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LA MORT DU LIEUTENANT RUDER

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Alors que les premières troupes alliées débarquaient en Normandie, le 6 juin 1944, à 9 heures 50 disparaissait l’un des as de la chasse américaine. Quatre Mustang franchissaient alors la côte bretonne pour rejoindre leur base de Leiston (Suffolk), après une patrouille, quand l’un d’entre eux, touché par la Flak, fit demi-tour et tenta de se poser sur le ventre près de la ferme de Kergomar à Saint-Michel-en-Grève. Heurtant une souche sur un talus, l’appareil se disloqua. L’un des trois Mustang restant revint survoler les lieux à base altitude avant de s’en retourner. Présentant une profonde plaie à la tête, le 1st Lt. Leroy Alvin RUDER fut enterré au cimetière de Saint-Michel-en-Grève avant d’être exhumé, après guerre, par les autorités américaines et rapatrié aux Etats-Unis.

Né en 1921 à Nekossa (Wisconsin), le 1st Lt. Leroy A. RUDER joignit les Army Reserves et obtint ses ailes de pilote ainsi que le grade de Second-Lieutenant (sous-lieutenant) le 20 mais 1943 à Luke Field (Arizona). Il transféra au 357th Fighter Group – 364th Figther Squadron le 6 juin 1943. Lorsqu’il disparu, un an plus tard jour pour jour, il avait 534 heures 50 minutes de vol à son actif et était titulaire de deux Distinguished Flying Cross et de quatre Air Medal. Il remporta ses deux premières victoires, dont une en coopération avec un autre pilote, le 6 mars contre des Bf 110, près de Berlin. Vinrent ensuite deux victoires contre des Fw 190, les 11 avril et 19 mai, puis deux, contre des Bf 109, les 27 et 28 mai. Les trois dernières victoires semblent avoir été remportées avec l’appareil dans lequel il fut abattu : le P-51B-15-NA numéro 42-106768. Baptisé « Linda Lu », tout comme le 43-6872 qu’il avait utilisé précédemment, ce Mustang avait été commandé par l’U.S.A.A.F. en octobre 1942. Construit dans l’usine de la North American Aviation, Inc. D’Inglewood (Californie), jouxtant le Mines Field devenu depuis le Los Angeles International Airport, il portait le numéro constructeur 104-25570. Le 357th Group auquel appartenait le 1st Lt. RUDER avait été la première unité de la 8th Air Force à percevoir des Mustang et avait accompli sa première mission le 11 février 1944 au-dessus de Rouen. Le Group fera décoller huit patrouilles en ce 6 juin et perdra trois appareils.  

lieutenant Leroy RUDER

LE MUSTANG

Quand leur bruit assourdissant, étouffé jusqu’au dernier instant par les vents contraires, emplit d’un coup l’espace, ce fut comme si la foudre avait percuté les collines dominant la mer : quatre chasseurs Mustang P51 remontaient de leurs surpuissants moteurs Rolls Royce Merlin la forte tempête de noroît qui, depuis la veille, soufflait sur la Manche. A peine entrevus, les avions de l'US Air Force, arrivés par les terres à très basse altitude, plongèrent, dans un ensemble parfait, vers le sable de la Lieue de Grève, cent mètres plus bas. 

Dans la ferme de Kergomar, à huit cents mètres du rivage, le cheval affolé est entravé de justesse. T., fasciné, suit des yeux les avions couleur d’argent dont les ailes et le fuselage sont, singulièrement, rayés de bandes noires et blanches. Ils survolent la plage quand, tout à coup, l’un d’eux fait demi tour. A l’évidence, l’avion cherche à se poser. Et l’urgence doit être extrême car le terrain choisi est un petit champ de blé proche de la Chapelle Sainte Geneviève, à deux cents pas de la ferme. Un acte désespéré car, même pour un profane, un atterrissage dans cette campagne bretonne où les parcelles sont étroites et bordées de talus, est totalement suicidaire. Sans surprise, la glissade sur le ventre, à grande vitesse, du lourd chasseur est stoppée net, au bout de cent mètres, dans un épouvantable fracas, par une souche d’orme, laissant dans le blé déjà haut du mois de juin comme la trace d’une faucheuse géante. Tout cela a duré quelques secondes, mais T. abasourdi, T. hésite avant d’aller sur les lieux, car il connaît les ordres allemands : il est streng verboten de s’approcher d’un avion abattu. Pendant ce temps, un des Mustang, a fait un bref demi-tour, avant de remonter avec les autres vers leur base du Suffolk, pour y annoncer la mauvaise nouvelle : leur camarade est mort ou gravement blessé. 

Le Mustang disloqué est totalement affaissé au bout du sillon que le poids de son énorme moteur et la protubérance de ses radiateurs ventraux ont creusé dans la terre arable ; il a perdu sa verrière en plexiglas et la petite porte qui donne accès à son cockpit est abaissée. T., très ému, se trouve alors juste à la hauteur du pilote, un jeune homme blond, de petite taille ; il est penché vers l’extérieur, le bras pendant et le corps retenu par son harnais ; sur son visage s’est répandu en abondance du sang provenant d’une blessure mal définie de sa tête. Etrangement, il a les yeux ouverts. T. l’interpelle puis, dans un geste plein de retenue, le touche et enfin, tel un médecin en présence d’un blessé sans connaissance, d’un doigt précautionneux, teste son réflexe cornéen. Bouleversé par l’absence de toute réponse, il lui clôt les paupières. 

