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Lutte entre la paroisse de Rohan et celle de Saint-Gouvry.

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Lutte entre : 1° les recteurs de Rohan-Saint-Gouvry et leurs paroissiens ; 2° entre les deux paroisses.
(Tout ce chapitre est extrait des archives municipales de Rohan).

I.

Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, le presbytère de Saint-Gouvry devait amener un long procès, d'abord entre plusieurs recteurs successifs des deux paroisses unies et leurs ouailles, ensuite entre les paroissiens de Rohan et ceux de Saint-Gouvry.

Missire Jean Danilo prenait la direction des paroisses de Rohan-Saint-Gouvry le 8 octobre 1744. Le procureur fiscal de Rohan et le trésorier en charge avaient fait apposer les scellés sur les meubles du défunt recteur M. Jacques Plénier. La raison ? On l'accusait de n'avoir pas veillé à l'entretien du presbytère en bon père de famille.

Le 9 janvier 1745, le nouveau recteur cite en justice les généraux des deux paroisses, leur réclamant une indemnité annuelle de logement de 75 livres, jusqu'à l'aménagement convenable du presbytère. La sentence fut remise à une date ultérieure.

Enfin le 24 février 1745, les travaux de réfection du presbytère sont confiés par adjudication au sieur Leneveu.

M. Danilo n'était pas homme à laisser outrepasser ses droits. Tenace jusqu'à l'intransigeance, il passa toute sa vie de recteur à Saint-Gouvry, en procès avec ses paroissiens. Toutes les juridictions il les épuisera : la cour ducale de Rohan, le Présidial de Vannes, le parlement de Rennes.

Par sentence du 28 juillet 1743, les deux procureurs terriens, c'est-à-dire les représentants des paroisses de Rohan-Saint-Gouvry dans leur procès avec M. Danilo, sont condamnés à verser à leur recteur, les 75 livres par lui réclamées comme indemnité de logement.

Le 9 août 1745, M. Danilo est assigné dans la juridiction de Rohan pour vérification des travaux exécutés au presbytère. Par cette assignation il apprit que Louis Maguéro, procureur fiscal de Rohan, Marc Ropert et Jean Allio, procureurs terriens des deux paroisses, avaient fait dresser un procès-verbal de l'état de son presbytère et du pourpris en dépendant, les 12, 13 et 14 janvier précédents, et, à son insu, adjuger au rabais les travaux de réfection les 17 et 24 février, à Louis Leneveu.

M. Danilo vit les réparations, s'en plaignit au Général de Saint-Gouvry, et lui déclara qu'il n'accepterait pas la maison en tel état.

Le Général de Saint-Gouvry charge alors Robert Rouxel de l'examen du presbytère. A son avis, une restauration convenable nécessitait une dépense de 965 livres. Une commission d'enquête est nommée qui comprend : pour le Général de Saint-Gouvry Mathurin Morice, arpenteur et expert du comté de Porhoët, Mathurin Gouarin pour M. Danilo, Julien le Bris pour Louis Leneveu. Jean Tiennot représentait le sénéchal de la juridiction. Devant ce dernier les quatre mandataires prêtent serment, le 13 septembre 1745.

Le lendemain, il est environ 8 heures du matin, quand les experts arrivent au presbytère de Saint¬Gouvry. Au petit groupe des quatre s'étaient joints plusieurs notables : Marc Ropert et Jean Allio, procureurs terriens des deux paroisses, Me le Piouffle, procureur de Saint-Gouvry, Me Yves-Henri le Mercier, procureur du recteur, Louis Maguerot, procureur fiscal de la juridiction de Rohan, Me Hervizo, notaire au même lieu, et tout disposé à enregistrer l'acte d'accord.

L'entrepreneur Leneveu présente les clés du presbytère.

Les débats commencent. Les experts des paroisses déclarent les réparations conformes au devis. Ils constatent seulement que le vieux pignon de refente dans lequel se trouve la cheminée de la cuisine, surplombe : il est nécessaire de le refaire depuis les fondations. En outre il manque une barre à la claie fermant la cour. A part cela, tout est en bon état.

Naturellement l'expert du recteur, Gouarin n'est pas de leur avis. Il fait remarquer aux visiteurs que la cuisine et la chambre au-dessus, n'ont que cinq pieds et un pouce et demi d'élévation ; elles ne peuvent donc servir de logement à un homme d'une taille ordinaire : il faut les exhausser au moins de six pouces.

Morice et Tiennot répliquent : « les étages ont toujours eu cette hauteur, et la maison est bien logeable ».

Exagérer, voilà bien le métier d'un avocat. La requête de M. Danilo œuvre de son porte-voix au parlement de Rennes, nous en fournit la preuve dans ce passage : « Le rapport (procès-verbal du 14 septembre ci-dessus) ne s'accorde guère avec celui de Robert Rouxel. Celui-ci, il est vrai, a mis deux jours à visiter les lieux ; il les a examinés dans tous les détails, tandis que les autres qui pourtant étaient quatre les ont vus en trois heures, de leur propre aveu. Ils partirent de Rohan, à neuf heures du matin (nous venons de voir qu'à huit heures ils étaient arrivés à Saint-Gouvry), y rentrèrent à midi. Le presbytère en est éloigné d'une lieue (en réalité 1500 mètres). Ainsi la vérification ne leur coûta pas beaucoup de temps. Ils en mirent davantage à dîner ».

Cependant, dès le lendemain du procès-verbal contradictoire, c'est-à-dire le 15 septembre 1745, Leneveu demandait le reste de son dû, aux deux procureurs terriens de Rohan et de Saint-Gouvry. Ceux-ci, pour toute réponse, font sommation à M. Danilo de prendre les clés du presbytère et de s'y loger. Refus du recteur ; il oppose le procès-verbal de Rouxel, le danger auquel il serait exposé par la chute imminente du pignon de la cuisine. Bref il demande une seconde visite aux frais des perdants. Lui-même s'engage à faire les avances de la consignation. Cette visite n'eut pas lieu.

M. Danilo ne perd pas courage. Le 10 mars 1745, il assigne ses paroissiens dans la personne de leurs représentants, à lui verser les 75 livres d'indemnité de logement accordées par la sentence du 28 juillet précédent. Il les informe en outre que les terres de son pourpris sont « décloses », et qu'il ne peut en faire les fruits siens. Par jugement de la Cour du 22 décembre 1746, les procureurs terriens sont condamnés à lui payer 72 livres, 13 sols 8 deniers : cet argent fut remis par les débiteurs de l'ancien recteur M. Plénier.

