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Manoirs de Plougonven : Garspern, Keravoas, Kervézec, Kermen, Goariva, Cozquer

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En quittant Penarstang et en descendant au Nord la pente d'une colline de 309 mètres d'altitude, on atteint bientôt le village de Garspern ou Garz-Spern (la Haie d'Epines). La famille dont cette vieille seigneurie fut le berceau avait, en raison de l'étymologie de son nom, adopté cette devise ingénieuse et menaçante : Qui s'y frotte s'y pique. Elle blasonnait : d'or au lion de gueules accompagné de 7 billettes en orle. C'était une lignée issue d'ancienne chevalerie, dont la branche cadette du Lojou, seule existante lors de la réformation de 1670, articula 13 générations de noblesse, depuis Gastaut ou Galhaud de Garspern, vivant en 1352, père de Guy, époux en 1373 de Marie du Quélennec. Dès la seconde moitié du XVème siècle, le fief de Garspern avait passé aux Kerloaguen de Rosampoul. En 1557, Jérôme de Carné et Adelice de Kerloaguen sa femme le cédèrent par voie d'échange à Jehan Guicaznou, sieur de Lisillur (Lezireur) en Henvic (Archives du Finistère. E-325), mais l'affaire ne tint pas, et vers 1600, les Carné possédaient encore Garspern, qu'ils vendirent à la famille Le Bervet du Parc. Celle-ci l'échangea en 1650 contre la terre de Rosampoul, appartenant à Yves Le Cozic, sieur de Kerloaguen, dont la fille apporta par mariage Garspern et bien d'autres seigneuries aux Kersauson, puis aux Tinténiac.

Les seigneurs du lieu prétendaient les premières prééminences de l'église de Plougonven. Ils jouissaient aussi du péage du pont de Bourret, à Morlaix, et d'un curieux privilège, ainsi rapporté dans les anciens aveus : « Que lorsque les ducs de Bretagne et les rois de France leurs successeurs entrent à Morlaix, le premier plat appartient au seigneur de Garspern, à la charge de faire du feu dans la chambre, comme il s'est pratiqué plusieurs fois et entre autres l'année 1518 », lorsque le roi François Ier passa à Morlaix au mois de septembre. Le fief de Gaspern eut jadis haute justice, mais au XVIIIème siècle, il n'était plus question que de moyenne justice. Ses patibulaires s'élevaient dans la Goarem ar Justiçou, près Kervézennec, sur la route de Morlaix. En 1780, on les reconstruisit en pierre, les précédentes étant de bois.

La terre de Garspern, saisie révolutionnairement sur l'émigré de Tinténiac, fut vendue en plusieurs lots. La veuve Laizet, fermière du manoir, l'acheta le 1er floréal an VI ; l'un des convenants fut acquis par Guillaume Le Lay, l'ex-constituant ; le moulin passa à Yves Le Hénaff et le bois taillis à J. N. Jézéquel. Ce bois couvre encore une soixantaine d'hectares à l'ouest du hameau. Jadis, les seigneurs de Kerloaguen y chassaient le loup, et en 1796, on y tua encore quatre de ces carnassiers. Aujourd'hui, des sangliers le hantent fréquemment.

Il n'y a plus à Garspern qu'une longue maison sans caractère, rétablie au XVIIIème siècle des pierres du vieux manoir. Sur le fronton du puits se lit la date 1697. La tradition rapporte que ce lieu était jadis à un riche paysan, grand amateur de jeu. Une nuit qu'il avait affaire à un partenaire habile, il perdit en « trois coups » de cartes son manoir, sa métairie et son bois. A demi-ruiné, il tenta une dernière fois la chance, et, jouant quitte ou double, il regagna en deux parties le manoir et la ferme, mais se contenta sagement de ce gain sans vouloir le risquer à nouveau pour recouvrer le bois. Aussi celui-ci n'appartient plus au possesseur de Garspern.

