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Couvent des Cordeliers ou de Saint-François de Quimper |
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Vers 1230-1232, l'évêque Renaud (Rainaud), aidé par le seigneur du Pont, fonde à Quimper un couvent de Cordeliers. Selon une notice latine, rédigée par Jean Beaujouan, procureur du roi au XIIème siècle, ce couvent est d'abord occupé par les "Chevaliers du Temple de Jérusalem de l'ordre de Saint-Jean Baptiste". Cet ancien couvent des Cordeliers, situé sur l'emplacement des halles, a disparu vers 1847. Du monastère des Cordeliers, de son église du XIIIème siècle et de son cloître, il ne subsiste rien. |
L'évêque Rainaud (Renaud, Regnault, Raynaldus, Renaldus ou Rainulphus)
(1219-1245), est le fondateur de la cathédrale de Quimper, dont il a commencé
le choeur. C'est lui aussi qui a construit au couvent de Saint-François ce cloître
élégant et cette belle église que la ville de Quimper n'a pas su conserver.
Si l'évêque
Rainaud avait recherché sa propre gloire, il aurait manqué le but : rien ne
rappelle sa mémoire dans la cathédrale, où il n'eut pas sa tombe ; et le
titre de fondateur du couvent de Saint-François lui a été dénié de nos
jours.
Ce démenti donné à la tradition constante des frères mineurs, repose sur une citation répétée avec trop de confiance depuis deux cent cinquante ans, et dont il faut enfin démontrer l'inexactitude.
C'est une très petite peine que vérifier un texte, c'est un mince mérite que le substituer à la copie défectueuse, mais c'est un très vif plaisir que voir enfin la vérité, et, quand on l'a vue, c'est un devoir de la mettre en lumière.
Puissé-je enfin la faire resplendir ! Deux fois déjà j'ai touché à la question de fondation du couvent de Saint-François ; d'abord dans une étude sur les Nécrologes des Cordeliers (1884), puis dans une Notice sur Jean Beaujouan, historiographe du couvent (1885).
Dans le premier opuscule, je faisais d'expresses réserves jusqu'à plus ample informé, en ce qui concerne la fondation attribuée au baron de Pont. Dans le second, je repoussais absolument les titres du baron et j'annonçais une étude complète de la question. C'est cette étude qui va suivre.
Le
couvent de Saint-François de Quimper a été la première maison de
Franciscains fondée en Bretagne (Dom
Morice, I., p. 165). Les libéralités des seigneurs de
Cornouaille permirent de bâtir le cloître et l'élégante église que le
XVIIIème siècle a saccagés et que le XIXème siècle a détruits. Le couvent
de Saint-François devint comme le Saint-Denis de la noblesse de Basse-Bretagne.
Des vicomtes du Faou, des barons de Pont (l'abbé), des sieurs de Rosmadec, du
Juch, de Névet, de Lezongar, de Ploeuc, de Poulmic, de Quélen, du Chastel,
d'autres encore, après avoir guerroyé quelquefois dans des camps opposés, y
vinrent dormir côte à côte leur dernier sommeil. Que de lumières nous
auraient apportées les testaments, les actes de donations faits par ces
seigneurs, et surtout les nécrologes ou obituaires du couvent !... Mais les
patriotes qui, en 1793, martelèrent les tombes armoriées en exécution d'une
loi barbare [Décret du 14 septembre 1793 ordonnant la destruction par les municipalités des
armoiries dans le mois qui suivra la publication. (DUVERGIER VI, 208). Décret
du 1er août 1793. (Id. VI, p. 80), portant la confiscation de toutes les
maisons qui porteraient des armoiries huit jours après la publication], brûlèrent les titres en exécution d'une autre loi plus
barbare encore [Décret du 17 juillet 1793. art. 6, (DUVERGIER, VI, p. 28 et 29) ordonnant le brûlement
en présence du Conseil de la commune des titres féodaux. L'art. 7 punit le
recel de cinq ans de fers]. Que leurs admirateurs posthumes applaudissent ! L'oeuvre a
Le dirai-je ?... Cette histoire m'avait tenté ; mais j'ai bien vite dit reconnaître qu'il fallait me borner à en rappeler quelques épisodes.
Pour commencer, je vais parler aujourd'hui de la fondation du couvent de Saint-François.
Les titres de l'évêque Rainaud me paraissent incontestables en fait ; en droit — un point de vue qui a son intérêt et que les adversaires de l'évêque n'examinent pas — la cause du baron de Pont est insoutenable.
Mais que le lecteur soit averti. Mon exposé sera long. Je vérifie toutes les citations, non sans peine quelquefois, non sans profit souvent. Or, on verra que dans cette affaire toutes les citations sont inexactes... Je ne dis pas fausses ; je n'accuse pas la bonne foi de mes prédécesseurs ; je les plains de leur trop de confiance. J'espère qu'on me pardonnera de m'être attardé à substituer le texte vrai à la citation erronée.
Deux
affirmations sont en présence :
1° Les frères mineurs, qui viennent de déposer le corps de l'évêque Rainaud à la première place de leur église, lui donnent le titre de fondateur ;
2° Un historien franciscain écrivant à Venise, trois siècles et demi après la mort de Rainaud, réserve le titre de fondateur au baron de Pont (Note : Nous verrons plus loin que l'historien n'affirme pas).
Je m'en tiens pour mon compte à l'affirmation des frères du couvent de Quimper.
Cela dit, examinons successivement ces deux questions : Quelle est la date de l'établissement des frères mineurs dans le couvent de Quimper ? Quel est le fondateur de ce couvent ?
La réponse
à la première question ne demande pas de grands développements : l'examen de
la seconde prendra plus de temps.
CHAPITRE PREMIER.
Date de
l'établissement des frères mineurs à Quimper.
Cette date est certaine : 1232 à 1237.
Au
commencement du XVIIème siècle, vivait à Quimper un magistrat nommé Jean
Beaujouan, conseiller du roi et procureur du roi près le présidial.
Le syndic des frères avait en mains les titres du couvent : c'était pour lui un devoir de les étudier. Nul doute que ce ne soit à cette époque (entre 1625 et 1640) que Beaujouan a écrit la notice latine dont je vais parler.
Cette notice a été retrouvée par Dom Plaine, bénédictin de Ligugé, au fond des Blancs-Manteaux (collection Baluze). Notre confrère, M. l'abbé Peyron, en a fait prendre une copie dont, il a fait don à la Société archéologique, qui l'a publiée [Bulletin de la Société XII (1885)].
Or,
Beaujouan a écrit (§ 2) : « On peut tenir pour certain que la construction du couvent fut commencée,
l'an du Seigneur 1233, par Révérend Père Rainaud, français,
Ces derniers mots se réfèrent au temps où Pierre Mauclerc exerçait l'autorité jusqu'à la majorité de son fils Jean Ier (1237), et non à la vie de Mauclerc qui mourut en mer d'une blessure reçue à la Massoure, en 1250.
Ainsi Beaujouan veut dire que la construction du couvent commencée en 1233 était achevée en 1237.
D'autre part, nous lisons dans la Gallia Christiana, qu'en 1228, le jour de Sainte-Catherine (25 novembre) Rainaud préparait son départ pour un pèlerinage à Saint-Nicolas de Bari. 1228 est une date dans l'histoire du monde chrétien.
Le 16 juillet de cette année, François d'Assise avait été mis au nombre des saints. L'Italie venait de voir non l'éclosion mais l'explosion de son Ordre. Fondateur de l'Ordre en 1210, approuvé en 1215, François avait vu, quatre ans après, rassemblés autour de lui, cinq mille frères ; et de 1219 à 1228 cette armée pacifique avait fait de nouvelles recrues.
