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Emile SOUVESTRE

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Morlaix : Emile Souvestre     

Charles-Emile Souvestre, né à Morlaix (Finistère - Bretagne) le 15 avril 1806 et mort à Montmorency le 5 juillet 1854, est un avocat, écrivain, journaliste, et auteur dramatique français. Il est candidat aux élections législatives de 1848, mais il n’est pas élu.

Il était le fils d'un notable, Jean Baptiste Souvestre (1757-1823), ingénieur des Ponts et Chaussées. Sa famille n'était bretonne que par adoption. L'Irlande était son pays d'origine. 

De son œuvre, on retient principalement ses ouvrages sur la Bretagne et les bretons, ils sont périodiquement réimprimés aujourd’hui. Parmi eux : Les Derniers Bretons (1835-1837), Le Foyer breton (1844), L’échelle de femmes (1835), La Bretagne pittoresque (1841), ......

I. FAMILLE - ENFANCE ET JEUNESSE

Emile Souvestre naquit à Morlaix (Finistère) le 15 avril 1806. Il fut baptisé le 17 par M. l'abbé Le Moine vicaire de Saint-Mathieu ; on lui donna les prénoms de Charles-Emile. Sa famille n'était bretonne que par adoption. L'Irlande était son pays d'origine. Dévouée aux Stuarts détrônés, elle passa sur le continent après le triomphe définitif de la maison d'Orange et s'établit en Bretagne. Elle francisa alors son nom : Sovester devint Souvestre, Souestre, et Souètre, que l'on rencontre assez fréquemment dans les Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor). Le commerce et l'industrie de la tannerie la firent assez rapidement prospérer.

Le père d'Emile, issu de cette honnête et laborieuse famille, était ingénieur des ponts et chaussées. Républicain modéré, il fut accidentellement mêlé à la Terreur, à Rennes et à Nantes, s'il faut en croire deux articles de la Revue des Deux Mondes (1838 et 1839), dans lesquels Emile raconte quelques épisodes de la vie de son père.

A côté de la noble figure de Leperdit, maire de Rennes, qui sut résister à Carrier, puis à Napoléon, et enfin à un préfet de la Restauration, nous admirons celle de M. Souvestre. A Rennes, il arrache Mlle de la Hunoterie à la guillotine et la remet à sa famille, après un difficile voyage de Rennes à La Roche-Bernard. A Nantes, il pénètre près de Carrier et réussit à sauver deux de ses amis, M. et Mme Benoist, au moment même où la Compagnie Marat allait les emmener à la noyade.

M. Souvestre, à l'issue de la Révolution, épousa Marie-Françoise Boudier, dont il eut trois enfants, une fille et deux fils (Note : L'aîné se destina à la marine et mourut capitaine au long cours). Il n'était pas fortuné, mais, à défaut des richesses, il sut leur donner des leçons d'honneur et de fierté.

L'enfance et le séjour d'Emile à la maison paternelle ont été marqués par quelques épisodes charmants.

Un des premiers livres qu'on lui mit entre les mains fut Robinson Crusoë de Daniel de Foë. Emile, enthousiasmé, prit pour modèle le héros du roman. Malgré le voisinage de la mer, il n'osa pas cependant quitter Morlaix pour aller, à travers l'Atlantique, à la recherche d'une île déserte. Il la trouva d'ailleurs dans un coin du jardin paternel ; là il avait construit de ses mains une cabane ; alentour, il avait semé des plantes pour sa nourriture. Dans cette retraite écartée, il restait assis de longues heures avec à ses pieds un arc et des flèches. Il se croyait au milieu d'un désert et demeurait immobile, l'imagination pleine de rêves.

Il aimait aussi à courir sur la grève avec les pêcheurs préparant leurs barques ou raccommodant leurs filets ; il allait volontiers près des fontaines où se réunissaient les lavandières, et quand la navette et le battoir se reposaient, il écoutait attentivement les légendes et les histoires du bon vieux temps. Il ne se contentait pas de celles qu'il entendait, il se plaisait à en inventer lui-même. Les jeux bruyants des garçons étaient pour lui sans attrait : il préférait s'entourer à l'écart d'un paisible auditoire de petites filles. Elles aimaient à se grouper autour de lui et à écouter pendant de longues heures des histoires merveilleuses et souvent interminables.

Bientôt, il lui fallut quitter et l'île déserte du jardin paternel, et les grèves de la rivière de Morlaix, et les fontaines des lavandières, et son auditoire féminin. Son père avait remarqué en lui de l'aptitude pour les mathématiques, et il le destina à l'Ecole polytechnique. Pour cela, il le mit au collège de Morlaix, où l'instruction et la discipline étaient en partie militaires.

Sa jeunesse fut pour lui, comme pour beaucoup d'autres, une crise douloureuse. Une sensibilité exagérée, accompagnée d'aspirations ambitieuses, le fit beaucoup souffrir. Victime un jour d'une méprise, il subit un châtiment sévère qu'il n'avait point mérité. Il en fut tout bouleversé, et sa nervosité fut longtemps avant de s'apaiser. Durant toute l'année il vécut à l'écart, fuyant ses camarades qu'il accusait de lâcheté pour n'avoir pas osé proclamer la vérité. Aussi le proviseur mettait-il invariablement sur ses bulletins : caractère sombre, cet élève est tombé dans la mélancolie.

Heureusement il ne garda pas pendant toutes ses études ce silence obstiné et farouche qui avait marqué cette année-là. C'était alors, au dire de ses condisciples, un vigoureux garçon, intelligent et sérieux, qui négligeait parfois ses livres classiques pour des croquis de moeurs bretonnes, où l'on pouvait déjà pressentir la direction future de ses études littéraires. Il obtint cependant plusieurs prix de discours français, une médaille d'or à l'Académie de son département et un diplôme de bachelier, faveur que l'on ne prodiguait point à cette époque.

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II. SES ETUDES A RENNES

En 1824, Emile Souvestre perdit son père, et sa mère le laissa libre de choisir une carrière conforme à ses aptitudes. La préparation à l'Ecole polytechnique, que son père lui avait imposée, lui était une charge pénible. Il se décida pour le barreau : cette carrière, voisine de la philosophie et des lettres qu'il aimait, lui plaisait davantage.

Il alla donc faire son droit à Rennes, où il resta presque deux ans. Pauvre étudiant, sans famille, il ne quittait ses livres que pour de longues promenades de plusieurs heures.

Ces deux années furent — si nous en croyons sa confession au Lycée armoricain (juin 1830) — les plus pleines de sa vie.

Tout ce que je sais, dit-il, je l'ai appris dans ce court espace de temps. Je m'étudiais moi-même, et le coeur de chaque homme n'est-il pas un monde où tout se trouve ?  

A Rennes, Emile Souvestre entra en relation avec Evariste Boulay-Paty, dont le père était conseiller à la Cour.

Nos goûts ne semblaient pas devoir nous rapprocher. Lui, beau jeune homme élégant, jeté dans les tourbillons du monde ; moi, pauvre étudiant ignoré, rêvant des élégies dans une mansarde, mais il y avait dans la nature de nos âmes d'autres points de contact. Il me répétait quelque ode nouvelle, je lui murmurais timidement une élégie, puis nous parlions d'avenir, et tard, le soir, je regagnais ma mansarde .... Cette vie monotone n'était pas sans douceur (Lycée armoricain, 1830).

Edouard Turquety fréquentait comme lui l'école de droit. Le hasard un jour les rapprocha à l'entrée du Thabor, la promenade favorite des Rennais. La lecture de leurs œuvres les révéla l'un à l'autre et, quand ils se quittèrent, ils étaient amis. Souvestre avait reconnu un poète dans Edouard Turquety, et il ne manqua pas de l'encourager. Turquety lui en fut reconnaissant, et rappelait volontiers 

Les rêves d'or qui les berçaient ensemble,

Quand leurs deux coeurs ouverts aux mêmes visions 

Comme deux arbrisseaux que le hasard rassemble 

S'élevaient, fleurissaient sous les mêmes rayons.