On raconte encore que le même paysan avait une fille unique, aimable et jolie, qu'il eût voulu marier à un campagnard comme lui, mais la donzelle s'éprit d'un « Monsieur de la ville » qui la trouvait aussi fort, à son goût. Il vint donc demander la main de l'héritière, essuya d'abord un refus formel ; pourtant la jeune fille sut manœuvrer si bien qu'elle finit par arracher à son père le plus rechigné des consentements. Par exemple, il stipula qu'hormis ce consentement, il ne donnerait rien à sa fille, mais là, ce qui s'appelle rien, puisqu'elle prétendait se marier contre son gré, et le jour des noces, quand le citadin vint, en bel équipage quérir sa fiancée pour la conduire à l'autel, il la trouva toute nue au milieu d'une pièce absolument vide. Le damné père, tenant sa parole à l'extrême, ne lui avait même pas laissé une chemise. Heureusement le prétendant se doutait de ce mauvais tour. Aussi s'était-il précautionné d'une somptueuse toilette et d'une chambrière experte, qui, en un tournemain, équipa la belle de pied en cap. Il put donc l'emmener, fièrement, au grand dépit du méchant père, lequel se vengea en leur faisant attendre son héritage le plus longtemps possible.

A 1 kilomètre au Nord de Gaspern est le hameau de Keravoas. On y a démoli il y a un quart de siècle une ancienne maison à portes rondes, fenêtre à meneaux et lucarne de pierre. Elle avait une avancée ou appostis-tol munie d'une meurtrière pour tirer sur les loups, qui venaient jusque dans la cour rôder autour des étables.

De Garspern, un chemin montueux de 3 km. mène vers le sud à la chapelle de Saint Germain et au village de Kervézec. Cette chapelle, ancien centre religieux des fréries de la montagne, trop éloignées du bourg pour en fréquenter l'église, existait dès le XVIème siècle. En 1778, son fabrique reçoit du corps politique l'ordre de « faire habiller les statues et les autres ornements ». Sous la Révolution, la municipalité s'opposa à sa vente et demanda que la messe dominicale y fut continuée. Un inventaire de l'époque, dressé par le maire Bourven, mentionne un calice d'argent avec sa patène, une collection d'ornements et de linges assez bien fournie, une garniture d'autel en dentelles, un crucifix, trois missels, un vespéral, un fanal, une cloche de 130 livres, dix chandeliers de cuivre (Archives du presbytère).

Acquise en l'an III par Yves Lavanant et réparée en 1812, Saint Germain était bien délabré en 1836. La charpente menaçait de s'effondrer sur les fidèles qui chaque dimanche, assistaient à la messe du second vicaire. M. Dar, conducteur-voyer à Morlaix, dirigea les travaux de restauration et releva une partie de la façade. D'après un plan dressé par lui, la chapelle était un long bâtiment du XVIIème siècle avec une nef unique et un chevet en lanterne ajouré de deux fenêtres cintrées ; une autre fenêtre, un oeil-de-boeuf et une porte à claveaux saillants perçaient chacune les longères Sud et Nord, et la porte à fronton du pignon Ouest était surmontée d'un clocheton amorti en dôme (Archives du presbytère).

En 1870, il fallut de nouveau supprimer le culte, en raison de l'état de vétusté de l'édifice, et rebâtir entièrement, celui-ci en 1872-73, sur les plans de M. Puyo, architecte à Morlaix. Les travaux coûtèrent 8.000 francs. Un chemin de croix fut érigé dans la chapelle en 1874 (Archives du presbytère). On y voit trois statues anciennes, une Vierge Mère, un Saint-Germain évêque, bénissant, et une Sainte Marguerite debout sur son dragon.

Des Le Lévyer habitant le bourg au XVIIème et XVIIIème siècles se qualifiaient de sieurs de Kervezec depuis le mariage, en 1636, de François Le Lévyer, sieur de Quellorn et de dlle. Françoise Bourven. Leurs trois fils, Jean, sieur de Kervezec, François, sieur de Kerleau et Nicolas, sieur de Keranfors, assistent en 1663 aux obsèques de leur mère. Le premier épousa Jeanne de May, fut débouté, faute de preuves, à la réformation de 1669, et mourut à 80 ans, en 1713. Avec sa fille Gillette, décédée à 75 ans en 1737, la famille Le Lévyer disparaît de la paroisse.

Entre la chapelle de Saint Germain et le hameau de Keranfors, M. Livinec, de Morlaix, me signale deux tumulus voisins, ayant environ douze mètres de diamètre sur deux de hauteur et semblant encore intacts.

