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Le Clergé séculier dans le diocèse de Tréguier au XVème siècle |
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C'est sous l'angle des mentalités et en nous appuyant sur les statuts synodaux, sur le fonds de l'évêché de Tréguier des Archives des Côtes-du-Nord et sur quelques extraits des Archives Vaticanes que nous avons essayé de voir quel était l'état du clergé séculier de ce petit diocèse au XVème siècle, en examinant le recrutement et le comportement de chaque catégorie de clercs.
Nous commencerons par le haut clergé et, à tout seigneur tout honneur, par l'évêque. Rappelons que pour la Bretagne c'est le Concordat de Redon, du 14 août 1441, qui fixe le mode de nomination : le pape s'engage à ne pourvoir à l'épiscopat que des personnes qui sont agréables au duc ou qui auront été élues canoniquement par les chapitres cathédraux. En 1453, Nicolas V élargira encore les faveurs faites au souverain breton en s'engageant à ne nommer en Bretagne aucun étranger s'il n'est pas accepté par le duc [Note : VAUCELLE : catalogue des lettres de Nicolas V, Paris 1908, p. 332-333]. Fort de ces assurances, le duc a donc chez lui, pour les nominations épiscopales, autant de pouvoir que le roi de France dans son royaume, et à Tréguier comme ailleurs, la liberté des élections par le chapitre ne sera guère respectée. Les nominations se feront presque uniquement par des transactions entre le pape et le duc, ce dernier obtenant le plus souvent satisfaction. L'histoire des promotions épiscopales de Tréguier est une illustration de ces calculs politiques.
Le début du siècle est marqué par les troubles de la Soustraction (l'Obédience de 1398 ; celle-ci ne sera jamais vraiment appliquée en Bretagne, sauf au point de vue fiscal. Le 11 février 1401 le clergé breton fait obédience à Benoît XIII [Note : B.-A. POCQUET DU HAUT JUSSÉ : les papes et les ducs de Bretagne, Paris 1928, t. II. P. 440], et le duc lui est également favorable : aussi, pour lui être agréable, va-t-il chercher à transférer Bernard du Peyron, adversaire du pape d'Avignon, qui était évêque de Nantes : en 1404 il le place à la tête de l'évêché de Tréguier, beaucoup moins important, tandis que Hugues Le Stoquer, évêque de Tréguier, est transféré à Vannes. Bernard du Peyron fait alors appel au Parlement de Paris, qui lui donne raison le 21 mai 1407 ; mais Benoît XIII ne voulant rien savoir on finit par faire permuter le nouvel évêque de Tréguier avec celui de Tarbes, Chrestien de Hauterive, en 1408 [Note : Vat., f° 276 et arch. dép. de Loire-Atlantique, E. SO.]. Tous ces transferts se font bien entendu sans même demander l'opinion du chapître de Tréguier. Celui-ci pourtant, neuf ans plus tard, à la mort de Chrestien de Hauterive, semble reprendre ses attributions et procède à l'élection du nouvel évêque Salomon Périou, secrétaire et argentier du duc. Malheureusement, l'élu ne plait pas à Martin V, qui impose à sa place Mathieu Roederc, tout dévoué au duc [Note : B.-A. POCQUET DU HAUT JUSSÉ, op. cit., t. II, p. 406].
En 1422, le nouvel évêque étant décédé, le chapître élit Jean de Bruc, et pour une fois ce choix est ratifié par le pape. Mais en 1430 l'évêque de Tréguier est transféré au siège de Dol, et le duc et le pape s'entendent pour le remplacer par Pierre Piédru. En 1434, nouvelles difficultés : Pierre Piédru, qui ne parle pas breton, n'a jamais été bien accepté dans son diocèse : aussi Eugène IV veut-il profiter de la vacance du siège de Saint-Malo pour l'y transférer, et à la place de Pierre Piédru le pape met cette fois un prélat bretonnant, Raoul Rolland.
Sur ces entrefaits est signé en 1441 le Concordat de Redon qui donne pratiquement toute liberté au duc pour les promotions d'évêques : aussi, cette même année, à la mort de Raoul Rolland, Jean de Ploeuc est-il élu par le chapître avec l'approbation de Jean V. Son épiscopat se terminera paisiblement en 1453, date à laquelle les chanoines de Tréguier vont se voir imposer par Nicolas V un titulaire qui depuis trois ans posait des problèmes au duc et au pape, et dont ces derniers sont trop heureux de se débarrasser en le plaçant dans ce diocèse de second ordre : Jean de Coetquis. En effet, élu à l'unanimité par le chapître de Rennes, en 1450, il avait été transféré par le pape à Saint-Malo la même année, et remplacé à Rennes par le titulaire malouin, Jacques d'Espinay, ce qui avait déplu au nouveau duc Pierre II, très opposé à la puissante famille d'Espinay. D'où un conflit entre Pierre II et Nicolas V, avec mise en interdit du diocèse de Rennes. La vacance de Tréguier, le 7 avril 1453, se présentait donc comme providentielle : on y plaça le gênant Jean de Coetquis ; les chanoines n'eurent bien sûr qu'à se soumettre [Note : Arch. vat. 401, f° 160 r°].
Jean de Coetquis terminera sa carrière à Tréguier, plus que nonagénaire, malade, impotent et, selon les rapports du chapître, retombé en enfance. C'est pourquoi dès le 24 juillet 1459, Calixte III lui adjoint un coadjuteur, Christophe du Chastel, archidiacre de Léon et chanoine de Tréguier, jeune et énergique, qui se met en devoir de révoquer quelques officiers qui abusaient de la sénilité de l'évêque, ce qui lui attire l'inimitié d'une grande partie du clergé. Pie II est obligé d'intervenir lui-même et le 23 septembre 1464, à la mort de Jean de Coetquis, c'est Christophe du Chastel qui doit être élu titulaire.
En 1479 naît une nouvelle contestation : le dernier évêque, Christophe, étant décédé, le duc François II présente un candidat, Pierre Chouan, qui est élu par le chapître. Le pape n'en veut pas et favorise Michel Guibé, neveu du trésorier Pierre Landais ; comme il n'a pas encore l'âge requis, le diocèse est confié pour quelques années à l'administration d'un italien, Raphaël Riario, cardinal de Saint Georges, et c'est en 1483 que Michel Guibé deviendra titulaire. Il le restera jusqu'en 1502, où il sera transféré à Rennes.
On le voit, Tréguier n'échappe pas à la règle qui veut qu'au XVème siècle les nominations d'évêques soient l'affaire de Rome et du pouvoir civil : sur 12 prélats qu'a connus le diocèse de 1401 à 1502, quatre seulement ont été élus librement par le chapitre ; les huit autres ont été imposés [Note : Une notice concernant chaque évêque de Tréguier se trouve dans R. Couffon : un catalogue des évêques de Tréguier rédigé au XVème siècle (Mém. sté émul. des C.-du-N. 1930)].
