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LES ÉMEUTES DE RENNES EN JANVIER 1789

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Les Etats et le Parlement entretenaient à Rennes une nombreuse population de domestiques, population à l'occasion redoutable et insolente. Ce fut elle qui mit le feu aux poudres. Après plusieurs provocations et altercations entre ces laquais des nobles et les jeunes gens du peuple ; entre des gentilshommes et des étudiants et bourgeois de Rennes ; les esprits étaient fort surexcités quand les adversaires du Tiers imaginèrent de provoquer, contre celui-ci, le mécontentement du peuple jusqu'alors son allié. Par les soins de quelques jeunes gens (de la noblesse, a-t-on dit) des milliers de billets, répandus par la ville, convoquèrent tout le monde à se rendre, le lundi 26 janvier 1789, dans les champs de Mont-Morin (aujourd'hui Champ de Mars).

Le but de cette réunion était, prétendait-on, de tenter une grande démarche auprès du Parlement pour arriver à une entente générale. Mais, à la place de la noblesse qu'on s'attendait à y voir, on ne trouva, au lieu du rendez-vous, que cinq à six cents valets, qui attiraient sans peine une foule de curieux, par leurs parodies et leurs discours. L'un d'eux, Dominique Hélaudais, monté sur une table et jouant le rôle d'orateur, démontre, avec une certaine éloquence, que, puisque les Etats faisaient vivre, non seulement les laquais et les porteurs de chaises, mais encore les ouvriers et le commerce de Rennes, le Tiers, qui, par sa résistance, entravait la tenue de cette session, nuisait aux intérêts de tous et réduisait le peuple à mourir de faim.

Il tonne ensuite contre les accapareurs des blés, la cherté du pain, la misère du pauvre monde, autant de sujets fort propres à émouvoir et à surexciter un auditoire exalté d'avance.

Enfin, il propose à tous de le suivre au Palais, pour demander au Parlement la diminution du prix du pain et des denrées et donner leur adhésion au Clergé et à la Noblesse, contre les prétentions du Tiers. Les deux premiers Ordres étaient restés assemblés aux Cordeliers. La foule se laisse entraîner et, chose qui ne peut s'expliquer que par la connivence des magistrats avec les organisateurs de cette manifestation, le Parlement assemblé reçoit l'orateur, et quelques-uns de ses adhérents, et promet de faire droit à leurs réclamations.

Enorgueillie par ce succès, la foule se répand dans la ville de Rennes ; mais la bourgeoisie, blessée de la conduite du Parlement, et furieuse de cette manifestation qu'elle croit (ou sait) organisée par la Noblesse contre le Tiers, entre à son tour dans l'action.

Bourgeois et étudiants se réunissent donc à l'Ecole de droit pour aviser aux mesures décisives que nécessite la situation qui leur est faite. Six magistrats s'y rendent aussitôt et cherchent à calmer les esprits : « Ne vous attaquez pas plus longtemps, disent-ils, au peuple révolté contre vous »« Le peuple ! s'écrient les étudiants, non ! ce ne sont que les valets des nobles ! »« Oui, oui ! » disent à leur tour plusieurs artisans qui s'étaient rendus à cette réunion. Alors les récriminations recommencent de plus belle et « les ouvriers citent aux magistrats des offres d'argent qu'on leur avait faites pour signer un mémoire contre le Tiers » (V. Ogée, Dictionnaire de Bretagne (notes de l'édition de 1853).

Ces bruits circulent bientôt dans la ville et les jeunes gens armés d'épées, de sabres, de pistolets, se répandent dans les rues par groupes en proférant des paroles de menace et de vengeance. Le café de l'Union, situé rue Bertrand, devient le rendez-vous des étudiants et la fermentation des esprits est bientôt portée à son comble. Les laquais et porteurs, et leurs partisans, s'arment de bâtons, de couteaux, échangent des railleries, des injures et des coups avec leurs adversaires, envahissent le café et ses alentours.

