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SOUVENIR DE GUERRE

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SOUVENIRS DE GUERRE D'UN ENFANT DE SAINT MICHEL

(par Yves Kerempichon)

LE TUNNEL DU GRAND ROCHER.

Ce jour de l’été 44 où deux jeunes marins américains ont, dans un geste un peu fou il faut bien le reconnaître, ôté leurs bonnets US Navy pour nous en coiffer, nous nous trouvions ma soeur et moi au pied du Grand Rocher, ce haut lieu des légendes de la Lieue-de-Grève que les Allemands passés maîtres dans l’art de creuser les montagnes avaient, sacrilège, percé de part en part pour en faire un indestructible abri.

Le Grand Rocher appelé par les anciens La Roche qui Tue est une singularité géologique qui dessine sur les cartes IGN au 1 : 25 000 une protubérance divisant grossièrement en deux le tracé en forme de coupe de la Lieue-de-Grève. Ce piton rocheux de quatre vingt quatre mètres, facile à gravir par les collines boisées de l’arrière-pays auxquelles il se rattache, présente du côté de la mer une pente escarpée qui, tout au long des siècles, a contraint troupeaux, piétons et autres attelages au pas lourd, à attendre les basses mers pour se lancer dans d’aléatoires traversées de la grande baie. Il en sera ainsi jusqu’à la construction à la fin du XIXème d’un remblai assez large pour accueillir, parallèlement à la route (N786 puis D 786) et sous la protection d’un mur brise-lames en béton armé, les rails du folklorique et éphémère petit train Lannion-Plestin-les-Grèves qui, mis en service en 1916, sera remplacé en 1937 par des autocars.

Quelques années plus tard, le Reich entreprit de nous « protéger contre l'Invasion » en construisant le Mur de l’Atlantique…qui n’avait de mur que le nom tant il était inégal avec ses puissants ports-forteresses et ses très nombreuses plages qui, jusqu’à l’hiver 43-44, ne furent interdites que par des ouvrages construits sur les rivages. Et, comme les plans allemands étaient partout inspirés de Vauban, le parfait saillant qu’était notre Grand Rocher fut tout naturellement intégré dans le système de défense de la baie ; pour cela il eut droit sur sa face ouest difficile à frapper depuis la mer, à un blockhaus de flanquement destiné à couvrir la plage de Saint Efflam, blockhaus qui n’était pas tout-à-fait comme les autres puisqu’en plus d’abriter un canon, il masquait l’entrée d’un profond tunnel-abri creusé en pleine masse rocheuse. Si pour l’Organisation Todt, grand maître d’oeuvre, ces travaux n’avaient rien d’exceptionnel, pour les enfants qui pouvaient des heures durant assister sous l’oeil indifférent des sentinelles au va-et-vient des wagonnets Decauville poussés à main d’homme, ils étaient tout simplement prodigieux. (A noter que le produit du creusement, terre et pierres, déversé au plus près contre le mur brise-lames, forma un énorme remblai que la force des vagues et des courants se chargea si bien de disperser qu’il n’en reste plus de nos jours que des cailloux épars aux angles vifs).

C’est donc tout près de ce faramineux chantier inachevé que nos deux marins, riant aux éclats, nous ont plantés tels des statues (de granit !) et sauté sur la plage - un petit exploit car le niveau du sable était alors d’au moins trois mètres plus bas que de nos jours - pour rejoindre en courant leur bateau avant la marée montante.

Une ou deux semaines plus tard, sans doute entre le départ des dernières péniches (le 30 septembre) et la rentrée scolaire (décalée au lundi 9 octobre ?) ma soeur et moi sommes retournés au Grand Rocher. Une idée fixe ! Pour cela il nous fallut parcourir deux kilomètres et demi de bords de mer mal sécurisés, une aventure pour des enfants de six et sept ans dont on peut se demander d’où leur venait, en ces temps de guerre, cette incroyable liberté de mouvements. Pour le comprendre il faut savoir que nos mères nous avaient totalement laissé la bride sur le cou dès l’arrivée des bateaux américains (11 août), comme si tous les dangers, pensaient-t-elles, naïves, avaient disparu avec les Allemands. Et, inutile de dire que nous profitions aussi du fait que les parents ne suivaient pas encore leurs enfants (-rois) par satellite ! Cela étant, si nos motivations avaient quelque point commun avec celles des gens qui partout investissaient les places abandonnées par l’occupant, tels les pillards que nous avions vus forcer les portes de l’Hôtel de la Plage (curieusement devenu un bien allemand !), je pense aujourd’hui que notre détermination était avant tout liée à l’idée que pour des gosses un tunnel c’est forcément plein de trésors, avec en plus, pour celui-là, le frisson du risque et…de l’interdit. Quant aux hommes qui l’avaient creusé, que Dieu me pardonne, mais je ne partageais pas, tant s’en faut, la haine que les adultes avaient pour eux, ne pouvant imaginer, leur histoire n’ayant pas encore été écrite, que des soldats qui descendaient en chantant à la plage pour jouer au ballon aient pu faire la guerre à des enfants ! A quoi s’ajoutait le souvenir très fort de l’adolescent des Jeunesses Hitlériennes qui, bravant sa discipline, m’avait à plusieurs reprises donné du précieux charbon l’hiver précédent…Enfin je me demande, mais ma mémoire est là-dessus très lacunaire, si nous n’espérions pas découvrir au plus profond du 30 Rocher, là où personne n’était encore allé, quelque objet oublié, mystérieux et magique que nous aurions été les seuls à posséder…

