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LA PERSÉCUTION RELIGIEUSE SOULÈVE LES CAMPAGNES. — L'ŒUVRE DE SPOLIATION. — LA CHOUANNERIE DANS L'ANCIEN PORHOËT. — L'AFFAIRE DE COLLÉDO. — JOSSELIN GRENIER ET PLACE D’APPUI. — L'ATTAQUE DE TINTÉNIAC. — COMBAT DE LA VACHEGARE. — DERNIERS MOUVEMENTS INSURRECTIONNELS. — LE CHATEAU PENDANT L'ÉPOQUE RÉVOLUTIONNAIRE. — LES ROHAN PERDENT LEURS BIENS EN BRETAGNE.

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La Constitution civile du clergé fut la cause déterminante de tous les troubles qui agitèrent la Bretagne au début de la période révolutionnaire.

Cette atteinte à la liberté religieuse souleva l'indignation, bien plus que l'antipathie éprouvée pour le régime qui constituait alors, sous l'autorité royale, la consécration des privilèges et de l'inégalité sociale. La suzeraineté protectrice des ducs de Rohan n'avait jamais pesé aux habitants des campagnes et de la ville ; l'existence et les biens de ceux-ci avaient la plus sûre garantie dans la députation qu'ils exerçaient et dans le rang même qu'occupait aux Etats le comte de Porhoët.

Aussi, partant de cette situation acquise de paix intérieure, ne devons-nous pas nous étonner de voir qu'en 1788, les députés de Josselin aux Etats particuliers réunis à Rennes se séparèrent carrément de leurs collègues des quarante-deux villes qui demandaient, dans leur cahier commun de réclamations, l'égalité d'impôts, celle du Tiers aux deux autres ordres et le vote par tête.

Mais le bouleversement dans la discipline et la hiérarchie religieuse qu'amena le serment civique blessa au vif les sentiments les plus intimes de ces Bretons croyants et poussa parfois leur irritation jusqu'au paroxysme de la fureur.

A de très rares exceptions, tout le clergé du Porhoët refusa le serment ; la plupart des recteurs ou desservants se cachèrent, et avec l'aide de la population, parvinrent à échapper à la vengeance du Directoire départemental ; mais ceux qui, traqués de trop près, [Note : « Traqués » n'est pas trop fort et doit être pris à la lettre puisque Prieur ordonnait le 16 Brumaire an II : « Les troupes devront servir à faire la chasse générale aux prêtres réfractaires et aux nobles conjurateurs », Archiv. Nat. AF II] furent saisis, durent monter à l'échafaud, comme le chapelain des Forces et le vicaire de Guégon, Bertrand Carel, ou ne purent se soustraire à la déportation : le recteur de Trégranteur fut envoyé en Espagne, celui de Guéhenno à la Guyane, celui de Ménéac à l'Ile de Ré, etc. Bien peu abandonnèrent le pays pour s'enfuir en Angleterre comme le firent le doyen de Lanouée et tous ses vicaires.

Les prêtres jureurs, qui s'étaient assuré une sécurité relative d'un côté, la perdirent de l'autre ; les chouans ne voulaient pas parmi eux de schismatiques. Le prieur recteur de Brignac, qui eut la faiblesse de prêter le serment, fut tué trois ans après. En revanche, les paysans entendaient conserver leurs pasteurs fidèles et savaient au besoin les défendre au péril de leur vie. M. le Méé, recteur de Ménéac, avait été supplanté par un intrus. Celui-ci, devant la réprobation universelle, dut démissionner ; aussitôt le Conseil municipal, sur le vœu de la population, demanda au Directoire le retour de ses anciens prêtres, et comme il ne recevait aucune réponse, les rappela de lui-même, endossant toutes conséquences de cet acte courageux. Il s'en suivit le blâme, la cassation du Conseil municipal, mais rien ne fit varier les sentiments des gens de Ménéac ; le recteur et les vicaires, quoique condamnés de nouveau à l'exil, furent cachés par la population qui leur était si dévouée [Note : Nous reproduisons aux pièces justificatives une liste des prêtres du district de Josselin, poursuivis comme réfractaires. Ils y figurent au nombre de cinquante-quatre].

« En 1791, M. Allain, recteur de Notre-Dame et député du Clergé à l'Assemblée Nationale [Note : M. Allain, originaire du diocèse de Saint-Malo (né le 16 février 1743), avant d'être recteur de Notre-Dame du Roncier (1774) était entré dans la Compagnie de Jésus ; il en sortit lors de la suppression. L'estime publique le désigna au Clergé du diocèse, qui en fit son représentant aux Etats généraux. Pendant la Révolution, la déportation fut prononcée contre lui, et il se rétugia en Angleterre. Plus équitable à son égard que les autres gouvernements, Napoléon nomma le vénérable recteur à l’archevêché de Tournay lors de la publication du Concordat en 1801, et pendant une partie de l’année 1801 son nom figura sur la liste des nouveaux évêques, mais il finit par refuser cette dignité et n'accepta que le titre de vicaire général de Vannes. Il en remplit les fonctions pendant sept ans et mourut dans cette ville en 1809], refusa le serment de la Constitution civile et fut imité par MM. Grumelec, de Sainte-Croix ; Marcour, de Saint-Martin ; Chantrel, de Saint-Nicolas, et les curés ou premiers vicaires de ces paroisses. Le 2 août de cette année on ferma officiellement les églises de Sainte-Croix, de Saint-Martin et de Saint-Nicolas ; on ne conserva au culte que celle de Notre-Dame du Roncier, qui fut livrée à un intrus, pendant que le pasteur légitime émigrait en Espagne » (LE MENÉ, Diocèse de Vannes).

Ce fut dès lors le vol et le pillage organisés par les révolutionnaires. Car hélas ! à Josselin comme ailleurs, il y eut aussi un parti révolutionnaire, composé, il est vrai, à l'honneur des habitants, d'un grand nombre d'étrangers.

Le débordement des passions ne connut plus de frein, les vandales se jetèrent sur tout ce qu'il y avait de plus sacré : le trésor de Notre-Dame fut pillé et saccagé, le tombeau remarquable de Clisson brisé à coups de marteau, les cloches fondues, la statue miraculeuse de la Vierge jetée au feu dans un corps de garde. La Providence heureusement veillait et permit que certains fragments fussent sauvés, afin de perpétuer jusqu'à nous la dévotion de nos ancêtres [Note : Ce sont ces fragments que contient le reliquaire de la nouvelle statue exposée aux regards des fidèles].

La horde soldatesque envahit les établissements religieux, transformant les couvents en casernes et les églises en écuries. Ceux jugés défavorables à cet emploi ou inutiles furent vendus, ainsi que tous les autres biens ecclésiastiques. La Nation, après avoir dispersé les possesseurs, avait, sans aucune autre forme de procès, fait main basse sur tous leurs biens [Note : Les Archives de la ville renferment des liasses entières concernant la vente des biens ecclésiastiques et des propriétés de la noblesse]. Les églises paroissiales de Josselin perdirent toutes leurs dépendances ; Sainte-Croix même fut vendue, ainsi que la chapelle Saint-Michel ; le Mont Cassin, les Carmes, les Ursulines, la Retraite suhirent le même sort. Cette spoliation s'étendit aux donations de toutes les chapellenies fort nombreuses du Porhoët et à toutes les communautés dispersées dans les paroisses.