Mais dans l'histoire de ces nominations apparaît un trait caractéristique du diocèse de Tréguier : il est considéré comme un diocèse de second ordre, un diocèse de transition, de début de carrière ou de retraite pour des gens en disgrâce. Si l'on considère l'ensemble des mouvements d'évêques pour toute la Bretagne on se rend compte en effet que les neuf évêchés peuvent être divisés en deux catégories : les évêchés « mineurs » : Tréguier, Saint-Pol-de-Léon, Saint-Brieuc, et les évêchés « majeurs », où la nomination constitue une promotion : (Saint-Malo, Dol, Nantes, la récompense suprême étant celui de Rennes. Quimper et Vannes sont dans une situation intermédiaire. Ainsi, si nous faisons les comptes, nous constatons qu'au XVème siècle, sur 25 transferts d'évêques, 17 ont été des transferts à partir des trois évêchés mineurs vers les six autres. A Tréguier, sur 12 évêques, 5 ont terminé ailleurs leur carrière ; 3 sont venus d'un autre diocèse dans des circonstances particulières, et 4 seulement ont fait toute leur carrière épiscopale à Tréguier.
Tréguier se singularise aussi en Bretagne d'une autre manière, qui est la conséquence de ce que nous venons de voir : c'est l'évêché pour lequel la durée moyenne des épiscopats au XVème siècle a été la plus courte : 12 évêques en 101 ans, c'est-à-dire 8 ans 5 mois pour chacun, alors qu'à Rennes « bâton de maréchal » des évêques bretons, la durée moyenne est de 22 ans et 7 mois, car lorsqu'on y est nommé, c'est pratiquement à titre définitif, étant donné que pour monter plus haut il faudrait sortir du duché. A Tréguier donc, les évêques ne restent guère : Hugues Le Stocquer un an, Yves Hyrgouet deux ans, Bernard du Peyron quatre ans, Pierre Piédru quatre ans, Mathieu Roederc cinq ans, Raoul Rolland sept ans, Jean de Bruc huit ans, Chrestien de Hauterive neuf ans. La faible durée moyenne des épiscopats est d'ailleurs caractéristique de tous les évêchés mineurs puisque juste avant Tréguier viennent Saint-Pol-de-Léon (9 ans 7 mois) et Saint-Brieuc (10 ans 6 mois). La raison essentielle de ces différences réside bien entendu surtout dans les écarts de revenu des évêchés, et celui de Tréguier est parmi les plus pauvres : il ne doit par exemple que 460 florins pour les « communs et menus services » versés à Rome alors que Rennes ou Saint-Malo doivent 1000 florins.
Que furent les évêques de Tréguier au XVème siècle ? Tous, sauf Chrestien de Hauterive, furent des Bretons, ce qui est déjà un avantage sur certaines régions de la chrétienté envahies à cette époque par des prélats italiens. D'autre part, le diocèse ne fut jamais en commende, si nous exceptons les quatre ans pendant lesquels le cardinal Riario en fut administrateur. C'est là une situation relativement privilégiée. Mais parmi les onze bretons qui dirigèrent le diocèse, deux n'étaient pas bretonnants : Bernard du Peyron. et Pierre Piédru, ce qui a presque le même résultat que la nomination d'un étranger, étant donné que la population du Trégor dans son ensemble ne parle que le breton.
Plusieurs titulaires furent des hommes capables et instruits, mais un seul était docteur : Jean de Plœuc ; Hugues Le Stocquer était bachelier en théologie ; Christophe du Chastel maître es arts. La plupart d'entre eux sortaient des rangs des chanoines ou des archidiacres : Bernard du Peyron avait été archidiacre de La Mée, chanoine de Nantes et de Saint-Aubin-de-Guérande ; Jean de Bruc était archidiacre de Nantes ; Pierre Piédru était chanoine de Nantes, de Saint-Malo, de Saint-Aubin-de-Guérande, archidiacre de Vannes ; Raoul Rolland était archidiacre du Désert, chanoine de Saint-Brieuc et de Rennes ; Christophe du Chastel était chanoine et chantre de Dol, archidiacre de Dinan et de La Mée. On peut constater que les bénéfices possédés par ces évêques sont tous situés en Bretagne, ce qui renforce le caractère autochtone de cet épiscopat.
Comme tous les prélats bretons de l'époque, ceux de Tréguier sont peu souvent dans leur diocèse : grands personnages, instruits, capables, ils forment, avec les abbés, un personnel politique tout désigné pour le duc, qui les emploie à son service pour le gouvernement et les envoie en ambassade à l'étranger. Les évêques de Tréguier ont donc été aussi souvent à la cour ducale ou à l'étranger que dans leur ville épiscopale : Hugues Le Stocquer était confesseur de Jean V ; Chrestien de Hauterive est en 1409-1410 au concile de Pise et reste quelque temps auprès d'Alexandre V qui le charge d'une mission près du duc [Note : Arch. dép. de Loire-Atlantique, E. 43] ; Mathieu Roederc était conseiller du duc et a passé la plus grande partie de son épiscopat à l'étranger comme ambassadeur de la duchesse Jeanne ; Jean de Bruc était maître des requêtes, conseiller du duc, et premier vice chancelier de Bretagne ; Pierre Piédru était conseiller, maître des requêtes, trésorier et garde des lettres du duc ; le 16 octobre 1422 il s'était fait dispenser de résidence pour sept ans [Note : Arch. Latr., 230, f° 248], étant à la cour ducale ; en 1429, il reçoit l'autorisation de faire ses visites par procureur ; le pape l'emploie dans plusieurs missions et il participe au concile de Bâle, ce qui l'oblige, en 1433, à repousser à plus tard une cause entre les habitants de Tréguier et le receveur de la Roche-Derrien [Note : BLANCHARD : lettres et mandements de Jeau V, n° 2127] ; Raoul Rolland était chapelain du pape et auditeur des causes, et en tant que tel résidait souvent à Rome ; quant à Robert Guibé il est chapelain du pape et ne viendra pour la première dans son évêché que le 6 septembre 1492, neuf ans après sa nomination.