Assise était presque sur la route de Raynaud. Comment n'aurait-il pas suivi la foule se précipitant vers la colline sur laquelle François avait voulu reposer ? Comment n'eût-il pas prié avec les pèlerins dans la basilique qui couvrait déjà le glorieux tombeau ? Comment, témoin des merveilles de foi et de charité accomplies par les humbles frères, l'évêque de Cornouaille n'aurait-il pas souhaité de les établir en son diocèse ? Cette pensée l'occupe pendant les longues journées. du retour. Mais comment réaliser le projet qu'il caresse ?
Il y avait à Quimper, nous dit Beaujouan, une maison de templiers (§ 3) avec une église placée sous le vocable de saint Jean-Baptiste et de sainte Madeleine, patrons ordinaires de l'Ordre. Les Templiers quittèrent cette maison, peu après la mort de Saint-François (§ 9), soit qu'ils se soient volontairement retirés, soit qu'ils aient cédé à la contrainte (§ 6). Les frères mineurs furent appelés à les remplacer, et c'est alors que l'évêque Raynaud bâtit l'église qui garda le vocable de sainte Madeleine (§ 3), et dans laquelle fut conservée, et avec grand soin, une image de saint Jean-Baptiste qui ornait la première église (§ 5).
Et remarquons-le : Le P. Gonzague, historiographe des franciscains, écrivant en 1580, avant Beaujouan, Wadding, annaliste des fransciscains, écrivant après ce Beaujouan (1703) sont d'accord avec notre compatriote sur la succession des frères mineurs aux templiers dans le couvent de Saint-François.
Voilà donc un fait bien établi : en 1232 ou 1233, après le départ des templiers, les frères mineurs ont pris leur place clans le couvent réédifié ou aménagé pour eux.
Mais réédifié par qui ? C'est la seconde question.
CHAPITRE II
Quel fut le fondateur des frères mineurs à Quimper ?
La tradition constante du couvent de Quimper reconnaissait le titre de fondateur à Rainaud, évêque de Quimper de 1219 à 1245. Cette tradition se fondait sur le texte suivant extrait du nécrologe du couvent : « 3 nonarum Maii obiit Reverendus Dominus Dominus Renaldus, episcopus corisopitensis, fundator hujus conventus pater et amicus fratrum, sepultus coram majori altari sub capsa lignea. A. D. M°. C°C° X L° quinto » [Le 3 des nones de Mai (5 Mai) mourut Révérend Seigneur Seigneur Rainaud, évêque de Cornouaille, fondateur de ce couvent, père et ami des frères, inhumé devant le grand autel dans une bière de bois. L'an du Seigneur mille deux cent quarante-cinq].
Cette
affirmation est répétée au Cartulaire de Saint-Corentin (n° 31. f° 1)
Elle a été
admise par un de nos vieux historiens de Bretagne, Bouchard (1532), d'Argentré
(1582) ou Le Baud publié Seulement en 1638. Je n'ai pas su retrouver ce passage
; mais
Pendant plus de trois siècles et demi aucun doute ne parait s'être élevé sur ce point. Mais, aux premières années du XVIIème siècle, le P. Gonzague qui fut, depuis, général des Cordeliers, fit imprimer à Venise son livre de Ortu et progressione Seraphici religionis ; et il écrivit en parlant du couvent de Quimper : « Magnificus Baro à Ponte ab omnibus affirmatur fundator ». « Tout le monde dit que le Baron de Pont fut fondateur du couvent » [Note : La seigneurie de Pont est souvent rangée au nombre des baronnies d'ancienneté. Cependant, à la fin du XVème siècle, Hélène de Rohan, veuve de Pierre de Pont, tué à Saint-Aubin-du-Cormier (1488) et tutrice de Jean (III du nom), sollicita l'érection en baronnies des seigneuries du Pont et de Rostrenen réunies aux mains de son fils. Le baron de Pont et Rostrenen dut prendre place aux Etats après les barons de Derval, Malestroit et Quintin, créés par Pierre II (1451) et François II (1480). — MORICE, Pr. III, col. 749 et 876].
Est-ce une affirmation de l'historien qui a vu la preuve du fait qu'il avance et qui s'en porte garant ? Non c'est le simple énoncé de ce qu'il a entendu dire. Eh bien ! Cette proposition impersonnelle, dont l'historien ne prend pas la responsabilité, va bientôt entrer dans la circulation par une citation, dont le premier après plus de deux siècles, j'établirai l'inexactitude ; et, de nos jours, elle sera présentée comme une vérité d'une certitude absolue.
C'est à peine croyable ; mais c'est ainsi ! Suivons la proposition du P. Gonzague clans ses évolutions successives ; et faisons à notre tour non un livre mais une notice de Ortu et progressione.... de cette citation.
Le P. Gonzague avait dit : « Tout le monde affirme que Le baron de Pont est fondateur du couvent ».
Tout le monde excepté les cordeliers de Quimper. En 1629, ils ont pour syndic Jean Beaujouan dont j'ai déjà parlé. Il attribue l'honneur de la fondation à Rainaud (§ 2) ; et plus loin, il écrit « C'est sans ombre de raison que quelques-uns ( non pas tous) ont prétendu attribuer la fondation au baron de Pont. (§ 23). » — C'est, n'en doutons pas, une réponse directe à l'assertion du P. Gonzague. Je reviendrai plus tard sur ce point avec quelques développements.
Albert Le
Grand, l'auteur des vies des Saints de Bretagne, a publié son Catalogue des Evêques,
en 1636. Au nom de Rainaud, il décrit la tombe de l'évêque dans l'église de
Saint-François, il publie le texte du nécrologe, et il ajoute : « Néantmoins,
le P. Gonzague, en son livre De Ortu et progressione Seraphici religionis,
dit que ce fut le Seigneur de Pont qui fonda le dit monastère. L'un et l'autre
peut-être et que concurremment l'Evêque et ledit du Pont aient fait ladite
fondation »
Comme on le voit, Albert Le Grand transforme l'expression dubitative du P. Gonzague en une affirmation. C'est en quoi sa citation est inexacte.
Dom Lobineau (1707) insère à ses preuves (col. 282-283) la mention du nécrologe et il écrit dans son histoire (p. 232) : « On jouissait d'une sorte de paix qui donna lieu à l'évêque de Quimper de fonder un couvent de Cordeliers dans sa ville. On prétend que les seigneurs du Pont-l'Abbé eurent part à la fondation de l'évêque de Quimper » (An. 1233).
Dom Morice (1750), tome I, p. 165, écrit : « Ce fut pendant la trêve que Rainaud, évêque de Quimper, fonda un couvent de Cordeliers dans sa ville. C'est le premier établissement que les religieux de Saint-François ayent en Bretagne, et auquel les seigneurs de Pont-l'Abbé contribuèrent par leur libéralité. ». L'auteur renvoie au nécrologe du convent. La note marginale porte la fondation à 1233.
Le savant M. Aymar de Blois a écrit dans son intéressante notice sur l'Eglise des Cordeliers, publiée en 1847, quand l'église tombait sous la pioche des démolisseurs : « C'est en 1232, d'après Albert Le Grand, que ce couvent fut fondé par Rainaud, évêque de Quimper. Le pieux évêque dut présider à la construction de l'église des Cordeliers... Rainaud y fut inhumé... ». Et M. de Blois cite la mention du nécrologe, la description de la tombe donnée par Albert Le Grand et la phrase : « Néanmoins, etc... », sans aucun commentaire.
En 1853,
M. de Blois écrivait dans la très savante notice sur Quimper, qu'il a insérée
au Dictionnaire d'Ogée : « Rainaud désira fonder un couvent (de Frères
mineurs) dans sa ville épiscopale. Quelques-uns prétendent que le seigneur du
Pont-l'Abbé participa à cette fondation » (Dictionnaire d'Ogée, V° Quimper, t.
II,
p. 422)
Enfin, on lit au tome XIV, p. 879 de la Gallia Christiana continuée par M. Haureau, publié en 1856 : « Raynaud commença en 1233 le couvent des Franciscains de Quimper ». L'auteur renvoie au cartulaire, n° 31, f° 1.
