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TRANSLATION DU CORPS DE SAINT MAGLOIRE A LEHON

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ENLEVEMENT DU CORPS DE SAINT MAGLOIRE DE L'ILE SERK

ET TRANSLATION A LEHON

Une curieuse histoire, cette translation. Ce qui prête à cet épisode une importance spéciale, c'est qu'il est dominé, pour ainsi dire, par la grande figure du vaillant libérateur des Bretons au IXème siècle, le roi Nominoë. Voici en quels termes et sous quels traits l'hagiographe, traduit par notre vieil historien breton, Pierre Le Baud, nous présente ce héros : « En celui temps étoit le très renommé roi appelé Nemenoius , resplendissant par dignité d'empire et de noblesse ; après ce que, non content des possessions de ses aïeux, il eut subjugué à son empire maintes provinces, anobli de royale souveraineté, il gouvernoit en paix la Bretagne opulente et abondante de tous biens » [Note : Le Baud, Histoire de Bretagne, p. 110. — Pour montrer avec quelle fidélité Le Baud reproduit les vieilles chroniques, légendes, chartes et documents dont il forme la trame de son récit, il est bon de mettre en regard le texte latin : « Eo tempore, rex famosissimus nomine Nomenoë, imperii dignitate simul et nobilitate pollens, postquam mullas provincias non contentus avitis sedibus suo imperio subjugasset, Britanniam omnibus bonis opulentam regia sublimitate suffultus in pace gubernabat »].

Un jour donc, en l'an 850, Nominoë au faîte de sa gloire, entouré de ses tierns et de ses guerriers, menait une grande chasse dans la vallée de la Rance, aux lieux où s'élèvent maintenant Dinan et Léhon, — alors une épaisse forêt, aux futaies séculaires, aux halliers et fourrés inextricables, le tout parfaitement inculte : Vepres et frutices, loca silvestria et inculta. Au fond de ce désert et, selon toute apparence, dans de mauvaises huttes de branchages, au pied de la montagne où s'éleva depuis le château de Léhon, il trouve six pauvres moines pâles, émaciés, mourant de faim, ? qui le supplient de venir à leur secours et de leur donner quelque domaine fertile et bien cultivé, dont le revenu subviendra à leur entretien. Le roi leur demande alors s'ils possèdent par devers eux les reliques de quelques saints, car, dit-il, si je leur donne de la terre, à vos saints, c'est pour pouvoir réclamer leur assistance quand j'en aurai besoin dans les affaires de mon royaume (Note : « Tunc rex qualia sanctorum pignora haberent inquirit, ut, recepta ab illo terra, illorum (sanctorum) precibus juvandum in otio et negotio se commendaret »]. Les six moines n'en avaient point, le roi se borne à leur donner de l'argent, mais leur promet de belles terres, s'ils peuvent se procurer quelque saint corps.

Ils songent aussitôt à celui de Magloire, qui reposait toujours à Serk, en grande réputation de sainteté et de miracles, au milieu d'une abbaye florissante. Pour veiller à la conservation de ce précieux dépôt, les religieux de Serk avaient créé un office et un fonctionnaire spécial, qui était alors un laïque, ayant femme et enfants. Un des six moines de la Rance, envoyé par ses confrères étant venu à Serk sous prétexte de faire ses dévotions à saint Magloire, en réalité pour inspecter le terrain, s'attacha à gagner ces gardiens : Custodibus sacri corporis primitus adhesit. La façon dont il s'y prit prouve bien qu'à cette époque les îles du Cotentin étaient peuplées de Bretons, dépendaient de la Bretagne, avaient pour souverain le roi de ce pays. S'adressant aux serviteurs du tombeau (dictis familiaribus) : « Je vous salue, dit-il, de la part du roi (ex parte regis), et de sa part aussi, si je parviens à accomplir ma mission, je vous promets pour vous et pour votre postérité de grands honneurs et beaucoup d'argent. Mais je n'ose vous faire connaître ses ordres secrets avant que vous ayez juré solennellement de ne jamais les révéler, quoiqu'il arrive ».

