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SOUVENIR DE GUERRE

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SOUVENIRS DE GUERRE D'UN ENFANT DE SAINT MICHEL

(par Yves Kerempichon - n°6)

SAINT MICHEL ET LES TOURISTES.

Le 18 septembre 1944, après un long siège de six semaines, la Brest Festung laminée par les bombardements aériens et les tirs d'artillerie, n’a d’autre issue que de déposer les armes.

Conséquence directe de cette reddition, la Lieue de Grève qui fut, en raison du sabotage systématique des ports de Bretagne Nord, la principale source d’approvisionnement des troupes assiégeant la forteresse allemande, a perdu tout intérêt logistique et, sans attendre, les monumentales péniches de débarquement qui en avaient fait leur base pendant plus d’un mois, se déhalent sur leurs ancres et mettent cap au nord. Pour ne plus revenir.

De nombreux habitants de Saint Michel rassemblés près des hôtels du bord de mer ont assisté à la dernière phase de la gigantesque opération militaire, avant de s’en retourner à leurs activités de survie. Avec certes de la tristesse, mais avec aussi l’immense espoir de connaître enfin des jours meilleurs. Quant à imaginer que leur petit village venait d’entrer dans l'Histoire...

Pour nous, les enfants, ce fut infiniment plus grave. Car l’appareillage des grands bateaux sonnait l’arrêt définitif des récréations sur la plage transformée en aire de jeux et surtout, il mettait un terme aux spectacles qu’y donnaient chaque jour des magiciens venus d’au-delà les océans. Parce que la suite, nous le savions, ce serait à nouveau colin-maillard et les quatre coins dans la minuscule cour de l’école ceinturée de murs ! Et pour toujours la fin des courses à perdre haleine dans l’éclaboussement des eaux du jusant, à qui serait le premier sous les hautes murailles des péniches, la fin des cadeaux surprises lancés par les marins rigolards aux bonnets blancs, la fin des retours, les poches pleines, et la fin des interminables séances de troc. Une vraie tristesse de gosses dont la vie va redevenir ordinaire.

Et cela n’était pas terminé car, chacune des années suivantes, nous connaîtrons l’indéfinissable spleen qui envahit les petits paradis maritimes, quand, aussi soudain qu’un envol d’oiseaux de mer, le départ massif des estivants les plonge d’un coup dans la grisaille de l’automne, même si le soleil est toujours là. Et plus encore chez nous où l'au-revoir aux touristes rappellera, toutes dimensions gardées, le bye-bye aux marins américains.

Il faut dire que des grandes vacances sans couvre-feu et sans Achtung Minen, ne pouvaient qu’être ensoleillées, saisons mouillées-pourries comprises. Il va de soi que cette vision des choses était celle des plus jeunes, pas celle des plus âgés qui avaient connu les chapitres précédents de la longue saga de « Saint Michel et ses touristes » : pour eux il s’agissait d’un simple retour à la normale.

Nos premiers visiteurs furent les rares voyageurs à parcourir l'Europe au 19ième siècle : ceux-là étaient plus des explorateurs que des touristes et on devine, à travers leurs écrits, qu’ils ont bien souvent ressenti face à nos ancêtres en bragou bras et en sabots de bois, un trouble comparable à celui de Claude Lévi-Strauss découvrant les tribus amazoniennes dans leur nudité originelle. Si on ajoute que la totalité de la Basse Bretagne parlait une langue étrangère, on comprend que les récits de voyages de grands écrivains comme Stendhal, Balzac, Flaubert, Mérimée... puissent être considérés comme des documents ethnologiques.

La deuxième moitié du 19ième siècle fut aussi la période où des peintres choisirent de venir, grâce au chemin de fer, s’établir dans notre exotique terre d’ Armorique miraculeusement épargnée par les fumées d’usines de la nouvelle ère industrielle et dont les rivages aux lumières magiques ravissaient leurs yeux d’artistes. Nombre de rapins et quelques Impressionnistes de renom ont ainsi posé leurs chevalets face à la Lieue de Grève.