Après
cette rapide revue, sur cette question : Quel est le fondateur du couvent
recueillons les voix :
Les frères mineurs de Quimper, le cartulaire de Saint-Corentin, l'historien ancien cité par Hévin, Beaujouan, syndic du couvent, Lobineau, Morice, M. de Blois, la Gallia Christiana répondent unanimement : Rainaud ! Le P. Gonzague : « On dit que c'est le baron de Pont » ; et Albert Le Grand, après avoir nommé Rainaud le premier, pose un point d'interrogation et écrit : « Peut-être les deux ». La majorité se prononce pour Rainaud.
Mais nous arrivons à 1877. Cette année, M. Le Men publie un savant livre : La Monographie de la Cathédrale de Quimper (Monographie, page 78 et suivantes).
Le premier, après six siècles et demi, l'auteur va résolument et de haute lutte enlever à Rainaud l'honneur de la fondation du couvent de Saint-François. Et pourtant M. Le Men aime et admire Rainaud, le fondateur de la belle église que M. Le Men étudie avec amour depuis vingt ans. Il regrette (et il a trop raison) que rien dans son église ne rappelle le souvenir de l'évêque Rainaud.
Pourquoi donc s'obstine-t-il à enlever au vieil évêque un rayon de sa gloire épiscopale ?... Faut-il le dire ? ... Oui, par respect pour la vérité. Parce que la tombe de l'évêque Rainaud, élevée à l'entrée de la chapelle absidale, vers le sud, à la place qu'avait indiquée hypothétiquement M. de Blois (de Morlaix) en 1820, fournissait une date certaine pour la construction de cette partie de l'église...
Le parti de M. Le Men est pris : il faut que la tombe ait été là ! Mais l'acte du nécrologe la place aux Cordeliers... M. Le Men va démontrer que cet acte est erroné sinon mensonger, quand il donne à Rainaud le titre de fondateur des Cordeliers. Voilà la thèse !
Eh bien ! je le dis tout de suite : supposez la fausseté de l'acte démontrée, M. Le Men aurait aujourd'hui à écarter une autre autorité, la notice de Beaujouan ; mais M. Le Men ne prévoyait pas, en 1877, que cette notice serait découverte en 1883.
L'acte du
nécrologe, dit M. Le Men, n'a que peu d'importance et pour deux raisons
1° Il a pu être inscrit longtemps après la mort de Rainaud. Supposition gratuite et à mon sens très invraisemblable. Remarquez-le, en effet : le cahier que les frères mineurs ou leur copiste du XVIème siècle ont nommé nécrologe n'est pas un registre de sépultures comme ceux que dressaient les curés des paroisses ; ce n'est pas non plus un registre des décès comme ceux tenus aujourd'hui par les maires ; c'est un obituaire, c'est-à-dire le registre des commémorations et obits que les frères mineurs devaient célébrer. C'est pourquoi les décès ne sont pas inscrits dans l'ordre des années qui n'importe pas à l'office des frères, mais dans l'ordre des jours de l'année. Le nécrologe ayant le caractère d'obituaire, c'était pour les frères un devoir de conscience que de faire les inscriptions au jour même où les prières étaient demandées. Différer ces inscriptions ç'aurait été différer les messes et services à célébrer.
2° Le texte contient une erreur. Rainaud n'a pas été fondateur des Cordeliers, témoin le texte du P. Gonzague, et l'aveu de Pont (l'abbé) conservé aux archives du Finistère.
Nous examinerons tout à l'heure ces titres, mais il faut démontrer la témérité de ce raisonnement. Quoi ! de ce que l'acte des Cordeliers ferait erreur en donnant la qualité de fondateur à Rainaud, il faudrait admettre qu'il fait erreur sur tout le reste... Surprenant raisonnement ! — ai-je déjà dit ailleurs. Pour le juger, transportez-le dans notre vie usuelle. Supposez un maire qui, dans un acte de décès, aura donné à un homme une qualité qui ne lui appartenait pas, prêtre, magistrat, n'importe ! Qui donc oserait dire que cette erreur, qui ne touche pas au fond de l'acte, « doit rendre suspect le reste » de l'acte ?... Voilà ce qu'a dit M. Le Men seul jusqu'ici.
J'ai dit : M. Le Men seul. Oh ! je sais bien qu'il a essayé de se donner Albert Le Grand pour second dans sa lutte contre le nécrologe des frères mineurs ; vérifions ce point.
M. Le Men
relate la mention du nécrologe copiée par Albert Le Grand ; et il ajoute : «
Albert Le Grand y relève lui-même une erreur », en ce qui touche la fondation
; et il cite la phrase : « Néanmoins le P. Gonzague.... dit que ce fut le
seigneur du Pont qui fonda ledit monastère ». Citation inexacte, nous le
savons, et qui prête à Gonzague une affirmation que Gonzague n'a pas énoncée.
Mais M. Le Men arrête là sa citation d'Albert Le Grand, il fallait continuer
et écrire : « L'un
et l'autre peut-être ; et que concurremment l'évêque et ledit du Pont aient
fait ladite fondation »
Voilà la phrase d'Albert Le Grand lue non plus dans la Monographie de la Cathédrale ; mais dans le texte de l'hagiographe. Et voici sa pensée : A ses yeux Rainaud est fondateur ou seul ou peut-être avec le concours du baron de Pont.
Dans cette phrase rétablie en son entier, même avec la citation inexacte du P. Gonzague, comment trouver ce que M. Le Men s'est complu à en faire sortir : le redressement d'une erreur commise par les frères ? Albert Le Grand exprime une opinion qui est la sienne ; il en cite une seconde qu'il exagère et qu'il attribue inexactement au P. Gonzague. Tout au plus pourrait-on dire qu'A!bert Le Grand hésite entre les deux opinions. Aller au-delà lui était impossible. Pourquoi ?.. Parce qu'il avait sous les yeux ce que n'a pas vu M. Le Men (et c'est une faute en critique historique) ce que j'ai publié le premier depuis 1603, et ce que je vais vous montrer : le texte du P. Gonzague... Mais n'anticipons pas.
Passons en revue dans l'ordre des dates les trois actes mis au procès par M. Le Men : 1° la mention du nécrologe, incriminée ; 2° le texte du P. Gonzague ; 3° l'aveu de Pont-l'Abbé.
1.
Mention du nécrologe. — On n'a pas le droit de supposer, je crois l'avoir démontré,
que cette mention n'est pas contemporaine du décès. La copie même est plus
ancienne que ne le supposait M. Le Men [Elle
a par conséquent un plus haut caractère de véracité (art. 1335 du Code
civil)
Mais, ce qui importe bien davantage, cette inscription n'est pas isolée : elle serait, s'il était nécessaire, corroborée par nombre d'autres.
En 1266, vingt et un ans après la mort de Rainaud, les frères inhument dans leur église Guy de Plonévez. Remarquez qu'à ce moment des témoins de l'inhumation de Rainaud vivent encore, et ils voient déposer le second évêque auprès de son prédécesseur, à droite et du côté du cloître.
M. Le Men reconnaît ce fait que lui avait révélé une citation incomplète (encore !) de Guy de Missirien ; mais M. Le Men n'avait pas lu dans son contexte la mention du nécrologe. La voici :
4. Iduum Iulii obiit Reverendus Dominus Dominus Guydo, episcopus corisopitensis, pater et amicus fratrum minorum, sepultus coram majori altari juxtà Dominum Renaldum, à parte clausterii ; anno Domini M. CCCC° II° (1402) (Aux Ides de Juillet mourut Révérend Seigneur, Seigneur Guy, évêque de Quimper, père et ami des frères mineurs, enterré devant le grand autel près de Seigneur Rainaud, du côté du cloître. An du Seigneur. M. CCCC° II°).
— « 1402 ! dit M. Le Men, mais la date est erronée : la date vraie est 1266 ! — et il s'empare de cette erreur pour prouver que le nécrologe est plein d'erreurs.