Moreau [Note : Moreau (Jean-Victor), né à Morlaix, le 11 août 1763. Son père, avocat de mérite, le destinait au barreau. Mais sa vocation militaire se détermina de bonne heure, et il s'échappa de l'Ecole de droit, à l'âge de dix-huit ans, pour s'engager dans un régiment. Sa famille ayant fait annuler cet engagement, il revint sur les bancs où nous le trouvons, en 1789, étudiant malgré lui. Après avoir pris part aux premiers événements de la Révolution, à la tête de la jeunesse bourgeoise, il devait devenir un de nos plus illustres généraux. Il fît deux campagnes célèbres en Allemagne, en 1796 et en 1800, mais il combattit ensuite contre la France, dans l'armée des coalisés, et fut mortellement blessé à la bataille de Dresde le 27 août 1813], prévost des étudiants en droit, fait enlever les armes de la milice et, de concert avec les bourgeois, organise la résistance. Un jeune homme nommé Omnes Omnibus (tous pour tous) d'une épigraphe inscrite sur une médaille de sauvetage qui lui avait été décernée par le Roi, quelques années auparavant, part pour Nantes, où il soulève la jeunesse et la décide à le suivre à Rennes pour soutenir la cause du Tiers-Etat.

Dans les deux camps on faisait courir les bruits les plus alarmants ; d'une part on disait avoir vu des gentilshommes distribuer des bâtons aux assassins ; des membres du Parlementa des Etats avaient été reconnus sous des habits de livrée, guidant la multitude et l'excitant à mal faire ; dans l'autre camp on répétait, à qui voulait l'entendre, qu'un écrit anonyme avait engagé les bourgeois de Rennes à égorger pendant la nuit les nobles qui étaient logés chez eux.

On voit, par ces exagérations mêmes, que les têtes ne se possédaient plus. Cependant, après quelques bousculades, où plusieurs furent blessés, les combattants se dispersent devant le comte de Thiard, escorté des magistrats et des nobles qui désapprouvent leurs gens. D'autre part la cour diminue le prix du pain, autorise la dénonciation des accapareurs, défend aux habitants de Rennes de s'assembler, et ordonne d'incarcérer tout porteur d'armes. Mais c'est à qui violera cet arrêté.

Le 27 janvier 1789 une lutte à main armée s'engage dans les rues de la ville ; Moreau, portant un drapeau sur lequel sont inscrits ces mots « Vaincre ou mourir ! » dirige les étudiants. Des courriers, partis dans toutes les directions, lui annoncent de prompts renforts. Les nobles retranchés aux Cordeliers, où ils ont été refoulés avec leurs domestiques, se pourvoient de vivres et d'armes et s'apprêtent à subir un siège. Beaucoup d'entre eux sont munis de fusils doubles, arme rare à cette époque. Les jeunes gens n'ont généralement que des épées et quelques pistolets.

A un moment donné, la porte du cloître retentit sous les coups des pierres et des bâtons : « Ouvrez, ouvrez ! c'est la jeunesse qui demande raison des actes commis contre elle ! Nous voulons Vignon et Hélaudais que vous abritez contre notre vengeance ! ».

Les portes résistent, mais elles pourraient céder. Un gentilhomme donne le sage conseil de parlementer avec les jeunes gens, mais d'autres, plus exaltés, ordonnent qu'on ouvre les portes et, tentant une sortie, font une décharge de coups de pistolets sur les groupes. Alors une horrible mêlée commence, la ville s'émeut au bruit des détonations, la place du Palais devient un véritable champ de bataille, les commerçants ferment à la hâte leurs boutiques.

Un bataillon de jeunes nobles s'élance sortant de la salle des Etats, l'épée à la main, les cris de ralliement retentissent, la foule s'amasse en poussant des clameurs d'épouvante, et le tocsin va semer l'angoisse et la terreur, jusque dans l'âme des habitants paisibles qui n'avaient pas quitté leurs demeures. Les rues, les carrefours, les places publiques, deviennent autant de lieux de combat : là, ce sont des groupes compacts qui se ruent les uns contre les autres, ici ce sont des étudiants qui, deux à deux, croisent le fer avec des gentilshommes ; des coups de feu tirés des fenêtres atteignent au hasard amis ou ennemis.

