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Don par sainte Thècle d'une partie du Doigt de saint Jean à la Normandie

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Nous appuyant surtout sur le nom celtique de notre chère sainte nous avons avancé qu'elle était certainement d'origine Neustrienne et non Sabaudienne. La présence certaine aussi d'une partie du Doigt de saint Jean en Normandie confirme notre affirmation. En effet, ce doigt n'est pas venu tout seul en territoire normand et il est difficile d'attribuer à tout autre qu'à sainte Tygris un don aussi gracieux.

D'abord quelle est la nature de la relique en question ? Sur le trésor de la cathédrale de saint Jean-de-Maurienne, voici ce que dit le chanoine Truchet (Abbé Truchet : Hist. hagiogr. Ch. 2. p. 56) d'après le rapport officiel : « ... Les saintes Reliques furent placés dans ce reliquaire le 15 août 1864. Elles sont fixées sur un coussinet de velours cramoisi et orné de broderies d'or semées de perles. Le Pouce est séparé des deux autres Doigts. Mgr Vibert, évêque de saint Jean, décrit ainsi l'état du religieux trésor légué à la Maurienne par sainte Thècle :

... Quant aux deux doigts que Mgr Billiet d'après l'indication du sieur Favier [Note : Maire de Saint Jean-de-Maurienne qui sauva les reliques à la Révolution et les rendit à l'Eglise en 1804, le 11 mars ; reconnues le 5 octobre 1808 par Mgr Irénée-Yves de Solle ; mises dans un reliquaire le 19 juin suivant ; reconnues à nouveau par Mgr Billiet le 25 août 1839 ; placées dans un reliquaire plus précieux et reconnues par Mgr Vibert, 15 août 1864], appelle l'Index et le Médius, un examen attentif nous porte à croire que ce sont les deux doigts appelés le Medius et l'annulaire de la main droite, MOINS LES PHALANGES ONGLÉES, mais pourvus de leurs métacarpes, unis entre eux par leurs ligaments. La face antérieure des doigts avec leur musculature a conservé sa couleur naturelle. La face dorsale est recouverte de chair raccornie et de peau desséchée. Nous avons soumis nos appréciations à M. Antoine Mottard, docteur en médecine et en chirurgie, en le priant de nous donner son avis ; il les confirma de tous points et il déclara que les deux doigts sont bien réellement le Medius et l'annulaire de la main droite ».

Sur la Relique volée par la Bretagne à la Normandie — le fait est certain — et conservée à Saint-Jean-du-Doigt de Mériadec ; par conséquent, sur la relique, qui pendant de longs siècles a appartenu à la Normandie, voici ce que dit le chanoine Pardiac :

« ... Le Reliquaire actuel est un étui en or, argent et émail, 2 pouces de long sur 4 de large à une extrémité et 14 lignes à l'autre.

La Relique, dit Aymar de Blois de Morlaix qui l'avait examinée en 1805, est évidemment LA DERNIÈRE PHALANGE D'UN DOIGT ; elle est de couleur noire ; ON Y DISTINGUE FORT BIEN L'ONGLE : la chair paraît être desséchée ; un morceau de peau déborde à la partie inférieure, et présente à l'extrémité, une couleur et une substance ressemblant à celle de l'amadou : je n'ai pu en juger qu'à la vue. ; il ne m'a pas été possible de déterminer par la forme, à quel doigt et à quelle main elle avait appartenu, mais elle m'a semblé être LE BOUT D'UN INDEX OU D'UN MEDIUS ; elle est enveloppée d'un parchemin de l'écriture du XVème siècle dont l'encre a beaucoup jauni » [Note : J.-B. Pardiac, chan. hon. Histoire de S. .J.-B. et de son culte, 1886, page 503. Contient 17 pages in-8° sur le doigt de S. Jean].

D'après les passages soulignés de l'un et l'autre rapport il s'agit bien de la même relique dont une partie est honorée en Savoie, l'autre en Bretagne, après avoir séjourné plusieurs siècles en Normandie.

Ce stage en Normandie, vu le silence des auteurs, est le plus difficile à expliquer ; essayons cependant.

