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Manoirs de Plougonven : Mezédern, Moguérou, Keraudren, Penarstang.

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En suivant, au sortir du bourg, la route de Lannéanou, qui court au Sud, vers les montagnes, on aperçoit bientôt à droite, émergeant des verdures, la tourelle du vieux manoir de Mezédern. Even Le Lagadec, frère présumé de Jean Le Lagadec, auteur du Calholicon, était seigneur du lieu en 1443, et ses descendants ont continué la filiation directe jusqu'au milieu du XVIIIème siècle. Louis Le Lagadec, cité dans la réformation de 1535, avait épousé en 1513 Catherine Le Sénéchal de Coëtelant. En 1645, Jeanne Le Bihan du Roudour, veuve de Guy Le Lagadec, fit une belle fondation d'une messe chantée quotidienne, sur le maître-autel de l'église, en stipulant qu'avant chaque service, « il se frappera sept coups de la grande cloche en l'honneur de la Saincte Vierge et des douleurs qu'elle souffrit lors de la Passion » (Archives du presbytère).

Leur fils Jean Le Lagadec, seigneur de Mezédern, Moguérou, établit en 1681, de concert avec sa seconde femme Françoise du Landrein, une fondation de trois messes hebdomadaires sur l'autel de la chapelle du manoir de Corvez, en l'église, dédiée à Saint Loup et à Saint-Eloy. Ils lèguent en même temps une rente de 36 livres pour fournir « l'huile affin de tenir feu et chandelle ardente jour et nuit dans la lampe estant au coeur devant sa Majesté divine » (Archives du presbytère). Jean Le Lagadec mourut en 1688, à 80 ans, et fut enterré dans son enfeu de l'église. Le cahier des fondations énumère les nombreux services que ses parents et amis firent célébrer à son intention dans les paroisses d'alentour.

La famille Le Lagadec s'est fondue dans Billouart par le mariage, vers 1736, d'Agathe-Renée Le Lagadec, fille posthume d'Hervé-Louis Le Lagadec, chevalier, seigneur de Mezédern, mort à 20 ans en 1713, et d'Anne-Scholastique Billouart, avec son cousin Antoine Billouart, sieur de Kervazégant, capitaine au régiment de Liancourt-cavalerie, qui obtint en 1740 des lettres patentes pour relever le nom et les armes du vieil estoc des Le Lagadec. Leur descendance s'est éteinte dans Roquefeuil.

Le manoir de Mezédern fut acquis, vers 1732, par M. Louis-Hyacinthe Le Rouge, chevalier, seigneur de Guerdavid en Lannéanou, époux de Marie-Françoise de Marigo, et devint, pendant la seconde moitié du XVIIIème siècle, la résidence d'été de cette famille, qui le possédait encore à la Révolution. Il fut alors saisi sur l'émigré Jean-François Le Rouge Guerdavid et vendu nationalement, le 14 pluviose an III, au citoyen Raoul de Plougonven, moyennant 20.000 livres. Mais en l'an X, un accord rendit le manoir à Madame Loz de Coëtgourhant, née de Guerdavid, qui y résidait avec son mari et ses enfants. En 1841, Mezédern passa par acquêt à M. Coudre-Lacoudrais, maître des requêtes au Conseil d'Etat ; une des clauses du contrat stipule qu'en cas de découverte d'un trésor, l'acquéreur s'oblige à remettre aux vendeurs ou héritiers la moitié de sa trouvaille. Eu 1858, MM. François Bivilion et Jean-Marie Daffniet achetèrent Mezédern, qui appartient vers 1922 aux Ellouet, l'une des plus notables familles de propriétaires cultivateurs de la commune.

Le double portail extérieur du manoir est surmonté d'un écusson timbré d'un heaume à lambrequins et soutenu par des lions, avec la date 1553 inscrite en gothique. A gauche se dresse une haute et grosse tour hexagonale percée à la base de meurtrières ; à gauche est la chapelle, jadis dédiée à Saint-Nicolas, et décorée de jolies boiseries. Au fond de la cour, le corps de logis principal possède une porte à contre-courbe feuillagée, mais les fenêtres ont perdu leurs meneaux en croix. Derrière, une autre tourelle à pans coupés renferme l'escalier de pierre enroulé en vis. L'arcade intérieure du portail est remarquable par la hardiesse de sa portée.

