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LE PARDON DE PLOULEC'H

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Dans la paroisse de Ploulec'h, un promontoire sauvage s'avance au milieu des flots de la mer, à l'endroit même où le Léguer ou rivière de Lannion y déverse ses eaux. C'est un des lieux le plus anciennement habités de la Basse-Bretagne. Plusieurs monuments celtiques se dressent au milieu des bruyères qui le recouvrent, et les débris d'une enceinte gallo-romaine expliquent pourquoi ce lieu s'appelle de toute antiquité la Vieille-Cité. Les Bretons le nomment aussi Coz Yaudet (le Vieil-Yaudet) et les Français le Guyaudet ou le Guéodet ; nous chercherons plus loin pourquoi. Enfin on a donné — à tort ou à raison — à la cité disparue depuis bien des siècles, la dénomination de Lexobie, qu'il ne faut toutefois pas confondre avec l'ancienne ville de ce nom qui a donné naissance à Lisieux ; le Lexobie du Yaudet pourrait bien d'ailleurs n'être que la trouvaille d'un clerc trop érudit du moyen-âge.

Voici, du reste, la tradition locale sur Lexobie, renfermée, tout entière dans un vieux gwerz ou cantique breton recueilli par M. Luzel :

« Je vous parlerai d'une place sainte située au bas de la rivière du Guer et consacrée à la sainte Vierge, la première église qui lui ait été élevée en Bretagne.

Oui, sans mentir, dans l'ancien évêché de Tréguer se trouve le temple le plus ancien qui ait été dédié à la Mère de notre Sauveur sur la terre.

En l'année soixante-douze après la mort du Roi des Saints, fut bâti le Guéodet, en l'honneur de sa sainte Mère.

Un disciple de Joseph d'Arimathie fut le premier évêque de Lexobie ; il descendit en Breiz-Izel d'après le conseil d'un saint homme de ses amis.

Après avoir passé par le pays des Saxons, appelé Grande Bretagne, il débarqua à Morlaix et convertit toute la ville.

Ce saint homme avait nom Drennalus ; inspiré et soutenu par Jésus, il convertit tout le pays et y planta la foi.

…… Melchidias, successeur de Lin sur le siège de saint Pierre, consacra Guénaël comme évêque du Koz-Guéodet.

Ce prélat fit brûler les idoles et voulut qu'on vît dans chaque maison un crucifix, avec des images de Marie et des Apôtres.

Saint Tugdual aussi y fut longtemps évêque, soixante-trois ans; et y mourut suivant les uns, à Tréguer disent d'autres.

Des barbares nommés Danois, conduits par leur chef Hastevin (Hasting), arrivèrent à Lexobie sur leurs vaisseaux, la détruisirent et la brûlèrent.

De Dol vint alors une armée pour chasser les Danois ; mais, hélas ! quand elle arriva, la ville était réduite en cendres.

Le prince Momen, roi de Dol, voyant cet évêché menacé de disparaître par la mort de Canamus, son dernier évêque, nomma Gratien évêque de Tréguer.

Gratien demanda au roi la permission de changer le siège de l'évêché, puisque Lexobie n'existait plus.

Sa demande lui fut accordée, et il s'établit dans le couvent de Trécor, qui, d'après ce qu'on rapporte, fut le commencement de Tréguer.

Le saint temple de Koz-Guéodet fut alors abandonné ; mais Dieu ne permit pas qu'il fut à tout jamais délaissé.

Il inspira à Mgr de Tréguer de reconstruire le saint lieu, qui est un véritable trésor pour les Bretons.

Là jaillit, en effet, une source qui ne tarira jamais, source de grâces venant du ciel et pour le corps et pour l'âme.

Je ne citerai aucun des miracles opérés au Koz-Guéodet ; un mois entier ne me suffirait pas pour les rapporter et les écrire.

Au Koz-Guéodet il y a des remédes pour toutes les maladies ; de tout danger et de tout ennui est préservé celui qui s'y rend.

Nombre de grâces sont accordées au Guéodet, par dessus toutes les autres places saintes ; pendant tout le mois de mai dure le pardon, pour donner le temps de gagner les indulgences » [Note : Revue de Bretagne et de Vendée, XXXIV, 221].

C'est cette légende des premiers évêques de Lexobie qu'adopta le bon P. Albert Le Grand quand il dressa la prétendue chronologie de soixante-quatre évêques de Lexobie antérieurs à saint Tugdual !

