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Les médecins Laënnec, Darbefeuille, Thomas, Pariset et la maladie du Typhus

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Triste position des prisonniers. — Disette. — Ses causes. — Godebert fait connaître de nouveau que le typhus s'est déclaré aux Saintes-Claires. — Discours de Carrier sur les causes d'insalubrité qui existent dans la ville. — Arrêté du conseil du département pour l'inhumation des cadavres. — Le typhus à l'Entrepôt. — Rapport du citoyen Thomas. — Belle conduite de ce chirurgien. — Dévouement de Darbefeuille. — Lettre de Pariset sur la maladie.

XVI.

Malgré la gravité des circonstances et l'action des sentiments individuels, qui devaient préoccuper si fortement les hommes dans ces moments de crainte et de périls, alors, que ceux qui se permettaient des sollicitations en faveur des prisonniers étaient regardés comme suspects, beaucoup d'honorables citoyens investis de fonctions municipales employaient le peu d'influence qu'ils pouvaient avoir à faire le bien et à améliorer la position des malheureux que les terroristes faisaient incarcérer, ou que le sort des armes rendait prisonniers... Le citoyen Orhont, par exemple, élevait encore la voix, dans le sein du conseil, de la commune, le 30 novembre, et présentait un tableau de la triste position dans laquelle se trouvaient les détenus, « qui ne recevaient pas toujours, disait-il, la quantité d'aliments nécessaire à la vie ». Il représenta avec énergie que l'humanité faisait un devoir de satisfaire leurs besoins, et qu'il fallait insister auprès des administrateurs du département, qui lui avaient fait espérer qu'ils auraient assigné un fond pour la maison, ci-devant Ecole chrétienne, où une grande quantité de Vendéens étaient détenus. Orhont demanda qu'on leur adressa, séance tenante, une invitation pour accélérer l'accomplissement de ce qu'ils avaient promis.

Le conseil prit en considération cette proposition. Il arrêta qu'il serait fait de suite une invitation aux administrateurs du département, afin de les engager à remplir leur promesse, et nomma le citoyen Orhont pour porter cette demande et l'appuyer... Le conseil général du département mit à la disposition de la municipalité une somme de 3,000 liv.

Ces secours étaient tardifs, malheureusement ; car la mort enlevait chaque jour de nombreuses victimes... Devons-nous blâmer les administrateurs ? mais ils ne pouvaient fournir ce qui leur manquait... Privés des approvisionnements nécessaires pour nourrir une si grande quantité de monde comme celle que renfermait alors Nantes, ils se trouvaient dans la cruelle position de ne pouvoir subvenir aux besoins d'une population aussi nombreuse... Les circonstances étaient devenues graves, et elles faisaient naître cette déplorable situation... Depuis neuf mois, la guerre désolait le pays, et la ville de Nantes en souffrait plus que toute autre, par les inquiétudes que ne cessait de lui donner la Vendée, — en la menaçant d'une invasion, — en la privant de subsistances qu'elle avait coutume d'en tirer, — et en frappant, par conséquent, de disette, la nombreuse et malheureuse population nantaise, que des armées considérables n'avaient cessé d'accroître... Avant la révolution, le territoire du département, dans les meilleures années, n'avait pu suffire que pour trois mois au plus à la consommation de ses habitants et en particulier de Nantes, qui s'approvisionnait ordinairement dans le pays de la Haute-Loire, dont, les grains, descendaient à Nantes et étaient, de là, répartis, par le commerce, en divers endroits de la France .... Ces différents moyens d'approvisionnements avaient manqué à la fois. D'un côté, tout le pays de Retz et la partie d'outre Loire, qui produisaient le plus de grains, n'en avaient point fourni, pour ainsi dire, de la récolte de 1792, parce que les habitants de ces contrées voulaient être payés en écus ; et, d'un autre côté, les farines venues de l'Amérique septentrionale avaient servi en très-grande partie à la consommation de l'armée... Le défaut d'ordre, favorisé par les circonstances, avait achevé de dilapider ce que l'économie avait ramassé, et, à la fin de 1793, Nantes comptait à peine 130 tonneaux de grains dans ses magasins pour nourrir une population d'environ 80,000 âmes, considérablement augmentée par un nombre incroyable de réfugiés et de prisonniers...