La réponse
est bien simple. La date a été écrite en chiffres romains. Ecrivons l'une au-dessous de l'autre les deux dates 1266. — MCCLXVI
et 1402.
— M CCCCII
Mais voici d'autres inscriptions.
Ces inscriptions sont empruntées non à une copie du nécrologe, mais au dernier nécrologe existant en original aux archives de la mairie de Quimper, oit M. Le Men aurait pu (je devrais dire : aurait dû) en prendre connaissance.
Elles sont postérieures à l'édition du P. Gonzague (1603). Les voici dans l'ordre des dates :
« 30 juillet 1681. Ce jour fut inhumée dans notre
choeur, proche des évêques, Mme de Keraneizan »
« 10 mai 1722. Ce jour fut inhumé dans notre église, dans le caveau qui joint le marchepied du grand autel, où ont été enterrés deux évêques, le corps de feu écuyer Charles Dondel, seigneur du Parc et de Treffrest, conseiller du Roi, sénéchal de Cornouaille... ».
« 21 janvier 1725. Ce jour a été inhumé dans notre église,
dans le caveau qui joint le marchepied du grand autel où ont été enterrés deux évêques, le corps de feu père Guillaume de
la Croix, gardien.... »
« 19 février 1766, Mathieu Merle, Sr. de Penguilly, a été inhumé dans la tombe au-dessous de celle des évêques ».
Resterait-il un doute sur la sépulture de deux évêques dans le même caveau du choeur ? ... Une constatation matérielle faite de nos jours va le dissiper.
En 1845, sur les indications ci-dessus, le chapitre demanda qu'on ouvrit la tombe dite des Evêques ; et, le caveau ouvert, que vit-on ?... M. de Blois, témoin oculaire, va répondre : « Le caveau, au milieu de sa profondeur, était coupé par un rang de traverses en fer que l'état du métal ne permettait pas de rapporter à une époque très éloignée. Au-dessus de ces traverses on a trouvé deux squelettes bien conservés, au-dessous des ossements fort altérés par le temps. Ces circonstances s'accordaient exactement avec les indications sur lesquelles on avait entrepris les fouilles »... (Note : Ces lignes ont été publiées, peu après les fouilles opérées, dans la Revue armoricaine, 1817. L'église des Cordeliers de Quimper). Les deux squelettes bien conservés étaient ceux du sénéchal et du gardien, dormants là depuis 123 et 120 ans ; au fond, les fragments d'ossements étaient à gauche ceux de Rainaud, à droite ceux de Guy de Plonévez, déposés en ce lieu six siècles auparavant.
Les actes
que j'ai mentionnés ci-dessus étaient à la disposition de M. Le Men ; la
constatation de 1845, faite publiquement, a été publiée par M. de Blois.
Comment, après ces preuves amoncelées, M. Le Men a-t-il pu imprimer en 1877 : «
Guy de
Plonévez fut enterré devant le grand autel... C'est sa tombe qui a été indiquée à Albert Le Grand comme étant
celle de l'évêque Rainaud... La tradition du couvent a dû s'égarer au sujet de la sépulture de ces deux prélats... ». Ici je suppose
trois de mes lecteurs constitués en tribunal pour juger cette question : «
Rainaud a-t-il été inhumé aux Cordeliers ? ». J'ai donné lecture des pièces : je vais entamer ma plaidoirie.
N'entendrai-je pas cette parole qui résonne aux oreilles d'un plaideur comme
une douce musique : « La cause est entendue ». Ce qui veut dire : « Inutile
de plaider ; vous avez trop raison »
Mais voilà
que dans l'audience un homme se lève, que n'a pas connu M. Le Men : il a été
conseiller au présidial de Quimper et procureur du Roi au siège ; il a été
procureur des cordeliers ; il sait à fond l'histoire du couvent et aussi le
droit féodal. Il demande à fournir quelques renseignements. Je me tais très
volontiers et Jean Beaujouan prend la parole : § 8. «
On voit dans l'église sur une tombe basse l'image gravée en creux d'un évêque avec le bâton pastoral, la mitre
et les ornements pontificaux ; sur cette tombe est gravée cette épitaphe en deux vers latins :
"Ici sont
les restes d'un Révérend Evêque.
Quel est
cet évêque ? direz-vous... Attendez. Le témoin va s'expliquer. § 12. «
J'ai parlé plus haut du tombeau de Rainaud. Son
Vous avez
déjà rapproché ces deux citations des deux actes du nécrologe, et vous me
criez, non sans impatience : « La cause est entendue ! »
M. Le Men avait dit : « De ce que les frères mineurs font erreur en attribuant la fondation du couvent à Rainaud, on peut conclure qu'ils se trompent en ce qui touche son inhumation au couvent ».
Ce raisonnement me semblait absolument inacceptable. Mais maintenant vais-je dire : « Les frères ne sont pas dans l'erreur sur l'inhumation de Rainaud, donc ils ne se trompent pas en lui attribuant la fondation ». Assurément non ! Ce serait mériter le reproche que je me croyais en droit d'adresser à M. Le Men. Je me contente de dire : « — Puisque les frères ont dit vrai en ce qui concerne l'inhumation, pourquoi n'auraient-ils pas dit vrai en ce qui concerne l'attribution de fondation ? ». Je pense que ma question peut être très légitimement posée au point de vue logique.
Examinons maintenant les preuves qu'apporte M. Le Men en faveur de la fondation par le baron de Pont, c'est-à-dire le texte du P. Gonzague et le texte de l'aveu de Pont. Mais lisons ces deux pièces non dans M. Le Men, mais dans les actes originaux.
Nous rechercherons le degré de foi que ces écrits présentent en fait, et ensuite, à propos de l'aveu de Pont, nous examinerons une question de droit féodal, que M. Le Men n'a pas examinée, et dont la solution certaine met en pièces toute sa théorie en faveur du baron.
2° Texte
du P. Gonzague. — «
Le célèbre P. Gonzague depuis général de son ordre ...
chargé de recueillir les tradition
authentiques des divers couvents ... rassembla des renseignements de tous les
points de l'Europe et les consigna dans son grand ouvrage De Ortu et progressione Seraphici Religionis.
Il écrivait vers 1580 ... avant que les
guerres religieuses n'eussent détruit ... un nombre considérable de pièces
conservées ... dans les archives des grandes familles ou des maisons ... »
(Dom PLAINE. Essai historique sur le culte du B. Charles de Blois. p. 37 et
38)
L'ouvrage du P. Gonzague a été imprimé à Venise en 1603 (Ex typographia Dominici Imberti) ; il est devenu rare : je l'ai vainement cherché en Bretagne. Les pères Capucins de Paris en possèdent un exemplaire ; et ils ont très gracieusement autorisé une main complaisante à copier la courte page que le P. Gonzague a consacrée au couvent de Quimper.
M. le Men n'avait pas pris la peine de chercher le texte du P. Gonzague ; il s'était contenté d'en lire une phrase inexactement citée par Albert Le Grand. Impardonnable imprudence ! et qui a reçu son châtiment. Si M. Le Men avait lu le P. Gonzague, cet historien des Cordeliers n'aurait pas été pour lui une autorité. Le P. Gonzague est très mal informé ; et chose piquante ! C'est M. Le Men lui-même qui va vous démontrer toutes les lourdes erreurs du P. Gonzague. Je ne puis mieux faire que de lui laisser la parole.
Voici, phrase par phrase la traduction du P. Gonzague avec les réfutations de M. Le Men :
- 1° «
Dans la ville de Corizopitum, nommée vulgairement Kemper, et sur l'emplacement du château du fondateur de
- 2° « Or, l'éminent et magnifique baron, seigneur de Pont, très attaché à notre Ordre, est, de l'avis de tous, le fondateur du couvent ». De l'avis de tous, sauf des Cordeliers qui, dans leur nécrologe, affirmaient, le contraire peu après la fondation.
