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La cour de justice seigneuriale à Rohan. Ses officiers et leurs fonctions.

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La cour de justice seigneuriale à Rohan. Ses officiers, leurs fonctions. — Vue générale sur la ville de Rohan. — Causes brèves de la Révolution.

 

Le seigneur de Rohan est grand justicier dans son fief.

L'étendue de la juridiction de Rohan est celle de la châtellenie. Dans chacune des châtellenies de la vicomté il y avait un siège de justice avec sénéchal, procureur fiscal, greffier. Le siège de Pontivy était cour d'appel à l'égard des cinq autres.

Les appellations en cas écrit ressortissaient d'une cour inférieure à celle immédiatement supérieure. Toute infraction à cette règle, était passible de peines sévères. En 1673, Me Pierre Coustureau appelle de sentence rendue en la juridiction d'Assigné, directement à la cour de Pontivy, sans passer par celle de Rohan. Jalouse de ses droits, celle-ci le condamne, mercredi 6 mai 1673, à 300 livres d'amende, sous l'accusation d'avoir contrevenu à l'édit de Parpaignan (Archives du Morbihan. Série B. Juridiction de Rohan).

Des barres de la vicomté de Rohan on appelait d'abord à la baillée, plus tard la sénéchaussée de Ploërmel cour ducale, ensuite par privilège au XVème siècle, on appelle directement à la cour de Rennes premier siège souverain.

Au premier jour des plaids généraux de Ploërmel, le vicomte de Rohan se délivrait directement ou par procureur lui et ses sujets. A cette cour ducale il avait droit de menée, à la suite de celle de Porhoët, et si les plaids généraux de Ploërmel coïncidaient avec ceux de Noyal, le vicomte était dispensé d'assister aux premiers.

Dans la juridiction de Rohan existaient plusieurs seigneuries à haute justice : Kerhasco et Kernazel en Radenac, la Ferrière en Buléon, Bernac en Saint-Allouestre, Assigné en Saint-Samson.

Bien différentes des audiences ordinaires de la Cour de Rohan, étaient les plaids généraux de la juridiction. Ils étaient bannis dans les paroisses en dépendantes, et affichés aux lieux habituels. Pour la circonstance le procureur fiscal, au nom de son seigneur et maître le vicomte de Rohan, convoquait dans notre ville tous les officiers des cours inférieures, et les vassaux, en des assises judiciaires, générales et solennelles qui rappelaient en petit, les antiques assemblées des rois au champ de Mars.

Un procès verbal de séance des plaids généraux nous mettra sous les yeux leur physionomie.

« Du vingt cinquième juin 1692, jour des Généraux Pleds, à l'audience tenue devant Monsieur le Sénéchal, présent Monsieur le Procureur d'office. Sergent de service Me Pierre Conan présent. Sergents féodés par commission : Mes Yves Allio présent, Me Michel Bernard présent. Me Pierre Conan présent.
Notaires : Me François Pintrel présent, Me Louis Jégorel présent, Me Jean Larcher présent, Me Guillaume Jégouic présent, Me Guillaume Monmissart présent, Me Maury le Mouel présent, Me Guillaume Elluart présent, Me Pierre Conan présent, Me Armel le Moyne présent, Me Yves le Maître présent, Me Yves Blanchart présent »
[Note : Archives du Morbihan. Série B. Judiriction de Rohan. Aux plaids généraux de la judiriction de Rohan, le 17 juin 1671, assistaient 15 notaires, le 22 octobre 1692, 13 ; le 25 février 1693, 14].

A ce moment, le procureur fiscal ou d'office demande qu'il lui soit décerné acte de la présence de ces notaires — sous la sanction de 64 sols d'amende aux absents — et qu'en outre les dits notaires fournissent sous huit jours, à sa requête, copie de tous leurs actes afférents à la seigneurie, ce sous peine d'interdiction de leur charge.

Ensuite le procureur fiscal fait l'appel des sergents. Puis le Sénéchal lui ordonne de poursuivre incessamment tous les crimes, s'il en est resté d'impuni depuis dix ans sous le fief.

La cour de Rohan avait droit de rachat sur les juridictions inférieures ressortissant à sa barre où elles s'exerçaient, faute de cour seigneuriale. Tel était le cas de la juridiction de Kernazel en Radenac. A la mort de son maître Anne-Louis de Lantivy (1721), elle tomba en rachat. Me Yves Samson, avocat au siège de Ploërmel, fut pourvu de l'office vacant de sénéchal sous le fief de Kernazel.

Or les plaids généraux de cette juridiction se tenaient sans assignation, le lendemain de l'assemblée de Saint-Fiacre à Radenac, devant la cour supérieure de Rohan. Le procureur fiscal de celle-ci Jean-Baptiste Amprou se présenté le 1er septembre 1721, à l'auditoire de la cour ducale pour en réclamer les droits. Dans l'instant même elle tient audience. Son sénéchal J.-Baptiste de Villiers, le greffier Jacques le Pioufle, et Julien le Borgne, huissier audiencier, prennent possession de la juridiction de Kernazel, en expédient les causes d'ordinaire et d'office, examinent s'il existe des actes d'appropriement pendant le temps du rachat.

Aussitôt protestation énergique de Me Samson. Il allègue contre le procureur fiscal de Rohan un titre d'exemption de rachat, en faveur de la seigneurie de Kernazel, taxe de nullité cette prise de possession, et les actes passés dans le fief en litige par la cour de Rohan. Elle s'est rendue coupable, au dire du plaignant, d'un abus de pouvoir. Devant ces instances cède alors Me Amprou (Arch. du Morbihan, série B. Juridiction de Rohan).

La seigneurie et fief d'Assigné [Note : Le fief d'Assigné dont le siège primitif était la Motte Assigné, s'étendait sur une grande partie de la paroisse de Saint-Samson, sur plusieurs tenues en Noyal-Pontivy, sur la Villeneuve et le Pradic, en Saint-Gouvry, Glergan et Clervégan (Crédin) ; sur une tenue au bourg de Gueltas et une maison près du pont d'Oust, en Rohan] avait droit de haute, moyenne et basse justice. Il s'exerçait le mercredi de chaque semaine, en l'auditoire de Rohan, après les tenues ordinaires.

Quels éléments composent la cour de Rohan ? Elle comprend au XVIIème siècle et jusqu'à la Révolution :

1° Un sénéchal ou président. Ses attributions, bien que plus étendues, répondent assez bien à celles d'un juge de paix. Il est seul juge, criminel et de police en sa cour. Il paraphe et millésime les registres paroissiaux.

Le Sénéchal de Rohan ne doit pas être confondu avec le Grand Sénéchal féodé de la Vicomté de Rohan. Au moyen-âge, dans les familles nobles, l'aîné avait les deux tiers de la fortune, le reste des enfants se partageaient le dernier tiers : c'est ce qu'on appelait le partage noble. Les cadets ayant une fortune moindre, recevaient les bénéfices ecclésiastiques, les fonctions de la judicature... Voilà pourquoi un seigneur de Rohan, au XIIème siècle, institua l'un de ses fils cadets Grand Sénéchal féodé de la Vicomté de Rohan et rendit cette charge héréditaire.