Mais ces ressources étaient consommées, et presque toutes les communes du département qui fournissaient les blés étaient insurgées ! et la navigation de la haute Loire, qui était interceptée, n'avait pas permis aux céréales achetées dans les départements limitrophes d'arriver à Nantes !

C'est en vain que, pour encourager l'arrivée des grains, la municipalité avait assuré aux cultivateurs une prime d'encouragement de cinq livres par chaque septier de froment qu'ils auraient amené en ville ; avec la faculté d'emporter en échange les denrées et marchandises pour leur usage et celui de leur famille. L'armée royaliste entourait Nantes, et elle arrêtait tous les approvisionnements qui se dirigeaient vers cette ville, qu'elle voulait réduire par la famine, ne pouvant s'en emparer par les armes... Aussi la faim se faisait-elle vivement sentir, alors que les familles riches étaient plus ou moins réduites ou à manquer de pain ou à ne recevoir du boulanger qu'une demi-livre par individu d'un amalgame de farine échauffée..... Le bruit court que l'autorité mêle de la farine de marron et de gland à celle de froment pour la confection du pain que l'on distribue chaque jour aux habitants.

L'administration répond qu'il n'était jamais entré dans ses vues de mêler de la farine de marron ni de gland dans le pain qui se distribue chaque jour, et que des ennemis du peuple, ont seuls pu répandre ce bruit ; qu'elle ignore encore, malgré les recherches faites, s'il existe réellement sur la rivière des bateaux chargés de marrons d'Inde et de glands ; que, quand cela serait, il n'en faudrait concevoir aucun ombrage, puisque les marrons d'Inde sont en réquisition pour la fabrication du salpêtre, et les glands, nécessaires pour les semis.

Mais pour augmenter les ressources alimentaires dont la ville avait si grand besoin, pourquoi l'administration n'avait-elle point recours à un moyen qui, quelques mois plus tard, lui devint précieux, alors qu'elle empêchait la fabrication de l'amidon ainsi que son exportation ; alors qu'une commission, composée des citoyens Darbefeuille, Laënnec, Louvrier, Sigoigne et Boistaux, chargée d'analyser l'amidon, lui faisait connaître que cette substance est une fécule inaltérable tirée du blé ; qu'elle est toujours pure et incorruptible, que le grain soit bon ou mauvais ; qu'elle est la partie vraiment nutritive de la farine ; que la fécule de patates, qui nourrit très bien, n'est autre chose qu'un amidon ; qu'on s'en sert journellement en médecine pour restaurer les forces d'un malade épuisé ; qu'on s'en sert encore en cuisine pour faire des crèmes, des bouillies, des dragées, etc., et que les nourrices en donnent aux enfants sans inconvénient.

XVII.

Dans l'état de pénurie où se trouvait Nantes, l'hiver offrait donc la perspective effrayante du dénûment le plus complet ; et l'épidémie, qui, des prisons, s'étendait aux rues circonvoisines, menaçait déjà toute la ville.... Le rapport de Godebert ne laissait plus aucun doute sur ce malheur, lorsqu'il faisait connaître à ses collègues, dans la séance du 3 décembre, qu'il était d'une extrême nécessité de transférer dans un autre lieu les malades détenus des Saintes-Claires, de crainte que le typhus, dont ils étaient atteints, ne se propageât dé proche en proche et ne gagnât insensiblement toute la ville ; que plusieurs personnes qui demeuraient aux environs de cette maison étaient déjà attaquées, et que le citoyen Larue, chirurgien de cette prison, se trouvait en grand danger.

Il s'offrit pour soigner les détenus pendant la maladie de son confrère, et il proposa ensuite de remplacer, par le citoyen Louvrier, le citoyen Hautbois, apothicaire, qui était dans l'intention de cesser de fournir des remèdes n'y pouvant suffire et n'ayant reçu aucun acompte sur les fournitures qu'il avait faites.

Le conseil déclara que Godebert avait mérité des témoignages de reconnaissance pour les sollicitudes, les peines et les soins qu'il avait pris et qu'il prenait encore à soulager les malades.

