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SPLENDEUR ET DÉCADENCE DE L'ABBAYE DU RELECQ |
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Combien de temps cette ferveur régna-t-elle dans l'abbaye du Relecq ?
Toutes les institutions humaines ont leur déclin. Des abus issus parfois de leurs propres qualités s'y insinuent et sourdement préparent la décadence.
La richesse et le luxe furent les dangers qui guettaient les abbayes. Pourvus de riches dotations par la piété des fidèles et la générosité des seigneurs du temps, enrichis encore par le travail collectif de ses habitants, les monastères devenaient bientôt un objet de convoitise. Rois et ducs furent tentés d'en disposer pour en transférer les bénéfices à des favoris ou à des solliciteurs qui, en prenant le titre et les avantages de l'abbé, se gardèrent d'en assumer les devoirs et les charges. Ces abbés, dits commendataires, ne résidèrent même pas à l'abbaye. Ils s'y faisaient remplacer par un procureur plus occupé d'exploiter le domaine que d'y entretenir l'esprit de la règle. La vie intérieure des moines ne pouvait manquer de se ressentir de cet état de choses. Peu à peu se glissaient dans les âmes le relâchement et l'oubli des mortifications du début.
L'abbaye du Relecq ne résista pas à la décadence générale. Dès le XVème siècle, ses abbés, au lieu d'être nommés par le chapitre, étaient désignés et recommandés par le duc aux suffrages des moines.
L'abbé ainsi nommé résidait rarement au Relecq. Il eut quelquefois sous sa dépendance plusieurs abbayes dont il se contentait de percevoir les revenus. On vit deux compétiteurs à la fois, l'un élu par le chapitre, Guillaume Le Roux, l'autre nommé par le roi, Jacques Torsolis, se disputer, même par la force, la crosse abbatiale. Les documents qui relatent cette longue lutte ont été mis en ordre par M. H. Bourde de la Rogerie, l'érudit archiviste de Quimper [Note : Analyse d'un compte de l'abbaye du Relec (1542-1546)]. Ils montrent qu'après de nombreuses péripéties assez curieuses, l'élu des moines, Guillaume Le Roux, finit par être évincé et fait prisonnier. Il rentra d'ailleurs au Relecq dont il devint le prieur, pour l'abbé commendataire, Loys le Bouteiller, successeur de Jacques Torsolis.
Les comptes détaillés publiés par M. de la Rogerie indiquent que l'abbaye possédait, vers 1540, des propriétés à Plourin, Berrien, Plounéour-Menez, Comanna, Plougonven, Scrignac, Pluméliau, le Cloître, Loquemeau, Lesneven (Languen), Plufur (le Manachty), Oultrellé (terres comprises en Plounéour, Gouézec, Châteauneuf, Pleyben, Loqueffret, Collorec, Saint-Rivoal).
Ces documents sont parmi les premiers écrits que nous possédions comme émanant des moines du Relecq. Les autres, qui eussent été si intéressants et si révélateurs et qui eussent comblé les lacunes laissées dans cette histoire par la tradition que nous avons suivie, ont été brûlés lors d'un incendie qui éclata, vers 1550, pendant la prélature de Loys le Bouteiller, dans le dortoir de l'abbaye, et qui consuma la plus grande partie des archives. Perte irréparable et que ne compense pas l'abondance des actes rédigés après cette époque.
Du moins peut-on, à partir de ce moment, reconstituer l'histoire, en général peu édifiante, du monastère.
Nous apprenons ainsi par divers documents dont un aveu de la fabrique de Plounéour au Relecq en 1700, des extraits d'un procès de 1734 contre Jean-Baptiste de Coetlosquet et un arrêt du Parlement du 27 mai de la même année, que l'abbaye du Relecq était propriétaire du presbytère de Plounéour et fondateur de l'église paroissiale. Elle avait ses juges qui étaient en même temps ceux de Plounéour.
Les guerres de religion qui désolèrent la fin du XVIème siècle eurent leur retentissement au Relecq. Pendant plusieurs années, ce fut, en Bretagne comme en France, un spectacle de désolation. Partisans de la Ligue et partisans du roi firent de la Bretagne un immense champ de bataille sur lesquelles les ruines s'accumulèrent. Tour à tour, royaux et ligueurs s'emparèrent de l'abbaye qu'ils pillèrent et transformèrent en un poste militaire. L'église profanée dut, à certains moments, servir d'écurie !
La paix fut enfin scellée par la soumission des ligueurs. Les embellissements apportés aux bâtiments dénotent qu'une féconde activité se remit à régner au Relecq.
Des portes élégantes s'élevèrent à l'entrée de l'abbaye et du jardin ; la fontaine que l'on voit en face de l'église fut construite, copieusement approvisionnée d'eau et ornée des armoiries de l'abbé par les soins de Riou Placzal, peintre à Morlaix.
L'église s'enrichit d'une lampe de laiton et d'airain avec son contrepoids armorié soutenu de deux anges, le tout peint d'or et d'azur, oeuvre de Jehan de Nantes, demeurant à Saint-Renan.
Mais le travail le plus considérable, ce fut la grande restauration de 1691. Une inscription placée au transept nord de l'église en donne les grandes lignes : les bâtiments tombant de vétusté ont été réparés, agrandis et ornés aux frais du monastère par les soins de l'archimandrite Jean-Baptiste : Monasterii œre : reparata : sunt : aucta : et : ornata : tecta : œtate : casura : Ioannis : Baptistœ : cura : archimandritœ : 1691.