Elle était à la fois civile et militaire. Dans la paix le Sénéchal rendait la justice ; dans la guerre il commandait l'avant-garde de l'armée, et portait la bannière de son suzerain. Par un acte de 1528, le Vicomte Alain de Rohan concéda à son sénéchal, Olivier le Sénéchal (la famille prit le nom de sa fonction), et à ses hoirs « le cheval, la robe et tous les vêtements même la chemise que montait ou portait la Vicomtesse de Rohan, lors de sa première entrée dans la Vicomté » (Extrait des aveux des seigneurs de Molac).

2° Aux côtés du sénéchal de Rohan, siège le procureur fiscal argentier ou percepteur du duc. Il peut remplacer aux audiences le sénéchal malade ou absent ; de même en pareil cas le procureur fiscal peut être suppléé par un procureur substitut.

Au nom de son maître le duc de Rohan, le procureur fiscal prend l'initiative de la police et de l'hygiène de notre ville, de la surveillance des chemins, du contrôle des actes notariés, des scellés et tutelles... Le 24 mai 1769, Nicolas-Etienne Lorant, notaire et procureur (avoué) de la juridiction de Rohan, était en présence de la Cour, installé dans la charge de procureur fiscal. A peine a-t-il pris possession de son siège, qu'il demande que chaque habitant de Rohan, en ce qui le concerne, nettoie les rues et pavés de la ville, orne ses maisons pour la procession et pendant l'octave du Saint-Sacrement, et ce sous peine de 20 livres d'amende. La Cour entre dans les vues de son procureur, prend un arrêté en conséquence, tout en réservant l'amende. Elle commande en outre de nettoyer les rues tous les samedis, défend d'attacher les chevaux aux poteaux des halles, d'allumer des feux de joie en aucun temps dans la ville (Arch. du Morbihan, série B, juridiction de Rohan).

A la mort d'un recteur dans la juridiction, le procureur fiscal par lui-même ou le greffier de la Cour, dressait un inventaire du mobilier du défunt, apposait sur ses meubles les sceaux et armes de la Cour, à l'effet de sauvegarder les intérêts du Général de la paroisse, et prenait les clés du presbytère, s'il en était requis.

3° Tout naturellement la Cour a son greffier.

4° Sont également inscrits à la Cour : avocats (1 ou 2), procureurs (2 ou 3), notaires (4, 5, 6 en 1692), sergents généraux (huissiers, 1 ou 2), sergent féodé, chargé de la recette des censives (1), arpenteur (1) ; un tambour de ville, à la disposition de la Cour, fait les bannies pour elle, et pour les particuliers moyennant finances.

Enfin, sans parler des commis, il convient d'ajouter quelque avocat ou procureur postulant.

En 1753 la Cour de Rohan comptait entre autres (Archiv. municip., registres paroissiaux), parmi ses membres : Pierre-Marc Muy de Blé, sénéchal, Louis Maguéro, procureur fiscal, Jean-François le Maître greffier. — Jean-François Hervizo, notaire et procureur, Nicolas-Etienne Lorant, notaire, Yves le Rouzic, notaire procureur-doyen, Louis-Colomban le Pioufle, notaire et procureur sous-doyen, le Hillaye, notaire...

Les officiers de cette cour de justice seigneuriale forment une caste à part, petits bourgeois de robe, d'aucuns principalement les sénéchaux appartenant à la petite noblesse, qui se voient, se fréquentent, se marient, entre eux.

La provision de tous les offices pour l'administration de la justice et des terres, était accordée par le duc de Rohan, en sa qualité de chef de fief, sur le certificat de religion catholique, de bonne vie et mœurs et de science suffisante. Toutefois si le seigneur de Rohan délivre les lettres de provision, les magistrats doivent être examinés et reçus par les juges royaux. Et une fois installés dans leur emploi, les nouveaux promus auront à apposer leur signature avec paraphe, pour servir toujours identique dans les contrats. Au surplus, ils devront délivrer gratuitement au procureur fiscal tous les extraits de contrat par eux rapportés, afin que les droits fiscaux du seigneur soient exactement observés.

En général les officiers de justice sont inamovibles. Dans le cas de révocation, ils récupèrent le prix d'achat de leur emploi.

A titre de spécimen, nous citerons les lettres de provision de sénéchal accordées à Armel le Goaesbe, sr de la Buzardière, par la duchesse Marguerite de Rohan, le 30 septembre 1670 (toutes les lettres de provision se ressemblent).

« Marguerite duchesse de Rohan princesse de Léon, comtesse de Porhoët, marquise de Blain, dame de la baronie de Moulien, Saint-Aulnays, Lorges et autres lieux, veusve de Monsieur le duc de Rohan, pair de France, vivant gouverneur et lieutenant pour le roy de la province d'Anjou, ville et château d'Angers, notre très honoré seigneur et mary, à tous ceux qui ces présentes verront, savoir faysons que pour le bon et louable rapport qui nous a été fait de la personne de noble homme Armel le Goaesbe sieur de la Buzardière avocat, et ses sens, suffisance, capacité et expériance au fait de la pratique. A ces causes nous l'avons pourveu et pourvoyons par ces dictes présantes, de l'office de sénéchal et seul juge de notre juridiction, terre et seigneurie de Rohan l'un des sièges particuliers de notre duché de Rohan vaquant par le décès de deffunct écuyer Julien de Kerhel sr de Coëtdubras, comme apert par acte passé entre écuyer François de Kerhel du nom et d'armes de Kerhel sieur du dit lieu, comme tuteur et garde de damoiselle Marie-Anne de Kerhel fille unique et seule héritière bénéficiaire du dit feu sieur de Coëtdubras, sa nièce et autres de la part et avec le dit sieur de la Buzardière, le dit acte passé par devant Me Noël et son compagnon notaires au dit duché de Rohan, le quinzième jour d'oust dernier, pour le sieur de la Buzardière tenir posséder et exercer le dit office avec honneur, prérogatives, prééminences, gages, droits, profits et émoluments y appartenant tout ainsi que faisait, y avait droit de faire le dit sieur de Coëtdubras ;
Mandons à nos amez et féaux les sujets et officiers de Pontivy principal siège de notre duché de Rohan et chacun d'eux comme à luy appartiendra, que du dit sieur de la Buzardière pris au cas requis et accoutumé, ils le reçoivent au dit office et de luy le fassent jouir et user pleinement et paisiblement.
Témoins de quoy nous avons signé les dites présentes lettres et elles faites contresigner par l'un de nos secrétaires et y apposer le sceau de nos armes.
A Paris le dernier jour de septembre 1670. Ainsi signé : Marguerite de Rohan — provisions pour l'office de sénéchal de Rohan et plus bas : par commandement de Madame Martin, et scellés »
.