Dans l'intervalle les deux procureurs en question, donnent connaissance aux généraux de leurs paroisses, des poursuites exercées contre eux par M. Danilo.

De guerre las, le 6 janvier 1746, plusieurs notables et membres du général de Saint-Gouvry transigent avec leur recteur, au nom des paroissiens. Ils reconnaissent lui devoir : 112 livres 16 sols pour dix-huit mois de loyer, plus 120 livres que le recteur avait dû s'imposer. De plus ils convinrent qu'une somme de 600 livres était nécessaire encore pour achever les réparations du presbytère. Et comme M. Danilo avait touché 72 livres, il lui restait à en percevoir 760. Les Goveriens s'obligèrent à les lui payer en deux termes par égalité, à l'aide d'une levée de deniers sur les deux paroisses, avec l'autorisation du parlement de Rennes. Les mêmes s'engageaient enfin à faire exécuter toutes les réparations au chanceau de leur église ; le recteur prendrait à sa charge, celles qui surviendraient dans un an.

A entendre M. Danilo dans sa requête, il ne consentait cette transaction « que pour témoigner de sa bienveillance et amitié pour ses paroissiens ».

Hélas ! le général de Saint-Gouvry ne tint pas les engagements de ses députés. Il ne se pourvut point dans la quinzaine devant le parlement de Bretagne, pour obtenir l'autorisation de lever les 760 livres d'impôts. Les matériaux mêmes employés à la restauration du presbytère, les paroissiens ne les payèrent pas.

A la vue de ce manquement à la parole donnée, le recteur cite en justice, le 29 novembre 1746, les cinq notables signataires de la transaction : ils furent condamnés le 26 avril 1747. En conséquence M. Danilo fit saisir les meubles de Marc Ropert et de François Robin, le 21 octobre de la même année. Huit jours plus tard, les saisis en appelaient contre leur pasteur dans la juridiction de Rohan.

Le Parlement de Bretagne tranche la question du mobilier saisi par arrêt du 25 janvier 1748, et donne ordre au procureur fiscal Maguérot qui avait fait apposer les scellés sur les meubles de M. Plénier, de verser au Général de Saint-Gouvry l'argent en provenant, à l'exception des frais de justice, au surplus défend au recteur de passer ordre à la vente des meubles qu'il avait fait saisir sur Ropert et Robin.

II.

Ici la scène change de décor. M. Danilo avait été jusque-là en procès avec les ouailles de ses deux paroisses : leurs généraux s'entendaient assez bien pour soutenir leurs droits réels ou prétendus contre leur Pasteur. Seulement la diplomatie de ce dernier finit par gagner entièrement à sa cause les Goveriens : les chrétiens des campagnes sont plus faciles à gouverner que ceux des villes. D'où brouille entre Rohan et Saint-Gouvry. Cette brouille fut complète à partir de la transaction du 6 janvier 1746.

Nous venons d'entendre les doléances de M. Danilo contre ses paroissiens dans sa requête au Parlement. Voici maintenant dans un factum présenté à la même Cour, quelques plaintes et récriminations des Rohannais contre leur recteur et les Goveriens.

Les habitants de Rohan accusent ceux de Saint-Gouvry d'avoir seuls ourdi la longue procédure, survenue à l'occasion du procès-verbal de renable, fait contradictoirement avec leur recteur le 14 septembre 1745.

A entendre les accusateurs, le sieur Danilo mécontent de ce procès-verbal, « présenta au juge de Rohan une requête remplie de faits erronés, et dans laquelle il demandait une seconde visite... Le général de Saint-Gouvry assez ignorant, et intimidé d'ailleurs, par les menaces du recteur, s'assembla à nouveau et députa pour transiger avec lui, les cinq notables qui lui consentirent la somme de 700 livres plus les charrois nécessaires, bien que, suivant le procès-verbal de renable, les travaux de réfection ne s'élevassent qu'à 121 livres. Le sieur Danilo plus fin que ces cinq députés, commença, dit-on, par les enivrer, en sorte qu'ils ne purent signer sur le champ, l'acte de transaction. Le lendemain, revenus à eux, ils ne voulaient plus leurs conditions, et refusèrent d'apposer leurs signes, de façon que Danilo les fit assigner, à cet effet, pour s'y voir condamnés, et enfin ils ont signé ».

A peine rédigé cet acte, M. Danilo fit « exécuter » les cinq députés, car ils s'étaient engagés personnellement et par voie solidaire. Ils versèrent d'abord un acompte, au temps des poursuites judiciaires, mais contraints de nouveau, ils font appel à la Cour de Rennes [Note : Le Parlement] et exposent que le Général de Rohan devait contribuer avec celui de Saint-Gouvry aux réparations du presbytère, et enfin à tous les frais de la procédure.

Les Rohannais gardaient rancune aux Goveriens de les avoir engagés sottement, dans une affaire qui ne pouvait être tranchée que par l'accord des deux généraux. Mais les Rohannais en voulaient surtout à leurs voisins, de chercher à les amoindrir en enlevant à leur paroisse son existence même. Voilà ce qui les humiliait profondément eux les nobles bourgeois de la cité. Quand, au mois d'octobre 1747, le recteur fit saisir les biens de Marc Ropert et de François Robin le général de Saint-Gouvry prit aussitôt leur affaire en main. Il consulte trois avocats, convoque, en leur qualité de paroissiens de Saint-Gouvry, les membres du Général de Rohan à se réunir à lui et chez lui. Refus catégorique des Rohannais sénéchal, procureur fiscal et général. Pour les y contraindre, les Goveriens s'adressent au Parlement (1747). Il allait leur donner en partie raison.

Le dimanche 18 février 1748, à l'issue de la grand'-messe à Rohan, Me Morel, général et d'armes [Note : Huissier] à Loudéac, assisté de deux témoins, vient devant la porte principale de l'église, en présence des fidèles, donner lecture d'un arrêt de la Cour de Parlement. Cet arrêt oblige le sénéchal, le procureur fiscal et les douze délibérants de Rohan, à se réunir au général de Saint-Gouvry dans la sacristie, le dimanche après avis leur donné au prône de leur grand'messe paroissiale [Note : Le trésorier en charge donnait, par l'intermédiaire du recteur, l'ordre au général de s'assembler]. Aux absents 10 livres d'amende et les frais de poursuites judiciaires. Copie de l'arrêt fut affiché à la grande porte de l'église de Rohan.