Après les peintres il y eut les pionniers de la photographie, amateurs passionnés ou professionnels éditeurs des premières cartes postales : ceux-là passaient leurs journées à parcourir, chargés de leurs volumineux appareils, les sentiers des douaniers à la recherche des plus jolis sites.

Pourtant, même en réunissant les avant-gardistes et les originaux de tout poil de cette époque, cela n’eût pas fait de grandes foules et Saint Michel devra, pour devenir une station fréquentée, attendre l’arrivée des premiers amoureux des bains de mer.

C’est au cours de Second Empire, et après des siècles marqués par une farouche hydrophobie, qu’un engouement sans précédent pour la baignade allait voir le jour et très vite s’étendre, toujours grâce au chemin de fer, à toutes les côtes françaises. Au point qu’avant la Grande Guerre, on pouvait déjà profiter, rien qu’en ce qui nous concerne, d’une bonne dizaine d’hôtels et pensions de famille entre Saint Michel et Saint Efflam. Avec, tout en haut de l’affiche, les deux grands hôtels qui, bénéficiant d’emplacements exceptionnels, allaient contribuer, par la qualité de leurs hébergements et de leurs spécialités culinaires, à la renommée de Saint Michel : l'Hôtel Bellevue et, plus encore, l'Hôtel de la Plage.

Pour les nantis de « La Belle Epoque » dînant chaque soir en spencers et crinolines derrière les baies vitrées des somptueuses salles à manger des meilleurs établissements, l’opulence tranquille va durer environ un quart de siècle. Jusqu’à l’arrivée, aux « Années Folles », d’estivants d’un nouveau genre qui, non contents d’abandonner l’afféterie vestimentaire de leurs prédécesseurs, vont tourner le dos à cette hostellerie élitiste et dispendieuse, lui préférant une formule faisant fi de l’inconfort des maisons particulières, la location chez l’habitant. Une vraie révolution !

On sait en effet qu’au cours des décades vingt et trente, les petites gens non seulement ne voyageaient pas plus loin que leurs chefs-lieux de canton, mais qu’ils ignoraient toute forme de congé. Quand on sait aussi que dans un village, fut-il du bord de mer, l’oisiveté était (est !) très mal considérée, sauf chez les retraités (voire !), on peut comprendre que l’arrivée de familles entières dont le seul but était de se distraire, ait provoqué un véritable choc des civilisations.

Ainsi, pour ce qui était le plus visible - et le plus anodin - ces « touristes » s’habillaient en semaine comme le dimanche et le dimanche comme pour aller à la noce. Chaque après-midi on pouvait les voir descendre à la plage, chargés d’impressionnantes batteries d’accessoires. Sitôt arrivés, ils se rendaient à la dernière petite maison en pierres face à la grève, pour louer à la Grand-Mère Lachiver cabines de bains ou tentes à rayures. Pudeur oblige ! Puis ils se livraient à leurs distractions favorites : le tennis avec son filet réglementaire aux odeurs de goudron ou le très aristocratique jeu de croquet avec ses arceaux, boules et maillets... toutes activités que ces messieurs et dames pratiquaient habillés et en chaussures blanches.

Si ces jeux, forcément pratiqués sur le sable dur des marées basses, affichaient un indéniable standing, c’était sans ostentation et dans une parfaite dignité. Ce qui, pour certains, était loin d‘être le cas aux marées hautes quand arrivait, passé le sacro-saint délai des deux heures de digestion, le moment du bain : ces mêmes jeunes gens et jeunes filles se permettaient alors non seulement d’exhiber leurs formes, mais d’exposer de larges surfaces de leur peau couleur d’albâtre. Si tout au long de la semaine il y avait peu de spectateurs pour voir cela, en revanche, nombreux étaient ceux qui se pressaient sur la route côtière, lors de la traditionnelle promenade du dimanche après-midi : gens de la campagne, commerçants, retraités, gamins... Il faut dire qu’une telle promiscuité garçons-filles, qui plus est, dans de semblables tenues, c’était du jamais vu, même si dans la réalité tous ces jeunes étaient frères et sœurs ou, au pire, cousins et cousines. Et en dépit de la taille respectable des maillots enfilés seulement pour la baignade, la mode du bronzage étant totalement inconnue.