Si nous voulons un peu d'histoire sérieuse, relisons plutôt cette excellente page écrite par M. de la Borderie :

« Il suffit d'aller au Yaudet et d'ouvrir les yeux pour voir qu'il y a eu là un établissement fort important au temps de la domination romaine, et probablement dès l'époque gauloise. Ce qui en reste donnerait à croire que cet établissement a eu principalement un caractère stratégique et une destination militaire. Toutefois, c'était certainement plus qu'une forteresse. L'enceinte dont on reconnaît les fortes murailles, ayant un développement assez étendu, il s'y forma, sans nul doute en dedans et à l'abri des remparts, en dehors et sous la protection de la garnison, une agglomération considérable d'habitants, qui dut faire de ce point l'une des localités les plus importantes de la cité des Osismes, dont relevait tout le pays environnant. Telle est la première idée qu'excitent dans tout esprit droit et non prévenu, la vue des ruines encore subsistantes, la situation géographique, l'assiette si avantageuse de cette ancienne ville romaine.

En second lieu, il semble incontestable que le Yaudet a été, au VIème et probablement encore au VIIème siècle concurremment avec Lan-Tréguer, la résidence des évêques régionnaires du pays trégorois. En effet : 1° la grande légende de saint Tudgual l'affirme formellement ; 2° cette assertion de la légende est confirmée, on peut le dire, par ce fait que les évêques de Tréguier ont eu au Yaudet, au moins jusqu'au XVème siècle, un manoir ou hôtel épiscopal, qui était comme un souvenir de leur première résidence en ce lieu ; 3° enfin, le nom de Vetus Civitas et, en français Vieille Cité, donné au Yaudet dès le XIIIèmes siècle par les documents du moyen-âge, ce nom est allégué avec beaucoup de raison comme une preuve sérieuse et décisive en faveur des traditions qui font du Yaudet, dans l'antiquité, une ville ou au moins une résidence épiscopale » [Note : De la Borderie, Collectionneur breton, III, 97].

De l'ancienne ville épiscopale de saint Tugdual il ne reste que la chapelle du Coz-Yaudet. On s'est demandé d'où venait ce dernier nom et on a voulu rapprocher le Yaudet breton de l'espagnol Kiutad, de façon à traduire le Coz-Yaudet par Vieille Cité, dénomination donnée à la ville ruinée dont nous venons de parler. Mais on semble oublier que le Yaudet n'est point un nom usité seulement en Ploulec'h : il y a deux autres chapelles du Yaudet dans l'évêché de Saint-Brieuc et une troisième près de Quimper. Chose singulière, tous ces sanctuaires sont dédiés à la Vierge-Mère, et dans le diocèse de Saint-Brieuc les trois chapelles du Yaudet offrent la même représentation de la Sainte Vierge couchée, ayant près d'elle son Divin Enfant. Or les Bretons désignent l'enfantement d'une femme par le mot Gwilioud ou Gwéléoud [Note : Le Gonidec, Dictionnaire breton-français] et certains d'entre eux, rapprochant ce mot du nom d'Yaudet, prétendent que les chapelles ainsi nommées tirent leur vocable du glorieux privilège de la maternité divine accordé à leur sainte patronne.

Quoi qu'il en soit, la chapelle de Notre-Dame du Coz-Yaudet subsiste seule avec quelques maisonnettes insignifiantes sur le promontoire qui domine l'embouchure du Léguer. Rebâtie, hélas ! il y a quelques années à peine, sur l'emplacement de l'ancienne — où se voyaient, prétend-on, d'antiques tombeaux d'évêques — elle n'offre rien de remarquable au point de vue architectural. C'est un rectangle composé de trois nefs dans lesquelles on a replacé deux anciennes portes de l'édifice précédent ; celles-ci appartiennent au style fleuri du XVème siècle et sont assez jolies avec leurs guirlandes sculptées dans le granit, leurs pinacles et leurs accolades.

Notre-Dame du Coz-Yaudet est en grande vénération dans tout le pays de Lannion. Tous les ans, durant le mois de mai les pèlerins s'y rendent en foule, font dire des messes et apportent des offrandes. On y voit déposés, comme ex-voto, nombre de béquilles, des navires suspendus à la voûte et des produits de provenance étrangère, offerts à la Vierge par les marins.

C'est qu'en effet les populations maritimes sont généralement religieuses. Si vous voulez apprendre à prier, allez sur mer, dit un proverbe bien connu, auquel répond un proverbe breton non moins beau :

War vor peb an kenn,
War vor peb pédenn.

Ce qui veut dire : sur mer toute angoisse, sur mer toute prière.