Le régime terroriste régnait en maître à Josselin ; comme ailleurs, les mécréants n'étaient qu'une poignée, mais l'énergie et la violence qu'ils déployèrent en toute occasion assurèrent le triomphe de leur œuvre tyrannique. La Convention y délégua deux commissaires ; en son nom Jullien et Guermeur se chargèrent « d'épurer » et de « réorganiser » la société populaire de la ville [Note : Aux plus purs sans-culottes qui prétendirent régénérer le pays de Josselin, il nous faut ajouter le digne Laumailler]. Dès 1791, une société dite « des amis de la Constitution » s'était organisée et s'affiliait aux autres sociétés semblables. Elle adopta vite le programme rénovateur des Jacobins et montra dans l'accomplissement de sa tâche un zèle si intense qu'un compatriote, membre du tribunal militaire de Lille, lui écrivait le 3 Ventôse an II : « Républicains, mes frères, c'est une jouissance bien grande pour moi d'apprendre les progrès rapides de mes concitoyens dans la carrière de la Révoluton, grâces je vous en rends, généreux sans-culottes, qui suppléant au nombre par votre énergie avez tenu les aristocrates en brides et ramené les fanatiques au temple de la Raison » (Archives de Josselin). La Vierge du Roncier bannie de son temple fit place effectivement à la déesse Raison.

Mais en réalité ce fanatisme n'altéra guère les sentiments de la masse de la population ; nous retrouvons tout le cœur de celle-ci dans une pétition des habitants, datée de l'an V, à l'administration de Vannes pour obtenir la liberté de deux de leurs prêtres. Blanche et Le Portz, détenus à Vannes (Archives de Josselin). Si quelques-uns s'égarèrent, comme il arrive toujours en temps de troubles, la mentalité resta saine et intacte.

Les campagnes n'endurèrent point aussi pacifiquement les rigueurs du parti Jacobin. Si les mesures de persécution religieuse exaspérèrent les Bretons, la mort du roi, la loi du 24 février 1793 prescrivant une levée immédiate et les étranges procédés appliqués pour assurer cette réquisition, vinrent mettre le feu aux poudres.

Il faut lire la remarquable et consciencieuse étude de M. Bliard (Prieur de la Marne en Mission dans l'Ouest, 1793-1794) pour se faire une idée de la répression que Prieur de la Marne, le délégué du Comité de Salut Public dans le Morbihan, et ses agents, surent appliquer en cette circonstance. Guermeur, secondé par le général Gillibert, fut principalement chargé d'opérer dans la région de Saint-Jean-Brevelay, Guéhenno, Bignan et communes adjacentes. Comme pour s'emparer des prêtres insermentés et des émigrés, des battues furent oganisées de tous côtés. « La nuit on enveloppait de troupes les villages où l'on soupçonnait la présence de quelque réfractaire, puis les fouilles commençaient minutieuses et brutales » (PIERRE BLIARD, p. 164). Il fallait, à quelque prix que ce fût, découvrir les récalcitrants et en imposer aux populations ; aussi, à défaut de recrues, emprisonnait-on les parents. Rien ne fut épargné, on alla jusqu'à tenter, par l'enlèvement de tous les grains, d'affamer la commune de Bignan. Les Morbihannais se bornèrent d'abord à répondre à la réquisition par les cris de : Vive le roi ! Au diable la Nation ! comme le firent les jeunes gens de Lanouée [Note : Cet incident survint le 24 Brumaire an II (14 nov. 1793) et fit l'objet d'une dénonciation adressée de Josselin au chef terroriste. Les malheureux gars de Lanouée furent terriblement châtiés de leur franchise de langage. Prieur, le lendemain, prescrivit : « Il faudra requérir le tribunal criminel de sy transporter (à Josselin) et d'instruire le procès de ces scélérats, qui ne doit durer que vingt-quatre heures ». Arch. Dép. Morb. Toujours la persuasion par les armes ! elle triompha parfois des répugnances, mais ne réussit jamais à calmer les esprits], ou à menacer du bâton les gendarmes dans les foires et les assemblées ; mais bientôt les querelles s'envenimèrent, on en vint aux balles et aux coups de sabre, cela arriva à Mangoleriant, et à Locmaria en Plumelec. Cette émeute de Locmaria survenue le 13 octobre 1792 eut un certain retentissement, deux ou trois gendarmes trépassèrent des suites de coups, et pour chercher les séditieux, trois cents hommes, conduits par deux commissaires, arrivèrent le lendemain de Vannes.

Dans le département, la première attaque qui mérite véritablement ce nom fut celle de Collédo, motivée par l'arrestation de l'abbé Le Clerc, curé de Saint-Jean-Brévelay. Le 8 octobre 1893, un détachement de quatre-vingts bleus, qui, de Josselin, avait été cueillir à son presbytère le curé de Saint-Jean, regagnait sa garnison, quand à la hauteur du bois de Collédo, ou plutôt entre ce bois et la chapelle de Kerlen, trente hommes surgissant d'un fourré se précipitent sur les troupes, les mettent en fuite et délivrent le prêtre.

Pierre Guillemot était l'auteur de ce coup de main. A la nouvelle de l'arrivée des bleus, vite il avait rassemblé une poignée de braves et, sans réfléchir au désavantage du nombre et des armes, il s'était jeté en travers de la route pour tirer le prêtre des mains où il était tombé. Ce coup d'audace eût relevé le caractère et l'esprit de décision de Guillemot, s'il n'avait été déjà distingué des chefs qui, dès le commencement des agitations, avaient cherché à grouper en Bretagne les forces du parti contre-révolutionnaire. La Rouërie avait formé dans chaque évêché des cantons de huit ou dix paroisses qui avaient à leur tête un chef, sous les ordres directs du commissaire [Note : M. de la Bourdonnaie de Coatcandec avait été nommé commisssaire par la Rouërie]. Guillemot, qui jouissait d'une certaine influence parmi les gars de Bignan, avait été alors nommé chef du canton de ce nom. Son mérite et sa bravoure l'avaient de suite placé en haute estime près des commissaires royaux, et il ne cessa de jouer un rôle aussi actif qu'intelligent dans toute la région de l'ancien Porhoët.

Lorsque, pour donner plus d'unité et d'ordre au mouvement insurrectionnel, on forma les divisions de la réunion de deux ou trois cantons, Guillemot fut désigné chef de division [Note : La division fut formée des cantons de Bignan, Sérent et Pleugriffet]. Avec ses paysans, il poussa l'offensive à outrance, harcelant l'adversaire lui dressant des embuscades et le poursuivant à travers champs.

Les bleus le baptisèrent du titre de « roi de Bignan » et ce nom seul était pour les uns le ralliement, l'épouvante pour les autres.

« Quant à Guillemot, dit un historien de la Chouannerie, il ne laissait guère passer de jour sans attaquer les détachements républicains. Malheur aux garnisons des villes et des gros bourgs qui se hasardaient en pleine campagne ; les chouans du canton de Bignan, de plus en plus aguerris sous la sévère discipline de leur chef, les avaient bientôt décimés et refoulés dans leurs cantonnements. Dans tout le Morbihan, sauf Georges Cadoudal, il n'y eut pas de plus terrible batailleur, de plus vaillant défenseur du trône et de l'autel, c'était le Jean Cottereau, l’invincible Jean Chouan de la contrée.

Le pays était particulièrement favorable à cette guerre d'embuscades et de surprises ; l’inaccessibilité même en était une défense naturelle. Dans ce dédale inextricable que nous connaissons, de vallons et de coteaux, coupés de ruisseaux parfois profonds et peu guéables, des chemins étroits, ravinés, encaissés se croisaient et s'entrecroisaient, formant ainsi les mailles perfides d'un piège. Grâce au couvert épais de certaines régions, les chouans purent en toute tranquillité opérer leurs groupements. Un de leurs principaux camps retranchés se trouvait être au centre de la forêt de Lanouée ; c'est là qu'ils réunirent leur cavalerie et qu'ils assemblèrent leurs approvisionnements. Dans un cercle plus éloigné, les bois de la Hunaudaie, de Beignon, de Saint-Méen, leur offraient également des asiles sûrs.

