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HISTOIRE DE SAINTE THECLE vers 550-580

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Sainte Thècle, pieusement honorée comme une gloire nationale en Savoie, doit être non moins chère à la Bretagne s'il est vrai, comme le dit l'histoire, que sa mémoire soit à l'origine du célèbre Pélérinage Breton de SAINT JEAN-DU-DOIGT.

On aime la vie des Saints parce qu'ils sont aimables et les moins imparfaits des hommes, parce qu'ils nous donnent l'exemple de la vertu jusqu'à l'héroïsme et de l'amour jusqu'au sacrifice. La sainteté est toujours une lumière qui rayonne et féconde. Les saints sont les étoiles au firmament de l'Eglise ; leur vue nous est toujours une joie car ils sont les triomphes de la grâce et la gloire la plus pure rendue au Créateur.

Mais l'intérêt s'accroit encore quand aux œuvres ordinaires de sanctification s'ajoutent une mission providentielle et une action vraiment historique.

Telle nous apparaît Thècle, l'illustre Vierge Mauriennaise. Attrayante déjà par la suavité de ses vertus domestiques elle s'est fait plus aimer encore par la gloire qu'elle a procurée à son pays ; et c'est à bon droit que les Savoyards l'appellent avec fierté « Notre Sainte Nationale ».

Aller en Palestine vénérer les reliques du saint Précurseur dont on lui avait tant parlé fut de sa part un acte de pure dévotion. Comme plusieurs autres en semblables circonstances elle était loin de soupçonner que Dieu avait la main sur elle et qu'elle était choisie pour une mission spirituelle dans l'Eglise du Christ. Il en était ainsi cependant. Une apparition lumineuse du pouce du saint Précurseur pendant qu'elle était en prière caractérise cette mission : elle, simple vierge, se trouve chargée par Dieu même, par ce miracle éclatant, de la gloire de Jean-Baptiste dans la Chrétienté naissante. Et elle sera scrupuleuse et ardente exécutrice des volontés du Très-Haut. En ce pays de marches qu'est la Savoie, d'un côté l'Italie où réside la Papauté, de l'autre la France que conquiert Clovis, que vont christianiser Benoît et ses Moines et, entre les deux, Thècle, tenant en sa main les trois doigts de la main droite de Jean-Baptiste tournée vers la France, quel tableau ! Le Christ devait cet honneur à son Précurseur qu'il avait tant aimé. De même que le saint avait montré du doigt le Christ sur les bords du Jourdain en disant : « Voici l'Agneau de Dieu, voici Celui qui efface les péchés du monde », de même de ces mêmes doigts, — les trois qui bénissent, — ne devait-il pas montrer la France : « Voici, par excellence le royaume de Dieu, la part choisie de l'héritage de l'Agneau Divin ! ». Et, par de nombreux miracles accomplis de suite à saint Jean-de-Maurienne, furent confirmées d'une façon éclatante et la mission providentielle de Thècle et la Protection du saint sur la Fille aînée de l'Eglise. Et ceci arrive au début de la formation chrétienne de la France, comme Baptiste prêcha dans le désert, au début de la Mission Apostolique du Sauveur. Il lui appartenait bien de montrer du doigt aux autres nations la France, le royaume de Marie, le bras droit du Christ comme la nation privilégiée. L'action surnaturelle et effective des reliques des saints est un fait notoire dans l'Eglise. Ce ne sera donc pas en vain que ces précieuses reliques quitteront les contrées stériles de l'Orient pour montrer du doigt, féconder même ces contrées occidentales, jusque là désertes, où le Christ voyait déjà d'abondantes moissons.

N'est-elle pas extrêmement touchante cette délicatesse de la Providence qui confie à une âme virginale et sainte, et à nul autre, la collaboration à la mission mystique du Précurseur dans l'Eglise et particulièrement en France? Et c'est Thècle, la Vierge Mauriennaise, qui est choisie de Dieu ! Cette élection apparaît non seulement par le miracle dont elle a été favorisée en Orient mais encore par tout ce qui l'entoure. Si elle n'était pas fixée en Sabaudie elle n'eût pas été sur le chemin de Rome et de Palestine, n'eût pas hébergé les religieux pèlerins venus d'Ecosse et de Neustrie, elle n'eût rien su des reliques de saint Jean. Si elle n'avait été de famille noble, riche et probablement princière elle n'eût pas eu l'autorité et le moyen d'agir. Et voici que le miracle se multiplie à Maurienne, que le pélerinage se fonde et que le sceau divin et populaire est acquis à l'œuvre de Thècle. Ce n'est pas tout. Nous avons dit que les doigts de saint Jean étaient tournés vers la France. Thècle a compris la volonté divine. De suite elle porte elle-même ou fait porter par des religieux qu'elle connaît en ce pays de Neustrie qu'elle aime la moitié du doigt de Jean-Baptiste, de ce doigt dont elle a vu l'image resplendissante et lumineuse : et là encore une chapelle se bâtit, un Pélerinage se fonde en sorte que d'un bout à l'autre, c'est-à-dire, de la Savoie à l'extrême Normandie, la France est soumise à l'action protectrice du saint Précurseur. Le fait est authentique et personne ne saura nier, malgré les brouillards de l'histoire, la présence du doigt de saint Jean à Saint Jean-de-Daie en Normandie.

Et là s'arrête l'action directe de sainte Thècle. En vérité, en présence de ces faits, nous paraîtrait quelque peu enténébré l'esprit qui méconnaîtrait la Mission de sainte Thècle.

Mais ce n'est pas tout.

Les siècles se sont écoulés. Des temps malheureux se sont succédés sur la pauvre France, l'anglais à tout envahi, le roi de France est à Chinon, désespéré.