Ces rêves d'or, ils voulurent les réaliser en publiant leurs premiers essais poétiques. Nantes, qui dispute à Rennes le titre de capitale de la Bretagne, était à cette époque un centre d'activité intellectuelle. Une revue, que l'on a justement appelée la Revue d'Edimbourg de la Bretagne, le Lycée armoricain, y paraissait depuis le 1er janvier 1823. Boulay-Paty, qui était Nantais, introduisit probablement les deux amis au Lycée armoricain, et tous trois à l'envi envoyèrent prose et vers à la nouvelle revue. De 1825 à 1827, Turquety et Boulay-Paty publièrent cinq ou six articles chacun. Emile Souvestre, plus fécond, fit paraître de gracieuses poésies : l'Aveu, l'Adieu, la Petite Mendiante, l'Aveugle et son chien, Un Rêve, des articles de critique littéraire sur Corinne de Mme de Staël, de petites nouvelles sur le Thabor à Rennes, sur le Phare ou la Tour du Four. Cette dernière pièce avait même été présentée au concours, à la Société académique de Nantes et, en décembre 1825, elle avait remporté le prix. Bientôt Boulay-Paty continua seul sa collaboration au Lycée armoricain. Turquety et Emile Souvestre avaient quitté Rennes pour aller voir consacrer leur réputation à Paris.III. 

 

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III. PREMIER SEJOUR A PARIS

En 1826, Emile Souvestre arrive à Paris. Elève à la fois du Collège de France, de la Sorbonne et de l'Ecole de médecine, il met beaucoup d'ordre dans ses études, et peut ainsi acquérir une instruction solide et étendue.

Comme Turquety et tant d'autres, il était attiré par le mouvement qui entraînait les esprits et que dirigeaient Victor Hugo, Vigny, Guiraud, Soumet. Il apportait avec lui de province un bagage poétique assez important, des esquisses, des vers, un drame d'actualité, le Siège de Missolonghi. La vie littéraire lui apparaissait comme ce qu'il y a de plus noble et de plus beau sous le soleil.

Je la voyais chaude, palpitante, toute colorée d'enthousiasme et de rêves dorés. J'avais fait une ode où je comparais le poète à un dieu sur la terre... Le désenchantement ne tarda pas à venir.

Souvestre avait fait trois copies de sa tragédie et l'avait expédiée à trois théâtres différents sans recevoir de réponse. Il écrivit à un compatriote, Alexandre Duval, qu'il supposait tout puissant au Théâtre Français pour lui demander une audience. Celui-ci le reçut bien, mais en vrai Breton qui veut connaître et juger avant de se livrer. Souvestre lui laissa son manuscrit et retourna le voir quelques jours plus tard. Duval vint à lui les deux mains tendues et lui donna, avec quelques bons conseils, des encouragements qui lui causèrent une folle joie.

La pièce, lue aux Français, fut reçue avec acclamation ; un tour de faveur lui fut même accordé, et les répétitions allaient commencer, quand la pièce fut arrêtée comme hostile à la Sublime Porte ; toutes les démarches de Souvestre restèrent sans succès.

Sous le ministère Martignac (4 janvier 1828), l'interdit ayant été levé, il put faire commencer les répétitions ; mais A. Duval, brouillé avec les sociétaires, ne le protégeait plus. Les répétitions furent suspendues sans motif. Souvestre se mit en colère, rompit avec l'administration et retira sa pièce.

Les espérances qui avaient pu le griser un instant s'évanouirent, aussi il tomba bientôt dans un profond découragement et un dégoût universel s'empara de son coeur. Il dut sentir, comme tant d'autres la maligne influence du siècle, mais il eut le bonheur de ne pas succomber à cette crise d'âme. Au moment où, dégoûté de la littérature, il se sentait impropre à tout travail, à toute profession, la Providence lui envoya un grand malheur qui arracha son coeur à des préoccupations trop personnelles, et en même temps un grand devoir qui releva son courage abattu.

Son frère aîné, capitaine au long cours, venait de périr en mer dans un naufrage. Ce frère, qui faisait vivre la mère de Souvestre, laissait une veuve et un enfant sans ressources. Sous ce coup terrible, Souvestre se releva, il accepta sur-le-champ le noble fardeau que lui laissait son frère. Il pria ses amis de lui trouver n'importe où, dans la capitale, en province, un emploi modeste. On lui procura une place de commis libraire à Nantes, chez M. Mellinet.

 

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IV. SOUVESTRE A NANTES

Mellinet, homme d'érudition et de grande culture littéraire, était l'un des fondateurs du Lycée armoricain qui s'imprimait chez lui. Il connaissait Souvestre, car, dans le Lycée, il avait pu lire plusieurs de ses pièces. Souvestre était donc assuré de trouver près de lui sympathie et encouragement. Il y avait, en effet, loin des rêves d'indépendance et de gloire dont s'était bercé le jeune poète aux soins tout matériels que sa nouvelle position lui imposait. L'obscurité de l'humble boutique du libraire lui fut salutaire ; les fumées de la jeunesse se dissipèrent. Il s'acquitta avec exactitude de ses modestes fonctions, mais sans abandonner complètement le monde intellectuel, sa vraie patrie. M. Mellinet encourageait d'ailleurs les essais littéraires de son commis. Le Lycée armoricain retrouva donc un collaborateur assidu. A la fin de 1828, Souvestre y publia deux poésies : l'Abandon et le Banquet.

Il n'oublia pas non plus la Société académique de Nantes, qui l'avait couronné en 1825. Il y fit plusieurs lectures sur des sujets variés : tantôt c'est une pièce de vers, la jeune Grecque et le proscrit, tantôt c'est une étude consacrée à une Compagnie bretonne qui se propose de planter en arbres résineux 100 000 hectares de terrains en friche.

Souvestre veut fonder, lui aussi, une revue. Le 28 janvier 1829, devait en effet paraître le premier numéro de la Revue de l'Ouest, mais il ne fut imprimé qu'en novembre. La revue, d'ailleurs, eut une existence éphémère, elle ne vécut que six mois, de novembre 1829 à août 1830 : les collaborateurs étaient peu nombreux. Turquety lui vint de loin en aide et lui envoya plusieurs pièces de ses Esquisses poétiques.

Souvestre avait aussi ouvert une librairie, la Librairie industrielle, « pour tenir la Bretagne au courant des publications utiles et nouvelles » ; un salon de lecture pour les journaux y était annexé. La librairie n'eut malheureusement pas plus de succès que la Revue de l'Ouest.

Cette dernière avait cédé ses abonnés et son titre au Lycée armoricain. Souvestre, nullement découragé par son échec, continua à collaborer à la revue qui avait reçu ses premiers essais. Il publia des Souvenirs de Rennes et quelques légendes des lavandières de Morlaix. Il intitula l'une d'elles : Les amours d'une âme, Marie et Alfred, conte fantastique. Alfred a vu dans un cimetière sur une pierre funéraire un nom de jeune fille, et son coeur s'éprend d'amour pour cette inconnue. Il vient pendant longtemps prier sur sa tombe, puis une nuit il ose évoquer le nom de cette amante. Celle-ci, quittant l'autre monde, vient s'entretenir avec lui. Alfred ne peut ni la voir ni la serrer dans ses bras : son seul bonheur est de la savoir présente et de lui parler jusqu'au moment où, s'étant attardée trop longtemps près de son amant, elle disparaît pour toujours.

C'était bien là un conte fantastique, digne de tous points de la nouvelle école romantique.

L'histoire de la Révolution de 1830 fournit à Souvestre une chronique parisienne dans les amours tragiques de Perette Godard, de Bercy, et de son ami Pierre, tué à l'assaut de Paris.

Il écrivit aussi en vers une comédie en un acte, intitulée l'Auteur posthume. La mort donne la gloire à qui longtemps l'avait inutilement cherchée. Cet auteur, que l'on croit mort, est heureusement bien vivant.

Mais le Lycée armoricain, après huit ans d'existence, disparut, faute de lecteurs. Souvestre ne put se résoudre à la disparition complète de la revue nantaise. De nouveau il publia la Revue de l'Ouest. Il composa en vers un long prospectus pour célébrer le vieux Lycée armoricain. Il imitait E. Turquety, Hippolyte Lucas, Evariste Boutay-Paty à lui rendre ses succès d'autrefois et sa gloire éclipsée. Hippolyte Lucas envoya un proverbe politique en prose ; Mme Desbordes-Valmore, une petite pièce en vers, et ce fut tout. Aussi la Revue de l'Ouest, après deux numéros seulement, disparut comme le Lycée armoricain (octobre 1831).

S'occuper de librairie, collaborer au Lycée et à la Revue de l'Ouest ne suffisaient pas à Souvestre. On parlait beaucoup à cette époque des écoles « à la Lancastre », ou écoles mutuelles. L'opinion libérale, qui prédominait à Nantes, poussait, par ses représentants les plus influents, à la mise en pratique des systèmes d'éducation inaugurés en Angleterre et sur le continent.