Regagnons l'ancien Hent Leonec et suivons-le vers l'Ouest et le village, de Kermeur. Après avoir traversé Quilliou, nous trouvons à gauche deux beaux menhirs alignés d'Est en Ouest. Le menhir occidental a 4m90 de pourtour sur 5m05 de hauteur ; d'aspect effilé, il se termine en pointe ; l'autre, situé à 50 m. du précédent, mesure 5m80 de pourtour sur 3m30 de hauteur. Tous deux sont en gneiss de Brest (G. Guénin - Les Menhirs isolés de l'arrondissement de Morlaix. Brest, 1943, p. 18). D'après la tradition, ces mégalithes indiquent l'emplacement et la longueur de l'église que les paroissiens avaient d'abord eu dessein de bâtir sur ces hauteurs. Mais chaque nuit, une main mystérieuse venait en bouleverser les fondations. Alors, on décida de placer la statue du saint sur un char trainé par deux boeufs et de laisser ceux-ci vaguer à leur fantaisie, jusqu'à ce qu'il leur plût s'arrêter quelque part. Les boeufs marchèrent, au Nord ; parvenus là où est le bourg actuel, ils s'arrêtèrent sans plus vouloir se remettre en route ; on construisit l'église en cet endroit, et rien ne troubla désormais le travail des ouvriers. La garenne où se dressent les menhirs s'appelait au XVème siècle Goarem-Coz-Illizou (la garenne des vieilles églises). Elle dépend du lieu de Kerglas, cité dans un contrat de vente de 1483 comme appartenant à la famille de Kerloaguen (Archives du Finistère, E. 325). En 1622, ce convenant valait de rente 24 livres, 6 chapons et une corvée d'hommes pour aider aux foins de Kerloaguen. En 1779, la rente convenancière était de 180 livres (Archives du Finistère, E. 325).

Nous atteignons les villages de Kergorre et de Kermeur, formés d'anciennes quevaises de l'abbaye du Relec. Kermeur, jadis Kerioumeur, avait une maison noble affranchie de fouage avant 1440 par le duc Jean V en faveur de Jehan Kermezou et Yvon son fils. En 1543, ce manoir était aussi à l'abbé du Relec ; il a depuis disparu. Dans ces régions de la montagne, les agglomérations sont rares, mais populeuses, comme si l'âpreté de la nature, les dangers de l'isolement, la difficulté des communications, avaient porté les hommes à se grouper pour mieux s'entr'aider, se soutenir et se défendre. Au Kermeur, les terres sont fertiles et les cultures prospères, mais le paysage dénudé des alentours est d'une grande tristesse, avec ses garennes tapissées d'ajoncs nains, ses fauves croupes de collines plantées de maigres sapinières, sa brousse marécageuse, et les bizarres roches dentelées des Cragou dressant sur l'horizon du Sud leur fantastique décor.

Au Nord s'arrondissent la Montagne-au-Duc, haute de 294 m, et le Menez-Goariva, élevé de 264 métres. Ce dernier doit son nom à un petit manoir jadis perché sur sa crête. Ecuyer Morice de Kerret, sieur de Goariva, époux de Lucrèce Goaffuec, acquiert en 1596 des paroissiens de Plougonven, moyennant 25 sols de rente, deux tombes dans la chapelle de N. D. de Pitié, en l'église (Archives du Finistère). Son fils François épouse en 1629 Julienne Destable, fait en 1643 un testament par lequel il lègue aux prêtres un quartier froment de rente sur son convenant de Kervézec et meurt en 1646, laissant un fils, François de Kerret, écuyer, sieur de Goariva, Kerdréoret, marié à Marguerite de Kermerchou. Il était en 1680 procureur fiscal de la dame présidente de Bonamour pour ses fiefs de Bodister, Kerloaguen et Garspern. Sa fille héritière, Hélène de Kerret, épousa Alexandre Le Bihan, sieur de Kermeno, et leur descendance directe s'est continuée à Plougonven jusqu'au XIXème siècle. Des personnes âgées du bourg se souviennent encore avoir entendu leur mère parler d'une antique demoiselle Le Bihan de Goariva, qui venait régulièrement lui emprunter un décime, afin de s'offrir un petit verre de gwin ardant, pour donner à ses vieilles jambes la force d'aborder à son retour la rude montée de Goariva. Ce lieu est vers 1922 à M. Callarec, propriétaire-cultivateur. Les constructions, en partie anciennes, n'ont rien de seigneurie. On y montre une sorte de réduit où un prêtre réfractaire se cachait pendant la Révolution. Le nom Goariva est un mot gallois qui signifie arène ou théâtre. Y aurait-il eu jadis sur cette butte un terrain consacré à des jeux scéniques, comme les plan an guaré du pays de Galles ?