Un fait est déjà acquis et qu'il nous faut retenir : Nous avons la même relique en Savoie et en Bretagne : en Savoie le commencement du Doigt, en Bretagne la partie extrême du même doigt avec l'ongle ; et c'est le même doigt, de la même main, l'index ou l'annulaire comme il est précisé par actes officiels en l'un et l'autre pays. A toute personne sensée il paraîtra évident que le don de la dite relique, divisée en deux, partie en Savoie, partie en Bretagne,. n'a pu être fait que par une seule et même personne et, comme le don en Savoie a été fait au VIème siècle par sainte Tygris, nous en concluons que le don en Normandie et par la Normandie à la Bretagne n'a pu être fait que par sainte Tygris elle-même. A qui fera-t-on croire que sainte Tygris aura apporté au VIème siècle une moitié d'Index, et qu'une autre Thècle aura apporté, dans un pélérinage semblable et dans les mêmes circonstances, l'autre moitié du même-Index, mais au XIIème siècle ou XIIIème siècle ? Il faut une bonne volonté dont je ne me sens pas capable, et que, cependant, ont montrée plusieurs auteurs plutôt irréfléchis. Il faut reconnaître que la vieille tradition Mauriennaise, représentée par ses vénérables manuscrits du Xème siècle, n'a pas versé dans ce travers, et jusqu'à cette époque a préféré le noble nom patronymique de Tygris au surnom populaire de Thècle qu'ils connaissaient cependant ; le premier est historique, le second donne ouverture à la légende. ; et cependant, chose curieuse! c'est ce dernier qui reste dans l'hagiographie, par horreur de la traduction qu'on a cru pouvoir faire de Tygris en Tygria ou Tygre, ainsi que nous l'avons dit.

Nous verrons au paragraphe suivant ce qu'est la tradition Normande ; il est nécessaire d'en rapporter ici le principal d'après Albert Le Grand, auteur grave suivi par tous et qu'aucun n'a réfuté (Albert Le Grand : Vie des saints de la Bretagne, 1637).

« Par laps de temps, dit-il, une jeune vierge nommée Thècle, native de la province de Normandie, l'emporta (La Relique) en son pays où on édifia une Eglise de saint Jean, et le doigt y fut mis, Dieu renouvelant les miracles à cette translation.

En quel temps arriva cela ? Qui ayt été cette Thècle ? ny par quels moyens elle en ayt enrichi son pays ? Je ne l'ay encore trouvé et l'histoire n'en parle point ».

Il est peut-être plus facile qu'on ne le croit d'aider le cher Père Le Grand.

Voyons d'abord comment à plaisir les auteurs ont embrouillé la chose.

Appuyée sur ses mannscrits [Note : Nous les avons cités d'après les Bollandistes] la Savoie se croit seule autorisée à vénérer sainte Thècle et garde jalousement sa tradition. La Normandie, appuyée sur une tradition non moins constante et sur la foi d'un manuscrit vénérable et authentique [Note : Nous le citerons au paragr. suivant à la fin du récit d'Alb. Le Grand], garde à la même sainte Thècle une mémoire reconnaissante pour un don identique du Doigt de saint Jean, apporté par elle d'Orient. Je n'ai jamais pu comprendre comment sur une situation si claire l'on ait pu divaguer.

La Société d'histoire et d'archéologie de Maurienne croit actuellement à une simple faute de copiste qui aura écrit Norhmannia pour Maurienna [Note : Le Président et le secrétaire de la société, lettre à l'auteur]. L'entourage du récit et la diversité des auteurs ne permettent pas de s'arrêter à cette solution péremptoire [Note : On trouve dans les auteurs des divergences : in Marienna — Mauriginense territorio — Maurianensis archivii — in Mauritaniam (Beleth) — in Morianam (Durand) — et nulle part Normannia. — On trouve aussi Mauriennem — Mamerenam (Voragine Ed de Dresde)].