Il l'invita à s'adjoindre aux citoyens Beugeard, Cordet, Gaschignard, Orhont et François aîné, administrateurs des hôpitaux civils.....

XVIII.

Le conseil de la commune avait décidé, sur le rapport du chirurgien Godebert, que les malades de la maison de détention des Saintes-Claires, où s'était déclaré le typhus, auraient été transférés dans la maison de l'ancienne Ecole chrétienne. Cette translation, qui était de la plus grande nécessité puisqu'il s'agissait d'empêcher que tous les prisonniers ne devinssent victimes de l'épidémie, ne se faisait point !... On a peine à comprendre que la négligence de l'autorité fût portée si loin.

Le procureur général de la commune, alarmé de cette incurie, fixa de nouveau dans la séance du 10 décembre 1793, l'attention du conseil sur la nécessité de faire transférer de suite à la maison des Ecoles chrétiennes les malades des Saintes-Claires.

Ils demanda que les commissaires nommés pour cette maison eussent mis en réquisition les hommes nécessaires pour le nettoiement en entier des ordures dont elle était infestée. Il demanda aussi que les officiers de santé eussent été tenus de faire de fréquentes fumigations pour la salubrité de l'air ; que les commissaires eussent été autorisés à installer de suite un directeur pour cet hôpital.

Le lendemain, Carrier se rendait au conseil de la commune, proposait des mesures de salut public, et parlait, en ces termes de la situation de la ville :

« Citoyens magistrats,
La grande quantité de brigands qui est conduite dans la ville pour y subir la peine due à leur rébellion infestent la cité par leur amas nombreux dans les maisons d'arrêt où se sont manifestés des principes de contagion, occasionnés soit par les miasmes dangereux qu'occasionnaient et la pudridité des cadavres de ceux qui tombent sous le glaive de la loi, principes de contagion auxquels un degré de corruption vient s'ajouter comme les cadavres des chevaux et autres bestiaux que les passages et séjours des armées de la République ont introduit dans la place.

L'intérêt général de la cité, citoyens magistrats, exige que je forme une commission de salubrité, et j'ai chargé le citoyen Raulin, médecin en chef de l'armées de la diriger. Je vous invite à nommer deux municipaux pour en faire partie, et je vous demande de me présenter trente à quarante citoyens d'un civisme et d'une activité reconnus auxquels j'attribuerai un traitement ».

XIX.

Malgré les ordres de la municipalité et la surveillance du comité de salubrité, les mesures d'hygiène publique avançaient peu. Les rues et les places étaient encombrées d'immondices ; et les enterre-morts ne se donnaient pas la peine de faire des trous assez profonds pour l'inhumation des corps. Le plus ordinairement, la moitié des cadavres n'étaient point recouverts de terre. Le comité révolutionnaire entretenait cependant trois cents fossoyeurs !

Le conseil général du département, alarmé de ce déplorable état de choses, décréta, dans sa réunion du 14 décembre, de nouvelles mesures de salubrité publique…… Séance tenante, il adressa au conseil de la commune une note dans laquelle il disait que « les mêmes craintes qui avaient porté les officiers de santé en chef de l'armée à écrire au directoire l'avait engagé à soumettre ces considérations au conseil de la commune de Nantes, qui avait dû prendre des moyens pour éviter les dangers et les funestes effets qu'auraient sur la santé des citoyens la non inhumation ou l'inhumation mal soignée des cadavres, surtout dans les circonstances malheureuses où la guerre civile et des maladies cruelles désolaient l'humanité ;

Que la négligence en cette partie rendrait les cadavres infects de leurs ennemis plus dangereux pour eux que ne l'avaient jamais été leurs nombreuses cohortes ;

Que déjà l'air corrompu que l'on respirait semait, pour ainsi dire autour de tous, les maladies cruelles d'une manière effrayante, et que le mal s'accroissait à un point que les autorités constituées seraient inexcusables de ne pas employer tous les moyens d'éloigner de nos murs le nouveau fléau qui menaçait la ville ;

Que c'était ici une de ces mesures vraiment urgentes et importantes pour l'exécution de laquelle les administrateurs ne devaient rien négliger, puisqu'il s'agissait de la vie des patriotes ».