Un tel ordre équivaudrait presque aujourd'hui à dire au conseil municipal de Rohan : « Allez délibérer à la mairie de Saint-Gouvry, avec les municipaux de cette commune dont vous dépendez ».

A cette nouvelle les Rohannais se fâchent : « et pour qui les prend-on, eux les habitants de la ville ducale ? Pour les paroissiens de Saint-Gouvry dont ils ne seraient qu'une trêve ? Non, ils sont indépendants ».

Le dimanche 12 mai 1748, les membres du Général de Rohan s'assemblaient dans leur sacristie, pour délibérer sur la gravité des événements paroissiaux. L'assemblée était composée de J.-Baptiste de Villiers, sénéchal, Louis Maguéro procureur fiscal, Me Yves Le Rouzic, procureur, Paul Amprou, Pierre Moisan, Yves Herpe, Jean Galmet, Jean le Malliaud l'aîné, Guillaume Ruelland, François Raguedas, Pierrot Pilorget, Julien Brunel, Pierre Valin, Julien Houédin, en tout les douze délibérants réglementaires.

Quels étaient ces notables ?

Yves le Rouzic appartenait à une très vieille famille de Rohan, la plus importante même de la cité. Suivant les traditions conservées jusqu'en 1789, dans la bourgeoisie urbaine et surtout rurale, elle avait fourni des hommes de loi, avocats, notaires, procureurs et des prêtres. A l'époque dont nous parlons, les le Rouzic étaient éclipsés par les Amproux [Note : Notice sur les familles Amproulx ou Amprous (ceux de Rohan prennent cette dernière orthographe.) Voir extrait de La Noblesse de Bretagne, par le marquis de l'Estourbeillon, T. II, p. 214]. L'origine de cette dernière famille n'est pas exactement connue. On les trouve pour la première fois dans la paroisse de Blain, vers le milieu du XVIème siècle. Probablement originaires de la Guyenne ou du Poitou, ils furent amenés en Bretagne par les Rohan. D'abord zélés protestants comme leurs bienfaiteurs, ils se divisèrent ensuite en deux branches vers la fin du XVIIème siècle, l'une protestante à Blain, l'autre catholique à Rohan et dans le pays de Porhoët. La première fut anoblie et acquit en Bretagne une grande considération, grâce à la protection des Rohan. La seconde demeura roturière et fournit à notre ville des officiers de judicature, des commerçants. Paul Amprou marchand bourgeois était commandant d'un détachement du pays de Rohan à Lorient, lors de l'attaque de cette ville par les anglais (1746). Sur les registres paroissiaux il fait suivre de ce titre sa signature. Pierre Moisan, négociant, avait épousé Marie-Louise-Angélique Houédin. Yves Herpe s'occupait également de négoce. Jean Galmet, Guillaume Ruelland, Jean le Malliaud l'aîné, Julien Brunel tenaient auberge avec un petit commerce. Julien Houédin aussi marchand ; François Raguedas et Pierre Valin, bouchers, Pierre Pilorget, menuisier [Note : Parmi les principales familles bourgeoises que Rohan a comptées nous citerons par ordre d'ancienneté : les Le Pré, Le Page, Le Rouzic, Boudet, Amprou, Marquer, Le Clainche, Blanchard, Le Mercier, Robin, Hervizo, Le Maître, Houédin, Jaffrédo, Le Mouel, de Villiers, Herpe, Colin, Conan, Muy de Blé. Toutes ces familles ont disparu, les dernières depuis un siècle environ].

Les bretons aiment à boire. Je ne parle pas des Rohannais. Il arrivait au XVIIème siècle, que les délibérants se réunissaient à l'auberge pour leurs séances. D'où multiples inconvénients, sans compter que les délibérations étaient souvent prises sur des feuilles volantes. Qu'elles vinssent à disparaître, on n'en trouvait plus trace.

Pour couper court à de tels abus, le Parlement de Bretagne arrête, le 7 mai 1691, que les délibérations du Général se tiendront, à l'avenir, dans les sacristies ou un lieu décent désigné, à cet effet, par les paroissiens. Elles seront transcrites sur un registre acheté aux frais de la paroisse, chiffré et millésimé sans frais par le juge du lieu. Ce, sous peine de nullité et de 50 livres d'amende pour les notaires, et solidairement pour les paroissiens signataires des délibérations.

Les notables de Rohan, nous l'avons vu, tenaient leurs séances à la sacristie, suivant la règle. Là ils protestent, pour n'avoir jamais été appelés aux procédures ourdies par les délibérants de Saint-Gouvry. Les Rohannais à les entendre, « n'étaient pour rien dans la bêtise que leurs voisins ont faite en consentant au recteur une obligation de 700 livres, dans un temps que le procès-verbal de renable ne portait que 121 livres ». En conséquence, le Général de Rohan demande que soit rapporté l'arrêt de 1748. A quoi sont tenus, en effet, d'après leur raisonnement, les habitants de la ville ducale ? A leur part des frais justes, légitimes et nécessaires pour les réparations du presbytère. Or ils offrent de les payer par moitié. En fait ils ont déjà acquitté cette dette, puisqu'ils ont versé la moitié du dernier terme au sieur Leneveu, adjudicataire.

Les représentants de Rohan font remarquer en outre, que M. Danilo dans sa transaction avec les députés du Général de Saint-Gouvry, s'est fait adjuger 60 livres par an, pour la non jouissance de son presbytère depuis le début de son rectorat. « Mais il est logé dans son presbytère depuis la fin de 1745, répliquent les Rohannais, il en a joui ainsi que du pourpris. Il n'a souffert aucun dommage ni du pignon condamné à être refait, et qui durera encore plus de 40 ans, invariable, au témoignage des experts, ni de la cheminée de la cuisine qui lui sert toujours ».

Dernière protestation du Général de Rohan contre l'arrêt du 23 janvier 1748. Ne paraît-il pas cet arrêt autoriser les Goveriens à obliger les Rohannais à venir délibérer à Saint-Gouvry ? Et les premiers n'ont-ils pas assigné leurs voisins à cet effet ? Et cependant le Général de Rohan ne délibéra jamais à Saint-Gouvry, non jamais et vice versâ.

Cependant la Cour de Parlement par sentence du 16 février 1750, ordonne aux juges de Ploërmel d'examiner les sommes reçues par Louis Maguerot, à l'occasion de la vente qu'il avait faite des meubles de M. Plénier. Le procureur fiscal soupçonnait dans cette affaire d'inquisition, l'influence de son recteur. Ce petit argentier du duc de Rohan, était un homme très habile dans l'art de la chicane. Il réussit à faire rapporter le 15 avril 1750, une requête lancée contre lui, quelques mois auparavant. Bien plus, grâce à son esprit retors dans le maquis de la procédure, M. Danilo est condamné à payer à l'avocat de Maguérot 100 livres, et au procureur du roi à Ploërmel 95 livres.