Jeanne d'Arc sauve la royauté et la France, boute l'anglais hors du territoire, mais l'Anglais, entre-temps brûle à Rouen la vierge de Domrémy. Quand Hérode eût tranché la tête de Jean-Baptiste, le Christ, plein de tristesse, n'osa plus se montrer ostensiblement aux Juifs comme auparavant (Jean J.). De même, aux tristes jours où Rouen commettait son crime, il semble que Jean-Baptiste, ne voulût plus demeurer en Normandie. La fuite vers la Bretagne laisse au pays normand une impression de honte. Et l'on comprend le silence prudent de ses historiens sur un fait d'histoire qui n'est pas à leur honneur. Il faudra que ce soit la Bretagne elle-même qui leur rappelle qu'avant elle ce sont eux, les Normands, qui ont eu l'honneur de posséder la célèbre relique du doigt de saint Jean. Et elle le leur rappelle cruellement : que Thècle est une de leurs compatriotes, qu'elle a pérégriné en Orient, qu'elle même à son retour, leur a fait don d'une partie de son trésor, le Doigt de saint Jean, et en son honneur a bâti chez eux une chapelle ; ils ont oublié ces choses, se sont laissé voler leur relique, comme jadis ils s'étaient laissé piller par les Danois dont ils portent le nom [Note : Certains auteurs disent aujourd'hui : saint Jean-du-Doigt en Normandie pour saint Jean-de-Daye croyant à une vulgaire corruption du langage populaire facile à corriger : Daye au lieu de Doigt. La chose est plausible à partir du XIVème et XVème siècle. Mais au 5ème, au 7ème même, le français n'était pas né et ne pouvait changer doigt en Daye. Le Doigt de saint Jean un Normandie n'a point formé le village de Daye mais s'y est adjoint. Des savants ont cherché dans le Celtique ou le Gaulois l'origine de Daye mais sans succès. Sans aller si loin, nous dirons simplement que Daye vient, par corruption, de Galli Danorum ou de Dania Gallorum, dernier souvenir laissé au pays par la cruelle invasion des Danois au VIIIème siècle. Il en est ainsi en maints lieux de France ; dans la Sarthe, par exemple, n'y a-t-il pas toute une contrée appelée le Sonnois en souvenir de la cruelle invasion des Saxons sur ces terres : saint Ouen appelle rabies une rage, la férocité de ces Danois rasant tous les édifices, massacrant sans pitié les habitants. La relique fut sauvée évidemment par la piété des chrétiens et restituée, après la destruction de son premier asile, à son centre primitif désormais appelé Daye ; de là saint Jean-de-Daye. Les noms de lieux, dit très justement M. de Gerville, sont, dans tous les pays, les traces les plus sensibles des peuples qui les ont habités. (Etud. Géog. sur la Manche 1834)]. C'était une destinée.

Maintenant écoutons la légende de sainte Thècle ; elle intéresse, on le voit, autant la Bretagne que la Savoie.

Saint Grégoire de Tours [Note : Gregor. Turon Miracul. L. I . L. 14. « Quœdam mulier a Maurienna urbe progrediens, ipsius Præcursoris reliquia expetivit : et ita se constrinxit vinculo juramenti, ut non ante a loco discederet, nisi de membris ejus mereretur quicquam accipere. Sed cum impossibile hoc incolœ loci narrarent, prosternabatur quotidie ante sepulchrum orans sibi, ut diximus, de sanctis artubus aliqua coudonari, in qua intentione integrum duxit annum. Similiter et alturum, jugi semper oratione deposcens. Tertio vero ingrediente anno, cum orationem suam pervenire non cerneret ad effectum, projecit se ante sepulchrum, et obstestatur, non se exinde surrecturam, prius quam hœc petitio obtineretur a sancto. Septima vero die cum jam inedia deficeret, apparuit super altare pollex miri candoris ac lucis effulgens. Cognito autem mulier dono Dei, surrexit a pavimento, factaque capsula aurea, in ea recondidit quœ Domino largiente meruerat, et sic gaudens remeavit ad propria ; impletumque est in ea quod Dominus ait Evangelio : Amen dico vobis quod si perseveraverit pulsare, et si non surgit pro eo quod amicus sit, propter improbitatem tamen ejus surget, et tribuet ei quotquot habet necessarios » - Migne ajoute en note : Hœc mulier ab Alberto Stadensi in Chronico Tecla virgo appellatur, ubi s Joannis indicem obtinuisse dicitur.] est le premier qui ait parlé de la Vierge Mauriennaise mais d'une façon incidente et uniquement dans le but de signaler un fait miraculeux à l'honneur de saint Jean-Baptiste. Aussi ne la nomme-t-il pas, son autorité étant à ses yeux un plus sûr garant de la vérité de son dire que le nom de cette femme jusque là fort inconnue. Le texte de Grégoire de Tours ayant servi de thême aux additions de la tradition et aux enjolivements de la poésie, il est bon de le donner ici :

Une femme venue de la ville de Maurienne demanda des reliques du Précurseur, et s'engagea par serment à ne pas quitter la place avant qu'elle n'eût obtenu quelques parcelles des membres du saint. Et comme les habitants du lieu affirmaient que c'était chose impossible, ce qui se comprend car les reliques étaient fort peu nombreuses ; elle se prosternait chaque jour devant le sépulcre, priant, comme nous l'avons dit, qu'il lui fût accordé quelque portion de ces saints membres. Elle passa ainsi une année entière, puis une seconde, dans une oraison continuelle. Au commencement de la troisième année, comme elle vit que ses prières n'avaient pas d'effet, elle se prosterna devant le sépulcre, protestant qu'elle ne se relèverait pas avant d'avoir obtenu du saint l'objet de sa demande. Le septième jour, comme elle tombait en défaillance par inanition il apparut sur l'autel un pouce d'une éclatante blancheur et tout resplendissant de lumière. Reconnaissant là un don de Dieu, la femme se releva du pavé, et ayant fait faire une petite boîte d'or, elle y plaça ce qu'elle avait mérité d'obtenir du Seigneur, et retourna joyeuse dans son pays. Par là fut accompli ce que le Seigneur promet dans l'Evangile : « En vérité, je vous le dis, si celui qui frappe à une porte persévère, et qu'on ne se lève pas par amitié pour lui, on le fera du moins à cause de ses importunités, et on lui donnera ce dont il a besoin ».