Dans ces conditions les évêques ne peuvent guère remplir leurs obligations de présider les quatre chapitres généraux annuels et de visiter leur diocèse. En ce qui concerne la première de ces obligations nous constatons, d'après les comptes du procureur du chapitre que Jean de Coetquis, présent aux deux réunions de janvier et mai 1461, est absent à celles de septembre et octobre ; en 1466 Christophe du Chastel n'assiste à aucun chapitre général, pas plus que Robert Guibé en 1489, 1490, 1491, 1492. Ce dernier prélat, arrivé de Rome en septembre 1492, présidera pour la première fois une réunion du chapitre le 26 septembre 1493, puis le 26 octobre et le 3 janvier 1494. En 1495 il sera de nouveau absent les 23 mai et 24 octobre, mais viendra à la réunion du 12 septembre ; il sera absent en janvier 1496 [Note : Arch. dép. des C.-du-N., G., Fonds du chapitre de Tréguier. Comptes du procureur : 1466, f° 10, v°, 1461, f° 7, r°, 1489, f° 6, r°, 1490, f° 11, v°, 1492, f° 8, r°, 1495, f° 8, v°]. Quant à la visite annuelle du diocèse, elle ne peut souvent être effectuée personnellement par le prélat, qui se fait représenter par un procureur : le 13 novembre 1447, Jean de Plœuc obtient ainsi de Nicolas V ce droit pour une durée de six ans [Note : Arch. vat., 355, f° 237, r°]. Cette pratique, très courante à l'époque, est un moindre mal, l'essentiel étant que la visite des paroisses soit assurée, et c'est bien le cas semble-t-il dans l'évêché de Tréguier. Les comptes de la paroisse (Saint-Mélaine-de-Morlaix en offrent la preuve : chaque année, le procureur doit inscrire dans les dépenses le montant de la taxe versée aux agents de l'évêque lorsque la visite est effectuée : la « procuration » (8s. 4d. à Saint-Mélaine). Or, de 1456 à 1490, nous possédons les comptes de 27 années, et pendant cette période une seule fois la visite n'a pas eu lieu : en 1485, au cours de l'épiscopat de Robert Guibé, qui est toujours à Rome à ce moment. Mais même sous ce prélat, en 1484, 1486, 1488, 1490. l'inspection des paroisses a été faite par un représentant de l'évêque, alors que Robert Guibé n'avait toujours pas fait son entrée à Tréguier [Note : Arch. dép. du Finistère, 151 G 11 à 151 G 37] : ce qui montre qu'il serait injuste d'accabler de tous les reproches ces grands ecclésiastiques du XVème siècle. Le zèle de certains d'entre eux semble même être exemplaire : les statuts synodaux de Robert Guibé frappent par leur souci constant de justice et de charité [Note : DOM MORICE, preuves, t. II, statuts de 1493, 1494, 1495] ; Chrestien de Hauterive témoigne d'une certaine générosité : il lègue le 28 octobre 1416 une maison à Paris pour les écoliers du collège de Tréguier ; le 4 juin 1417 il donne 450 livres de rente pour la fondation d'une quatrième vicairie dans la cathédrale [Note : Arch. dép. des C.-du-N., G 118] ; il fait distribuer aux pauvres les blés de ses greniers en période de disette ; il fait sceller gratuitement les lettres d'absolution ; il pratique fréquemment le jeûne et l'abstinence [Note : D'après un manuscrit du XVIème siècle de la B.N., publié par LA BORDERIE dans ses « mélanges d'histoire et d'archéologie bretonnes », Paris 1858, t. I, p. 309-315]. Enfin aucun évêque ne se fait remarquer par un train de vie d'un luxe scandaleux, que leurs revenus leur permettraient d'ailleurs difficilement (en 1405 le régaire rapporte 205 l. 16 s. 11 d.) [Note : Arch. dép. de Loire-Atlantique, levée de la table de janvier de la régale de l'évêché de Tréguier].
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Les chanoines et archidiacres sont, individuellement, moins bien connus que les évêques. Les renseignements que l'on possède à leur sujet nous font cependant entrevoir un petit monde assez agité.
Beaucoup de mal a été dit des chanoines des XIVème et XVème siècles, qui « délaissaient l'habit clérical et la tonsure, sortaient en armes, portaient des robes fastueuses à longues queues... Quant à leur manière de célébrer l'office ! ils omettaient la récitation ou le chant d'heures, sautaient des mots, arrivaient en retard au chœur, ils en sortaient trop tôt, tenaient des conversations vaines, profanes et deshonnêtes... Nicolas de Clamanges disait pis que pendre des chanoines et les traitait d'ignorants, de simoniaques, d'ivrognes, de paillards, de bavards, de jaseurs... » [Note : F. LOT et R. FAWTIER : histoire des institutions françaises au Moyen Age, t. I, Paris 1962, p 345-346]. Il convient de vérifier si tous ces épithètes peuvent s'appliquer au chapitre de Tréguier. Pour cela il faut d'abord examiner si les chanoines de cette ville avaient les moyens matériels de mener une vie dispendieuse. Disons que leurs revenus sont très variés mais représentent une valeur totale assez faible : les prébendes des chanoines ordinaires varient de 10 à 25 livres (alors que celles de Saint-Malo sont évaluées à 70 livres) [Note : A. LONGNON : pouillés de la province ecclésiastique de Tours, Paris 1903, p. 342-346]. L'archidiacre de Plougastel, outre son bénéfice de 80 livres, perçoit les dîmes de Plouigneau, un droit de visite dans son archidiaconé, des droits seigneuriaux près de Morlaix. L'archidiacre de Tréguier (bénéfice de 50 livres) perçoit son droit de visite et les dîmes de Plouisy ; le chantre (bénéfice de 60 livres) à une portion de la dîme de Langoat et un tiers de celles de Kerlast, Kerderrien et Mantallot ; le trésorier (bénéfice de 50 livres) touche une portion des dîmes du Minihy et de Langoat ; le scolastique (bénéfice de 60 livres) touche un tiers des dîmes de Kerlast et de Mantallot, et toutes celles de Berhet. Des distributions en espèces et en nature sont faites aux chanoines sur les fruits de certains revenus : ainsi en 1485 ils ont touché de 11 à 25 livres sur la fondation faite en 1420 par Jean V [Note : Arch. dép. des C.-du-N., G, fonds du chapitre de Tréguier. Comptes de la fondation ducale, 1485, f° 3, v°]. A chaque vacance de paroisse, le montant de l'annate est divisé entre les membres du chapitre et l'évêque. Les droits de chape versés par les nouveaux chanoines sont également aussitôt distribués. Quant à la répartition des revenus en nature, elle rapporte en moyenne 3 tonneaux de froment [Note : Ibid., f° 9, r° (1461), f° 8, v° (1489), f° 10, v° (1495)]. Enfin, et c'est souvent là l'essentiel, certains chanoines cumulent leur canonicat avec d'autres bénéfices, surtout des paroisses. Les cas peuvent en être connus certaines années par les listes de versement des « deniers du Saint Esprit » que chaque recteur doit pour sa cure mais dont sont exemptés les chanoines curés. En 1461, six d'entre eux sont dans ce cas : le scolastique est curé de Plestin, Guillaume Ausquer de Pleubian, Jean Jehannin de Louargat, Bizien Mériadec de Guimaëc, Auffroy Quoitquévéran de Plourin, Olivier du Garzpern de Pleumeur-Bodou ; en 1466 nous retrouvons les mêmes, sauf Guillaume Ausquer, mais Raoulet Le Quenquisou apparaît, recteur de Pleumeur-Bodou. En 1489 nous avons 11 paroisses possédées par des chanoines, et 17 en 1495, c'est-à-dire environ 17 % des paroisses du diocèse [Note : Ibid., f° 8, v° (1461), f° 11, v° (1466), f° 7, v° (1489), f° 9, v° (1492), f° 9, r° (1495)] qui auront un recteur régulièrement absent de sa cure... à moins qu'il ne soit absent de son poste de chanoine, comme c'est le cas en 1489 pour Morice Estienne, à qui le chantre doit envoyer un messager lui porter des lettres le tenant au courant d'une affaire importante concernant le chapître, ledit chanoine étant parti visiter sa cure de Plouigneau [Note : Ibid., f° 6, r° (1489)].