A quelque temps de là, le recteur de Rohan-Saint-Gouvry devait prendre sa revanche.

Le dimanche 6 mai 1753, l'huissier Charles Morel arrive de Loudéac à Saint-Gouvry, apporter un arrêt de la Cour de Rennes, rendu à la requête de M. Danilo. Morel le présente, à l'issue de la première messe, dans la sacristie au marguillier Maury Le Gargasson. C'était un ordre aux Généraux de Saint-Gouvry et de Rohan, de payer la somme de 760 livres et intérêts pour la restauration du presbytère, sous peine de voir le recteur saisir quatre des plus notables de Saint-Gouvry, et leur Général condamné aux dépens.

Ensuite Morel communique le même arrêt à Guillaume Ruelland, trésorier de la fabrique de Rohan. Il le trouve portant la « boëte » [Note : Boîte pour faire la quête dans les églises], à la postcommune, c'est-à-dire à la fin de la grand-messe. L'huissier lui fait sommation de donner avis de bon ordre au Général de Rohan. Faute aux habitants de cette ville, de venir en aide à ceux de Saint-Gouvry, ils seront cités devant la Cour de Rennes, à leurs risques et périls.

D'ailleurs, la cour de Rennes avait déjà, à plusieurs reprises, forcé les Rohannais à pratiquer des levées d'impôts sur leur paroisse, impôts nécessités par leur dispendieux et interminable procès relativement au presbytère :
Le 30 mai 1752 : levée de 250 livres.
Le 17 juillet 1753 : 300 livres sur chacune des paroisses de Rohan et Saint-Gouvry.
Le 8 octobre 1753 : 229 livres 11 sols 4 deniers par moitié sur les deux paroisses.
Le 6 décembre 1753 : 327 livres 4 sols 1 denier sur Rohan [Note : Les égailieurs pour la levée des impôts dans les paroisses étaient nommés par le général. Le duc de Rohan pour son four à ban, sa geôle et sa prairie en Saint-Samson paya sur cette levée de 327 livres, 4 sols, 1 denier : 34 livres, 9 sols, 9 deniers].

A propos de la taillée du 17 juillet 1753, les représentants de Rohan font entendre les plaintes les plus amères contre leurs voisins. Ils déclarent « que le Général de Rohan ne fait la présente levée de deniers que pour obéir à la souveraineté de la Cour, conformément à son arrêt et aux lettres prises au sceau et chancellerie de la province, sauf au dit Général de Rohan, à faire rapporter au Général de Saint-Gouvry, tous les faux frais qu'il lui occasionne par ses chicanes et à lui faire rapporter tous mauvais événements, retardements, dépens, dommages et intérêts, et sans néanmoins approbation du dit arrêt de la Cour, en ce qui peut prêjudicier au Général de Rohan, et sauf à se pourvoir contre, par les voies de droit s'il est vu appartenir ».

Le temps passe, mais n'enlève rien de son âpreté à la lutte entre les deux paroisses. Les Rohannais accusent sans cesse leur recteur et le Général de Saint-Gouvry, de chercher à enlever à Rohan sa qualité de paroisse. En effet, disent-ils :

1° Le sieur Danilo a affecté dans les conclusions de sa requête du 4 février 1753, d'accoler Rohan à Saint-Gouvry et de ne les séparer que par un trait d'union. L'arrêt du 30 mars même année, ajoutent les Rohannais, renferme la même insinuation, lorsqu'il laisse entendre que Rohan et Saint-Gouvry ne forment qu'une paroisse.

2° Le Général de Saint-Gouvry a aussi affecté de ne qualifier les paroissiens de Rohan que d'habitants de la ville et campagne de Rohan, tandis qu'il a donné à ceux de Saint-Gouvry la qualité de paroissiens. Il est clair que les mandataires Goveriens, de concert avec leur recteur, agissent pour faire de Rohan une trêve de Saint-Gouvry. « C'est un attentat contre la paroisse de Rohan ! ».

Il faut tarir cette entreprise dans sa source. Les Rohannais en appellent au Parlement, et délèguent Me Nicolas-Etienne Lorant auprès de Me le Plat qui sera chargé de plaider leurs revendications. Il demandera le rapport des deux arrêts ci-dessus : que Rohan soit maintenue dans sa qualité de paroisse, qu'il soit ordonné au sieur Danilo et à ses succcesseurs et au Général de Saint-Gouvry, de lui conserver ce titre dans les actes et procédures.

Les Rohannais firent plus : ils cherchèrent et firent chercher l'origine de leur paroisse, leurs droits et privilèges, les gloires de la cité.

« Dans son principe, écrivent-ils à l'adresse des Goveriens, la ville de Rohan fut le château. Depuis très longtemps elle est paroisse dans l'église de Saint-Martin de Rohan, laquelle paroisse avant l'annexe [Note : C'est-à-dire avant l'union de Rohan à Saint-Gouvry], avait son vicaire perpétuel... ».

Oublions pour un moment les négligences du style dans cette citation, pour ne songer qu'à l'ardeur avec laquelle les Rohannais soutiennent leur cause. Si chaude est la lutte qu'on dirait des athlètes descendus dans l'arène, prêts à l'attaque, prompts à la défense. Ils nous montrent comment la prétention des Goveriens va à l'encontre de leur droit : la paroisse de Saint-Gouvry n'a point de supériorité ni de prééminence sur celle de Rohan ; au contraire, celle-ci a plus de distinction, non-seulement parce que les grand'messes y sont chantées toutes les fêtes, outre les dimanches ordinaires où elles sont célébrées à l'alternative, mais encore parce que les vêpres se disent à Rohan toute l'année, dimanche et fête, et les sermons y sont prêchés pendant le carême.