Il n'y a aucune raison de douter de la véracité de Grégoire de Tours ; son témoignage fait foi.

Voyons ce qu'ajoute la tradition dans ses monuments les plus authentiques et les plus anciens, tels que les rapportent les Bollandistes et l'abbé Truchet, d'après les manuscrits conservés aux archives de la cathédrale de Saint Jean de Maurienne [Note : Le récit de Grégoire de Tours est antérieur à tous les plus anciens manuscrits conservés dans les Arch. de la Cathédrale de saint Jean-de-Maurienne et leur sert de base historique ; ce qu'ils ajoutent repose sur la seule tradition locale, sujette à caution par conséquent, et admettant avec un fond certain beaucoup d'erreurs évidentes. Sur quelle base lui-même s'est appuyé Grégoire de Tours ? Une relation courante dans le pays Sabaudien ? nous ne le croyons pas, parce qu'il en resterait quelque vestige ou quelqu'allusion dans les manuscrits. Mais nous savons que le voyage de sainte Thècle en orient fit grand bruit, que les miracles de saint Jean eurent retentissement non seulement en Maurienne mais jusqu'au trône du roi de Bourgogne, au-delà des Alpes et en France. Or Grégoire de Tours, qui toute sa vie fit de nombreux voyages même peut-être à Rome et était originaire de Clermont et d'une illustre et noble famille, ne fut pas, lui historien si avisé, sans connaître le grand événement de Maurienne et sans s'en informer. Peut-être connût-il Thècle, ce qui n'aurait rien de surprenant puisqu'il lui survécut quinze ans, en sut-il de sa bouche l'histoire dans sa vérité : Peut-être aussi saint Felmase, 1er évêque de saint Jean-de-Maurienne, envoya-t-il, sur sa demande, une relation authentique ; et cela expliquerait et le ton affirmatif de Grégoire et l'absence de toute autre base historique]. Toutefois nous passons ici sous silence et nous reprendrons plus tard certaines assertions de l'abbé Truchet que nous ne pouvons aucunement admettre.

Au temps du très illustre roi Gontran vivait une femme nommée Tygris (Tigria) originaire du territoire de Maurienne, de la localité appelée Valloires, issue de noble race et distinguée par sa connaissance des saintes Lettres. Comme sa fortune le lui permettait, elle portait un intérêt tout particulier au sort de ceux qui étaient honorés du sacerdoce, accueillant charitablement les pélerins, leur donnant à tous l'hospitalité et de plus, procurant aux pauvres tous les secours dont ils avaient besoin.

Tygris avait une sœur nommée Pygménie. Celle-ci avait été d'abord engagée dans les liens du mariage mais à la mort de son époux elle vécut dans la continence pieusement soumise en tout au sage gouvernement et à la direction spirituelle de sa sœur soit pour le culte divin, soit pour le secours des pauvres. C'était une admirable et fraternelle émulation dans les jeûnes, les veilles et la visite des lieux de dévotion.

Telle était la vie de sainte Tygris que nous appellerons Thècle désormais, surnom que lui a donné la reconnaissance populaire et sous lequel elle est communément connue et invoquée, en raison de l'élévation de sa vertu et de l'immensité de ses bienfaits [Note : Nous reviendrons sur ce nom de Tygris traduit Tygria en le latinisant, de là le français Tygre. Or comme Tygre résonne assez mal comme nom de sainte, avec un certain effort et beaucoup d'imagination on a tiré Thècle de Tygris, plus gracieux et, en fait, populaire en Savoie].

Or un jour qu'elles étaient occupées à leurs œuvres de piété, voici qu'une grande joie leur advint : des Moines religieux écossais frappaient à leur porte ; ils venaient de Jérusalem et retournaient dans leur pays. Trois jours pleins ils restèrent pour se reposer auprès des deux saintes sœurs. Près d'un siècle déjà, depuis l'évangélisation de l'Hibernie. Or les voyages de ces chrétiens du Nord aux Lieux saints étaient fréquents et le passage du Gallibier, qui relie Valloires aux Briançonnais, était à cette époque, une des principales voies de communication entre la France et l'Italie. Ils arrivaient par la voie romaine du Mont-du-Chat et se dirigeaient, par le Mont-Genèvre, sur Rome ou un des ports d'Italie. Thècle les recevait comme des frères selon la parole du Sauveur (Truchet : Histoire Hagiologique du diocèse de Maurienne. Chambéry, 1867).

Tout de suite ces bons religieux, que l'on dirait inspirés de Dieu, se mirent à leur parler des reliques de saint Jean-Baptiste et de leurs diverses translations. Comment après le martyre du saint Précurseur dans la prison seigneuriale de Machérus, en Arabie, ses disciples avaient enseveli son corps à Sébaste, l'ancienne Samarie. Quatre siècles plus tard, Julien l'apostat, furieux des miracles par lesquels Dieu glorifiait son tombeau, l'avait fait ouvrir et avait livré les saintes reliques aux flammes ; mais des moines avaient été assez heureux pour en sauver une grande partie. Ils avaient porté ce précieux trésor à Philippe, évêque de Jérusalem, lequel, gardant la tête, avait envoyé le reste à saint Athanase d'Alexandrie, qui l'avait caché dans une des murailles de son église ; la misère des temps prescrivait cette prudence. En 393 ou 395, l'empereur Théodose ayant fait construire à Alexandrie un temple magnifique en l'honneur de saint Jean-Baptiste, les reliques y avaient été transportées en grande pompe. La tête du saint précurseur n'était pas restée longtemps à Jérusalem. Le lieu où l'évêque Philippe l'avait déposée étant devenu totalement inconnu, saint Jean-Baptiste l'avait révélé à deux religieux qui avaient porté ce chef vénéré à Edesse, en Phénicie, d'où Théodose l'avait fait transporter à Constantinople.