Et en ce qui concerne ce qu’il faut bien appeler un tunnel, ce n’en était pas un au sens strict du terme, sa deuxième ouverture, une porte discrète percée à flanc de colline au-dessus de l’Hôtel du Grand Rocher, n’étant rien d’autre que la sortie de secours toujours prévue par les Allemands pour quitter une position, porte qui, compte tenu de l’importante différence de niveau, ne pouvait être accessible que par un escalier intérieur. A contrario, du côté de Saint Efflam le blockhaus avec son gros orifice d’aération et sa meurtrière (pour canon de 75, pas encore là), était très facile d’accès en empruntant depuis la route un très court sentier. Il y avait bien, un peu en arrière, le passage prévu pour les soldats mais cet orifice étroit, mal fini, ténébreux, nous rappelait trop l’entrée du sépulcre du Lazare de notre Histoire Sainte ou, pire, l’antre de quelque animal féroce, pour que nous ayions osé l’emprunter. Le plus simple était de passer par la large embrasure du canon dont le bord inférieur affleurait un petit terre-plein. Simple et... superbement inconscient !

Car non seulement nous n’avions pas pensé un seul instant que les lieux puissent être piégés, mais il était hors de question, après avoir menti sur notre parcours jalonné de barbelés et de champs de mines, de repartir sans avoir percé les mystères du tunnel. En vérité, aussi incroyable que cela paraisse, nous étions, en bons petits chrétiens, tout le temps, en tous lieux et là plus encore, obsédés par le péché…le Mal quoi !

Parce que ce tunnel c’était moins le repaire du Dragon (celui-là l’Archange Michel l’avait terrassé !) que celui du Satan cornu attisant de son trident les flammes de l’Enfer, cette image effroyable du Catéchisme en français (ou en breton) psalmodié tous les jeudis matin à l’église sur l’air des tables de multiplication sous la baguette de M. le Recteur Corfec, au demeurant fort respectable, mais qui pour faire bonne mesure, ne manquait jamais de nous rappeler la parabole du Riche dans la fournaise implorant Lazare (encore lui !) de tremper son doigt dans l’eau afin de lui rafraîchir la langue. Ainsi nous maintenait-on dans une terreur inspirée du Jugement Dernier : mourir après un péché mortel sans avoir pu se confesser, c’était, sans appel l’Enfer pour l’Eternité, cette autre non moins épouvantable abstraction.

A côté de ces visions…terroristes, il y avait, plus souriantes celles-là, les païennes Légendes du Rocher contées par notre grand-père pendant les interminables soirées de couvre-feu : celle du Dragon Rouge que les Allemands avaient dû singulièrement énerver avec leurs marteaux pneumatiques et surtout celle de Pierrick Scouarn pour qui s'était entrouvert une nuit de Toussaint, le Rocher où le Roi d’une cité engloutie avait entassé d’immenses richesses (la version de la maison censurée par l’Imprimatur ne disait mot des Vierges de la Caverne d’Ali Baba !), mais le jeune homme qui n’avait le droit d’y passer que le temps des douze coups de minuit s’était attardé et avait été enseveli.

Nul trésor, nulle révélation et nul message, hélas, dans la casemate désolée à la voûte aux grossières aspérités. D’où la tentation de nous enfoncer dans le tunnel…ce que nous aurions fait s’il n’avait décrit après quelques mètres une courbe au-delà de laquelle la lumière ne pénétrait pas. C’est donc l’absence de lampe et, il faut l’avouer, une sainte frousse, qui nous ont fait rester en limite du jour, car Dieu ( !) sait si nous n’aurions pas été tentés de parcourir les 150 à 200 mètres (à vol d’oiseau !) nous séparant de l’autre sortie, distance sans doute plus importante, les ouvrages militaires, tout comme les tranchées, n’étant jamais rectilignes. Nous venions de manquer une occasion qui ne se représenterait plus et… nous l’avions échappé belle !

Je pense que les lieux mériteraient d'être redécouverts par des passionnés de Bunker Archéologie ; et tant pis s’il faut pour cela déranger les chauves-souris qui colonisent ce qu’un dépliant touristique récent a curieusement transformé en … grotte ! Si une telle décision était prise il faudrait en priorité faire intervenir des démineurs, afin de ne pas revivre le drame du 23 octobre 1944 où sept Maquisards de l’Ile-Grande, entrés comme nous par la meurtrière, pour s’abriter de la pluie, furent tués par l’explosion d’un obus piégé. Ce tragique évènement eut pour effet de dissuader définitivement quiconque d’explorer le tunnel dont le blockhaus ne fut pourtant muré que beaucoup plus tard, avant d’être si bien masqué par la végétation qu’il faut de nos jours en connaître l’existence. Quant à l’autre sortie, la porte au-dessus de l’ancien Hôtel du Grand Rocher, il faudrait pour la mettre à jour une sérieuse opération de débroussaillage. Plus simple serait de découper les gros barreaux qui condamnent l’étroite entrée de l’arrière. Chiche !

Au bout du compte, que restera-t-il de l’impensable tunnel creusé par nos traditionnels envahisseurs, ces fils des uhlans qui, pour la première fois de l’Histoire, sont venus faire boire leurs chevaux jusque dans les ruisseaux de la Lieue-de-Grève ? Sera-t-il à jamais oublié ou entrera-t-il dans la Légende du Grand Rocher où Efflam et Enora s’étaient déjà abrités (eux, virtuellement !) après en avoir chassé le Dragon ? On ne sait…?

Yves Kerempichon. 

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