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UNE HÉROINE DE LA FIN D'UN RÉGIME : Pauline LE SÉNÉCHAL de CARCADO-MOLAC.

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La famille Le Sénéchal de Carcado-Molac était une des plus marquantes de Bretagne au XVIIIème siècle ; elle, s'enorgueillissait d'une origine qui la faisait remonter aux premiers sénéchaux féodés et héréditaires de Rohan, et d'une suite de services, aussi longue que glorieuse, près des ducs de Bretagne, puis des rois de France. Possédant un grand nombre de domaines dispersés dans la province, elle prit goût à résider surtout dans deux seigneuries patrimoniales situées dans l'évêché de Vannes : la baronnie de Carcado, paroisse de Saint-Gonnery, et le marquisat de Molac, paroisse du même nom, à quelques lieues seulement de Vannes. Cette proximité explique comment certains représentants des Carcado-Molac habitèrent cette dernière ville. A la fin du XVIIIème siècle, on y trouve Jeanne- Marie Le Sénéchal, fille de René-Alexis et de Jeanne Magon, habitant son hôtel près de la porte Saint-Pierre ; plus tard, deux nièces de celle-ci y résident durant la tourmente révolutionnaire.

Née au château de Carcado, l'an 1754, Pauline de Carcado-Molac y passa toute son enfance aux côtés de sa mère, tandis que son père partageait son temps entre Paris, dont il appréciait la vie fastueuse, et les camps. Le grade de lieutenant général des armées couronna la carrière militaire du marquis de Molac, qui recueillit de son père le gouvernement des ville et château de Quimper.

Menant, tout au contraire de son père, une vie sévère et retirée au fond de la province, bretonne, Pauline, âgée de quatorze ans, vit arriver à Carcado un de ses jeunes cousins, le beau marquis Vincent de Beauvau-Tigny, exilé de Paris en Bretagne à la suite de frasques par trop retentissantes. A vingt et quelques années, il avait déjà été enfermé à l'île Sainte-Marguerite, d'où il s'était évadé, était parti guerroyer en Allemagne, avait épousé sa maîtresse — mariage aussitôt cassé — et enfin sortait directement de la Bastille.

Une intrigue bientôt se noua entre les deux cousins ; mais le marquis de Molac, redoutant un gendre aussi turbulent, y coupa court en faisant embarquer son neveu à Lorient. Deux ans plus tard, la mort de son père ramena le jeune homme au château de la Treille, propriété des Beauvau-Tigny, en Vendée. Menacé de prison par un de ses oncles avec lequel il s'était brouillé, il retrouva de lui-même le chemin de la Bretagne. C'est à Molac, cette fois, qu'il revit Pauline de Carcado. Les chaînes d'une alliance régulière lui paraissaient bien lourdes, mais, à cette heure, le marquis de Molac se trouvait dans de grandes difficultés d'argent et voyait la situation du jeune homme changée depuis que celui-ci avait hérité de son père. Aussi, agit-il de telle sorte que Vincent de Beauvau-Tigny ne put se dérober. Le mariage eut lieu à Carcado, le 22 octobre 1770.

Avec un mari aux goûts aussi fantasques et à l'humeur si aventureuse, l'union et la banne entente du ménage, on le devine, ne durèrent pas longtemps. Après quelques années de scènes conjugales pénibles, Vincent abandonna définitivement sa femme à la Treille, lui laissant leur jeune fils, nommé Eugène, et partit pour Saint-Domingue.