Tel fut le récit des moines [Note : Il est remarquable que parmi tant de religieux qui passèrent chez la vierge Tygris ceux-là seuls sont notés qui vinrent d'Ecosse ou de Neustrie. Leur présence suffirait pour amener le récit sur saint Jean et la désignation, non nécessaire, de leur race et de leur pays à bien l'air de soupçonner une liaison patriotique avec Tygris et peut-être une parenté. Il ne faut pas oublier qu'elle est dite : In litteris sacris sufficienter instructa, mot qui signifie non seulement une connaissance des choses divines mais une formation de l'âme idoine ; or cela est évidemment œuvre sacerdotale et religieuse. La reconnaissance envers ses éducateurs inspirait certainement la conduite de sainte Tygris et la mention qu'elle fait avec tant de soin de leur origine ; ce détail ne pouvait venir que d'elle]. Tout cela, ajoutèrent-ils, était arrivé par une admirable disposition de la Providence qui s'était servi de ces translations afin que les prodiges qu'opéraient partout les reliques, du Précurseur de Jésus-Christ répandissent de plus en plus sa gloire et manifestâssent la puissance de son crédit auprès de Dieu.

Ces conversations firent sur Thècle une impression profonde. Elle se sentit pressée comme par une voix intérieure et conçut un ardent désir d'aller elle aussi à Alexandrie et de procurer à son pays quelque partie des reliques dont on lui disait tant de merveilles. Aussi, dès que les pélerins écossais furent partis, fit-elle ses préparatifs de voyage.

Elle confia le soin de ses affaires à sa sœur Pigménie, lui recommanda instamment les pauvres et les pélerins, et, accompagnée d'une seule servante, partit.

A Rome d'abord elle s'arreta quelques jours pour accomplir son pélerinage « ad limina Apostolorum » comme on disait alors et faire ses dévotions aux tombeaux des saints apôtres.

Admirons en passant la conduite de notre chère sainte : sans hésitation aucune, à l'heure même, elle obéit à la voix de Dieu et part ! Comme Abraham, elle répond à l'appel divin : Ecce adsum ! Me voici ! Et la voici aux pieds du Saint-Père qui bénit sa mission.

Heureuses les vocations qui répondent à la voix intérieure par une obéissance prompte, entière et pleine d'amour ; leur vie sera pleine de grâce et leur mission féconde !

A Rome la divine Providence a ménagé à notre chère Sainte la rencontre de voyageurs qui se disposaient à partir pour l'Orient. Elle se joignit à eux, et tous ensemble ils firent voile pour l'Egypte.

Une heureuse navigation la conduisit au lieu même [Note : Ce lieu était Alexandrie (Bolland. Truchet. Archives de Turin)] où s'élevait l'église consacrée à l'honneur de Saint Jean-Baptiste en laquelle étaient conservées plusieurs de ses reliques, entre autres le pouce du Saint et des doigts de la main droite.

On conçoit l'émotion de Thècle parvenue au but de son voyage et son ardente piété : comment s'accrut dans son cœur le désir d'enrichir son pays de quelque parcelle du cher trésor. Mais, dit l'abbé Truchet, comment déterminer les habitants d'Alexandrie à se dessaisir en faveur d'une inconnue et sans appui ! Notre chère sainte prévoyait bien des obstacles de la part des hommes.

Néanmoins, forte de cette confiance souveraine qui dispose du cœur de Dieu, elle fit vœu de ne pas retourner en Maurienne avant d'avoir vu réaliser son pieux dessein.

Elle s'adressa d'abord à ceux qui avaient la garde des reliques ; mais ils se moquèrent d'elle et de son vœu, disant que c'était chose impossible.

Mais elle ne se rebuta point. Sans perdre courage, n'ayant rien à attendre des hommes, elle tourna toutes ses espérances vers Celui qui a dit : (Mat. 21. 22) « Demandez et vous recevrez ». Chaque jour elle se rendait à l'église devant les saintes reliques, priant avec ardeur : que son voyage ne fût pas inutile, que le plus vif désir de son cœur fût accompli. Deux années entières elle persévéra dans ce bon propos, priant avec confiance, et conjurant le Seigneur avec une tendre piété.

La troisième année commençait sans plus de succès malgré les supplications, les jeûnes, les veilles et d'abondantes larmes répandues dans l'oraison aucune solution n'apparaissait à ses yeux. Alors, le cœur contrit et humilié, un jour elle se prosterna contre terre devant le tombeau, suppliant le Seigneur avec larmes de daigner enfin exaucer sa longue prière, ajoutant qu'elle ne cesserait jamais de s'humilier ainsi sur le pavé du temple tant que le Seigneur pieux et miséricordieux n'aura pas exaucé sa prière. Ainsi prosternée, sans boire ni manger, elle ne cessa de pleurer ni de prier, préférant mourir et être avec le Christ, plutôt que de rester dans cette misérable vie.

Le Dieu de toute miséricorde eût enfin pitié de sa constance et admirant son invincible foi, sa persévérance à toute épreuve, il se laissa toucher et lui accorda ce qu'elle désirait tant, et ce sera l'admiration de tous les siècles. Tout à coup en effet, par un miracle de la puissance divine apparut, au-dessus du tombeau [Note : L'apparition n'eût pas lieu sur le tombeau où étaient renfermées les reliques mais sur l’autel, d’après Grégoire de Tours. Cette erreur du manuscrit de saint Jean est intentionnelle comme nous le verrons ci-après. Manuscrit de saint Jean : « Sed misericors Deus, misericordia motus, concessit ei donum quœsitum, et omnibus sœculis admirandum. Dei enim motu apparuit, supra sepulcrum S. .J.-B. pollex ipsius et pars digitorum qui meruerunt Domini verticem tangere in Jordanis flumine… Cognovit autem sancta Dei famula se esse exauditam, et sumens illud sanctum Dei donum, resumpto spiritu qui pœne in ea defecerat, et receptis viribus lœta surrexit. Reconditoque eo in capsula quam dudum paraverat, cum cœteris minutis reliquiarum, gaudens cœpit ad propria remeare. Impletumque est in illa quod dicitur in evangelio etc.] le pouce de saint Jean-Baptiste. Grégoire de Tours nous dit que le pouce mystérieux était d'une éclatante blancheur et qu'il se montra dans une apparition lumineuse.