L'avocat conseil des Rohannais, Me L. Rablavaux, découvrit aux archives de Blain, un titre de 1660 touchant la question de savoir si Rohan est une paroisse ou une trêve de Saint-Gouvry. Cet acte commence par ces mots : « Je, recteur de Rohan, Saint-Gouvry... » L'objet du titre en question ? Un droit de servitude, les fermages de biens particuliers à la fabrique de Saint-Gouvry, une délibération relative à ces deux affaires prise par les délibérants Govériens, le 2 janvier 1661. Du Général de Rohan pas un mot. On le comprend. Il n'avait pas à intervenir. Les deux paroisses, en effet, malgré leur union sous la même houlette pastorale, avaient gardé leur indépendance. « Mais il n'est pas moins constant, ajoute l'avocat, que par ce titre le recteur a lui-même pris la qualité de recteur de Rohan-Saint-Gouvry, que même il a placé comme par prépondérance, le plus éminemment, Rohan avant Saint-Gouvry. Et comme la rédaction ne parle point de la qualité de disjonctive ou de copulative entre Rohan et Saint-Gouvry, mais seulement marque les mots Rohan, Saint-Gouvry, il est plus naturel d'en insérer que c'est plutôt Rohan qui est considéré dans ce titre comme paroisse principale, malgré l'union, et que Saint-Gouvry si elle n'est pas trêve de Rohan, ne lui est toujours qu'accessoire. Cette vérité est démontrée par la distribution et position de la qualité du recteur dans le titre, qualité et distribution sur lesquelles la délibération subséquente de Saint-Gouvry ne dit rien ».

Me Rablavaux cite en outre comme pièce à conviction, un titre qu'il a lu aux mêmes archives de Blain : l'inféodation de Madame la duchesse de Rohan (1682). Ce titre distingue également les paroisses de Rohan et Saint-Gouvry. Nulle part il ne mentionne que la première soit trêve de la seconde. Au contraire, à la vue de ce document, bien facilement on peut remarquer l'éminence de Rohan sur Saint-Gouvry. En effet, l'inféodation du duché de Rohan commence par déclarer « que Rohan en est le premier membre et que le chef-lieu de ce premier membre est la ville et paroisse de Rohan, dans laquelle il y a chasteau et grand corps de logis fortifié de grosses tours, et que la ville dont l'inféodation détaille les privilèges, était autrefois cernée de murailles et de fossés dont on voit encore les vestiges ».

La même inféodation nous fait savoir aussi l'existence à Rohan avec ses marques, d'une cour seigneuriale de haute justice. Là se tiennent également des marchés et quatre foires par an. Enfin le même titre qualifie Rohan de noble ville dont les concives sont exempts de rachat [Note : Rachat, droit de mutation payé au seigneur par les héritiers d'un propriétaire décédé, aujourd'hui vulgairement appelé le centième denier ; on le verse à l'Etat qui s'est substitué au seigneur].

Saint-Gouvry, au contraire, bien que reconnue paroisse par l'inféodation, n'y est que « subordinement », et comme faisant avec son chef-lieu simplement qualifié bourg, une partie du premier membre du duché de Rohan.

Au reste, continue Me Rablavaux, d'après tous les historiens de la province, personne ne doute que Rohan avant l'érection de la vicomté de ce nom en duché et pairie l'an 1603, n'y fût le chef et principal lieu de cette vicomté avec droit de ville close, ainsi que le porte l'inféodation de 1682, et qu'il appartient aux baronnies. Telle est l'opinion de Sauvageau et des auteurs cités par du Fail (L. III, p. 385 et chap. 383) où l'on voit en même temps que Rais (Retz) et Rohan étaient baronnies avant leur érection en duché-pairie.

Enfin, pour mettre tout le monde d'accord, l'avocat déclare les « deux paroisses principales et indépendantes, à moins que les Govériens ne soient dans une possession quadragénaire, constante et non interrompue, d'assujettir les habitants de Rohan comme tréviens, ce qui dépend de faits et de circonstances dont on a laissé ignorer le soussignant. Délivré au château de Blain ce 25 février 1754 ». L. RABLAVAUX.

Les mille et une difficultés de M. Danilo avec ses paroissiens ne furent pas étrangères à sa fin prématurée (20 avril 1754). Il avait passé un peu moins de dix ans à Saint-Gouvry. Ses procédures avec ses ouailles n'étaient pas terminées. A sa mort, le Général de Rohan met arrêt sur ses meubles, et les fait garder sous scellés, jusqu'à ce que les héritiers du défunt recteur, aient versé la somme requise pour les réparations du presbytère.

Suivant l'assignation leur faite le dimanche précédent, par le curé d'office un Rohannais, M. Houédin, les deux généraux s'assemblent dans leur sacristie respective à Rohan et à Saint-Gouvry, le dimanche 5 mai 1754. Les héritiers du défunt recteur : son frère Jacques et son beau-frère François Guillouche, époux de Jeanne Danilo, assistèrent successivement dans les deux paroisses, aux séances des délibérants, à Rohan d'abord. Le Général ouvre le coffre des archives à trois clés et fait connaître la situation financière de la fabrique, l'état du presbytère. A quoi les héritiers déclarent qu'ils refusent de prendre à leur charge, les grosses réparatations. M. Danilo a fait les réparations locatives, c'est aux paroissiens à faire les autres, et à mettre leur presbytère en état d'être accepté par le nouveau recteur. Pour éviter toute chicane, les héritiers abandonnent les 760 livres promises dans l'acte de transaction et au versement desquelles la Cour de Rennes a condamné les deux paroisses. Ils offrent de plus 500 livres aux deux généraux des paroisses, à l'effet d'obtenir la main levée du mobilier de leur frère [Note : Un arrêt du Parlement de Rennes, en date du 8 avril 1672, ordonnait aux trésoriers des paroisses, à la mort des recteurs, de dresser procès-verbal des réparations des presbytères, et de les faire exécuter par adjudication au rabais, en prenant l'argent de préférence sur les meubles du défunt, avant que les héritiers y touchent et ce à peine aux procureurs fiscaux et trésoriers en charge d'en répondre eux-mêmes]. Un mois après l'avoir obtenue, les dits héritiers videront le presbytère et assisteront au procès-verbal de devis appréciatif, en paieront la moitié des frais. Enfin ils offrent de rembourser à François Robin et à Marc Ropert 120 livres, de solder toutes les dépenses faites par M. Danilo à la Cour de Rohan ou au Parlement dans ses requêtes. A leur tour, les généraux paieront leur part de frais dans toutes leurs instances.

Jacques Danilo et son beau-frère se désistent de « toutes prétentions, dires, écritures et oppositions du feu sieur Danilo, recteur, à ce que cette paroisse de Rohan n'eût pas joui de son ancien droit de paroisse, et veulent qu'elle soit paroisse comme l'ayant toujours entendu qualifier de même ».