En dehors de Bignan, l'ancien territoire du Porhoët fournit un grand nombre de volontaires à la chouannerie. Le mouvement se déclara dans toutes les paroisses, pendant l'année 1794. A Plumelec un soulèvement général fournit deux compagnies sous les ordres de Joseph Aubin et Pierre Barron ; à Saint-Servan, l'abbé Nayl entraîne de ses exhortations les derniers hésitants ; à Tregranteur Louis Picaud enrôle à sa suite tous les hommes valides ; du côté de Mohon, la Trinité, les mécontents, pour faire la chasse aux bleus, marchent derrière Gandin et Boulainvilliers ; Ménéac se distingue encore par un nouveau trait d'héroïsme. Voyer de la Salle, qui se cachait dans la commune, ayant été arrêté comme émigré, la population se soulève, attaque la troupe pour le délivrer et y réussit ; la répression ne se fit pas attendre longtemps : l’église fut occupée, les cloches descendues, le château de la Salle incendié, mais ces violences ne firent qu'exciter les esprits et déterminèrent la population à donner son concours à la chouannerie.

Non contents de porter atteinte au caractère sacré du clergé, les bleus, dans leur fureur contre les Bretons et leur haine de la religion, s'attaquaient même aux édifices, renversaient les croix qui se dressaient aux bords des chemins, se ruaient le marteau à la main sur la pierre destinée à commémorer la foi bretonne aux générations futures. C'est ainsi que dans le courant d'avril 1794, ces vandales se portent au bourg de Guéhenno, mettent le feu à l'église et brisent les pièces du calvaire. Mais ils n'eurent pas le temps d'emporter le produit de leurs vols, les hommes de Bignan et de Pleugriffet avec leur chef habituel, ceux de Billio et de Cruguel, commandés par Lantivy de Portcamus, tombèrent sur eux et les dispersèrent.

A quelques jours d'intervalle, de nouveaux engagements, toujours heureux pour les chouans, avaient lieu au Resto, au bourg même de Bignan, à Guéhenno, à Colpo.

Josselin, transformé en grenier et en place d'appui par le gouvernement départemental, était menacé de la famine. En plus de l'approvisionncnient que la ville devait fournir à toutes les troupes de passage, elle devait encore nourrir la garnison qui y était établie et une quantité considérable de prisonniers. La tour solitaire en regorgeait littéralement, si bien qu'on dut affecter une partie du château à l'office de maison d'arrêt ; suspects de tout rang et de toute condition, prêtres, nobles, roturiers, vieillards, femmes et enfants y furent jetés pêle-mêle, entassés dans une promiscuité affreuse.

Les religieuses de la commune, les premières, en eurent les honneurs (27 pluviôse an II) [Note : Les administrateurs de Josselin écrivaient au républicain Giquel, président du Comité de surveillance : « Le conseil assemblé vient de vous assigner le ci-devant château de cette ville, où vous trouverez suffisamment d'appartements pour les loger toutes (les religieuses)……. ne tardez pas un instant à mettre en exécution la loi contre ces réfractaires……….. etc. » signé Elie, Arch. dép. Morb. L. 1166] et bientôt le district seul n'y compta pas moins de quarante-trois détenus. Le flot dès lors ne cessa de monter, de monter toujours, jusqu'à l'envahissement complet du château.

Comme dans l'ensemble du département, les arrestations se multipliaient avec une rapidité extraordinaire et que dans certaines villes les prisons n'avaient qu'une place limitée. Prieur, sans même s'inquiéter de savoir s'il y avait encore des locaux inoccupés, décréta que le trop-plein des prisons de Vannes, Pontivy et Ploërmel serait évacué immédiatement sur Josselin. « En toute cette affaire, dit M. Bliard, Prieur faisait preuve d'une impardonnable légèreté. Dès le mois de février précédent, on l'avait prévenu, en effet, que les trente-huit malheureux enfermés dans cette maison d'arrêt remplissaient tous les appartements habitables, et qu'on avait été forcé de mettre les derniers arrivés dans les greniers. Malgré cet avertissement, quatre-vingt-quatorze inculpés, dont quarante prêtres, arrivaient de Vannes à Josselin le 27 floréal. La plupart étaient infirmes : les uns goutteux, lépreux (sic) (Arch. dép. Morb. — L. 1458). Dans les jours suivants, d'autres convois pareils se succédèrent, en sorte que près de trois cents de ces infortunés se trouvèrent bientôt réunis dans le vieux château ».

Les réclamations qui se firent entendre à l'envi n'étaient, hélas ! que trop justifiées. Chandor, le médecin de la prison, au risque de faire douter de son civisme, ne craignit pas de reconnaître officiellement le bien-fondé de celles-ci. Il nous a laissé un document du plus haut intérêt et qui met au point la situation des malheureuses victimes ; nous l'avons placé in extenso aux Pièces justificatives. C'est le procès-verbal d'une visite à la maison d'arrêt faite sur l'ordre de l'administration du district afin de « vérifier les faits allégués par les détenus ». Il ressortait du rapport, que les détenus, au nombre de 250 [Note : Encore n'était-il pas question dans ce chiffre des prisonniers criminels enfermés dans la tour. — Voir les noms des détenus aux Pièces justificatives], dont quatorze malades, s'étouffaient dans de véritables cloaques d'infection. Copie en fut adressée à l'exécuteur des hautes œuvres, à Vannes ; les membres du district l'accompagnaient des lignes suivantes : « Nous t'adressons, citoyen représentant, les pièces relatives aux prisonniers de notre ville ; nous pouvons assurer, après vérification du commissaire que nous avons cru devoir envoyer avant de te participer les réclamations, que ces individus sont exposés à périr de faim, ayant à peine de vivres pour les habitants de Josselin. Nous espérons que tu voudras bien prendre en considération l'humanité souffrante » (Arch. dép. Morb. — L. 1166. — P. BLIARD).

Au milieu de tant de misères, la maladie multiplia vite ses ravages. Le 11 messidor an II (29 juin 1794), c'est-à-dire neuf jours plus tard, le citoyen Vandergrachf est chargé, par ses collègues de l'administration, d'une nouvelle visite ; il trouve cette fois quarante-cinq malades, atteints la plupart de fluxions de poitrine, de fièvre putride bilieuse et de phtisie pulmonaire. Son rendu compte (Arch. de Josselin) est une redite du rapport Chandor : dans les sous-sols l'air était vicié par l’encombrement des captifs et l'odeur infectante des latrines, sous les toits ces malheureux avaient à subir toutes les rigueurs de la température. La nourriture y était absolument insuffisante et l'eau qu'on leur donnait était empoisonnée par les lavages que faisaient sur les bords du puits les militaires cantonnés dans le château [Note : Fatigué par les plaintes des uns et les instances des autres. Prieur consentit, après de bien longues tergiversations, à réintégrer à Vannes une partie des prisonniers qui en étaient sortis (le 29 fructidor — 15 septembre — cent-deux détenus, dont 16 prêtres et 63 femmes, quittaient enfin le château) et petit à petit les suspects furent rappelés dans leurs districts respectifs]. Il n'est, certes, pas étonnant, que tout ce monde imprévu amenât une baisse rapide des ressources de la ville, et volontiers nous ajoutons foi aux dires des autorités locales.

Ce qui aggravait surtout la situation de Josselin en tant que grenier à vivres, c'était le refus d'une partie des communes du district, malgré un ordre supérieur, d'approvisionner le marché par quantités différentes de grains désignées. La municipalité s'émut de cette situation critique ; les lettres qu'elle adressa à ce sujet à Prieur de la Marne en déplacement à Nantes (Archives de Josselin), nous révèlent ses craintes d'une véritable famine. Elle commença par demander l'envoi des troupes dans les communes récalcitrantes pour vaincre leur insubordination et les contraindre à fournir l'apport de grains. Mais les troupes étaient occupées ailleurs.

Ces appels de secours sont chaque jour plus pressants et d'autant plus qu'ils ne trouvèrent d'abord aucun écho. Chaque jour aussi, l'épuisement du marché se fait de plus en plus menaçant ; les rebelles des campagnes ont sans aucun doute juré d'affamer la ville, car protestations ou prières, rien n'y fait, les communes restent inébranlables.

