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LA DÉLIVRANCE DE PARIS le 13 Avril 1436.

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L'événement dont je veux vous entretenir aujourd'hui me paraît un des plus importants de ceux qui se sont déroulés dans notre pays : bien qu'âgé de plus de 500 ans, il n'en offre pas moins le caractère d'une parfaite actualité puisqu'il nous montre comment, dans une période de complet effondrement national, il a suffi qu'une poignée de braves gens s'unissent pour opérer le miracle d'une éclatante résurrection.

Marie d'Anjou, épouse de Charles VII. Charles VII, roi de France.
     

Lorsque, le 29 mai 1418, la trahison de Perrinet Leclercq eut ouvert les portes de Paris aux Bourguignons de l'Ile-Adam, les Parisiens, jusque là sévèrement tenus en bride par les Armagnacs, avaient accueilli leurs nouveaux maîtres avec des cris de joie ; quand, le 10 septembre 1419 le meurtre, à Montereau, du duc Jean Sans Peur de Bourgogne, eut jeté les Bourguignons dans l'alliance anglaise, les bourgeois se dirent qu'il valait peut-être mieux pour eux être aux mains des Anglais qu'au pouvoir des Bourguignons qui les défendaient, du reste, assez mal contre leurs ennemis ; aussi quand, le 1er décembre 1420, à la suite du honteux traité de Troyes, le roi d'Angleterre Henry V, traînant derrière lui le dément Charles VI, parcourut les rues pavoisées de la capitale, au milieu des représentations théâtrales et des processions chantant Te Deum et Benedictus qui venit in nomine Domini, le menu peuple, les marchands et les artisans, malgré la dureté des temps, manifestèrent une joie folle.

Ils ne tardèrent pas à déchanter: Si les Armagnacs avaient eu la main lourde, le nouveau gouverneur, Clarence, montrait la même férocité: pour un oui ou pour un non, les amendes pleuvaient, les potences et les roues se chargeaient de suppliciés, la Seine roulait des sacs ou des chapelets de cadavres et rien ne servait de se plaindre aux oppresseurs qui ne faisaient qu'en rire et redoublaient de cruauté. Le froid, la disette et les épidémies se mirent de la partie, et le Journal d'un bourgeois de Paris est plein de lamentations sur la vie chère — déjà — la rareté des vivres, les incessantes variations — comme de nos jours — du titre et du cours des monnaies, le sévère blocus de la ville par les bandes du dauphin qui ne permettaient pas aux convois de ravitaillement de pénétrer dans Paris, les corvées et les impôts incessants exigés de tous, clergé compris, les sanglantes hécatombes auxquelles les capitaines anglais menaient de force les gens de la ville ; tous ces maux firent faire d'amères réflexions ; il en résulta des conciliabules et des conspirations réprimées avec la plus féroce sévérité.

Puis, la nouvelle des insuccès anglais autour d'Orléans et de la miraculeuse intervention de la Bergère de Domrémy donnaient à penser, en dépit des savants et des légistes qui n'y voyaient que des manifestations de la Puissance infernale ; en outre, une idée nouvelle commençait à se faire jour : jusque là, on se contentait d'être citoyen d'une ville ; devant la tyrannie étrangère, la notion plus large de la patrie s'éveillait ; en face des Anglais, on se sentait Français ; la délivrance d'Orléans, la victoire de Patay et le sacre de Reims vinrent illuminer la naissance de ce sentiment que, ni la trahison de Compiègne, ni le bûcher de Rouen, ne purent étouffer.

Le sacre à Notre-Dame, le 2 décembre 1431, du jeune roi Henry VI d'Angleterre, célébré en grande pompe, mais sans la présence d'un seul prince du sang de France, ne produisit pas sur les Parisiens l'effet qu'on en attendait ; la ladrerie déployée en cette circonstance : pas une largesse au peuple, pas une libération de prisonniers, pas une réduction de tailles, pas même une petite place réservée au maigre banquet pour les membres de l'Université et du Parlement qui durent se mettre à table pêle-mêle avec les savetiers, les crieurs de moutarde et les valets de maçons, augmenta le mécontentement : Un bourgeois qui marierait sa fille, disait-on hautement, eut mieux fait les choses.