L'avenue, signalée au carrefour par une vieille croix sculptée, va rejoindre l'ancienne route au village de Kerallouant. Un peu au Sud est le hameau ae Moguérou (les murailles, les ruines) lieu noble qui était en 1441 à Yvon Le Moguérou et en 1543 à Olivier Le Rouge, cadet de Guerdavid, auteur de la branche des Le Rouge de Penfeunteniou. Au XVIIème siècle, Moguérou dépendait de Mezédern, et fut vendu nationalement, en l'an III, à Larrault et consorts. La maison actuelle, entourée de beaux vergers et jardins est sans caractère. Devant passe le chemin du manoir de Guerdavid, que la rivière du Tromorgant sépare seule de Plougonven en formant, au pied des futaies sous lesquelles se cachent le colombier féodal et la chapelle ruinée, un étang limpide ayant pour arrière-plan la montagne arrondie de Lannéanou.

En remontant le vallon, on rencontre le hameau de Keraudren, berceau de la famille de ce nom, qui blasonnait : d'azur à 3 pommes de pin d'argent. Guyon de Keraudren, époux d'Ysabeau de Kerret, transige en 1478 avec les paroissiens au sujet de cinq tombes qu'il possédait dans l'église. Sa veuve, tutrice de Conan de Keraudren leur fils, fournit aveu en 1488 à la seigneurie de Bodister (Archives du Finistère, E. 325). Guillaume de Keraudren, frère de Guyon, était en 1485 capitaine des archers de la garde du duc François II.

Cette famille disparut à la fin du XVIème siècle, et en 1616, Laurent du Drenec, sieur de Kerourien en Ploumoguer, céda à titre d'échange, à François Le Cozic, sieur de Kerloaguen, les manoir, métairie et moulin de Keraudren, tous ruynés et en mazières, terres, prairies, bois, la chapelle de Saint-Sauveur, avec ses droits de patronage et chapellenie, et des prééminences en l'église paroissiale, comprenant 13 écussons dans la maîtresse vitre et 2 panneaux où l'on voyait les effigies agenouillées en priants de Guillaume de Keraudren, sieur dudit lieu, et de Basile du Vieux-Chastel, dame de Launay, sa femme, vivant en 1540 (Archives du Finistère, E. 325). Le nouveau propriétaire prit possession le 30 mai 1616 avec les cérémonies accoutumées et bailla le lieu de Keraudren, à titre de domaine congéable, à Jean Sallaün, pour en payer par an 90 livres tournois, 6 chapons, 1 mouton, 2 oies grasses, 40 livres de beurre, plus 2 journées de charrois (Archives du Finistère, E. 325). Saisi sur l'émigré de Tinténiac, Keraudren fut acquis en l'an VI par Françoise Guéguen. Il n'y a plus là qu'une ferme moderne.

De la chapelle de Saint-Sauveur ou Sant-Salver, situé « sur le cousteau de la montaigne, au proche des bois taillys qui aboutissent sur icelle », l'emplacement subsiste seul. On dit que rien n'y peut pousser. A 150 mètres plus bas, la fontaine consacrée n'est qu'un simple trou encombré d'herbes et de fougères, d'où l'eau se déverse dans un petit lavoir. Cette chapelle avait été fondée au début du XVIème siècle par les sieurs de Keraudren, qui en revendiquaient le patronage. Elle devint ensuite paroissiale. Un inventaire du 27 fructidor an II, dressé par les officiers municipaux, énumère les quelques effets détenus par le fabrique François Quéméner, de Kerhervé, dont le seul précieux est un calice d'argent avec sa platine (Archives du presbytère). Saint-Sauveur fut acquis, en l'an III, par le citoyen Germain Pitel, de Morlaix.

En quittant, à la cote 210, la route de Lannéanou pour gravir à droite le vieux chemin de Scrignac, on rejoint, au pied de la montagne du Télégraphe, où s'élevait un des postes de la ligne optique de Paris à Brest, l'ancien Hent Léonnec (Chemin léonard) très fréquenté jadis. Non loin du carrefour, dans un site solitaire qu'encadrent des collines incultes, se cachent les ruines du manoir de Penarstang, célèbre dans les légendes locales à cause de l'évêque François de la Tour, dont il fut la résidence.

La famille de la Tour était originaire de la paroisse et tirait son nom du manoir de la Tour, duquel il sera parlé plus loin. Yvon de la Tour vivait en 1443. Son petit-fils Hervé épousa Constance de Kergariou et fut père de Guillaume de la Tour, écuyer, sieur de Penarstang qui, de son mariage avec Jeanne de Goesbriand, eut François de la Tour, seigneur de Penarstang, futur évêque de Cornouaille et de Tréguier.