Mais les censeurs avaient déjà perdu la partie et rien n’allait plus pouvoir empêcher les corps longtemps cachés, punis, de goûter en liberté aux plaisirs de l’eau. Il est d’ailleurs amusant de constater que sur nos côtes, ce sera comme un retour, dix neuf siècles plus tard et cette fois avec les plébéiens, à la pratique des bains du temps des thermes gallo-romains.

Bon enfant celle-là, une autre surprise, réservée à ceux qui hébergeaient des « touristes », était leur manière de se nourrir. A la grande stupeur des bretons, ces gens dédaignaient les sacro-saintes pommes de terre auxquelles ils préféraient les pâtes alimentaires, autrement dit, les nouilles ! Et, tout aussi étonnant, le matin comme au goûter, ils étalaient sur leurs tartines non du beurre, mais de la confiture ! Toutes ces nourritures, nous dira plus tard notre grand-mère, oubliant qu’elle avait conservé les joues pâles des années passées dans sa loge de concierge de la Place de la Sorbonne, expliquaient la maigreur, le teint jaune et, partant, la mauvaise santé évidente de ces citadins.

Cette formule de vacances, malgré une apparente simplicité, restera celle d’une minorité de privilégiés. Elle se poursuivra environ dix ans ; jusqu’à l’arrivée des premiers « congés payés » de l’été 36, où il faudra partager l’espace qui, sur l’immense plage heureusement ne manquait pas, avec les ballons de foot et les boules de pétanque. Cette coexistence jamais fusionnelle mais toujours bon enfant, sera vite interrompue par la guerre. La paix revenue, Saint Michel, qui n’avait jamais eu ni les moyens ni l’ambition de ressembler à Dinard ou à Perros-Guirec, retrouvera, définitivement, l’animation caractéristique des stations familiales et populaires.

C’est ainsi que, à partir de l’été 47, dès les premiers jours de juillet, la petite commune de quatre cents âmes, après dix mois vécus au rythme lent des activités de sa campagne, se rappelait qu'il avait aussi une façade maritime.

Et là quel déferlement ! A un point tel, pour ne prendre qu’un exemple, que les commerces alimentaires du petit bourg, débordés par les besoins d’une population multipliée par huit ou dix, étaient assiégés chaque matin par des clients contraints – un comble – à faire partout la queue.

Les vacanciers arrivaient par trains spéciaux, des « Paris-Lannion directs », toujours complets. Les départs depuis la Gare Montparnasse, d'où venait la majorité des estivants, se faisaient en deux grandes vagues. Les juilletistes avaient, selon nos parents, la même origine sociale que les estivants cossus des années vingt. Les choses avaient cependant un peu changé et les enfants de bonnes familles n’étaient plus accompagnés, les papas étant restés à Paris, que de leurs mamans. Et, foi de commères, bien aidées par les maîtres-nageurs musclés et les clubs de plage qui prenaient en charge leur progéniture, ces jeunes mamans ne restaient jamais seules très longtemps.

A ces gens chics, les michelois préféraient les aoûtiens, ouvriers ou modestes artisans, à l’endroit de qui il ne pouvait y avoir d’arrière-pensée de lutte des classes. Voisiner avec ces parisiens ne posait donc pas de problème. Et cela dès le premier jour, grâce à un rituel infaillible pour vaincre la retenue des Bretons : l’apéro à la maison. Si on y ajoute l’habitude, peu courante chez nous, de célébrer bruyamment anniversaires et fêtes, il ne restait plus, dans la cohabitation rapprochée qui allait suivre, que la gouaille des parigots et leur accent maintenant disparu (celui des films des années cinquante), pour nous rappeler, toujours avec humour, notre indécrottable condition de provinciaux.