Le député Luminais avait voulu fonder à Nantes un établissement de ce genre. Pour cela, il avait fait un voyage en Belgique et à Paris, mais l'autorisation lui avait été refusée. En 1830, la permission lui fut enfin accordée d'ouvrir une école ; deux jeunes professeurs la dirigèrent en y appliquant la méthode Jacotot. Les sciences y furent enseignées par M. Payot, Souvestre fut chargé des lettres.

Ce dernier était plein d'ardeur pour la nouvelle méthode. En 1829, il avait fait un rapport à la Société académique de Nantes sur les écoles mutuelles. Ce rapport se changea bientôt en un volume que le Dr Guépin se chargea d'annoncer dans le Lycée armoricain. Ce résumé de la méthode Jacotot, dédié à M. Luminais et à tous les pères de famille de la Bretagne, eut deux éditions dans la même année.

Bientôt les deux professeurs s'attirèrent, avec la considération, la confiance publique ; avec le succès vint l'aisance. Depuis quelque temps déjà, Souvestre avait fixé sa vie. Jadis il avait cru trouver à Rennes

Un coeur pour épancher son coeur, 

Des pleurs pour mêler à ses larmes, 

Quelques soupirs pour sa douleur.

Mais il avait fallu se séparer de celle qui la première avait parlé à son âme. Et depuis, ses chants n'étaient que de tristesse et d'ennui. 

Le tableau de la vie est pour moi sans couleur. 

Plus de songes d'amour, de rêves de bonheur. 

Pas une âme, mon Dieu, pour comprendre mon âme, 

Pas un coeur pour presser mon coeur. 

Son âme, comme il le dit ailleurs, languissait encore à son matin. 

 

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V. SON MARIAGE — « LES REVES POETIQUES »

Le 20 avril 1830, il épousa la fille d'un receveur des douanes Mlle Cécile Ballot-Beaupré qui mourut un an après (29 mai 1831). Elle lui laissait un fils qui vécut quelques mois seulement. Né le 9 mai 1831, baptisé le 10, le petit Emile mourut le 29 septembre. En mai 1832, Souvestre se remaria avec la soeur de son associé Angélique Anne ou Nanine Papot dont il eut trois filles. Sa femme, qui parfois fut sa collaboratrice, aurait été un romancier délicat, mais elle préférait un mérite plus sérieux : elle était et voulait être avant tout une excellente mère de famille.

Soutenu, encouragé par sa femme, Souvestre, tout en remplissant avec exactitude ses fonctions de professeur, s'essaye dans tous les genres.

En 1829, outre le Résumé de la méthode Jacotot, il fait imprimer un ouvrage sur Trois femmes poètes inconnues. Au mois de janvier 1830, une inondation de la Loire, provoquée par la fonte subite des glaces, lui fait écrire un Carmen Luctuosum, que M. Latour, professeur au Collège royal, mit en vers latins. Il donne au théâtre de Nantes les paroles d'une cantate polonaise qu'orchestre M. Pilate. Souvestre est en effet un assidu du théâtre ; il aime les arts et croit à leur influence sur la société. Son ouvrage : Des arts comme puissance gouvernementale et de la nouvelle constitution à donner aux théâtres, en est une preuve. A deux reprises, il réunit un certain nombre de compositions de français, de musique et de dessin, faites par des élèves de l'enseignement mutuel ; il les publie, pour montrer à ses détracteurs l'excellence de sa méthode.

Les Rêves poétiques (Nantes 1830) sont l'oeuvre maîtresse de sa jeunesse. Dans ce volume, il a réuni tous les vers qu'il avait  

composés jusqu'alors. Quelques-unes de ces petites pièces sont bien faibles, surtout si on les compare aux oeuvres romantiques d'alors, mais d'autres révèlent d'excellentes qualités.

Dans sa préface il présente

Les tableaux de ses longues souffrances 

Par instants colorés de reflets d'espérances, 

Les rêves ingénus d'une âme de vingt ans ...

Il cachait alors sa timide fierté, seul, sans ami, sans soutien, perdu, pour ainsi dire, dans le fracas d'une ville étrangère. Trois ans se sont écoulés, il relit ses premiers vers.

Et le bras appuyé sur mon épaule amie, 

Une épouse avec moi les relit attendrie,

Et s'arrêtant, plaintive, aux plus sombres endroits, 

Console d'un baiser mes douleurs d'autrefois.

Le soir, il aime à se promener sur la Sèvre et sur l'Erdre, les deux rivières qui, avec la Loire, arrosent la ville de Nantes. Pour ces excursions, composé une barcarole, la Nacelle.

LA NACELLE

Vogue, vogue, barque légère,

Tout dort, l'air est tranquille et pur,

Emporte moi loin de la terre, 

Berce-moi sous des cieux d'azur. 

Déjà le bruit confus expire

Au sein des lointaines vapeurs, 

Et du brouillard qui se retire 

La lune sort comme un sourire 

A travers un voile de pleurs.

La barque repose, et ma tête 

Se penche sur le flot qui dort. 

Sous ma rame, une fleur s'arrête ..... 

Faible débris que la tempête, 

Comme moi, lança loin du bord. 

................................................................

Vogue encore, ô barque légère, 

Tout dort, l'air est tranquille et pur, 

Quelques instants loin de la terre, 

Berce-moi sous des cieux d'azur.

C'est la Bretagne qu'il aime et qu'il célèbre avant tout.

O que ne puis-je entendre encor, 

Quand l'ombre vient sur les vallées 

Le son triste et lointain d'un cor, 

Sortant des forêts isolées, 

Et les pâtres au sein des nuits 

Chantant les vieux airs du pays. 

Les Rêves poétiques sont une ébauche de son grand ouvrage : Les derniers Bretons

O pays des Bretons, terre verte et brumeuse, 

Vallons où s'écoula mon enfance rêveuse, 

Lieux où j'ai tant aimé, tant souffert, tant pleuré, 

C'est encore une fois vous que je chanterai. 

Il a la nostalgie de la mer, il entend sa voix, tantôt caressante, enchanteresse, et tantôt irritée. Il revoit « les rocs grondants où se brise la lame ». Il voudrait sentir

Cette brise des mers que sa mère respire, 

Cet air frais apporté sur le flot matinal.

Ses vers racontent l'histoire de la Bretagne : la belle duchesse Anne qui, montée sur les créneaux, chante doucement sa romance d'amour ; messire Du Guesclin, dont la vaillante épée poursuit sans trève ni repos l'Anglais, éternel ennemi du Breton. Ils racontent aussi de vieilles légendes : des choeurs de démons viennent insulter la croix et rafraîchir leur front au souille de minuit. Les lavandières ne sont pas moins terribles.

Bientôt, au sein des nuits, la pâle lavandière, 

Par ses coups répétés, réveillera nos bois.

Au bord du grand étang, à genoux sur la pierre, 

Elle viendra laver son grand drap mortuaire ....

Malheur au voyageur qu'appellera sa voix !

Une des meilleures pièces du recueil est adressée à Edouard Turquety. Souvestre lui reproche sa tristesse, et il en cherche la cause.

Te voilà triste encor ..... Triste! et pourtant ta mère, 

En te voyant passer, à l'instant souriait ; 

Elle le cache en vain, de son fils elle est fière, 

Et son regard me le disait. 

Qui te fait accuser le ciel dans ton délire ? 

Le ciel t'a tout donné dans ce vallon de pleurs : 

Une âme pour aimer, une voix pour le dire, 

Un luth pour chanter tes malheurs.

Dans des vers charmants, qui disent ses luttes vaines, ses ennuis et aussi son désenchantement, il raconte sa jeunesse.

Ah! je connais assez ce qu'on nomme la vie ! ....

Des songes tourmentés, des plaisirs sans vertu. 

Quelque joie éphémère et d'avance flétrie, 

Voilà vivre ! ...... ainsi j'ai vécu ! 

Quelque temps j'ai rêvé la gloire passagère 

Que les hommes ici nous vendent pour des pleurs ... 

Ma couronne eût été si belle pour ma mère ! ....

Je n'eusse montré que ses fleurs !

Et pourtant, l'on m'a dit que le coeur est poète ! 