- 3° « L'église du couvent fut d'abord consacrée sous le vocable de saint Jean-Baptiste ; et on dit que les templiers l'eurent pendant quelque temps en possession ».
- 4° « Plus tard, en l'an du Seigneur 1232, elle fut consacrée sous le vocable de Marie-Madeleine, par le Révérend René, évêque de Quimper, élevé dans le couvent ». Double erreur, dit M. Le Men. L'évêque Rainaud (Renaldus) n'est nulle part nommé René (Renatus), il était français et c'est de la cour de Philippe-Auguste qu'il vint occuper le siége de Quimper.
- 5° « Il eut pour successeur dans l'épiscopat Guy (de Plonévez) qui fut inhumé à Vannes ». Double erreur : Guy ne fut pas le successeur immédiat de Rainaud M. Le Men place entre eux Hervé de Landeleau (1245-1260), et il admet sans difficulté que Guy a été inhumé aux Cordeliers.
- 6° « Au même temps florissait frère Jean Discalcéat, compagnon de notre patriarche François, qui mourut dans le couvent ; sa tombe s'élève dans la chapelle de Saint-Antoine, entourée d'une grille de fer ». Double erreur : Jean Discalcéat ne fut ni compagnon de saint François, ni contemporain de Guy de Plonévez. M. Le Men nous apprend qu'il naquit en 1280, 54 ans après la mort de saint François et 14 ans après celle de Guy : il entra au couvent en 1316, 40 ans après la mort de Guy, pour mourir victime de son dévouement en 1349.
- 7° « Ceux qui sont pris de maux de tête introduisent la tête sous le tombeau et se retirent guéris ».
- 8°
« On
voit dans le couvent le chef de Saint-Turius évêque de Corisopitum ». Erreur
: Saint Turius (ou sans doute saint Thurial [Note :
Beaujouan dit Thurianus (Thurian ou Thurial), qu'il nomme évêque de Dol (et
non de Quimper)] ne figure pas dans la liste des
évêques dressée par M. Le Men.
Résumons
cette notice et, en regard des affirmations du P. Gonzague, mettons l'avis de M.
Le Men :
1° Le
couvent est sur l'emplacement du château de Gralon. — Non.
2° Le
baron de Pont est, dit-on, fondateur du couvent. — Oui.
3° L'évêque
se nomme René. — Non.
4° Il a été nourri dans le couvent. — Non.
5° Il
eut pour successeur Guy. — Non.
6° Guy
fut inhumé à Vannes. — Non.
7° Jean Discalcéat fut compagnon de saint François. — Non.
8° Il fut contemporain
de Guy. — Non.
9°
Saint Turius fut évêque de Quimper. — Non.
Ainsi, sur neuf affirmations du P. Gonzague, huit ont été d'avance réfutées par M. Le Men, qui ne savait pas battre en brèche le livre du P. Gonzague. Reste la neuvième qu'adopte M. Le Men, la fondation par le baron de Pont.
Si M. Le Men avait lu le P. Gonzague et l'avait surpris huit fois en flagrant délit d'erreur certaine, aurait-il eu la même foi imprudente dans sa neuvième proposition ? D'une erreur (prétendue) commise par les frères mineurs, M. Le Men a conclu qu'ils avaient commis une seconde erreur. De huit erreurs certaines relevées par M. Le Men dans le P. Gonzague, M. Le Men aurait-il conclu à la certitude du P. Gonzague sur un neuvième point ? — Assurément non ! Donc M. Le Men a eu grand tort de ne pas chercher le livre du P. Gonzague.
— «
Mais, me dit-on, M. Le Men a dit croire que le P. Gonzague n'affirmait pas
sans preuve. — Songez ! un si savant homme, que la famille de saint François
a choisi parmi des milliers de frères comme le plus digne d'écrire l'histoire
de l'Ordre, et qui sera un jour général des Cordeliers ! »
Oui, le P. Gonzague était très savant ; mais un savant ne peut tout savoir. J'ajoute qu'il était très prudent, et qu'il n'affirmait pas ce dont il n'avait pas la preuve. Or, la preuve de la fondation par le baron du Pont n'était pas clairement faite pour lui. Relisez-le plutôt : « Dominus à Ponte... ab omnibus affirmatur fundator ». Mot à mot : « Le seigneur du Pont est par tout le monde affirmé être fondateur du couvent ».
J'oserais presque dire : affirmé par tout le monde ... excepté par le P. Gonzague. Je veux dire que le P. Gonzague semble énoncer une opinion générale, dont il ne prend pas la responsabilité, parce qu'il trouve apparemment la preuve insuffisante.
Eh bien ! cette opinion générale sur quoi se fondait-elle ? M. Le Men n'en savait rien. Le P. Gonzague le savait : il ne nous l'a pas dit ; mais Jean Beaujouan nous le révèle. Ecoutez la raison, je me trompe, le prétexte de cette opinion qui, d'après Beaujouan, remarquez-le, n'est pas celle de tout le monde, mais au contraire de quelques-uns ; et en même temps pesez l'objection du procureur du couvent conseiller et procureur du Roi, versé dans le droit féodal.
Au début
(§ 2), Beaujouan a dit : « Il est certain (constat) que Rainaud est
fondateur du couvent ». Il énumère quelques familles nobles ayant des sépultures
dans l'église, notamment les vicomtes du Faou, et il ajoute : § 22. « Pétronille de Rochefort, femme du vaillant Hervé, baron de Pont, choisit
par testament sa sépulture auprès de celle de son époux, le 3 des calendes
d'août 1383
»
Que vous semble de la réponse en fait. « Parce que vous avez une tombe, baron de Pont, on réclame pour vous la fondation ! Mais les vicomtes du Faou (ramage de Léon) bien plus grands seigneurs que vous, ont aussi leur tombe élevée, dans laquelle l'un d'eux revenant vainqueur du tombeau du Christ, s'est couché en 1397 ; ils ne se targuent pas du titre de fondateurs !... ». La réponse piquante en fait effleure la question de droit à laquelle nous viendrons plus tard.
A qui s'adresse l'observation de Beaujouan ? .... Au P. Gonzague : n'en doutez pas. Jean Beaujouan répond à la phrase que j'ai copiée et traduite plus haut.
Beaujouan écrivait après 1629. Le livre de Gonzague imprimé en 1603 était dans la bibliothèque du couvent. Le baron de Pont y est indiqué comme fondateur ; Rainaud, le père et l'ami des frères, leur hôte depuis quatre siècles à la place d'honneur, la première de toute l'église, à gauche au pied de l'autel, est destitué par Gonzague du titre de fondateur sous lequel les frères vénèrent sa mémoire. Cette opinion nouvelle fait scandale au couvent ; et Beaujouan écrivant sa notice pour le couvent et sur des documents que nous n'avons plus, restitue son titre à l'évêque ; et proteste contre la tardive usurpation tentée au profit du baron de Pont.
Donc une affirmation dénuée de preuve, démentie par le nécrologe, contraire à la tradition du couvent, voilà ce qu'il y a dans la phrase sagement prudente du P. Gonzague.
L'opinion
rapportée par le P. Gonzague n'a pas fait fortune, si l'expression m'est
permise, même dans la famille franciscaine. Réfutée par Beaujouan, elle
n'est pas acceptée sans restriction par Wadding, l'auteur des Annales
Franciscaines. Il écrit
(sans doute sous la date de 1232 ou 1233) : «
Ce
qu'il y a d'absolument certain sur ce point c'est que l'église des templiers
qui avait d'abord le vocable de Saint-Jean-Baptiste, fut rebâtie et consacrée
sous le vocable de Sainte-Marie-Madeleine, cette même année, par l'évêque de
la ville que Gonzague nomme René .... etc. »
Dire que
l'église fut rebâtie par Rainaud n'est-ce pas dire que Rainaud fut le
fondateur de l'église bâtie sur le fief de Saint-Corentin.