La municipalité désigna des hommes dévoués pour se transporter dans tous les cimetières, afin de s'assurer si les cadavres étaient bien enterrés, et elle donna des ordres aux commissaires de police pour faire exécuter cet arrêté....

Mais c'est en vain que la municipalité faisait mettre en activité une plus grande quantité de tombereaux pour le transport des cadavres ; c'est en vain qu'elle faisait connaître, par des affiches, que l'observation des mesures qu'elle prescrivait devait faire cesser l'épidémie... malgré tous ses efforts, l'inertie la plus désespérante existait pour tout ce qui avait rapport à la santé publique.

XX.

Les impositions arbitraires, les dénonciations, les arrestations et l'oubli de toutes les règles de justice et d'humanité ont anéanti les facultés des habitants. Le commerce est nul ; là fortune est un titre de proscription, et la liberté des citovens est mise à prix d'argent !

Le rôle infâme de délateur est devenu honorable aux yeux de la multitude... Ils le pensaient, du moins, tous ceux dont les lâches dénonciations sont écrites, avec les noms des délateurs, sur les pages des registres des comités de toute sorte et des clubs.... Et quelles étaient ces délations ? devaient-elles sauver la patrie en désignant des citoyens qui conspiraient contre elle ?... Hélas ! c'était, pour ne citer qu'un seul exemple, entre mille, « c'était une dénonciation contre les médecins de l'Hôtel-Dieu, accusés de retenir les galeux plus de trois mois à l'hôpital sans les guérir, parce qu'il y avait là-dessous quelque chose de suspect ! » (Mellinet).

Avec l'inculpation de suspect, nom vague et prêtant merveilleusement à l'arbitraire, personne ne peut se croire exempt de la prison, et une arrestation devient le prétexte d'une amende ruineuse, du pillage des meubles, de la confiscation de tous les biens, ou d'un arrêt de mort, sans autre motif que le mauvais vouloir des misérables qui ont usurpé toute autorité……….. La terreur règne à Nantes, et la ville est depuis deux mois le théâtre des sanglantes exécutions de Carrier. Il provoque, prêche, commande toutes les mesures révolutionnaires ; ses sicaires imposent arbitrairement les habitants ; ils incarcèrent les citoyens riches, forcés de s'affranchir à prix d'or, et ils marquent à la craie, — comme le faisaient les catholiques avec les huguenots de la Saint-Barthélémy, — les maisons des victimes dévouées à leur sordide et barbare cupidité .... Carrier a forcé le président du tribunal à faire guillotiner, sans jugement, quarante Vendéens pris les armes à la main, et il veut que la commision militaire fusille également trois mille détenus qui « empoisonnent, dit-il, la cité... ».

Ecoutez-le. Il est à la société populaire, et, le sabre à la main, il s'écrie : « La peste se fait sentir dans les prisons. Il est à craindre que bientôt elle ne se répande dans toute la ville. Les ordres du comité de salut public et de la convention sont d'exterminer tous les brigands... Vous exposerai-je à périr pour les ménager ?... Non, cet exemple en imposera aux malveillants..... Tous les brigands et les conspirateurs doivent être fusillés... Encore quelques jours, et il n'existera pas un seul brigand sur les rives de la Loire ».

Il a donné droit de vie et de mort sur les Vendéens, à Lambertye et à Fouquet, qui abusent de leur pouvoir pour immoler jusqu'à des femmes enceintes et des enfants !...... Il vient de proposer aux administrés réunis de faire périr les prisonniers en masse !.......

Nantes prend chaque jour un air plus sinistre... Le typhus est venu, avec la famine, se joindre aux massacres qui la désolent et l'épouvantent.... La mort plane sous toutes les formes sur cette malheureuse cité ; et, du salon à la mansarde, l'on n'entend parler que noyades, guillotine, typhus... Nantes n'a plus que l'aspect d'un vaste champ d'exécution ! ......

Une ordonnance de police, affichée dans la ville, fait défense de boire de l’eau de la Loire que les cadavres avaient infectée ! ! !