Et dans mon sein pourtant brûlait un feu sacré ; 

Ah! si d'un coeur aimant la lyre est l'interprète, 

Pourquoi suis-je encore ignoré ?

Turquety est fatigué de la vie, il voudrait mourir ; aussi son ami lui fait-il à ce sujet de tendres reproches.

Eh quoi ! tu veux nous fuir, nous laisser sur la terre ? 

Quoi ! tu n'aimes donc rien, puisque tu veux mourir ! 

Ah ! dans le ciel encor, si tu chéris ta mère. 

Dans le ciel tu devras gémir.

........................................................

Mourir ! .......... si jeune encore ! Oh ! vois, la terre est belle 

L'avenir à ton luth promet un souvenir ; 

Vois la gloire te rendre une palme immortelle ? ......

Ami, tu ne dois pas mourir !

Turquety reprit courage, et bientôt il livra au public le petit volume des Esquisses poétiques

 

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VI. VIE ERRANTE — MORLAIX — BREST — MULHOUSE

Des dissidences de méthode entre les deux associés avaient amené une dissolution de leur Société. Peu de temps après son mariage, Souvestre dut quitter Nantes. Il se rendit à Morlaix avec l'intention de s'établir près de sa mère et d'y exercer la profession d'avocat. Mais bientôt le choléra fit invasion dans la ville, Mme Souvestre, atteinte de l'horrible mal, échappa avec peine à la mort. La terreur qu'avait éprouvée Souvestre lui rendit insupportable le séjour de Morlaix. Il accepta d'être rédacteur en chef d'un journal de Brest, le Finistère. Bi-hebdomadaire, puis tri-hebdomadaire, cette feuille était politique, maritime, commerciale et littéraire. Souvestre la dirigea du 9 novembre 1832 au 29 juin 1833. S'apercevant qu'on attendait de sa plume des services que ses convictions repoussaient, il donna sa démission (Note : Il lança aussi la Revue de Bretagne. Elle ne vécut que de janvier 1833 à avril 1834. Souvestre et sa femme la composèrent presque seuls) et rentra dans l'enseignement. M. Faure venait de fonder une institution libre à Brest, Souvestre y professa la rhétorique. Mais le climat pluvieux de cette ville altéra sérieusement sa santé, et les médecins lui conseillèrent l'air sain des montagnes. Il sollicita et obtint une chaire de même rang à Mulhouse, grâce à l'obligeante intervention de M. Dubois, ancien rédacteur en chef du Globe.

Il a laissé de Mulhouse une charmante peinture, où s'est exercée un peu trop sa malice. Il mécontenta même fortement les Mulhousiens en publiant cet article dans la Revue de Paris (1836).

Mulhouse est pour lui une ville suisse couchée au fond de sa vallée avec des toits roses, des peupliers et des montagnes neigeuses à l'horizon. De près, elle ressemble à une usine immense, mais silencieuse. Les rues étroites, qui ne portent pas de nom, sont bordées par des boutiques sans enseignes et par de laides maisons.

L'instruction de l'enfant se borne aux éléments rigoureusement nécessaires pour qu'il puisse poursuivre ses études spéciales et son éducation professionnelle. Quant à l'élément poétique, à l'art, il n'en est point question. Les lettres sont pour l'enfant mulhousien qui finit ses études ce qu'était l'Amérique avant Colomb. Il n'a jamais pensé que la parole pût être bonne à autre chose qu'à discuter un compte ou expliquer un nouveau procédé de teinture. Souvestre constatait cependant quelques progrès dans l'éducation, grâce à la réorganisation du collège, mais ils étaient bien lents.

Dieu, disait Souvestre en finissant, a eu besoin de se reposer le septième jour ; le Mulhousien est plus robuste que Dieu.

Les petites méchancetés du professeur de rhétorique pour la ville qui l'avait reçu dépassaient les bornes. On le lui fit sentir. D'un autre côté, sa santé s'altérait autant dans la montagne que sur le bord de la mer. Il dut quitter les Vosges.

Souvestre prit le parti d'aller droit à Paris et de s'y établir, de concentrer ses efforts dans un seul travail et de demander aux lettres le pain de l'esprit et le pain du corps. L'entreprise était hardie, car le poids de sa responsabilité s'était encore accru : trois jeunes têtes bouclées se pressaient maintenant sous le regard caressant mais inquiet du père de famille.

Quelques jours avant son départ de Mulhouse, il écrivait à l'un de ses amis :

C'est à Paris qu'est ma place. Si mon espérance est trompée et que je doive m'y engloutir, eh bien, que la volonté de Dieu s'accomplisse, je ne me serai perdu que parce que je ne méritais pas d'être sauvé.

Souvestre devait réussir, car il était suffisamment armé pour la lutte qu'il allait entreprendre. La vie errante qu'il venait de mener avait mûri son talent. Loin d'ailleurs de se laisser vaincre par les difficultés rencontrées sur la route, il avait travaillé, et entre son départ de Nantes, en 1832, et son arrivée à Paris, en 1837, quatre ou cinq volumes avaient prouvé sa fécondité littéraire.

Il avait mis à profit son séjour à Brest pour donner une édition in-4° du livre de Cambry, Le Finistère en 1794. Il y ajouta, sous le titre Le Finistère en 1834 et en 1836, l'étude descriptive et statistique la plus complète que l'on possède sur ce département.

Il publie son premier roman : L'Echelle de femmes (1835), sobre et vigoureux tableau des misères sociales qui pèsent sur la femme de toutes les classes, la grande dame, la bourgeoise, la femme du peuple. Une poignante émotion étreint à la lecture de certaines pages, et l'on sent que l'auteur est plus attiré par les malheurs de la femme que par le spectacle de ses joies et de son bonheur.

Il avait profité de ce roman pour peindre un coin de Brest, disparu aujourd'hui, le Pont de terre, qui ressemblait alors à une véritable cour des miracles du moyen âge.

L'un des héros du livre, Edmond Bian, semble le vivant portrait de Souvestre. Comme lui, il a déjà entrepris de nombreux travaux littéraires. Il a réussi à faire insérer quelques articles signés de son nom dans les journaux.

Malgré la prosaïque existence qui m'entoure, dit-il, l'enthousiasme et le délire débordent en moi ...... Je ne puis voir un livre nouvellement imprimé sans éprouver un battement de coeur ..... Il me semble que toutes les places se prennent et qu'il ne m'en restera plus. Je suis triste de la gloire des autres ...... et il y a des heures où je me crois envieux .......

Le dernier trait seul n'appartient pas à Souvestre, qui ne s'attriste jamais du bonheur d'autrui. Plus heureux d'ailleurs qu'Edmond Bian, il devait réussir à Paris et dans la France littéraire Alfred des Essarts le lui prédisait. Il terminait ainsi l'article qu'il avait consacré à l'Echelle des femmes :

M. Emile Souvestre, courageux et persévérant journaliste de province, est un des astres les plus brillants de la pléiade bretonne.

L'année suivante (1836), il compose un drame en cinq actes et six tableaux, Le riche et le pauvre, représenté à la Porte Saint-Martin le 1er février (Note : C'est la lutte entre le talent sans fortune et la richesse sans talent). Aux yeux du critique de la Revue de Paris, H. Fourtoul, c'est la pièce la plus simple, la plus honnête jouée depuis six ans. En novembre, Souvestre la publie sous forme de roman (2 vol. in-8°). Ce livre obtint un grand succès. L'auteur, disait-on, était un esprit sérieux, qui n'avait eu qu'un maître, la nature.

La même année, Souvestre collabore par une nouvelle, le Dernier amour, au livre des Douze, le Dodécaton, avec Alfred de Musset, Alfred de Vigny, G. Sand, Mérimée, Loève-Veimars, Léon Gozlan, A. Dumas, J. Janin, Stendhal, Dufougeray et un anonyme. 

 

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VII. « LES DERNIERS BRETONS » 

Enfin, il commence dans la Revue des Deux Mondes la publication des Derniers Bretons, ouvrage que plusieurs regardent comme son chef-d'oeuvre.