Pour que fût valable cette convention, elle avait besoin de l'autorité de trois avocats suivant le barreau, et de l'homologation du Parlement. Elle fut accordée — suivant la règle — sur la requête et conclusion du Procureur Général du roi, M. de Caradeuc de la Chalotais, le 1er juin 1754.

III.

Il se passa un long temps avant que M. Danilo eût un successeur. Cette vacance prolongée eut pour cause l'obstination des paroissiens principalement des Rohannais, à ne pas restaurer le presbytère. Pendant ce temps, M. Houédin remplissait les fonctions de curé d'office.

Le 23 juin 1754, le Général de Rohan s'assemble pour la sempiternelle question : réparations du presbytère. Pour cette affectation un délibérant, Pierre Moisan, remet aux notables, séance tenante, la somme de 212 livres 10 sols reçue des héritiers de M. Danilo.

Allait-on enfin liquider la troublante affaire ?... A l'audience de la juridiction de Rohan, le 10 juin 1754, sont nommés des experts à l'effet d'établir le devis appréciatif des réparations presbytérales : au nom du procureur fiscal, Gillot de Vannes ; pour Me Etienne Lorand, procureur de la paroisse de Rohan : René Fraboulet, du bourg de Saint-Caradec (Saint-Caradec, Côtes-du-Nord aujourd'hui Côtes-d'Armor). Me Hervizo, représentant des Goveriens, accepte Fraboulet. Le siège ducal nomme un tiers expert, Guillemoto, de La Chèze.

Il est procédé à la mise en adjudication des travaux de réparation, le 22 janvier 1755. Pour couvrir les frais le Parlement impose les deux paroisses à chacune 300 livres, 7 mai 1755.

Missire Jean-Julien le Garlantezec avait pris possession de son bénéfice de Rohan-Saint-Gouvry le 9 octobre 1754. Dans la crainte d'être inquiété un jour, à cause de sa qualité de décimateur, au sujet de la restauration des chanceaux [Note : Chanceau : partie du chœur entre le maître-autel et la balustrade qui le renferme] de ses églises paroissiales, le pasteur avait demandé aux généraux de Rohan et de Saint-Gouvry qu'il fût dressé procès-verbal de l'état de ces chanceaux.

L'affaire fut évoquée en la Cour de Rohan le 17 septembre 1755. En réponse à la plaidoirie et réquisitoire de Me le Piouffle, procureur du recteur, Me Hervizo, au nom du Général de Saint-Gouvry, déclare que « la demande de M. le Recteur est nouvelle. Jamais ses prédécesseurs n'ont demandé, encore moins exigé un tel procès-verbal. Aussi ne furent-ils en aucun temps inquiétés ni eux ni leurs hoirs, pour la restauration des chanceaux. En conséquence le Général de Saint-Gouvry dégage entièrement son recteur, des réparations du chanceau ».

Nicolas-Etienne Lorand, au nom des délibérants Rohannais, répond à son tour à Me le Piouffle, au sujet des chanceaux. La stimulation de l'avocat adverse, dit-il, est nulle, attendu que les priseurs et tiers n'ont été assignés que pour l'examen des réparations exécutées au presbytère. Pour lui, Lorand, il se réserve de répondre juridiquement sur la question des chanceaux, quand il aura reçu des ordres positifs du Général de Rohan.

Ces plaidoiries entendues, la Cour de Rohan après contrôle, agrée la nomination des experts désignés pour l'inspection des réparations faites au presbytère :

Joseph Julienne, sr de la Buzardière, au nom du procureur fiscal Louis Maguéro ; pour M. le Garlantezec Etienne Loysel, inspecteur des ponts et chaussées, arpenteur des forçats du roi en Bretagne et architecte à Rennes ; Maury Donio, expert tiers imposé d'office.

Un expert manque à l'appel : Me Mathurin Lehoux, mandataire des adjudicataires Jean Lamour et Joseph le Bris. Il arriva bien, selon sa convocation, le 17 septembre à Rohan, mais à 8 heures du soir, au lieu de 8 heures du matin. D'où plaintes des procureurs des généraux de Rohan et Saint-Gouvry : Il leur a fait perdre une journée. Elle doit être payée par le retardataire ou les deux entrepreneurs. Me Yves le Rouzic prend la défense de ses clients, plaide les circonstances atténuantes : « Lehoux est à dix lieues de Rohan ; son retard est la suite d'erreur ». La cour s'incline et donne gain de cause à l'avocat.

Le lendemain 18 tous les experts, avant de vaquer à leurs fonctions, prêtent le serment requis devant la Cour de Rohan, en présence de Pierre-Marc Muy de Blé sénéchal, Louis Maguero, procureur fiscal, Jean-François le Maître greffier ordinaire, Jean Tévenon huissier. Nos arbitres portaient en main la grosse du procès-verbal de devis des 25, 26 et 27 juillet 1754. A leurs côtés se tenaient le recteur, Me Louis Colomban le Pioufle, son procureur, les deux entrepreneurs Jean Lamour et Joseph le Bris.

La compagnie se rend ensuite à Saint-Gouvry. Là elle inspecte le presbytère, l'écurie, la buanderie, toute la maison depuis les fondations jusqu'au toit inclusivement. Chacun des experts défend les droits de son client avec ardeur. Arrivés à la façade, trois experts Loysel, Donio et Lehoux la trouvent ventreuse en plusieurs endroits. Pour la conservation du mur ils sont d'avis de refaire tous les joints de pierre dégradés par le rejaillissement des égouts de la couverture.

« Réparer la façade, s'écrie Julienne ! La plus grande partie ne date que de 1745. Si les pluies tombent, ce travail sera à recommencer avant un mois. On ne doit aucun chiquetage là où il n'y en a jamais eu. Et puis... tout est en bon état ».
« Cette réflexion, réplique Loisel en colère, à l'expert des paroissiens, vous a été dictée, M. Julienne, par le procureur fiscal... les fondations du presbytère sont en contrebas de la cour, et comme il n'y a point de pavés pour l'écoulement des eaux, il est nécessaire de regarnir l'empattement du mur avec éclat de pierres, chaux et sable ».
« Je n'ai pas plus besoin du procureur fiscal que de vous pour mes affaires. Il m'a seulement aidé à arranger quelques mots pour la correction du français. Me le Pioufle, procureur du recteur, en a bien fait autant pour vous, Monsieur. Je maintiens mon affirmation ».

Mais voici que Donio s'est rangé à l'avis de Julienne. La proposition de leurs collègues est abandonnée.

Le 22 septembre, 5 heures du soir. Tout a été passé soigneusement en revue : maison, puits, jardin, pourpris : les prés de « la Rouerie » et du pillage Pasco. Le procès-verbal est rédigé sur les lieux, les experts se séparent.