En vérité, nous étions un peu émus du bonheur qu’éprouvaient ces gens à vivre trois semaines auprès de nous, un bonheur dont nous mesurions mal combien ils en avaient rêvé pendant onze mois. Ainsi, ne sachant pas ce qu’il en coûte de respirer les délétères fumées des usines, et les exhalaisons du métro, nous nous amusions de la curieuse habitude de nombre d’entre eux à monter dans le train déjà vêtus de leurs tenues de plage, shorts, débardeurs, casquettes de toile, en tenant à la main épuisettes ou cannes à pêche, comme le font les riches avec leurs skis... infortunés citadins, simplement pressés de respirer, dès la descente du car, leur dose annuelle d’air iodé.

Il faut quand même dire qu’il y avait un petit nombre de « touristes » que les gens du pays fuyaient comme s’ils étaient porteurs du choléra ou de la peste bubonique, c’étaient les crâneurs qui, dans leurs costumes légers et leurs souliers blancs, pensaient faire oublier leur enfance en sabots dans les fermes de Plouzélambre ou de Tréduder.

Conséquence de l’énorme surpopulation, il ne restait plus dans le pays la moindre place pour un panier à chat ! Toute construction recouverte d'un toit ayant pour vocation d’être louée, les habitants se repliaient dans les greniers, les garages, voire dans leurs cabanons mais, au bout du compte l’affaire était fort rentable !

La tradition était d’aller attendre « ses touristes » à l'arrivée du car de Lannion [Note : Quand le train s’arrêtait à Plouaret, il fallait aller à Pont ar Yar, à 2 Km, attendre le car pour Plestin]. Un membre de chaque famille s’y rendait ... en poussant une brouette. Oui, à cause des malles !

Car les vacanciers avaient l’obligation d’apporter les lourdes paires de draps que les loueurs ne pouvaient fournir, faute de temps pour faire bouillir les lessiveuses ou pour aller au lavoir.

Le jour tant attendu, les petits jeunes gens que nous étions se postaient, discrètement, en retrait de la colonne des brouettes, pour repérer les filles. Avec un peu de chance, on en avait même une chez soi, ces filles de Montrouge, de Clichy ou d'Asnières qui allaient nourrir nos rêves de conquêtes amoureuses ! Et, quand certains garçons du pays parvenaient à nouer des idylles et ils n'en étaient pas peu fiers, tant les échecs étaient nombreux. Il faut dire que les parisiennes toujours habillées « tendance », regardaient plutôt de haut les petits provinciaux mal ficelés que nous étions. Heureusement, les jeunes saute-rochers de Saint Michel avaient, pour séduire les filles de la ville, un redoutable terrain de chasse, la pointe de Beg ar Forn.

La première manœuvre, la plus difficile, était de les y entraîner afin de les éloigner de la redoutable ligne des transats positionnés en haut du sable sec, où, mères, grands-mères, tantes, voisines, copines... des donzelles tricotaient en potinant (à moins que ce ne fut l’inverse) du matin au soir. Car, si un œil de ces dames comptait bien les mailles, l’autre contrôlait sans faille tous les mouvements de la plage.

C’est donc au-delà des deux kilomètres des basses mers, à l’abri des rochers, que des flirts devenaient possibles. A condition que l’apprenti séducteur ait su montrer son savoir-faire. Heureusement, pour un gars de la côte les sujets à enseigner ne manquaient pas. Il y avait bien sûr, la pêche à la crevette, toujours avec une seule épuisette tenue à quatre mains ; ou, moins technique, le ramassage des moules (les noires brillantes à bord tranchant, surtout pas les bleues bombées !), là où sont les goémons les plus glissants. Et souvent, après ces travaux pratiques, c’étaient les parisiennes qui prenaient l’initiative d’autres leçons où elles étaient cette fois les plus expertes. Pour la technique du baiser, elles avaient en effet une sérieuse avance, mais, ne nous y trompons pas, les jouvencelles, fussent-elles de Paris, avaient, en ces années, (presque) toutes grand peur de livrer à notre curiosité certaines parties de leurs anatomies.