Les chanoines de Tréguier ne possèdent d'ailleurs pas seulement des bénéfices dans leur diocèse : en 1447, Jacques de Pencoëdic, archidiacre de Tréguier, est aussi curé de Château-Thébaud, diocèse de Nantes [Note : Arch. latr., 444 f° 71, v°] ; en 1450, Jean Josse, chanoine, est curé de Saint-Nicolas de Nantes [Note : Arch. latr., 459, f° 132, v°] ; d'autres sont plus gourmands : Jean Bonitemporis, chanoine de Tréguier et de Quimper, est en 1448 curé de Glomel (diocèse de Quimper) et de Pleudaniel (diocèse de Tréguier) [Note : Arch. vat., 404, f° 32, v°] ; Olivier Montfort, chanoine de Saint-Pol et de Tréguier est en 1450 curé de Comblessac (diocèse de Saint-Malo) [Note : Arch. latr., 465, f° 38, r°] ; Jean Kaerleau, chanoine de Tréguier, possède quatre chapellenies (3 à Saint-Pol et 1 à Dol) [Note : Arch. latr., 445, f° 78, r°] ; Geffroy de Siroy, chanoine de Tréguier, est curé de Saint-Philbert-de-Grandlieu et trésorier de Nantes [Note : VAUCELLE, n° 752]. Quant à Jean Lohaer, il cumule sur une plus grande échelle : possesseur de sept canonicats en France (Angers, Reims, Clermont, Laon, Lisieux, Saint-Martin-de-Champeaux, Saint-Eustache à Paris) il se plaint au Pape que cela ne lui rapporte pas suffisamment en raison de la guerre ; il reçoit donc en plus l'archidiaconé de Penthièvre en 1425 et devient chantre de Tréguier en 1427 [Note : Arch. latr., 275, f°. 195]. Là comme ailleurs il n'apparaît guère, car il est déclaré résident en curie dès le 21 décembre 1427 et il est fait ensuite acolyte et chapelain du pape. On le verra néanmoins quelques fois dans le Trégor, puisqu'il se fait construire un manoir à Pédernec, qu'il trouve d'ailleurs moyen de faire affranchir de toutes taxes par le duc en 1428 [Note : B.-A. POCQUE DU HAUT JUSSÉ, op. cit., t. II p. 506]. La fonction de chantre semble d'ailleurs souvent échoir à de grands personnages qui ne brillent à Tréguier que par leur absence : l'exemple le plus frappant en est Alain de Coetivy, mentionné avec ce titre par le procureur du chapitre en 1471. Ses fonctions de chantre risquent de ne pas peser bien lourd dans ses préoccupations, car il y ajoute la possession de trois archidiaconés, 4 paroisses, 5 prieurés, 2 abbayes, 6 évêchés ! Il est cardinal depuis 1448 et bien entendu il réside à Rome, où il meurt le 3 mai 1474 [Note : Voir la biographie de ce personnage par DOM J.- L. MALGORN (Bulletin Dicocésain de Quimper et du Léon, nov. déc. 1925)].
Mais ce n'est ni sur Jean Lohaer ni sur Alain de Coëtivy qu'il faut se baser pour apprécier les revenus des chanoines de Tréguier, qui restent dans l'ensemble modestes.
Parmi ces chanoines assez peu d'autre part sont étrangers au duché : dans les archidiacres de Plougastel par exemple nous relevons la présence d'un seul Français : Pierre Bardy, en 1440, clerc d'Angers, les autres (Jean de Nandillac, Pierre Quemper, Pierre de Penhouet, François de Creux, Yves Primaget, Renan du Pont de Coëtmeur), sont tous Bretons. Parmi les scolastiques, deux seules exceptions également : Jean de Chartres et un certain Jacques de Hongrie, mentionné en 1419 [Note : BLANCHARD, n° 1354].
Si nous considérons ensuite le devoir de résidence, nous pouvons partiellement étudier la façon dont les chanoines le respectent en examinant la liste des présents aux chapîtres généraux. Ces réunions se tiennent en effet à Tréguier quatre fois par an, le premier vendredi après Noël, après la Pentecôte, après la Nativité de Notre-Dame et après la Saint Luc. Doivent y assister l'évêque et les 14 chanoines, chaque présent recevant 5 sols. Le procureur du chapître tient un compte précis de ces distributions, ce qui nous indique à chaque fois le nombre de présences. La première chose à remarquer est que les chapitres généraux sont tenus régulièrement, ce qui n'est pas le cas dans tous les évêchés. Mais malheureusement les chanoines n'y sont jamais au complet ; on ne note jamais plus de 9 présents, et le chiffre descend parfois à 5 [Note : Arch. dép. des C.-du-N., G., Chapitre de Tréguier. Comptes du procureur : 1461 (f° 7, r°), 1466 (f° 10, v°), 1489 (f° 6, r°), 1490 (f° 11, v°), 1492 (f°8, r°), 1493 (f° 15, v°), 1495 (f° 8, v°)] :
Chapitres : 1461 (Janvier : 9 ; Mai : 8 ; Septembre : 8 ; Octobre : 8) ; 1466 (Janvier : 6 ; Mai : 6 ; Septembre : 6 ; Octobre : 5) ; 1489 (Janvier : 5 ; Mai : 7 ; Septembre : 7 ; Octobre : 7) ; 1490 (Janvier : 6 ; Mai : 7 ; Septembre : 7 ; Octobre : 7) ; 1492 (Janvier : 5 ; Mai : 7 ; Septembre : 6 ; Octobre : 6) ; 1493 (Janvier : 9 ; Mai : 8 ; Septembre : 8 ; Octobre : 9) ; 1495 (Janvier : 9 ; Mai : 9 ; Septembre : 9 ; Octobre : 8).