Deux jeunes gentilshommes, Messieurs du Boishue et de Saint-Riveul, tombent sous le fer de leurs adversaires et sont emportés dans les maisons voisines par leurs vainqueurs consternés.

Ici nous dirons avec Chateaubriand, racontant cette scène dans ses Mémoires d'Outre-Tombe : « Lecteur, je t'arrête, regarde couler les premières gouttes du sang que la Révolution devait répandre » [Note : Messieurs de Saint-Riveul et de Boishue étaient des compagnons d'enfance de Chateaubriand (Mémoires d'Outre-Tombe)]. Dans les deux camps la lutte était vive et la fureur égale ainsi que le courage. M. de Montmuran [Note : Le marquis de la Motte de Montmuran appartenait à la même maison que le chanoine de la Motte de la Motterouge. « De sable fretté d’or de six pièces »] est entouré par six jeunes gens du Tiers : « Allez, lui dit l'un deux, nous ne nous battons qu'à nombre égal et nous n'avons pas le temps de tirer au sort pour savoir quel sera votre adversaire ».

Lemérer, qui devait devenir un brillant avocat, allait recevoir la mort d'un officier de marine, quand un spectateur lui sauve la vie en jetant, d'un second étage une chaise entre les deux adversaires.

« Monsieur de Montbourcher s'était déjà, la veille, utilement employé à défendre les jeunes gens du tiers, contre les valets et porteurs et avait été forcé de mettre l'épée à la main contre quatre de ces hommes. Il se trouvait encore sur le lieu de ce triste combat, — dit une relation du temps, — quand un jeune bourgeois (selon les uns Omnes-Omnibus [Note : Ce ne pouvait être Omnes, qui était en ce moment à Nantes], étudiant en droit, selon les autres Uliac, également étudiant en droit) l'aborde et lui dit : « Monsieur, est-il vrai que vous ayez déclaré que vous dédaigniez de tirer l'épée contre nous ?— « Je n'ai jamais,— répondit M. de Montbourcher, — refusé de croiser le fer avec un galant homme ». Les deux armes se heurtent, le jeune homme est désarmé. M. de Montbourcher se précipite sur son épée, la lui rend et lui tend les bras. Les deux adversaires s'embrassent aux acclamations de la foule » [Note : V. Ogée, Dictionnaire de Bretagne, notes supplémentaires de l'édition de 1853].

Voici une autre version du même thème par Châteaubriand qui, ainsi que nous l'avons vu, se trouvait à Rennes au moment de ces troubles politiques : « Un autre attroupement s'était formé : le comte de Montbourcher aperçut dans la foule un étudiant nommé Uliac auquel il dit : « Monsieur, ceci nous regarde ». On se range en cercle autour d'eux. Montbourcher fait sauter l'épée d'Uliac et la lui rend, on s'embrasse et la foule se disperse » (Châteaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe).

Enfin Pitre-Chevalier relate, en ces termes, le même fait : « Monsieur de Montbourcher fait, comme la veille, l'impossible pour calmer les rivaux et pour sauver les victimes. Assailli par un bourgeois, (Uliac ou Ulot) et forcé de jouter avec lui, il le désarme et le presse dans ses bras en s'écriant : « Voilà comme je me bats avec un concitoyen ! » (Pitre-Chevalier, Bretagne et Vendée).

Cependant la nuit vient mettre fin au combat, qui avait duré trois heures, malgré l'intervention du comte de Thiard, du Parlement et de la maréchaussée. Les bourgeois avaient forcé les magasins du Roi et s'étaient emparés de toutes les armes de la milice, ce qui rendait leur résistance plus puissante et la lutte plus meurtrière. La noblesse était enfin de nouveau rentrée aux Cordeliers, où son président, le comte de Boisgelin, fut obligé, dit-on, de l'enfermer pour la retenir.

