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Plougonven : Lagadec et le Catholicon.

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C'est vers le milieu du quinzième siècle qu'un enfant de la paroisse, Jehan Lagadec, composa son fameux Catholicon, dictionnaire breton-français-latin dont, il avait emprunté le titre et le plan à la vaste encyclopédie latine de Jean de Janua, imprimée pour la première fois à Strasbourg vers 1466. On ne sait de Jehan Lagadec que ce qu'il en dit lui-même dans la préface, datée du 16 août 1464, d'un manuscrit du Catholicon conservé à la Bibliothèque Nationale ; il s'y qualifie de paroissien de Ploegonven, au diocèse de Tréguier, et de bachelier ès-arts et en droit canon. C'était donc très probablement un prêtre, mais on ne saurait l'affirmer avec une entière certitude, car jadis les étudiants laïques suivaient aussi des cours de théologie et de droit canon. Il dut naître au manoir de Mezédern, et je le crois frère cadet d'Even Lagadec, seigneur de Mezédern en 1443, époux de Jeanne Goasvennou.

Catholicon (dictionnaire breton, français, latin) de 1499.

Le Catholicon breton fut imprimé à Tréguier en 1499 par Jehan Calvez. Ce livre est aujourd'hui de la plus insigne rareté ; on n'en connaît que quatre exemplaires, deux à la Bibliothèque Nationale — Encore l'un d'eux est-il mutilé et incomplet, — un à Rennes et un dernier à la bibliothèque publique de Quimper. Le très aimable conservateur de celle-ci, M. Frédéric Le Guyader, a bien voulu extraire pour moi le précieux incunable du coffre-fort dont il partage l'abri sûr avec un autre document unique, le cartulaire de Landévennec. C'est un petit in-folio de 105 feuillets, impression gothique sur deux colonnes, relié en cuir noir, dentelles sur les plats et dos à compartiments. Le titre, placé dans l'angle supérieur de gauche du 1er feuillet, dit en quatre lignes : Cy est le Catholicon en troys langaiges scavoir est breton franczoys et latin selon l'ordre de la b c d et.

Au-dessous, une vignette sur bois offre la marque de l'imprimeur Jehan Calvez : deux griffons ailés et rampants soutenant un écusson appendu à un arbre feuillu, et chargé d'un J majuscule, d'une équerre et et d'une hachette, outils qui constituent le blason parlant de Calvez, en breton charpentier. En bas se lit son nom : I. CALVEZ. A côté, un ex-libris latin manuscrit apprend que ce livre appartient au collège de Quimper, de la Société de Jésus, comme don de la très noble dame Madame de Trévigné, qui l'a envoyé à son fils Charles de Trévigné, à Ouimper, 1634. Il y a dans cette note une difficulté. Madame de Trévigné était une Morlaisienne, Jeanne Guynement, héritière de Kergariou, en Ploujean ; elle épousa à St-Melaine, le 14 septembre 1620, Pierre le Moyne de Trévigné, et en eut plusieurs enfants dont les deux derniers, Marc-Antoine et Guillaume, nés jumeaux, le 30 juillet 1630 et baptisés le 24 à Saint-Melaine, coûtèrent la vie à leur mère, qui mourut au manoir de Kergariou, 6 jours plus tard, le 30 juillet, 1630. M. de Trévigné ne s'étant pas remarié, il n'existait donc plus, en 1634, de dame de Trévigné. On pourrait croire que cette date est seulement celle de l'apposition de l'ex-libris, et que ce fut antérieurement à 1630 que Jeanne Guynement fit remettre le Catholicon à son jeune fils Charles, écolier au tout nouveau collège des Jésuites de Quimper.

Note rectificative : Il s'agit en réalité d'un don fait par le seigneur de Trévigné à son fils Charles de Trévigné, jésuite, et procureur du Collège de Quimper en 1638 et 1639.

Le verso du 1er feuillet est consacré à une courte préface latine, mêlée de citations pieuses, puis vient l'incipit, également en latin : « Ici commence le dictionnaire des Bretons, contenant trois langues, à savoir le breton selon l'ordre des lettres de l'alphabet, le français et le latin ajoutés, composé par Maître J. Lagadec, du diocèse de Tréguier, pour l'utilité des jeunes clercs de Bretagne ». Dans la préface de 1464, l'auteur s'assigne le même but : être utile aux pauvres clercs de Bretagne et aux ignorants qui désireraient apprendre le latin.