Il débarquait à Port-au-Prince le 4 février 1778. On sait qu'à cette époque, beaucoup de familles françaises, attirées par les richesses naturelles des colonies, avaient émigré aux Antilles. Vincent de Beauvau-Tigny y retrouva une branche Le Sénéchal de Carcado qui lui fit fête et l'introduisit aussitôt dans la société brillante de l'île. Il entra de la sorte en relation avec une riche et jolie héritière de Saint-Domingue, Victoire de Marsillan. Un curieux hasard voulut qu'à ce moment le courrier de France lui apportât la nouvelle inattendue de la mort de sa femme. Hâtivement, et sans plus amples renseignements, Vincent demanda la main de la jeune Victoire, et convola en nouvelles noces, le 30 mai de la même année. Soudain, quelques jours après la cérémonie, qui avait rassemblé tout ce que l'île comptait de noblesse et de riches colons ; soudain, éclate un coup de théâtre : on apprend que Pauline, la première femme, n'est pas morte ! ... Mis en demeure de se rendre en France pour s'expliquer, le bigame reprend la mer avec Victoire qui déjà portait avec elle des espérances. A peine arrivé au port, il est jeté dans les prisons du Mont Saint-Michel, puis dans celles du château d'Angers, déclaré en interdit et placé sous la tutelle de deux de ses oncles.

Pendant ces fâcheuses vicissitudes, Victoire de Marsillan accouchait à Nantes d'une fille, baptisée Sophie-Reine de Beauvau-Tigny.

Cette situation extraordinaire donna lieu, devant les tribunaux, à un long débat qui passionna l'opinion de ce temps, à cause des personnages et aussi de la bizarrerie des faits. Oui ou non, Vincent pouvait-il se considérer comme veuf sur la simple nouvelle de la mort de sa femme ? Tel était le problème posé à la sagacité des juges et que ceux-ci tranchèrent par une solution bâtarde, en déclarant le mariage avec Mademoiselle de Marsillan rompu, mais en légitimant la fille de cette dernière. Vincent restait donc avec une seule épouse, la première, et deux enfants de lits différents.

Victoire de Marsillan, laissée pour compte, se consola vite avec un lieutenant de cavalerie, nommé Favre de Saint-Castor, qu'elle épousa et dont elle eut deux filles.

Vincent de Beauvau-Tigny ne fut pas relâché de sitôt. Toutes ses frasques de jeunesse lui valurent une sévère condamnation. Il séjourna d'abord à Vincennes, puis revit la Bastille, demeurant interné pendant sept années consécutives. Pauline de Carcado vivait son long veuvage à Pontivy dans une austère retraite où elle prit — on le conçoit aisément — une aversion irrémédiable de son mari et beaucoup d'humeur contre les adversités de la vie.

Libre enfin, le marquis de Beauvau-Tigny reparut à la Treille (1786). Il obtint alors la levée de son interdiction et la tutelle de ses enfants. Mais tour à tour, par suite des désordres de sa vie privée, il se brouilla avec chacun d'eux. A cette époque de calme relatif dans son existence, Vincent vivait maritalement avec sa servante Renée Guicheteau dont il eut trois fils. Il va sans dire que Renée Guicheteau fit tout ce qui était en son pouvoir pour écarter Eugène et Reine de Beauvau-Tigny, et réussit si bien dans ses desseins, qu'après le départ de ceux-ci, le châtelain de la Treille reconnut les trois enfants naturels. Eugène, ayant pris la route de Nantes, mourut subitement et assez mystérieusement peu de temps après (1789). Quant à Reine, son père l'envoya à Poitiers, au pensionnat des demoiselles Demonge, qui lui firent épouser leur neveu, nommé Henri Rolland. En 1794, l'année même de ce mariage, elle trouva la célébrité à Poitiers en figurant comme déesse Raison dans les manifestations en l'honneur de cette nouvelle divinité.

Dès que parut l'aube des temps nouveaux, le marquis de Beauvau-Tigny se lança dans la politique et se mit hardiment à la tête du mouvement révolutionnaire. Nommé procureur syndic du district de Cholet, il se distingua par sa haine contre les prêtres insermentés.

En 1793, les armes à la main, il tint tête aux Vendéens. Ce devait être la fin de sa carrière ; le 14 mars, se portant au devant de Stofflet qui attaquait Cholet, il tomba frappé de plusieurs balles.