A cette apparition céleste, comme à un signe manifeste, l'humble servante de Dieu connut qu'elle était exaucée. Ayant donc reçu d'une façon si merveilleuse ce présent divin, elle, qui était à son septième jour de jeûne et presque défaillante, revint pour ainsi dire à la vie et recouvra ses forces, ce fut comme une résurrection.

Inutile d'ajouter que l'apparition du doigt merveilleux de saint Jean au-dessus de la pierre du tombeau ne fut pas pour Thècle seulement mais pour tous les assistants en sorte que, vaincus par le prodige, les gardiens du tombeau consentirent enfin à l'ouvrir et ceux qui n'avaient pas voulu d'eux-mêmes consentir à ce sacrifice n'osèrent pas résister à la volonté divine si miraculeusement manifestée. Ils donnèrent à Thècle le pouce de Jean Baptiste désigné par l'apparition, et deux autres doigts avec d'autres petites reliques. Cette étrangère, naguère encore à leurs yeux parfaitement inconnue, mais depuis deux ans déjà au milieu d'eux, aujourd'hui favorisée du ciel, gagna pleinement leur estime et fut jugée digne de leur confiance. Tout obstacle tomba. Elle fit confectionner une cassette en or pour y ramasser ce qu'elle avait mérité d'obtenir des largesses du Seigneur. Les préparatifs de départ furent bientôt achevés : elle quitta la ville et se dirigea vers le port pour repasser en Europe.

Tel est le commentaire parfaitement autorisé du texte de Saint Grégoire de Tours par le manuscrit de saint Jean de Maurienne [Note : Nous ne comprenons pas comment l'abbé Truchet, historien généralement bien avisé, et cependant averti par les Bollandistes de la corruption de la tradition, ait exagéré et faussé les données pourtant simples et évidentes de son manuscrit. Voici son texte (loco cit. p. 20) : « Mais, ô puissance de la prière : le 7e jour Thècle voit trois doigts sur le tombeau Dieu en a tiré le medius, l'annulaire et UNE PARTIE du pouce de la main droite de S. J. B. doigts bénis qui touchèrent le Sauveur du monde lorsqu'il voulut dans le Jourdain recevoir le baptême de la pénitence. Au même instant le Seigneur fait connaître à la sainte qu'elle est exaucée ; ses forces lui reviennent, elle se lève, dépose le don que Dieu lui fait, au milieu de quelques autres reliques, dans un reliquaire préparé à cet effet et, ayant rendu grâce à Dieu et à S. J.-B., elle retourna à son logis. Les préparatifs de départ furent bientôt achevés ; elle sortit de la ville et se dirigea vers le port pour repasser en Europe. Imagination quelque peu risquée et du reste stigmatisée comme il suit par les Bollandistes : Hœc non solum Gregorio praeterita sunt sed etiam ignorata videri possunt et fabulam sapere ». Il y a d'ailleurs ici contradiction manifeste : on ne peut accorder une apparition mystique et céleste avec trois doigts qui sortent d'une pierre comme des champignons ; dans ce dernier cas « Sumens » ne convient pas, qui veut dire « prendre ce qu'on vous offre »].

Et quand on pense que l'évêque qui écrit cela est un Saint, qu'il écrit du vivant même de Thècle, qu'il est le premier historien du fait, qu'il révère en elle une gloire nationale et la cause d'une mission postume et réelle du Précurseur, on ne peut lui nier une certaine intuition divine et, pour cela seul, il mériterait bien une petite mention dans la Liturgie Mauriennaise.

La servante de Dieu était déjà partie, déjà elle avait fait plusieurs milles, quand nos provinciaux, réfléchissant à ce qu'il avaient fait, commencèrent à s'accuser d'une grande folie et d'une honteuse faiblesse : se laisser ainsi dépouiller par une femme, une étrangère sans défense, et la laisser, elle toute seule, sans contradiction ni résistance, emporter l'honneur du royaume et la protection du peuple ! A ces propos, toutes les têtes se montent et les voici qui courent de toutes leurs forces à sa poursuite.

Les voyant, elle est prise d'une immense frayeur, mais il n'y avait pas moyen de fuir.

De tout son coeur elle se tourne vers Dieu et le prie de ne pas changer sa joie en tristesse : que le don qu'elle avait reçu de lui après tant de larmes, qu'elle emportait avec tant de joie, elle ne le perde pas dans la douleur !