M. L. Bordier, 1857, abonde dans ce sens : « Cette femme, dit-il, dont l'histoire populaire en Maurienne est rapportée avec plus de détail par d'autres auteurs : Sigebert, Comestor, Durand, Echius. Voyez aussi Albert, abbé de Sainte Marie de Stade, qui la nomme Thècle, par suite d'une confusion, sans doute, entre la sainte Savoisienne et Thècle, vierge normande, qui joue un rôle dans la légende d'un autre Doigt de saint Jean vénéré en Bretagne à saint Jean-du-Doigt, Finistère » [Note : H. Le Bordier. Loc. cit. Il y a beau temps que toute difficulté serait levée, que l'identification serait acceptée, si Albert Le Grand avait joint le nom de Tygris à celui de Thècle ; mais depuis longtemps déjà le nom de Tygris s'était effacé, connu en la seule Maurienne, tandis que celui de Thècle seul était resté en évidence, seul connu en Normandie. — Avec Albert Le Grand il nous semble être en présence d'une double tradition qu'il paraît confondre. Cet historien est d'une franchise remarquable. Il dit (et ceci est à retenir et confirme J. de Voragine) que Thècle est Normande ; qu'elle apporta la Relique en son pays d'adoption (suit la tradition Mauriennaise : Eglise, pèlerinages, miracles) ; par laps de temps, immémorial, elle enrichit son pays natal de cette même relique, on ne sait ni quand, ni comment, l'histoire n'en dit rien ; on ne sait même plus rien (au XVIIème siècle) de Thècle elle-même si ce n'est qu'elle était Normande et que la relique venait d'elle. — C'est sur ces données qu'on a inventé une autre Thècle, du temps des Croisades, un autre doigt et son rapt à Jérusalem. En lisant les auteurs anciens on a parfois l'impression qu'ils englobent facilement dans un égal lointain du Transmarinis la Savoie et les rives d'outremer].

François de Kergrist (F. de Kergrist : L'Eglise de s. Jean-du-Doigt 1899, p. 4) précise déjà mieux les choses. Voici comme il s'explique : « L'Index de la main droite fut envoyé à Jérusalem et y resta jusqu'aux Croisades (où a-t-il pris cela ?) A une époque qu'on ne précise pas, une jeune fille de Normandie, nommée Thècle, en apporta une partie dans son pays, près de Saint-Lo, et, pour le recevoir, fit bâtir, sous l'invocation de saint Jean, une église qu'illustrèrent de nouveaux miracles ». Puis il rapporte d'après le P. Le Grand l'enlèvement de la relique.

Louis Le Guennec (Louis Le Guennec : Guide du touriste dans le canton de Lanmeur, 1900, p. 41) suit le même auteur et conclut « Un jeune homme se trouvait au service d'un puissant seigneur en Normandie où l'on conservait l'Index droit de s. J.-B. Cette relique sauvée du brasier de Julien l'Apostat avait été apportée de Jérusalem par une pieuse vierge nommé Thècle ».

J.-B. Pardiac [Note : J.-B. Pardiac : Histoire de s. J.-B. et de son culte, p. 501 et 519. Il dit avoir travaillé 20 ans à recueillir ses matériaux, ce qui ne l'empêche pas d'ajouter avec l'abbé Truchet : « Au VIIème siècle (?) les montagnes de Maurienne cachaient aux yeux du monde une noble fille que S. Grégoire de Tours appelle Tygris (il ne la nomme pas !) mais que l'histoire et l'Eglise connaissent sous le beau nom de sainte Thècle, nom qu'il ne faut pas confondre avec celui que nous avons rencontré dans la légende de saint Jean-du-Doigt. Les prodiges dont l'une et l'autre Thècle ont été honorées ont entre eux, il est vrai quelque analogie ; mais le temps et les lieux ne nous permettent pas de supposer ni identité ni parenté entre elles »] commence par nous prévenir que « Le curieux chapitre que l'on va lire se compose de documents que nous avons moissonnés, dit-il, soit dans nos voyages, soit dans nos recherches hagiologigues ». Puis, s'il s'appuie, comme il affirme, sur le P. Le Grand, on verra qu'il le complète avec fantaisie : « Vers le Xème siècle ou le XIIème siècle, — (qu'en sait-il ?) — une sainte fille, nommée Thècle, native de la Province de Normandie, emporta de Jérusalem en son pays un des doigts de saint Jean-Baptiste. Une église fut bâtie sous le vocable de saint Jean pour y déposer la sainte relique. Le nom significatif de saint Jean-du-Doy, paroisse à trois lieues de Saint-Lo, Manche, nous indique selon toute apparence, le lieu fortuné où cette relique fut reçue. La tradition du pays nous apprend que l'église de cette paroisse possédait anciennement une relique du Doigt de saint Jean et que cette Relique a disparu ».