Ils jurent. Alors, voici le singulier langage que le récit de la translation, sous la forme où nous l'avons aujourd'hui, met dans la bouche du moine. Nous le traduisons littéralement, parce qu'on y trouve des indices sur la composition, sur l'origine et l'époque de ce curieux récit : « Jusqu'ici, comme vous le savez (dit le moine aux gardiens), notre roi n'a été qu'un faiseur de guerres, terrible à ses ennemis, comptant présomptueusement sur sa force, altéré de sang, haïssable à Dieu. Non content du trône paternel, il a envahi au loin les contrées étrangères, il y a promené l'incendie, il les a annexées à son empire. Les cités prises par lui, tantôt il en a fait des alliés et tantôt des tributaires. Il a brûlé les sanctuaires des saints, il a commis d'innombrables ravages, d'innombrables rapines. Mais actuellement, éclairé par le sentiment religieux, ne trouvant plus personne qui ose contester sa puissance, il a résolu de garder la paix, de réparer ses crimes anciens, de vivre de son propre bien, en abjurant toute rapine, d'amender sa vie passée, en un mot, de suivre en toute chose la bonne voie au lieu de la mauvaise. Dans son royaume, il a choisi un lieu charmant, baigné à la fois par l'eau d'un fleuve et par le flot d'une mer poissonneuse ; couvert par de hautes collines, riche eu vignes et en prés, planté comme une forêt d'une foule d'arbres, des chênes, des pins, des pommiers ; décoré d'une foule d'herbes odorantes et salutaires, comme un jardin. Ce lieu, notre prince veut le combler de ses dons royaux, l'orner de saintes reliques, et y mettre des moines choisis qui prieront pour le salut de son âme. Et comme il aime beaucoup saint Magloire, il vous ordonne de lui porter le corps entier de ce saint, qui sera honoré en ce lieu sous votre garde et sous votre autorité, à tout jamais ».

Cette harangue, nous le verrons, eut un plein succès. Le texte latin la qualifie de discours ironique ou fallacieux, locutio diasyrtica : épithète inspirée sans doute par les louanges hyperboliques données ici au site de Léhon, qui au début de ce récit, quand Nominoë y trouve les six pauvres moines, est peint au contraire comme une solitude affreuse, inculte, où l'on ne peut que mourir de faim : contradiction suffisamment expliquée par les besoins de la cause, car l'idée d'aller s'enfouir en un tel désert n'était pas pour séduire beaucoup les gardiens du tombeau.

Une contradiction moins explicable, c'est celle qui regarde Nominoë.

Le récit de la translation débute par un éloge sans réserve : Nominoë est là un héros illustre, plein de dignité et de noblesse, qui a porté au plus haut point la puissance et la prospérité de la Bretagne, et qui maintenant lui assure par son gouvernement le bienfait d'une paix glorieuse. C'est bien là le langage et les sentiments des Bretons du IXème siècle, rendus à la liberté par Nominoë et tout fiers de ses exploits contre les Franks.

Au contraire, le discours du moine de Léhon aux gardiens du tombeau de saint Magloire est une sanglante diatribe contre ce prince ; Nominoë n'est plus là qu'un brigand vivant de rapine, un impie, un incendiaire, un buveur de sang, également odieux aux hommes, aux saints et à Dieu ; tout au plus daigne-t-on l'admettre à repentance sur sa promesse formelle de réparer ses crimes et de changer sa vie du tout au tout. Discours parfaitement invraisemblable, propre à rebuter, non à séduire, ceux qu'on voulait gagner. Invraisemblable surtout, parce que jamais un Breton, ni du IXème siècle ni du Xème, n'a pu penser ni écrire cet odieux réquisitoire contre le héros et le libérateur de sa race. Aussi, la contradiction flagrante entre cette diatribe et l'éloge inscrit en tête du récit de la translation impose forcément cette conclusion : c'est qu'il y a dans ce récit, comme nous l'avons aujourd'hui, deux mains et deux auteurs différents : le narrateur primitif, un Breton du IXème siècle, contemporain ou quasi contemporain, qui a composé l'ensemble, le fond de la relation ; et un interpolateur non Breton, qui plus tard a plus ou moins altéré le récit primitif.