Malgré une sévère censure, on savait et on commentait dans Paris la bien timide démarche du duc de Bourgogne qui, fatigué de cette guerre interminable dont il payait les frais sans en retirer un seul avantage, écrivait, le 13 décembre 1431, au jeune roi anglais pour lui conseiller de faire la paix ; on avait vent des pressantes instances du Pape Eugène IV qui, dès mars 1432, envoyait son Légat, Nicolo Albergati, Cardinal de Sainte Croix, s'entremettre, à Corbeil, entre les belligérants ; on colportait les succès toujours croissants des capitaines du roi de France qui reconquéraient, une à une, les places autour de Paris et poussaient l'audace jusqu'à venir, en plein jour, piller au cœur de la capitale ; on avait l'écho des retentissantes victoires du Connétable de Richemont ; on savait qu'à l'instigation du Pape, du Cardinal de Sainte Croix, des ducs de Bretagne, de Bourbon, de Savoie et d'Anjou, des conférences avaient eu lieu à Auxerre, en novembre 1433, mais que, devant l'intransigeance des Anglais, elles n'avaient pu aboutir ; que de nouveaux pourparlers, à Nevers, en janvier 1435, avaient enfin obtenu qu'une assemblée définitive, en vue de la paix, devait avoir lieu à Arras, dans les premiers jours d'août : que Charles VII y ferait des offres raisonnables au roi d'Augleterre et que si celui-ci les repoussait, le duc de Bourgogue se considérerait comme délié vis à vis des Anglais et ferait le nécessaire pour conclure une paix séparée. Ces nouvelles introduites à Paris, sous le manteau, occasionnèrent des réunions secrètes où l'attitude des Anglais était commentée sans ménagement, et un redoublement de surveillance et de sévérité de la part de ces derniers.

Dans un dernier essai de conciliation, Philippe le Bon se rendit à Paris, le jeudi saint, 14 avril 1435 ; l'Université vint, en corps, le saluer et eut avec lui des conversations tendant à la paix que tout le monde souhaitait ardemment ; les Dames et les Demoiselles de Paris vinrent se jeter aux pieds de la duchesse de Bourgogne, la priant mout piteusement qu'elle eut la paix du royaume pour recommandée ; il est vrai que Bedford n'était pas là et que son absence avait certainement encouragé ces démarches.

Enfin, le 31 juillet 1435, le duc de Bourgogne accompagné du Connétable de Richemont et des envoyés du roi de France, fit son entrée à Arras où les conférences eurent lieu immédiatement, tant le besoin de la paix, ce vrai thrésor de joye, était pressant, nous dit le Roi d'armes de la Toison d'Or ; quelques jours auparavant, étaient arrivés successivement le Cardinal de Chypre envoyé par le Concile de Bâle, le Légat du Pape Albergati, l'Archevêque d'York représentant le duc de Bedford, le Cardinal de Winchester mandataire du roi d'Angleterre, Thomas de Courcelles curé de Saint André des Arcs, député de Paris et des délégués d'un peu tous les pays de la chrétienté.

Le cardinal de Winchester ouvrit la première séance par une protestation contre tout ce qui pourrait porter atteinte aux droits prétendus de son maître à la couronne de France ; il réclama l'application pure et simple du Traité de Troyes.

Le duc de Bourgogne considérait les offres de Charles VII comme raisonnables, dignes d'être prises en considération et suffisantes : elles consistaient dans l'abandon de la Normandie et de la Guyenne aux Anglais sous condition d'hommage lige, la cession au duc de Bourgogne des villes à l'Est de la Somme avec une clause de rachat aussitôt que le roi serait en état de les réclamer, le désaveu officiel du meurtre de Montereau et l'érection d'un monument expiatoire ; Philippe eut à ce sujet avec le cardinal anglais un entretien au cours duquel le prélat s'échauffa tellement, nous dit Saint Rémy, qu'il suait à grosses gouttes.

Thomas de Courcelles parlant, au dire du Bourgeois de Paris, avec tant d'éloquence qu'il semblait ouyre un ange de Dieu, par quoy plusieurs assistans en furent émus jusqu'aux larmes, réclama la paix immédiate, à tout prix, menaçant, si elle n'était pas signée sans délai, d'abandonner Paris devenu inhabitable par suite de la grande misère qui y régnait.

Winchester répondit durement que mieux valait une ville dépeuplée qu'une ville perdue ; il protesta contre la partialité évidente, à son avis, du duc de Bourgogne en faveur de Charles VII, puis, furieux, il quitta Arras.

Arthur III, comte de Richemont.

Pendant que ces discussions suivaient leur cours, Richemont, ausssi bon diplomate que grand capitaine, se conciliait les sympathies de tout l'entourage du duc et, de nuit, alors que tout estoit retiré, il allait trouver son beau-frère, lui faisait remarquer et toucher du doigt la mauvaise foi et mauvaise volonté des Anglais, les comparait avec la loyauté et l'étendue des concessions du roi de France et le conjurait de consentir à un traité séparé avec son cousin, ce qui était évidemment la meilleure manière d'assurer la paix entre les deux rois.