Les présents sont presque toujours les mêmes. Par exemple de 1490 à 1495, H. Loz et R. Tuonguindy assistent à toutes les réunions. Par contre 4 ou 5 chanoines n'apparaissent jamais, et 4 ou 5 sont là de temps en temps. Comme dans bien des endroits et à toutes les époques, à côté d'une minorité qui cumule, qui commet des abus et dont on parle beaucoup, une majorité consciencieuse, que l'on remarque moins, mais dont la présence et l'action permettent à l’Eglise de traverser les crises.
Les chanoines de Tréguier sont souvent négligents en ce qui concerne leurs obligations financières comme par exemple le paiement du droit de chape, qui était dû lors de leur réception : en 1471 le procureur note que les trois derniers titulaires de la chantrerie n'ont pas encore acquitté ce droit : Alain de Coëtivy, Guillaume Le Roux, Yves Nigy ; les deux derniers archidiacres de Tréguier sont dans le même cas : Guy Le Barbu et son neveu Bertrand Le Barbu, de même que quatre chanoines ordinaires : Raoulet Le Quenquisou, Rolland de Tuonguindy, Morice Estienne, Yves de Kermiel [Note : Ibid., f° 33, r°] ; ce dernier mourra sans avoir payé, et c'est son successeur Jean de Chartres, qui réglera la dette, 14 ans plus tard [Note : Ibid., f° 8, v° (1485)]. Peu après, en 1485, il faudra d'ailleurs faire un procès à ce même Jean de Chartres, devenu archidiacre de Tréguier, pour l'obliger à payer ses 20 livres de droit de chape [Note : Ibid., f° 24, v°]. Enfin, en 1497, le procureur « ne se chargera point des pontifical de reverend pore en Dieu Monseigneur de Triguier et chappes de maistres Morice Le Bosec scolastique de Tréguier, Guillaume Pictoris, Jehan du Dresnay, Geffroy de Kermoguer, Yves Le Moal, François de Peancoët, Mace de Boiseon, Silvestre Kercrist, chanoines de Tréguier... » [Note : Ibid., f° 14, v°] : 8 chanoines sur 14 sont donc encore en retard, et deux d'entre eux ont déjà été mentionnés six ans plus tôt.
Dans la conduite de ces chanoines nous allons bien entendu retrouver une partie des défauts qui leur étaient reprochés par Gerson et Nicolas de Clamanges, mais, encore une fois, il faut se garder de les exagérer et de les généraliser, car ils sont vus le plus souvent au travers des lunettes déformantes que sont les statuts synodaux, dont le but est de souligner les fautes, et non de parler de tout ce qui va bien. Ainsi, pour s'en tenir au domaine du costume ecclésiastique, les statuts de 1436 rappellent qu'on ne doit pas se faire remarquer par des habits trop longs ou trop courts, ou fendus dans le dos ; que l'on doit porter la tonsure en accord avec son rang [Note : DON MORICE, t. II, col. 1276]. En 1440 ce sont les habits fendus à la partie supérieure, dans le but de montrer la richesse des vêtements de dessous, qui sont interdits [Note : DON MORICE, t. II, col. 1283]. A la fin du siècle la situation a empiré : les statuts de 1495 montrent que non seulement la mode des habits fendus se poursuit, mais que l'on vient aux offices en bottes, que l'on porte les cheveux longs, que l'on remplace les capuces de panne noire par des chapeaux sans cornettes, à la manière des laïcs [Note : DON MORICE, t. III, col. 775]. Tout ceci s'adresse d'ailleurs aussi bien aux prêtres, diacres et sous diacres, auxquels l'évêque demande, s'ils n'ont même pas les moyens de se payer un capuce, d'avoir au moins un chapeau convenable, avec des cornettes.
Mais en dépit de ses nombreux défauts le corps capitulaire a cependant une grande qualité : il est formé d'hommes instruits. Les chanoines qui cumulent plusieurs bénéfices en particulier sont gradués de l'Université : en 1450 Jean Bonitemporis est licencié en décrets, Jean de la Moussaye est docteur en lois, Olivier de Montfort est bachelier en lois, Jean Josse est docteur dans les deux droits. Les préoccupations intellectuelles des chanoines se manifestent par la présence à côté du cloître d'une bibliothèque d'environ 200 volumes, comprenant des ouvrages de liturgie, théologie, philosophie, jurisprudence, histoire, grammaire, littérature générale (poètes et dramaturges latins). De nouveaux volumes viennent sans cesse s'y ajouter, et l'inventaire de 1491 signale déjà la présence de nombreux incunables [Note : L'inventaire se trouve aux arch. dép. des C.-du-N. et a été publié en partie par LA BORDERIE dans « le bibliophile breton, » de 1884 (N° 26)]. De plus, ces livres semblent être consultés assez souvent pour justifier la présence d'un bibliothécaire, Dom Laurent Le Maout en 1491, chargé de tenir les volumes en ordre, de les faire relier, de les conserver en bon état et de tenir la bibliothèque ouverte à certains moments pour les chanoines qui ont des recherches à y faire.
Le chapitre de Tréguier est donc somme toute bien ordinaire, semblable à un grand nombre d'autres chapitres du XVème siècle, avec quelques défauts dont les plus graves sont sans doute le cumul et l'absenteïsme. Mais plus de la moitié de ses membres sont de bons ecclésiastiques, auxquels on ne peut en aucun cas appliquer les sévères reproches faits aux chanoines par les réformateurs de l'époque.
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Curés, desservants, chapelains n'ont pas non plus été ménagés par des gens comme Gerson et Nicolas de Clamanges : cumuls, absenteïsme, ignorance, débauche, tels sont les caractères qui reviennent le plus souvent pour qualifier ce bas clergé séculier. La question de la nomination de ces ecclésiastiques est un point essentiel, car il peut en découler de graves conséquences. Or c'est le désordre qui semble caractériser les attributions de bénéfices en Bretagne au XVème siècle, ce qui engendre des contestations. L'évêque, les patrons des paroisses, le duc, le pape ont chacun leur mot à dire dans les nominations ; jusqu'en 1417 il y aura même trois papes, puis les conciles (Constance et Bâle) auront aussi leurs candidats. En 1440 par exemple le désordre est indescriptible, et dans l'évêché de Tréguier comme dans le reste de la Bretagne les procès sont innombrables entre les pourvus par l'Ordinaire, par le concile, par le pape, chacun discutant de la date des prérogatives, qui leur confèrent un droit de préférence sur certains autres ou sur tous les autres, et dont les privilèges ont parfois un effet rétroactif. Le Concordat de Redon (14 août 1441) va tenter d'apporter une solution : tous les possédants pourvus par le pape et l'Ordinaire sont confirmés ; ceux qui ont été pourvus par le concile perdent leurs bénéfices et leurs expectatives, mais ils pourront les faire valoir à la première occasion qui se présentera [Note : B. A. POCQUET DU HAUT JUSSÉ, op. cit., t. II, p. 577]. Cependant les choses ne s'arrangent pas ; en 1443, l'anarchie règne dans l’armée des expectants ducaux : il y a ceux qui ont des lettres de Jean V, ceux qui en ont de Pierre de Bretagne ou de François I alors qu'il n'était encore que comte de Montfort ; ceux-ci venaient théoriquement en dernier, mais le comte de Montfort étant devenu duc en 1442 il les fait placer par le pape devant tous les autres [Note : Arch vat., 360, f° 122], d'où un concert de protestations. Les procès se multiplient, si bien que le 2 août 1444 Eugène IV casse touttes les lettres de grâce accordées par lui et révoque pour la Bretagne tous les procès dont elles étaient cause.