La tradition rapporte que le jeune Penarstang montra dès l'enfance un vif penchant pour l'étude. Peu satisfait des ressources que lui offrait sous ce rapport son pays natal, il s'associa avec un autre adolescent aussi affamé de savoir, appelé Coatalec [Note : Son véritable nom était Rolland de Botloy, Sr de Kermeno (en Plougonver), Coatalec, Traonmeur, le Plessis-Eon. Il était fils de Regnault de Botloy, Sr de Kermeno, sénéchal de Carhaix en 1557. Sa femme Jeanne Pinart était veuve en 1574], et tous deux partirent en dessein d'aller étudier dans les plus fameuses écoles du monde. Chemin faisant, ils rencontrèrent le diable, qui, se donnant à eux comme un savant magicien, s'engagea à leur dévoiler les arcanes de son art, à condition d'être grassement payé et de pouvoir retenir corps et âme le dernier d'entre eux qui le quitterait. Cette clause sembla dure aux deux amis : ils l'acceptèrent pourtant, avec l'arrière-pensée de jouer leur nouveau maître. Celui-ci les conduisit dans un château souterrain et leur ouvrit une vaste bibliothèque pleine de livres d'occultisme qui contenaient tous les secrets de la nature et de la création. Penarstang et Coatalec se plongèrent avidement dans cette science, recueillirent les leçons sataniques de leur professeur et tant travaillèrent qu'au bout de sept ans, ce dernier n'eut plus rien à leur apprendre. Alors ils désirèrent revoir la terre des vivants. Penarstang s'esquiva le premier ; quand Coatalec voulut suivre son ami, le démon, qui n'avait pas oublié leur pacte, se rua sur lui pour le retenir, mais ses griffes retinrent seulement l'ombre du jeune homme, qui s'était brusquement rendu invisible, et Satan furieux dut se contenter de cette maigre proie.

Après avoir accompli ensemble de nombreux prodiges, Penarstang et Coatalec se brouillèrent. Certain jour, le premier, accoudé à l'une des fenêtres de son manoir, respirait l'air vif des montagnes, lorsqu'il vit, planant, au dessus de lui, son rival qui voyageait par les airs, en chariot volant, pour aller visiter à Londres la fille du roi d'Angleterre, dont il était épris. Jaloux, Penarstang jeta aussitôt un sort à ce précurseur de l'aviation moderne et l'arrêta net dans l'espace ; mais comme il restait à sa croisée, le nez en l'air, jubilant devant la déconvenue de son rival, celui-ci se vengea en lui plantant sur le front une paire de cornes gigantesques qui l'empêchèrent de rentrer la tête. Penarstang dut s'avouer vaincu, et les deux sorciers se délivrèrent mutuellement.

Coatalec périt peu après, victime de la curiosité de son valet, au moment où il allait devenir immortel [Note : Pour ces légendes, voy. Luzel : Contes populaires de Basse-Bretagne II, 96-120 et C. de Keranflech - Voyage dans les Montagnes Noires et les Monts d'Arrée. Revue de Bretagne et de Vendée, 1857, 444-447]. Quant à Penarstang, la légende l'abandonne là, pour ne le retrouver que plus tard, quand il revint, désabusé et las, finir ses jours en son manoir natal. La première mention que je rencontre de lui est un acte capitulaire des religieux du Relec, du 26 août 1555, par lequel ils instituent pour leur « procureur, tant général que spécial, noble homme maistre François de la Tour, Sr de Penarstang, pour le temps de 6 ans ». Il ne devait pas être encore entré en religion, puisque cet acte lui attribue les qualités purement laïques de noble homme et de maire, cette dernière réservée surtout aux hommes de loi, avocats et juges. Mais, devenu d'Eglise, il fit une rapide fortune et cinq ou six ans plus tard, ou le rencontre déjà chanoine de Tréguier, archidiacre de Plougastel et recteur de Plougonven, Guerlesquin et Plestin trois grandes paroisses bien rentées.