C'est l'année sanglante et tragique ; à Paris, place de la Barrière, les têtes tombent par centaines. Le couperet suffit à peine aux « fournées » quotidiennes de Fouquier-Tinville. Un jour vint où l'on vit le marquis de Carcado-Molac, beau-frère du marquis de Beauvau-Tigny, précédé et suivi de personnages ayant appartenu à la plus haute société de l'ancienne France, monter à l'échafaud au milieu des cris de joie de la populace. Pauline de Carcado, toujours à Pontivy, ne semble pas avoir été autrement émue des deuils qui la touchaient de si près.

Sa situation de fortune était devenue des plus précaires par suite de la suppression des rentes féodales ; aussi, dès la mort de son mari, elle s'empressa de se rendre à la Treille et à Cholet pour revendiquer sa part de reprises.

Appelée à Angers par ses démarches procédurières, Pauline y fit la connaissance d'un jeune et sémillant clerc d'avoué de 23 ans, nommé Louis Ledet. Parvenue à la quarantaine, la marquise de Beauvau-Tigny offrait les charmes de la maturité et s'auréolait d'une longue série d'infortunes. Sevrée durant si longtemps de joies et de plaisirs, elle pensa sans doute trouver une compensation à ses malheurs dans la liberté et l'oubli des conventions. Le jeune clerc, lui, se montra entreprenant près de sa cliente. Les choses allèrent vite et sans formalités ; Pauline se laissa enlever, et comme l'audacieux conquérant lâchait la basoche pour s'enrôler dans l'armée des Bleus qui marchaient contre la Vendée, on vit cette chose singulière : la fille du marquis de Molac devenue cantinière pour suivre un soldat de l'armée républicaine et faisant les étapes, juchée sur une charrette, à la suite de cette armée.

Dès cette époque, Pauline est qualifiée de citoyenne Ledet, mais le mariage civil ne fut célébré que le 7 décembre 1794. Le jeune clerc fit rapidement son chemin, car il devint capitaine. Les guerres de Vendée terminées, il prit la robe d'avocat, et le ménage, sous des allures correctes, s'installa à Chinon, où Monsieur et Madame Ledet s'occupèrent activement de recueillir quelques débris de la succession du marquis de Beauvau-Tigny.

Il semblerait que l'existence de Pauline de Carcado, toute bizarre que fut sa seconde union, aurait pu se fixer à partir de ce moment. Mais il se produisit alors un événement encore plus extraordinaire que ceux que nous venons de rapporter et qui devait, pendant vingt-cinq ans, exciter la curiosité populaire : Eugène de Beauvau-Tigny, ce fils dont la mort un peu mystérieuse en 1789 avait déjà causé de l'étonnement, ressuscita.

Un certain jour de 1799 — c'est-à-dire dix ans après sa disparition, — au château de la Treille où trônait Madame Rolland, la fille de Victoire de Marsillan, on vit apparaître un beau jeune homme, très réservé dans ses paroles, mais d'une grande dignité d'allure et doué du don de commandement qui en impose aussitôt. Le doute ne vint à la pensée de personne. C'était bien « Monsieur Eugène ». Il fut admis par tous comme le maître, et le pays fut vite informé de ce retour imprévu. Madame Ledet, qui s'occupait alors de liquider la succession du marquis de Beauvau-Tigny, prit fort mal la nouvelle. A la Treille, où elle accourut sans tarder, une entrevue sensationnelle ne fit qu'épaissir le mystère, car loin de reconnaitre son entant, Pauline traita Eugène d'imposteur et le renia publiquement, au grand scandale de ceux qui ne doutaient pas de son identité. L'acte de décès de 1789 était là pour attester la mort de l'héritier des Beauvau-Tigny et donnait raison à l'opinion de la mère ; cependant cet acte portait des irrégularités et ouvrait ainsi la porte à toutes les conjectures.