Le jour du départ de Winchester, il assemblait, en cachette, dans son hôtel, la députation de Paris et des autres villes, pressant les timides et les hésitants, usant au besoin d'arguments sonnants et trébuchants, et, en présence de l'Archidiacre de Metz qui a écrit l'histoire du traité d'Arras, commentant les offres du roi de France, l'entêtement irréductible des Anglais et l'opportunité de faire la paix.

Enfin, le 8 septembre, une messe solennelle fut chantée et là fut consacrée la très bienheureuse paix pour le royaume de France.

Bedford, le principal obstacle à la pacification, en mourut de douleur six jours après ; le traité fut scellé le 21 septembre 1435.

Pendant les négociations, le Connétable se tenait au courant de ce qui se passait aux armées : il s'efforçait de calmer le zèle indiscipliné des chefs de bande qui, sans crainte de gêner les pourparlers, pillaient indistinctement amis et ennemis et de démontrer aux Anglais, par une série de succès, que force leur était bien de consentir à la paix.

Corbeil, Brie Comte Robert, Lagny, Saint Germain en Laye, Charenton et Vincennes étaient aux mains des Français ; le pays de Caux, le Cotentin et le Ponthieu étaient en révolte ouverte contre la domination étrangère ; le grand capitaine Anglais, Arundel, avait échoué et avait été tué devant Gerberoy qui servait de point d'appui au royaux ; Jean Foucaud, Mahé Morillon, Gaucourt et Regnault de Saint Jean d'Angely, s'emparaient de Saint-Denis et, renforcés par le Maréchal de Rieux, y faisaient, avec l'aide des moines et des habitants, une belle défense, interceptant le ravitaillement de Paris, venant tous les jours aux portes de la ville, y massacrant tous ceux qu'ils rencontraient, coupant le blé en herbe pour affamer la capital e; et, pendant ce temps, le Bâtard d'Orléans achevait l'encerclement de la place en mettant la main sur le Pont Sainte-Maxence.

D'importants renforts anglais conduits par Scales, Talbot, Willoughby et Kyriel firent malheureusement échouer les tentatives françaises sur Caudebec et Rouen ; en revanche, L'Ile-Adam, le gouverneur bourguignon de Paris, avait, avant même la signature de la paix d'Arras, abandonné son poste et fait sa soumission au roi de France ; appelé par les bourgeois de Pontoise qui avaient forcé leur garnison anglaise à mettre bas les armes, il avait pris, au nom de Charles VII, le commandement de cette place importante.

Cependant, pris par la famine et le manque d'eau, Rieux n'avait pu se maintenir longtemps à Saint-Denis qu'il avait dû évacuer ; les Anglais avaient rasé la ville à l'exception de la basilique et d'une tour nommée Tour du Venin dans laquelle se logea Beaudoin Brichanteau, le gendre du prévôt anglais de Paris, Simon Morhier.

Au moment de la capitulation de Saint-Denis, le Connétable arrivait à Senlis d'où il se rendit à Poitiers, pour exposer au roi ses espérances et son plan qui consistait en ceci : tenir par de continuelles escarmouches, les renforts anglais éloignés de Paris et s'emparer de la ville avec le concours des bourguignons.

Dans Paris, les Anglais et leur nouveau capitaine, Willoughby, avaient par leur dureté, leur avidité et leur morgue, réussi à s'aliéner la plus grande partie de la population, pillant et incendiant les villages des environs d'où de bien maigres ressources eussent peut-être encore pu arriver, brûlant en moins de six mois ce qui eût suffi pendant ce laps de temps à nourrir une population de plus de 6.000 habitants. Le bourgeois de Paris nous assure que ceste maléficque et diabolicque guerre estoit soustenue et entretenue par trois évesques : le chancelier, homme très cruel, Louis de Luxembourg, qui faisoit fonctions d'évesque de Thérouanne, l'évesque qui fut de Beauvais, Pierre Cauchon de Sillery, qui occupait le siège de Lisieux, et l'évesque de Paris, Jacques du Chastellier ; et, pour certain, par leur fureur, sans pité, on faisoit, en secret ou en apert, mourir beaucoup de gens, ou par noyer ou aultrement, sans compter ceux qui mouraient par la bataille.

Au milieu de tous ces sujets de plaintes, le spectre de la famine donnait beau jeu aux partisans de Charles VII pour grouper les mécontents, décider les hésitants et ouvrir secrètement des pourparlers avec le Connétable.

La semaine avant Pâques fleuries, les Anglais firent faire des perquisitions pour s'assurer de ce qui restait de vivres à Paris ; le 5 mars, ils tirent prêter à tous les habitants le serment, sous peine de la damnation de l'âme, sans espargner prestres ni religieux, qu'ils seroient bons et loyaulx au roy d'Angleterre et qui ne le vouloit faire perdoit tous ses biens et estoit banni ou il avoit pis ; le mercredi saint, 400 Anglais mécontents de ne pas recevoir leur solde pillèrent l'église Notre-Dame des Champs.