Quelques lignes plus haut Wadding avait écrit : « On ne sait pas d'une manière certaine en quelle année le magnifique baron de Pont aménagea pour les frères mineurs le couvent de Sainte-Marie-Madeleine ».
D'après Wadding, il ne s'agirait pas d'une fondation nouvelle, mais de réparations faites au couvent des templiers pour qu'il pût recevoir ses nouveaux hôtes, les frères mineurs.
Ainsi reconstruction de l'église par Rainaud ; — aménagement de l'ancien couvent, par le baron de Pont ; — voilà ce que nous apprend Wadding.
Après avoir rappelé les erreurs dont fourmille la notice de Gonzague, vais-je conclure à une autre erreur, en ce qui concerne la fondation par le baron du Pont ? Le texte de Wadding m'en donnerait presque le droit. Mais je ne risque pas de ces conclusions hâtives. Je me contente de poser ici un point d'interrogation. je doute, c'est mon droit ! et, avant de me décider pour le baron de Pont, je demande d'autres preuves ; ce n'est pas trop demander.
M. Le Men avait prévu cette légitime exigence. Il cite en preuve l'aveu de la baronnie de Pont-l'Abbé du 29 septembre 1732.
3° Aveu de Pont-l'Abbé.— Cet aveu, unique aux archives du Finistère, est bien jeune de date : il est de 1372 ; mais il supplée en partie aux aveux plus anciens qui nous manquent ; il relate des minus fournis aux ducs en 1480, 1494 et 1538. (Note : Mais ces aveux ne mentionnaient pas les prééminences ; l'usage de les mentionner ne s'est introduit qu'à la fin du XVIème siècle. Hévin, questions féodales, n° 11, p. 187 ; n° 19, p. 317). Ce curieux document copie textuellement l'énoncé des droits anciennement réclamés en rajeunissant un peu le langage des anciens titres.
M. Le Men
en a cité onze mots ; mais il faut lire l'article auquel il nous renvoie :
c'est l'article des prééminences. Le baron s'exprime ainsi (f° 18, r°
et v° ; 19, r° et v°). « Droit
de prééminences primitives et supériorité, patronage et
fondation de toutes les églises, chapelles et hôpitaux de la ville de Pont et de la trève de Lambourg, qui consiste en ce
qui suit (Enumération des chapelles de Pont-l'Abbé et Lambourg). - de
Loctudy, Plonivel, Treffiagat, Tréoultré
M. Le Men n'a copié que les onze mots ci-dessus soulignés, omettant non intentionnellement (j'en suis sûr), mais très inopportunément, les mots joignant le balustre, qui ont quelque intérêt dans la discussion de droit, en ce qu'ils placent la tombe des barons de Pont au-dessous de celle de Rainaud, en lieu moins éminent. Nous viendrons à cela plus tard.
Or, pour
avoir le sens vrai de l'article, il faut lire non seulement le membre de
phrase où se trouvent les mots soulignés, mais les deux phrases entières. Que
disent-elles
Dans la première, le baron de Pont affirme son titre de fondateur et supérieur de toutes les églises comprises dans son fief. Rien de mieux ! Il en est seigneur supérieur en qualité de haut justicier et (comme nous le verrons) il est, dès lors, présumé fondateur, jusqu'à preuve contraire.
Mais il réclame les mêmes droits aux Cordeliers de Quimper. En ce qui concerne la supériorité, l'erreur est évidente. En effet, à supposer que le baron de Pont démontrât son titre de fondateur, il n'était pas supérieur, et pour une bonne raison : c'est que le couvent est hors de son fief et de sa justice. En effet, connue dit Hévin, la supériorité n'a rien de commun avec le titre de fondateur (Questions féodales, p. 159) ... mais elle est un effet de la seigneurie et de la justice féodale (Questions féodales, p. 167).
Le couvent des Cordeliers était situé dans la ville close de Quimper au fief de l'évêque ; donc l'évêque et pas un autre y avait la seigneurie de supériorité, et elle ne pouvait appartenir au baron de Pont.
Donc la déclaration est erronée en ce qui concerne la supériorité. Et en ce qui concerne la fondation ?... L'évêque comme seigneur supérieur est présumé fondateur jusqu'à preuve contraire, il faudra que le baron fasse contre lui preuve de sa fondation (Questions féodales, p. 169). Comment devra-t-il faire cette preuve ? C'est ce que nous verrons.
En attendant, je demeure convaincu que cette phrase contient une erreur de rédaction ; — que la première phrase devait finir après le mot Combrit ; — et que ce qui concerne l'église des Cordeliers devait être transporté dans la phrase suivante où il est question des prééminences à Saint-Corentin et à Notre-Dame-du-Guéodet en la ville de Quimper.
Si
j'avais eu à résumer les droits du seigneur de Pont dans les églises j'aurais
écrit :
« Le baron
est seul fondateur supérieur et premier prééminencier des églises,
monastères, couvents, chapelles, chapellenies et hôpitaux dans la ville
de Pont et dans les neuf
Cette phrase que je marque de guillemets, je n'ai pas eu de peine à la construire ; c'est le baron de Pont lui-même qui me l'a fournie : elle est au folio 3 r° de l'aveu de 1732.
Comme on
le voit, cette phrase est en contradiction avec les phrases écrites aux folios
18 et 19. Me dira-t-on que cette déclaration venue la dernière corrige une déclaration
reconnue insuffisante
Non, puisque l'acte ne porte aucune mention de rectification.
En tout cas, ne pensez-vous pas que M. Le Men, au lieu de citer onze mots choisis par lui dans l'aveu de Pont, aurait mieux fait de nous donner à choisir entre les deux versions du baron ? Je ne doute pas que, si les lecteurs de la Monographie de la Cathédrale avaient eu sous les yeux la première et la seconde déclaration, ils n'eussent été disposés à voir dans la seconde une faute de copie par transposition de mots.
C'est en effet ce qu'il y a au f° 19 de l'aveu ; et la discussion de la question de droit ne laissera aucun doute à cet égard.
J'ai fini de l'examen de la question en fait. Le lecteur ne trouvera-t-il pas que j'ai trop insisté ? Mais cette insistance n'est-elle pas excusée ? n'était-elle pas commandée par le caractère du livre que je combats, livre de science, de longues et patientes recherches, livre qui fait autorité ? Je demeure convaincu que M. Le Men, s'il avait eu sous les yeux Beaujouan, aurait. rectifié les pages 78 à 82, qui déparent la Monographie de la Cathédrale.
CHAPITRE III
La
question de droit.
Avant d'entamer l'examen de cette question, il faut s'entendre sur le sens exact du mot fondateur.
« Les fondations sont, dit Denisart, les donations ou legs qui ont pour objet l'établissement d'une église, d'un collège, d'un hôpital, d'une communauté religieuse, ou qui sont faits à des communautés ou églises déjà établies à la charge de prières ou de quelque autre oeuvre pie ».
L'auteur écrivant au dernier siècle parle comme à son époque : s'il eut écrit au XIIème ou XIIIème siècle, il aurait surtout signalé le droit de sépulture dans les couvents comme la cause la plus ordinaire de la fondation. « Les moines, dit Lobineau, ne vendaient pas le droit d'enfeu ; mais on avait si grande confiance en leurs prières qu'on se portait facilement à une donation pour obtenir l'avantage d'être enterré dans les couvents (p. 73) ». « Le XIIème siècle a été, dit-il plus loin, plus fécond en fondation qu'aucun autre (p. 202) ». Lorsque l'usage des armoiries se généralisa, les graver sur la tombe du défunt parut aussi naturel et aussi simple que d'y mettre son nom. C'est ainsi que les armoiries s'introduisirent dans les églises. Par la suite les fondations faites d'abord à titre purement gratuit, furent faites à la charge de certains droits dits droits honorifiques, prééminences, préséances, comme une vitre, un écusson, un banc armorié.