En même temps elle tire les reliques de la cassette, les cache dans son sein sous la mamelle comme ne faisant qu'un avec le reste de la chair, dans un sépulcre intime, la poitrine même de cette sainte femme, où par sa toute puissance Dieu les tint merveilleusement cachées [Note : L'abbé Truchet adopte encore ici les naïvetés de ses manuscrits : « Cependant Dieu voulut mettre sa foi à une nouvelle épreuve. Les habitants d'Alexandrie ne tardèrent pas à s'apercevoir de la disparition des trois doigts de S. J.-B. Sans doute, apprenant le départ de Thècle et connaissant le vécu qu'elle avait fait, ils s'étaient empressés d'ouvrir le tombeau et avaient pu se convaincre que, malgré leurs railleries,. elle avait réellement accompli son vœu. Alors, au lieu de reconnaître l'oeuvre de Dieu dans un événement aussi extraordinaire, ils se mirent à se reprocher les uns les autres ce qu'ils appelaient leur négligence : « Quoi ! disaient-ils, laisserons-nous une femme étrangère nous ravir un trésor qui est la gloire et le rempart de notre pays ? » et ils coururent à sa poursuite... Elle tira les reliques de la boîte et les cacha sur son sein. Au même instant elles disparurent. Dieu qui les avait tirées d'un tombeau de pierre par sa puissance miséricordieuse, disent nos manuscrits, les renferma dans le sein de sa servante comme dans un tombeau de chair... Ils ouvrirent son reliquaire, la dépouillèrent de ses vêtements qu'ils visitèrent et fouillèrent jusque dans ses cheveux. Confus de l'inutilité de leurs recherches, ils laissèrent enfin notre sainte et s'en retournèrent. Quand ils se furent éloignés, Thècle revit les reliques à la place où elle les avait mises... Les Prodiges que le Seigneur multiplait pour elle étaient une preuve évidente qu'il approuvait ses desseins ». Nous devons savoir gré au bon chan. Truchet de n'avoir pas été plus loin comme l'engageait un certain manuscrit de saint Jean donné par les Bolland., qui eût éclairci mieux encore la situation et que pour cela nous laissons au latin : « Perquisita Tygri et denudata, se ejus sic junxere ubera, ut etiam denudata illa non potuerint reperiri reliquiæ ; ipsa cum la crymis asserente se ex eo nullam habere culpam, quippe cui Dominus eas concesserit, prævidens iis in locis diuturnam a fide defectionem fore ». Nous ne croyons pas qu'en aucune douane, même prussienne, la barbarie ait été jusque là. Remettons les choses au point. Ce n'est pas au dessus du tombeau mais au-dessus de l'autel qu'eût lieu l'apparition lumineuse du pouce de saint Jean-Baptiste, ceci est important puisqu'elle était en ce moment prosternée sur le pavé devant le tombeau et prouve que l'apparition ne fut pas un fait personnel, une vue simplement mystique mais une apparition publique, ce qui décida enfin les gardiens à se dessaisir. Où le bon chanoine Truchet a-t-il pris qu'il n'apparut que la moitié du pouce ? il est seul à le dire ; et pour se consoler il ajoute deux doigts à l'apparition, cela rend plus précieux le trésor de sa cathédrale. Peut-être est-il fidèle rapporteur de la tradition qui n'aurait jamais vu à saint Jean-de-Maurienne que la moitié du pouce, si Thècle elle-même avait disposé dès son vivant de l'autre moitié ? Il faut convenir que la vision se serait montré peu généreuse avec cette moitié de pouce. Serait-ce par dépit d'un si faible héritage que les Savoyards, encore au début du 18ème siècle, avaient gardé l'habitude de ne jamais le montrer à l'adoration du pays mais seulement les deux autres doigts ? « In ea ecclesia Maurianensi præciptuœ reliquiæ sunt : Duo digiti manus S. J.-B ; nam pollex populo non ostenditur ». Cette partie de pouce ne viendrait cependant pas d'une distraction ? au lieu de « par digitorum » un auteur a mis « pars digitorum » ce qui ne voudrait néanmoins pas dire une partie de doigt mais une partie (un certain nombre) des doigts. N'oublions pas qu'il s'agit d'une apparition réelle, indication surnaturelle d'une prière exaucée « cognito Dei dono ». C'est la première fois qu'on verrait une femme prendre une apparition et la mettre dans sa boîte. Pendant qu'on y est les deux autres doigts sortiront de même à travers la pierre du tombeau et de même iront dans la boîte. Le sérieux habituel de notre historien a dû sourire. Dans un Mystère de saint Jean tel qu'on les représentait jadis cette invention n'était pas sans effet. Par le même système on fait entrer puis sortir en la chair de la sainte, miraculeusement, les 3 doigts pour les cacher aux poursuivants : intervention peu digne de la puissance divine et également inutile, car ils ne « dénudèrent pas la sainte », la perquisition n'alla pas jusque là, et la bonne providence, comme par miracle, sauva les saintes reliques dans ce tombeau de chair qu'était la poitrine de la sainte ; le texte dit exprès ce que firent nos chercheurs et ce fut peu de chose. Ajoutons que le fameux manuscrit ne dit rien de tout cela, fruit d'une fausse interprétation, et qu'il n'était pas nécessaire d'inventer un ridicule miracle, bon pour le théâtre populaire].

Nous croyons volontiers à cet incident du voyage et nous l'ajoutons au texte historique de Grégoire de Tours.

Combien est naturelle le récit de notre manuscrit et combien vraie la situation qu'il dévoile !

Sous le coup de l'apparition, dans un bon mouvement, ils ont cédé : mais le temps de confectionner le reliquaire d'or leur laisse celui de la réflexion et bientôt la perte qu'ils font paraît seule à leurs yeux et s'en va grossissant. Ne sont-ils pas naturels et bien en situation les reproches qu'ils s'adressent à eux-mêmes, de faiblesse et d'irréflexion ?

Courir, l'arrêter, reprendre les reliques, quoi de plus facile ? N'est-elle pas seule avec son unique servante ? La chose sera possible et il ne sera pas dit que nous nous serons laissé bêtement dépouiller par une inconnue.

Mais la sainte a prié et vivement caché les reliques dans son sein, sous la mamelle, se confiant en Dieu, qu'on ne viendra pas, les prendre dans cet intime tombeau. Il s'agissait de chrétiens qui n'auraient pour rien au monde manqué au respect dû à la femme, surtout en Orient. Chercher dans la cassette, la forcer à quitter son voile, fouiller dans ses cheveux, (on sait qu'en Orient les femmes portent ordinairement leurs fardeaux sur la tête), mais ils n'allèrent pas plus loin. Leur réserve s'explique d'autant plus, qu'après plus de deux ans de séjour, ils connaissaient assez la simplicité et la sainteté de Thècle et ce n'est pas sans raison qu'à cet endroit même le manuscrit la montre telle « Sanctæ millieris pectori » [Note : « Tunc reliquias de capsula sumptas, sub mamilla abscondit ; et quas externo sepulcro invisibiliter et potentialiter extraxit has ipsi mamillœ, reliquæ carni coœquatœ, interno sepulcro, videlicet sanctæ mulieris Pectori, omnipotentissima sua virtute, mirabiliter condidit ». Interpolation malheureuse des XIème siècle et XIIème siècle qui crée dans les esprits un merveilleux inutile, alors que le texte peut encore s'entendre naturellement. Mais au temps de l'exemplaire gothique du m' pouvait-on, sans l'embellir, reproduire un vieux texte ? Jacques de Voragine et tous ses traducteurs n'ont fait que broder sur ce thème et il est fâcheux que les Petits Bollandistes se soient fiés sur ce point au récit de l'abbé Truchet. Semblable miracle burlesque est rapporté dans la légende de Bretagne « le Doigt de saint Jean quitte son reliquaire normand et vient secrètement, ô merveille ! de loger dans l'index du petit ravisseur sans qu'il s'en doute ». Un même fond scénique a évidemment inspiré les deux scenarios].