Abbé du monastère cistercien de Coëtmalouen, diocèse de Tréguier, en 1572, évêque de Cornouaille en 1574, puis de Tréguier en 1583, François de la Tour est mort le 11 août 1590 à son manoir de Penarstang, qu'il avait rebâti vers 1570 et augmenté d'une chapelle dédiée à son saint patron. Il s'y était retiré avant le début des troubles de la Ligue, et avait obtenu en 1589 du vicomte de Donges d'entretenir une petite garnison de gens de guerre aux ordres du comte de la Magnanne. La légende lui prête des moeurs relâchées, et des poètes populaires ont rimé sur lui deux gwerzes dont la publication a été beaucoup reprochée à Luzel (Gwerziou Breiz-Izel, I, 425-433). Pourtant, l'indignité d'un prélat au cerveau affaibli par l'âge, atteint sans doute de cette démence sénile qui provoque parfois de si déconcertantes chutes, ne saurait être exploitée de bonne foi contre l'Eglise. L'histoire narrée dans ces chants, qui ne différent que par de menus détails, semble être empruntée à l'Heptaméron ou à quelque fabliau du moyen-âge. La morale, un peu maltraitée de ci de là, en sort pourtant victorieuse, et c'est l'essentiel.

Il y avait alors à Plougonven une jolie et brave fille, appelée Aliette Le Mat, (Aliettik Ar Mat), l'une de ces belles brunes élancées, au frais visage, au regard rieur, qui demeurent encore le plus attrayant type féminin du pays « Ses yeux, dit le poète, brillent comme l'étoile du malin ; son front et ses joues sont blancs commc du lait ». Monsieur de Penarstang l'a d'autant mieux remarquée que son père manoeuvre l'un des convenants dépendant du manoir, et cette demi-vassalité l'oblige vis-à-vis de son seigneur à une déférence dont celui-ci entend bien profiter. Il convoque le vieux Le Mat et lui met le marché en main. Qu'Aliette consente à le servir pendant un an, et le convenant appartiendra aux siens ; sinon l'évêque usera de son droit de congément, et, ce sera pour eux mille embarras, des frais multipliés, presque la ruine.

La proposition est tentante, mais Le Mat répugne à l'accepter, car son maître a mauvaise réputation, et près de lui, l'honneur d'Aliette serait en grand péril. Sa femme au contraire, marâtre impérieuse et cupide, accueille avec joie une telle aubaine et signifie à sa belle-fille que dès le lendemain, elle devra se rendre à Penarstang pour y être servante. Consternée, Aliette sanglote, invoque le souvenir de sa mère décédée qui n'eût permis une telle chose, « dût-on perdre dix-huit convenants ». Tout est inutile ; il faut obéir. Dans la rosée du matin, elle s'achemine tristement vers le manoir, dont elle a ouï faire d'inquiétants récits, mais elle s'arrête au seuil de la porte ; son courage défaille à le franchir : elle s'assied sur les marches, et là, pleure « à se noyer le coeur ».

M. de Penarstang lui dépêche son valet de chambre pour l'engager à entrer ; il va chanter vêpres ; qu'elle vienne l'éclairer. Aliette refuse. Successivement, le seigneur la convie à venir recevoir de l'or et de l'argent, des bagues précieuses, à déguster du vin doux, à trier les fruits du grenier. Rien de tout cela ne tente la jeune fille. Au moins, qu'elle monte pour faire le lit de l'évêque. Cela rentrant dans ses attributions domestiques, Aliette y consent, mais à condition que le vieillard ne la suive point. Elle saura bien d'ailleurs se défendre. « S'il allonge trop ses pas à me poursuivre dans les corridors, je le jetterai en bas sur la bouche ».

Pendant tout un an, la vaillante fille sait ainsi se faire respecter. Le terme échoit enfin ; elle réclame à son maître l'exécution du marché conclu. M. de Penarstang a signé et doit tenir sa promesse. Furieux, il exhale son dépit en apostrophes grossières, en malséantes prédictions ; à quoi Aliette Le Mat riposte crânement, avec une dignité rustique sans fausse pruderie. Oui, elle quitte Penarstang ayant gardé son honneur, chance que n'ont pas eues dix-huit filles avant elle. Deviendrait-elle la femme d'un pauvre gardeur de porcs, elle étalera sans rougir une promesse de maternité, car il n'y aurait point là de honte pour sa famille. Et elle termine par une leçon bien méritée : « — Vous, M. de Penarstang, vous êtes marié à l'Eglise : vous êtes uni au sacrifice. Si vous réfléchissiez à votre péché, vous y renonceriez certainement ».