Quand Richemont quitta Poitiers, le 8 mars, le roi ne put lui donner que 1.000 francs pour la délivrance de la capitale. Il apprit en route, à Janville, que 3.000 Anglais conduits par Thomas de Beaumont approchaient de Paris avec un important convoi de ravitaillement destiné, bien entendu, uniquement à la garnison anglaise ; il envoya immédiatement le Bâtard d'Orléans chercher des renforts en Beauce et il continua son chemin avec 60 lances de sa maison. Il fit étape, la veille des Rameaux, à Corbeil, et le lendemain à Lagny où il trouva belle compagnie de ses gens qui y tenoient garnison et d'où il ordonna à toutes les bandes qui cantonnaient dans la Brie et la Champagne de venir en toute hâte le rejoindre à Pontoise. Dans cette place, il rencontra les gens du duc de Bourgogne et, avec le renfort amené par Dunois, il se trouva à la tête de cinq à six mille hommes : c'était bien peu pour enlever une ville aussi peuplée et aussi bien défendue que Paris.

Aussitôt que Thomas de Beaumont apprit que Richemont se trouvait à Pontoise, il fit faire demi-tour à sa troupe et de nuit, à travers bois, il gagna la Seine qu'il passa sans encombre et entra dans Paris.

Informé que les Anglais avaient réussi à lui dérober leur marche, Richemont résolut de se rapprocher de Paris pour être à portée de profiter des occasions qu'il savait devoir lui être offertes : par son ordre, ses fourriers avec Tugdual le Bourgeois de Kermoysan, Mahé Morillon, Foucaud de Lescoulouarn et 300 hommes d'escorte quittèrent Pontoise, le mardi de Pâques, 10 avril, pour aller faire le logement dans les ruines de Saint-Denis ; de son côté, Beaumont avait eu la même idée et était venu en forces pour achever de piller l'Abbaye ; les Anglais s'acquittaient de leur mieux de cette besogne qui n'était pas pour leur déplaire, brisant les reliquaires pour en retirer les métaux précieux, arrachant des mains du prêtre qui chantait la messe le calice contenant les Saintes Espèces, emportant les corporaux, les nappes d'autel et tout ce qu'ils purent trouver ; au plus fort du pillage, le guet aperçut l'avant-garde du Connétable et donna l'alarme ; le capitaine Anglais rassembla son monde et saillit à l'escarmouche.

Le choc eut lieu au ruisseau de la Briche, près d'Epinay ; voyant que les Anglais étaient dix fois plus nombreux que son escorte, Tugdual envoya, en toute hâte, prévenir le Connétable qu'il avoit trouvé ce qu'il demandoit. Richemont fit sonner ses trompettes et sauta en selle pour presser ses gens ; au fur et à mesure que ses troupes arrivaient, il les poussait en avant avec Rostrenen, pour nourrir le combat ; les Bourguignons, cependant, ne se pressaient pas d'accourir : il les envoya chercher et apprit qu'ils ne vouloient pas monter à cheval sans avoir argent, et il conveint qu'il s'obligeast à Monseigneur de Ternan de la somme de milte escuz auant qu'il voulust partir.

Au passage, L'Ile-Adam à qui il demandait s'il connaissait bien la région où les Anglais avaient pris position, lui répondit : Par ma foy, Monseigneur, si vous aviez dix mille hommes de plus, vous ne leur feriez nul desplaisir en la place où ils sont. Le Connétable répartit : Si ferons si Dieu plaist ; allez devant pour entretenir l'escarmouche. Lui-même le suivit avec 160 lances rangées autour de son étendard que portait le Sire de Broons, Henri de la Villeblanche.

Rostrenen et L'Ile-Adam avaient rapidement rejoint Tugdual et avaient mis pied à terre près du pont de la Briche ; ce passage avait été conquis et reperdu à plusieurs reprises ; L'Ile-Adam avait failli être tué ou pris et ses hommes avaient dû reculer de deux traits d'arc, quand survint le Connétable, par des cheminements couverts, nous dit un témoin oculaire. Quand il fut près des Anglais, il entra dans un champ de vigne et venoit en belle bataille et, si lost que les Anglois l'aperçurent, ils se mirent en désarroy pour cuyder recouvrer leur pont, et incontinent, nos gens et toute nostre bataille chargèrent dedans, et bientost furent desconfits.