Les habitants ont disparu pour faire place à des bandes de chiens qui se désaltèrent dans les eaux rougies des cloaques et se repaissent des cadavres que les bourreaux n'ont plus le temps d'enfouir !.... Ne criez point à l'exagération. J'ai sous les yeux l'arrêté qui fut rendu pour empêcher les chiens de dévorer les cadavres des victimes ! La veille, une députation de Vincent-la-Montagne s'était présentée à la séance du conseil de la commune. Elle avait exposé « qu'il se trouvait dans la ville une grande quantité de chiens qui se portaient dans les endroits où l'on avait inhumé des corps morts, et qu'ils les déterraient pour s'en repaître ; que cela occasionnait des odeurs infectes et nuisibles à la salubrité de l'air, et pouvait amener les plus grands maux dans la cité ».

XXI.

Dans la séance du 26 décembre du conseil général de la commune, le citoyen Teissier, en son nom et aux noms des citoyens Richer, Cotteau, Claveau, Blot, Allard, Pierre Huet et Beziau, commissaires bienveillants de la 17ème section, chargés par le conseil de surveiller les prisonniers de l’Entrepôt, avait cherché à exciter l'intérêt sur les innocents qui y étaient renfermés.

« Parmi les scélérats, disait-il, qu'un repentir trop tartif, ou l'impossibilité de faire plus de mal amène chaque jour dans la localité, il se trouve un grand nombre d'enfants qui, par la faiblesse de leur âge, n'ont pas participé aux crimes de leurs parents. Il y a aussi plusieurs femmes enceintes et d'autres qui allaitent.... La nature des aliments qu'on leur distribue, ainsi qu'à ces petits enfants, ne leur convenant pas, ils ne pourraient vivre longtemps. Il y aussi des jeunes personnes qui ont la petite vérole. Il est juste que les coupables soient punis ; mais il est juste aussi d'avoir soin de ceux qui ne le sont pas. Il conviendrait donc de les ôter de cet endroit et de les placer dans un autre lieu où ils pourraient être secourus ».

Le conseil, après avoir entendu ce rapport, avait arrêté que les jeunes enfants auraient été mis dans quelque maison d'infirmerie, et qu'on aurait placé les femmes enceintes dans la ci-devant communauté de Saint-Charles pour y recevoir les secours que réclamait leur état... Cette décision, pour recevoir son exécution, exigeait l'approbation de Carrier. Ces malheureux restèrent dans l'Entrepôt.

L'encombrement y est considérable. Le conseil de salubrité informe la municipalité qu'il y règne une odeur putride qui peut occasionner la peste dans la cité .... L'autorité municipale députe vers Carrier les citoyens Dufo et Devauge pour lui « représenter les dangers imminents où se trouvent placés les habitants de Nantes, et le solliciter de faire transporter de suite tous les. détenus politiques qui sont à l’Entrepôt sur un ou plusieurs bâtiments, seul remède à opposer aux malheurs qui menacent la commune... ».

On transfère une partie de ces malheureux sur des navires ; mais là ils trouvent la mort ; car, dans ses raffinements de meurtre, Carrier a imaginé de les noyer, pour vider le trop plein de la population.

XXII.

Malgré les noyades et les exécutions, les prisons restaient pleines … Et cependant la commission militaire avait jugé 4,000 personnes dans l'espace de 20 jours !....

Carrier avait beau tuer des deux mains, les cachots regorgeaient toujours ... Des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants sont encore entassés dans les maisons de détention et particulièrement à l'Entrepôt.

C'est dans cet infâme charnier que l'on déporte chaque jour des autres prisons les malheureux sans nombre qui sont destinés à passer par les mains de la commission militaire ou par les galiottes de Lambertye... Le typhus s'y déclare et l'on compte de 30 à 40 morts par jour !

Les nombreux détenus que l'on en extrait tous les matins, pour les conduire à la guillotine sentent l'odeur de cadavre !.... De larges bailles de vidanges sans couvercles et sans barreaux d'appui sont au milieu des salles, et la lampe sépulcrale allumée dans ces galeries de mort donne une lumière si faible que tous les matins on trouve des malheureux détenus exténués et tombés à la renverse dans ces baquets empoisonnés !