En 1836, la Bretagne n'était pas tout à fait une terre inconnue des littérateurs français. Cambry, pendant la Révolution, l'avait pour ainsi dire explorée, mais souvent il l'avait mal vue. On trouvait cependant dans son livre un tel accent de vérité que beaucoup voulurent refaire le chemin parcouru par lui. On étudia la Bretagne pittoresque, puis la Bretagne catholique on royaliste. Bonnelier, Marchangy, Roujoux étaient partis en explorateurs. Ils observèrent le pays du haut d'une chaise de poste, passèrent huit jours sans guide. dans une contrée dont ils ne comprenaient pas le langage. Ils purent ensuite faire facilement des romans, des voyages, des statistiques, des études archéologiques, des articles littéraires ou géographiques. Quelques auteurs encore moins scrupuleux copièrent Cambry et lui empruntèrent surtout ses erreurs. Souvestre, dans l'introduction des Derniers Bretons, prend un malin plaisir à montrer les fautes grossières dans lesquelles étaient tombés Malte-Brun, Baudin, Abel Hugo, P. C. Briand et surtout M. de Jouy dans son Ermite en Bretagne.

Le spirituel académicien a cru bon d'ajouter quelques erreurs de son cru, qu'il a apposées sur la prose de Cambry, comme l'empreinte de son cachet parisien.

Il existait pourtant des ouvrages vrais et consciencieux sur la Bretagne. On pouvait la reconnaître telle qu'elle était dans les spirituelles causeries de Romieu (Revue de Paris), dans les romans d'Ernest Menard, dans les antiquités de Fréminville, la Guionvac'h de Dufilhol, dans les études de moeurs de Brizeux, de Carné, de La Villemarqué et les belles études historiques d'Aurélien de Courson. Dans le Lycée armoricain, pendant de nombreuses années, Richer avait donné une espèce de cosmogonie bretonne ; les deux Trebuchet, Athenas, l'abbé Mahé et tant d'autres y avaient étudié le sol ou l'histoire de la Bretagne.

Pourtant, le vrai portrait de la Bretagne n'était point encore fait, et Souvestre osa l'entreprendre et le mener à bonne fin. Il s'était d'ailleurs préparé de longue main. Dans sa jeunesse, il avait habité surtout Rennes et Nantes, mais il connaissait bien Brest et Morlaix. Son père, jadis, lui avait raconté les anciennes légendes du vieil Arvor. A Nantes même, Richer, dans leurs longues promenades en bateau sur la Loire, l'Erdre et la Sèvre, lui avait souvent fait part de ses connaissances. Ses nombreux voyages à travers la presqu'île, l'étude approfondie du pays, la publication du voyage de Cambry lui facilitèrent le travail, mais ce qui le soutint plus encore, ce fut l'amour de la Bretagne.

Les Derniers Bretons comprennent trois parties : La Bretagne et les Bretons ; Poésie de la Bretagne ; Industrie, commerce et agriculture de la Bretagne.

Il laisse de côté la Bretagne française et ne s'attache qu'à la Bretagne bretonnante, où la langue celtique et les vieux usages s'étaient conservés sans trop d'altération. En quatre chapitres, il fait la topographie de la Bretagne.

Il décrit d'abord le Léonais.

Tout, dans cette contrée, exhale je ne sais quelle enchanteresse et paisible fertilité. Il semble que, couverte d'églises, de croix, de chapelles, elle soit fécondée par la présence de tant d'objets sacrés. On voit, rien qu'à la regarder, que c'est une terre bénie qu'aiment les habitants du paradis. Il passait ensuite en revue les villes du Léonais ; Morlaix, assise au fond de sa vallée avec sa couronne de jardins ; Saint-Pol de Léon, qui se dessine de loin sous des clochers aériens, comme une grande cité du moyen âge. Lesneven, semée de couvents demi-ruinés ; Landernau, charmant village allemand ; Roscoff, vaillant petit port, relâche de corsaires et de flibustiers.

La Cornouailles plaît à Souvestre par les deux aspects opposés qu'elle présente. Il s'attarde volontiers à montrer tout ce que renferme de triste et de sauvage sa partie septentrionale.

Sur les flancs des monts d'Arhès, le voyageur suit de longues routes blanches et raboteuses qu'égayent de loin en loin des troupeaux de moutons bruns semés sur les bruyères en fleurs ; quelques pâtres immobiles au sommet des rochers, jetant au vent leurs refrains. Au loin, une mer d'ajoncs, de genêts et de bruyères, d'où s'élève à peine de temps en temps un îlot de verdure que protègent quelques ombrages, et où se cache une chaumière.

Plus loin, c'est la vraie mer, et Souvestre, qui l'a maintes fois contemplée, en donne un saisissant portrait :

Montez le long des pics élevés, jetez-vous dans un de ces sentiers encaissés au flanc du côteau et que bordent des deux côtés les genêts qui balancent leurs couronnes d'or à cinq pieds au-dessus de votre front ; marchez sans écarter le rideau de verdure qui se trouve devant vous, puis tout à coup, quand vous aurez cessé de monter, levez les yeux ! La mer sera à vos pieds ; la mer murmurante, mélancolique, encadrée d'une bordure de montagnes lointaines, et semblable à l'un de ces immenses lacs du nouveau monde qu'entoure la solitude ! Là vous pourrez passer des heures, des journées et des mois entiers, sans entendre d'autre bruit que la vague ou le cri de l'oiseau marin, sans voir autre chose que le soleil se levant et se couchant sur les flots ou parfois une voile rasant la mer à l'horizon, comme un goéland égaré. Rien au monde ne peut rendre la majestueuse tristesse d'un pareil spectacle. C'est devant une de ces grandes baies solitaires que l'on comprend les longues existences des premiers chrétiens dans le désert. Il semble, au bruit mélodieux et régulier de cette mer, que votre âme s'associe à la sérieuse nature qui nous entoure ; qu'elle s'y mêle au point d'en faire partie ; que ce cri plaintif de l'oiseau des grèves, ce murmure des vents et des flots deviennent quelque chose de vous-même, une sorte d'émanation de votre être, une mystérieuse communication entre votre monde et je ne sais quel monde inconnu. Devant cette admirable image de l'infini, l'esprit s'élève et s'immobilise pour ainsi dire dans l'extase.

A côté de ces sites qui prêtent à la rêverie, Souvestre en décrit d'autres d'un aspect grandiose et terrible : la Pointe de Penmarc'h, la Torche, la Baie des trépassés. La mer, dans ces parages, est terrible, mais jadis elle était peut-être moins à craindre que ses sauvages voisins « les naufrageurs ». Souvestre parle longuement de leurs moeurs, de leurs coutumes et de l'histoire de Philopoen, le sauvage d'Audierne. Après avoir esquissé un large tableau des moeurs, des usages, des croyances de la Cornouailles, des luttes qu'on y célèbre à l'époque de certains pardons, il décrivit le pays de Tréguier (département actuel des Côtes-d'Armor), avec ses menhirs gaulois surmontés de la croix chrétienne.

Souvestre avait parcouru à cheval tout ce pays et, en vrai romantique, il prend plaisir à parler des meurtrières encore béantes des vieux châteaux, des basses-fosses humides, du vent qui mugit sous les voûtes et sur la grève du mont Saint-Michel.

Après une vue générale de la contrée, il s'attarde à chaque ville, trouvant pour chacune d'elles une expression savoureuse et pittoresque : Tréguier, « les pieds dans la mer et la tête sous l'ombrage de sa colline » ; Paimpol, « tout parfumé d'une odeur marine » ; Lannion, Lamballe, Guingamp. Belle-Isle, « jaune et terreux, accroupi comme un mendiant immonde au milieu du chemin » ; Dinan, « avec son corset d'antiques murailles, si crevassé de maisonnettes riantes, si brodé de jardins fleuris, que l'on dirait une jeune fille essayant une vieille armure par-dessus sa robe de bal ». Souvestre n'aime pas Saint-Brieuc, « vieille cité replâtrée » ; il lui préfère Châteaulandrin, ville morte, où jadis son père perdit sa fiancée dans une inondation.

L'histoire de Moustache, vainqueur du diable, l'amène tout naturellement à parler des superstitions, des fêtes, des pèlerinages du Trécorrois. Sa fougue romantique, ici encore, s'empare de son imagination, et c'est elle qui guide sa plume dans la peinture du Kloarek ou séminariste breton. Il a de l'enthousiasme pour celui qui deviendra un de ses recteurs « allant de nuit et pendant la tempête porter les sacrements aux mourants, à travers des marais débordés », mais il n'a pas compris quels sont les sentiments de celui qui se prépare au sacerdoce. Le jeune abbé qu'il dépeint n'a jamais existé que dans l'imagination d'Emile Souvestre.