La poursuite se prolongea jusqu'au pied des murailles de Paris où il y eut bel effroi ; Beaumont dut rendre son épée à Rostrenen ; une partie des fuyards s'enfermèrent dans la tour du Venin et, sous le commandement de Brichanteau, se mirent en défense ; il fallut les assiéger et Richemont envoya chercher à Vincennes deux bombardes pour les réduire.

Dans cette nuit du mardi au mercredi, nous dit Guillaume Gruel, vinrent nouvelles à Monseigneur le Connestable d'ung homme de Paris qui luy mandoit qu'il veint et qu'ilz estoient une dixaine qui luy ouvriroient la porte, pourvu qu'il s'engageât au nom du roi à un pardon général et à empêcher tout désordre.

Le gros succès d'Epinay avait, en effet, décidé l'explosion du complot ourdi, depuis longtemps, par les principaux bourgeois de Paris, dont l'histoire nous a conservé les noms : le principal meneur était un ancien trésorier de France, Michel de Laillier, aidé de son fils, Jean de Laillier, Pierre de Lancras, Thomas Pigache, Nicolas de Louviers, Jacques de Bergières, Jean de La Fontaine, Jean de Belloy, Nicolas de Neufville, Pierre de Landes et Jean de Grantrue ; ils avaient, il est vrai, prêté, moins d'un mois auparavant, serment de fidélité au roi d'Angleterre, mais ils avaient l'excuse d'y avoir été un peu forcés, le couteau sur la gorge ; ils informèrent le Connétable qu'il serait plus facile d'ouvrir une des portes de la rive gauche, et fixèrent le vendredi, 13 avril, au petit jour, pour cette opération. Richemont ne tenait pas à faire son entrée à Paris avec ses bandes d'écorcheurs qu'il n'aurait pu empêcher de piller la ville : il préféra les laisser devant la tour du Venin, sous la surveillance de son Lieutenant, René de Laval, seigneur de La Suze, et de son Maître d'Hôtel, Pierre du Pan. Sous prétexte d'aller conférer avec les chefs Bourguignons qui étaient retournés à Pontoise, il alla, avec 60 lances, coucher dans cette ville.

Il en repartit, le mercredi au matin, avec L'Ile-Adam, Ternan et Lalaing, après avoir expédié Mahé Morillon et son frère se mettre, avec 400 hommes, aux aguets, à Notre-Dame des Champs, pour surveiller le signal convenu avec les bourgeois. Il se rendit d'abord à Poissy où le Bâtard d'Orléans l'attendait ; le jeudi, au soleil couchant, il se remit en route, chevaucha toute la nuit et, après une halte dans un bois, vers minuit, il arriva, avant le point du jour, près du Vigneul, à une grange nommée Dame-Marie, on vint l'y prévenir que l'on entendait beaucoup de bruit dans Paris et que l'entreprise était sûrement éventée ; il n'en continua pas moins sa route et arriva, en bon ordre, jusqu'aux Chartreux, sur l'emplacement actuel du jardin du Luxembourg ; et incontinent, nous dit Gruel, ung homme se montra sur la Porte Sainct Michel qui feit signe d'ung chaperon, et, sans sçavoir qui avoit gagné ou perdu, on tira vers cette porte et iceluy homme dist : tirez à l'autre porte car ceste cy n'ouvre point ; on besogne pour vous aux Halles.

Charles VII, roi de France.

En effet, de grand matin, Michel de Laillier et ses amis s'étaient mis à parcourir les rues en appelant aux armes ; cette audace n'était pas sans danger pour eux : Laillier fut poursuivi par les Anglais et fut obligé de se cacher en attendant que ses gens fussent assemblés. On tendit les chaînes des rues, on fit pleuvoir des projectiles de toute sorte sur les Anglais qui accouraient au bruit et, de tous côtés se montraient des gens en armes arborant la croix blanche de France ou la croix de Saint André de Bourgogne et criant : vive le duc de Bourgogne ! vive le roi de France ! Les principaux centres d'agitation étaient, comme de coutume, les Halles et la porte la plus éloignée de celle par où devait entrer le Connétable : la porte Saint Denis. Willoughby et l'Evêque de Thérouanne coururent à cette porte où ils pouvaient craindre un assaut des routiers du siège de Saint Denis : dans la rue qui y conduit, leurs troupes furent écrasées sous les bûches, les meubles et les pierres qui grêlaient des fenêtres ; ils ne purent avancer qu'au prix de lourdes pertes. Le Lieutenant du Prévôt, Jean Larcher, ung des plus crueulx chrestiens du monde, nous dit le Bourgeois de Paris, ung gros villain comme ung cagoux, eut le même sort dans la rue Saint Martin : lui et ses archers anglais, au nombre de deux à trois cents hommes, alloient criant le plus horriblement que oncques veit on gens crier « Sainct Georges ! Sainct Georges ! Traistres François, vous tous morts ! Les rues se vidaient devant eux ; cependant, devant Saint Merry, deux bons bourgeois : Jehan le Prestre et Jehan des Croustez, eurent l'imprudence de ne pas se ranger sur leur passage : il furent taillés en pièces. Le Prévôt, Simon Morhier, s'était chargé de mettre les Halles à la raison : il rencontra ung sien compère, ung très bon marchand qui luy dist : Monsieur mon compère, ayez pitié de vous, car je vous promets qu'il convient, à ceste fois, de faire la paix, où nous sommes tous destruits — Comment, dist-il, traistre, es tu tourné ? Et, sans plus rien dire, il le fiert de son espée par le travers du visaige dont il cheut et, après, le fist tuer par ses gens.