Déjà le 3 floréal an II, le peuple, n'ayant plus trouvé de grains sur le marché, s'était précipité en foule à la municipalité, et le maire débordé avait dû livrer aux habitants les clefs des magasins des subsistances militaires ; des ordres sont instamment demandés pour obtenir l'autorisation de puiser une nouvelle fois dans cette réserve. La municipalité va jusqu'aux supplications désespérées, l'état affligeant de la ville semble pour elle gros de conséquences et pourrait amener des complications funestes.

Le 24 floréal an II, le Conseil général de la commune écrivait au citoyen Devisme, commissaire du Comité de Salut public à Vannes : « Viens citoyen le plus tôt possible au secours des habitants de notre commune qui manqueront sous peu de pain ; ce qu'il y avait de grains existant par le résultat du recensement achevé le 3 floréal est sur le point d'être consommé ; la grande consommation qui s'est faite depuis cette époque, est occasionnée par celui que nous avons été obligé jusqu'à ce jour de faire délivrer pour le pain et subsistance de la troupe, à tous les passages fréquents et répétés dans notre ville et par le grand nombre de prisonniers qui s'y trouvent .........

Nous te demandons citoyen, et nous te prions instamment, de vouloir bien au reçu de la présente, donner des ordres pour que les grains nécessaires pour l'étape et la subsistance des troupes de passage, soient pris et délivrés du magasin des subsistances militaires par le citoyen Solan, garde magasin à Josselin. Citoyen, notre demande est si tellement fondée, que nous devons vous instruire, que par un arrêté de l'administration de ce district, du 20 germinal dernier, les communes de son ressort étaient assujetties à l'approvisionnement du marché ; cet arrêté leur a été adressé et notifié différentes fois avec l'ordre de s'y conformer, ce qu'elles n'ont pas fait et elles sont récalcitrantes. Jugez de la crise effrayante dont nous sommes menacés ».

Enfin satisfaction est donnée à la demande, mais cette mesure n'assurait que l'approvisionnement de la troupe et non des habitants ; aussi quelques mois plus tard, nouvelle disette, les appels de secours recommencent : « L'idée de la triste situation des habitants de la ville est inquiétante ; vous le croirez facilement, puisque vous avez délivré déjà du seigle du grenier des subsistances militaires, et sans ce secours les habitants seraient affamés ». Après les grains, ce fut le fourrage qui manqua.

L’approvisionnement du marché était évidemment rendu très difficile par la fréquence des passages de troupes. Dans les lettres de la municipalité (Archives de Josselin), pour une question ou pour une autre, il est sans cesse fait mention de ces troupes qui épuisent les ressources du pays, amènent parfois le désordre dans la ville par leurs vexations et leurs tracasseries, et qu'on a toutes les peines du monde à loger. Aussi, lorsque le général Canuel, qui commandait à Vannes, décida d'établir un camp près de Josselin, les habitants protestèrent énergiquement et menacèrent d'en communiquer au Comité de salut public, jugeant cette mesure non seulement inutile, mais encore impolitique et dispendieuse. Canuel ne se laissa pas intimider pour si peu, se retrancha derrière Prieur de la Marne et ajouta que le camp projeté n'était du reste pas destiné à soutenir une attaque, mais bien à garder des prisonniers.

Le château et les bâtiments annexes qui, en outre des détenus, abritaient des troupes, de bonne heure ne suffirent plus à celles-ci ; la municipalité fut obligée de racheter les bâtiments de la Retraite et des Carmes, qu'elle avait d'abord vendus, et ces établissements furent dès lors continuellement occupés. Les chevaux trouvèrent abri dans l'église de Saint-Martin et dans la chapelle des Carmes.

Vu cette affluence et l'état de guerre dans lequel se trouvait le pays, il fallut créer un hôpital militaire à côté de l'hôpital civil ; malgré ces deux hôpitaux, l'an III, il y avait tellement de malades et de blessés que, pour parer à l'encombrement, le général Champeaux proposait de faire évacuer toutes les salles basses du château, où se trouvait ramassé le grain, afin d'y placer des malades. Un atelier important de chaussures de troupe existait à Josselin.

L'on sait le suprême effort des émigrés pour débarquer à Quiberon, l'on connaît trop aussi les dissensions des chefs, qui paralysèrent le généreux mouvement des troupes royales et catholiques, des émigrés et des chouans venus sur ce coin de presqu'île se tendre la main dans le sentiment et l'espoir communs de la victoire finale. Cruelle et terrible responsabilité, que celle d'un chef qui n'eut pas le courage de sacrifier son orgueil et ses intérêts privés à la grandeur de la cause ! Ses inquiétudes, ses défiances, ses hésitations, amenèrent, hélas ! un désastre affreux, aussi fatal aux chouans qu'aux émigrés. Ces derniers furent annihilés, sacrifiés aux mânes de leurs rois, mais les braves paysans de nos campagnes, les plus désintéressés et les plus héroïques des soldats, furent démoralisés à jamais. L'énergie et la force qu'ils avaient puisées au pied de l’autel et dans le plus profond de leurs cœurs ne purent se maintenir longtemps ; l'antagonisme qui s'était montré parmi les chefs ne tarda pas à se faire sentir chez les soldats mêmes ; il y eut des découragements, des mécontentements.

Tinténiac, qui de Quiberon avait reçu l'ordre de Puisaye d'opérer un mouvement tournant avec la division d'Auray, une partie de celle de Vannes et un détachement du Royal Emigrant, afin de prendre à dos l'armée de Hoche, crut devoir, au reçu de dépêches du comité de Paris, ou sur sa propre initiative [Note : On n'a jamais connu exactement les motifs qui détournèrent Tinténiac des ordres qu'il avait reçus de Puisaye, car la mort le surprit le lendemain. Les divergences continuelles entre le comité de Paris et les conseils des départements font supposer que durant la marche de la colonne il reçut des prescriptions contraires à celles qu'il avait reçues au départ], abandonner le plan de cette attaque et, après avoir traversé Elven, Plaudren, se dirigea le 16 juillet sur Josselin. Il n'ignorait pas l'affaiblissement de la garnison en faveur de l’armée des côtes et pensait, sans doute, saisir une occasion favorable pour s'emparer de cette place.

A son approche la garnison fit sortir un détachement qui se rencontra avec les Morbihannais, près de Saint-Jean des Prés. Ce détachement fut refoulé, ainsi qu'un second envoyé pour le soutenir. Les forces de Tinténiac, qui au total comprenaient bien six ou sept mille hommes, prenant de l'avance, occupèrent aussitôt les faubourgs, mais, au pied des vieilles murailles, une résistance sur laquelle elles n'avaient guère compté, les attendait : « Arrivé là, raconte Rohu [Note : Jean Rohu, lieutenant-colonel de la deuxième division de l'armée du Morbihan, dite division d'Auray], le général me fît entrer dans un chemin étroit en face de la tour où la garnison était située et d'où les balles nous arrivaient comme grêle. Obligés de traverser un petit pont, nous le trouvâmes couvert de chapeaux et de sabots de ceux qui nous avaient précédés, et les rejetant des deux côtés, nous le traversâmes l'arme au bras, sans sourciller et même sans avoir reçu de blessure. Rendus sur une place au centre de la ville, nous reçûmes une décharge de coups de fusils d'une maison voisine qui blessa deux hommes et en tua deux autres à côté de moi, mais dont aucun n'était des miens. Je fis briser les portes et mettre le feu dans la maison, qui était occupée par la gendarmerie ; m'occupant ensuite de faire enlever les blessés, je reçus l'ordre d'évacuer la ville par la route de Ploërmel ».

Tandis que Tinténiac, absolument dépourvu d'artillerie, voyait tous ses efforts échouer, les insurgés, presque invulnérables derrière leurs murs protecteurs, faisaient brèche dans les rangs des chouans. La surprise de Rohu n'ayant pas réussi, dans la circonstance actuelle, il était inutile d'insister. « Tinténiac somma en vain les républicains de se rendre ; en vain, le feu fut-il mis à une maison occupée par des gendarmes et qui était à la porte Saint-Martin, cette porte résista ; et inutilement aussi les chouans prodiguèrent leur temps et leurs cartouches contre les tours et les murs » [Note : La vie de Georges Cadoudal, par son neveu, du même nom]. Ploërmel venait, par une attaque sur les derrières de la division de Georges Cadoudal, au secours de Josselin ; le général chouan se retira vers six heures du soir, emportant une assez grande quantité de blessés. L'action s'était engagée vers une heure de l'après-midi, elle avait donc duré cinq heures.

