cet ouvrage, devenu rarissime comme le précédent, est un in-4° de 129 feuillets chiffrés, plus un calendrier de 8 feuillets, caractères gothiques, orné de deux gravures sur bois : le Christ en croix et l'Eternel sur son trône.

L'association de Michel Angier et de Richard Rogerie n'eut pas une longue durée. Homme entreprenant, de forte culture, ayant des goûts littéraires très prononcés, Angier se sentait promis à des destinées plus brillantes que celles de libraire au fond de la Grand'Rue, à Montroulez. Vers 1507, il quitta la Bretagne et revint s'installer à Caen avec Jean Macé, probablement le frère de son ancien patron. Etabli près de cet intense foyer d'études qu'était alors la florissante Université de Caen, il devint l'un des plus célèbres libraires de Normandie, appela à Caen, en 1508, le premier imprimeur de cette ville, Laurent Hostingue, et travailla avec ardeur à publier de nombreux ouvrages classiques. Plusieurs imprimeurs de Rouen et de Paris, tels que l'Allemand Kerver et le Breton Kerbriant, firent rouler leurs presses pour lui. M. Léopold Delisle a pu cataloguer 179 volumes qui portent le nom de Michel Angier, et pense qu'il est encore loin d'avoir tout retrouvé.

Quant à Richard Rogerie, moins ambitieux ou moins taillé pour la lutte que son camarade, il resta tout bonnement vivoter à Morlaix, se contentant de publier sous son nom quelques minces opuscules dont un seul paraît avoir survécu. C'est un in-4° gothique de 6 feuillets, sans date, consacré au Prestre Jehan, souverain fabuleux qu'au Moyen-Age un croyait avoir régné au centre de l'Afrique. Il se termine ainsi : Cy finent la diversité des hommes des bestes et des oyseaux qui sont en la terre du Prestre Jehan. Imprimées à Rouen pour Richard Rogerie, demourant à Mourletz. L’unique exemplaire connu appartient à la Bibliothèque de Rouen. En 1544, le vieux libraire prend part, en tête des bourgeois, manants et habitants de Morlaix, à la nomination de Jean de Kermellec, sieur de Kergoat, en qualité de capitaine du château du Taureau. Il vivait encore en 1548, ayant tenu, sur les fonts baptismaux de Saint-Mathieu, un fils de Michel Balavesne et de Geneviève Guicaznou, sieur et dame de Lannigou. Un certain Nicolas Rogerie, qui exerçait en 1559 à Morlaix la profession de copiste, peut être son fils.

Les anciens registres paroissiaux et les comptes d'églises nous révèlent aussi le nom de trois ou quatre autres libraires morlaisiens, parmi Lesquels Bernard de Leau, à qui je vais revenir. Hervé Kergren, libraire à Morlaix, vend en 1546 pour 6 livres un antiphonaire à la fabrique de Ploujean. Jean Le Louarn était libraire à Saint-Mathieu en 1577. Il eut de sa femme Perrine Pennazen plusieurs enfants dont j'ai noté les baptêmes de 1577 à 1583. Leurs parrains et marraines, tous appartenant à la notable bourgeoisie ou à la noblesse, témoignent d'un rang social assez élevé. Il y a, aux Archives du Finistère, une curieuse facture adressée en 1583 à Jean Le Louarn, par l'éditeur parisien Robert Le Fizelier, qui lui expédie une valeur de 32 sols 10 deniers de livres comprenant 3 Chemin de bien vivre, 2 Directoire des Confesseurs, 1 Concile de Trente, 1 Traité de la Noblesse et 1 Petit Guide des Pécheurs, plus un ais de papier coûtant 3 sols, et qui termine courtoisement en appelant sur son client bas-breton les meilleures bénédictions du Ciel.

La paroisse de Saint-Mathieu possédait un autre libraire, Hervé Le Botsco, ainsi qualifié dans l'acte de baptême de son fils Pierre, en 1585. Il mourut en 1594, et sa veuve Marie Moneou épousa Thomas Corre, qui continua d'exploiter le commerce du défunt. Une note apposée en 1601 sur le registre des mariages de Ploujean nous apprend que ce registre a été acheté chez Thomas Corre, libraire à Morlaix. Parvenu à l'âge d'homme, Pierre Le Botsco reprit le magasin paternel et le transmit à son fils Sébastien, lequel, marié en 1635 à Jeanne Clech, dut mal conduire sa barque et se ruiner, car je le rencontre trépassant à l'hôpital des pauvres en 1667.