C'est en romantique que Souvestre décrit le pays de Vannes. C'est à minuit, par une nuit d'hiver claire et froide, qu'il visite Carnac, Il erre cinq heures dans les bruyères, sans pouvoir retrouver sa route.

La première partie est une étude du pays breton. La seconde est consacrée aux poésies de la Bretagne.

Fille du celte, la langue bretonne n'est pas restée inféconde. Ses bardes, successeurs des bardes gaulois, ont laissé des poésies chantées, des poèmes, des drames.

Souvestre analyse, d'une manière trop détaillée peut-être, les longs poèmes moraux, sentencieux ou satiriques. Il est plus heureux en révélant le premier au public français le talent si personnel du poète fabuliste breton Ricon et en tirant un merveilleux parti du théâtre breton. Saint Guillaume, les quatre fils Aymon, sainte Triffine retrouvent sous sa plume leur physionomie originale et curieuse.

La dernière partie de l'ouvrage est une sorte de revue de l'industrie, du commerce et de l'agriculture de la Bretagne. Ce sujet aride est rendu intéressant par des récits ingénieux, de joyeux portraits, ceux entre autres de Michel le Normand et de Bervic le Breton. Souvestre prend plaisir à montrer que si le Normand est rusé, le Breton est plus malin encore. « La doublure de grosse toile use le drap fin », dit-il, après le vieux proverbe.

Ce livre fut une révélation neuve, émouvante, sincère surtout. Les Derniers Bretons, même après des ouvrages plus récents, plus complets, plus savants, restera une oeuvre superbe à la louange de la Bretagne, composée par l'un de ses fils, et sera le plus beau titre de gloire d'Emile Souvestre (Note : La Bretagne, au printemps de 1906, à Monfort-l'Amaury, a été heureuse de célébrer le centenaire d'Emile Souvestre).

 

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VIII. EMILE SOUVESTRE SE FIXE A PARIS - SES IDEES

Souvestre arriva de Mulhouse à Paris à l'automne de 1836. Assailli d'offres séduisantes, il ne se laissa pas tenter. A Morlaix, on lui avait déjà proposé deux ou trois fois la place de substitut, mais ses opinions politiques ne le portaient pas vers le gouvernement de Juillet. En 1836, elles lui font décliner de même les avances du ministère Guizot. Quelques années après, M. de Salvandy lui offrit sans succès une chaire de littérature.

Souvestre s'établit au troisième étage d'une grande maison à l'angle du faubourg Poissonnière, d'où la vue plonge sur de grands jardins plein d'ombre. Son cabinet de travail est une étroite mansarde sous les toits, porte à porte avec d'honnêtes ouvriers qu'il aime à faire parler.

Levé tous les matins à 6 heures, Souvestre travaillait jusqu'à minuit, sans autre distraction que les courts instants des repas.

A peine arrivé à Paris, Souvestre publie des livres, des drames, des articles de critique dans les journaux, des mémoires et des nouvelles dans les revues. Des amis, Charton entre autres, dont il avait fait jadis la connaissance à Nantes, le mirent en relations avec les écrivains les plus connus, mais pour plusieurs, son idéal était trop relevé.

Quelques plumes frivoles s'essayèrent à harceler ce Breton qui, venu à l'improviste en pleine révolution poétique et dédaigneux de toutes les fantaisies et du sophisme triomphant, prétendait attirer à lui des spectateurs et des lecteurs, sans sortir des voies communes du bon sens et de la vérité. Souvestre continua tranquillement sa route, car il n'était pas homme à s'en émouvoir.

Dans un article de la Revue de Paris, il indiqua nettement le chemin qu'il voulait suivre. Il croyait à la mission civilisatrice du romancier.

Souvestre est un ennemi acharné du roman immoral. Produire de telles oeuvres est pour lui signe d'impuissance.

Car le génie est salubre et bienfaisant. Il est facile, malheureusement, de jeter le trouble dans les âmes, car un mot brûlant, une parole hardie, un doute amer suffisent pour donner une victoire lâche et aisée.

Les tendances de Souvestre l'inclinèrent vers le roman populaire, car, disait-il, l'intelligence des masses a besoin aussi de son pain noir.

Quelques romans sont particulièrement à noter dans cette période : Riche et pauvre, la Maison rouge, l'Homme et l'argent, la Goutte d'eau, le Mât de Cocagne, la Valise noire, les Réprouvés et les élus. Ses adversaires politiques virent dans plusieurs de ses romans une déclaration de guerre à la société, et leur auteur fut parfois regardé comme un déclamateur subversif. C'étaient là des craintes mal fondées, car Souvestre ne voulait détruire que les abus. Ceux qui l'attaquaient ne pouvaient méconnaître d'ailleurs sa moralité incontestée, l'austérité de sa vie et le talent qu'il mettait à défendre ses idées.

Le théâtre était une arme que Souvestre ne pouvait négliger ; de 1837 à 1848, il lança une vingtaine de pièces, dont quelques-unes ne sont que la mise en scène de ses romans. Il s'adressa à presque tous les théâtres, à la Porte Saint-Martin, à l'Odéon, aux Variétés, au Théâtre Français, mais surtout au Vaudeville et au Gymnase dramatique, et il leur donna sept drames, cinq comédies et sept comédies-vaudevilles. En une seule année (1846), il fit jouer cinq pièces. Et pourtant, pour avoir la somme complète de son travail, il ne faut pas oublier qu'il publia également, en 1836, un roman illustré et, un volume de vulgarisation. Quatre ou cinq seulement parmi toutes ses pièces furent faites en collaboration avec MM. Brune, Duboig-Davesnes, Eugène Bourgeois et Trouessart.

Tant de travaux n'étaient pas un aliment suffisant pour l'ardeur de Souvestre. Il n'oubliait ni sa chère Bretagne, ni sa collaboration aux journaux et aux revues.

Il publie une notice sur E. Richer, qu'il avait intimement connu à Nantes. Il complète le Voyage de Cambry dans le Finistère. Mais décrire les sites de son pays dans sa Bretagne pittoresque, l'étudier en géographe, en recueillir les légendes et les superstitions dans son Foyer breton n'est pas suffisant, il l'étudie en historien. Avec Pierre Landais, il raconte la lutte entre la France et la Bretagne et les derniers jours d'une glorieuse indépendance. Avec Guy Eder Fontenelle, c'est l'histoire de Mercœur et de la Ligue. La fin du Parlement de Bretagne et les commencements de la Révolution à Rennes sont une introduction excellente à ses Mémoires d'un sans-culotte bas-breton. C'est un voyage fictif qui dramatise énergiquement l'histoire de la Révolution en Bretagne et présente la hideuse figure de Carrier. La Chouannerie dans le Maine et les Faulx-Saulniers lui permettent de faire un excellent portrait de Jean Chouan.

Souvestre aime à suivre ses compatriotes au delà des mers, dans leurs différents mouvements de colonisation. Jean et une Colonie sont des épisodes charmants de la conquête de la Martinique.

Plusieurs de ces études parurent en volumes, d'autres furent publiées dans les revues. Dès 1836, Souvestre était entré à la rédaction littéraire du Temps. Il s'y occupait surtout de critique. L'année suivante, il remplit les mêmes fonctions au National, puis au Commerce, et enfin au Siècle. Mais il abandonne bientôt complètement le journalisme, pour se consacrer entièrement à la Revue de Paris et à la Revue des Deux Mondes. Ses articles sont nombreux, surtout dans la Revue de Paris. Il y a publié des études sur la colonisation française au Brésil, dans les Caraïbes, à Saint-Domingue, en Floride, au Canada, à Terre-Neuve, dans l'Acadie et la baie d'Hudson. Il est heureux à ce propos de parler de Jacques Cartier, un compatriote, et de raconter ses exploits. A côté des hauts faits des conquérants, il n'oublie point les travaux non moins utiles des missionnaires, des Jésuites au Paraguay, des Dominicains dans les Antilles, et en particulier de Las Casas, le protecteur des Indiens contre les fureurs des conquistadores ou conquérants espagnols.

 

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IX. REVOLUTION DE 1848 — « UN PHILOSOPHE SOUS LES TOITS »

La révolution de 1848, qui renversait Louis-Philippe, amenait avec la République le triomphe des idées de Souvestre (Note : En 1847, il avait accepté cependant de Louis-Philippe la croix de la Légion d'honneur, au dire de l'un de ses biographes), car il appartenait, par tradition de famille, par ses relations personnelles, par ses opinions, et surtout par la pente rêveuse de son esprit, à cette école de penseurs pour qui la République est l'idéal.