« Notre faible garnison et notre garde nationale se sont comportées en cette occasion en vrais républicains, leur conduite est au-dessus de tout éloge et leur zèle est en quelque sorte augmenté, » disait le rapport du commandant de Josselin. L'officier demandait des armes pour remplacer les fusils de chasse des gardes nationales, fusils qui, en grand nombre, avaient « crevés dans les mains des habitants ». Les munitions étaient épuisées et il fallait également, au plus tôt, au moins 20000 cartouches et un millier de pierres à feu pour 500 hommes qui composaient la garnison (Archives de Josselin).

De Josselin, l'armée rouge, on appelait ainsi la colonne de Tinténiac, prit la route des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) ; mais à la Trinité-Porhoët, elle fut rejointe par le général Champeaux, qui, avec 300 hommes, surveillait la campagne. L'action fut vive et opiniâtre ; à la fin les troupes républicaines cédèrent le terrain. Après cet avantage, Tinténiac se crut libre de reprendre sa direction de marche, vers le Nord-Ouest, et fit étape dans un endroit couvert, à Coëtlogon en Plumieux, où se trouvait un château habité par des dames [Note : Mme et Mlle de Guernisac et Mlle Quintin de Kercadiou qui, disait-on, étaient affiliées au comité de Paris]. Quel ne fut pas l'étonnement des chouans déjà installés en bivouac, de voir une nouvelle colonne ennemie, conduite par le général Crublier, tomber soudainement sur eux ! Après un certain moment employé à se ressaisir, la défense fut vite organisée et les bleus, incapables de soutenir le choc, se débandèrent à travers bois. Les chouans eurent malheureusement à déplorer une perte cruelle. Dans la poursuite, Tinténiac, leur général si estimé, avait été atteint d'un coup de feu ; il succomba quelques instants plus tard.

Pontbellanger, le nouveau chef, conduisit l'armée rouge à la prise de Quintin et de Chatelaudren, mais arrivé non loin de Saint-Brieuc, le bruit du désastre de Quiberon parvint aux oreilles des soldats. Irrités contre ceux qui étaient venus semer le désarroi dans l'armée bretonne [Note : « — Les monstres auraient dû être engloutis dans la mer avant d'arriver à Quiberon ! » s'était écrié Cadoudal, ne pouvant contenir sa colère contre d'Hervilly et son parti] et amener la défaite inconnue jusqu'alors, les chouans menacèrent de jeter bas les armes et de partir en désordre. Il fallut les engager à rentrer dans leurs foyers, et prononcer le licenciement pour un laps de temps assez considérable.

Avec les secours en argent et en armes de l'Angleterre et sous l'impulsion de chefs tels que Georges Cadoudal [Note : Cadoudal était à ce moment général du Morbihan, et Puisaye, lieutenant-général] et Mercier la Vendée, l'ordre se rétablit, les divisions se reformèrent et la lutte peu à peu recommença.

A cette époque (octobre 1795), Guillemot avait sous ses ordres une division importante, composée de 57 paroisses et formant quatre beaux bataillons ; elle s'étendait depuis le Roc Saint-André jusqu'à Kergrist, quinze lieues de longueur, et depuis Pont-Augan sur le Blavet jusques et y compris Josselin, douze lieues de largeur [Note : En novembre 1795, elle fut agrandie de trois cantons (Locminé, Noyal-Pontivy, Baud) sur lesquels soufflait un léger esprit d'insubordination et qui avaient besoin d'un commandement tel que celui de Guillemot pour entrer dans l'ordre]. Cette division, la plus forte des armées royales de l'Ouest, se montra toujours digne du roi de Bignan.

En 1796, la paix fut signée entre Georges Cadoudal et le général Hoche (Scépeaux et d'Autichamp avaient déjà donné leur signature). Elle ne fut pas de longue durée. Les vexations du Gouvernement Directorial motivèrent une reprise d'armes en août 1799. La substitution, qu'on fit alors, du nom de légion à celui de division, et du nom de bataillon à celui de canton, ne changea rien à l'organisation primitive. L'ancienne division de Guillemot devint la première légion, dite de Bignan, qui eut pour chefs : Guillemot, chef de légion ; Gomez, lieutenant-colonel ; Mathurin le Goesble, major ; Yves le Theïs, Guillôme, Joseph Benard, Michel, chefs de bataillons.

Dans le Morbihan, pendant que Cadoudal s'empare de Sarzeau ; Jacques Andra, de Muzillac ; Desol de Grisolles, de Pont-Château et de la Roche-Bernard, le chef de la légion de Bignan, après une lutte acharnée, déloge la garnison républicaine de Locminé.

Impressionné par ce succès (Locminé au centre du Morbihan était considéré comme place sérieuse et utile), le colonel Bouté sortit de Lorient avec un bataillon de grenadiers pour se porter au secours de la garnison, et en rassembla les débris alors dispersés dans la campagne. Il reprit Locminé et marchait vers Josselin, lorsque arrivé sur la lande de la Vachegare, vaste plaine d'une lieue de longueur située dans la paroisse de Buléon, il fut tout à coup vigoreusement attaqué. Guillemot, qui avait été informé à temps de la direction que prenait l'ennemi, s'était embusqué sur le bord de cette lande, non loin de la route, en avant de Kerjeanno, et avait laissé toute la colonne s'avancer à sa hauteur pour la prendre par le flanc. Celle-ci fit halte sans quitter la grand'route et se mit en bataille. Mais, malgré son feu nourri, les chouans chargèrent avec une telle impétuosité, qu'elle fut culbutée et coupée en deux. Une partie des bleus s'enfuit vers Josselin ; l'autre, avec le colonel Bouté, rétrograda, traversa Locminé et Baud pour rentrer à Lorient.

Le général Georges, à la nouvelle de la sortie de Lorient, devina que les grenadiers se portaient contre Locminé. Il rallie aussitôt ses forces, court tendre la main à Guillemot ; il ne peut malheureusement arriver à temps pour écraser les bleus à la Vachegare ; le hasard voulut cependant qu'il leur portât un coup terrible. « Les quatre cents hommes qui s'étaient sauvés de la lande de la Vachegare, dit M. J. Guillemot [Note : Lettres à mes neveux], ayant appris la position de mon père sur la route de Pontivy, et pensant par conséquent se rendre à Vannes par Guéhenno, avaient pris cette direction avec une partie de la garnison de Josselin ; ils se trouvèrent bientôt en face de la légion d'Auray (celle de Cadoudal) qui brûlait du désir de combattre. Les bleus voulurent se faire un passage et soutinrent la charge assez longtemps, mais enfin ils furent battus ; les braves gars d'Auray les poursuivirent au-delà du Mont [Note : Cette affaire fut désignée sous le nom du Mont Guehenno] et firent plusieurs prisonniers qui furent tous fusillés, sans excepter l'officier qui les commandait ». Cette sévérité n'était qu'une légère riposte aux cruautés des contre-chouans.

Devant ces attaques incessantes, la force armée qui occupait Josselin gardait une attitude de surveillance défensive, et l'autorité municipale prenait toutes les mesures nécessaires pour parer aux éventualités d'un nouveau mouvement contre la ville (Archives de Josselin). La garnison est renforcée, les cloches transformées en munitions, des corps de garde établis à chaque porte (de Saint-Nicolas, de Saint-Martin, du Lion d'Or ou de Pontivy), les murs de l'enceinte réparés et consolidés. Ce travail devient un service commandé et toute la population y prend part ; voici une de ces réquisitions datée du 20 germinal an IV : Tous les habitants, compris dans l’enceinte de la ville et ceux du faubourg Saint-Nicolas, sont requis de se rendre demain aux huit heures précises du matin et après déjeuné avec pelles, pioches, ruches et autres instruments nécessaires aux travaux des fortifications de la place. Tout individu qui s'y refuserait serait regardé comme ennemi de la liberté et traité comme tel, conformément à l'ordre du citoyen Falba commandant militaire de l'arrondissement. — L'Administration municipale à Josselin.