Bernard de Leau, paroissien de Saint-Martin, est le plus connu des libraires morlaisiens du XVIème siècle, Je lui ai consacré en 1927 une petite notice dans le Bulletin de la Sociélé Archéologique du Finistère. Aussi n'insisterai-je pas longtemps sur son compte. Il était né hors de Bretagne, avait fait son apprentissage à Paris et possédait deux magasins, l'un à Paris, l'autre à Morlaix. Bien qu'il résidât de préférence en cette dernière ville, où il s'était marié, il devait effectuer d'assez fréquents voyages à la capitale, pour s'occuper de l'impression des ouvrages qu'il éditait, s'approvisionner de nouveautés et surveiller la marche des affaires de sa boutique parisienne, gérée par quelque facteur ou parent.

La date de 1557 est restée mémorable dans les annales de la littérature bretonne. C'est alors que Bernard de Leau publia le célèbre mystère de sainte Barbe, dont l'unique exemplaire connu, petit in-8° gothique de 88 feuillets non chiffrés, après avoir longtemps appartenu à la famille de Saint-Prix, a passé la Manche et fait aujourd'hui partie des trésors typographiques du British Muséum. Cet ouvrage fut, selon sa souscription bretonne, « imprimé à Paris pour Bernard de Leau, qui demeure à Morlaix, sur le Pont de Bourret, en l'an 1557 ». Une seconde édition parue à Morlaix chez Jean Hardouin, en 1647, répète mot pour mot la première, avec une orthographe souvent rajeunie. En comparant cette version avec une copie prise par M. de la Villemarqué sur l'exemplaire de M. de Saint Prix, M. Ernault a établi le texte de la troisième et très belle édition annotée de la Vie de Sainte Barbe qu'il a publiée en 1885 pour la Société des Bibliophiles Bretons.

On connaît encore de Bernard de Leau un petit ouvrage breton en prose, la Vie de Sainte Barbe, qu'il fit imprimer au couvent de Saint-François de Cuburien et édita en 1576. M. Ernault a publié ce texte en 1887 dans la Revue Celtique, et M. Loth en a reproduit une partie dans sa Chrestomathie bretonne. C'est un opuscule de 31 pages non chiffrées, qui existe à la Bibliothèque Nationale à l'état d'exemplaire unique. Bernard de Leau fit son testament en 1580 ; de ses deux mariages avec Plézou Robert, puis avec Amice de Quélen, veuve de Guillaume Rochcongar, il laissait plusieurs enfants qui se partagèrent roturièrement son appréciable héritage. Aucun d'eux n'embrassa la profession paternelle, et leur descendance s'est éteinte au XVIIIème siècle.

La première imprimerie créée à Morlaix n'exista pas dans l'enceinte même de cette ville, mais au monastère de Saint-François de Cuburien, de l'Ordre des Cordeliers, situé à une petite demi-lieue au Nord, sur la rive gauche de l'estuaire, en la paroisse de Saint-Martin-des-Champs, aux confins du Léon et du Trégor. Ce couvent, qui passa jusqu'à la Révolution pour le plus bel établissement franciscain de la province de Bretagne, avait été fondé en 1458 par Alain IX de Rohan, vicomte de Léon, à la lisière de sa forêt de Cuburien. Il a eu l'honneur de dominer un général à l'Ordre, en la personne de Christophe de Penfeunteniou, né en 1532 au manoir de Kermorus, paroisse du Minihy de Léon, élu en 1571 cinquante-septième général de son Ordre, puis nommé archevêque de Césarée et mort à Rome en 1595. Le P. des Cheffontaines, comme on le nommait d'ordinaire en traduisant son patronyme celtique, fut un prédicateur fameux, un théologien et un écrivain religieux remarquable. Ses biographes lui attribuent la création de l'imprimerie qui a fonctionné à Cuburien de 1570 à 1585 environ. Selon Albert Le Grand, le P. de Cheffontaines, alors prieur du couvent, aurait obtenu du roi l'autorisation d'y établir un atelier typographique pour l'impression de ses propres ouvrages. Le malheur est qu'on ne connaît aucune œuvre de lui imprimée à Cuburien. Presque toutes ont été éditées à Paris, chez Etienne Petit, Claude Frémy, Pierre Lhuillier, etc. D'autres ont paru à Lyon, Rome et Venise.