Le mot breton, placé le premier, est suivi de sa traduction en français, puis en latin, avec des commentaires et des gloses en cette langue. Généralement, les définitions sont aussi brèves que possible : bren, son - brezel, guerre — diet, boire — fez, foi - laesen, loy - leur, aere - nesaff, filer, etc., mais parfois elles s'allongent et sont curieuses :

" A vel scaff - ligier vent et vault autant comme ce qui faict florir et germer.

azrouant - ennemy qui convoitte de grever aultruy sans cause.

baguic vihan - petite nef que len maine o (avec) deux navirons.

ebil an lagat — la maille qui est dans lueil.

scobittell — cest le molinet que les enfans mettent au bout dung baston pour tourner contre le vent ".

L'excellent Lagadec n'était, pas très fort en histoire naturelle. Pour lui, un crabe, cancren, c'est ung poisson. Il faut songer que l'académicien qui, selon Charles Nodier, décrivait ainsi l'écrevisse : petit poisson, rouge qui marche à reculons, se trompait aussi lourdement et avec bien moins d'excuses. Le hérisson, hunegan, devient « une manière de ras qui dorment o yeux ouvers ». Le délicieux muguet, n'est plus qu'une vulgaire « herbe ». D'autres définitions rappellent les singulières croyances de l'antiquité et du moyen-âge :

« Ahel ... l'aissel (l'essieu) du ciel sur quoy le monde torne.

Hericin, c'est ung poisson de la longueur de quattre piez qui est de telle nature que quand il se haert a une nef il lareste toute coye mais Saint-Augustin dit que ce est de sa nature et non pas par sa force ».

On constate que Jehan Lagadec a beaucoup vécu à la campagne et à Morlaix, ville maritime. Tous les termes de métiers rustiques, laboureur, tisserand, charpentier, meunier, potier, etc., lui sont familiers ; il possède également un vocabulaire nautique très étendu et connaît à fond le jargon judiciaire et scolastique. Mais ce qui frappe de prime abord quiconque feuillette le Catholicon, c'est la prodigieuse quantité de mots français qu'il a introduits dans son dictionnaire. Dès les premières pages, on relève des substantifs tels que absant, adolescentet, audiance, blasphem, domicil, franchis, heretic, idol, rebell, sacrileg ; des termes abstraits comme abominabl, abil, accordabl, conscianc, constitution, liczance, matematic, negatiff, secret, troubl ; les verbes abeuffriff (abreuver), celebraff (célébrer), continuaff, destinaff, resistaff, temptaff, vituperaff, etc., dont aucun n'a traversé la Manche avec nos ancêtres de Grande Bretagne. Dans certaines colonnes, il n'y a pas un seul vocable d'origine celtique. On le voit, l'abâtardissement de « la noble langue britannique » remonte bien loin, et il a fallu les savants travaux du P. Grégoire de Rostrenen, de dom Le Pelletier, des Le Gonidec, Troude, la Villemarqué et Vallée pour rendre à notre cher idiome, dégénéré en une sorte d'argot de rustres, ses titre anciens depuis si longtemps falsifiés ou perdus.

Rarement, les gloses de Lagadec renferment quelques traits intéressants. J'ai pourtant noté ce dicton : Bec pep tra lem evel contell dac, qu'il traduit : Bec de checun, fer agu, courte leçon aux gens médisants ; cette traduction de Marteze : à l'aventure, qui doit être le vrai sens de la devise des seigneurs de Kerautret en Plougoulm ; quelques vers latins passablement contournés sur Lomichael an Trez (St-Michel en Grève). Le bon lexicologue n'omet pas son propre nom : Lagadec, oeilleux, ni son pays natal : Montrolaes, Montrelaix ou Morlaix. « C'est, dit-il, une ville, unde est oriundus constructor hujus opusculi, ide unde prope videlicet de parochia de Ploegonven » (d'où est originaire l'auteur de ce petit ouvrage, ou plutôt des environs, c'est-à-dire de la paroisse de Ploegonven). Il est bien de son temps par la naïveté avec laquelle, quand le cas le requiert, il emploie sans vergogne les termes les plus osés. Rabelais, qui connu peut-être son oeuvre, puisqu'on trouve des mots bretons dans Pantagruel, l'eut aimé pour la savoureuse crudité de certaines de ses définitions.