Le connétable arriva devant la porte Saint Jacques, au coin de la rue Saint Jacques et de la rue Soufflot : les gardiens de la porte demandèrent qui était là ; on leur répondit que c'était Monsieur le Connétable ; effrayés par la vue de plus de gens armés qu'ils ne s'imaginaient que le roi Charles en put assembler, ils demandèrent que le Connétable voulut bien venir en personne leur parler ; Richemont vint donc à cheval sur le bord du fossé : on lui demanda s'il observerait l'amnistie promise par le roi et le duc de Bourgogne et, sur sa réponse affirmative, on abaissa la planche de la porte de service ; il mit pied à terre et passa seul le fossé.

Les bourgeois vinrent le recevoir ; il leur serra les mains en leur disant : Mes bons amis, le bon roy Charles vous remercie cent mille fois, et moi de par luy, de ce que si doulcement vous luy avez rendu la maîtresse cité de son royaulme ; et si aulcun, de quelque estat qu'il soit, à mesprins par devers Monsieur le Roy, soit absent soit aultrement, il luy est tout pardonné.

Le bourgeois de Paris qui, en sa qualité de journaliste, devait rôder pâr là en quête de documentation et dont les sentiments anglophiles semblaient s'être bien modifiés depuis la veille, nous dit que tous les témoins de cette scène en étaient si émus de pitié et de joie qu'ils ne pouvaient retenir leurs larmes.

Cependant, quelques hommes de pied qui avaient réussi, eux aussi à franchir le fossé, s'occupaient à briser les ferrures du pont-levis ; en même temps, à peu de distance, le Maréchal de L'Ile-Adam escaladait la muraille à l'aide d'une grande échelle qu'on lui avait tendue et plantait sur le rempart la bannière de France qu'il avait lui-même abattue, le 29 mai 1418.

Le pont-levis tombé, les gens du roi commencèrent à entrer en ville et, comme quelques uns d'entre eux se mettaient à crier : Ville gagnée ! le connétable fit aussitôt publier à son de trompe que nul ne fut si hardy sur peine d'estre pendu par la gorge, de pénétrer dans les maisons sans l'autorisation des propriétaires, de dérober quoi que ce soit, d'injurier ou de faire quelque déplaisir aux gens de tous états, sauf, bien entendu aux natifs d'Angleterre ou à leurs soudoyers. Cette proclamation fit tant de plaisir au peuple de Paris, nous affirme le bourgeois, qu'il fut, dès lors, impossible de trouver une seule personne qui ne fut disposée à engager sans réserve son corps et sa chevance pour achever la débâcle des Anglais.

Richemont monta à cheval et, suivant la rue Saint Jacques, arriva sans encombre au Petit Pont et, de là, au Pont Notre Dame ; il y rencontra Michel de Laillier qui, une grande bannière royale en tapisserie à la main, venait lui annoncer que, accueillis à la Porte Saint Denis par une volée de coups de canon, Willoughby et l'évêque de Thérouanne, s'étaient enfuis au plus vite et s'étaient réfugiés avec leurs partisans dans la Bastille Saint Antoine ; les bourgeois avaient déjà établi un service de surveillance autour de la forteresse.

Un nommé Gauvain Le Roy vint trouver le Connétable, lui dit qu'il voulait profiter de l'amnistie promise et lui proposa de mettre en ses mains Marcoussis, Chevreuse et Montlhéry : il ne demandait qu'un moyen sûr de traverser les lignes françaises ; Richemont le fit accompagner par le hérault Parthenai, et Gauvin tint sa promesse.