Le premier et le plus souvent cité est cette « Chrestienne confutation du Poinct d'honneur sur lequel la noblesse fonde aujourd'hui ses querelles et monomachies. Paris. 1568, où il s'attaque éloquemment à la barbare coutume des duels. Sa belle Défense de la foy de nos ancestres, habile et vigoureux plaidoyer en faveur du catholicisme, raffermit à l'époque bien des esprits ébranlés par les erreurs de Luther et de Calvin. Mais ces deux ouvrages, non plus que les traités du Mérite des Bonnes Œuvres, du Franc-Arbitre, de la Réelle présence, ne sortent point de l'imprimerie de Cuburien, et l'on se trouve en présence d'un cas fort rare sans doute dans l'histoire bibliographique, celui d'un auteur qui disposant d'un atelier et d'un matériel typographique, préfère d'aller se faire éditer ailleurs.

Les livres authentiquement sortis des presses de Cuburien sont peu nombreux et de la plus grande rareté. Je possède l'un d'eux. La Vie de Saint François (Legenda major Sanctissimi Patris Francisci, etc...), petit in-8° de 102 feuillets non chiffrés. Le titre est orné d'une gravure sur bois qui représente saint François recevant les stigmates de la Passion. Plus bas : Impressa Cuburij Anna Domini 1575. Cet ouvrage a été décrit et la beauté de son impression louée par M. de la Borderie, dans les Archives des Bibliophiles Bretons, d'après un exemplaire qui appartenait en 1881 à M. Plihon, libraire à Rennes. On peut citer encore l'Office de saint Efflam, publié en 1575, et mentionné par Albert Le Grand à la fin de sa Vie de saint Efflam, opuscule introuvable aujourd'hui ; Le Mirouer de la Mort, publié en 1575, poème breton de 3.602 vers composé en 1519 par Maître Jean Larcher le vieil (Maestr Iehan an Archer coz) prêtre de la paroisse de Plougonven. L'unique exemplaire de ce macabre ouvrage, naguère jalousement enfoui au fond de l'inaccessible bibliothèque de Kerdanet, à Lesneven, est actuellement déposé à la Bibliothèque Nationale, et l'érudit celtisant qu'est M. Ernault en a publié en 1914 une nouvelle édition enrichie d'une très intéressante préface d'une traduction française et d'abondantes notes. - La Vie de Sainte Catherine, déjà mentionnée plus haut, opuscule breton en prose imprimé en 1576 pour le libraire morlaisien Bernard de Leau. - Les Statuts et Actes du chapitre provincial de Tréguier publiés en 1585, recueil contenant les décisions du chapitre tenu par les Franciscains bretons en 1579. On n'en connaît plus que le titre.

Il se pourrait que le mystère breton de saint Guénolé, daté de 1580, eût été également imprimé à Cuburien, car c'était la seule imprimerie fonctionnant à l'époque en Basse-Bretagne. Au XVIIIème siècle, le P. Grégoire de Rostrenen et dom Louis Le Pelletier l'avaient, utilisé pour la composition de leurs dictionnaires, et le nomment au nombre des sources où ils ont puisé. Vers 1860, il en subsistait encore un exemplaire possédé comme héritage de famille par le maire de Plouézoc'h, brave paysan qui n'y entendait pas grand'chose, et qui en fit cadeau à M. Huon de Kermadec, châtelain du Rohou. La bibliothèque de ce manoir le recèle peut-être encore, mais jusqu'à présent, il a échappé à toutes les recherches. Quelques manuscrits de la Vie de Saint Guénolé, dont l'un se trouve au château de Lesquiffiou, un autre à la Bibliothèque Nationale, et dont une version moins ancienne a été publiée en 1889 par Luzel, gardent encore, parmi des actes entiers de contexture moderne de longs passages du vieux drame gothique, reconnaissables à leurs curieuses rimes internes : « Aet ynt holl en un stroll, an foll gant an follès ».