Ces contestations entraînent d'autant plus de troubles que les clercs bretons n'y regardent pas de trop près en ce qui concerne les moyens à employer pour s'emparer d'un bénéfice convoité : en 1460 François II se plaint au pape du fait que des bénéficiers vieux ou malades soient parfois menacés ou accusés de crimes imaginaires et réduits à se laisser dépouiller ; lorsqu'un curé tombe malade certains cherchent à s'introduire dans le presbytère pour se trouver en possession des lieux au moment du décès ; mieux encore : celui qui réussit à y entrer le premier s'y barricade et s'entoure de partisans, si bien qu'il ne reste plus aux autres prétendants qu'à essayer avec leurs hommes de main de prendre d'assaut le presbytère-forteresse [Note : Arch vat., 502, f° 191, v°]. Mais pour entrer en possession d'un bénéfice certains clercs préfèrent avoir recours à la fabrication de faux documents. Les faussaires sont particulièrement nombreux et habiles dans l'évêché de Tréguier, qui se fait au XVème siècle une véritable réputation en ce domaine, comme le constate une ordonnance ducale du 12 février 1425 : « Pour eschiver es faussonneries que on fait es lettres et par especial du païs de Treguer et de Gouellou, en contrefaisant la main des passeurs quant ils sont mors... » [Note : La T. A. C. B., édition Planiol, Rennes, 1896. Constitutions de 1424]. Aussi, le 6 mai 1455, Calixte III fait-il procéder contre tous les notaires faussaires de Bretagne, qui introduisent dans les documents des âges, des dates et des grades universitaires inexacts [Note : Arch. vat., 454, f°, v°]. Mesure peu efficace, puisque cinq ans plus tard François II se plaint de la multiplication des faux actes en matière de résignation de bénéfices, ce qui pousse le pape à prendre des décisions importantes dans la bulle du 21 février 1460 : il ordonne de punir les faussaires, d'empêcher quiconque de pénétrer chez un bénéficiaire malade, à moins que ce ne soit pour le soigner ; lors d'une vacance de paroisse, le porteur d'un titre lui conférant ce bénéfice ne devra entrer dans l'église qu'en présence de notaires et de témoins, sans armes, et ne devra fermer ni l'église ni le presbytère ; lorsque quelqu'un obtiendra un bénéfice à la suite de la condamnation du titulaire, les lettres de provision devront contenir la clause « vocato possessore » [Note : Arch. vat., 502, f° 194, v°].
Parmi les titulaires de bénéfices un certain nombre doivent leur place à leurs relations, en tant que « familier » de tel ou tel cardinal bien placé en curie par exemple : c'est ainsi qu'Alain de Coëtivy pourvoit ses amis des bénéfices qu'il ne garde pas pour lui-même : dans le Tregor il fait donner la paroisse de Pleudaniel à Alain de Penmarch, une chapellenie à Tréguier à Pierre de Montfort, un canonicat à André Vitalis et un autre à Estienne de Rosminyven, une dispense pour incompatibles à Olivier de Rosmadec, et l'archidiaconé de Poher à un clerc de Tréguier, Pierre Kerloaguen [Note : VAUCELLE, n° 1032 et 775. arch, latr., 538, f° 71, 457, f° 85, r°, 466, f° 301, r°, 584, f° 123]. Mais tout cela finalement est peu de chose ; le clergé du diocèse dans sa grande majorité ne doit sa place ni à l'appui des grands ni à ses relations de famille. Le cumul n'y fait pas non plus de ravages extraordinaires : les statuts synodaux en rappellent pourtant à plusieurs reprises l'interdiction, mais en des termes qui laissent supposer que le mal est peu répandu, comme en 1431 où tous les détenteurs d'une dispense d'incompatibles sont priés de venir la montrer dans les quinze jours [Note : DOM MORICE, II, col. 1243]. Les statuts de 1455, 1456 et 1459 reprennent les mêmes injonctions. En fait, les cas semblent peu nombreux ; le « catalogue des lettres de Nicolas V » ne cite que cinq personnes ayant reçu un bénéfice en cumul dans l'évêché de Tréguier entre 1447 et 1455 [Note : VAUCELLE, n°s, 13 et suiv.]. Si l'on y ajoute le cas, déjà signalé, des chanoines, nous obtenons, vers 1450, un total de 17 bénéfices attribués en cumul à 15 personnes, ce qui n'a rien d'une proportion scandaleuse. Le mal est d'autant moins grave que les cumuls concernent peu souvent deux bénéfices avec charge d'âmes : dans 4 cas nous avons un cumul de bénéfices sans charge d'âmes (tel que canonicat-chapellenie, ou 2 chapellenies) ; dans 7 cas nous avons cumul d'un bénéfice avec charge d'âmes et d'un qui n'en comporte pas (tel que paroisse-chapellenie) ; enfin 2 fois nous avons le cumul archidiaconé-paroisse et une fois celui de paroisses. Rappelons toutefois qu'il ne s'agit ici que des cas nouveaux venus s'ajouter entre 1447 et 1455 à ceux qui existaient déjà, ce qui peut expliquer l'insistance et donc l'inefficacité des statuts synodaux à exiger la résidence personnelle des curés et chapelains : en 1431, 1435, 1436, 1438, 1450, 1455, 1456, 1457, 1459, 1462 [Note : DOM MORICE, II, col. 1243, 1273, 1280, 1281, 1522, 1524, 1526. 1529, 1531, 1533].
