Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

LA CUVE BAPTISMALE DE L'ILE DE SAINT-SAMSON

  Retour page d'accueil       Retour " Ville de Pleine-Fougères "   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

 A une lieue environ de l'embouchure du Couesnon, sur la rive gauche et par conséquent sur le territoire breton, au point où les limites orientales de la paroisse de Pleine-Fougères atteignent celles de la commune de Pontorson, existe une ferme de construction moderne appelée l'Ile de Saint-Samson. Elle est bâtie au centre d'une éminence granitique de forme circulaire et rappelant, à l'élévation près, la position du mont Dol. Aujourd'hui, au moins, dans la belle saison, rien ne semble motiver la dénomination que porte cette localité ; elle n'est pas entourée par les eaux, mais par une large ceinture de pâturages qui l'isolent des hameaux voisins. En hiver ces vastes prairies se transforment on marécages, et reçoivent parfois les eaux en assez grande abondance pour rendre au site son aspect primitif, pour justifier le nom que la tradition a conservé, et pour séquestrer pendant un temps plus ou moins considérable les habitants de cette demeure. Là s'élevait jadis une antique chapelle ; on montre dans le coin d'un champ, derrière la maison de ferme, l'emplacement qu'elle occupa. Elle fut détruite, disent les vieillards, par une bande de soldats venus de la Normandie, mais à une époque si ancienne qu'un homme de notre temps, fût-il plusieurs fois centenaire, ne pourrait l'avoir vue debout. Le lieu resta longtemps désert jusqu'à l'époque très-rapprochée de nous, où une ferme se bâtit près de la chapelle et en partie avec ses décombres.

Un seul débris de l'édifice religieux ne put entrer dans la construction nouvelle. C'était une énorme cuve en granit, de forme circulaire, ayant un mètre cinquante centimètres de diamètre, sur une profondeur de plus de trois pieds. Elle fut utilisée comme auge, et elle figure avec cette destination entre le puits et la porte de l'écurie. On y reconnaît au premier aspect une ancienne cuve destinée au baptême par immersion ; sa forme et ses dimensions suffiraient pour lui assigner une haute antiquité, quand même le caractère de son ornementation ne la rendrait pas plus remarquable encore sans ce rapport.

La face extérieure de la cuve, sensiblement diminuée à sa base, est décorée de huit croix grecques ou à branches égales, sculptées en relief, encadrées chacune dans une moulure circulaire, et séparées l'une de l'autre par une cannelure gravée en creux. Cette ornementation si simple a un caractère particulier ; elle n'appartient certainement pas au style roman, c'est-à-dire à ce genre d'ornementation qui régna dans les XIème et XIIème siècles, et se reconnaît aisément sur quelques anciennes cuves baptismales existant encore en Bretagne. Or, si elle n'est pas contemporaine de ces dernières, elle ne peut que leur être antérieure en date, et c'est dès lors parmi les plus anciens monuments chrétiens qu'il faut chercher des termes de comparaison. Je n'ai jamais rencontré en Bretagne un motif d'ornementation ayant de l'analogie avec celui de la cuve de l'Ile de Saint-Samson. Pour citer une décoration d'un style analogue, je suis contraint d'emprunter un exemple à une localité normande, mais à laquelle, par un singulier hasard, est également attaché le nom de saint Samson.

Il existait non loin de l'embouchure de la Seine, dans le voisinage de Pont-Audemer, une abbaye du nom de Saint-Samson-sur-Rille, fondée par le roi Childebert sur le lieu témoin d'un des miracles du saint. L'église de cette abbaye, démolie il y a une plusieurs années, offrait dans sa construction des particularités très-curieuses et décelant la plus haute antiquité. Ainsi, on remarquait des arcs en plein cintre qui, à l'imitation des maçonneries romaines du Bas-Empire, se composaient alternativement d'un claveau de pierre et d'un claveau de terre cuite. Les derniers, au lieu d'être lisses comme nos briques modernes, étaient façonnés au moule et ornés de reliefs. Quelques-uns ont échappé à la destruction ; ils sont déposés au musée d'Evreux, et on y remarque cette même croix grecque renfermée dans un cercle qui ligure sur la cuve baptismale de l’île de Saint-Samson. Or, quoique l'église de Saint Samson-sur-Rille n'eût pas de date certaine, les archéologues normands sont d'accord pour faire remonter sa construction au VIIIème siècle. Nous serions donc fondé à assigner la même date, par analogie, à la cuve de l'île de Saint-Samson.