Ces cinq ou six ouvrages constituent-ils toute la production de l'atelier de Cuburien ? On le croira difficilement, et il est très probable que plusieurs autres livrets, opuscules et plaquettes ont dû naître sous les presses des Cordeliers. Par malheur, leur tirage à nombre limité n'a pu les sauver d'une destruction complète. Nous n'avons non plus aucun détail sur le personnel et le fonctionnement de cette officine monastique. M. G. Lépreux croit que les religeux travaillaient eux-mêmes à la composition et à l'impression, et qu'il n'y avait pas de personnel laïque. C'est l'étrange raison pour laquelle il refuse une place, dans sa Gallia Typographica, à l'atelier de Cuburien, pourtant le plus ancien du Finistère. On ignore aussi pourquoi et dans quelles conditions ce dernier cessa de produire et d'exister. Si cet arrêt s'était produit cinq ans plus tard, on aurait pu le mettre au compte des guerres de la Ligue, qui agitèrent cruellement le pays et y suspendirent toute manifestation intellectuelle et littéraire. Pendant plus de trente ans, « l'art sublime » disparut de la région morlaisienne, et ne devait y étre ramené qu'en 1618, par l'imprimeur normand George Allienne, dont les productions soigneusement fabriquées sont plus nombreuses et moins introuvables que celles de l'éphémère typographie de Cuburien.

Lannion n'a jamais eu d'imprimeur sous l'ancien régime, mais quelques libraires ont dû y exercer leur profession, et il serait intéressant d'en faire le relevé d'après les registres paroissiaux. Le même travail serait à exécuter pour Tréguier. Cette dernière ville, après s'être enorgueillie de posséder l'une des premières imprimeries de Bretagne, resta en sommeil durant plus d'un siècle et demi, et ne se réveilla qu'au roulement de la modeste presse que Pierre Doublet, fils de François Doublet, imprimeur à Saint-Brieuc, vint y monter en 1677, après avoir fait son apprentissage dans l'atelier paternel. Découragé par de peu brillantes affaires, il partit pour Paris l'année suivante, aprè avoir cédé son officine à un sien cousin, Guillaume Doublet, qui imprima de 1678 à 1682 quelques opuscules religieux dont la bibliothèque de M. Prud'homme, imprimeur à Saint-Brieuc, conserve trois ou quatre spécimens. En 1700, Tréguier avait de nouveau vu succomber son imprimerie. Paul de Ploësquellec, fils d'un imprimeur morlaisien de noble origine, tenta vainement de la ressusciter vers 1710, et n'aboutit qu'à produire en 1711 un petit opuscule du P. Eudes pour les dames de Montbareil, de Guingamp, après quoi il crut devoir regagner Morlaix. En 1723, l'imprimeur Pierre La Porte, dit Le Vieil, vint à son tour tenter fortune sur les rives du Jaudy. Il ne l'y trouva guère, à en croire un rapport de l'intendant de Bretagne en 1730, d'après lequel il n'avait, pour occuper sa presse pendant deux mois seulement de l'année, que quelques mandements de l'évêque et quelques Croix-de-Dieu où les enfants apprenaient à lire. Il mourut en 1762 et son imprimerie, déjà supprimée officiellement par l'Arrêt du Conseil de 1759, ne lui survécut pas. Les productions de son atelier sont au dire de M. Lepreux, excessivement rares. Aux trois seules plaquettes citées par la Gallia Typographica, il y a lieu d'ajouter un quatrième ouvrage portant la firme de Pierre Le Vieil, qui se trouve dans la bibliothèque du château de Lesquiffiou. C'est un Ordo du diocèse de Tréguier pour l'année 1754, orné sur la page de titre des armoiries de l'évêque Mgr Charles-Guy Le Borgne de Kermorvan, in-12, non paginé, et d'ailleurs abominablement imprimé. Quelle différence avec le tirage si soigné et l'encrage si égal qui font des Coutumes de Bretagne et du Catholicon de vrais joyaux typographiques ! Ja. P., Jehan Calvez et Euzen Roperz eussent rougi de leur indigne successeur !

(L. Le Guennec).

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