L'air désolé de la sainte, le reliquaire vide, le chagrin qu'elle témoigna elle-même d'avoir perdu son trésor, l'aveu très sincère qu'elle fait de son indignité, achèvent de les convaincre. Il est évident qu'en présence de gens furieux et décidés, elle pouvait dire et croire son trésor perdu... humainement parlant et sans la protection divine sur laquelle elle comptait. Il est des circonstances dans la vie où l'on n'est pas obligé de tout dire : un industrieux stratagème n'est pas défendu ; il est d'usage constant dans la vie. Comment se forma-t-il dans l'esprit de Thècle ? je l'ignore, il lui parut certainement légitime.

Le voyage du retour fut long et pénible. Enfin elle arriva à Maurienne et y déposa sa relique l'estimant plus en sûreté là qu'ailleurs et mieux placée aussi pour être honorée.

Quelle que soit l'Eglise où la sainte déposa ses reliques [Note : Ce sujet importe peu à notre thèse. Ce n'est pas à la cathédrale puisqu'il n'y avait encore ni cathédrale ni évêché. Ce qui est certain c'est que c'est « inter Alpes » et en Maurienne : est-ce à Maurienne même ? à une église « santi Mamertini... Sancti Maximi, ou autre ?], elle parut toujours en être souveraine maîtresse. C'était une maîtresse femme en effet, de haute envergure, opulente et d'énergique résolution. Elle résolut de bâtir une belle église à l'honneur de Saint Jean et commença hardiment les travaux. Le bruit de l'arrivée des reliques de Saint Jean s'était vite répandu dans la montagne, les pélerins affluaient et l'on parlait déjà de nombreux miracles. La renommée de toutes ces choses parvint bientôt aux oreilles du saint roi Gontran récemment monté sur le trône. Il fut émerveillé de tout ce qu'il apprit et voulut contribuer à la gloire du saint Précurseur. Dans ce bui il prit à sa charge la construction de la cathédrale, érigea en Evêché le territoire de Maurienne avec saint Felmase pour premier évêque et érigea en cité sous le nom de Saint Jean de Maurienne une localité jusque-là sans nom et sans histoire. Sainte Thècle, cause première de tant de choses, est à bon droit regardée comme la bienfaitrice par excellence, la gloire nationale et la mère de la Patrie [Note : De nos jours, que les remaniements de Bréviaire sont fréquents et faciles, que Rome favorise les gloires hagiographiques locales, il serait possible de relever la chère sainte de l'humilité où la maintient l'ordo Mauriennais et de la placer aux premiers degrés de la Liturgie. — Kalendarium Eccl. Maurianensis 1913 : 25 jun sanctæ Theclæ V. Dup — s. Jean-Baptiste est de 1ère classe avec Octave et s. Maxime Evêque de Turin, 3 juil. Duplex. — 29 août : Decoll s. J.-B, Dupl. maj.].

On ne sera donc point étonné si le roi de Bourgogne tient à honorer la vierge Mauriennaise : C'était déjà beaucoup de couronner son œuvre par la construction d'une cathédrale et l'érection d'un Evêché sous le nom de saint Jean de Maurienne, il témoigna encore sa pieuse gratitude en concédant à la Sainte les droits seigneuriaux sur son terrain de Valloires et le patronnage de la Cure formée sous sa tutulle toujours si bienfaisante [Note : L'abbé Truchet semble l'avoir oublié puisqu'il conclut, simplement de sa donation testamentaire, à une autorité seigneuriale ancienne et certaine. Cet oubli s'affirme encore au sujet de la donation de la cure de Valloires à saint Jean et il en profite habilement pour lui donner des ancêtres en Maurienne : « De là je crois pouvoir conclure que cette cure avait été fondée par la sainte elle même ou par quelqu'un de ses ancêtres : car autrement on ne comprendrait pas comment elle aurait pu en disposer ». Bullet. de la soc. d'hist. de Maur. T. I. p. 26 et 57]. De là, quand elle partit de Valloires pour se rendre à Maurienne et de Maurienne en Egypte, le terme naturellement employé de « Orta » qui n'a ici rien de commun avec « Nata » ainsi que nous le disons ci-dessous.

Nous avons jusqu'ici tout un côté de l'existence de sainte Thècle, ce que l'on pourrait appeler son apostolat ou sa vie active. Nous serions incomplet si nous n'ajoutions quelques mots sur sa vie intérieure, cette partie la meilleure de l'existence dans la vie des saints où triomphe l'amour divin, d'où découlent les œuvres du salut.

C'était au soir d'une vie déjà longue Thècle quitta son domaine de Valloires et vint se fixer près du cher trésor des reliques de saint Jean, là haut sur la montagne en face de sa cathédrale en un lieu nommé par les manuscrits Loconia ou Locomin et même Lozenai, au dire de Gallizia [Note : Truchet p. 25 : Thècle, avec sa sœur Pigménie et 12 veuves, se retire à l'Ermitage du Rocherai]. Sa sœur Pigménie l'avait rejointe avec douze autres veuves, désireuses sous la conduite de Thècle de pratiqner une véritable vie religieuse.