Voici quelques noms de sénéchaux :

Ecuyer Armel le Goaesbe sr de la Buzardière en 1653 [Note : A la mort d'un sénéchal, l'intendant du duc de Rohan déléguait provisoirement quelque officier de justice, pour exercer les fonctions du décédé, jusqu'à ce qu'il soit pourvu par le duc].

Julien de Kerel dont il est question dans la lettre de provision ci-dessus, mort en avril 1670.

Armel le Goaesbe, fils d'Armel qui précède, acheta sa charge 2.200 livres (1670-1691).

Jean Blanchart sr de Kerandue, 1691-1718. Il bâtit et habita le manoir de la Ville Moysan.

Jean-Baptiste de Villiers (1718-1754).

Pierre-Marc Muy de Blé sr de la Garenne [Note : Originaire de La Chèze, d'une ancienne famille de robe dont les armoiries figurent à l'Armorial de France de 1696 : d'azur à la croix d'argent semée de cinq coquilles de gueules. En 1751, à l'âge d'environ 31 ans, avocat au Parlement de Bretagne, il acquit la charge de sénéchal de Rohan. Il épousa (1765) Marie-Mathurine Auffray, née à Lamballe, le 20 octobre 1740, fille de Me Jacques Auffray de l'Estang, sr de Kerduchat et de Louise Pellan, également d'une famille de robe, dont les armoiries paraissent à l'Armorial de France de 1696 : de sinople à trois besants d'argent, l'écu bordé d'argent à huit mouchetures d'hermine. (Communication de M Jean Auffray, Procureur de la République, au Tribunal de Ploërmel)], 1754 - t 27 avril 1782.

Joseph-Antoine Edy, 1782 jusqu'à la Révolution.

Le sergent féodé était élu chaque année, par les rohannais hommes et femmes.

A l'audience du mercredi 23 septembre 1671, sur l'avis du procureur fiscal, la Cour de Rohan ordonne à tous les habitants de la cité de se rassembler le samedi suivant en l'auditoire, à l'effet d'élire un sergent féodé, suivant l'ancienne coutume. Elle enjoint à Guillaume le Mouel de faire les bannies requises, à son de tambour, par tous les carrefours de la ville.

Au jour fixé, le vote se fit publiquement et oralement, devant la Cour. Aux absents 60 sols d'amende pour la réparation de l'auditoire.

Plusieurs votent pour eux-mêmes. François Carel sr de la Ville Etienne était représenté par maître Pintrel. Celui-ci allait émettre son vote, quand la femme de l'absent déclare voter pour elle et son mari.

Vu les voix et opinions des habitants de la cité, et les conclusions prises de Monsieur le Procureur fiscal, la Cour institue pour son sergent féodé pendant un an, maître Michel Bernard. A l'instant il prête le serment de remplir fidèlement sa charge. La Cour lui ordonne ensuite de porter hommage à ses supérieurs, de donner à l'église de Monsieur S. Gobrien la somme de 5 sols, de signer et d'observer les ordres royaux, arrêts et règlements de la Cour et de mettre les signe et paraphe dont il entend user pour son office (Arch. du Morbihan, B. Juridiction de Rohan).

Sa cour de justice entraînait pour le seigneur de lourdes charges : construction et entretien de l'auditoire, de la geôle, du geôlier, gages du sénéchal [Note : En 1783, le gage donné au sénéchal était de 42 livres. Voir H. du Halgouët : le Duché de Rohan, p. 21] et du procureur fiscal, frais de poursuite et d'instruction judiciaire contre les prévenus et les criminels, nourriture des prisonniers, leur conduite en prison du roi !...

Pour se couvrir de ces dépenses, les vicomtes de Rohan comme tous les chefs de fief, vendaient les principaux emplois de leur cour judiciaire : les charges de sénéchal et de procureur fiscal ; celle du greffe était généralement affermée. Le 2 juillet 1670, François de Kerel achète en adjudication, la sénéchalie de Rohan 2.200 livres. Il la revend le même prix, à Armel le Goaesbe qui devra en outre payer comme denier adieu à l'église de Monsieur S. Gobrien de Rohan 30 sols. En 1785 Herpe loue le greffe 300 livres par an [Note : Arch. du Morbihan, série B. Juridiction de Rohan].

Les emplois subalternes de la Cour, étaient délivrés gratuitement, dans la crainte qu'ils ne trouvent acquéreurs. Leurs détenteurs étaient rémunérés par les justiciables ou leurs clients.

Mais quels sont les moyens d'existence de tous ces hommes de loi qui gravitent autour de la cour seigneuriale de justice ?

1° Leurs honoraires et épices acquittés par les justiciables ; 2° leurs gages ; 3° le cumul de leurs fonctions.

En 1696 Pierre Conan est notaire d'Assigné et sergent de la juridiction de Rohan. A la même époque 1688 et plus tard, Mre Denis-Jh le Mercier sr du Bot est avocat et procureur de la juridiction de Rohan, greffier d'Assigné et procureur fiscal du Quengo. Le 10 février 1756 décède à Rohan Mre Jean-François Hervizo, notaire et procureur de la juridiction de Rohan, sénéchal des juridictions d'Assigné, du Resto et de Kernazel. Rien d'étonnant après cela si en 1730 trois sénéchaux habitent en même temps notre ville : J.-Baptiste de Villiers, sénéchal de Rohan, Yves le Maître, sénéchal du Quengo, G. Blesteau, sénéchal d'Assigné.

Presque tous les officiers de justice demeuraient dans la Grande Rue, la principale de la cité, aujourd'hui place de la Mairie. On l'appelait aussi dans le peuple la rue des Nobles. Une vieille famille de notaires, les le Pré, avaient leur résidence dans une maison près du pont d'Oust. Elle existe toujours. Sur la façade on lit :

M. I : LE : PRE : SR KRIO
MA : F : LAN 1638

« Maistre Jean le Pré sieur de Kério m'a faite l'an 1638 ».

D'autres robins de la cour ducale habitaient dans les manoirs voisins : la Buzardière, Kério, Kerandue, Kergourio, la Ville du Bot, Keraudren, la Guiterne et la Ville Moysan.

Ces hommes de loi savaient se faire respecter. Jean le Brazidec, de Radenac, en fit un jour l'expérience à ses dépens. Il était accusé d'avoir « insulté atrocement et en public » Jean Moysan, notaire à Moréac. Cité devant le barreau de Rohan, le 24 décembre 1692, il réconnaît que l'insulté est « homme de bien et d'honneur, non noté d'aucuns blâmes dans sa charge de notaire, ni des injures mentionnées dans sa requête ». Cette rétractation ne l'empêcha pas d'être condamné aux dépens 15 livres 3 sols. Pour sa grande confusion le jugement fut banni à l'issue des grand'messes de Moréac et de Radenac, aux frais du condamné (Arch. du Morbihan, série B. Juridiction de Rohan).