Cependant, si le clergé séculier du diocèse n'est remarquable ni par le cumul, ni par l'absenteïsme, ni par la simonie, il ne l'est pas non plus par son niveau moral et intellectuel. Mais encore une fois n'oublions pas que les sources dont nous disposons ne signalent que les défauts et qu'il est trop facile de généraliser à partir des quelques cas signalés. Ceci dit, il nous faut admettre, à la lumière des documents de l'époque, qu'à part quelques gradués absenteïstes les recteurs trégorrois du XVème siècle ne semblent pas être des puits de science. En 1440 l'évêque de Tréguier exprime même des inquiétudes sur la façon dont certains célèbrent la messe [Note : DOM MORICE, II, col. 1283], et en 1426 il leur demandait de se contenter de lire les prières, sans chercher à les commenter, car c'est « une tentative au dessus de leur force », et il en sort souvent des interprétations assez peu orthodoxes ; qu'ils laissent donc ce travail aux moines mendiants et qu'à la messe ils n'aillent pas au-delà de la lecture de l'Oraison Dominicale traduite en langue vulgaire en y ajoutant simplement quelques exemples moraux... « s'ils en connaissent ! » [Note : DOM MORICE, II, col. 1291].
Qu'en est-il dans le domaine moral ? Les statuts synodaux mentionnent à une seule reprise, en 1456, des prêtres concubinaires [Note : DOM MORICE, II, col. 1526] ; les archives révèlent quelques cas précis : en 1463 le pape ordonne une enquête pour vérifier le bien fondé d'une accusation contre Hervé Barazec, recteur de Ploumilliau, qui aurait comme concubine une femme mariée dont il aurait eu plusieurs enfants [Note : Arch. latr 48, f° 276, r°]. En 1449, Yves de Lammon, clerc du diocèse de Tréguier, poursuivait de ses assiduités Louise, fille du seigneur de Muro, depuis une tentative d'enlèvement faite douze ans plus tôt [Note : Arch. vat., 408, f° 287, r°]. Mais les traces sont tout de même trop minces pour que l'on puisse taxer le clergé trégorrois de luxurieux.
On pourra peut-être le dire brutal (mais qui ne l'est pas à cette époque ?) en voyant par exemple qu'en 1458 Jean Gonnor, qui vient de résigner un canonicat à Tréguier et qui est furieux de voir qu'on lui donne comme successeur Jacques Bignier, qui lui est visiblement antipathique, se jette sur l'exécuteur des lettres apostoliques et le bâtonne [Note : Arch. latr., 530, f° 146]. Mais là encore le cas est insuffisant pour fonder la réputation de tous les clercs trégorrois pendant un siècle. Le seul domaine dans lequel l'on puisse réunir des indications suffisantes est celui de la recherche excessive des biens matériels, et cela à tous les niveaux. A Tréguier, les revenus de la chapelle Saint-Yves sont longtemps disputés, comme l'explique un mandement de Jean V du 6 octobre 1412 [Note : Arch.. dép. des C.-du-N. G., fonds du chapitre de Tréguier, non classé]. Les statuts de 1426 et de 1440 signalent d'autre part que des clercs s'emparent de façon injuste des biens de l'Eglise ; ceux de 1423 et 1493 déclarent que des ecclésiastiques abusent de la simplicité de certaines personnes pour leur extorquer de l'argent en les menaçant de les faire citer en justice, sans avoir pour cela des raisons valables [Note : DOM MORICE, II, col 1191, 1283, 1140 et III, col. 740]. Enfin, dans certains cas, les prêtres obligent les fidèles à payer pour la réception du sacrement de pénitence. Les statuts d'Alain de La Rue mentionnent cette pratique à Saint-Brieuc, et à Morlaix nous voyons à plusieurs reprises des personnes donner de l'argent au prêtre en confession : en 1462 le receveur de Saint-Mélaine note : « Receu de la main de frère Martin par la main de Nycol Mane, quel les avoit este baille audit frere par confession : 20 s. 6 d. » et en 1472 : « Item, d'avoir reçepu par la main de Pierre Plou, prebtre, d'auchun homme en confession en remors de conscience la somme de 23 s. 4 d. » [Note : Arch. dép. du Finistère, 151 G 15 et 151 G 25].
Beaucoup plus que l'immoralité ou la violence c'est donc l'âpreté au gain qui serait le principal défaut de ce clergé trégorrois du XVème siècle. Apreté bien compréhensible dans le cas des desservants de paroisse par exemple, dont les revenus sont souvent bien maigres. Prenons le cas de la paroisse de Pont-Melvez ; le curé étant le commandeur des Hospitaliers de St-Jean de Jérusalem, elle est desservie par un vicaire, dont nous pouvons connaître les ressources grâce aux pièces du procès d'Yvon Le Tamic, le 8 août 1433. N'étant pas curé, le vicaire ne touche pas les dîmes ; simplement il a droit aux « prémices », comme l'explique le témoin Alain Le Tourneur : « ... Sur le secont article déclare ledit tesmoign que, puis quarante ans et par avant le tiltre, ou temps que frere Yves de Sauvigné estoit gouverneur de ladicte commanderie de Pontmelve, il vit dom Richart Le Prieur, vicaire au temps de ladicte paroisse, lever et joir des premices d'icelle parroisse par plusieurs annees dont n'est membrant, savoir est une gerbe de ble de chaque quevaese et convenant ou il eust ble, et depuis ce, ou temps de frere Jehan de Sepeaux commandeur d'icelle commanderie, il vit dom Prigent de Lannoy vicaire de ladicte paroisse, lever et joir desdictes premices pour trois anees » [Note : Arch. dép. des C.-du-N., H., fonds de Malte, procès Yvon Le Tamic, f° 9, r°]. Sachant que la paroisse de Pont-Melvez comprend 117 convenants [Note : JEANNE LAURENT : un monde rural en Bretagne au XVème siècle : la Quévaise, Sevpen, Paris 1972] c'est donc environ une centaine de gerbes que le vicaire va pouvoir mettre dans son grenier pour l'année. Ces prémices sont de toutes façons loin de représenter un montant comparable à la dîme, que le commandeur lève habituellement à la septième gerbe. Autre don en nature : les œufs de Pâques : « Et le vendredi aouré le vicaire de ladicte parroisse a acoustumé envoier ses gens ô la croix par la parroisse querir des eufs et ouyst dire audit dom Prigent de Lannoy et a plusieurs desdiz parroissiens que ledit vicaire les povoit contraindre de lui paier de chacun mesnagier le numbre de cinq eufs ; et de l'ostel de cest tesmoign l'en a acoustumé, ou temps passé, bailler audit vicaire six eufs pour ses eufs de Pâques » [Note : Arch. dép. des C.-du-N., H., fonds de Malte, procès Yvon Le Tamic, f° 26, r°]. Le total des dons en nature n'est donc pas très élevé. Quant aux redevances en espèces, elles sont également très faibles : 11 deniers par ménage et par an pour la viande de carême (la Réformation de 1427 donnant un peu plus de 100 ménages pour la paroisse, cela représente environ 5 livres) ; à la Toussaint 1 denier par famille et 5 deniers par hameau, soit environ 15 sols ; pour le casuel : 7 deniers par baptême et pour l'Extrême Onction ; 5 sols par conjoint lors des mariages, plus 13 deniers que l'on dépose sur le livre [Note : Arch. dép. des C.-du-N., H., fonds de Malte, procès Yvon Le Tamic, f° 24, r°]. Dans cette petite paroisse, le nombre des baptêmes, mariages et obsèques n'étant pas très élevé chaque année nous pouvons admettre, sans grande marge d'erreur, que le desservant a un revenu annuel total en argent d'environ 10 livres, auquel il faut ajouter une centaine de gerbes de blé et les œufs de Pâques. La situation n'est donc pas brillante ; elle est même plus mauvaise que celle d'un simple compagnon artisan qui, à la même époque, peut gagner 30 à 35 livres par an à Tréguier sur le chantier de la cathédrale [Note : Calculs effectués à partir des comptes du procureur du chapitre (Arch. dép. des C.-du-N., G) et dont le détail se trouve dans G. MINOIS : L'évêché de Tréguier au XVème siècle (Thèse dactylographiée, p. 267-275)].