Entre temps, Eugène se mettait à la tête des Vendéens, ceux dont les balles avaient tué son père. Son courage et son audace lui valurent un certain renom ; il se montra habile détrousseur de courriers, mais finit par se laisser prendre. Incarcéré à Saumur, puis à Poitiers, il simula la folie, parvint en 1800 à s'échapper, enfin passa en Angleterre.

Reine demeura alors seule à la Treille, où elle continua à se déshonorer par son inconduite. Après avoir divorcé avec Henri Rolland, elle eut une intrigue avec un lieutenant de Saumur, du nom de Delanet, qu'elle se décida à épouser, mais pour s'en séparer à bref délai, gardant de cette union une fille. En définitive, le tribunal d'Angers, en 1803, ayant, condamné à mort par coutumace l'imposteur Eugène, Reine demeura sans contestation seule propriétaire à la Treille.

Les choses en restèrent à ce point, en France, pendant toute la durée de l'Empire. En Angleterre, Eugène ou le soi-disant tel, avait renoué ses intrigues. Peu à peu, il réussit à se faire admettre comme Beauvau-Tigny par la société des émigrés.. En 1814, à la chute de l'Empire, il obtint de regagner la France et de rentrer dans ses droits. Mais, il mit le pied sur le sol de la France presqu'en même temps que Napoléon, retour de l'île d'Elbe. Au lieu de fuir, Eugène se jeta en Vendée pour reprende les armes ; il fut blessé grièvement au combat de la Roche-Servière le 21 juin 1815.

Les services rendus lui valurent les faveurs de la Restauration qui le nomma colonel et lui donna la croix de Saint-Louis, avec une pension de 2.400 livres : heureuse solution pour un condamné à mort par coutumace !

Cependant ce retour de fortune fut suivi de nouvelles tribulations. A la Treille, cet extraordinaire personnage se heurta à l'opposition de Reine qui refusa de le revoir et lui disputa avec acharnement la succession de son père. Des débats retentissants, à Cholet d'abord, à Angers ensuite, firent revivre toute l'histoire de la famille et passionnèrent de nouveau l'opinion. De 1817 à 1827, un procès se poursuivit où les scènes les plus curieuses créaient des situations inextricables. Eugène et Madame Ledet mis en présence, le premier évoquait avec une sûreté imperturbable ses souvenirs d'enfance ; l'autre, vieillie et épuisée, paraissait indifférente à tout, mais toutefois se refusait énergiquement à reconnaître Eugène pour son enfant.

Au milieu de ces ténèbres, le tribunal d'Angers rendit un jugement de Salomon, rappelant celui de 1778 qui avait réglé le sort de la fille de Victoire de Marsillan. « Eugène fut maintenu dans ses nom et qualités, mais fut débouté de ses droits à la succession Beauvau-Tigny » . En réalité, on le désavouait ; il disparut et mourut d'une façon obscure en 1833, sans laisser de postérité, emportant dans la tombe le secret de son origine.

Madame Delanet s'installa à Paris avec sa fille, d'où l'abbé Le Priol, ancien recteur de l'Académie de Rennes, envoya régulièrement de ses nouvelles à son ami Jehanno résidant à Vannes, au Château-Gaillard.

Ici se termine cette suite d'aventures romanesques, à peine croyables, qu'on s'explique cependant dans un temps de bouleversement politique et, de crise sociale comme la Révolution de 1789. L'ordre sur lequel la France s'était appuyée, durant plusieurs siècles, était renversé. Les digues rompues, préjugés et conventions s'en allèrent à la dérive, laissant les passions sans frein. Il faut peut-être aussi voir dans le déchaînement de celles-ci une soif d'indépendance et un besoin de se libérer des conventions qui se faisaient sentir même dans les classes les plus favorisées.

Note : L'histoire de cette héroïne a été retracée dans un ouvrage intitulé : La Fin d'une race ou l'héritage de Beauvau-Tigny (Plon, 1904) ; nous l'avons complétée de détails tirés des Archives du Morbihan et des Archives du château de Carcado.

(Hervé du Halgouët).

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