Les auteurs qui ont relevé la tradition Normande connaissaient parfaitement la tradition Mauriennaise et l'on ne voit pas, tout d'abord, pourquoi et comment ils ont dédoublé sainte Thècle. Si la Thècle de Sabaudie a tous les honneurs de la sainteté et du patriotisme, il est triste que la pauvre petite Thècle normande n'ait d'autre gloire pour son action héroïque que le laurier d'un simple dédoublement : on lui enlève la sainteté et toute vie civile et religieuse ; son existence historique est le néant et nous croyons bien qu'elle n'a en effet jamais existé. Il n'y a qu'une sainte Tygris ou Thècle qui est la Vierge Mauriennaise.

Cinq ou six siècles se passent depuis la mort de sainte Thècle sans qu'aucun historien ait éprouvé le besoin de parler de saint Jean-de-Maurienne et de son pélérinage demeuré, malgré son importance relative, une dévotion locale. Nous voici au XIIIème siècle. Jacques de Voragine [Note : Jacques de Voragine né vers 1230, m. 1298, O. P. provincial de Lombardie, arch. de Gènes 1292, sa « Legenda aurea » est de 1260 environ. Son assertion toujours reproduite n'a jamais été contredite) croyons-nous, est le premier qui ait introduit la Normandie dans la chronique de sainte Thècle.

Dès le XIIème siècle quelques auteurs, Sigilbert de Gembloux [Note : Sigebertus Gemblacensis, in Gallia Belgica, n. circa 1030, abbas, obiit 3 non. oct. 1112 ; ses chronica an. 613, Pat. lat. t. 160] Sicard de Crémone [Note : Sicardus, cremonensis Episc. vixit circa 1160, Episc. 1185, obiit circa 1215 ; son Mitrale Patr. lat. t. 213], Pierre Comestor [Note : Petrus Comestor, m. 1178 ; son Historia scholastica est antérieure à 1176, cap. 73. Pat. lat. t. 198], avaient bien repris la thèse historique mauriennaise sur le Doigt de saint Jean mais sans rien ajouter au vieux texte. Durand de Mende eût la même réserve 4. Ils traitaient la question du Doigt de saint Jean à un tout autre peint de vue.

Jacques de Voragine écrit comme historien et il s'en vante [Note : Le premier titre de son ouvrage était : « Historia Lombardica seu Legenda Sanctorum »], sa première idée sera donc de raconter des choses véridiques. Il s'entoure des auteurs les plus recommandables de son temps et de savants dont il cite les noms et les oeuvres. Il est Lombard, par conséquent les choses de Sabaudie ne lui sont point étrangères. Il est dominicain et non un des moindres puisqu'il a été provincial de Lombardie ; or les Dominicains ne laissent pas paraître, sans l'approuver, un ouvrage d'un de leurs membres. Archevêque de Gênes, c'est un homme sérieux et vénérable qui n'eût pas accueilli à la légère une tradition. Il appartient, du reste, à cette école qui, de son temps, était particulièrement curieuse de mettre en lumière les vieilles traditions historiques. Certainement il n'eût pas à la légère parlé de la Normandie, au sujet de sainte Thècle de Maurienne. Tous les auteurs de ce temps sont très laconiques en histoire et, chez eux, tous les mots portent, sans qu'ils éprouvent le besoin de prouver leur dire. Ainsi Jacques de Voragine dit Thècle de Normandie et cela lui suffit [Note : Il s'appuie sur le Rational de Beleth, entre 1182 et 1190, Recteur de l'Ecole Théol. de Paris. La Patr. Lat. t. 202 ne porte pas Normannia mais Mauritania pour Maurienna évidemment. J. de Voragine avait sans doute sous les yeux un autre texte].

Il veut donner la raison de la translation du Doigt de saint Jean et de la Dédicace de son Eglise.