L'acte de décès de l'évêque de Penarstang est ainsi consigné dans un vieux nécrologe de Saint-Mathieu de Morlaix : « Franciscus de la Tour, dominus de Penanstan, obiit sabato die undecima mensis augusti anno domini millesimo quinquemo octuagemo decimo, et sepultus fuit die luna decima tertia mensis augusti anno que supra in parochia de Ploegonven » (Archives de la mairie de Morlaix). Il semble donc être mort à Morlaix, à moins que le vicaire de Saint-Mathieu n'ait jugé bon de mentionner dans son registre, à titre d'évènement remarquable et quoique survenu hors de la paroisse, le décès de l'evêque du diocèse. — Mais le fait qu'il ait cru devoir supprimer toute qualification épiscopale ou simplement ecclésiastique établit que François de la Tour se trouvait dans une situation anormale vis-à-vis de l'Eglise, probablement frappé d'interdit ou de suspense, car on ne saurait expliquer d'autre façon la teneur insolite de son acte de sépulture, ni l'absence, déjà constatée par Albert Le Grand, de tout monument, même d'une simple épitaphe, sur la tombe qui reçut ses restes.

Durant de longues années après son décès, le spectre de l'évêque défunt ne cessa, dit-on, de hanter les alentours du manoir. Les paysans attardés rencontraient dans l'avenue un carrosse magnifique tramé par deux chevaux noirs. A l'intérieur, mître d'or en tête, crosse d'or à la main, se tenait assis le fantôme épiscopal, mais tout ce métal était chauffé à blanc, et infligeait au trépassé les plus cruelles souffrances du purgatoire. A la prière des habitants du quartier, le recteur de Plougonven vint avec l'un de ses prêtres pour conjurer l'âme en peine. Quand passa l'effrayant équipage, ne sachant comment obliger François de la Tour à sortir de la voiture, il s'avisa de dire à son compagnon : « Vois donc comme ces harnais sont faits de mauvaise étoupe ». Le revenant, chez qui l'orgueil survivait encore, mit aussitôt la tête à la portière pour examiner ses harnais, ornés en réalité de clous et de boucles d'argent. Sans perdre un instant, le recteur lui lança son étole autour du cou, l'arracha du carrosse et prononça sur lui un tout-puissant exorcisme : « — Je te défends, ajouta-t-il, de revenir désormais à Penarstang et d'épouvanter les gens. Où veux-tu que je te mène pour y achever ton expiation ? »« Conduis-moi, répondit le spectre, au marais qui est là-bas, devers Kergorre. Tu me jetteras au milieu et j'y resterai, jusqu'à ce que, par trois fois, on ait omis de célébrer la grand'messe au bourg. Alors je serai délivré ». Ainsi fut-il fait. La fondrière où l'on précipita l'évêque prit le nom de Bouillen-an-Eskop. L'eau fétide et noire y bouillonnait sans cesse, comme chauffée par un feu souterrain, et l'on n'en pouvait trouver le fond. Mais depuis, les paroissiens ont dû se passer trois fois de grand'messe dominicale, les prêtres qui la devaient célébrer ayant par mégarde bu un verre de cidre, avalé un grain de blé et mangé une croûte de pain. Le châtiment infligé par Dieu au prélat dévoyé a donc pris fin, et le paradis a souhaitons le, recueilli l'âme, purifiée par l'expiation, de François de la Tour.

La nièce de ce dernier, Marie de la Tour, dame de Kerloasser en Lannéanou, hérita Penarstang et l'apporta par alliance dans la famille Le Lévyer. Son fils Guy Le Lévyer, sieur de Penarstang et de Kerloasser, était sénéchal de Morlaix en 1619. Une soeur cadette de Marie, Françoise de la Tour, avait épousé Noël de Lézormel, sieur de Kerloscant. Au partage définitif de leurs successions, Penarstang resta aux Lézormel, qui y résidaient déjà en 1639. Un décès y survint en 1665 en des circonstances qui donnent l'idée de quelque drame noir. Moins d'un mois après avoir épousé l'une des filles du lieu, Anne de Lézormel, Philippe Estienne, sieur de Closneuff, trépassa d'une façon suspecte : il y eut descente de justice, et visite du cadavre par le lieutenant et le procureur du Roi au siège de Morlaix. La jeune veuve elle-même disparut, avec l'enfant issu de ses brèves épousailles, en 1668. Bien des tragiques secrets dorment ainsi, enclos dans les impassibles formules des vieux registres de sépulture.