Au demeurant la Cour avait conscience de sa dignité. A la séance du 25 février 1693, Mre Yves Blanchart, fils du sénéchal, se voit infliger sans appel 30 sols d'amende. Motif ? Pétulance et irrévérence envers Dame justice, propos déshonnêtes contre le mérite de sa cause. L'amende sera employée à l'entretien de l'auditoire. Jusqu'au paiement, interdiction au délinquant d'exercer ses fonctions. En cas de récidive, peine en conséquence (Arch. du Morbihan, série B. Juridiction de Rohan).

Quelque vingt ans avant le fait dont nous parlons, en 1671 (Arch. du Morbihan, série B. Juridiction de Rohan, année 1671), Mre Maury le Mouel, avocat à la Cour de Rohan et arpenteur juré, était l'objet de graves accusations. Le prévenu, au dire de Mre François Pintrel, avocat et procureur postulant au même barreau, passait pour un « coutumier du blasphème. Il venait d'ordinaire à l'audience rempli de vin et autres boissons, plaidait la plupart du temps, sans ordre ni rang, lançait en plaidant les audiences de Rohan et d'Assigné, contre les avocats et procureurs de viles et atroces calomnies, indignes du barreau ». Sans respect aucun pour ses supérieurs et les anciens, les insolences de Mre le Mouel ajoutées à toute sa conduite en faisaient un scandale public. Voilà les raisons qui poussèrent Pintrel à porter plainte contre le Mouel. Celui-ci était accusé en particulier d'avoir proféré des blasphèmes aux barreaux des Cours de Rohan et d'Assigné, le 23 juillet 1671 et le 30 juin 1672.

Cependant la Cour de Rohan intime à Pintrel l'ordre de déposer sa plainte au greffe de la juridiction, en y faisant insérer les blasphèmes à la charge de son collègue, et que l'opinion et la loi jugeaient passibles d'une punition exemplaire. Plusieurs règlements et arrêts de la Cour de Parlement avaient, en effet, été rendus sur ce sujet, à la requête de M. le Procureur Général du roi, et qui permettaient de se saisir de la personne des blasphémateurs. « Tant pour l'honneur de Dieu que pour l'intérêt public », l'accusateur remit au procureur fiscal de Rohan un mémoire signé de lui et des témoins.

Hélas ! le dit procureur, Mre Jean le Brandonnier, laissait à dessein l'affaire dormir en ses cartons poudreux. Pintrel se fâche, menace d'en appeler au Parlement, de faire casser le procureur fiscal. Contre lui il obtient de la Cour de Pontivy une prise de corps sous délai. Mais le Brandonnier ne se tient pas pour battu. « Des preuves à vos accusations, lui répond-il, donnez-moi des preuves, sinon je vous interdis l'exercice de votre charge. Et puis ne vous mêlez pas de mes fonctions. Je sais ce que j'ai à faire ».

Quelle fut la conclusion du débat ? Nous l'ignorons.

Les officiers de judicature devaient être catholiques, de bonne vie et mœurs et idoines, c'est-à-dire capables de remplir leur emploi. Fréquemment ils étaient fabriciens et trésoriers de l'église, donnant l'exemple des pratiques religieuses et de la fréquentation des sacrements. L'un d'eux était abbé de la frairie S. Yves fondée dans la ville [Note : A cette époque beaucoup d'officiers de judicature portaient le nom de saint Yves leur patron] ; c'est-à-dire prévôt, président.

Comme denier adieu et à titre d'amende, la Cour imposait souvent de légères sommes pour la réparation de l'église.

Jusqu'à la Révolution et même quelque temps après, la procession du T. S. Sacrement avait lieu à Rohan le jour de l'incidence de la fête. A l'audience du mercredi précédent, la Cour ducale enjoignait à ses avocats, procureurs, greffiers, sergents... d'assister à la procession, chacun à sa place, suivant leur dignité : Sénéchal, procureur fiscal, procureurs, doyen, sous-doyen, et dans l'ordre de leur réception au barreau. Voici à titre de spécimen, une ordonnance du mercredi 20 mai 1693 lancée par Mre François Amprou, substitut de Mre Matthieu Amprou, procureur d'office (fiscal) :

« La Cour ordonne aux procureurs postulants en ce siège... d'assister processionnellement avec respect et révérence, et en habits décents, à la manière accoustumée pour l'honneur dû au S. Sacrement, environ les 9 heures du matin, sur peine de 60 sols d'amende chacun... comme aussi a été ordonné à tous les manants, bourgeois et habitants de la ville de Rohan de vider les rues et pavés chacun en droit soy de leurs fumiers, marnis et bois, même de nettoyer les pavés de toutes immondicités, de quelque nature qu'ils puissent être, et les tenir en la propreté requise, nécessaire et accoustumée aux lieux et endroits où passera la procession du S. Sacrement, sur peine de chacun des contrevenants de pareille somme de 60 sols d'amende... même d'orner les maisons de linceulx, branches vertes ou autres choses, le tout sous peine aux défaillants, hommes de loi ou autres, de 64 sols d'amende » (Arch. du Morbihan. Série B. Juridiction de Rohan).

En 1672 la Cour éleva cette amende à 10 livres applicables aux réparations de l'église Saint-Gobrien.

Toutes les prescriptions relatives à la célébration de la fête du T. S. Sacrement étaient bannies à son de tambour, chaque année, dans les différents quartiers de la ville, et affichés aux endroits habituels : portes de l'auditoire, de l'église.

Rendre la justice, et par extension veiller au bon ordre et à une sage administration dans l'étendue de la seigneurie soumise à leur juridiction, voilà en deux mots le rôle des officiers de la Cour ducale. Sa fonction première consistait à juger les chicanes et à concilier les parties en désaccord.

Jadis — comme partout et toujours — existait un peu de jalousie entre les artisans et marchands [Note : A cette époque on donne à Rohan les titres de maître et de sire aux marchands] de la ville. Elle se manifesta violemment à une foire de Rohan, sous les halles, entre deux marchands de drap Michel Herpe et Mathurin Bonno. D'où procès. L'affaire est évoquée à l'audience du mercredi 16 juillet 1692. Mathurin Bonno se présente comme demandeur, accompagné de Maître Armel le Moyne, son procureur. Herpe avait choisi pour sa défense Yves le Maistre, avocat à la Cour et fabricien, L'interrogatoire commence :

— Le prévenu : « Je n'ai point le souvenir d'avoir proféré des injures contre la bonne réputation de Bonno et sa femme. Je les reconnais gens de bien et d'honneur. Je suis innocent des injures, véritables blasphèmes à moi imputés dans la requête. En conséquence je demande réparation, et mon renvoi hors d'instance et dépens ».