« Digitus enim suus, quo Dominum ostendit, ut fertur, comburi non poterat. Uude ipse digitus a prœdictis monachis [Note : Il s'agit des Moines qui sauvèrent les Reliques sous Julien l'Apostat] est repertus, quem postmodum, ut habitur in historia scholastic [Note : Petri Comestoris. m. 1178, histor. schol. Patr. lat. 198 c. 73. De Decollat. J.-B. Il raconte l'histoire mouvementée de ses reliques et dit enfin : « quidam monachi magnam earum partem tulerunt, inter quœ etiam digitus, quo Dominum monstravit, fuisse perhibetur quem post beata Tecla inter Alpes attulit et dicitur esse in ecclesia Maurianensi ». C'est tout] Sancta Thecla inter Alpes detulit et in ecclesia sancti Maximi collocavit [Note : Nous citons ici le texte de l'ed. de Graesse. Dresde 1846. c. 125, p 574. — La traduction d'Ant. Vérard, écrit. goth. dit : « Et sainte Thècle le porta après ce oustre ses montaignes et le mist en l'église saint Martin ». On trouve aussi Mamertini. Ceci importe peu à notre thèse, prouve qu'on n'est pas fixée sur l'église ou chapelle qui reçut la sainte Relique à son arrivée d'Orient avant de reposer à la cathédrale, mais ceci occupera l'érudition des Confrères Savoisiens]. Hoc enim testatur Johannes Beleth dicens, quod prœdicta sancta Thecla ipsum digitum, qui comburi non potuit de ultra partibus marinis iu Normanniam attulit et ibi in honore sancti Johannis ecclesiam, fabricavit, quam ecclesiam ut ibidem dicit quidam hac die dedicatam fuisse asserunt Unde a Domino Papa statutum fuit, ut hœc dies per totum mundum celebris haberetur.

Apud Mariennam urbem Galliœ matrona quœdam Johanni Baptistæ valde devota Deum instantius orabat, ut sibi de reliquis Johannis aliquando donaretur aliquid (ici la légende connue)... Cum autem diebus aliquibus jejunasset, pollicem super altare miri candoris vidit et Dei donum læta suscepit ».

La Liturgie elle-même s'en mêle, contemporaine de Jacques de Voragine, et il serait surprenant que l'erreur de copiste allât jusque là.

Paciaudi [Note : P. Paciaudi : De cultu s. J.-B. Romœ 1755 — voir les notes de ch. Barthélemy 1854. Rational. édit.Vivès] cite un ancien bréviaire de Lyon de 1498 avec ces mots d'une de ses leçons : « ... et a sancta Thecla Digitus Prœcursoris a regionibus transmarinis in Nortmanniam delatus... ».

Il est certain qu'en invoquant une erreur de copiste on se tire d'affaire aisément. Mais une erreur qui persévère des siècles, que personne ne relève, qu'adopte la Liturgie, n'est guère admissible, d'autant plus que le mot Normandie correspond à l'histoire. En effet, peut-on nier que la Relique ne fût alors en Normandie, apportée ici et là par sainte Thècle ? Il sera donc naturel à Jacques de Voragine, par une audace bien naturelle à l'historien, d'introduire lui-même, dans le texte de Beleth, le mot Normandie qui dit suffisamment que, en ce pays, il y eût aussi une partie de la fameuse relique, apportée d'oultre-mer et, pour laquelle, inter Alpes on construisit une église. C'est tout le sens de Voragine et il ne me semble pas intéressant d'insister [Note : La traduct. goth. d'Ant. Vérard, telle qu'elle est ponctuée, est de notre avis : « et s. Thècle le porta après ce oustre ses montaignes et le mist en l'égise s. Martin. (Ce dit Maistre Jehan Beleth et dit que s. Thècle apporta ce Doy de oustre mer en Normandie, lequel n'avait pas este brûlé) Et là fit taire une église en l'honneur de s. Jehan laquelle église fut dédiée en ce jour »].

Une chose paraît étrange. Voragine au premier abord semble dédoubler déjà sainte Thècle. Le paragraphe « Digitus enim » paraît tout pour la Normandie et le « Apud Mariennam » pour la Savoie. Il semblerait donc y avoir deux personnages : la vierge Thècle en Neustrie, une Matrone en Sabaudie ; et les traductions françaises du moyen-âge accentuent et augmentent cette différence [Note : Entre autre, ce que dit Sigilbert ! En fait, J. de Voragine a pu s'y méprendre car il cite évidemment Grégoire de Tours lequel ne parle ni de Vierge ni de voyage en Orient, ce que nous apprennent seuls les manuscrits. Le mulier pourrait sans eux être pris pour une femme mariée et la scène se passer à Maurienne ; point étonnant en ce cas que toute la légende des m' ait accompagné s. Thècle en Normandie. Et cette méprise, qui préciserait par elle-même l'envoi de la Relique au VIème s. en Normandie, enlèverait toute difficulté au texte de Voragine].