Comme il se doit, la mémoire n’a conservé de ces étés des années cinquante que les superlatifs : soleil, marées toujours hautes aux eaux toujours tièdes, filles en bikinis jouant au volley-ball sur une plage toujours envahie, bucoliques promenades d'après dîner sur une route côtière sans autos et, à la nuit tombante, spectacle des « zazous » de Paris tout de noir vêtus improvisant des bals qui, à n'en pas douter, s'achevaient dans le stupre...

Nous aurions tant voulu que ces fêtes païennes jamais ne s'arrêtent. Hélas, aux derniers jours du mois d'août, arrivait, inexorable, l’heure des départs avec ses adieux sanglotés jusqu’au marchepied du car et ses ultimes promesses : on va tenir un an, puisqu’on est sûrs de revenir à la même date, dans la même maison, et pendant des années. Et dans les wagons tirés par la locomotive à vapeur, que de larmes noircies d'escarbilles tout au long du triste voyage de sept heures vers la capitale !

A nous, les laissés pour compte, certes il restait la plage mais elle était devenue trop grande et trop nue et rien ne freinait plus les vents forts qui y levaient des feux follets de sable clair dont les grains piquaient nos jambes comme des aiguilles. Le ciel aussi, perdait peu à peu son éclat, annonçant l'équinoxe et, pour beaucoup d’entre nous, la rentrée scolaire dans la pension-prison. Gorge serrée du gamin de la côte arraché à la chaleur de sa maison et à son terrain de jeux avec l'horizon pour seules limites ! Juste avant de monter dans le morne autocar aux nauséeuses odeurs d’essence où s’entassaient les pensionnaires avec leurs valises en carton renforcées de ceintures, je tentais de conjurer ce cafard sournois en accomplissant un rituel solitaire et discret : « Dire au revoir à la mer ». Je n'y manquais jamais.

Mais, au mois de septembre 1944, nous étions de bien jeunes enfants et la rentrée annoncée serait, pour quelques années encore, celle de l’école communale.

Et, comme cette rentrée avait toujours lieu à la fin de ce mois, pour que les instituteurs, disait-on, ne manquent pas l’ouverture de la chasse, il restait donc, après le départ des bateaux américains le 18 septembre, du temps pour explorer les nombreux espaces interdits.

La plage était redevenue un terrain de jeux, mais elle n’avait pas été que partiellement nettoyée, ce qui rendait la baignade très dangereuse pendant les heures de marée montante. Et les séquelles du barrage allemand : ferrailles de camions, rails d’acier et moignons acérés des arbres brisés au ras du sable, allaient rester longtemps redoutables. Un de nos grands plaisirs était alors de profiter des basses mers pour courir de l’un à l’autre de ces obstacles dont le côté vulnérant évidemment nous attirait. Mais c’était seulement parce que la mer avait creusé autour de chacun d’eux, comme elle le fait avec les rochers isolés, de petites mares d’eau claire où zigzaguaient à une vitesse folle, dans de fascinants ballets, des bancs de minuscules et insaisissables poissons d’argent oubliés par le jusant.

Et quand le sable était devenu trop froid sous nos pieds nus, nous remontions vers la campagne toute proche, notre autre terrain de jeux familier où, nous le savions, la nature allait reprendre ses droits plus vite que sur le rivage. Pour, après l’incontournable cueillette des mûres suivie de la traditionnelle provision de châtaignes, ramasser dans les prés juste sortis d’une jachère de cinq ans sous les barbelés, les rosés du premier automne de liberté. En espérant, à l’été qui allait suivre, mâchonner, dans les bois de pins du Grand Rocher, les piquants ails des ours dont les petites fleurs blanches n’auraient pas cette fois été piétinées par les bottes des ouvriers de La Todt travaillant au tunnel.

Yves Kerempichon. 

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