— Me le Moyne : « Mon client persiste en sa requête et trouve insuffisante la réparation de Herpe. Nous exigeons que celui-ci renouvelle son aveu, en présence de douze membres de ses proches parents. Au surplus, la Cour décidera que le demandeur soit admis à informer, tant des injures que des blasphèmes énoncés dans la requête. Comme conclusion nous demandons que Herpe soit condamné aux dépens, mis en la sauvegarde du roi et de la justice, attendu que l'accusé est un homme redouté ».

— Le Maistre riposte : « La reconnaissance de Herpe est suffisante, d'autant qu'il l'a faite en présence de la justice, de messieurs du barreau et de plusieurs autres personnes honorables. Loin de passer pour un homme craint et redouté, il est un marchand loyal et fidèle ».

Sur l'insistance de le Moyne la Cour lui donne raison. Il est reçu à informer sommairement durant le temps fixé par l'ordonnance.

Le mercredi 23 juillet suivant, l'affaire revient à l'audience. On procède à l'audition des témoins. Le Maistre les accepte. De chacun d'eux la Cour requiert le serment de dire la vérité, l'exemption de conseil parentel, de sollicitations ou autres manœuvres frauduleuses, l'assurance qu'ils ne sont ni serviteurs, ni obligés, ni parents des parties, bref les formalités requises de tout temps pour obtenir l'intégrité.

1er témoin, Michel le Pin, journalier à Rohan, 30 ans. Il a connaissance de la querelle survenue entre Mathurin Bonno et Michel Herpe sous la halle aux étoffes [Note : Halles démolies en 1911], le mercredi 11 juin précédent. Il entendit Herpe jurer par ces mots : « testebieux, morbieux, tu t'en repentiras ! » Voilà tout ce qu'il connaît. — Ne sait signer. — Taxe, 15 sols.

2ème témoin, Mathurin Kermelin, tailleur d'habits au village de Bains en Saint-Maudan, 53 ans environ. Le même jour de foire à Rohan, il a entendu Herpe et Bonno se disputer sous les halles dans leurs boutiques [Note : Divers marchands louaient un coin des halles pour y installer leur état], au sujet de la vente de leurs draps. Bonno disait : « Nous les vendrons donc un écu ». Alors Herpe d'ajouter : « Morbieux, testabieux, est-ce ton intérêt ? » Au même instant, ce dernier porta ses doigts au front en forme de fourchettes et cria : « Regarde : sais-tu bien ce que cela veut dire ? » — Ne sait signer. — Taxe, 20 sols.

3ème témoin, Jeanne Golvet, au village de Kerdo, veuve de Louis Audrain, 48 ans : même déclaration. — Ne sait siener. — Taxe. 15 sols.

4ème témoin, Jean Lesenier, boucher à Rohan, 37 ans, — Pareille déposition avec en plus toutefois cette menace adressée par Herpe à Bonno : « Tu t'en repentiras ici ou ailleurs ! » — Ne sait signer. — Taxe, 20 sols.

5ème témoin, Louis Ropert, charpentier au village de Kernaga en Gueltas, trêve de Noyal-Pontivy [Note : Aujourd'hui paroisse du doyenné de Rohan] : déposition identique à la précédente. — Ne sait signer, — Taxe, 15 sols.

L'affaire est évoquée une dernière fois à l'audience du mercredi 20 août 1692. Comme, à cette époque, le blasphème entraînait une punition légale, le Maistre attaque sous le rapport des jurements la nullité de l'enquête. Elle ne mentionne, soutient-il, que ces mots : « morbieu et testebieu » qui ne sont pas des jurements. Le procureur fiscal chargé de prononcer le jugement, ne condamne pas moins Herpe :
1° A aumôner la somme de 6 livres pour l'entretien de la lampe de l'église paroissiale de Rohan.
2° Il prend acte de la déclaration de Herpe qui reconnaît Bonno et sa femme gens de bien et d'honneur.
3° Enfin le procureur condamne Herpe aux dépens 10 livres et à 10 livres de dommages intérêts qui sont versés à Bonno séance tenante.

Après quoi les parties sont renvoyées hors d'instance et Herpe est jugé quitte.

Prise de possession des bénéfices ecclésiastiques dans le ressort de la juridiction, même appel comme d'abus à un tribunal laïque d'un bénéficier, contre son évêque, police, délits, crimes, autopsie des victimes décédées de mort violente, autant de questions ressortissant de la justice seigneuriale.

La cour ducale rendait la justice tous les mercredis, Jours de marché, à 10 heures, dans l'auditoire, bâtiment annexé à la halle aux étoffes, par conséquent au haut de la Grande Rue. Cette cour avait droit de sceau, collier, potence et patibulaire à six piliers ou colonnes plantées au haut des halles précitées. Sur l'un des piliers étaient les armes des Rohan, à 9 macles d'or : 3, 3, 3 [Note : Un parchemin qui couvre le registre paroissial de 1694, aux archives municipales de Rohan, renferme un jugement intéressant sur la justice criminelle d'autrefois, et sa sévérité à l'égard des voleurs. Pierre et Guillaume Fleury convaincus, d'après la Cour de la Muce en Baulon (Ille-et-Vilaine), d'avoir, à l'étal de Jallu, de Bertrand ; Téhélays et autres marchands, à la foire de St-Laurent des Guiberts, volé onze paires de drap blanc, furent condamnés à 150 livres d'amende, dont 50 pour la réparation de l'église de Baulon et 100 pour la réparation de l'auditoire de la Muce, plus aux dépens. Ensuite ils devaient être conduits à la justice patibulaire de la Muce, pendus « et estranglez jusques à extermination de vie, et auparavant la dite exécution, a estre exposez à la torture ». Sur appel au Parlement de Bretagne, l'amende est maintenue, la peine de mort supprimée et ainsi commuée : l'exécuteur criminel prendra les voleurs à la conciergerie, un jour de marché, et les fera conduire par les carrefours et lieux, la tête nue la corde au col ; durant le trajet ils seront fouettés de corde. (Parchemin coupé, sans date, probablement du commencement du XVIème siècle)].

Le seigneur de Rohan avait le droit de choisir un bourreau pour son fief, et notre ville était fière d'avoir sa potence à côté de la prison.

Longtemps il n'y eut de prison qu'à Rohan, ancien : chef-lieu de la vicomté, Les bourgeois et manants des sièges particuliers de juridiction, étaient responsables des prisonniers. En cas de condamnation, ils doivent les escorter au lieu du supplice ou à la prison de Rohan. Et quand les plaids de la vicomté se tinrent après les landes de Noyal à Pontivy, les rohannais conduisaient les prisonniers à Pontivy et les ramenaient en leur cité. Les captifs sont-ils condamnés ? Bourgeois et paysans répondent des justiciables, et jouent le rôle de geôliers.

Pontivy qui avait supplanté Rohan comme capitales de fief, posséda ses prisons en 1503.