Et les réparations jugées nécessaires par le recteur et les experts ses ayant-cause ?

Elles restent en plan. Nouvelle cause de lutte entre le pasteur et les ouailles.

Le 6 janvier 1756, Me Colomban le Pioufle, procureur de M. le Garlantezec, fait les déclarations suivantes, en la juridiction de Rohan, devant le sénéchal :

1° M. le Recteur a averti poliment les généraux des deux paroisses que les fossés de son pourpris sont écroulés ; aux délibérants d'y pourvoir.
2° M. le Garlantezec réclame aux mêmes généraux copie du procès-verbal de devis du presbytère.
3° Il se propose d'y entrer, à la condition de n'être tenu qu'aux réparations locatives.

Les mandataires de Rohan et Saint-Gouvry jugent ces trois propositions révoltantes. « Elles ne renferment ni bon sens ni raison. Eh quoi ! notre recteur estime le presbytère en mauvais état, alors qu'un renable l'a trouvé bon ! Ne nous a-t-il pas coûté en réparations 1.500 livres outre les 500 laissés par les héritiers de M. Danilo ? Quand aux fossés s'ils sont démolis c'est le fait du cheval entier du pasteur ».

M. le Garlantezec se justifie sur les trois points en litige. D'abord il fait remarquer à ses paroissiens qu'ils agissent par une animosité ridicule et par intérêt. Ils doivent remettre en état les fossés. Où est la preuve que son cheval les ait écroulés ? Pouvait-il le faire ? Non. Les anciens talus ne sont pas renversés, mais seulement les nouveaux. Pourquoi ? parce que mal construits. Que font ces généraux de la justice distributive ?

Ils refusent à leur recteur un procès-verbal de devis, alléguant qu'ils ne sont point tenus de le lui fournir. « Qu'il aille au greffe, voir la minute », lui disent-ils. Cette copie dont ils sont munis, M. le Garlantezec espère l'obtenir de ses paroissiens, quand leur premier mouvement sera passé. Le pasteur l'attend de leur équité, comme de l'équité du siège.

Enfin M. le Garlantezec renouvelle la déclaration faite par son procureur à la Cour de Rohan. Il veut bien entrer dans son presbytère, à la condition formelle de n'être tenu qu'aux réparations locatives, suivant les clauses du procès-verbal : les grosses réparations seraient à la charge des paroissiens. Situé au pied d'une colline, leur presbytère est humide, malsain. A qui la faute ? Il fallait le mieux placer.

Refus net des délibérants. Le recteur les fait assigner le 21 janvier 1756. Le Général de Rohan adresse une réplique sommaire par le ministère de Nicolas-Etienne Fontaine-Lorand le 24 janvier suivant. Il dépose en ces termes au siège de la juridiction : « Si on voulait suivre le recteur dans ses dires, on ne finirait jamais ; il semble amateur de l'ampliation. et toujours et sans rien exprimer de portant. Il reproche à ses deux généraux, de s'être accommodes avec les héritiers riches et opulents du sieur Danilo pour 500 livres, et d'avoir ainsi contrevenu aux arrêts et règlements de la Cour. Mais de quoi s'occupe ce pasteur ? Est-ce bien là son affaire ? Quel instigateur ! Au reste, l'accord dont il nous fait un grief, a été trouvé bon par Messieurs du Parlement. Ils l'ont homologué. Et puis là n'est pas la question, mais de savoir si le presbytère est en bon état. Non, prétend le recteur ; oui, a soutenu et soutient encore le Général de Rohan. Il en donne comme preuve le procès-verbal de renable soutenu contradictoirement avec M. le Garlantezec. Par ailleurs il se plaint du mauvais état des fossés. Ont-ils été renversés par les bestiaux ou la pluie, qu'importe aux délibérants ? Ils furent trouvés bons au moment de la prise de possession. Cela suffit.

Le recteur devrait être logé depuis longtemps dans son presbytère, sans se préoccuper d'une copie du procès-verbal de devis appréciatif. Elle ne l'intéresse point. Il n'en a nul besoin, puisqu'il est saisi du procès-verbal mentionnant l'état du presbytère et de ses dépendances ». Ainsi parlait en substance l'avocat des Rohannais obstinés.

Nouvelle assignation du recteur, 3 février 1756 : il se plaint de ses généraux. Ils lui reprochent ses tentatives d'accommodement avec eux, le traitent d'instigateur. En employant ce terme aussi injurieux que peu réfléchi, les représentants des deux paroisses oublient-ils ce qu'ils font, à qui ils ont affaire ? Ne leur en déplaise, le pasteur n'attend point à être instruit par eux de son devoir. Pour le lui apprendre ils sont encore trop jeunes, du moins partie d'entre eux. M. le Garlantezec serait charmé de voir si ces messieurs procureurs, sont fondés à lui refuser le procès-verbal de devis et autres pièces qu'il leur demande. Elles leur sont inutiles, mais à lui nécessaires. Au demeurant, leur refus est une source de grands frais pour le recteur.

Dès le lendemain 4 février, la Cour de Rohan tenait audience et rendait une sentence défavorable à M. le Garlantezec. En voici le procès-verbal :
« Louis Maguéro, procureur fiscal, les généraux des paroisses de Rohan et Saint-Gouvry, Lorand et le Rouzic, procureurs, contre le sieur le Garlantezec, recteur, défendeur ; le Pioufle, son procureur.

Attendu les procédures et chicanes continuelles que fait M. le Garlantezec, recteur, pour son presbytère, et vu le mince objet de l'écroulement d'environ, peut-être, deux coups de gaule de fossés, offre de réparer les dits écroulements à ses propres frais, et déclare n'en vouloir aucunes reprises vers les généraux de Rohan et Saint-Gouvry. ... Après avoir oui le sieur procureur fiscal sur le champ par Lorand, le Rouzic et le Pioufle, procureurs des généraux des paroisses de Rohan et Saint-Gouvry et du sieur le Garlantezec, et les dits Lorand, le Rouzic et le Pioufle, procureurs, faisant droit dans la demande du sieur procureur fiscal et dans les dénoncés des généraux des dites paroisses signifiés et contrôlés les 8 et 9 août, 28 et 29 novembre derniers, en conséquence de ce qui résulte de la quittance consentie par Vincent Feuméliau, de la somme de 37 livres 10 sols, le 27 janvier dernier, au rapport de Me le Hellay, notaire...