Quelques jours après, c'est le tour de tous les citoyens des faubourgs Glatinier et Sainte-Croix. L'année suivante (30 pluviôse an V), le Commissaire du Directoire Exécutif établi à Josselin écrit aux administrateurs municipaux : « La guerre civile paraît totalement finie, mais il faut avoir devant les yeux cette maxime : La sûreté publiqne dépend des précautions.

Ma remontrance vous intéresse plus que moi, vous demeurez dans l'enceinte et mon patriotisme m'a fait dès le commencement de la révolution acheter le cidevant presbytère de Saint-Martin où je demeure, il est isolé et en quelque sorte hors des fortifications. Vos fortifications se démolissent insensiblement, les pierres des petites portes, celles des jardins de toutes les douves qui avaient été maçonnées ont été et sont arrachées une à une, vos grandes portes de ville ne pourront bientôt plus se fermer ; vous serez en un mot, aussi peu à l'abri dans peu de temps, qu'avant la Révolution.

Quel est citoyens, le but de ces démolitions suivies ? Je l'ignore, mais je l'appréhende. Votre ville s'est couverte de gloire le 28 Messidor an III. Votre ville a par conséquent tout à craindre de la vengeance liberticide ; votre ville ne peut donc trop se précautionner et vous devez veiller sans cesse et prendre tous les moyens d'assurer la tranquillité de vos administrés. Il faut nommer des commissaires pour faire la visite de vos fortifications et sur leur rapport vous prendrez toutes les mesures pour leur rétablissement. Les réparations faites, des patrouilles empêcheront leur démolition, et la punition des fauteurs pris maintiendra les mal intentionnés ». Signé ELIE.

Pour rappeler encore le respect que les Josselinais doivent à leurs murailles d'enceinte, des bannies sont faites plus tard, an VIII, dans ces termes : Le Maire de la commune, informé qu'il s'est commis des dégradations aux fortifications et aux ouvrages de défense de la ville, fait défense à tout citoyen d'y porter atteinte, sous peine d'être traduit devant les tribunaux. Les pères et les mères seront responsables des dégradations commises par leurs enfants. —

Au dehors, afin de dégager les voies de communications et éviter toute surprise, ordre est donné d'abattre les arbres, bois, hayers et fossés, à la distance de cent toises des routes. Au dedans les portes de la ville sont fermées à huit heures, le portillon ou petite porte des piétons restant cependant libre jusqu'à dix heures ; mais à partir de cette heure tout passage est formellement interdit, de même qu'il est défendu, sauf raison urgente, de circuler la nuit dans les rues. Les patrouilles doivent arrêter toute personne trouvée dans la ville après dix heures ; les consignes sont formelles à cet égard et rigoureuses.

Du reste, les malheureux habitants devaient plutôt éviter de sortir de chez eux, non tant par crainte des rondes militaires que des patrouilles de malfaiteurs. Tantôt ce sont les brigands qualifiés de contrechouans qui saisissent des personnes sortant de la ville pour affaires ; tantôt ce sont les soldats mêmes de la garnison qui se postent au-delà des portes afin de dévaliser les braves gens venant s'acquitter de leurs contributions (Archives de Josselin).

La police n'est donc pas trop sévère, et quant aux vrais chouans, imagination ou réalité, les rapports signalent toujours leurs bandes aux aguets, non loin de la ville ; Michel, Villebourgou, Dujardin, sont les chefs de ces petits groupes, qui sans doute épient dans la brousse les sorties des troupes républicaines.

Entre temps, les fonctionnaires publics et la Municipalité se livraient aux cérémonies officielles (Archives de Josselin) : fête de la Jeunesse, le 10 germinal, où le maire donne « l'accolade fraternelle » à tous les élèves de l'école primaire ; fête des Epoux, 3 floréal, « pour honorer le mariage » et rappeler ses trois objets : le bonheur des époux, l'éducation des enfants et la conservation de la société ; anniversaire de la prise de la Bastille qui se célèbre en grande pompe. Nous avons retrouvé le programme, qui fut exécuté l'an VII, à l'occasion de cette solennité. Le cortège formé de toutes les troupes en garnison alors dans la place et dans l'ordre suivant : chasseurs du 19ème régiment, canonniers à cheval du 6ème, garde nationale, gendarmerie à cheval marchant à côté du maire, gendarmerie à pied escortant les autorités civiles, infanterie de ligne, enfin les pièces d'artillerie, monta de la mairie à la promenade, où un discours fut prononcé. Le canon ne cessa de se faire entendre. Un concours de tir et une course vint distraire les assistants, puis dans le même ordre, le cortège sortant de la promenade descendit jusqu'à la place de la Liberté. Là, les troupes rangées en bataille formèrent le cercle autour des autorités et, second discours, le maire prit la parole pour féliciter les troupes de ligne et les canonniers de la bravoure déployée par eux aux armées ; il termina, en remettant une branche de laurier aux chefs de corps en témoignage de reconnaissance.

C'est qu'en effet, si les armées républicaines subissaient des échecs dans l'Ouest, sur les frontières, en Suisse, en Egypte, elles triomphaient partout et se couvraient de gloire. L'avènement de Bonaparte au Consulat (8 nov. 1799), la paix suivie de mesures d'ordre et de conciliation, le rétablissement du culte, calmèrent les esprits et attirèrent au premier consul un grand nombre de partisans jusqu'en Bretagne. D'autre part, le manque de ressources, l'éloignement des princes et leurs vaines promesses de débarquement affaiblirent l'énergie des combatifs. La lutte en Bretagne et en Vendée ne pouvait dans ces conditions se soutenir bien longtemps.

La légion de Bignan se distingua encore le 21 janvier 1800, à l'affaire de Locmaria (Pont du Loc), mais ce fut le dernier chapitre de ses exploits. Avant la fin de cette même année, Georges Cadoudal entraîné par l'exemple de tous les chefs de la Vendée, fit sa soumission. Disons à l'honneur du chef de la légion de Bignan que, se considérant engagé sa vie durant, tant qu'il n'aurait pas atteint le but qu'il s'était proposé, le rétablissement de la royauté et du christianisme, il refusa de déposer les armes ; son bras était loin d'être abattu, son âme était trop fière pour traiter avec un gouvernement, dont il ne voulait reconnaître la puissance de droit. Tous les officiers supérieurs et plusieurs officiers subalternes de la même légion, comme Guillemot, refusèrent de se soumettre. Cet exemple fut suivi ailleurs et jamais la soumission de la Bretagne ne fut complète.

Bonaparte, qui reconnaissait la religion comme une garantie indispensable de l'ordre social, laissa les prêtres petit à petit sortir de leurs caches ; dans l'ombre d'abord, puis au grand jour, le culte fut rétabli, alors les Bretons purent chanter victoire aux pieds de cette croix qu'ils avaient si vaillamment défendue et pour laquelle ils avaient noblement versé leur sang. Cette lutte héroïque du paysan pour sauver ses vieilles croyances, ses libertés, et le principe de la légitimité, mérite d'être inscrite aux fastes de l'histoire des peuples. Le mot de Napoléon « la guerre de Géants ! » n'est pas trop fort ; dans ses résultats comme dans ses causes elle fut sublime, car elle grandit la religion et consacra à jamais l'honneur et la gloire du nom breton. Ne donne-t-elle pas non plus le plus bel exemple, après la persécution Néronienne, de l'immortalité du Christianisme ? Dieu, n'est-il pas vrai, se rit des persécutions humaines ! Vingt siècles de foi assurent son triomphe ; l'éternité de son règne se joue des injustices et des mensonges. Le monde s'abîmera dans le néant et le Créateur prodiguera encore ses récompenses aux lois dictées par la justice et la conscience.