Le Catholicon se termine au verso du feuillet 105 par la marque de Jehan Calvez, suivie de quatre vers latins appelant la bénédiction du Christ sur l'auteur, et d'un explicit français qui ne laisse pas que d'être assez embarrassant, car il attribue formellement la composition de ce travail à un autre qu'à Jean Lagadec : « Cy finist ce presant libvre nommé le Catholicon.., lequel a este construict compilé et intitulé par noble et venerable Maistre Auffret Quoetqueveran en son temps chanoine de Tréguier recteur de Ploerin près Morlaix, etc. ». Cette contradiction évidente a jusqu'ici rendu les celtisants fort perplexes. M. Victor Tourneur l'a, semble-t-il, expliquée d'une façon très plausible dans le Fureteur Breton (V. Tourneur. — Les Editions du Catholicon breton, Le Fureteur Breton, I, 134-141). Pour lui, le mérite de l'oeuvre appartient bien au Plougonvenais Lagadec, mais le recteur de Plourin s'étant procuré pour son usage personnel une copie du manuscrit original peut-être communiqué par Lagadec lui-même — se complut à l'enrichir d'une préface de son cru et à y apposer sa signature, en homme soucieux de son bien. Après sa mort, ladite copie tomba entre les mains de Jehan Calvez qui, la trouvant signée d'Auffret Quoetqueveran, attribua étourdîment à ce dernier la paternité de l'ouvrage et publia le Catholicon sans autrement approfondir les choses.

Trois vers bretons très curieux, ciselés selon les régles de la plus savante métrique du moyen-âge, terminent ainsi le livre :

Euzen Roperz credet querz a Kaerdu.

En composas ung pas ne fallas tu.

Bedenn yssu hac en continuas.

Les inversions nécessitées par l'emploi des rimes internes en erz, en as, en en et en u compliquent la traduction littérale de ce tercet, mais on peut en rendre ainsi librement le sens :

Yvon Roperz, de Kerdu, croyez-le bien,

L'a composé sans défaillir d'aucune manière,

Et l'a continué jusqu'à la fin.

Le rôle de cet Yvon Roperz dans la rédaction du Catholicon est également obscur. Prit-il part, comme auxiliaire de Lagadec, à la construction de l'ouvrage, ou ne fut-il qu'un simple ouvrier imprimeur, qui composa le texte en lettres mobiles ? La seconde hypothèse est la plus vraisemblable, et M. V. Tourneur l'a adoptée, contrairement, à l'opinion de La Borderie. L'humble typographe trégorrois, en signant fièrement son travail de ces trois vers qui ont dû lui coûter bien des peines, a, sans le savoir, immortalisé son nom. D'après les derniers mots de l'explicit, le Catholicon fut achevé d'imprimer « à la cité de Lantreguier par Jehan Calvez le cinquiesme jour de novembre lan mil CCCC IIII vingtz et dix neuf ».

Il existe deux autres éditions anciennes du Catholicon, l'une d'elles corrigée et revisée par Maître Jehan Corre, de Tréguier, mais dont on ignore la date, et la seconde publiée à Paris, en 1521, par l'imprimeur léonard Yvon Quillevéré, qui avait dans la rue de la Bûchelie une boutique à l'enseigne de la Croix noire (Léopold Delisle — Les Heures bretonnes du XVIème siècle). Cette édition s'ouvre par un pompeux éloge latin de la Bretagne. Enfin M. Le Men a réimprimé en 1867 l'édition de 1499 ; mais sous prétexte d'éviter les longueurs de celle-ci, il a eu la fâcheuse idée de supprimer une partie du commentaire qui accompagne chaque mot breton.

Le nom de Jehan Lagadec est aujourd'hui complètement oublié de ses compatriotes. Il conviendrait, lorsqu'une de nos sociétés régionalistes tiendra ses assises à Morlaix, d'en profiter pour rendre à la mémoire de ce vieux philologue un hommage bien mérité en apposant une plaque commémorative au portail du manoir de Mezédern, qui fut sans nul doute son berceau. (L. Le Guennec).

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