Avons déchargé les généraux des dites paroisses du dit presbytère et dépendances, et en avons chargé le dit sieur le Garlantezec comme en état... Au surplus avons condamné le dit sieur le Garlantezec aux deux tiers des dépens des dits généraux depuis le dix décembre dernier que nous avons taxés et liquidés ». Quel style ténébreux !

Après le procès-verbal de renable du presbytère, le recteur avait refusé d'en prendre les clés déposées au greffe de la juridiction. Or dans son audience du 9 avril 1756, la Cour de Rohan, à la requête du Général de la paroisse, laisse au recteur huit jours pour se saisir sans frais des clés en question. Passé ce délai, il y sera contraint par toutes les voies et rigueurs de justice. Ce même jour, l'huissier audiencier Jean Tévenon lui remit en même temps que cette injonction, copie de la sentence rendue par la Cour de Rohan le 4 février 1756, dont nous venons de donner la teneur.

M. le Garlantezec mourut le 25 octobre 1757. Son successeur fut M. Joseph Bernard. A son arrivée dans la paroisse, Rohannais et Goveriens, de procès las, consentirent une transaction avec leur nouveau pasteur. A la condition d'être déchargé de toutes les réparations éventuelles, sous son rectorat, aux chanceaux des églises de Rohan et de Saint-Gouvry, M. Bernard accepte de faire, dans l'année, à la maison presbytérale, pourpris et dépendances, les réparations évaluées à 400 livres. En somme le recteur n'avait que la direction des travaux, car la somme devait être levée par moitié sur les deux paroisses « le fort aidant le faible », selon la maxime ancienne.

De la justice distributive. Le Général de Saint-Gouvry nomma pour son procureur messire Florimond-Jean le Moyne, chevalier, seigneur de Talhoët, et le Général de Rohan Me Yves le Rouzic, doyen des procureurs de la juridiction ducale, comme député aux mêmes fins.

Toutes les contestations dont nous avons parlé, étaient bien dans le goût du procureur fiscal Louis Maguéro [Note : Louis Maguéro, sr. de la Ville-Aubert, époux de Marie Davy. Il mourut d'une maladie de langueur, le 9 avril 1769]. Il craignait d'en voir la fin. Voilà pourquoi il refusa d'assister à l'assemblée des délibérants Rohannais, le 6 août 1758, même de donner la clé des archives de la fabrique, pour y prendre le registre des délibérations. Contrairement au règlement, les notables furent obligés d'arrêter leurs décisions sur une feuille volante. Ils la remirent aux mains du sénéchal pour être déposée aux archives, à la première réunion du Conseil. Maguéro accepta sans difficulté les propositions des représentants de Saint-Gouvry. L'acte de transaction consenti par les généraux des deux paroisses le 6 août 1758, fut passé devant les notaires de Rohan entre les procureurs des généraux et M. Bernard, au château de Talhoët, le 8 du même mois. Le Parlement homologua la requête des Généraux, et donna l'autorisation pour la levée de 400 livres.
A cette époque, M. Bernard résidait à Rohan. Il commença par décharger ses paroissiens de l'indemnité de logement qu'ils lui devaient. Volontiers il signa la transaction pour tâcher, dit-il, « de ne faire aucunes peines ni frais frustratoires à ses paroissiens qu'il déclara aux signataires de l'accord, aimer et chérir, voulant vivre en paix et union pastorale avec eux, et pour y réussir, il aurait fait appeler gens connaissants, non suspects ni intéressés pour, sans frais du moins de valeur, faire une visite exacte des réparations manquantes et requises d'être faites à son presbytère et dépendantes d'iceluy ».

Notons en passant que les experts jugèrent nécessaires des réparations aux fossés du pourpris.

Me Jacques le Plat, procureur au Parlement de Bretagne, était depuis longtemps le mandataire des Rohannais dans leur procès, M J. le Rouzic, leur procureur terrien.

Le 6 avril 1759, M. Desbouillons fils, banquier à Rennes, informait Me J. le Rouzic qu'il avait effectué divers paiements, au nom du Général de Rohan. « Nous avons compté à Me le Plat, lui disait-il, 57 livres 1 sol 3 deniers. Nous vous en envoyons le reçu. M. le Maître [Note : Greffier de la juridiction de Rohan] est venu à la maison pour recevoir ce qu'on devait lui compter. On lui a démandé un reçu. Il a observé qu'il ne venait pas demander l'aumône... Une telle réponse surprit mon père qui lui fit cette remarque : comment voulez-vous que nous puissions constater que nous vous avons versé cette somme ?... Marquez lui qu'il nous donne un reçu ou bien fixez celle somme sur nous et nous ferons honneur à votre traite... Je n'ai jamais vu pareil original. Nous avons l'honneur, Monsieur... DESBOUILLONS fils ».

A l'arrivée de M. Bernard, il avait été question pour les paroissiens de bâtir un logement au clergé. Le projet échoua, faute de ressources. Le vieux presbytère fut partiellement restauré en 1759, comme en témoigne ce millésime gravé à une fenêtre sud-ouest de la maison [Note : La partie neuve du presbytère actuel a été construite vers 1860].

Enfin le 15 août 1764, Me J. le Plat remit à Nicolas-Etienne Fontaine-Lorant, notaire et procureur des Rohannais, à cette époque, toutes les pièces de leurs procès qui traînaient depuis dix ans dans les greniers. Déposées aujourd'hui à la mairie de Rohan, elles ont fait l'objet de ce chapitre. Nous les avons étudiées longuement afin de réfuter cette objection populaire : sous l'ancien régime les prêtres et les nobles tout puissants dans les paroisses, menaient le peuple à leur guise. Nous venons de voir un exemple frappant du contraire. Les petits citadins de Rohan comme les paysans de Saint-Gouvry savaient — parfois même en les exagérant — faire respecter leurs droits. Au reste, comme en témoigne la lutte en question, les uns et les autres avaient au cœur l'amour ardent, passionné de leur paroisse, la patrie du clocher.

Enfin notre but a été d'esquisser un tableau des discordes, qui eut certainement été encore plus sombre en nos paroisses, si le pape Pie X avait accepté les Associations cultuelles avec la loi du 9 décembre 1905. Sans rapport avec la hiérarchie ecclésiastique, l'immixtion des laïques dans le sanctuaire par l'acceptation ou le refus des pasteurs, leur gestion indépendante du temporel de l'église, équivalaient à une constitution civile déguisée du clergé français. De fatales dissensions devaient en être la conséquence.

(P. Martin).

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