Cela vient de ce que J. de Voragine cite les termes de ses auteurs en même temps que leurs idées et semble ne vouloir rien en perdre. De son temps c'est déjà Thècle en Normandie évidemment, et il cite la légende. Cependant il rencontre en Savoie le « quœdam mulier » de Grégoire de Tours, cite le passage et la légende, et semble par là créer deux sujets différents. L'idendité de Légende prouve qu'il n'en est rien [Note : Le bibliophile Panzer jusqu'à et y compris l'an 1500, compte déjà 74 éditions de la Légende Dorée et plus de 30 traductions en langues diverses ; nous sommes donc exemptés d'en rechercher des variantes. Nous avons sous les yeux l'édition de Cologne 1476, celle de Gering 1475, celle de Lyon 1477 et la traduction de Gustave Brunet sur le latin du Père Batelier et de Vigneux 1476 — Gering porte : in ecclesia sancti Martini... in Normania attulit ; — Lyon : en l'église de s. Martin... en Normandie — Père Batelier : dans l'église de s. Maxime... en Normandie — La plus curieuse est l'édit. de Cologne, 1476, qui porte « in ecclesiam santi Martini... et de ultra marinis partibus in Romaniam attulit ». D'après du Cange cette Romanie désignerait précisément et le temps de sainte Tygris et la région de la Normandie que nous avons en vue ; on aurait donc eu bien le droit de changer Romanie en Normandie ; voici du Cange : « Romaniœ denique nomine interdum appelantur eœ Galliæ partes, quœ Romanis parebant, aut paruerant, respectu Britanniœ Armoricœ (vide : vita s. Samsonis). Une conclusion très curieuse résulte d'une lecture attentive de J. de Voragine c'est que de son temps le fait d'une relique de s. J.-B. en Normandie par sainte Thècle était si certain et si répandu que, sans hésiter, il reporte en Normandie tout le récit de la Légende Mauriennaise y compris la construction de l'église, et le « quadam mulier » de Grégoire de Tours n'est plus qu'un miracle ajouté, comme celui des trois Evêques, à la gloire de s. J.-B. et accompli, non plus en Orient, mais à Maurienne même : l'identification ne peut être plus parfaite en tous points. Voici la traduction de Batelier par Brunet : « Dans la ville de Maurienne, dans les Gaules, une dame qui avait une très grande dévotion pour s. Jean (Sigebert dit qu'elle était enceinte) priait Dieu avec instance de lui faire avoir quelque portion des reliques du saint. Enfin, inspirée de Dieu, elle fit le serment de ne rien manger qu'elle n'ait obtenu ce qu'elle souhaitait. Après avoir passé quelques jours dans l'abstinence, elle vit sur l'autel un pouce d'une blancheur éclatante et elle reçut avec joie ce que Dieu donnait. Trois Evêques qui vinrent là auraient bien voulu emporter quelque portion de ce pouce, et voici qu'il en sortit trois gouttes de sang vermeil, etc. »].

Il faut, pour les raisons que nous avons dites précédemment, que le surnom de Thècle ait acquis une grande faveur dans le peuple pour effacer complètement le nom si noble pourtant de Tygris. La sainte y donna la main et c'est sous son nom populaire qu'à la fin de sa vie elle donna partie de sa précieuse relique. Elle en était souveraine maîtresse et n'avait, sous ce rapport, aucune autorisation à demander. L'autorité ecclésiastique fait silence autour d'elle et a plus reçu d'elle qu'elle ne lui a donné les secours extérieurs de piété et les sacrements, et c'est tout. De son pays d'origine elle a gardé les attaches les plus intimes, les directions spirituelles les plus sûres et les plus suivies, témoins la joie qu'elle ressent quand elle reçoit des religieux de Neustrie et sa promptitude à suivre leurs avis. Avait-elle quelque chose à refuser à saint Ramphair, à saint Grégoire, aux pieuses abbayes qui avaient formé son cœur à la piété, son esprit à la science divine ? Evidemment le don d'une moitié de doigt qu'elle donne à la Normandie est l'hommage d'une reconnaissance dans l'ordre spirituel et n'a pu être fait qu'au pays natal et à quelqu'une de ces abbayes si prospères qui étaient alors la gloire et le salut de la Neustrie.