Georges Cadoudal au fond du cœur n'avait pas non plus désarmé ; la conspiration dont il se fît le chef, fut la dernière tentative de la cause royale. Son arrestation fut suivie de celle d'une cinquantaine de royalistes impliqués dans cette même affaire, dont douze subirent la peine de mort ; parmi ceux-ci figurait Jean-Marie-Joseph Picot ou Picaud, originaire de Josselin.

Le retour du pouvoir légitime fut acclamé en Bretagne. Les chouans depuis longtemps étaient retournés à la charrue, mais leurs convictions n'avaient jamais changé ; ils le prouvèrent en 1815, dès que le débarquement de Bonaparte fut connu. La province de nouveau se leva dans un élan spontané ; Desol de Grisolles ayant été appelé à prendre le commandement dans le Morbihan ; la légion de Bignan reçut pour chefs, le Theïs, l'ancien compagnon d'armes de Guillemot, et la Goublaye comme lieutenant-colonel, pour chefs de bataillons : François Guillemot, fils du roi de Bignan, Mathurin Gambert et de Castel. Les chouans occupèrent aussitôt les principaux centres, et les populations les reçurent partout avec enthousiasme. Le 30 mai, l’armée principale, sous les ordres du général Desol, marchant sur Pontivy, s'empara de Ploërmel, et prit la route de Josselin. « Les jeunes gens sachant qu'ils y seraient reçus à bras ouverts, ils s'y rendirent à la course. Le soir la ville fut illuminée, et sur l'invitation des habitants l'armée y séjourna le 31 » (GUILLEMOT, Lettres à mes neveux). La paix dans l’Ouest, heureusement ne fut que menacée ; l’ordre se rétablit de lui-même après la ruine des ambitions du héros Napoléonien, qui au prix de tant de vies humaines n'avait su donner à la France qu'une gloire éphémère.

***

Les droits féodaux abolis, les Rohan perdirent toutes les prérogatives attachées au titre de comte de Porhoët et dépendant de leur suzeraineté sur cette vieille terre de famille. La propriété cependant resta un droit respectable, à condition toutefois qu'il ne fût exercé par un émigré. Aussi, le duc de Rohan, Louis-Antoine-Auguste, qui n'était point sorti de France depuis 1791, tenta-t-il de se faire indemniser de l'accaparement de son château de Josselin par la Nation.

A l'époque des premiers troubles (mars 1793), les administrations du district et de la municipalité s'étaient installées dans certains appartements, abandonnant le reste à une affectation très variable. Des locaux furent réservés aux suspects que la tour solitaire ne pouvait abriter, et même, nous avons assisté à un envahissement temporaire par des détenus étrangers ; les grandes salles servirent de casernement aux troupes de passage ; les greniers furent transformés en magasins d'approvisionnements militaires.

Le citoyen Gaillard, agissant pour le duc de Rohan, remontra aux citoyens municipaux que tout le château au début de la révolution, était en parfait état, même jusqu'aux quatre jardins « bien tenus, engraissés, semés, plantés de beaux espaliers avec leurs palissades, de pommiers, de poiriers en éventail, trois carrés d'asperges, un d'artichaux, etc. ». Le tout valait au moins 2000 livres de revenus ; les halles et auditoires qui avaient été pris, pouvaient être estimés à 800 livres ; et le four était affermé à 150 livres. Au total : 2950 livres de revenus contre le droit et par le bon vouloir de la municipalité [Note : Archives de Josselin, comme du reste ce qui suit, concernant le château].

Le Préfet du Morbihan, considérant la pétition comme justifiée, par lettre du 13 nivôse an IX, donna satisfaction à la requête, en décidant qu'il serait établi un procès-verbal estimatif de la valeur annuelle du loyer, depuis que le château était employé aux différents services publics.

Le maire qui, en particulier, avait été consulté au sujet de la pétition par le sous-préfet, traita la question en détail. « La loi du 17 frimaire de l'an II, dit-il, était en tous points applicable au citoyen Chabot comme père d'émigré [Note : Son fils, Alexandre-Louis-Auguste, avait effectivement quitté la France, en 1790]. En exécution de cette loi, le séquestre fut établi sur toutes les propriétés de ce citoyen et comme tel, le château de cette ville fut saisi et les revenus séquestrés. Soit que l'Etat disposât de cette propriété pour l'appliquer à un ou plusieurs services publics, soit qu'il l'affermât pour en percevoir les jouissances, son droit était indifféremment le même ......

C'est à l'instant où ce citoyen a purgé l'hypothèque nationale qui existait sur ses biens, par suite de l'émigration de ses enfants, qu'il a recouvré les droits de propriétaire, qui sont demeurés suspendus en sa personne jusqu'à l’époque de son partage avec la République ; cette époque se compte du 11 brumaire de l'an VII, jour que le citoyen Chabot a effectué devant le département de la Seine le partage de la succession anticipée, en conformité de la loi du 9 floréal an III. A partir de ce jour, la jouissance du château a dû être perçue par ce citoyen, et c'est de cette époque que la demande, qu'il fait en payement de loyer de sa maison, devient admissible et légitime ». Il continue en indiquant quel est le moyen de statuer avec justice sur la demande et rapporte l'estimation faite sur l’ordre du Préfet. Quelle que soit la valeur exacte de la monnaie d'or à cette époque, l’estimation semble quelque peu rigoureuse.

Location annuelle :
Appartements occupés par les bureaux de la municipalité et du district ...... 40 livres.
Greniers pour les grains de l'Etat ..... 60 livres.
Casernement dû par le ministre de la guerre ..... 500 livres.
Tour servant de maison d'arrêt ..... 100 livres.
Remise (en face du château, dans la cour) occupée par le logement des pièces de canon de la commune, caissons, etc. ..... 5 livres.
Total : 705 livres.

Le château servit encore longtemps à loger les troupes ; le 14 thermidor an XI (1802), le citoyen Janzé, devenu propriétaire, formule au lieu et place du duc de Rohan une nouvelle pétition « afin qu'on procède à l'estimation de la valeur locative de la portion dudit château, occupée comme caserne depuis le 1er vendémiaire an VIII jusqu'à ce jour ».

C'est cette sorte d'abandon qui fit supposer au maire, exerçant les pouvoirs à Josselin l'an 1804 que le nouveau propriétaire n'avait que faire du château et que dans ce beau corps d'habitation, on pourrait aisément installer un dépôt d'étalons. Certes, l'idée était originale et n'eût pas germé dans un cerveau quelconque. C'était un génie, cet élu des Josselinais ; mais n'importe, Clisson dut frémir d'indignation et de colère, et sentir tout le poids du sarcophage qui l’empéchait de courir sus à ce brigand d'un siècle barbare.

Le projet est on ne peut plus séduisant. « De vastes écuries, dit le rapport, peuvent être pratiquées dans les appartements qui composent le rez-de-chaussée de cet édifice et une modique dépense peut le rendre susceptible de loger plus de 200 chevaux, tous placés dans le même local, sous les yeux de leurs conducteurs et des hommes chargés de leur surveillance ». Sa description s'étend longuement. Au-dessus des écuries on aménagerait le logement de tous les chefs et agents subalternes ; d'immenses greniers « les plus vastes et les plus beaux qui soient en Bretagne » serviraient aux fourrages ; l'eau serait toujours en abondance avec la proximité de l’Oust et la présence même « d'un puits intarrissable de 20 pieds de diamètre et dont l'architecture, ainsi que celle du château, rappelle la richesse et la puissance des hommes qui en furent les fondateurs » [Note : Cette description porterait à faire croire que le puits de la cour du château fut autrefois agrémenté d'une ornementation architecturale rappelant celle du château]. Des prairies seraient faciles à trouver ; enfin rien ne devait manquer à cet Eden de la race chevaline. Le maire perspicace ajoute que le château appartenant à un particulier, loin d'être profitable et d'un revenu certain à celui-ci, ne lui offre qu'un bien onéreux et de peu de rapport ; il a la certitude que le particulier en question consentirait à la vente, à un prix très modéré. En un mot, pour 50 000 livres le Gouvernement pourrait s'en rendre acquéreur, ainsi que des accessoires nécessaires à l’établissement proposé. La location pourrait être de 3 000 livres.