La cour seigneuriale de Rohan avait d'abord sa prison dans l'intérieur de la forteresse. Celle-ci tombée en ruines, la prison fut transférée au rez-de-chaussée du palais de justice des ducs, au-dessous de l'auditoire, et au haut de la halle aux étoffes. Appelée communément geôle, elle comprenait un appartement pour les hommes, un autre pour les femmes, un troisième pour le geôlier.

Le dernier concierge des prisons ducales à Rohan, Julien le Labourier, était en même temps tailleur d'habits et tambour de ville (1789).

Rohan vit-elle jamais pendre à sa potence ?

A l'exemple de beaucoup de cours de justice seigneuriale, celle de Rohan semble avoir négligé les causes criminelles de son ressort, parce que peu profitables et même coûteuses.

En 1619 les juges de Rohan venaient d'incarcérer un certain Nicolas Galland, à la suite d'une querelle survenue sur le territoire de la seigneurie de Kermeno en Bignan. Protestation des juges de Kermeno qui réclament l'incompétence de la cour de Rohan. Le seigneur de Kermeno lui-même porta plainte en règle au Parlement de Bretagne.

D'ailleurs le pouvoir central tendait à enlever progressivement aux seigneurs leur pouvoir de haute justice. L'appel au parlement en matière criminelle devient obligatoire en 1670, et à partir de 1772, les juges seigneuriaux cessèrent de condamner les criminels, et se contentèrent de faire les premières instructions (Voir Hervé du Halgouêt : Le Duché de Rohan, p. 219).

Comme toutes les cours de justice seigneuriale, celle de Rohan apportait le plus grand soin à établir la tutelle des mineurs. Le 20 novembre 1602, la cour de Rohan était assemblée sous la présidence du lieutenant général de la Vicomté, en présence de Maître Jean de Bréhant, substitut du procureur fiscal, avec pour assesseur Guillaume Auffredic.

A la requête de vénérable et discret missire Jean Auffray, chanoine et trésorier de Saint-Brieuc [Note : Beaucoup de recteurs autrefois ne gardaient pas la résidence. (Arch. du Morbihan, série B. Juridiction de Rohan)], recteur de Saint-Samson, Maître Jacques Hervé, son procureur agent et solliciteur, fait observer à la cour que depuis le décès d'écuyer Tanguy Hanry, seigneur du Quengo, survenu il y a deux mois, sa veuve Jeanne du Guiny, malgré la charge qu'elle a assumée, n'a pas encore convoqué leurs parents et ses enfants mineurs pour la provision d'une tutelle. Le recteur défendait en l'occurrence les intérêts des orphelins. La cour de Rohan se hâta de seconder ses efforts, et de parer à la négligence de la mère. Dans ce but elle rendit cette sentence : « Si pour la prochaine audience la convocation exigée n'a pas lieu, la veuve consignera 30 écus entre les mains du procureur fiscal pour la formation de la tutelle, quitte à la cour à tenir compte ensuite de la somme dépensée ».

Chaque année à tour de rôle, les collecteurs des dîmes seigneuriales et religieuses pour en faire la cueillette, passaient dans les diverses frairies. Ils devaient donner avis au procureur fiscal du mauvais état des chemins, et la Cour en avisait les intéressés, Le 24 février 1692, le procureur fiscal de Rohan a connaissance qu'il existe des chemins impraticables dans la paroisse de Radenac. La Cour envoie aussitôt signification aux propriétaires des terres adjacentes, de les mettre en état, sinon des journaliers en seront chargés aux frais et dépens des riverains.

Les hommes de loi veillaient encore à l'hygiène. Jadis notre petite ville ressemblait plutôt à un grand village aux rues sombres et étroites. A la porte des maisons, même près des halles et des marchés on voyait bois, fumiers, immondices. Au XVIIème siècle, les officiers de judicature s'en plaignaient amèrement.

« Ces marnis, disaient-ils, placés sur le martrai près des étaux, répandent de méchantes exhalations, sont la source de maladies infectieuses, portent préjudice au cours du marché et au commerce local ». Donc la Cour défend à tous les habitants de quelque condition qu'ils soient, sous peine d'amende et de confiscation de leurs fumiers, bois... de les laisser sur la rue. En conséquence dans l'intérêt public, un harnois transportera ailleurs le fumier, à sa sortie de l'écurie.

C'est encore devant la Cour que prêtaient le serment les médecins. A l'audience du 29 avril 1693, Maitre Jean Hardouin vint faire le serment requis pour exercer son art à Rohan. Aujourd'hui notre canton possède trois médecins dont deux à Rohan. Me Hardouin. professait à Rohan, Loudéac, Pontivy, la Chèze. Les mauvaises langues soutiennent que la mortalité augmente avec le nombre des disciples d'Hippocrate Non.

Quoi qu'il en soit, l'édit royal de février 1692, portait création de deux chirurgiens au moins dans les principales villes du royaume, et d'un chirurgien dans les autres villes et bourgs. Cette charge était vénale et héréditaire.

Bien avant cet édit, des médecins exerçaient dans nos paroisses même en nos petits bourgs de campagne. Les registres de Saint-Gouvry commencent en 1670. Cette même année ils nous signalent l'existence d'un médecin à Rohan, enfant de la paroisse : maître Pierre le Maître, marié à Marie Lorand [Note : En 1694 vit à Rohan Jeanne Simon, sage-femme approuvée. (Arch. municip., registr. paroiss.)].

En 1701, François le Troadec tient dans notre cité une officine de médecine et de pharmacie. Il supplantait les épiciers qui jusqu'alors mettaient en vente certains produits pharmaceutiques : on les appelait apothicaires. Leurs notes sont restées proverbiales.

En 1766 deux médecins pratiquent en même temps à Rohan : Yacinthe le Hardy et François-Marie Jan. Depuis lors jusqu'à la Révolution, notre petite cité comptera deux médecins dans ses murs. Nous trouvons pour l'année 1789 : Louis-Marie Toulmouche et Joseph Audrin, médecin-chirurgien et accoucheur (Arch. municip.. registr. paroiss.).

Hâtons-nous de dire que la cour de justice exerçait un contrôle sérieux sur les poids et mesures.

En 1671 les boulangers vendaient leur pain et les meuniers leur farine à Rohan sans mesure ételonnée. Il en résultait un grave préjudice pour le public. La cour de Rohan indignée de ces procédés contraires aux ordres royaux et autres mandements, arrête en séance du 21 octobre 1671, qu'elle descendra sur les lieux, à l'effet de dresser procès-verbal de visite sous la halle et ses dépendances, en présence du procureur fiscal et du greffier. Elle examinera en même temps les faux poids et mesures dont les marchands ont fait usage, et prescrira la confiscation du pain et de la farine avec amende.

Le mercredi 22 juin 1768, à la séance de ses plaids généraux, la cour de Rohan condamnait Alain Jouin, meunier de Trémusson à tenir dans son moulin des poids et balances justes, conformément aux règlements et sous les sanctions prévues, pour y peser les grains et farines entrant et sortant.