Ayant trouvé une grotte profonde, creusée par la nature sur les flancs de la montagne, elle y fit ajouter un corps de logis dont on voit encore aujourd'hui des vestiges [Note : Papebrock : Loconia ubi in rupe est parvum sacellum ubi s. Tigris habitavit cum duodecim viduis et sorore sua Pegmenia. — Truchet, loc. cit.]. Sa demeure ordinaire était une petite chambre située au-dessus de l'habitation de ses compagnes et où elle pouvait satisfaire plus à l'aise son amour de la prière et du silence.

Elle transporta même pendant quelque temps dans son ermitage les Doigts de saint-Jean-Batiste dans la crainte, disent les manuscrits, qu'ils ne vinssent à tomber entre les mains des payens ou non catholiques envahisseurs comme il il s'en trouvait tant alors, ou qu'ils ne fussent ravis par la violence des Princes « adventu paganorum vel violentia principum [Note : A bon droit elle pouvait craindre pour ses reliques une tentative d'enlèvement comme celle qui eût lieu déjà et que rapporte Grégoire de Tours (loc. cit.) : « Et quia locus ille Mauriennensis ad Taurinensem quondam urbem pertinebat, tempore illo quo Rufus erat épiscopus, ait archidiaconus ejus ad cum : non est œquum ut hoc pignus in loco viliori teneatur, sed surge et illiud accipe, et defer ad Taurinensem ecclesiam, quœ plus popularis habetur. Cui ille respondit : quia hœc agere non audebat. Archidiaconus dixit : Ego hoc deferam si permittis. Et episcopus : Fac quod libet. Tum archidiaconus accedens ad locum, dum vigilias celebrat, mittit manum ad capsulam. Mox amens effectus, accensus febre die tertio expiravit, factumque est timor magnus omnibus, nec quisquam ultra beata pignora ausus est mutare. — On sait aussi la déconvenue des trois Evêques de Belley, Aoste et Turin qui, venus en pélérinage, complotèrent entre eux de se partager les reliques et ne purent recueillir que trois gouttes de sang miraculeusement découlées d'icelles].

Dans sa retraite Thècle menait une vie toute de contemplation et d'amour, d'action de grâce et d'élévation en Dieu ; extase perpétuelle de la prière que saint Paul appelle une conversation continuelle avec les cieux.

La légende nous dit que Thècle eût un singulier ennemi à combattre.

Les chênes qui entourent l'hermitage, tantôt cachés dans les plis de la montagne, tantôt dressant fièrement leurs cîmes rameuses sur les rochers, étaient peuplés de moineaux dont les cris perçants venaient la distraire dans ses méditations.

Un jour elle pria Dieu de la délivrer de ses bruyants voisins. Sa prière était à peine achevée que les moineaux arrivèrent, voletant autour d'elle en plus grand nombre et pépiant encore plus fort que de coutume. On eût dit un défi.

— Au nom de Jésus-Christ, dit la sainte, allez-vous-en !

Incontinent, les pauvres petits s'enfuirent et depuis lors on n'en vit jamais plus un en ce lieu. Et, de fait, aujourd'hui encore, les moineaux ne vont pas à Sainte-Thècle, bien que les environs du séminaire voisin et toute la vallée en fourmillent [Note : Des faits semblables sont constants dans la vie des saints et il n'y a aucune raison de contredire sur ce point les manuscrits mauriennais et tous les auteurs qui les ont suivis. — Dom Plame : (introd. aux Acta Sanct. Britann. Cismar. S. Brieuc 1880 fait à ce propos une judicieuse remarque « Si les prodiges surnaturels ne peuvent étre regardés comme essentiels à la sainteté, n'en sont-ils pas cependant le trait le plus caractéristique et l'apanage le plus ordinaire ? L'Eglise n'a-t-elle pas en quelque sorte le miracle pour fendement ? Notre-Seigneur n'a-t-il pas donné lui même la suspension des lois de la nature ou le miracle comme le principal argument de sa mission divine ?..... Du reste ils tombent sous les sens, ils peuvent être aperçus, examinés, jugés comme tout événement historique Il ne s'agit pas de savoir si, considérés en eux-mêmes, ils sont une dérogation aux lois de la nature Tout ce qu'il importe de constater c'est qu'ils nous ont été conservés et transmis par des auteurs instruits, éclairés, incapables d'être trompés ou trompeurs, en un mot, dignes d'inspirer confiance et de faire autorité »].

Nos manuscrits, dit le chanoine Truchet (Truchet, loc. cit.), ne disent pas combien de temps, plusieurs années sans doute, vécut notre chère Sainte dans son ermitage de Lozenai. Elle soupirait de plus en plus après la délivrance afin d'être réunie à jamais à son céleste époux. Dieu lui fit connaître que ce moment n'était pas éloigné. Un grand désir dans son cœur c'était de voir encore une lois sur la terre la fête de la Nativité de saint Jean-Baptiste et de la dédicace de son Eglise.

Le 24 Juin elle put, une dernière fois assister à la Sainte Messe, après laquelle elle distribua tout ce qu'elle avait aux pauvres, aux veuves et aux orphelins. Elle disposa ensuite des biens qu'elle possédait, les pauvres furent des premiers héritiers. Elle fonda aussi une maison (matriculam) où douze veuves devaient être logées et entretenues leur vie durant. A la ville de Saint-Jean de Maurienne elle donna sa propriété de Valloires et soumit à sa juridiction la cure de cette paroisse, ainsi que tout ce qui était sous son pouvoir dans cette localité [Note : On a lieu d'être étonné de l'isolement de Thècle et de Pygmènie en Maurienne. De même que pas un chevalier ne l'accompagna en Orient, de même pas un membre de famille n'apparaît ni dans le testament ni à ses derniers moments. N'y a-t-il pas là une preuve négative mais sérieuse de son éloignement de fait centre familial ?].

Le lendemain la sainte reçut la visite de ses amis et connaissances qui venaient implorer son indulgence et ses prières. Elle leur dit adieu le sourire céleste sur les lèvres, reçut les sacrements et s'endormit doucement dans le Seigneur.

(Charles Trillon de la Bigotière).

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