Il est aisé de rendre compte de l'origine et de la cause de cette interpolation. Le corps de saint Magloire, transporté de Serk à Léhon en 850, comme nous le dirons tout à l'heure, n'y resta guère plus de soixante-dix ans. Vers l'an 920 (nous le verrons plus loin), pour le soustraire aux insultes des invasions normandes, on l'emporta, avec beaucoup d'autres reliques des saints de Bretagne, dans l'intérieur de la France, et après diverses pérégrinations il se fixa à Paris, où l'on agrandit pour le recevoir l'ancienne église Saint-Barthélemi (Saint-Barthélemy), qui y perdit son nom et devint vers le milieu du Xème siècle l'abbaye de Saint-Magloire [Note : Plus tard (vers 1138), l'abbaye de saint Magloire fut transférée de la Cité (où était Saint-Barthélemi) dans la rue Saint-Denys, et alors Saint-Barthélerni reprit son nom. Plus tard encore, vers la fin du XVIème siècle, l'abbaye de Saint-Magloire émigra de la rue Saint-Denys au faubourg Saint-Jacques (près Saint-Jacques du Haut-Pas) et devint là un séminaire qui subsista jusqu'à la Révolution voir Baillet, Vies des Saints, édit. 1739 in-4° t. VII, p 372-373]. Les moines de cette abbaye, studieux lecteurs et transcripteurs de chroniques comme tous les moines, placés au centre de la tradition carolingienne, héritèrent naturellement la colère des Franks du IXème siècle, aussi bien des clercs que des guerriers, contre le vaillant chef breton (Nominoë), qui s'était permis de démembrer le royaume de Charles le Chauve, la province ecclésiastique de Tours, et de brûler le monastère anti-breton de Saint-Florent le Vieil. Aussi, en transcrivant soigneusement au XIème siècle la Vie de leur saint patron et le récit de sa translation, les moines parisiens de Saint-Magloire, rencontrant sur leur route ce mécréant, durent regarder comme un devoir de conscience de flétrir plus ou moins sa mémoire, aussi odieuse aux Français d'alors que chère et glorieuse aux Bretons. De là la contradiction, l'interpolation ci-dessus ; et peut-être n'est-ce pas la seule.

Quoi qu'il en soit, le moine de Léhon envoyé à Serk réussit dans sa mission ; quand il revint sur le continent, il avait obtenu des gardiens du corps de saint Magloire l'engagement formel de favoriser en temps opportun l'enlèvement de ce précieux dépôt. Quelques mois plus tard, sortaient de la Rance se dirigeant vers Serk, quelques pèlerins sous les ordres de Condan, le plus prudent (ou si l'on veut le plus malin) des moines de Léhon. Bien reçus, grassement hébergés par les religieux de l'île, ils passent là six jours sous couleur de dévotion, occupés à combiner leur coup. Le septième, à minuit, avec la connivence des gardiens (qui les suivent bien entendu), ils enlèvent le saint corps, le mettent dans leur barque et font force de rames vers le Sud. Bientôt, à Serk, le larcin est découvert, tous les Serkains furieux sautent dans leurs barques, donnent la chasse aux ravisseurs, les rejoignent malgré leur avance, et ils vont en faire justice, quand un effroyable orage disperse la flotte de Serk et pousse sans grande avarie la barque de Condan, avec tous ses passagers, avec le saint corps aussi, jusqu'au rivage d'Armorique.

Jusqu'à présent, cette histoire de la translation de saint Magloire a toute la physionomie d'une chronique sincère et véridique ; tout y est parfaitement vraisemblable, parfaitement conforme aux moeurs de ce siècle, pour qui le vol des reliques était oeuvre pie fort méritoire, à ce point, par exemple, que le biographe de saint Convoion, premier abbé de Redon, lui fait d'un exploit de ce genre un titre de sainteté (Voir Acta SS. Rotonensium, lib. II, cap. 9, dans D. Morice, Preuves de l'Histoire de Bretagne, I, 250-251). Ici se place un épisode fort agréable, répondant sans doute à un fait vrai, mais — sous la forme où il nous est parvenu — sentant plus la légende que la chronique.

Condan et ses compagnons, en abordant sur le continent, très fatigués et très affamés, s'en vont chercher à dîner au plus prochain village, dressent la table dans un verger et installent tout auprès d'eux, sous leur constante surveillance, le cercueil du saint dans un beau pommier, bifurqué à petite hauteur de terre en deux fartes branches, n'ayant jusqu'alors porté que des pommes aigres d'un goût insupportable et qui depuis lors, sur toute la branche où s'était reposé le saint corps, eut des fruits d'une saveur délicieuse, tandis que ceux de l'autre branche conservaient leur primitive aigreur. « Prodige qui dura, dit notre texte, tant que dura l'arbre lui-même ». Ce qui met la mort du pommier avant la rédaction de ce chapitre : on ne parle donc ici que par ouï dire ; la légende n'en est pas moins charmante et d'un parfum tout breton.

Au reste, une fois le corps de Magloire en Armorique, il fut sans difficulté transporté et vénéré à Léhon. Si les moines de Serk élevèrent quelque protestation contre ce rapt sacré, elle n'a laissé aucune trace (extrait des notes d'Arthur de la Borderie).  

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