De plus le curé de la paroisse, ici le commandeur des Hospitaliers, qui garde pour lui les dîmes et les produits des offrandes, tente de rogner le plus possible sur la part attribuée à son desservant, d'où ce procès de 1433, intenté au commandeur par le vicaire Yvon Le Tamic, qui prétend dans son mémoire que le curé aurait dû lui fournir au moins le logement, la nourriture, le linge et lui laisser une part des dîmes, comme cela se faisait autrefois. Ce mémoire d'Yvon Le Tamic est très important ; il met en lumière le contraste entre le curé, qui tire chaque année 250 livres de la paroisse, et le desservant qui a bien du mal à tirer 10 livres argent et 10 rais de blé de ses maigres droits ; il suggère d'autre part une évolution, au début du XVème siècle, dans un sens défavorable au desservant, auquel le curés retiré le logement et le lopin de terre [Note : Extrait du mémoire complémentaire du 21 juin 1434, f° 7 (Arch. dép. des C.-du-N., H., Fonds de Malte) : « … selond droit escript, ledit commandour estoit et est tenu et obligé dessus les fruictz d'icelle parroisse, quelx sont assez gras et de bonne ... (trou dans le manuscrit) et valent communeaument chacun an II C et L livres et mielx, pourvoir audit Yvon Le Tamic, son vicaire, de souffisante sustentation essavoir est de maison competante, superlectiles, vestementz et de quoy boire et manger et joier les charges convenables et acoustumés à cause d'icelle parroisse. Item et pour ce que lesditz commandours, y a long temps de, avoint été abstentz le plus de temps de ladite commanderie et faissant aillours leur résidence et que les maisons et habitacions dudit lieu estoint chaictes en ruine, lesditz comandours avoint acoustumé de bailler et livrer et, de fait, baillerent et livrerent auxditz predecessours dudit vicaire pour habitacion une maison estant pros d'icelle eglise appellée en breton quemais en vicair avecques certaines terres et praieries à ce annexees, queulx valent de levé chacun au environ deix livres, et o ce les premices d'icelle parroisse, quelles valent communeaument chacun an, deix reis de ble a la mesure du païs ; en oultre onze deniers de chacun domicille de celle parroisse a chacune feste de Paques ; desquelles chosses lesditz predecessours dudit vicaire en joieirent par plusieurs annees et en furent en possession et saesine d'icelles pour habitation et subtentacion de leurs estat et vie envenable avecques aucunes petites droiturez : et ainsi est voix publique et notoire »].
On ne peut guère alors s'étonner de l'âpreté au gain constatée chez les membres du bas clergé : ces clercs si exigeants pour le respect de leurs droits et qui se querellent à propos de la répartition des offrandes et du casuel sont souvent bien excusables, ces questions de revenus étant dans certains cas vitales.
On pourrait encore charger le clergé de négligence, surtout on ce qui concerne, la publication des statuts synodaux. Il y a d'abord des recteurs qui ne les possèdent pas et qui ne se préoccupent nullement d'aller les chercher ; l'évêque est obligé de leur rappeler l'obligation de se les procurer en 1423, 1431, 1437 [Note : DOM MORICE, II, col 1140, 1243, 1279]. En 1468, la fabrique de Saint-Melaine de Morlaix doit payer une amende de 16 s. 8 d. pour n'avoir pas été les chercher à temps [Note : Arch. dép. du Finistère, 151 G 21]. Pour ce qui est de la publication, l'évêque rappelle en 1426 qu'elle doit se faire quatre fois par an, le dimanche, de façon intelligible ; certains articles devraient même être relus chaque semaine à la grand messe, ceux qui concernent les usurpations de biens d'Eglise par des clercs ou des laïcs en particulier, mais on tolère que cela ne soit fait que tous les quinze jours [Note : DOM MORICE, II, col. 1191]. Malgré cela, de nombreux recteurs se montrent encore négligents, comme le signalent les statuts de 1469. D'autre part la lecture de ces textes doit se faire au prône de la grand messe, et non à l'extérieur de l'église, à la fin de la messe, comme cela se faisait encore quelquefois [Note : DOM MORICE, II, col. 1533].
Enfin relevons un dernier trait à la charge du bas clergé : on y décèle des frictions, des mésententes dans les églises paroissiales entre chapelains et recteurs, les premiers se contentent de remplir les offices de leur chapellenie et refusent de venir aider à la grand'messe ou dans les procesions les recteurs qui sont souvent débordés et qui auraient bien besoin d'auxiliaires notamment pour guider les chants des fidèles. Il est vrai que le recteur saura s'en souvenir au moment de la répartition des offrandes des chapelles, mais tout cela témoigne d'une mesquinerie peu chrétienne qui n'est cependant l'apanage ni de la Bretagne, ni du XVème siècle, ni du clergé.
Il est donc difficile de se plaindre de la qualité du clergé séculier trégorrois à la fin du Moyen Age. Certes il n'est pas très savant, il veille d'assez près à ses revenus, d'autant plus qu'ils sont peu importants, il est souvent négligent, quelques uns de ses membres succombent à des péchés regrettables, mais il faut bien reconnaître que nous sommes loin de trouver en lui les tares dont se trouve accablée au XVème siècle l'ensemble de l'Église par les partisans d'une réforme. L'évêque de Tréguier lui-même reconnaît dans ses statuts de 1469 que son clergé est dans l'ensemble bon et d'une foi incontestable [Note : DOM MORICE, III, col. 147]. Cet aveu, dans un texte dont le but est surtout de relever les défauts, est un signe qui ne peut tromper et qui peut servir à expliquer dans une certaine mesure le peu de succès que rencontrera la Réforme dans la région.
(G. Minois).
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