A un kilomètre, au Nord-Ouest de Goariva, se trouve, sur le versant de la Montagne-au-Duc, le hameau de Cosquer-Dolzic, voisin d'un beau dolmen renversé. En 1505, Yvon de Coatanscour, sieur de Tromelin en Plougasnou, cède à Hervé de Kerguennec, sieur de Lesquiffiou, une rente de 30 sols et un demi parrefart de froment sur les convenants de Cosquer-Dolzic (Archives du Finistère. E. 23), qu'en 1644 le sieur de Kergadou du Parc, conseiller au Parlement de Bretagne, échange contre les lieux nobles de Monplaisir et Mondésir, au bourg (Archives du Finistère. E. 324).

Sur le vieux chemin de Kergorre, qui domine à l'Est le vallon du naissant Jarlot et le moulin abbatial de Cusuillec, est le lieu de Ty-Avellec, au nom significatif (la maison venteuse).

En descendant par Toul-an-Haye des hauteurs de Ménez-Goariva, on croise un chemin qui fait bientôt rencontrer le manoir du Cozquer. Jadis entouré de futaies vénérables, baigné d'un joli étang dont l'eau actionnait son moulin et abreuvait ses prairies, il devait apparaître comme une souriante oasis de fraîcheur et de quiétude au pied des montagnes arides. Aujourd'hui (en 1922) les hêtres séculaires sont tombés sous la hache, les avenues dépouillées n'ont plus ni ombrage ni gazons, l'étang s'est transformé en une mare bourbeuse, le moulin et la chapelle s'effondrent, le colombier a croulé ; mais au milieu de cette déchéance, le manoir, appuyé sur sa tourelle à poivrière et ouvrant au fond d'une cour pavée l'arc gothique de son portail, garde encore fière mine, comme un vieux gentilhomme ruiné dont la race se décèle sous des haillons de rustre.

Le Cozquer appartenait jadis à une branche cadette de la maison de Garspern, et l'on connaît la filiation de ses seigneurs depuis Robert de Garspern, pannetier du duc François Ier vers 1450, époux en avril 1420 de Marguerite de Coëtquis, soeur de Philippe de Coëtquis, cardinal d'Avignon. L'un de leurs fils, Philippe, sans doute filleul de son oncle le prélat, devint grand maître des Eaux et Forêts de Bretagne. Son frère aîné Jean, sieur du Cozquer, époux de Gillette de Carné, donne en 1480 deux boisseaux froment de rente à l'église (Archives du presbytère) et a pour fils Hervé, maître d'hôtel d'Anne de Bretagne. Son petit-fils Pierre, sieur du Cozquer, pannetier de la reine Claude de France en 1518, plaça son blason et sa dévise : En bon espoir au portail latéral de l'église de Plougonven et laissa de son mariage avec Denise de Lézormel François de Garspern, époux en 1532 de Marie de la Tour, dame de Kerriou. Leur fils Rolland, mort, en 1594 à Morlaix, pendant les troubles de la Ligue, s'était allié en 1562 à Françoise Jourdren de Kerverzic.

Vers 1634, Françoise de Garspern, fille et unique héritière de Guillaume, sieur du Cozquer, et de Marie Harscoët, apporta les terres du Cozquer et de Kerriou dans la maison de Penfeunteniou, par son mariage avec Yves de Penfeunteniou, sieur du Penhoat en Plounéour-Ménez. Leur fils aîné Guillaume, époux de Catherine de la Noë, meurt à Morlaix, à 36 ans, en 1670, et est enterré le 4 février à Plougonven « en la tombe eslevée de la maison du Cozquer ». Par son testament, il avait fondé une messe journalière dans l'église, et demandé que chaque dimanche, à l'issue des vêpres, le clergé vînt chanter le De Profundis sur sa tombe, en lèguant à cet effet le convenant de la Boissière. En 1671, cette fondation était desservie dans la chapelle domestique du manoir, par Missire Nicolas Manach (Archives du presbytère).