Selon Achard, la République de 1848 désespéra Souvestre.

Elle n'avait rien de ce qu'il espérait. L'heure de la désillusion venue, il enferma ses regrets au plus profond de son coeur et continua d'adorer son invisible et mystérieuse idole. Sa République était une théorie, une chimère, un rêve, quelque chose qui n'avait pas plus de vie que de nom ; c'était une abstraction. Il en faisait le synonyme du beau et du bien, et il est mort sans en avoir vu l'ombre sur la terre.

Souvestre ne voulait prendre aucune part aux affaires publiques. Sa popularité était grande en Bretagne, et le succès de son voyage à travers les villes du département présageait, semble-t-il, un triomphe que l'accueil fait à ses discours rendait presque certain. Mais des intrigues locales firent échouer sa candidature. Une seconde tentative, faite quelques mois plus tard, 1848, eut le même résultat.

Carnot, ministre de l'Instruction publique, avait fondé, avec le concours de Jean Reynaud, une école d'administration. Souvestre n'avait jamais abandonné ses études de droit, et, dans différents travaux, il avait montré son admiration pour Colbert et d'Aguesseau ; aussi fut-il nommé pour enseigner les principes du style administratif.

M. de Vaubelle avait organisé dans les divers arrondissements de Paris des lectures du soir. Pour cet enseignement non rétribué, on fit appel à Souvestre, qui fut heureux de montrer ses sympathies pour le peuple. Le Dr E. Le Maout, MM. Buchet de Clubize, Dubois d'Avesnes, Léon Feugère, Juste Olivier, et plusieurs autres, avaient suivi son exemple. Le professeur, après avoir lu quelques pages de littérature, ajoutait des détails historiques sur les auteurs et tâchait de faire comprendre les beautés littéraires à son auditoire, timide et défiant d'abord, mais toujours respectueux, et bientôt sympathique. Il joignit à ses lectures un cours d'histoire générale qui eut un grand succès, mais bientôt tout cet enseignement fut supprimé et Souvestre fut rendu à ses travaux exclusivement littéraires.

La manière de concevoir le roman se transforme, à cette époque, chez Souvestre. Son genre s'est adouci, sa philosophie s'est faite plus douce et plus pacifique.

Le premier ouvrage où se manifestèrent les nouvelles tendances fut Un philosophe sous les toits. Il avait réuni dans ce volume une série d'études morales, publiées dans le Magasin pittoresque, dont il était l'un des meilleurs collaborateurs.

Son livre eut un grand succès : il n'y comptait point, car il l'avait donné pour une faible somme à son éditeur. La première édition s'écoula rapidement, et l'Académie française couronna l'ouvrage à la demande de Victor Hugo. La presse n'eut que des louanges pour l'auteur. On le félicita « de mettre en honneur les vertus obscures, de relever l'autel des affections familiales ».

Souvestre savait, en effet, que, dans la famille il y a « des jours mêlés de pluie et de soleil », mais il ne cherche pas pour cela à détruire le foyer comme Eugène Sue, ou à le dégrader comme Balzac.

Il voulait aussi faire aimer la grande famille et donner une leçon de patriotisme. Voici, en effet, ce que dit l'un de ses héros, vieux soldat de Jemmapes :

Cette campagne que tu vois, ces maisons, ces arbres, ces jeunes gens, ces jeunes filles qui passent là, en riant, c'est la patrie  ! Les lois qui te protègent, le pain qui paye ton travail, les paroles que tu échanges, la joie et la tristesse qui te viennent des hommes et des choses parmi lesquelles tu vis, c'est la patrie !

La petite chambre où tu as vu autrefois ta mère, les souvenirs qu'elle t'a laissés, la terre où elle repose, c'est la patrie ! Tu la vois, tu la respires partout. Figure-toi, mon fils, tes droits et tes devoirs, tes affections et tes besoins, tes souvenirs et ta reconnaissance, réunis tout cela sous un seul nom, et ce nom-là sera la patrie !

Au théâtre, il continue la série ininterrompue de ses pièces : Un enfant de Paris, Les péchés de jeunesse, Le lion et le moucheron, Un paysan d'aujourd'hui, paraissent en 1850 et 1851. Là encore il innove : l'Ambigu Comique, le 9 janvier 1851, représente Un Mystère, en cinq actes et treize tableaux tirés de la légende de saint Guillaume, joué au XVIème siècle en breton et arrangé par Souvestre.

C'était de l'audace d'oser ainsi faire le premier une incursion au milieu des légendes et des mystères du temps passé ; le public lui fut sympathique et, à la première représentation, on put voir Victor Hugo applaudir chaleureusement.

Les années qui suivirent furent peu fécondes, ou du moins il ne produisit que des oeuvres de peu d'étendue, terrassé qu'il était par la maladie et les ennuis. On trouve cependant des rééditions, des nouvelles détachées publiées à part, puis réunies en volume. Mais, en 1852 et 1853, il publia au moins douze ou treize volumes.

 

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X. VOYAGE EN SUISSE - SA MORT - SON ELOGE

Les cours populaires qu'il avait faits jadis, à Paris, au Palais National, après la révolution de 1848, lui avaient donné de la célébrité à l'étranger, en Suisse tout particulièrement, où parmi les livres admis dans les écoles publiques se trouvaient, plusieurs nouvelles données par lui dans le Magasin pittoresque et réunies en volume. Aussi, au printemps de 1853, le gouvernement du canton de Neuchâtel lui demanda-t-il de donner des leçons populaires.

Son voyage en Suisse fut un vrai plaisir et un délassement. Accompagné de sa famille, il donna des cours non seulement à Neuchâtel, mais à Lausanne, à Vevey, à la Chaux-de-Fonds, et parfois le même soir, dans la même ville, il fut obligé de répéter sa conférence dans deux salles différentes.

La Bibliothèque universelle de Genève, par la plume d'Edouard Humbert, fit l'éloge du conférencier. Le critique louait la diction fluide, brillante, ailée, le tact exquis de tout dire avec mesure, l'art de laisser dans le clair-obscur ce qu'il serait hardi de mettre trop en lumière.

Edouard Humbert rendait compte aussi des Mémoires d'un sans-culotte bas-breton. Il relevait en l'approuvant une opinion de Souvestre, qui exprimait une vérité incontestable que les passions politiques ont cherché souvent à obscurcir : le paysan, en 1793, s'est levé non pour la monarchie minée ou la féodalité, mais pour défendre son industrie détruite, ses intérêts froissés, et surtout ses croyances méprisées.

En 1854 Souvestre espérait retourner en Suisse faire de nouvelles conférences. Dieu en avait décidé autrement. Au printemps, Souvestre s'installait ordinairement dans les environs de Paris, à Meudon, à Sceaux.

En 1854, il se retira dans un joli cottage de la colline de Montmorency. Il voulait y préparer son cours de l'automne et travailler avec MM. Lebazeilles et Le Jean à une histoire des colonisations européennes dont il avait déjà publié plusieurs fragments dans la Revue de Paris. Mais il luttait contre une hypertrophie du coeur, qui déjà fréquemment l'avait forcé d'interrompre ses travaux.

Au commencement de juillet, sa famille eut quelques craintes en le voyant plus fatigué ; lui se sentait mieux. Le 8 juillet, il annonça son intention de se lever pour s'occuper de son jardin, causa gaiement avec ses jeunes filles, puis sembla s'assoupir un instant ; il était mort.

Son corps, déposé provisoirement dans le cimetière de Montmorency, fut enseveli le 13 au cimetière du Père-Lachaise. Un groupe d'amis fidèles accompagna sa dépouille mortelle et le pasteur Paschoud, très lié avec Souvestre, fit son éloge. Il repose à deux pas d'Honoré de Balzac et face à Gérard de Nerval.

Charton, publia sur lui une excellente notice biographique dans le Magasin Pittoresque ; M. Jules de Kergomard, dans la Revue trimestrielle belge ; M. A. Achard, dans l'Assemblée nationale (23 juillet 1854) ; les écrivains de toutes les opinions rendirent hommage à son caractère ; ceux mêmes qui lui reprochaient de mettre l'art au service de la morale ne furent pas les derniers.

L'Académie, qui avait couronné Un Philosophe sous les toits, voulut elle aussi déposer une palme sur sa tombe. Le 24 août 1854, elle donna à Mme Souvestre le prix Lambert, destiné aux familles d'écrivains connus pour d'honorables travaux.