Les auteurs récents — et ils se copient tous à la suite — sont d'accord pour reconnaître à saint jean de Daie l'honneur d'avoir reçu de sainte Thècle la relique précieuse du Doigt de saint Jean. Nous ne sommes pas entièrement de leur avis.

Nous avons dit — et croyons soutenir — que le nom de Daye ne vient pas du Doigt de saint Jean.

Où reposa la relique en arrivant en Normandie ? Jacques de Voragine ne le dit pas. La Liturgie Lyonnaise ne le dit pas.

Albert Le Grand ne le dit pas.

Le manuscrit de saint Jean-du-Doigt ne le dit pas.

L'enquête ducale de Jean V ne le dit pas.

L'ordo de Tréguier ne le dit pas.

Aujourd'hui encore, à Saint Jean-de-Daye, il n'y a nulle trace.

A la rigueur nous n'avons besoin d'aucun autre document que celui fourni par le R. P. Albert Le Grand pour affirmer l'existence du culte séculaire du Doigt de Saint Jean-Baptiste en Normandie. L'enquête officielle ordonnée par le Duc de Bretagne Jean V et conduite sous son autorité par l'Épiscopat Breton lui-même tant à Mériadec qu'en Normandie, est un document de haute valeur qu'on ne peut ni supposer ni nier. Il met au second rang comme négligeable toute objection qui prendrait sa source dans le silence des auteurs, et l'effacement même de la tradition.

Nous sera-t-il permis de hasarder une hypothèse ?

Nous croirions volontiers que sainte Tygris aura apporté elle-même la relique en Neustrie : elle en était bien capable !

Où bien, par quelque pélerin sûr elle aura remis la précieuse relique destinée à l'une ou à l'autre abbaye neustrienne : et l'abbaye l'a gardée pieusement et présentée avec sa légende à la piété des fidèles.

Albert, abbé de Stade, nous fait entendre que déjà la sainte était connue sous le nom de Thècle. Point extraordinaire donc que la Légende Normande subsiste sous ce nom et sous sa légende alpestre.

Arrivent les épouvantables invasions des VIII et IXème siècles, celle des Danois surtout qui massacrent les chrétiens, démolissent les églises, incendient les villes, ruinent de fond en comble toutes les abbayes. De la belle chrétienté neustrienne tout disparaît, la langue elle-même n'est plus, l'histoire s'efface et il ne reste plus trace des nobles familles de jadis, de leur splendeur... il ne reste plus que le nom de Tygris, désormais inconnu, conservé en Maurienne.

Dans une vie écrite sommairement on n'indique pas les actes ordinaires et naturels si ce n'est d'une façon générale, tels que les pélerinages aux lieux de dévotion et la vie à Valloires et au Ronceray : deux actes dignes de mémoire sont seuls précisés : le voyage en Orient et celui de Normandie ; je ne vois aucune raison de refuser ce dernier à sainte Tygris.

On accordera que, si au début il y eût pélérinage en Normandie, toute trace s'effaça facilement dans les affreux cataclysmes sociaux des VIIIème siècle et IXème siècles. Dans ces conditions un pélerinage ne se rétablit guère, d'autant plus que tous ceux qui s'y intéressaient, leur race elle-même, avaient sombré. Et c'est miracle que la Relique ait été sauvée, ce qui pourtant est certain puisque nous la retrouvons au XIVème siècle dans le pays même.

Si, comme nous le croyons volontiers, le don de sainte Thècle a été un hommage de cœur à son pays et aux bons Religieux de Neustrie qui l'avaient formée à la piété, l'influence de la relique n'a pas dépassé celle de l'abbaye et de son entourage ; de à silence bien naturel de l'ordo de Tréguier qui n'avait rien à y voir, de l'histoire locale que ce fait minime intéressait peu et de l'histoire nationale qui toujours l'ignora.

Ce qui est certain c'est que la Relique du Doigt de saint Jean parfaitement authentique, traversa sans bruit les siècles de malheur et se retrouva au même lieu normand, au XIVème siècle, honorée dans une simple église de paroisse.

C'est là que le petit Breton commit son pieux larcin et conduisit à la gloire la précieuse relique en la terre de Bretagne.

(Charles Trillon de la Bigotière).

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