Il est 09 H 5O. On est le mardi 6 juin 1944. 

Les quatre Mustang revenaient de Normandie où ils avaient participé à une mission de reconnaissance, et regagnaient l'Angleterre, après avoir joué à saute-mouton par-dessus les clochers de l’arrière pays où la DCA était moins drue que sur la côte. Hélas, au moment d’atteindre la Manche, ils sont pris à partie par la Flak de Kerhuel positionnée à moins d’un kilomètre en arrière de la ferme de Kergomar. Le siège et le dos des pilotes de ces avions étaient protégés par un blindage de 8 mm, mais, bien sûr, pas leur tête ; on sait aussi que les aviateurs de la Deuxième Guerre Mondiale ne portaient pas de casque, mais des bonnets de cuir ou de tissu où étaient fixés écouteurs radio, micro et masque à oxygène. Les expérimentés serveurs allemands des canons antiaériens de 20 mm avaient l’habitude, pour ne pas se dévoiler, de laisser passer les avions volant bas, puis de faire feu par l’arrière. C’est ce que firent les artilleurs de Kerhuel, dont les obus touchèrent un des Mustang sous un angle inhabituel, à la hauteur du cockpit, au moment où il piquait vers la plage. 

Le pilote blessé, effrayé par le sang qui coule sur son visage et dans ses lunettes de vol, a ôté son bonnet. Une plaie très hémorragique du cuir chevelu lui brouille la vue, mais ne l’empêche pas de manoeuvrer : une blessure sans doute superficielle, car un obus de 20 mm, un centimètre plus bas, lui aurait fait éclater la boite crânienne, mais cela il ne le sait pas. Alors, si son avion était encore manoeuvrant, peut-être a-t-il fait un mauvais choix ? Impossible de l’affirmer, même s’il apparaît, a posteriori, que sa décision de se poser dans un champ entouré de talus ne lui laissait aucune chance. Il n’en a pas moins piloté son avion jusqu’à l’ultime seconde, comme en témoignent ses yeux encore ouverts après le choc d’une violence inouïe qui lui a brisé le cou. Curieusement, les Allemands, peut-être parce qu’ils avaient reçu ce jour-là de très mauvaises nouvelles, ne vinrent voir l’avion que le soir. C’est une patrouille à pied partie du blockhaus du Grand Rocher, distant de seulement trois kilomètres, qui arrivera sur les lieux, en remontant, au plus court, par la vallée du Roscoat. Le nom du pilote est maintenant connu grâce aux recherches de Roger Frey : c’est un américain du Wisconsin, le Lt. Leroy Alvin Ruder, du 364 th. Fighter Squadron de la 8th Air Force. En juin 1944, il avait 23 ans et ce n’était pas un débutant puisqu’il était déjà titulaire de 5,5 victoires en combat aérien contre la Luftwaffe. 

Sa dépouille sera remise par les Allemands aux autorités civiles de la commune et enterré sous le clocher, emplacement autrefois réservé aux prêtres bienfaiteurs de la paroisse. A Saint Michel, on a aussitôt fait de ce pilote « un canadien français », choix arbitraire et totalement sentimental, juste destiné à nous rassurer sur les liens qu’avaient pu garder pour nous nos lointains cousins des Amériques. Pourtant, on ne risquait pas de trouver un de ces « cousins » dans cet avion aux étoiles blanches, car les pilotes de l'Aviation Royale Canadienne, citoyens du Commonwealth, volaient tous sur des appareils portant la cocarde de la RAF, ce que personne évidemment ne savait. De plus, dans ce cas, l’aviateur eût été pris pour un anglais ! Et là, on peut se demander si les anciens de La Royale, et beaucoup de Bretons avec eux, eussent, en ces années quarante, fait aussi bonne figure à un citoyen de la Perfide Albion ! 

A cette erreur sur la nationalité du pilote, s’en ajoutait une autre : il aurait été « enterré comme un chien par les Allemands ». En réalité, il fut déposé dans un vrai cercueil, selon les rites funéraires en usage, en présence du Maire, après autorisation de la Préfecture. 

Une messe d’enterrement fut même célébrée dans l’église de Saint Michel par le recteur de l'époque. Mais peu de témoins assistèrent à cette cérémonie qui se devait d’être discrète. Ce qui n’empêcha pas les témoignages de reconnaissance au héros anonyme, sous forme de bouquets déposés pieusement chaque jour, à la dérobée, sur la petite butte de terre le recouvrant. Il en sera ainsi jusqu’à ce que son corps soit exhumé pour être rapatrié aux USA. 

A Saint Michel en Grève, seuls les plus anciens se souviennent de ce fait de guerre pourtant peu ordinaire. Il faut dire qu’il ne subsiste dans notre cimetière, aucune trace du pilote américain « mort pour la France ».

Quand les Allemands eurent récupéré sur l’épave tout ce qui les intéressait, il devint possible de s’en approcher et beaucoup purent emporter, en guise de souvenirs, des brisures de métal à la légèreté si irréelle qu’elles semblaient venir d’une autre planète... 

On sait que les avions de combat portaient, dessinées sur leur capot moteur, des caricatures évoquant leur nom de baptême. Concernant le Mustang du Lt. Ruder, il ne nous reste que son nom, révélé par les archives de l'US Air Force, un petit nom plein de gaîté (qui serait celui d’une Danse Country de l'Ouest Américain ?), parfait contresens pour un oiseau de proie, mais tellement poétique : Linda Lu.

("Souvenir de guerre", Yves Kerempichon - 2008)

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