Un escalier monumental en pierre fut construit et conduisit à l'infirmerie qui, d'autre part, avait accès sur le choeur par une fenêtre que l'on voit encore.
Le côté sud fut percé de deux fenêtres flamboyantes ainsi que le pignon du transept qui semble du reste avoir été reconstruit entièrement au XVIème siècle, de même que le pignon de l'abside. Au pied de la grande fenêtre flamboyante qui éclaire le transept sud fut construit l'enfeu des seigneurs du Bois de la Roche, en Comanna, orné de leurs armoiries.
En face, au-dessus de l'escalier monumental, s'établit une tribune où l'on voit un grand cadran d'horloge tout couvert de peintures et d'arabesques avec cette inscription qui est un avertissement salutaire : Ex momento : pendet : œternitas ; un seul moment décide de toute l'éternité.
Vers la même époque se construisait le magnifique retable que l'on aperçoit dans l'une des chapelles du transept sud encadrant la statue vénérée de Notre-Dame du Relecq. Cette belle statue est du Moyen Age. Sa pose hanchée, ses vêtements admirablement drapés, indiquent, d'après M. Abgrall, le XVème siècle. Voici d'ailleurs la description complète que le savant auteur donne de tout ce gracieux et riche ensemble : « La statue est encadrée dans un très beau retable en bois sculpté du XVIIème siècle, composé de quatre colonnes torses formant deux niches latérales surmontées de deux frontons à médaillons. La statue de la Vierge repose sur un socle porté par deux cariatides aux fines draperies flottantes et deux vertus cardinales, la Force et la Prudence, ayant pour attribut une colonne et un serpent. Celles-ci encadrent un médaillon en bas-relief : la Madeleine au pied de la Croix. Les niches des côtés abritent deux jolies statues de saint Benoît et de saint Bernard et sont accostées de volutes sculptées avec une grande richesse, formées d'enroulements de feuilles d'acanthe et de petits anges grimpants. Sur les piédestaux des colonnes torses sont des statuettes mi-plates et les deux gradins sont ornés d'un délicieux mélange de feuillages médaillons, anges et oiseaux ».
Enfin, pour en finir avec ce remaniement de l'église, il faut noter la reconstruction de la façade Ouest. Ce fut un travail d'un goût détestable, porte lourde et oeil-de-boeuf ovale surmonté d'un fronton grec portant la date de 1785.
L'abbaye, d'ailleurs, était, en ce moment, en pleine décadence. Son dernier prieur, Claude François Verguet, n'a laissé de son passage au Relecq que de fort mauvais souvenirs. Il allait être nommé député à l'Assemblée nationale, le 3 août 1789, prêta serment et finit dans l'apostasie et le désordre.
Quand vint, en 1790, le décret de dissolution et de fermeture, l'abbaye ne comptait plus que quatre moines.
C'étaient, outre le prieur Claude-François Verguet, 46 ans, profès de Cîteaux : Jean-Baptiste Bernard des Forges, profès du Relecq, 70 ans ; Thomas-Marie Barbier, profès du Relecq, 44 ans ; Casimir Huault, profès de Citeaux, 43 ans, faisant les fonctions de procureur, et un certain Taproy. Ces deux derniers ne résidaient pas ordinairement à l'abbaye. Les deux autres, dignes disciples du prieur Verguet, prêtèrent serment. Casimir Huault, retiré à Morlaix, devint vicaire de l'intrus Derrien et mourut à l'hôpital en frimaire an IV. L'autre, Thomas Barbier, installé vicaire au Cloître, en 1791, se rétracta, mais, emprisonné au château de Brest en mai 1792, il préféra une seconde apostasie à la déportation qui en eût fait un martyr. Il fut par la suite vicaire à Ploujean.
L'inventaire fut fait le 26 janvier 1791. Il donna un état minutieux des bâtiments aujourd'hui disparus : la Maison des Hôtes ayant sur jardin une façade de cent soixante-dix-sept pieds, le dortoir occupé par les religieux et situé derrière la maison des hôtes, un troisième édifice dit bâtiment neuf, un édifice encore inachevé dans la cour d'entrée et une remise attenant à ce bâtiment en construction.
La bibliothèque, estimée par Guyon, libraire à Morlaix, contient 3.398 volumes.
A l'inventaire de l'argenterie, on remarque six calices dont un petit en vermeil, deux croix d'autel et une croix de procession, deux lampes, un bénitier, boîtes aux saintes huiles, une vierge d'argent massif, deux reliquaires en bois garnis d'argent et cinq cloches.
La vente du mobilier eut lieu le 13 février 1791. Le 29 août 1791, lorsqu'on voulut saisir les objets de la sacristie, les habitants du Relecq tentèrent de s'y opposer, prétendant surtout enlever la vierge d'argent qu'ils voulaient exposer au lieu ordinaire...
Ainsi s'achevait l'existence de ce monastère qui, pendant tant de siècles, depuis saint Tanguy, avait fait l'édification de ce pays et avait veillé sur la dévotion croissante du peuple à Notre-Dame du Relecq.
Les vandales passèrent là. Tout fut pillé, plusieurs parties furent dégradées. Des matériaux emportés jusqu'à Morlaix servirent à des constructions qui subsistent encore. La vie disparue, le corps tombait en débris. De pieuses mains allaient cependant veiller sur les ruines abandonnées et provoquer la restauration du culte de Notre-Dame du Relecq.
(abbé F. Cornou).
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