Le manoir de Penarstang appartenait en 1675 à Jean-Baptiste de Lézormel, époux de Marie-Anne de Tréménec. Criblés de dettes, et vendant pièce à pièce leur patrimoine, ils virent enfin leur demeure saisie réellement, le 13 août 1685, par l'un de leurs créanciers, Guy Chrestien, sieur de Kerohic, procureur du Roi de l'Amirauté de Tréguier, qui en poursuivit la vente judiciaire, et se le fit adjuger, le 7 janvier 1689, pour la somme de 2.130 livres. Comme les Lézormel annonçaient leur intention de ne point déloger et de s'opposer à la prise de possession par M. de Kerohic, celui-ci organisa une sorte d'expédition guerrière, composée du bailli, d'un procureur, de deux notaires, d'un huissier et d'un archer. Ainsi escorté, il se présenta au portail de Penarstang, le 26 janvier. Ce déploiement de forces intimida les malheurcux débiteurs, qui demandèrent seulement un délai d'une semaine pour enlever les épaves de leur mobilier.

Bien que le soir tombât déjà, les notaires entamèrent leur procès-verbal de l'état des lieux, état lamentable, tout empreint de misère, d'abandon et de ruine. A la maison, entièrement « carante de réparations », les fenêtres avaient perdu leurs vitres et leurs châssis, les portes leurs battants, les chambres leurs boiseries ; seuls les murs restaient solides. Les dépendances, écuries, galeries, crèches, granges, colombier, croulaient de toutes parts : l'arche du portail était rompue, le jardin en friche, la clôture effondrée, la métairie inhabitée, la chapelle sans toiture. Sous le crépuscule hivernal, cette désolation devait serrer le coeur. Après une mauvaise nuit, passée dans l'une des pièces vides, M. de Kerohic et ses compagnons achevèrent le lendemain leurs formalités dans l'église de Plougonven, où le nouveau propriétaire fut induit en possession des prééminences de Penarstang (Titres de Penarstang).

Jean-Baptiste de Lézormel, réfugié à Morlaix, ne renonça point, tant qu'il vécut, à l'espoir de recouvrer le manoir de ses pères, et, lorsqu'en 1708, il convole en secondes noces, à l'âge de 72 ans, avec une certaine Catherine de Saint-Géron, demoiselle de la Roque, qui lui fit goûter à trois reprises les joies d'une tardive paternité, il se qualifie encore fièrement de chef de nom et d'armes, chevalier, seigneur de Penarstang. Après sa mort, survenue en 1716, son gendre M. Lezot de Pontminiac reprit ses prétentions, mais en fut définitivement débouté par arrêt du siège royal de Morlaix en 1720 (Titres de Penarstang).

La famille Chrestien porta jusqu'au début du XIXème siècle le surnom de Chef de lestang, forme francisée de Penarstang. L'aveu fourni en 1748 par dame Gabrielle Le Gogal, douairière du lieu, au marquis de Kersauson, à cause de son fief de Bodister, décrit minutieusement l'ancien manoir avec sa grande maison à 4 pignons, longue de 79 pieds, haute de 19, ses 11 fenêtres à croisées de pierre, ses 7 portes, son pavillon contenant l'escalier, ses dépendances, jardins, vergers, bocage, futaies, étang, chaussée etc. (Titres de Penarstang). Aujourd'hui, les anciennes constructions ont en grande partie disparu ; il ne subsiste plus qu'un tronçon du corps de logis et le pavillon adjacent ; au retour d'équerre, un reste d'entrée monumentale est flanquée d'une colonne renflée à chapiteau dorique et d'une porte au cintre coupé de claveaux, s'ouvrant sur l'escalier de pierre.

Un énorme contrefort étançonne le pavillon, percé à son pignon extérieur d'un oeil-de-boeuf ovale. L'une des pièces de l'étage, munie d'une jolie cheminée Renaissance, est encore dite Kambr an Eskop (la chambre de l'évêque}. Les vieux toits fléchissants, les fragments d'architecture effrités par les siècles, le lierre et la mousse tapissant les murailles disjointes, toul cela imprime au vieux manoir, qui a connu des jours si divers de prospérité et de décadence, qui pourrait narrer tant d'histoires singulières ou émouvantes, un aspect très particulier de pittoresque et pénétrante mélancolie. (L. Le Guennec).

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