Le fondateur est celui qui fait une fondation, un legs ou une donation dont nous venons d'indiquer le but et les conditions.
Voilà le sens général du mot fondateur ; mais ce mot avait autrefois une autre sens plus restreint, et qu'il faut expliquer parce qu'il est aujourd'hui hors d'usage et parce que c'est en ce sens spécial que le baron de Pont est dit « fondateur du couvent de Saint-François ».
On voit souvent dans les vieux titres ces deux mots accolés fondateur et patron. Ces deux expressions sont synonimes sauf que le patron a le droit, qui n'appartient pas au simple fondateur, « de présenter à l'ordinaire une personne capable de recevoir le bénéfice attaché à l'église ou à la chapelle » (Ferrière, Dictionnaire de droit, p. 456).
Il n'y avait pas de bénéfice attaché au couvent des cordeliers, par conséquent pas de patron. Laissons donc de côté les droits spéciaux du patron et ne voyons que ceux qui compétaient au fondateur.
Le fondateur jouissait dans l'église qu'il avait dotée, fondée ou construite de droits honorifiques que les auteurs nommaient les grands droits honorifiques (Denisart, Droits honorifiques, p. 31 et 32).
Je les ai omis volontairement dans l'énumération que j'ai donnée plus haut parce qu'ils ont une toute autre importance.
Ces droits sont le droit de litre ou de ceinture funèbre autour de l'église, la recommandation nominale aux prières, le droit d'être encensé seul ou séparément, le droit de banc et sépulture au choeur au lieu le plus éminent, et les écussons en supériorité à la vitre-maîtresse.
Quand les titres auront péri (c'est le cas le plus ordinaire) la jouissance de ces droits démontrera l'existence du droit de fondateur.
Nous avons vu que le couvent des frères mineurs étant situé au fief de Saint-Corentin, l'évêque, en tant que seigneur haut justicier, y avait la supériorité ; et que, seigneur supérieur, il était par là même présumé fondateur [Note : Le droit de supériorité est tel que le fondateur ne peut avoir de prééminences sans la permission du seigneur supérieur (Hévin, Questions, p. 188)].
Cette présomption
est prise dans la nature des choses. L'évêque est le seigneur du sol sur
lequel l'église repose :
Toutefois, le baron de Pont pourrait avoir acquis le titre de fondateur, « ou par la construction du couvent, ou par des conventions interposées lors de sa fondation » (Hévin, Questions féodales, p. 167). Mais la présomption étant contre lui, il devra établir son titre de fondateur, à l'encontre du droit présumé de l'évêque (Hévin, Questions féodales, p. 3, 49, etc.).
Comment faire cette preuve ? — Par la production du titre primordial, dit la déclaration d'août 1539. C'est en réalité interdire la preuve puisque le titre ancien a presque toujours péri. Aussi, un mois plus tard, la déclaration trop rigoureuse sur ce point était-elle révoquée par lettres royales du 24 septembre (Hévin, Questions féodales, p. 167).
On pourra faire la preuve de la fondation, dit Hévin, « par une possession au moins de quarante ans, ou même par l'état des églises » (Hévin, Questions féodales, p. 168-169).
C'est à ce dernier point de vue qu'il faut nous attacher, car ce mode de preuve a été le plus ordinairement employé parce qu'il était le plus facile.
Hévin veut dire que la preuve de la fondation s'induira de l'existence « des marques et intersignes qui ne conviennent qu'aux seigneurs fondateurs comme la litre, lisière ou ceinture funèbre en dedans et en dehors, les armoiries aux lieux les plus honorables, les écussons en relief de même temps que la construction, les bancs et autres honneurs » (Hévin, Questions féodales, p. 169). Parmi ces autres honneurs il faut assurément comprendre les tombes élevées au lieu le plus éminent.
Il va sans dire que ces intersignes qui vont suppléer au titre primordial ne doivent avoir rien d'équivoque.
Or, le
baron de Pont, l'un des plus puissants seigneurs de Cornouaille, n'a aux
Cordeliers ni litre, ni écusson en relief, ni banc armorié. Il n'invoque (je
me trompe, on n'invoque pour lui)
qu'une vitre en supériorité est une tombe élevée au choeur. Ces intersignes
sont-ils une preuve suffisante
La vitre en supériorité du baron est-elle à la maîtresse vitre ? Non, puisqu'il ne le dit pas. Donc elle est insuffisante pour établir la fondation.
Nous avons du bien fondé de cette décision la preuve à Quimper même. L'écusson des Rosmadec brille à la cathédrale « en supériorité en plusieurs vitres » mais non à la maîtresse vitre où sont les armes de France et de Bretagne. Le marquis de Pont-Croix, héritier des Rosmadec, ne réclame pas le titre de fondateur (Aveu du 30 octobre 1730. Archives du Finistère).
Bien plus ! L'aveu du baron de Pont nous montre ce seigneur d'accord avec nous sur ce point de droit féodal. Il réclame la vitre en supériorité à Bannalec et à Rosporden, et cependant il ne réclame pas le titre de fondateur en ces deux églises.
Je dirai la même chose de la tombe élevée que possède le baron de Pont. L'aveu nous apprend que cette tombe touche le balustre du choeur (Circonstance que supprimait M. Le Men, avocat officieux du baron de Pont) ; donc elle n'est pas à la place la plus éminente due au fondateur de l'église. La place éminente c'est la plus voisine de l'autel à gauche, du côté de l'évangile. Cette place est occupée depuis 1245, par la tombe des Evêques, et une autre tombe au moins se place entre cette tombe et celle du baron du Pont, c'est la sépulture des Lezongar, seigneurs de Pratanraz, moindres seigneurs que les barons de Pont ; mais qui, au couvent de Saint-François, ont de bien autres prééminences (Note : Archives du Finistère. Procès-verbal dressé par Francis de Kergoët, sénéchal de Quimper, 19 août 1641. Une vitre au choeur, quatre tombes devant l'autel, un écusson sur un bénitier du cloître, la litre sur une chapelle, comme nous le verrons plus loin).
Ce n'est
pas tout : d'après le nécrologe, les seigneurs de Guengat, du Chastel, du
Treff (par. Saint-Evarzec) ont enfeu
En résumé,
le baron de Pont ne réclame pas un écusson en supériorité dans la maîtresse
vitre, il n'a pas de banc dans le chanceau, sa sépulture ne joint pas le grand
autel ; il n'a pas ce que Hévin nomme les honneurs du chanceau, on ne peut le
dire seigneur fondateur. « Cette conséquence, dit le vieux feudiste, saute aux
yeux »
Nul doute
que le baron de Pont, s'il eût été fondateur, n'eût invoqué le droit dont
les seigneurs se montraient si jaloux, la lisière ou litre, la ceinture funèbre
(Note :
Sur la litre, voir Ferrière et Denisart. Ces deux jurisconsultes protestent
vivement contre cet « indécent usage de faire porter à la maison de Dieu
des marques profanes de la noblesse des morts, comme s'ils avaient quelque
seigneurie sur les lieux saints... »). Voyez plutôt : Les
seigneurs de Pratanraz fondent la chapelle de N.-D.-de-Vertu ou N.-D.-des-Agonisants,
appuyée en appentis au mur nord de l'église des Cordeliers. Ils ont la litre
au-dedans et au-dehors autour de cette chapelle (P. V. cité plus haut, p. 33. Note
3)
Les
seigneurs du Juch sont fondateurs de la chapelle dite de leur nom qui forme
l'aile droite du choeur. Ils ont eu le droit de litre ; mais, par acte du 10
juin 1638, Amaury de Gouyon, marquis de la Moussaye, héritier des du Juch, a
vendu la baronnie à Sébastien, marquis de Rosmadec ; le droit de litre est
éteint [Note :
Le
droit de litre n'appartenait qu'à la famille du fondateur et ne passait pas à
l'acquéreur de la seigneurie (Ferrière, voir litre, p. 232). L'acquéreur
ne pouvait que faire effacer la litre peinte aux armes des anciens seigneurs (Denisart,
voir litre, p. 65)]. Mais vous allez voir comme le marquis démontrerait son titre de
fondateur, si quelqu'un était assez mal avisé pour le contester. Il prend
possession par mandataire le 5 octobre 1638. Le gardien du couvent, frère Jean
Durand, accompagné de plusieurs frères,
conduit le mandataire du marquis dans la chapelle du Juch, et lui reconnaît
le titre de fondateur ; il lui montre au milieu de la chapelle au pied de
l'autel, la tombe des seigneurs du Juch. élevée de trois pieds de hauteur,
longue de huit pieds, large de quatre, chargée de quatorze écussons aux armes
du Juch ; et la grande vitre au-dessus de l'autel parsemée des armes et
alliances de la maison du Juch... (Titres
des Cordeliers. Archives du Finistère)
Ainsi le nom de fondateur, la vitre maîtresse toute entière, la tombe élevée et chargée d'armoiries touchant l'autel, voilà des preuves certaines de fondation.