Le Connétable poussa jusqu'à la Grève où on lui dit que les Anglais se tenaient tranquilles dans la Bastille et que tout allait bien de ce côté ; on le pria de se rendre aux Halles pour encourager ceux qui y avaient si bien combattu : il y consentit et s'avança jusqu'à l'église des Saints Innocents devant laquelle Asselin, son épicier d'autrefois, lui apporta le vin de la bienvenue. Il se rendit ensuite à Notre-Dame et y assista, tout armé, à la messe à l'issue de laquelle les chanoines voulurent lui offrir un repas qu'il refusa parce que, profondément religieux, il jeûnait par dévotion tous les mercredis et les Vendredis ; il accepta seulement un peu de vin et quelques gâteaux secs, qu'on appelait alors des épices. Toutes les cloches de Paris furent alors mises en branle en l'honneur de la délivrance.

Richemont alla ensuite à la Porte Baudoyer, inspecter les postes devant la Bastille ; il les renforça, puis se réinstalla à son hôtel du Porc-Epic, dans la rue de Jouy. Pendant qu'il dînait, on vint l'avertir que son maître d'hôtel, Pierre du Pan, qu'il avait laissé à Saint-Denis, était arrêté par les bourgeois à la Porte Saint-Denis et demandait à lui parler : il donna l'ordre de le laisser passer. Pierre du Pan lui apportait des propositions de capitulation de la garnison de la Tour du Venin à qui le son des cloches avait appris que la résistance était devenue inutile ; le Connétable consentit à ces propositions et renvoya son maître d'hôtel recevoir leur soumission.

Malheureusement, les Ecorcheurs qui tenaient le siège avaient, eux aussi, entendu les cloches et, empressés de courir au pillage, ils abandonnèrent leur poste et accoururent à la porte Saint-Denis qu'ils trouvèrent fermée et fortement gardée. Quand ceux de la Tour du Venin veirent que nos gens estoient allez devers Paris, ils eurent la mauvaise idée en dépit de la capitulation de se sauver par le marais de Saint-Denis, mais les Ecorcheurs furieux d'avoir été repoussés de Paris, s'aperçurent aussitôt de cette fuite déloyale, les chargèrent et il n'en échappa pas un seul : Brichanteau fut du nombre des morts ; quant à Simon Morhier, son beau-père, qui avait pu se sauver de Paris, je ne sais comment, il fut arrêté au Pont de Charenton par le capitaine de Corbeil.

Richemont s'empressa d'envoyer Raoullet Guillaume, Chevaucheur des écuries, porter au roi, à Issoudun, la nouvelle de la délivrance de Paris, puis il s'occupa de tout réorganiser dans cette ville ; le jour même de son entrée, il remplaça le Prévôt de Paris, Simon Morhier, par Philippe de Ternan, rouvrit les marchés fermés et les fit approvisionner de telle sorte que le Bourgeois de Paris nous confie que ce jour là, on pouvoit avoir sept œufs pour un blanc, alors que la veille on n'en avait que cinq pour deux blancs, et le reste à l'avenant.

Comme il avait besoin d'argent pour payer ses troupes et s'acquitter de sa dette envers Ternan, il fit perquisitionner dans les maisons des Anglais et de leurs partisans, en particulier chez le Chancelier Louis de Luxembourg où une riche chapelle et de nombreux bijoux furent saisis.

Le 13 avril au soir, le Connétable en personne fit le guet malgré sa haute dignité militaire, à la Porte Saint-Antoine ; le lendemain matin, pendant une messe solennelle, à Notre-Dame, les lettres d'abolition accordées par le roi furent lues devant une foule considérable au milieu d'un enthousiasme général.

Cependant, les personnages réfugiés à la Bastille commençaient à se trouver bien à l'étroit, car ils estoient tant que tout estoit plein, et eussent bien tost estés affamez.

Willoughby persuadé de l'inutilité de la résistance demanda à quitter la place, à condition que tous ses compagnons pussent sortir en emportant tous leurs biens ; assuré de les avoir quand il voudrait, par la force ou par la famine, Richemont hésitait : il voyait dans la manière forte le moyen de payer les arriérés grâce aux grosses rançons qu'il pourrait en tirer — peut-être 200.000 écus — et d'assurer pour longtemps la solde de ses troupes sans avoir recours aux maigres libéralités du roi : il demanda donc aux bourgeois de lui prêter pour un mois une quinzaine de mille francs qui lui auraient permis d'amener la chute de la forteresse ; mais les Parisiens lui répondirent : Monseigneur, s'ils se veulent rendre ne les refusez pas ; ce vous est belle chose d'avoir recouvré Paris d'où maints connestables et maints mareschaux ont été autrefois chassés ; prenez en gré ce que Dieu vous a donné. Ces conseils de modération finirent par l'emporter, et, le dimanche, 15 avril, la capitulation fut signée.