« Couverte de sang et de blessures, elle dépouille, dans l'enceinte même du cloître, un magasin d'armurier et s'organise en neuf compagnies, une par diocèse, pour reprendre la lutte à la prochaine occasion » (Ogée, Dictionnaire de Bretagne).

Heureusement, l'intrépide neutralité du commandant M. de Thiard lui assurait la même influence sur les deux partis. Secondé, d'une part, par les pères de famille, réunis à l'hôtel de ville, le suppliant d'arrêter leurs fils dans cette lutte fratricide, qui menaçait la cité d'irréparables malheurs ; d'autre part par les évêques et les vieillards qui au nom de l'humanité, demandaient aux gentilshommes de déposer les armes, le commandant finit par obtenir, de la noblesse comme de la bourgeoisie, un armistice au moins momentané. L'émeute avait duré trois jours.

Le 30, au matin, on apprit que les jeunes Nantais, au nombre de quatre cents, répondant à l'appel d'Omnes-Omnibus, étaient en chemin et seraient à Rennes le soir même. En même temps Angers, Caen, Poitiers offraient aussi leur concours à la jeunesse bretonne.

Mais celle-ci, fidèle à la capitulation signée la veille, pria les Nantais d'entrer à Rennes, sans armes. La bourgeoisie de cette ville fêta leur arrivée : c'était à qui logerait sous son toit un des « volontaires de la liberté ».

Sur ces entrefaites arriva une nouvelle qui jeta la consternation dans tous les camps : le Roi, annulant sa première décision relative à la convocation des Etats de Bretagne pour le 3 février 1789, ajournait cette tenue à une date désormais indéterminée et ordonnait formellement au Clergé et à la Noblesse de se dissoudre et séparer immédiatement.

Ce fut le coup suprême porté à la représentation nationale de notre province, dernier rempart de nos vieilles constitutions, et l'on peut dire qu'à dater de ce moment la Bretagne ne fut plus qu'une province de France quelconque. Bientôt ses cinq départements ne différeront pas, au moins quant au régime administratif, des autres départements français. Mais il est des races qui ne meurent pas, et l'âme de la Bretagne survécut à la ruine de sa nationalité. Elle devait trouver, quelques années plus tard, l'occasion de se manifester dans une lutte héroïque.

Celle du Tiers-Etat contre la Noblesse avait repris son cours, plus acharnée que jamais, et se continuait à coups de plume depuis que les mains avaient déposé les armes. Chaque parti, maintenant, s'évertuait à se justifier et cherchait à faire assumer à l'autre camp la responsabilité de tout ce qui s'était passé. Le Parlement, de son côté, instruisait l'affaire des émeutes de Rennes.

Le plus éloquent champion du Tiers-Etat était Volney, futur auteur des Ruines qui commençait à Rennes sa réputation. Enfermé seul, incognito, avec une presse, dans un appartement de la rue Saint-Georges, il était, à la fois, le rédacteur et l'imprimeur du fameux journal la Sentinelle du Peuple dans lequel il fustigeait impitoyablement la noblesse et ses privilèges. Ayant appris qu'on allait le saisir, il sut trouver un bon moyen d'échapper aux poursuites dont il était menacé.

Sur la route de Fougères, à quelque distance de Rennes, existait un vieux château délabré, nommé Maurepas, lieu sinistre et redouté de tout le pays. Personne n'osait s'y aventurer après le coucher du soleil, car on le disait hanté par des revenants. Volney s'y retira avec sa presse, pensant, non sans quelque raison, que nul n'y découvrirait sa présence.

Chaque nuit il rédigeait et composait son journal, au milieu d'un profond silence, interrompu seulement de temps à autre par le lugubre cri des oiseaux de nuit, seuls compagnons de sa paisible solitude. Tous les matins une laitière passait, au point du jour, et emportait discrètement à Rennes les feuillets encore humides qu'elle déposait à la librairie Vatar. C'est là que nobles et bourgeois s'en disputaient la lecture, peu favorable au rétablissement de la paix et du bon accord (J. Baudry).

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