La maladie était si intense à l'Entrepôt que, de 22 sentinelles qui y montèrent la garde, 21 périrent en très peu de jours, et que les membres du conseil de salubrité, qui eurent le triste courage d'y aller, en furent presque tous les victimes... Ils y trouvèrent, par centaines, des malheureux étouffés ou morts de faim ; des femmes qui avaient succombé dans les douleurs de l'enfantement, et que les rats avaient dévorées ; des squelettes d'enfants encore cramponnés au sein des squelettes qui avaient été leurs mères ......

Mais, au lieu de nous emparer du récit de ces faits, laissons parler des hommes qui les ont vus dans tout ce qu'ils ont présenté d'horrible et de frémissant.

C'est d'abord le chirurgien Thomas qui vient d'entrer à l'Entrepôt et raconte ce qu'il a vu :

« Je trouvai, en entrant dans cette affreuse boucherie, une grande quantité de cadavres épars çà et là ; je vis des enfants palpitants ou noyés dans des bailles pleins d'excréments humains... Mon âme était brisée... Je traverse des salles immenses, m'efforçant de parler un langage d'humanité, qui semblait nouveau aux malheureuses femmes dont j'étais chargé de constater l'état. Mon aspect les fait frémir ; elles ne voyaient d'autres hommes que leurs bourreaux. Je les rassure, je leur parle le langage de l'humanité, je constate la grossesse de trente d'entre elles ; plusieurs étaient grosses de sept à huit mois ... Quelques jours après, je viens revoir ces femmes, que leur état rendait sacrées et chères à l'humanité .... Aurai-je la force d'achever .... Ces malheureuses avaient été précipitées dans les flots ! Mais plus j'avance sur ce théâtre de sang continue le chirurgien Thomas, plus la scène devient affreuse. Huit cents femmes et autant d'enfants avaient été déposés dans les maisons de l'Eperonnière et de la Marilière ; cependant il n'y avait dans ces prisons ni paille, ni lits, ni vases d'aucune espèce ; les détenus manquaient de tout.... Le médecin Raulin et moi nous avons vu périr cinq enfants en moins de quatre minutes. Nous nous informons des femmes du voisinage, si elles ne pourraient pas secourir ces malheureuses créatures qui mouraient de faim. Elles répondent : — Comment voulez-vous que nous fassions ? Grandmaison fait incarcérer tous ceux qui portent des aliments à ces femmes et à ces enfants ».

Une autre fois, le chirurgien Thomas, croyant obtenir la grâce de trente-sept jeunes hommes de la Vendée momentanément retenus à l'hôpital, demande leur incorporation dans l'armée de la République. Goullin lui répond que cela ne se peut, et prenant la liste qui lui était présentée, il y met un ordre de transfèremont à l'Entrepôt….. Thomas eut le courage de retenir cet arrêt de mort.

« Un jour, Thomas proposait au comité de faire transférer à l'hôpilal vingt et quelques malades, et demandait des fonds ou effets pour les soigner. Goullin le requit de faire reporter ces malades à l’Entrepôt, où on entassait les individus destinés à être noyés ou fusillés par centaines, tant par jugements militaires qu'autrement, et même les habitants des campagnes des deux sexes qui venaient se rendre. Thomas frémit, s'indigna et refusa de déférer à cet ordre barbare et sanguinaire » (Phelippes dit Tronjolly).

Encore un mot sur Thomas.

Ce courageux citoyen venait de voir Durassier dresser une liste de proscription dans la prison du Bon-Pasteur, où il donnait, ses soins aux détenues. Thomas sortit, pénétré d'horreur, et revint un moment après, revêtu de son uniforme de chirurgien, armé de son sabre et de ses pistolets, et déclarant qu'on marcherait sur son cadavre avant d'enlever une femme pour la noyer...

Que n'avait-il des imitateurs !

XXIII.

Enfin, l'Entrepôt fut évacué et la contagion arrêtée dans ses progrès, grâce au zèle de Darbefeuille ... Ce médecin avait été incarcéré aux Saintes-Claires, et de la transféré à l'Eperonnière.