« Il n'est point d'acte de police plus intéressant ? pour le public et les seigneurs, déclarait à cette époque Louis Maguerot, procureur fiscal de la juridiction de Rohan, que d'assurer d'une manière invariable les mesures servant à recevoir, vendre et acheter toutes espèces de grains » [Note : Séance de !a Cour de Rohan, 20 juillet 1768 (Archiv. du Morbihan, série B. Juridiction de Rohan]. Cette fixité, ajoutait-il en substance, a pour but de détruire les abus qui se sont introduits en plusieurs villes de la province et prévenir ceux qui pourraient naître dans la suite. Et il continuait : « L'intendant de Mgr le duc de Chabot, Paul de Kerangal, m'a fait passer un arrêt de la Cour du 30 juillet 1767, enregistré au greffe du barreau de Rohan. L'objet le plus important de cet arrêt, est la vérification des mesures et leur dépôt dans un lieu sûr ». A l'effet de s'y conformer, Maguerot avait demandé à l'intendant une mesure-talon en cuivre, égale au demé en usage dans la ville de Rohan, des mesures talon en étain pour les grains, des pintes et chopines pour contrôler celles des cabaretiers, et enfin des aunes talon en fer. Toutes ces mesures types sont faites, dit le procureur fiscal, et il invite la Cour de Rohan à examiner avec lui leur circonférence, hauteur et profondeur, avant de procéder à la vérification des mesures anciennes et nouvelles.

Comme de nos jours en bien des villes, la Cour portait défense de vendre les grains conduits à Rohan les mercredis jours de marché ordinaire, avant 10 heures du matin sonnées.

Les officiers de la justice s'informaient du cours des grains. Le 1er juin 1673, Gilles Nogues, fermier des halles, ponts et passages, coutumier [Note : Percepteur des droits d'entrée sur les animaux, les denrées expoées à l'étal, les droits de place. Arch. du Morbin. B, jurid. de Rohan] au surplus de la ville de Rohan, déclare au greffe le cours des grains au marché de la ville :
le demé froment rouge se vendait 35 sols, pesait communément 53 liv.
le demé blé seigle se vendait 18 sols, pesait communément 48 liv.
le demé avoine grosse se vendait 12 sols, pesait communément 30 liv.
le demé avoine menue se vendait 8 sols, pesait communément 30 liv.
le demé blé noir (sarrasin) se vendait 13 sols, pesait communément 40 liv.
Signent : Gilles NOGUES, Vincent LE ROUZIC, commis au greffe.

Au reste, les grains étaient beaucoup moins exposés que de nos jours, aux fluctuations des marchés. Ils étaient vendus la plupart du temps « à la value ». Tel était le cas pour la juridiction de Rohan et autres circonvoisines, ou le trafic des grains se faisait chaque année, d'après la mesure de Rohan et selon une taxe ou appréciation traditionnelle nommée apprécis, qui fixait le prix de tous les grains, les mercredis avant et après la saint Jean. Or au mois de juin 1692, plusieurs particuliers avaient adressé au procureur fiscal, Mathurin Amprou, des plaintes dans le but de réprimer l'appétit usuraire de certains commerçants. Afin de couper court à toutes discussions, le procureur fiscal avait résolu d'établir l'apprécis des grains. A cet effet, il avait convoqué dans la salle basse de l'auditoire de Rohan, Mathurin Collin, coutumier ordinaire de la ville, Jacques Michard, boulanger au village de Kerdo, Alain le Ravionan, boulanger au village de Rustè ? en Gueltas, Guillaume Guillochet, boulanger à la métairie noble de Kermelin en Gueltas, tous présents au marché de Rohan, Entendus séparément ils ont affirmé par serment que le cours des grains a été le suivant :

la pérée [Note : La pérée, dans la juridiction de Rohan, valait 6 demés ou 2 renots] de blé a valu les mercredis d'avant et après la St-Jean (Baptiste). 6 # .
la pérée de froment a valu les mercredis d'avant et après la St-Jean (Baptiste). 13 # 10 s.
la pérée de grosse avoine a valu les mercredis d'avant et après la St-Jean (Baptiste). 4 # 1 s.
la pérée de avoine menue a valu les mercredis d'avant et après la St-Jean (Baptiste). 3 # 10 s.
la pérée de blé noir a valu les mercredis d'avant et après la St-Jean (Baptiste). 4 # 10 s.

Ainsi bien avant la Révolution et l'invention du système métrique, le cours et la taxe des grains, une commune unité de mesures faisaient l'objet dans notre cité, de la plus grave préoccupation des esprits.

***

Du sommet de l'étude que nous venons d'achever, jetons une vue d'ensemble rapide sur la ville de Rohan, afin d'en mieux saisir la physionomie en 1789, et plus tard la trame des événements révolutionnaires.

Le chef temporel seigneur et maître de la cité — après le roi — est le duc de Rohan-Chabot. Les administrateurs de notre paroisse qui ne comprend que la ville, s'appellent le Général. Il en existe un autre semblable à Saint-Gouvry, pour cette paroisse unie à Rohan. Justice, police, hygiène, actes et contrats notariés relèvent de la Cour de Rohan. Le pouvoir religieux est aux mains d'un recteur, M. le Bot, assisté d'un vicaire, M. Perrotin.

Dans la petite cité ducale la religion est très en honneur. Les dispenses on ne les connaît pas. Les mariages ne sont publiés qu'après trois publications. Le jour même de la naissance, est administré le baptême. D'ondoiement jamais. Depuis 1653, année où commencent les registres paroissiaux, jusqu'en 1785, on n'en trouve qu'un en faveur d'Aimée Rottier, la fille d'un receveur des Devoirs. Durant plus de 130 ans, un seul enfant illégitime né à Rohan. Les familles nombreuses n'y sont pas rares, les mariages également : en 1673, il y en eut 23 pour une population de 500 habitants à peine. Enfin à l'approche de la mort, les Rohannais veulent recevoir le saint Viatique et l'extrême-onction.

Joseph Guillot (né à Josselin, 1749), est maître d'école, sa femme institutrice.

Rohan possède deux médecins : Joseph Audrin, de Saint-Caradec (Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor), et Louis-Marie Toulmouche, originaire de la paroisse de Toussaints de Rennes, une sage-femme, deux receveurs des Devoirs et un receveur des Domaines, plusieurs sergents (gendarmes).

Vous trouvez encore en notre petite ville :

1° Des commerçants divers : marchands d'étoffe, de blanc, de vin, de tabac, de sabots, de chapeaux et d'épices, voituriers, aubergistes, hôteliers, chapeliers.