Ecuyer Jacques de Penfeunteniou, seigneur de Penhoat, le Cozquer, meurt, au Penhoat en 1692 et se fait enterrer dans l'enfeu de ses ancêtres, à Plougonven. Son fils signe quelques actes en 1701 et 1703, puis cette lignée disparaît de la paroisse et se fond dans les Clairambault, qui vendirent la terre du Cozquer à l'amiral de Guichen. Pendant le XVIIIème siècle, ce manoir fut habité, à titre locatif, par les Guégot de Traoulen et de Kergoff, qui ont produit quelques notaires royaux. Possédée, depuis la Révolution par les familles de Lauzanne et Boscal de Réals, la propriété a été ensuite vendue.

Le Cozquer est un édifice du XVIème siècle, aspecté au Sud, à un unique étage. Sa façade en moëllons violâtres, d'un appareil négligé, n'a d'autre décoration que l'arcade en tiers-point de son portail, et une haute lucarne de pierre à crossettes et pinacles. Des bâtiments de service bordent la cour, que fermaient deux portes cavalière et piétonne depuis longtemps abattues, Derrière la maison s'élève une tour hexagonale flanquée d'une tourelle ronde qui contient l'escalier. Au bout de l'avenue, on voit les ruines embroussaillées de la chapelle, jadis dédiée à Saint Pierre, dont la statue armée d'une clef gigantesque s'est longtemps abritée, ainsi qu'un Ecce Homo, dans l'une des pièces de la ferme.

Comme tout manoir breton qui se respecte, le Cozquer est hanté et a ses légendes. C'est le Keramborgne, le Guernaham de ces confins extrêmes du Trégor. Jadis, il y a plus de 60 ans, lorsque la vieille Fantik Ar Goff, qui m'a raconté ce qui suit, y était petite servante, on voyait dans l'une des chambres du premier étage, là même où se trouvaient les statues, un ancien lit à courtines, que nul n'utilisait. Un soir pourtant, on le donna à une couturière, venue pour travailler au manoir. A peine avait-elle soufflé sa chandelle qu'elle aperçut, au milieu de la pièce, une main tenant un cierge allumé. Effarée, la pauvre fille s'enfouit sous les draps, mais chaque fois qu'elle risquait un oeil entre deux plis, elle revoyait toujours le flanbeau mystérieux brûlant dans la main fantôme, Sa nuit se passa tout entière à grelotter de peur, et à réciter des oraisons. Enfin, le coq chanta et la main s'évanouit.

Lorsque la couturière raconta son étrange aventure, les garçons de la ferme s'en amusèrent fort. Le second valet déclara qu'il passerait sans crainte une nuit dans cette chambre. On le prit au mot, mais l'aurore suivante ne le trouva pas aussi fanfaron. Blême et défait, il avoua avoir vu, lui aussi, l'effrayante main. Le premier valet demeurait cependant incrédule et se moquait de la poltronnerie de son camarade. Il voulut tenter l'épreuve à son tour. Quand il reparut le lendemain matin, ses dents claquaient encore de terreur. Il jura qu'on ne l'y reprendrait plus et qu'il ne voudrait pas du manoir si on le lui offrait à condition d'habiter la chambre hantée. Depuis, on s'est bien gardé d'y faire coucher personne.

Le soir, lors des veillées d'hiver devant la large cheminée sculptée, tandis qu'au dehors le vent secouait les ardoises rouillées du vieux toit et gémissait dans les derniers arbres de la rabine, il n'était pas rare d'entendre des bruits de pas qui gravissaient pesamment l'escalier de la tourelle pour aller se perdre au fond des greniers. Quand on allait voir avec de la lumière, tout rentrait dans le silence, mais à peine avait-on repris place au coin de l'âtre que les mêmes bruits recommençaient.

Pendant l'une de ces veillées, Fantik et une autre servante étant sorties dans la cour, furent très surprises de rencontrer près du seuil deux charmants porcelets blancs et roses, qui folâtraient au clair de lune, et dont l'un se laissa même caresser. Supposant que ces porcelets s'étaient échappés de la crèche, les jeunes filles y coururent, mais elles constatèrent que la porte en était bien close, et les occupants sagement endormis. Revenues dans la cour, elles la trouvèrent déserte ; les petits cochons avaient soudain disparu, et nul ne les revit jamais... (L. Le Guennec).

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