Redemandé par les malades et les blessés qui faisaient entendre leurs cris dans les sociétés populaires, il fut renvoyé à l'Hôtel-Dieu et y resta prisonnier pendant un mois. Rendu à la liberté, Darbefeuille se présente à ses persécuteurs et à Carrier, il leur peint le typhus dévorant les victimes qu'ils ont entassées, envahissant déjà les quartiers avoisinants, et, dans sa marche rapide, prêt à frapper la population entière. Ils craignent pour eux-mêmes, et Darbefeuille obtient l'autorisation d'organiser et de diriger une commission sanitaire ... Je vais laisser ce médecin tracer lui-même cette belle page de sa vie.

« A peine hors de détention, j'eus le courage, et c'était en avoir, dans ces jours affreux, où l'on ne voyait autour de soi que des bourreaux et des victimes, j'eus le courage de paraître devant ceux qui m'avaient fait incarcérer, de provoquer, dans le sein même du comité révolutionnaire, la formation d'une commission de salubrité, pour mettre un terme aux ravages que le typhus exerçait parmi les détenus de tout sexe, de tout âge, encombrés à l'Entrepôt ... Déjà les rues voisines étaient contagionées ; on comptait trente et quelques-victimes par jour ; la maladie se propageait avec une rapidité alarmante.

Je réussis à effrayer le farouche comité : le choix des membres de la commission et la direction de ses travaux sanitaires me furent confiés. Deux de nos collaborateurs, Nouël et Pariset, alors élèves, m'accompagnèrent dans la première inspection que nous fîmes dans l'intérieur de l'Entrepôt, sorte de sépulcre où étaient entassés près de treize cents spectres décharnés ... Un troisième collaborateur fut presque asphyxié en entrant dans ce lieu infect ; transporté chez lui, il était déjà contagioné.

Nos dispositions furent promptes ; nous évacuâmes tout l'intérieur, et nous y fîmes des fumigations guytonniennes. Assainir ces lieux infects, faire inhumer quatre mille trois cents cadavres jetés dans une carrière sans être recouverts d'un pouce de terre, carrière située près d'une entrée de la ville ; donner les mêmes soins à un grand nombre d'autres cadavres qui restaient presque découverts dans le grand cimetière : voilà ce qui fut l'objet des premiers travaux de la commission, et ce qui fut promptement exécuté, non sans danger pour les membres ; car huit furent affectés du typhus le même jour, quatre succombèrent, je restai trente-deux jours au lit ».

Ecoutons maintenant Pariset dans la lettre qu'il a bien voulu nous adresser ; lorsque nous lui avons demandé ses souvenirs sur cette épidémie.

« Les Vendéens avaient passé la Loire. Ils s'étaient jetés sur le Mans, et avaient pénétré jusqu'à Grandville. Défaits dans une suite de batailles, ils s'étaient dispersés par groupes, et venaient dans les villes mettre bas les armes et demander grâce ... Je crois qu'on les reçut à composition, et que, malgré la foi des engagements, on leur ménageait les traitements les plus cruels. Je ne vous parle point des noyades, je ne les ai pas vues ; mais ce que j'ai vu, le voici :

Il y avait à Nantes , du côté du bois de Launay, un vaste bâtiment appelé l'Entrepôt. On y déposait les marchandises de l'Inde, qu'on y reprenait par transit. Ce bâtiment était vide. On y reçut les Vendéens prisonniers. Ils arrivaient là dans cet état déplorable où le mauvais temps, la fatigue, la faim, le désespoir et la malpropreté jettent les hommes. Soit qu'ils eussent apporté le typhus, soit qu'il se développât au milieu d'eux, cette affreuse maladie les emportait chaque nuit par centaines. Le matin, on jetait les cadavres par les fenêtres, on en faisait des tas que l'on recouvrait de voiles, puis on en chargeait des charrettes et on les conduisait à Gigant pour les y enterrer.