Le mardi suivant, les Anglais et leurs partisans : Jean Larcher, Saint Yons le chef des bouchers, Le Goix, Louis de Luxembourg, l'épicier Jacques de Ray et l'Evêque Pierre Cauchon, en tout environ 500 personnes, sortirent de la Bastille ; de peur d'incidents, on les fit passer hors des murs pour aller, en aval de la tour de Nesles s'embarquer pour Rouen. Pendant ce défilé, les Parisiens perchés sur la muraille ne se faisaient pas faute de les huer copieusement et de leur servir la classique plaisanterie en vertu de laquelle tous les gens d'Outre-Manche étaient, en punition du mauvais accueil fait par leurs pères à Saint Augustin de Cantorbéry, affublés d'une queue de renard au bas de leur échine; les cris de : A la queue ! A la queue ! redoublaient à la vue du Chancelier, du Lieutenant du Prévôt, du maître des bouchers et de tous ceux qui avoient esté coupables de l'oppression qu'on faisoit au pouvre commun ; car, en vérité, oncques les Juifs qui feurent menés en Chaldée en chétivoison ne feurent pis menés que le pouvre peuple de Paris.

Le vendredi suivant, l'Université se rendit en corps à Sainte-Catherine du Val des Escholiers, rendre grâce de la délivrance si bénignement et si doulcement faite ; le Bourgeois de Paris émet le vœu que cette procession se reproduise tous les ans à la même date et il fait remarquer dans son journal que, par une étonnante coïncidence, l'offertoire de la messe de ce jour débute ainsi : Erit vobis hic dies mémorialis et diem festum celebrabitis solempnen in progenies vestras : ce jour sera pour vous un jour de souvenir et vous le célébrerez dans toute votre postérité.

Le vœu du Bourgeois s'accomplit tous les ans, le vendredi après Pâques, jusqu'en 1735 ; à cette date, sur la demande du Parlement et des membres de la Cour des Comptes qui, en esprits forts du XVIIIème siècle, se souciaient peu du glorieux passé de la patrie, méprisaient tout ce qu'avaient respecté leurs pères et jugeaient superflu de remercier Dieu d'événements si éloignés, la procession de la délivrance fut confondue avec celle qui se faisait le 22 mars, en mémoire de l'entrée d'Henri IV à Paris.

Au milieu des inscriptions et des innombrables monuments qui encombrent les rues et les jardins de la capitale, à la mémoire éphémère de gens qui ont rendu des services plus ou moins éminents, non à leur pays mais à leur parti politique, qu'est-ce qui rappelle aux Parisiens de nos jours le grand événement du 13 avril 1436 ? Le nom de Richemont donné à un petit bout de rue, près des boulevards extérieurs, du côté de la Porte d'Ivry, un minuscule plan de la Porte Saint-Jacques gravé sur son emplacement, et placé si haut qu'il passe à peu près inaperçu et quelques lignes enfouies dans la poussière des registres du Parlement, que l'on s'étonne de ne pas voir reproduites sur le bronze ou sur le marbre à l'endroit où le Connétable pénétra dans la capitale et frappa dans la main des bourgeois en signe de réconciliation et d'union nationale :

Le Vendredi, XIIIème jour du mois d'avril 1436, entre sept et huit heures du matin, par les bons bourgeois et habitans de ceste ville de Paris, fut faite ouverture de la Porte Sainct Jacques à Monseigneur Arthus de Bretaigne, comte de Richemont, connétable de France, Messire Jehan Bastard d'Orléans, Messire Philippe de Ternan, Messire Jehan de Villiers seigneur de l'Isle-Adam, Messire Simon de Lalain et à bien deux mille que chevaliers, escuyers et gens de guerre estans en leur compagnée, ordonnés par le roy nostre Sire, Charles VII, nostre souverain seigneur, pour mettre icelle ville en son obéissance ; et si noblement tellement procédèrent lesdits bons bourgeois et habitans qu'ils reboutèrent Messire Loys de Luxembourg Evesque de Thérouanne Chancelier pour le roy d'Angleterre gouvernant ceste dicte ville à sa singulière voulenté, le seigneur de Willoughby chevalier angloys Lieutenant des gens de guerre angloys estans à Paris, Messire Simon Morhier chevalier occupant la Prévosté de Paris, Maistre Jehan Larcher Lieutenant criminel de ladicte Prévosté, Jehan de Saintyon maistre des bouchers de la Grande boucherie, Jacques de Raye espicier demourant à la Porte Baudoyer maistre des grenetiers de Paris et plusieurs autres, environ cinq cents, au chastel de la Bastille. Et incontinent, allèrent Messieurs devant nommés et lesdictes bons bourgeois, en moult grant nombre, en l'église Nostre-Dame de Paris rendre grâce au doulx Jésus.

(Colonel FONSSAGRIVES).

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