2° Des métiers nombreux : trois ateliers de menuiserie dont deux tenus par la famille Jouannic, bouchers, cordonnier, serrurier, un meunier, un tanneur, Colomban Rolland, un perruquier, un cordier, deux boulangers, trois forges cloutières, couvreurs, tisserand, maçons, papiotier, deux à trois petits laboureurs, autant de journaliers, un arquebusier (armurier), Jacques Maray.

Si à cette énumération vous ajoutez les officiers de la Cour de justice, vous constaterez qu'avant la Révolution comme en 1926, Rohan ne comptait guère que des fonctionnaires, des commerçants, quelques hommes de profession libérale, plusieurs rentiers, des aubergistes et des ouvriers.

Et maintenant avant d'aborder l'histoire de la Révolution, examinons-en les causes brèves.

La cause éloignée il faut la chercher dans les scandales donnés par la Cour de Louis XV, dans les écrits de l'impiété philosophique au XVIIIème siècle, qui depuis plus de cinquante ans, à la suite des enclyclopédistes, ne cessait de saper les bases de l'ordre religieux, moral et civil.

Les causes prochaines de la Révolution sont multiples.

a) La lassitude extrême de l'ancien Régime et de son administration, du système féodal suranné où les charges sont devenues insupportables pour les vassaux, où les privilèges ne répondant plus à des services rendus, sont devenus odieux. « On voyait en Bretagne d'un côté la population rurale accablée sous le poids des fouages, des redevances féodales et des corvées, et la bourgeoisie des villes supportant seule les charges de l'impôt territorial, du casernement, des étapes, acquittant la presque totalité de la capitation » (Le comte de Carné. Les Etats de Bretagne, II, 24).

b) L'impopularité de la noblesse. Les privilégiés comprenaient si bien eux-mêmes l'état des esprits, que pour soulager le peuple de la surcharge de l'impôt de la capitation causée par l'établissement de 4 sous par livre, le clergé et la noblesse voulurent convertir cette taxe en un impôt de consommation (1786). Ensuite, à la dernière tenue des Etats de Bretagne (1788), ces deux ordres prirent l'initiative de supprimer la corvée. Enfin le 20 avril 1789, la noblesse dans son assemblée de Saint-Brieuc, votait l'égale répartition des impôts. Elle entendait le bruit de l'orage qui grondait menaçant, sinistre.

Bourgeoisie, peuple et bas clergé marchaient la main dans la main, à la conquête des libertés nouvelles. Que voulaient-ils ?

Suppression des privilèges, égalité dans les honneurs et les charges, accessibilité de tous à tous les emplois, réforme de l'administration.

Sous l'empire de la crainte, la noblesse vota ces résolutions diverses, la nuit du 4 août 1789. La révolution pacifique était faite. Malheureusement elle devint sanguinaire pour deux raisons principales qui la firent dévier.

c) La Rumeur infâme exploitée habilement par des discours et la presse, montait les espritis contre la noblesse et un peu contre le clergé, spécialement sur deux points :

1° On faisait courir le bruit que les nobles cherchaient à accaparer les grains pour affamer le peuple. De là des émeutes populaires fréquentes sur les marchés de Bretagne, à cette époque, pour empêcher le commerce des grains, la colère des paysans à la seule vue d'un sac de grain en circulation. Au commencement d'août 1789, Bertrand Cato, boulanger de la trêve de Saint-Brandan en Plaintel, menaçait de mettre le feu au village de Kerdo (à la porte de Rohan), parce qu'on lui refusait le gîte pour la nuit. En réalité les gens craignaient qu'il ne leur enlève du blé. Thérèse Eoche crie : « force au voleur de blé ! » Aussitôt rassemblement, on lui met la main au collet, on le renverse (Arch. du Morbihan. Sénéchaussée de Ploërmel, liasse 1789).

Le journal le Héraut de la Nation écrivait en mars 1789, cette calomnie : « On dit que les nobles de Basse-Bretagne ont recommencé à embarquer des blés, et qu'ils se proposent de venir à bout du peuple par la famine » (René Kerviler : La Bretagne pendant la Révolution, I, p. 6).

Et ces bruits trouvaient d'autant plus facilement créance dans les campagnes et chez les ouvriers des villes, que des épidémies, la misère, des disettes de grains s'étaient fait sentir cruelles, les années précédentes.

2° La dîme féodale avait bien été supprimée légalement, mais à la condition que, pour éviter la soudaineté du passage, elle fût encore payée en 1790. De cette restriction les meneurs abusèrent terriblement. Ils dirent aux campagnards : « La suppression de la dîme ? N'y croyez pas. Un leurre pour tromper les paysans ! Vous la paierez encore, si vous ne détruisez les titres et n'obtenez des seigneurs leurs renonciation à la dîme ». Et l'on vit alors des bandes de paysans, souvent sous la conduite de meneurs étrangers, courir à l'attaque des châteaux par centaines, brûler chartes, bibliothèques et parfois manoirs eux-mêmes. Ces attaques furent particulièrement violentes entre Rennes et Ploërmel.

La rumeur infâme engendrait l'affolement populaire.

d) La presse parisienne inonde la province (Archives château du Rox, en Concoret - Morbihan) par l'intermédiaire des grandes villes (le principal poste transmetteur pour la Bretagne était Rennes), des monceaux de follicules et de tracts, répandent la rumeur infâme, pamphlets aussi bien contre la bourgeoisie que contre la noblesse, excitant leur fureur réciproque, semant dans le pays des nouvelles alarmantes. Aussi le prince de Conti déclarait-il en comité chez le Comte d'Artois, le 28 novembre 1788 : « Monsieur, je dois à l'acquit de ma conscience, à la position critique de l'Etat et à ma naissance, que nous sommes inondés d'écrits scandaleux qui répandent de toutes parts dans le royaume le trouble et la division ».

e) La Constitution civile du clergé à laquelle la franc-maçonnerie ne fut pas sans nul doute étrangère, mit le feu aux poudres. Les paysans de la Vendée et de la Bretagne qui avaient marché à l'assaut des châteaux en 1789, furieux de voir la guerre que la Révolution faisait à l'Eglise catholique, prirent les armes sous les ordres d'officiers nobles pour la défense avant tout des autels. On les appela chouans, et les soldats de Révolution bleus, de la couleur de leurs vêtements. La Révolution qui devait être seulement la destruction d'un Régime, devint une guerre civile de religion.

Dans les petites villes comme Rohan, assises à l'ombre de puissantes juridictions seigneuriales, les robins plus nombreux et instruits que dans les campagnes, par peur et intérêt entraînèrent les citadins en plein mouvement révolutionnaire. Ainsi vit-on les Rohannais se Livrer à des violences anti-religieuses qui ne s'expliquent que par un vent de folie atténuant leur responsabilité.

Le monde physique est régi par deux grandes forces attractive et répulsive. A l'époque des révolutions, les chefs et les meneurs subalternes agissent par la crainte de paraître réactionnaires, et avec l'espoir de pêcher en eau trouble honneurs et profits.

(P. Martin).

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