Le typhus se déclara en même temps dans les hôpitaux, dans les prisons, dans la ville. Il envahit tout. Effrayé de ce grand désastre, le comité révolutionnaire voulut y porter remède. On fit sortir d'une sorte de prison cet excellent Darbefeuillo à qui je dois la vie. On le fit venir au comité. On lui recommanda de s'adjoindre à son choix des auxiliaires actifs pour nettoyer les prisons, et surtout l'Entrepôt. Darbefeuille me désigna avec quelques autres. A mon nom, des cris de fureur éclatèrent, j'étais un fédéraliste, un ennemi public. Darbefeuille persista. Je fus admis..... On m'avait beaucoup parlé de l'infection de l'Entrepôt ; je crus que j'y rencontrerais une de ces odeurs qui révoltent. Pas du tout. En mettant le pied sur l'escalier de ce malheureux bâtiment, je ne sentis qu'une odeur fade et douce qui me portait à vomir. Je traversai lentement les salles. Elles avaient perdu dans la nuit plus de cent de leurs tristes habitants ; spectres pâles, décharnés, couchés abattus sur le plancher, ou s'y traînant en chancelant comme dans l'ivresse ou la peste. Je ne pense pas que j'aie touché un seul d'entr'eux.

Je ne sais pas quelles mesures prescrivit Darbefeuille ; mais ce que je sais, c'est que deux jours après cette fatale visite : brisement général, douleur à la tête, au col, au dos, aux lombes ; envies de vomir, frissons, fièvre. Je me mis au lit, je n'en sortis qu'au bout de soixante jours. Sur ces soixante, quarante entre la vie et la mort. J'éprouvai les choses les plus bizarres. J'entendis plusieurs jours de suite une musique ravissante, je composai une pièce de vers. J'avalai je ne sais combien de princes, de princes qui, portés dans de petits cabriolets, fendaient l'air, s'arrêtaient au pied du lit, abattaient le devant de la voiture, et s'élançaient, chamarrés de cordons, jusqu'à ma bouche, qui s'ouvrait pour les recevoir et les engloutir. Au premier, je me figurais que j'aurais beaucoup de peine ; mais il passa sans difficulté, et je fus rassuré pour les autres ; je sentais directement dans mes jambes une volonté contraire à ma volonté raisonnée.

J'usais ma tête, pendant ma maladie, et je sentais qu'une fois guéri, il m'en faudrait une seconde. Mais comment ajuster les os, les vaisseaux, les nerfs, les muscles, etc., etc. ? Cela m'embarrassait furieusement. Mais quoi ? je ferai comme je pourrai, me disais-je ; je n'y suis pas encore. Attendons, et je n'y pensai plus.

Ma maladie se jugea par une abondante exspuition, qui me fit largement écumer pendant une dizaine de jours. Vers ce temps là, je me sentais double, composé d'une moitié droite et d'une moitié gauche ; inégales, dépareillées. Je me sentais guéri d'un côté, je me sentais encore malade de l'autre Je dédoublais mon lit comme ma personne. Je me disais la nuit : Faut-il que je dorme si bien dans ce lit-ci ? et si mal dans celui-là ? N'est-ce pas là l'homme double des médecins ?

Du reste, ma maladie achevée , la convalescence fut rapide. Je fus sur pied en quelques jours. C'était au printemps ; jamais saison ne m'avait paru si belle. Darbefeuille fut malade comme moi. Dès le début, il fut plongé dans une sorte de stupeur méditative qui dura deux semaines.

Emile Nouël, mon condisciple et mon ami, ce cher Nouël qui a succombé depuis à une affection de poitrine, Emile Nouël ne fut pas plus ménagé que moi.

J'ai vu périr du typhus les jeunes gens de la plus belle espérance : un entr'autres, qui se jetait les cheveux épars sous les lits, marchait à quatre pattes, et hurlait comme une bête féroce... Quelle voix rauque ! quels cris ! quels regards ! Je n'ai jamais rien vu de plus affreux, si ce n'est un pauvre prêtre grec, tout jeune, qui en 1829 prit de nous la peste à Tripoli, et mourut en quelques jours, dans les convulsions d'une sorte de rage.

Les fumigations de chlore, qu'on essayait alors, n'eurent aucun effet sensible. Je les répétai plusieurs fois dans la prison du Bouffay. Après la sixième, l'odeur de la prison n'était pas détruite … Le déplacement et le grand air, voilà les vrais remèdes ... ».

(Gabriel Le Borgne).

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