Mais qu'est-ce auprès de ces honneurs dans une chapelle prohibitive que l'écusson en supériorité du baron du Pont non dans la maîtresse vitre, que cette tombe au choeur mais non au lieu le plus éminent ? Des droits honorifiques simples que beaucoup d'autres seigneurs partagent aux Cordeliers avec le baron de Pont. Hévin, s'il l'avait consulté, aurait répondu au baron ce qu'il avait répondu au seigneur de Laval : « Les conséquences certaines et évidentes de vos droits honorifiques se produisent elles-mêmes et sautent aux yeux : vous n'êtes pas seigneur fondateur » (Hévin, Questions féodales, p. 45).
CONCLUSION
Est-ce à
dire que le baron de Pont resta étranger à la construction du couvent de Saint-François ? Parler ainsi ce serait nier l'évidence. Nous avons la preuve
que, comme les seigneurs du Juch, de Pratanraz, de Guengat et autres, le baron
de Pont doit être compris parmi les nombreux et insignes bienfaiteurs du
couvent. S'il n'est pas fondateur et premier prééminencier, il est fondateur
dans le sens large et originaire du mot, comme les autres seigneurs ayant enfeu
aux Cordeliers.
L'évêque Rainaud avait été intronisé en 1219. Il venait de France ; et, dit M. Le Men, « il avait pu admirer les merveilles du suite ogival dans les églises nouvellement élevées. Il trouve à Quimper une vieille église romane décrépite, et que le chapitre a de la peine à réparer (Note : Cela résulte clairement de l'abandon que l'évêque fait, en 1229, à la fabrique du revenu d'une année de toutes les églises à sa collation qui vaqueront autrement que par permutation. Cart. n° 31 f° 17 et n° 56 f° 1) ; et il entreprend d'en commencer une autre ; mais cette importante construction absorbera toutes ses ressources.
Pourtant, vers 1230, quand il revient d'Italie, il a conçu un autre projet. Il veut construire un couvent pour les frères mineurs. Comment se procurer de nouvelles ressources ? Le moyen est bientôt trouvé : l'évêque s'adressera au diocèse ; son appel sera entendu, comme sera entendue, six siècles après lui, la voix d'un de ses dignes successeurs implorant l'aumône d'un sou par personne dans le diocèse de Quimper dédoublé pour élever vers le ciel les flèches qui complètent la cathédrale commencée par Rainaud (Note : Mgr. Graveran a posé la première pierre des flèches en 1854. Il est mort le 1er février 1855, et les flèches ont été achevées sous son successeur, Mgr. Sergent. C'est le 10 août 1856 que Quimper les admirait pour la première fois débarrassées de leurs échafaudages. Ces flèches sont l'oeuvre de M. Bigot, de Quimper, architecte diocésain, qui avait pour maître maçon M. Pierre Nestour, de Quimperlé. La justice veut qu'on ne se lasse pas de rappeler ces dates et ces noms. Les flèches ayant pris la teinte de l'église semblent du même âge qu'elle. D'autre part, après trente ans à peine écoulés, on imprime que les flèches sont l'oeuvre de M. Viollet Le Duc, ou même que l'église toute entière a été rebâtie en 1858, sur les plans de M. Viollet Le Duc).
Nul doute que le baron de Pont, le plus grand seigneur de Cornouaille avec le vicomte du Faou, n'ait des premiers répondu à l'appel du prélat.
Pour
comprendre l'enthousiasme qu'excitait la création d'un couvent de Franciscains,
il faut se transporter par la pensée vers le milieu du XIIIème siècle. François
d'Assise était mort en 1226, seize ans seulement après la création de son
Nous sommes en 1232, et la Bretagne n'a pas encore de frères mineurs. La Cornouaille est tranquille. L'évêque de Quimper a sur son fief et dans sa ville un vaste espace récemment abandonné par les templiers ; on peut aménager le couvent et rebâtir l'église (Note : L'aménagement du couvent, la reconstruction de l'église, voilà qui semble ressortir du texte de Wadding cité plus haut, p. 25, § IV) ; jamais circonstances ne furent plus favorables.
La pensée
de l'évêque répond à un besoin du temps, et il suffit d'un mot de lui pour
provoquer des nombreuses fondations et des aumônes abondantes. Ce n'est même
pas une témérité de supposer que le Duc de Bretagne, qui avait une maison
dans l'enclos des frères mineurs [Note :
La maison fortifiée commencée par Guy de Thouars et qui, sur la protestation
de l'évêque, resta inachevée, bien que couverte. (1209)], contribua à l'édification du premier
couvent de Franciscains fondé en Bretagne. Du moins les armes de Bretagne se
voyaient-elles jusqu'au dernier siècle « sculptées » sur les piliers de la
porte principale [Note : Réponse
de l'Evêque à une plainte portée par le Sénéchal (Archives du Finistère)].
Les titres de ces premières fondations ont péri : ceux qui nous restent en trop petit nombre sont des XVIème et XVIIème siècles. Plusieurs nous montrent des bourgeois de Quimper faisant des fondations pour obtenir une tombe et un obit. Nul doute qu'au début il n'en ait été ainsi ; les seigneurs de Cornouaille et les riches bourgeois de Quimper ont rivalisé de zèle et de libéralité.
Seulement l'extrait du nécrologe qui nous reste n'a gardé que le nom des nobles, et voici pourquoi : c'est que l'extrait a été rédigé pour le P. Augustin du Paz, et en vue de de ses travaux généalogiques ; il n'avait besoin que des noms de familles nobles et il a omis les autres.
L'extrait nous donne du XIVème siècle au milieu du XVIème siècle les noms de quarante-deux seigneuries ayant enfeu au couvent de Saint-François. Il attribue les épithètes de bienfaiteurs insignes, d'amis particuliers, de fidèles amis de l'Ordre et du couvent à des seigneurs et dames du Faou, du Juch, de Coatanezre, de Langueouez, de Lezongar, de Lisiart, de Nevet, de Tyvarlen, de Rosmadec. du Vieux-Chastel. Marie de Tromelin, veuve d'Alain de Guengat, amiral de France, est nommée mère des frères mineurs (1547). Pétronille de Rochefort, dame du Pont, avait reçu, en 1383, le titre de fidèle amie ; un de ses descendants, Jean (III du nom), est plus d'un siècle après (1508) mentionné comme très affectionné au couvent.
C'est ainsi que les frères mineurs perpétuant le souvenir des bienfaits reçus par eux épuisent les expressions de la reconnaissance ; mais il y a un titre pourtant qu'ils ne donnent à aucun de leurs bienfaiteurs, parce que, dès 1245, les frères témoins de l'édification du couvent et de son église l'ont donné, une fois pour toutes, à l'évêque Rainaud : c'est le titre de FONDATEUR (J. Trévédy).
Nota : les photos réalisées en 2010 par Roger Frey sont la propriété du site infobretagne.com.
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