Le premier dimanche de mai, le clergé de Ploulec'h fait une procession pour ouvrir en la chapelle du Coz-Yaudet les exercices du mois de Marie. Cette procession se rend à une croix très vénérée, dite la Croix du Salut, croix qu'on voit de très loin en mer et que saluent volontiers les marins en danger.

Mais le grand jour du pardon, c'est le troisième dimanche de mai ; ce jour-là tout Lannion et toutes les paroisses voisines accourent au Coz-Yaudet, les uns à pied le long des falaises, les autres en voiture en suivant les chemins rocailleux qui sillonnent les collines voisines ; beaucoup enfin, en bateau portés doucement sur les eaux du Léguer, ou balancés plus fortement par les flots de la mer.

Toute cette pieuse multitude se répand dans la chapelle et autour d'elle, car l'édifice est insuffisant pour contenir pareille foule ; les mendiants se placent eux-même à tous les abords, implorant la pitié des pèlerins, qui ne leur fait jamais défaut, quelque nombreux et importuns qu'ils soient :

Entendez-vous les sous sonner dans leur coquille [Note : Brizeux, Les Bretons].

Les pèlerins entrent par groupes dans le sanctuaire et s'agenouillent dévotement devant l'image de Notre-Dame ; mais celle-ci mérite d'être décrite avec soin.

Comme toutes les Vierges des chapelles appelées Yaudet, celle qui nous occupe est représentée couchée ayant près d'elle l'Enfant Jésus. Seulement ailleurs c'est un haut relief qui se détache sur un fond de pierre ou de bois ; au Coz-Yaudet c'est aujourd'hui toute autre chose. On nous a raconté qu'avant la Révolution la Vierge du Coz-Yaudet ressemblait à ses pareilles des autres Yaudet ; mais à l'époque du vandalisme impie de 1793 le haut relief du Coz-Yaudet fut horriblement mutilé, la figure de Marie ne fut elle-même pas respectée ; à peine quelques pieux fidèles parvinrent-ils à sauver la tête de la Vierge et celle de son Divin Fils. A la restauration du culte on regarda ces débris de statues comme doublement saints, et au lieu de songer à sculpter une nouvelle représentation, on voulut utiliser ce qui restait du tableau en relief primitivement honoré. On couvrit donc de draperies tout le fond de la vaste niche qui se trouve placée au-dessus du maître-autel ; de la sorte on représenta tout-à-fait au naturel un lit avec ses rideaux ; on replaça les têtes de la Vierge et de l'Enfant Jésus comme elles étaient à l'origine, c'est-à-dire couchées l'une à côté de l'autre, et l'on recouvrit ce qui restait de leurs corps de draps fins et d'une belle couverture. Et voilà comment maintenant encore Notre-Dame du Coz-Yaudet apparaît couchée dans un vrai lit ; sa tête et celle du petit Jésus émergent seules des couvertures, que naturellement on choisit à l'époque du pardon parmi les plus riches et les mieux brodées. Au-dessus de la Vierge plane le Saint-Esprit sous la forme d'une colombe. Au pied du lit la statue d'un saint personnage, représenté assis et considérant le Divin groupe au lit, est demeuré intacte ou a été refaite depuis 1793 ; les uns y voient saint Joseph veillant sur le précieux dépôt que le ciel lui a confié ; d'autres — et nous sommes de ce nombre — pensent qu'ici, comme dans les autres Yaudet, il s'agit plutôt du prophète Isaïe, reconnaissable d'ailleurs au phylactère qu'il tient en main, portant ces mots : Ecce Virgo concipiet et pariet filium, et expliquant ainsi la scène représentée.

Devant ces saintes figures il est touchant de voir agenouillés non seulement de vieilles femmes et des enfants, mais encore de jeunes marins et des hommes dans la force de l'âge, témoignant par leur attitude de la sincérité de leur foi et de la vivacité de leurs prières. Aussi quand la grande procession du pardon sort le troisième dimanche de mai, il fait beau voir ces hommes habitués à lutter en mer contre les violences de l'océan, il fait beau les voir solliciter la faveur de poser sur leurs robustes épaules les navires qui rappellent les dangereuses péripéties de leur existence et la statue de Notre-Dame qu'ils invoquent comme la meilleure des mères. Et quand la procession rentre en la chapelle il faut entendre les coups de fusils, de pistolets et de toutes sortes d'armes à feu, vieilles ou modernes, que les jeunes gens tirent à l'envi pour rendre honneur à la Reine des cieux, pour la remercier de sa protection et pour lui demander de nouvelles faveurs. C'est vraiment un joli pardon que celui du Coz-Yaudet.

(Abbé Guillotin de Corson, 1902).

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