Le citoyen maire était quelque peu trop affirmatif. Il ne soupçonnait pas évidemment que Janzé couvrait le duc de Rohan, resté en réalité le véritable propriétaire, malgré l'acte de vente qui avait fait passer tous les biens de la famille de Rohan à une main étrangère, et que le château de leurs ancêtres tenait à cœur, plus que tout, aux Rohan.

Louis-Antoine-Auguste de Rohan, après la mort de son cousin Louis-Marie, duc de Rohan (1791) [Note : Tous deux étaient petits-enfants de Louis Ier de Rohan-Chabot, duc de Rohan]), avait, par suite de l'acte de substitution de 1708, hérité de tous les titres et biens que comportait cette transmission (Duché de Rohan, Principauté de Léon, Marquisat de Blain, Comté de Porhoët) [Note : Avant cet héritage, il n'avait personnellement que la terre de Kerguenneck (Kerguehennec, en Bignan)].

Nous n'avons pas à rechercher les causes déterminantes de la catastrophe financière à laquelle Auguste de Rohan fut amené, qu'il nous suffise de savoir que l'héritier des Rohan-Porhoët, tout au commencement du XIXème siècle, se trouva dans une situation très critique. Après avoir loué d'abord la totalité de ses biens (1800), moyennant une redevance annuelle, à M. Henri Janzé, déjà son locataire pour les forges de Lanouée [Note : C'est pourquoi, dans une requête adressée au maire de Josselin, Henri Janzé dit qu'avant l'acquisition (11 vendémiaire an XI) du château, il en était « fermier général » aux fins du bail... etc.], il sévit dans l'obligation de chercher acquéreur. M. Janzé ayant proposé à M. de Rohan un prix supérieur aux offres que celui-ci avait reçues jusqu'alors, le contrat de vente fut signé le 25 août 1802.

Dans cet acte passé à Paris, par-devant Péan de Saint-Gilles notaire, et enregistré au bureau du Luxembourg, le 16 fructidor an X, figuré au chapitre 3 de la vente [Note : La vente comportait les chapitres suivants : Terre de Kerguenneck, Terres de Pontivy et dépendances, Terre de Porhoët, Domaine ci-devant principauté de Léon, Terre de Blain (comprenant Plessé et Fresnay), Forges des Salles, Forêt de Quénécan, Forêt et Forges de Lanouée, Forêt de Loudéac et terrains en dépendant, Forêt de Branguilly, Bois des Débats. Le tout était obtenu moyennant le prix de 1 461 728 livres équivalents à 1 480 000 livres tournois], la « Terre de Porhoët », composée des immeubles ci-après : « Un château, cour, jardins et dépendances, commune de Josselin ; les halles dudit lieu et le four, un moulin à fouler le drap, même situation et en très mauvais état. Les prés de Penfrat, commune de Mohon, même département ». La forêt et les forges de Lanouée étaient l’objet d'un chapitre spécial. Bâtiments des forges, maisons d'habitation, fours, magasins, formaient un tout important et la forêt elle-même contenait 7192 arpents [Note : 7192 arpents, dont 1192 de terres vagues, 5842 de terres cultivables, etc.] (3600 hectares). C'était là tout ce qui restait en propriété aux Rohan de leur Comté de Porhoët, après la Révolution.

Bien que la vente ne fasse mention d'aucune restriction, le jour même, ce contrat fut suivi d'une contre-lettre, portant promesse de rétrocession en faveur du prince de Léon, fils du duc de Rohan, « de quelques châteaux, halles et prisons, biens d'un médiocre revenu, mais que les Rohan tenaient à conserver, comme se rattachant à leur position d'anciens seigneurs ». M. Janzé [Note : Le même, M. Louis-Henri Janzé, fut anobli quelques années plus tard ; créé baron par Napoléon Ier puis comte par Charles X] consentait en même temps, à garder ces biens sous son nom et à les administrer comme siens, jusqu'au jour où le prince de Léon, qui avait émigré, voudrait et pourrait en reprendre ostensiblement la propriété. Il les conserva pendant douze ans, jusqu'au 22 novembre 1814, époque à laquelle une vente fictive permit au prince de Léon, Alexandre-Louis-Auguste, de les reprendre sous son nom. Les châteaux de Pontivy et de Josselin furent ainsi sauvés du naufrage.

De leurs immenses possessions en Bretagne, il ne resta donc alors aux Rohan que ces deux bribes, qui n'étaient hélas ! que le souvenir des grandeurs du passé.

Après ces revers, le prince de Léon, devenu duc de Rohan, ne se trouva sans doute pas le goût de vivre en Bretagne, car il établit sa résidence à Paris [Note : A partir de 1815, il y fut retenu, par sa charge de premier gentilhomme de la chambre]. Le château de Josselin restait donc livré à la solitude et à l'abandon, quand une intervention presque providentielle vint, dans les dernières années de la Restauration, le sauver peut-être de la destruction irrémédiable. Voici comment M. Baille, dans son ouvrage « Le Cardinal de Rohan », retrace l'épisode du passage de la duchesse de Berry à Josselin : « La duchesse de Berry, qui faisait une tournée en Bretagne pour l'instruction de sa fille Louise, arriva à Ploërmel et demanda s'il n'y avait pas dans la région quelques monuments curieux à visiter. On lui cita le château de Josselin, qui appartenait au duc de Rohan [Note : Le duc de Rohan dont il s'agit ici était Louis-François-Auguste, fils d'Alexandre-Louis-Auguste. Il habita d'abord Paris et le château de la Roche-Guyon, puis étant entré dans les ordres, fut nommé archevêque de Besançon. Le titre ducal passa à son frère Fernand]. Une belle ruine appartenant à son cousin Rohan, c'était plus qu'il n'en fallait à la duchesse pour la décider à affronter une course de trois lieues par des chemins impraticables. Ce que découvrit la princesse la dédommagea de ses peines ; elle fut aussi émerveillée de la pure beauté du monument que contristée du délabrement voisin de la ruine, où elle le trouvait. De retour à Paris, elle fit appeler Auguste de Rohan et lui exposa, avec l'ardente énergie qu'elle mettait à ce qui lui tenait à cœur, quelle responsabilité il encourait à l'égard du pays, en abandonnant plus longtemps un pareil chef-d'œuvre à un écroulement certain. La mise en demeure de la princesse ne fit d'abord éprouver à Rohan qu'un profond étonnement : il savait vaguement que, dans son domaine de Bretagne, il y avait une ruine qui s'appelait Josselin ; mais que le patrimoine du pays pût être intéressé à ce débris, c'est ce dont il ne revenait pas. Toutefois, comme il ne discutait jamais les injonctions de ses princes, il entreprit sans délai et continua tant qu'il vécut les travaux de consolidation et de préservation ».

Depuis, le travail a été repris ; le duc de Rohan actuel, guidé par un goût éclairé et par le respect dû à une œuvre incomparable, consacre chaque année temps et fortune à la restauration de la demeure seigneuriale de ses ancêtres ; on peut même dire qu'aujourd'hui le château est rétabli dans son ancienne splendeur. Il représente pour le XVème siècle l'équivalent de la relique historique, qu'est devenu le château de Pierrefond pour le XIVème siècle. Le temps, ce maître du beau et du bien, ne fera que sanctionner la valeur artistique de ce monument de notre histoire, qui perpétuera à travers les âges le souvenir de la puissance des Comtes de Porhoët.

(Hervé DU HALGOUET).

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