Souvestre avait les principaux traits de la nature bretonne ; il avait la haute taille du Léonais, la démarche lente, presque solennelle, le visage basané aux traits tranquilles, sévères et encadrés d'épais cheveux tombants, le regard plein de sérénité, et le sourire empreint d'une tristesse résignée.

Par l'extérieur et le caractère, dit Achard, il n'était pas de son âge, et, plusieurs confrères et amis plus jeunes à peine de quelques années l'appelèrent volontiers le P. Souvestre. Tant en lui, le regard, le sourire, la parole, les habitudes, tout était paternel.

Un des plus beaux éloges de Souvestre fut écrit par un de ses anciens adversaires, Jules Janin, dans le Journal des Débats le 10 juillet 1854.

Il y a vingt ans qu'Emile Souvestre, excité par la vocation, s'en vint à Paris, du fond de sa province bien-aimée ; et, comme il voulait porter à l'instant même un grand coup dans le camp des indifférents et des sceptiques, il parla du jour au lendemain de la Bretagne, sa patrie ; il parla de ce qu'il savait le mieux, de ce qu'il aimait le plus au monde après sa femme et ses enfants, car il était venu dans le grand abîme, apportant avec lui les chastes et doux remparts de la famille, et ce fut sa gloire, en effet, sa gloire précoce et charmante, de se trouver ainsi, pour bien commencer et pour bien finir, à l'abri du désordre et des passions mauvaises ...... Il était Breton, il aimait la Bretagne, il la savait par cœur, il en avait parcouru les grèves, les étangs, les océans ; il en rapportait tous les mystères.

Après avoir critiqué avec une modération de bon aloi les exagérations, les violences mêmes que contiennent certaines pièces de Souvestre, le ton parfois un peu pédant ou trop évangéliste de ses nouvelles, il signale en passant un autre léger défaut.

Souvestre n'avait pas ce brin de gaieté qui va bien à l'âme, ce rayon de soleil qui fait bien partout, ce parfum de muguet, cette aise intime et ce contentement intérieur, qui charment le lecteur.

Ce sont là de légers défauts, comme le pessimisme qu'il montra parfois, soit dans Un Philosophe sous les toits, soit dans Julien, nouvelle publiée en 1844 par la Revue de Paris. Ce pessimisme fut tout extérieur et n'entra jamais bien profondément dans l'âme de celui qu'on appelait le vertueux Souvestre. On pourrait peut-être lui appliquer ce qu'il disait de l'un de ses personnages.

Vous n'avez pas pris la folie pour le génie, et vous avez mieux aimé avoir le sens commun que d'être un grand homme, Dieu vous protège, vous êtes un homme rare. Quant au bonheur, n'en ayez souci, vous le trouverez ; car vous avez cherché, comme le Christ a dit de chercher, la vérité avec un cœur simple.

Cette phrase contient et résume excellemment le poète, le romancier, le philosophe que fut Emile Souvestre.

Mais, nous devons le dire, s'il parle souvent de Dieu et du Christ, Souvestre a cessé de bonne heure de rendre ses devoirs au Dieu de son enfance et de sa jeunesse. Après son mariage qui fut religieux, il semble que Souvestre a abandonné toute pratique chrétienne. Ses amis, M. et Mme Juste 0llivier, Vinet, essayèrent parfois de l'amener au protestantisme mais il résista toujours à leurs sollicitations. Peut-être faut-il voir là un peu d'attachement au catholicisme, mais peut-être aussi, est-ce pure indifférence. Souvestre croyait en Dieu mais il ne fut pas vraiment chrétien. 

P. DUBOIS. 

BIBLIOGRAPHIE 

Ouvrages consultés : LEVOT, Biographie bretonne (Lejean). — KERVILER, Bio-bibliographie bretonne. — LEBAZEILLES, Notice sur la vie d'Emile Souvestre (1859). — MEVEL, Etude sur E. Souvestre (Brest, 1880). — Lycée armoricain (1823-1831). — Revue de l'Ouest (1829-1830). — Revue de Bretagne (1833-1834), — Revue de Paris (Fourtoul, 1835-1836-.... )  — Introduction des « Derniers Bretons » (1836). — Le Finistère (1832-1833). — La France littéraire (DUHEIL, 1834. ALFRED DES ESSARTS, fév. 1835-1838). — Revue des Deux Mondes (1833 ..... ).  — Revue indépendante (1842). — Assemblée nationale (A. ACHARD, 23 juillet 1854). — Magasin pittoresque (CHARTON, 1854, p. 401 et passim). — Journal des Débats (J. JANIN, 10 juillet 1854). — Bibliothèque universelle de Genève (ED. HUMBERT, 1853). — L. DUGAS, A. Vinet et E. Souvestre, d'après une correspondance inédite. Annales de Bretagne, 1893.

Œuvres d'Emile Souvestre :

1829. Résumé de la méthode Jacotot. Trois Femmes poètes inconnues. — 1830. Auteur posthume (comédie). Rêves poétiques (vers). Carmen Luctuosum. Enseignement universel à Nantes. — 1831. Cantate polonaise. — 1832. Enseignement universel. Des Arts comme puissance gouvernementale. — 1834. Voyage dans le Finistère de Cambry. — 1835. L'Echelle de femmes (roman). La Grande Dame (id.). Les Derniers Bretons, — 1836. Riche et Pauvre (roman et drame). La Maison rouge (roman). Notice sur E. Richer. — 1838. L'Interdiction (drame). Notice sur lord Byron. Henri Hamelin (comédie). — 1839. L'Homme et l'argent (roman). Le Journaliste. La Maîtresse et la Fiancée (drame). — 1840. Mémoires d'un sans-culotte bas-breton (roman). Aînée et Cadette (comédie). La Pierre sainte de la bruyère (légende). — 1841. La Bretagne pittoresque. La Protectrice (comédie). — 1842. La Goutte d'eau, Le Mât de Cocagne (romans). L'Oncle Baptiste (comédie). — 1843. Deux Misères, la Valise noire (romans). Pierre Landais (drame). — 1844. La Parisienne (comédie). Le Foyer breton. — 1845. Les Réprouvés et les Elus. Le Monde tel qu'il sera. La Mosaïque de l'Ouest. — 1846. Le Mousse, les Deux Camusots, Un Homme grave (comédies-vaudevilles). Charlotte (drame). Le Bonhomme Job (comédie-vaudeville).— 1847. Le Filleul de tout le monde, le Chirurgien-Major (comédies-vaudevilles). Pour arriver (drame). — 1848. Manuel des élections. — 1849. Le Pasteur ou l'Evangile et le Foyer (drame). Les Péchés de jeunesse. — 1850. Lectures publiques du soir. Un Philosophe sous les toits, Un Enfant de Paris (drame). Le Lion et le Moucheron (id.). — 1851. Un Mystère (drame). Un Paysan d'aujourd'hui (comédie). Marguerite et Béatrice (roman). Confession d'un ouvrier (id.). Le Sceptre de roseau (id.). Au Coin du feu (id.). Le Roi du monde. — 1852. Scènes de la chouannerie. Sous la tonnelle. Les Derniers Paysans. Au bord du lac. Pendant la moisson. Les Clairières. Dans la prairie. Sous les filets. — 1853. Scènes de la vie intime. Récits et Souvenirs. En Quarantaine. Le Mémorial de famille. — 1854. Lectures journalières. Histoire d'autrefois. — 1855. Blanche de Milesi-Mojon (notice). Contes et Nouvelles. La Maison isolée. — 1856. Le Mousse (comédie-vaudeville). Confessions d'un ouvrier. — 1857. Soirées de Meudon. La Goutte d'eau. Scènes et Récits des Alpes. Souvenirs d'un vieillard et Dernière Etape. —1858. Les Anges du foyer. Sur la pelouse. — 1859. Au bord du lac. Deux Misères. En Famille. Le Mendiant de Saint-Roch. Les Anges du logis. Les Contes du foyer. Les Drames parisiens. Pierre et Jean. Sous les ombrages. Souvenirs d'un bas-breton. — 1860. Théâtre de la jeunesse. — 1861. La Pierre sainte de la bruyère. La Sorcière de l'île du Lock. — Peronnick l'idiot. La Lune de miel. Le Pasteur d'hommes. La Ronde des nains. Tiphyna la jolie. — 1862. Jean Plebeau. Un Enfant de Paris (drame).

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