Mais la présence d'un baptistère dans une localité à une époque aussi reculée est un fait considérable. Il n'en était pas à l'époque carlovingienne comme de nos jours, et chaque église ne possédait pas des fonts destinés à administrer le baptême. Un Capitulaire de Charlemagne, de 793, établit une distinction importante entre les églises baptismales et celles qui n'avaient point cette qualité. Celles-là ne pouvaient être possédées que par des ecclésiastiques, celles-ci pouvaient l'être par des laïques. Les premières étaient désignées généralement sous le nom de plebes, et un écrivain contemporain, Walafrid Strabon, atteste que le prêtre d'une plebs, comme administrant une église baptismale, était supérieur en dignité aux autres prêtres. Plus tard, vers les XIème et XIIème siècles, quand le nombre des fonts se multiplia, toute paroisse devint église baptismale, et le mot plebs devint synonyme de paroisse. En tous cas, il n'était jamais permis d'établir des fonts dans de simples chapelles n'ayant pas le caractère de circonscription ecclésiastique : le pape Zacharie, dans sa correspondance avec le roi Pépin, en fait la déclaration expresse. Les fonts étaient donc affectés, dans les VIIIème et IXème siècles, aux églises les plus importantes, et spécialement aux églises près desquelles résidait l'évêque, ou à celles qui étaient de fondation épiscopale, car, jusqu'au Vème siècle, aux évêques seuls fut réservé le droit d'administrer le sacrement du baptême. Vers le VIème siècle, il fut accordé aux curés, mais seulement dans les cas de nécessité et à deux époques de l'année, aux vigiles de Pâques et de la Pentecôte ; au XIIIème siècle, la coutume de baptiser en tout temps devint générale, et la faculté d'administrer le baptême, qui avait passé de l'évêque au curé, finit par passer du curé au simple desservant.

De tous ces faits, il faut conclure au moins qu'au VIIIème ou IXème siècle, de Saint-Samson, si modeste aujourd'hui, avait la qualité de paroisse, et même de paroisse privilégiée, puisqu'elle possédait une église baptismale. Quant aux causes de la faveur dont elle aurait joui à cette époque, je n'en vois qu'une seule qui puisse l'expliquer, c'est que l'église aurait été, à son origine, l'une des fondations faites par saint Samson, qui s'en allait à travers la Bretagne, dit un biographe contemporain, construisant et meublant des églises, et semant sur sa route des monastères dans presque toute l'étendue de la province. Le nom même que la tradition a transmis jusqu'à nous est un précieux indice à l'appui de cette hypothèse. L'église ou le monastère aura pu disparaître, soit pendant les ravages des pirates du Nord, au Xème siècle, soit aux XIème et XIIème siècles, pendant les guerres des ducs de Bretagne et des ducs de Normandie. La cuve baptismale seule a échappé à la destruction, protégée par sa masse, et une modeste chapelle, élevée sur les ruines de l'antique établissement religieux, en a perpétué le souvenir. Mais puisque du temps de saint Samson la collation du sacrement de baptême était propre à l'évêque, y aurait-il une témérité bien grande à faire remonter cette cuve baptismale jusqu'à son apostolat, c'est-à-dire aux dernières années du VIème siècle ? Si quelqu'un entreprenait de soutenir cette dernière opinion, je ne vois pas à l'aide de quels bons arguments, tirés de l'examen du monument, on pourrait la combattre.

Quelle que soit la date de cette cuve de granit, qu'elle remonte au VIème ou seulement au VIIIème siècle, il est bien certain qu'elle paraît antérieure au Xème siècle. En présence d'une antiquité aussi respectable, cent ans de plus ou de moins ne sont pas une affaire ; c'est assurément un des plus anciens monuments chrétiens existant en Bretagne ; ce serait un des plus vénérables, si on pouvait le rapporter avec certitude à l'apostolat de saint Samson. En tout cas, on doit faire des voeux pour qu'il soit enlevé à son ignoble destination et protégé contre la destruction qui a déjà tant frappé autour de lui.

D'après la tradition populaire, il existerait sous une touffe de joncs, dans les environs de l'Ile de Saint-Samson, une grosse pierre nommée pierre Buquin ou Buquet, à l'existence de laquelle est attaché le salut du pays. On l'a bien reconnu une fois que des faucheurs ayant entrepris de soulever un peu ce bloc de granit, l'eau jaillit avec tant d'abondance que, dans la saison des foins, les prairies furent transformées en étang. Si par malheur on enlevait jamais la pierre, la submersion totale de la contrée s'ensuivrait à coup sûr. Il est assez singulier de retrouver cette même légende aux deux extrémités de la Bretagne, près de Dol et près de Quimper ; ici comme une menace, là comme un fait accompli. Dans la Cornouaille, elle se rattache à la submersion de la ville d'Is et à la princesse Dahut, la fille impudique du bon roi Gradlon. M. de La Villemarqué (Barzaz-Breiz, I, p. 71) a également constaté l'existence de la même tradition dans l'Irlande et dans le pays de Galles. Nous la rencontrons à l'Ile de Saint-Samson, dans un pays où la langue bretonne n'a probablement jamais été parlée, ou du moins dont elle a disparu depuis plusieurs siècles. Ces fables, quel que soit leur point de départ, ont donc laissé dans l'imagination populaire des traces plus étendues encore que ne l'avait supposé le savant éditeur de nos chants nationaux. (Alfred Ramé).

 © Copyright - Tous droits réservés.